ARCHIVÉ : Chapitre 4 : Manuel de pratique sensible à l'intention des professionnels de la santé : Leçons tirées des personnes qui ont été victimes de violence sexuelle durant l'enfance – Principes pour la pratique sensible

 

Principes pour la pratique sensible

Une considération essentielle : promouvoir un sentiment de sécurité pour la personne

«Je commence maintenant à comprendre qu'il existe un lien très étroit entre mon bien-être physique et mon état émotif. Si je ne suis pas à l'aise, si je ne me sens pas en sécurité, alors je ne pourrai progresser aussi rapidement que le voudrait [le praticien ou la praticienne de la santé]» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Le but primaire de la pratique sensible consiste à éveiller un sentiment de sécurité chez le client ou la cliente.

Le but primaire de la pratique sensible consiste à éveiller un sentiment de sécurité chez le client ou la cliente. De l'avis de presque tous les participants et participantes du projet, les neuf thèmes qui sont décrits ci-après contribuent de façon importante à rassurer les clients et clientes lors de leurs échanges avec des praticiens ou des praticiennes de la santé. Ces thèmes sont si essentiels à l'éveil du sentiment de sécurité recherché que les auteurs du présent manuel les érigent en principes pour la pratique sensible. Tout au long du projet, une vision s'est imposée aux auteurs : celle qui fait de la sécurité un parapluie protecteur dont l'armature est constituée des principes pour la pratique sensible. Lorsque ce parapluie est ouvert, la personne se sent en sécurité, et elle peut participer à l'examen ou au traitement en cours. Bien que la plupart des principes comptent parmi les soins axés sur les patients et patientes (voir Stewart162), ils revêtent une importance toute particulière dans un cadre teinté par la violence sexuelle pendant l'enfance ou par d'autres formes de violence interpersonnelle.

Véritable abus de confiance, la violence sexuelle à l'endroit d'enfants est l'antithèse de la sécurité. À en croire les témoignages de personnes ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet, les agresseurs ou agresseuses émaillent souvent leurs sévices de paroles rassurantes que démentent pourtant les gestes qu'ils accomplissent. Chez certains adultes ayant survécu à l'expérience de la violence sexuelle, de telles paroles risquent de déclencher une réaction de peur et d'anxiété. De toute évidence, afin de réconforter ces personnes lors des rencontres de santé, les praticiens et praticiennes ne peuvent se contenter d'affirmer qu'elles n'ont rien à craindre. Pour leur inspirer un sentiment de sécurité, ils doivent plutôt tout mettre en oeuvre pour respecter les principes pour la pratique sensible. Comme l'affirmait un praticien ou une praticienne dans le cadre des consultations liées au projet, ces principes définissent une norme de pratique et l'assortissent d'une marche à suivre concrète et précise.

Les praticiens et praticiennes de la santé ont tous affaire à de nombreux patients et patientes ayant des antécédents de violence. Les principes pour la pratique sensible forment donc le noyau d'une démarche fondamentale qui devrait s'appliquer à l'ensemble des clients et clientes.

À leur insu ou non, les praticiens et praticiennes de la santé ont tous affaire à de nombreux patients et patientes ayant des antécédents de violence sexuelle, physique, psychologique ou autre. Les principes pour la pratique sensible forment le noyau d'une démarche fondamentale qui devrait s'appliquer à l'ensemble des clients et clientes. En ce sens, ils s'apparentent aux guides de prévention des infections souvent dits « pratiques de base » ou « formalités universelles » qui s'inscrivent aujourd'hui dans la pratique quotidienne de tous les milieux de santé. Autant les cliniciens et cliniciennes ignorent parfois les antécédents d'une personne sur le plan des infections, autant ils ignorent ses expériences sur le plan des violences subies par le passé. En intégrant les principes pour la pratique sensible aux normes de soins, les praticiens et praticiennes de la santé atténuent le risque de porter préjudice par inadvertance à leurs patients et patientes ou clients et clientes.

