ARCHIVÉ - Maladies chroniques au Canada

 

Volume 29 · Supplément 2 · 2010

L’industrie

https://doi.org/10.24095/hpcdp.29.S2.01f

Les agents qui suscitent de l’inquiétude en milieu de travail sont souvent les mêmes que dans la collectivité. Toutefois, de façon générale – tant pour les produits chimiques que pour le rayonnement –, les expositions les plus fortes (sur le plan de la concentration ou de la durée) surviennent invariablement en milieu de travail plutôt qu’à la maison ou dans la collectivité. Par conséquent, les études sont souvent réalisées d’abord chez des travailleurs exposés avant de l’être dans la collectivité ou la population générale, car on suppose généralement que si les expositions en milieu de travail (plus élevées) ne sont pas associées à des risques accrus pour la santé, il est improbable que l’exposition de la population générale (plus faible) soit dangereuse. La prémisse ici est que la population générale présente la même susceptibilité, ce qui est probablement faux.

Nous examinerons ici deux industries qui occupent une place importante au Canada, soit l’industrie des pâtes et papiers et celle de l’extraction et de la transformation de minerais métalliques. Les deux libèrent des substances qui contaminent l’environnement.

Il y a des industries de pâtes et papiers dans toutes les administrations canadiennes, à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard et des territoires1. Il est reconnu que les eaux usées (effluents) des usines de transformation des pâtes et papiers contiennent de nombreux produits chimiques potentiellement dangereux qui ont eu un impact profond sur l’environnement. De grandes quantités d’eau sont utilisées dans la production de pâte. Selon le type d’usine et les procédés utilisés, on a recours à plusieurs produits chimiques pour décomposer le bois en fibres, blanchir la pâte et obtenir les propriétés requises pour divers produits de papier. En ce qui concerne la période visée par la présente analyse, le chlore a été le produit chimique le plus largement utilisé. Des dioxines et des furanes peuvent se former quand le chlore élémentaire entre en réaction avec les composés naturels qui sont présents dans le bois. La qualité des effluents s’est considérablement améliorée depuis l’entrée en vigueur, en 1992, du Règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papiers. Toutefois, on observe encore des effets sur le poisson et l’habitat du poisson, et il convient de poursuivre la surveillance à cet égard2. Les usines canadiennes ont délaissé le blanchiment au chlore élémentaire pour employer des méthodes de blanchiment totalement exemptes de chlore (au peroxyde d’hydrogène) ou exemptes de chlore élémentaire (au peroxyde d’hydrogène et au dioxyde de chlore). De plus, les usines traitent maintenant les effluents afin de réduire les concentrations de tous les composés organiques chlorés avant de les rejeter dans le milieu aquatique. Parmi les rejets atmosphériques des usines de pâtes et papiers figurent le dioxyde de soufre, les oxydes d’azote, le sulfure d’hydrogène, les composés organiques volatils et les matières particulaires3.

L’extraction à grande échelle des minerais métalliques soulève aussi certains problèmes de gestion des déchets dangereux. Les types de contaminants peuvent inclure la roche stérile, les résidus et les scories, les eaux de surface et souterraines contaminées sous l’effet de la lixiviation et du ruissellement, et le sol et les eaux de surface contaminés par les polluants atmosphériques déposés. Parmi les contaminants les plus inquiétants figurent l’arsenic, le nickel et le mercure. Au Canada, on a découvert des concentrations supérieures d’arsenic et de nickel à proximité de certaines fonderies, mines d’or et usines de grillage du minerai4. Le mercure, à la fois d’origine naturelle et industrielle, est rapidement transformé en composés organomercuriels par des microorganismes et s’accumule à mesure qu’on remonte la chaîne alimentaire. Parmi les autres substances auxquelles les travailleurs de l’industrie de l’extraction et de la transformation du minerai sont exposés, il y a le radon, le cobalt, l’amiante, le cadmium, le cuivre, le plomb, le zinc, le cyanure, les carburants diesel et leurs émissions, les brouillards d’huile, les agents de sautage, la silice et le sulfure d’hydrogène.

La plupart des études sur le cancer et les industries de pâtes et papiers et d’extraction des minerais métalliques ont porté sur les expositions professionnelles plutôt que sur les expositions survenant dans la collectivité. L’une des difficultés qu’on rencontre en épidémiologie des cancers professionnels consiste à évaluer l’exposition des travailleurs. Dans certains milieux de travail (par exemple, lorsque le rayonnement représente la principale exposition), il est possible d’avoir accès aux moniteurs personnels portés par les travailleurs pendant toute leur carrière. Dans d’autres milieux, cependant, il faut évaluer l’exposition d’après l’appellation d’emploi. Plus récemment, des chercheurs ont élaboré des matrices d’exposition professionnelle – accompagnées de mesures effectuées relativement à des tâches particulières – dans le but de déterminer plus exactement les expositions réelles. Il est difficile de procéder à une modélisation rétrospective des expositions, étant donné que les expositions élevées se sont en général produites avant que leur nocivité ne soit connue, à une époque où l’on n’effectuait pas de mesures des expositions.

Comme pour la pollution atmosphérique, l’estimation de l’exposition en milieu de travail fait largement appel aux modèles mathématiques. Par exemple, une étude auprès de travailleurs canadiens du nickel a utilisé une approche probabiliste bayésienne pour estimer les expositions historiques (sur une période de 50 ans, entre 1950 et 2000) aux différentes espèces de nickel (soluble, oxyde, sulfate et métal), aux matières particulaires du diesel et à la silice5. Cette approche complexe comporte plusieurs étapes. D’abord, on recourt simultanément à des données (rares) sur l’exposition et au jugement d’experts, fondé sur des données d’exploitation de l’usine et des modèles physiques, pour obtenir des estimations de l’exposition. Ensuite, on estime la charge pulmonaire en fonction du temps depuis la première exposition de chaque travailleur (à l’aide de modèles de dépôt pulmonaire) et de données pharmacocinétiques sur la rétention et la clairance du nickel, du diesel et de la silice inhalés (relevées dans la littérature publiée). Enfin, l’information de la matrice emploi-lieu-année-exposition est associée aux antécédents professionnels individuels de chaque participant à l’étude afin de calculer l’exposition cumulative (avec les incertitudes qui y sont associées) pour les quatre espèces de nickel, les matières particulaires du diesel et la silice.

Références

  1. ^ Environnement Canada. Vers une gestion de la qualité de l’air davantage axée sur l’innovation : proposition concernant un forum des pâtes et papiers sur la qualité de l’air. Bureau national de la prévention de la pollution, Environnement Canada. URL : http://www.ec.gc.ca/nopp/DOCS/rpt/smartReg/FR/c5.cfm.
  2. ^ Environnement Canada. Évaluation nationale des données des études de suivi des effets sur l’environnement des fabriques de pâtes et papiers : Sommaire du rapport. Institut national de la recherche sur les eaux, Burlington, Ontario. Série de rapports d’évaluation scientifique de l’INRE, no 2. Cat. no En40-237/2-2003E.
  3. ^ Bordado JC, Gomes JF. Pollutant atmospheric emissions from Portuguese Kraft pulp mills. Sci Total Environ. 1997 Dec 3;208(1-2):139-43.
  4. ^ Santé Canada. Santé et environnement : partenaires pour la vie. Ottawa : Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux 1997. Cat. no H49-112/1997E.
  5. ^ Ramachandran G. Retrospective exposure assessment using Bayesian methods. Ann Occup Hyg. 2001 Nov;45(8):651-67.

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