Analyse de régression quantile de la relation entre la langue et l'intervalle entre les grossesses au Québec (Canada)

Nathalie Auger, M.D., M. Sc. FRCPC Note de fin de document 1,Note de fin de document 2; Lucien Lemieux, M. Sc. Note de fin de document 3; Marianne Bilodeau‑Bertrand, M. Sc. Note de fin de document 1,Note de fin de document 2; Amadou Diogo Barry, M. Sc. Note de fin de document 4; André Costopoulos, Ph. D. Note de fin de document 5

https://doi.org/10.24095/hpcdp.38.5.02f

Cet article de recherche quantitative originale a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Correspondance : Nathalie Auger, Institut national de santé publique du Québec, 190, boul. Crémazie Est, Montréal (Québec)  H2P 1E2; tél. : 514-864-1600, poste 3717; courriel : nathalie.auger@inspq.qc.ca

Résumé

Introduction. On sait que les intervalles courts comme les intervalles longs entre les grossesses sont associés à des issues périnatales défavorables, comme des fausses couches et des accouchements prématurés, mais les différences culturelles à ce sujet sont mal connues. Repérer les inégalités culturelles dans les intervalles entre les grossesses est nécessaire afin d'améliorer les résultats relatifs à la santé de la mère et de l’enfant. Nous avons ainsi évalué les intervalles entre les grossesses chez les anglophones et les francophones du Québec.

Méthodologie. Nous avons obtenu les dossiers de naissance de tous les enfants nés au Québec entre 1989 et 2011. Nous avons recensé 571 461 femmes ayant eu au moins deux naissances et déterminé l’intervalle entre leurs grossesses. Les intervalles courts entre les grossesses (moins de 18 mois) ont été définis comme étant le 20e percentile de la distribution, et les intervalles longs (60 mois ou plus), comme le 80e percentile. À l’aide de régressions quantiles, nous avons évalué l’association entre la langue et les intervalles courts et longs, ajustés en fonction des caractéristiques de la mère. Nous avons évalué les différences au fil du temps et selon l’âge de la mère pour les groupes défavorisés, qui ont été définis par l’absence de diplôme d’études secondaires, la résidence en milieu rural et le fait de vivre dans un quartier défavorisé matériellement.

Résultats. Dans les modèles de régression ajustés, les anglophones sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles plus courts de 1,0 mois (intervalle de confiance [IC] à 95 % : −1,5 à −0,4) par rapport à leurs homologues francophones au 20e percentile de la distribution et plus longs de 1,9 mois (−0,5 à 4,3) au 80e percentile. Les résultats étaient similaires pour les anglophones des régions rurales et des quartiers matériellement défavorisés. Les tendances se sont maintenues au fil du temps, et se sont révélées plus fortes chez les femmes de moins de 30 ans. Aucune différence n’a été relevée entre les francophones favorisées et les anglophones favorisées.

Conclusion. Au Québec, les anglophones défavorisées étaient plus susceptibles d’avoir des intervalles courts ou des longs entre leurs grossesses que les francophones défavorisées. Les interventions de santé publique visant à améliorer la santé périnatale devraient donc cibler les intervalles sous‑optimaux chez les anglophones défavorisées de la province.

Mots-clés : intervalles de naissance, défavorisation culturelle, langue, facteurs socioéconomiques

Points saillants

  • Nous avons examiné les différences dans les intervalles entre les grossesses entre la minorité anglophone et la majorité francophone du Québec (Canada).
  • Les intervalles sous-optimaux étaient plus nombreux chez les anglophones défavorisées que chez les francophones défavorisées.
  • Les intervalles très courts et très longs entre les grossesses étaient plus fréquents chez les anglophones défavorisées.
  • Les tendances se sont maintenues au fil du temps et étaient plus fortes chez les femmes plus jeunes.
  • Aucune différence n’a été relevée entre les francophones favorisées et les anglophones favorisées.