Les neuf principes pour la pratique sensible

Premier principe : faire preuve de respect

«Pour la personne ayant subi de mauvais traitements, ça compte énormément [de sentir le respect des autres]» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Le Grand dictionnaire terminologique de l'Office de la langue française122 entend par respect un « sentiment de considération éprouvé à l'égard d'une personne en raison de sa position sociale, de son mérite ou de la valeur humaine qu'on lui reconnaît ». Faire preuve de respect envers autrui, c'est percevoir l'autre comme l'incarnation d'une personne distincte, dotée de croyances, de valeurs, de besoins et d'antécédents qui lui sont propres. C'est reconnaître la valeur particulière de tout individu, surseoir aux jugements critiques à son endroit et imposer avec conviction et compassion le respect des droits humains fondamentaux45.

Du fait que les mauvais traitements minent l'autonomie et les limites personnelles, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle se sentent souvent amoindries comme êtres humains. De plus, elles risquent d'être sensibles à toute marque d'irrespect. De nombreuses personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont déclaré se sentir mieux respectées en raison de l'acceptation et de l'écoute offertes par un praticien ou une praticienne de la santé :

«J'ai besoin d'avoir ... la capacité de me rapprocher du praticien ou de la praticienne ... [pour] ne pas être ... un simple numéro ... me sentir respectée ... [et] sentir que je possède à mon sujet des renseignements utiles à partager ... [J'ai besoin de] savoir que j'ai le droit d'être déconcertée dans son bureau, qu'il ou elle m'accorde le droit d'être vexée et effrayée en sa présence. Non pas que je compte agir ainsi ... mais parfois ces choses surviennent lorsqu'il est question de maladie. Et [j'ai besoin de] ne pas être rabaissée ... ou jugée pour autant» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

FIGURE 1.: Le parapluie protecteur
Figure 1 - texte équivalent
  • Faire preuve de respect
  • Établir de bons rapports
  • Prendre le temps
  • Partager l'information
  • Partager le contrôle
  • Respecter les limites
  • Favoriser un apprentissage mutuel
  • Comprendre la guérison non linéaire
  • Démontrer une connaissance et une conscience de la violence sexuelle

Deuxième principe : prendre le temps

De nos jours, les cliniciens et cliniciennes ont sans cesse à trouver un juste équilibre entre le maintien de la qualité des soins et le respect des contraintes de temps qui affligent le système de santé. Hélas, dans cette conjoncture, les clients et clientes ont souvent l'impression d'être traités comme les articles d'une chaîne de montage qui s'étire à l'infini. Pareille situation aggrave le sentiment de dépersonnalisation et de dépréciation qu'éprouvent les personnes ayant survécu à une agression sexuelle. Certaines de ces dernières se sentent menacées dès qu'on les bouscule ou qu'on les traite comme des objets, ce qui sape les efforts visant à leur dispenser des soins.

Faire preuve de respect envers autrui, c'est percevoir l'autre comme l'incarnation d'une personne distincte, dotée de croyances, de valeurs, de besoins et d'antécédents qui lui sont propres.

L'augmentation du rapport entre le nombre de patients ou de patientes et le nombre de cliniciens ou de cliniciennes risque d'inciter les seconds à s'orienter exclusivement sur la tâche à accomplir et à s'interroger sur l'à-propos de prendre le temps de vraiment écouter les premiers. Il ne faut pas oublier que le sentiment d'être sincèrement écouté ou écoutée donc d'être véritablement estimé ou estimée revêt une valeur curative en soi. Dans certains cas, il s'agit peut-être même de l'intervention la plus efficace que puisse offrir le clinicien ou la clinicienne :

Ce sont les praticiens et praticiennes de la santé qui ... arrêtent et vous consacrent un moment, et ce moment-là compte parmi les principaux ingrédients de la guérison (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle)158.

Le sentiment d'être sincèrement écouté ou écoutée - donc d'être véritablement estimé ou estimée - revêt une valeur curative en soi. Dans certains cas, il s'agit peut-être même de l'intervention la plus efficace que puisse offrir le clinicien ou la clinicienne.

Sixième principe Respecter les limites

Section 6.5 La question du temps

Section 8.4 Comment réagir efficacement en cas de divulgation

Troisième principe : établir de bons rapports

«Certains témoignent de l'empathie, de la compassion, un intérêt spécial ... En leur présence, je me sens comme une personne plutôt que comme un simple dossier à traiter » (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Toute relation thérapeutique doit pouvoir compter sur l'établissement de bons rapports. Ces derniers jouent un rôle indispensable lorsqu'il s'agit de rassurer des personnes ayant survécu à une agression sexuelle. Les praticiens et praticiennes qui font preuve de cordialité et de compassion parviennent plus facilement à établir de bons rapports avec leurs clients et clientes pour ensuite mieux les sécuriser :

[Pour la praticienne de la santé que j'ai consultée], je n'étais qu'un cas parmi tant d'autres. Parfois, elle répondait à un appel. Je n'étais qu'un nom de plus sur une [fiche de recommandation] ... Elle se désintéressait complètement de moi. Aucun signe de cordialité ... Je ne me suis pas sentie en sécurité, faute de reconnaître en elle une personne avec qui je pourrais parler, peu importe le sujet ! Elle n'avait tout simplement aucun intérêt (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)143p.252.

En plus d'inspirer un sentiment de sécurité, l'établissement de bons rapports favorise une communication claire et stimule la collaboration. Lors des consultations réalisées dans le cadre du projet, tant les personnes ayant survécu à une agression sexuelle que les praticiens et praticiennes ont convenu que la qualité des rapports était en fonction de l'attention sans réserve portée par le clinicien ou la clinicienne ainsi que de l'accent mis sur le client ou la cliente.

Le choix d'une allure générale qui marie professionnalisme et compassion sincère favorise le développement d'un sentiment de sécurité et facilite la définition et le maintien de limites appropriées.

L'atteinte d'un juste équilibre entre professionnalisme et obligeance, propice à l'établissement de rapports positifs, dépend en partie du style des personnes, mais peut aussi se cultiver avec la pratique. Les cliniciens et cliniciennes qui, par professionnalisme, se montrent froids et distants ont peu de chances de se rapprocher positivement de leurs clients et clientes. À l'inverse, un style exagérément familier risque d'être jugé envahissant, voire irrespectueux. Le choix d'une allure générale qui marie professionnalisme et compassion sincère favorise le développement d'un sentiment de sécurité et facilite la définition et le maintien de limites appropriées.

Quatrième principe : partager l'information

«[Toujours] il expliquait le pourquoi de tous ses gestes. C'était vraiment chouette ! ... Il ne se contentait pas de m'appliquer des trucs en me laissant dans le noir. Ou encore s'il posait des questions, tu n'avais pas à deviner ses intentions. « Pourquoi voulez-vous savoir cela ? » Je dois dire que c'est mon sport, de tirer des conclusions hâtives ! ... Il suffirait de dix secondes à la personne pour dire « voici pourquoi je vais faire ceci ». Ça éviterait au cerveau de s'emballer » (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

La plupart des gens tendent à être moins anxieux lorsqu'ils savent à quoi s'attendre que dans la situation contraire. Pareille connaissance importe tout particulièrement pour les personnes ayant survécu à une agression sexuelle. Comme l'ont souligné de nombreuses personnes violentées consultées dans le cadre du projet, les gestes qu'accomplissent les praticiens et praticiennes de la santé échappent souvent aux patients et patientes, qui ne peuvent ainsi anticiper la suite. Le partage continu de renseignements à ce sujet contribue à calmer la peur et l'anxiété des personnes ayant subi de mauvais traitements, ce qui prévient parfois le déclenchement de réactions suscitées par des événements imprévus :

«À mon avis, ils devraient prendre cinq minutes au début pour expliquer « voici ce que [je] dois faire pour déterminer le meilleur traitement pour vous ». Ainsi on pourrait se préparer, non ? Il est très, très difficile de composer avec la surprise ... et en étant préparée, en n'ayant pas cette peur de l'inconnu, alors je ne risque pas que quelque chose qu'on me fasse déclenche une réaction qui éveille en moi les souvenirs de mauvais traitements» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)143p.255.

«Le pire, ce sont les surprises» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Dans bien des cas, en fournissant des renseignements écrits sur le déroulement des rendez-vous, les cliniciens et cliniciennes peuvent amorcer le partage d'information avant même de rencontrer leurs nouveaux patients ou nouvelles patientes. Par ailleurs, certains cliniciens et cliniciennes choisissent de commenter leurs gestes au fur et à mesure qu'ils les accomplissent. Cette pratique ne prend pas plus de temps, peut servir à instruire les patients et patientes et s'avère immensément rassurante pour ces derniers.