Introduction

De plus en plus d’études font état de différences ethnoculturelles dans les indicateurs de santé maternelle et infantile, notamment la prématurité, le retard de croissance fœtale et la mortinaissanceNote de bas de page 1,Note de bas de page 2,Note de bas de page 3. Toutefois, les différences ethniques ou culturelles dans les intervalles entre les grossesses (aussi appelés intervalles intergénésiques) sont rarement étudiées. Aux États-Unis, les minorités ethniques présentent des intervalles entre les grossesses exagérément plus prononcés aux deux extrémités de la distribution. Les femmes noires courent un risque plus élevé d’avoir un intervalle court (moins de 18 mois) ou un intervalle long (60 mois ou plus) entre leurs grossesses que les femmes blanches qui constituent la majorité, et les femmes hispaniques ont tendance à avoir des intervalles plus longsNote de bas de page 4,Note de bas de page 5,Note de bas de page 6,Note de bas de page 7. Les intervalles courts et les intervalles longs entre les grossesses sont associés à des fausses couches, à une rupture prématurée des membranes, à la prééclampsie ainsi qu’aux maladies cardiovasculaires et à la mortalité chez la mèreNote de bas de page 8,Note de bas de page 9,Note de bas de page 10,Note de bas de page 11. Les intervalles sous-optimaux augmentent le risque d’accouchement prématuré, de faible poids pour l’âge gestationnel, d’anomalies congénitales, de troubles du spectre de l’autisme et de mortalité fœtale et infantileNote de bas de page 9,Note de bas de page 12,Note de bas de page 13. On pense que de courts intervalles intergénésiques ne donnent pas suffisamment de temps aux femmes pour se remettre du stress physique lié à la grossesse précédente, en particulier du fait d'un épuisement nutritionnelNote de bas de page 8,Note de bas de page 11,Note de bas de page 14. Par ailleurs, de longs intervalles entre les grossesses ne permettent pas le maintien des bénéfices liés à l'adaptation des systèmes reproducteur et cardiovasculaire, qui s’estompent naturellement avec le temps. Les capacités physiologiques de la femme sont alors comparables à celles d'une première grossesse, avec un risque plus élevé de divers problèmes de santé pour la mère et l’enfantNote de bas de page 14. On pense que ces effets ne dépendent pas de l’âge de la mèreNote de bas de page 8,Note de bas de page 11,Note de bas de page 14. Une meilleure documentation sur les différences ethnoculturelles dans les intervalles entre les grossesses est nécessaire pour optimiser les tentatives d'amélioration des issues maternelles et périnatales.

L’objectif de notre étude était de déterminer s’il existe des différences dans les intervalles intergénésiques entre les anglophones et les francophones de la province de Québec (Canada). Au Québec, le français est la langue officielle, avec une majorité de la population francophone (79,1 % en 2016) et une minorité, anglophone (9,7 %)Note de bas de page 15. La langue est associée à diverses normes culturelles et à l’accès aux soins de santé, et elle est souvent utilisée pour mesurer les écarts en matière de santéNote de bas de page 16. Au cours des dernières décennies, le statut socioéconomique des anglophones a diminué en raison d’un taux de chômage plus élevé et d’une plus grande proportion de personnes vivant sous le seuil de faible revenu par rapport aux francophonesNote de bas de page 17. Plusieurs études indiquent que les anglophones, en particulier les anglophones défavorisées sur le plan socioéconomique, connaissent des taux croissants de mortinatalité, de prématurité et de faible poids pour l’âge gestationnelNote de bas de page 18,Note de bas de page 19. Nous avons envisagé la présence de différences linguistico-culturelles dans les intervalles entre les grossesses au Québec, et nous avons voulu évaluer les tendances au fil du temps et en fonction du statut socioéconomique de la mère. Notre hypothèse était que les anglophones défavorisées sur le plan socioéconomique couraient un plus grand risque d'intervalles intergénésiques sous-optimaux que les francophones défavorisées.