Annexe E Exemple de présentation d'un établissement

Comme le laisse entendre le libellé du quatrième principe, partager l'information suppose une démarche mutuelle d'échange de renseignements où chaque partie se sent écoutée et comprise. D'entrée de jeu, une méthode consiste d'abord à demander aux patients et patientes de préciser les données qu'ils souhaitent ou doivent obtenir, puis à les inviter à poser des questions :

«[La clinicienne] enrichit [le traitement] en y apportant une expertise et un savoir précis ... À la lumière de ce que je sais et de ce que je peux lui dire, j'espérerais qu'elle puisse ... évaluer la situation et proposer des choix ... Ainsi, au lieu de nous cantonner dans nos rôles, elle l'experte et moi la patiente, nous pourrions faire équipe comme communicatrices à propos de mon corps. Voilà ce qui me plairait» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)144p.82.

En outre, le praticien ou la praticienne de la santé doit sans cesse demander une rétroaction à propos des réactions que suscitent, chez le patient ou la patiente, les examens, les traitements ou les interventions, et ce, tout au long de chaque rencontre et avant la rencontre suivante. D'inviter ainsi à la verbalisation des réactions importe tout particulièrement pour les personnes en proie à des réactions indésirables flashbacks, cauchemars ou autres à la suite d'une rencontre. (Par exemple, dans le cadre du projet, un homme ayant été victime de violences buccales a déclaré avoir fait des cauchemars à répétition dans les jours suivant la pose d'un appareil orthodontique.)

Comme le laisse entendre le libellé du quatrième principe, partager l'information suppose une démarche mutuelle d'échange de renseignements où chaque partie se sent écoutée et comprise.

Cinquième principe : partager le contrôle

L'un des éléments fondamentaux de la victimi- sation sexuelle a trait à la situation de la personne qui voit l'agresseur ou l'agresseuse lui voler le contrôle de son corps. On comprend donc que, chez les patients et patientes, la préservation du contrôle personnel s'avère primordiale à l'éveil et au maintien d'un sentiment de sécurité lors d'échanges avec des pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé qui exercent un certain pouvoir.

«J'apprends qu'à défaut de me sentir aux commandes [de la situation] ... je me retire en douce» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)143p.255.

Bien que la dynamique de la relation d'aide soit l'affaire des deux parties, une responsabilité particulière incombe au praticien ou à la praticienne de la santé, qui jouit d'un statut social privilégié et a reçu une formation spéciale en ce sens. Qu'ils soient écrits ou verbaux, les contrats relatifs aux soins, à la thérapeutique et aux services offerts par les praticiens et praticiennes sont des outils qui servent à formuler les objectifs et à définir les paramètres de la relation d'aide ainsi qu'à clarifier les rôles et les responsabilités connexes. Le programme de traitements devrait prévoir une discussion franche et pratique de ces questions, de façon à minimiser le risque de malentendu ou d'erreur de communication tout en resserrant le lien de confiance établi conjointement par le patient ou la patiente et le praticien ou la praticienne de la santé. Faire fid'une telle discussion reviendrait à imputer des dons de clairvoyance aux deux parties et à croire chacune d'elles capable de comprendre les paroles, les motifs et les buts de l'autre, clairement et sans effort délibéré.

Le partage du contrôle des constituants de l'échange entre patients ou patientes et cliniciens ou cliniciennes permet aux bénéficiaires de participer activement à leurs propres soins de santé, par opposition à subir passivement des traitements. Ainsi, le clinicien ou la clinicienne ne travaille pas auprès de ses clients et clientes, mais collabore plutôt avec eux :