Méthodologie

Données

Nous avons obtenu du ministère de la Santé et des Services sociaux les dossiers de naissances vivantes et de mortinaissances de tous les nourrissons dont les mères ont accouché au Québec (Canada) entre 1989 et 2011Note de bas de page 20. Les données portaient sur l’ensemble de la province et incluaient des caractéristiques maternelles telles que la langue et la parité ainsi que des renseignements sur l’accouchement précédent. Nous avons choisi des femmes ayant eu au moins deux naissances et avons centré notre analyse sur l’intervalle entre la naissance du premier et du deuxième enfant, car les femmes au Québec en ont rarement un troisième. Nous avons exclu les naissances multiples afin d’écarter le rôle de difficultés spécifiques à ce type de grossesse absentes dans les naissances simples. Nous avons pu obtenir des données sur la langue et le moment de la première et de la deuxième naissance pour 622 812 femmes ayant accouché au moins deux fois.

Langue

Pour définir la langue maternelle, nous avons utilisé la mention de la langue parlée à la maison qui figurait sur les certificats de naissance et correspondant à la langue parlée par les deux parents à la maison. Nous avons considéré comme anglophones, de la même manière que diverses recherches antérieuresNote de bas de page 17,Note de bas de page 18,Note de bas de page 19,Note de bas de page 21, les mères ayant déclaré parler anglais, avec ou sans une autre langue que le français. Celles ayant déclaré utiliser le français avec ou sans une autre langue que l’anglais ont été considérées comme francophones. En raison du faible effectif pour l'analyse, nous avons exclu de l’étude 10 004 femmes bilingues (français et anglais). De même, nous avons exclu 41 347 femmes parlant d’autres langues, un groupe hétérogène incluant un large éventail de langues et difficile à interpréter. L’échantillon final est donc composé de 571 461 femmes francophones et anglophones (figure 1). Par souci de simplicité, les termes « langue » et « langue parlée à la maison » sont utilisés de façon interchangeable pour décrire les résultats.

Figure 1 : Sélection de la population à l’étude
Figure 1
Figure 1 - Description textuel

La figure 1 illustre le processus de sélection de la population à l’étude. 658 667 femmes ayant eu au moins deux naissances ont été choisies. Les exclusions étaient : naissance multiples (19 099), les cas où les intervalles entre les grossesses sont manquants (4 859), les cas où la langue est manquante (11 897), les femmes bilingues (français-anglais) (10 004) et les femmes parlant d'autres langues (41 347). L’échantillon final est donc composé de 571 461 femmes francophones et anglophones. Il y avait 506 974 femmes francophones et 64 487 femmes anglophones.

Intervalle entre les grossesses

L’intervalle entre les grossesses a été défini comme le temps écoulé entre le premier accouchement et le début de la deuxième grossesseNote de bas de page 4,Note de bas de page 5,Note de bas de page 6,Note de bas de page 7,Note de bas de page 9,Note de bas de page 22,Note de bas de page 23. L’Organisation mondiale de la santé préconise un intervalle minimal de 24 mois entre les grossessesNote de bas de page 9, s'appuyant sur des données probantes selon lesquelles des intervalles inférieurs à 18 mois ou supérieurs à 60 mois augmentent le risque d’issues maternelles et périnatales défavorablesNote de bas de page 8,Note de bas de page 9,Note de bas de page 10,Note de bas de page 11,Note de bas de page 12,Note de bas de page 13. Pour calculer l’intervalle entre les grossesses, nous avons soustrait la date de naissance du premier enfant de la date de conception du deuxième enfant. Nous avons estimé la date de conception en soustrayant l’âge gestationnel de la date d’accouchement, avec une correction de deux semaines pour la durée moyenne de l’ovulation. Nous avons exprimé l’intervalle entre les grossesses sous forme de variable continue mesurée en mois et, pour les statistiques descriptives, nous avons catégorisé cet intervalle comme court (moins de 18 mois), optimal (18 à 59 mois) ou long (60 mois ou plus), comme dans diverses autres publicationsNote de bas de page 4,Note de bas de page 5,Note de bas de page 7,Note de bas de page 9,Note de bas de page 22.