«[Le praticien ou la praticienne de la santé devrait dire] « si cette façon de procéder vous indispose, peut-être pourrions-nous effectuer des ajustements ou procéder autrement pour que vous vous sentiez plus à l'aise. Aidez-nous, aidez-nous à vous aider ! Communiquons ! Discutons ! Je ne peux lire vos pensées ... Je me soucie assez de vous pour vous consulter. Pour vous impliquer dans la démarche de guérison plutôt que vous l'imposer. » Il faut être dans le coup» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Bien plus qu'une simple responsabilité légale, la vérification du consentement éclairé est un élément crucial du partage du contrôle. Pour demander le consentement de la personne, il faut à la fois l'informer, la consulter et lui proposer des choix :

«Voilà l'approche me convient ! Cette mainmise immédiate, cette prise en charge sans consultation et sans possibilité de choix ... c'est pour moi la première source d'anxiété ... Par exemple, si tu t'étends sur une table [le praticien ou la praticienne de la santé pourrait dire], « ça vous va, de vous étendre sur le côté ? » ou « préférez-vous vous étendre sur le dos ? » plutôt que « étendez-vous sur le dos » ... Cela renvoie en quelque sorte à la pédagogie : « Voici ce que nous allons faire et voici ce que j'attends de vous ! » ... Bref, d'abord vient l'information, puis le choix» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)158.

Le partage du contrôle des constituants de l'échange entre patients ou patientes et cliniciens ou cliniciennes permet aux bénéficiaires de participer activement à leurs propres soins de santé, par opposition à subir passivement des traitements.

Section 6.6 Consentement éclairé

Le praticien ou la praticienne de la santé doit aborder directement tous les clients et clientes y compris ceux qui n'ont pas atteint l'âge de la majorité, qui ont une déficience intellectuelle ou qui communiquent par l'entremise d'un ou d'une interprète et négocier avec eux la prestation des soins.

Sixième principe : respecter les limites

«En tant que femme ayant survécu à une agression sexuelle, j'ai besoin de savoir que cette personne n'envahira pas mon espace. Qu'elle ne me fera aucun mal. Pas sur le plan physique nécessairement, mais plutôt sur le plan émotionnel» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)163p.95.

Chez la plupart des personnes ayant survécu à une agression sexuelle, le respect des limites s'avère primordial au développement d'un sentiment de sécurité, et c'est pourquoi ce thème fait l'objet d'un principe distinct du premier principe pour la pratique sensible (« faire preuve de respect »). Dans bien des cas, les cliniciens et cliniciennes qui dispensent des soins de santé doivent travailler très près des patients et patientes et obtenir d'eux des renseignements personnels. Lors des consultations menées dans le cadre du projet, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont déclaré se sentir bafouées par les praticiens et praticiennes de la santé qui accomplissaient des gestes ou posaient des questions sans s'expliquer ou demander la permission au préalable.

Parfois, la transgression des limites personnelles du client ou de la cliente est tout à fait involontaire. Par exemple, un praticien pressé ou une praticienne pressée risque d'oublier de demander le consentement d'une personne avant d'enclencher une formalité. Bien qu'elle puisse s'avérer opportune pour le praticien ou la praticienne, une telle action fait fidu besoin de contrôle et d'autonomie du client ou de la cliente. Dans le même ordre d'idées, si elle est posée avant l'étape de l'établissement de bons rapports, une question très personnelle risque d'être perçue comme une atteinte psychologique :

«[Les craintes que je nourris à l'endroit des praticiens ou praticiennes de la santé] sont liées aux problèmes que j'ai vécus pendant l'enfance. Ces problèmes me touchent encore, et si quelqu'un s'apprête à franchir mes ... ce que j'appelle mes limites personnelles, l'espace qui m'entoure, que je revendique pour moi ... si quelqu'un s'apprête à pénétrer dans cet espace, je préfère que cette personne me dise exactement ce qu'elle y fait. Tout particulièrement lorsqu'il s'agit de médecins, car ils ont tendance à s'approcher ... avec les mains tendues pour faire leur travail. Je m'y refuse net, car les sentiments, le stress et les émotions qui m'envahissent sont franchement trop pénibles à supporter » (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Il faut toute une vie à une personne pour apprendre à connaître et à gérer ses limites. Les mauvais traitements pendant l'enfance s'accompagnent d'un flagrant mépris des limites, et ce mépris est porteur d'une leçon pour les victimes, à savoir que leurs besoins et leur volonté importent peu. Pour bon nombre de personnes ayant survécu à une agression sexuelle, la guérison passe par la définition ou le rétablissement des limites personnelles et par l'apprentissage de stratégies efficaces de maintien des limites. En faisant preuve de respect et de sensibilité à l'égard des limites personnelles, les cliniciens et cliniciennes proposent un modèle de saines limites et renforcent le sentiment de valeur des patients et patientes tout en soulignant leur droit à l'autonomie personnelle.

En faisant preuve de respect et de sensibilité à l'égard des limites personnelles, les cliniciens et cliniciennes proposent un modèle de saines limites et renforcent le sentiment de valeur des patients et patientes tout en soulignant leur droit à l'autonomie personnelle.

Par ailleurs, il arrive aussi que les limites du clinicien ou de la clinicienne soient transgressées. Par exemple, le patient ou la patiente qui réclame sans cesse un prolongement de ses rendez-vous ou qui tente de joindre son praticien ou sa praticienne après les heures de travail tente peut-être de mesurer la fermeté des limites de ce dernier ou de cette dernière. Pour proposer un modèle utile aux patients et patientes qui ont du mal à maintenir leurs propres limites vis-à-vis des autres, le praticien ou la praticienne peut engager calmement un dialogue à propos du besoin de respecter sa vie privée et de la nécessité d'imposer des limites de temps. Il y a aussi danger de transgression de la part de personnes ayant survécu à une agression sexuelle qui tentent de conférer un caractère sexuel à leurs rapports avec le praticien ou la praticienne, du fait qu'elles ont appris dans l'enfance à tisser des liens sexuels avec des agresseurs ou agresseuses dominants. Pareille situation risque de s'avérer pénible pour tout praticien ou toute praticienne de la santé. La stratégie la plus utile consiste sans doute à réagir calmement sans chercher à blâmer qui que ce soit.

Le maintien des limites est une responsabilité fiduciaire qu'énoncent clairement les codes de déontologie, et toute infraction s'accompagne de sévères sanctions. Pour aborder les problèmes relatifs aux limites, une approche directe et pratique contribue à rassurer les patients et patientes et aide les praticiens et praticiennes de la santé à éviter des situations qui pourraient s'avérer dangereuses ou gênantes. Le maintien efficace des limites paraît simple à première vue, mais ne l'est pas toujours vraiment. Tout au long de leur vie, les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé doivent y porter une attention constante. Le praticien ou la praticienne qui éprouve des ennuis particuliers à cet égard devrait en parler avec un estimé collègue ou une estimée collègue, consulter un superviseur ou une superviseure ou encore demander conseil à son ordre professionnel.

Septième principe : favoriser un apprentissage mutuel

Les principes pour la pratique sensible visent à rassurer les clients et clientes en présence d'autrui. Bon nombre des personnes ayant survécu à une agression sexuelle découvrent peut-être ce sentiment de sécurité à l'âge adulte, faute de l'avoir connu pendant l'enfance. Elles ont donc peut-être besoin d'encouragements pour aspirer à une participation active et à part entière à leurs propres soins de santé. Lors des consultations menées dans le cadre du projet, certaines de ces personnes ont évoqué l'importance des encouragements, si modestes soient-ils, fournis par les praticiens et praticiennes de la santé, ajoutant que cet appui pouvait se transposer dans d'autres sphères de la vie :

«Il faut du temps pour cultiver l'affirmation de soi requise [pour dire non] ... et voilà qu'une autre personne me donnait la permission de dire non, le temps que je parvienne à l'imiter [et à me donner cette permission]» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)143p.254.

«Plus tard dans l'examen, une fois que j'ai bâti ma confiance, il me faut souvent obtenir la « permission » pour réussir à m'exprimer ou à poser des questions à mon tour» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

À mesure qu'ils se familiarisent avec les effets de la violence interpersonnelle sur la santé et qu'ils apprennent à collaborer efficacement avec les personnes ayant survécu à une agression sexuelle, les praticiens et praticiennes de la santé ne trouveront pas meilleurs guides que ces personnes. La plupart d'entre elles seront heureuses d'aider les cliniciens et cliniciennes qui montrent un intérêt et une compassion sincères à l'égard de leurs besoins particuliers et de la découverte des effets de la violence interpersonnelle sur la santé. Dans le cadre d'une relation bienveillante, la plupart des personnes ayant survécu à une agression sexuelle seront même disposées à tolérer les faux pas et le malaise inévitable qui accompagnent le traitement d'un sujet délicat.

À mesure qu'ils se familiarisent avec les effets de la violence interpersonnelle sur la santé et qu'ils apprennent à collaborer efficacement avec les personnes ayant survécu à une agression sexuelle, les praticiens et praticiennes de la santé trouveront en ces dernières les meilleurs guides qui soient.

Huitième principe : comprendre la guérison non linéaire

À maintes reprises, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet ont fait valoir que le chemin de la guérison et du rétablissement à la suite de sévices sexuels ne suivait pas un parcours linéaire. Par conséquent, le degré de tolérance de ces personnes et leur capacité de prendre part à des traitements peuvent varier d'une rencontre de soins de santé à l'autre. Cette variabilité s'observe tantôt à court terme (au jour le jour), tantôt sur de plus longues périodes. En reconnaissance de ce fait, les praticiens et praticiennes de la santé doivent vérifier l'état de leurs clients et clientes lors de chaque rencontre et ajuster en conséquence leur comportement. Le praticien ou la praticienne qui réagit à ces circonstances avec bienveillance et compassion contribue au sentiment de sécurité des personnes ayant survécu à une agression sexuelle et participe au renforcement de l'alliance thérapeutique entre les parties :

«À certains moments, certaines régions de mon corps deviennent parfois intouchables. Cela varie selon les circonstances auxquelles je suis confrontée. Par conséquent, à moins de dresser une liste et de s'y fier à chaque fois il faudra vérifier lors de chaque séance» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)143p.255.

Neuvième principe : démontrer une connaissance et une conscience de la violence interpersonnelle

«Sur une table à côté de ma chaise, [la praticienne de la santé] avait déposé un livre ou une brochure sur la violence sexuelle. Tout de suite j'y ai vu, avant toute chose, un signe d'ouverture vis-à-vis de la question. Par conséquent, si le sujet est abordé, je saurai que je suis entre bonnes mains, [sans quoi] ce document n'aurait pas traîné là» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Le degré de tolérance d'une personne ayant survécu à une agression sexuelle et sa capacité de prendre part à un traitement peuvent varier d'une rencontre de soins de santé à l'autre.

De nombreuses personnes ayant survécu à une agression sexuelle sont à l'affût d'indices qui témoignent du degré de sensibilisation des cliniciens ou cliniciennes à l'égard des questions de violence interpersonnelle. Ces indices peuvent varier. À la vue d'affiches ou de brochures produites par des organismes locaux qui offrent des services aux victimes de violence, une personne ayant survécu à de mauvais traitements surmontera peut-être sa circonspection et abordera le sujet avec le praticien ou la praticienne de la santé.

Par ailleurs, en plus de chercher des indices de bienveillance à l'égard des cas de violence interpersonnelle de la part du praticien ou de la praticienne, un homme ayant survécu à une agression sexuelle tentera peut-être de deviner si son interlocuteur ou interlocutrice sait que cette violence fait parfois des victimes de sexe masculin :

«Une affiche dans chaque salle d'examen ! Vous savez, « bienvenue aux victimes de violence pendant l'enfance » ou quelque chose du genre. Rien de plus simple, « ici nous reconnaissons les garçons maltraités », « nous nous soucions de la victimisation des enfants », « contribuez à prévenir la victimisation des garçons ». De tels messages pourraient apparaître sur les affiches : « Protégeons les garçons et les filles ! » Vous voyez, quelque chose d'universel : « Bienvenue aux garçons et aux filles maltraités ! » Des enfants des deux sexes ... [et] avec une photo : garçon et fille» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle)166p.512.

À la vue d'affiches ou de brochures produites par des organismes locaux qui offrent des services aux victimes de violence, une personne ayant survécu à de mauvais traitements surmontera peut-être sa circonspection et abordera le sujet avec le praticien ou la praticienne de la santé.

Par ailleurs, l'intégration des principes pour la pratique sensible dans la pratique quotidienne témoigne de l'éveil d'un praticien ou d'une praticienne de la santé aux questions liées à la violence interpersonnelle.

Le recours aux principes pour éviter de réitérer les traumatismes

Il existe un lien entre la nature et la qualité de la relation qui s'établit entre le clinicien ou la clinicienne et la personne ayant survécu à une agression sexuelle, d'une part, et la sécurité et l'efficacité des soins de santé que reçoit cette personne, d'autre part. En plus de favoriser le libre échange des renseignements, une bonne relation d'aide définit l'environnement « d'individu à individu » qui s'avère indispensable au développement de la confiance. Les relations d'aide efficaces ne sont ni des connexions mystiques ou éthérées qui « surgissent de nulle part », ni le produit naturel de personnalités charismatiques. Il s'agit plutôt d'échanges délibérés, fondés sur des habiletés, qui s'effectuent en vue de satisfaire aux besoins du patient ou de la patiente. La cordialité et l'empathie sont la marque des aidants et aidantes efficaces. Ces derniers n'ont pas d'opinion arrêtée, sont bien informés, portent attention à la communication verbale ou non verbale, ont conscience d'eux-mêmes et savent réfléchir.

En plus d'améliorer la relation thérapeutique avec la personne ayant survécu à une agression sexuelle, la mise en oeuvre volontaire des principes pour la pratique sensible atténue le risque que le praticien ou la praticienne réitère les traumatismes du patient ou de la patiente. Le projet a recueilli les témoignages de nombreuses personnes ayant survécu à une agression sexuelle qui se sont senties bafouées ou ont revécu un traumatisme à la suite d'échanges avec des praticiens ou praticiennes de la santé :

«Il est primordial pour eux de comprendre que la manière dont ils nous traitent risque de réitérer nos traumatismes ... Telle n'est sans doute pas leur intention, mais en nous manquant de respect en ne réunissant pas les conditions pour nous rassurer, en nous refusant l'occasion d'être perçus comme leurs partenaires et en ne nous laissant aucun pouvoir [ils fraient la voie] à la réitération de nos traumatismes. Et j'aimerais qu'ils soient mis au courant» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)158.

Faire fides principes pour la pratique sensible, c'est risquer de voir s'écrouler le parapluie protecteur des personnes ayant survécu à une agression sexuelle et de voir faiblir leur capacité de tirer parti des interventions de santé, voire simplement de les tolérer. À maintes reprises dans le cadre du projet, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont fait valoir que ce constat s'appliquait à tous les milieux de santé, qu'il s'agisse de bureaux de professionnels ou de professionnelles (médecins, dentistes, chiropraticiens ou chiropraticiennes, massothérapeutes, naturopathes, physiothérapeutes, ergothérapeutes et autres), d'hôpitaux de soins de courte durée, d'établissements de soins communautaires, d'établissements de soins de longue durée ou de milieux de réadaptation.

Questions pour stimuler la réflexion

  • Comment suis-je disposé ou disposée à partager le contrôle avec mes clients ou clientes ?
  • Comment puis-je m'assurer que mes patients ou patientes aient reçu des renseignements qui leur paraissent adéquats sur les examens, les choix de traitements et les méthodes afférentes ?
  • Quelles sont mes limites personnelles ? Comment puis-je savoir qu'on les transgresse ? Certaines de mes actions pourraient-elles être perçues comme des transgressions de limites par mes clients ou clientes ?
  • Comment puis-je trouver un juste équilibre entre les exigences de ma pratique générale et le besoin de consacrer le temps qu'il faut à chaque client ou cliente ?
  • Quels sont les obstacles qui pourraient nuire à la communication du respect que je voue à mes patients ou patientes ?
  • Quel est mon style personnel d'échange avec mes clients ou clientes ? Ce style semble-t-il favoriser l'établissement de bons rapports ? Quels sont les efforts que j'investis au fil du temps dans le maintien de bons rapports avec chaque patient ou patiente ?

Faire fi des principes pour la pratique sensible, c'est risquer de voir s'écrouler le parapluie protecteur des personnes ayant survécu à une agression sexuelle et de voir faiblir leur capacité de tirer parti des interventions de santé, voire simplement de les tolérer.

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