Statut socioéconomique

Nous avons choisi trois marqueurs du statut socioéconomique, soit la scolarité (aucun diplôme d’études secondaires, diplôme d’études secondaires ou formation postsecondaire, université, inconnue), le milieu de résidence (milieu urbain, milieu rural, inconnu) et le quintile de défavorisation matérielle du quartier de résidence, selon un résultat combiné des données du recensement sur le revenu, le taux d’emploi et le niveau de scolarité du quartier (défavorisation faible, faible‑moyenne, moyenne, moyenne‑élevée, élevée, inconnue)Note de bas de page 24. La scolarité et le milieu de résidence ont été mesurés à l’échelle individuelle, tandis que la défavorisation matérielle a été mesurée à l’échelle d'aires géographiques en fonction des recensements de 1991, 1996, 2001 et 2006. Nous avons choisi ces indicateurs en nous fondant sur la littérature récente en matière de statut socioéconomique. On sait que la scolarité est un marqueur bien établi du statut socioéconomique et qu'elle est associée aux intervalles entre les grossessesNote de bas de page 4,Note de bas de page 5,Note de bas de page 6,Note de bas de page 7,Note de bas de page 22. La ruralité est un marqueur de statut socioéconomique faible, et elle est également associé à la santé reproductive, notamment à de courts intervalles entre les grossessesNote de bas de page 23,Note de bas de page 25. La défavorisation matérielle est un indicateur de statut socioéconomique d’une aire géographique qui est fréquemment utilisé pour étudier les écarts en matière de santé périnataleNote de bas de page 21,Note de bas de page 24.

Covariables

Nous avons tenu compte d’autres covariables susceptibles d'être corrélées à l’intervalle entre les grossesses, notamment le statut de la mère vis-à-vis de l'immigration (née au Canada, née à l’étranger, inconnu) et la période du deuxième accouchement (1989-1999, 2000-2011). Plusieurs études font état d’un lien entre le lieu de naissance à l’étranger et les intervalles entre les grossessesNote de bas de page 6,Note de bas de page 7,Note de bas de page 22. Nous avons inclus des intervalles de temps pour évaluer les tendances, et limité l’analyse à deux périodes pour nous assurer d’avoir suffisamment de femmes dans chaque période pour les comparaisons. L’âge de la mère n’a pas été pris en compte dans l’analyse principale, étant donné que les femmes plus âgées lors de leur première grossesse ne peuvent pas avoir de longs intervalles intergénésiques pour des raisons physiologiques. L’ajustement en fonction de l’âge de la mère peut donc causer un biais de surajustement dans les modèles de régression parce qu’il n’y a pas de femmes âgées avec de longs intervalles entre les grossessesNote de bas de page 26.

Analyse des données

Nous avons calculé la proportion de femmes anglophones et de femmes francophones ayant des intervalles courts (moins de 18 mois), optimaux (de 18 à 59 mois) et longs (60 mois ou plus) entre les grossesses, et tracé la distribution de chaque groupe linguistique selon les diverses caractéristiques socioéconomiques. Dans les modèles de régression, nous avons analysé l’intervalle entre les grossesses en tant que variable continue. La régression linéaire est la méthode classique employée pour obtenir des résultats continus : elle permet d’estimer la différence moyenne des intervalles intergénésiques entre les anglophones et les francophones. Cependant, elle ne donne aucune estimation de la différence aux extrémités de la distributionNote de bas de page 27, ce qui est un inconvénient dans la mesure où ce sont les intervalles très faibles et très élevés qui sont problématiques pour la santé maternelle et infantile, et non les intervalles moyens.

Nous avons plutôt eu recours à la régression quantile, une méthode qui permet de surmonter les limites de la régression linéaire par une analyse de la distribution complète de l’intervalle entre les grossesses. La régression quantile divise la distribution de l’intervalle en quantiles de taille égaleNote de bas de page 28. La relation avec la langue est modélisée à chaque quantile de l’intervalle entre les grossessesNote de bas de page 27. Cette méthode permet ainsi d’évaluer l’association entre la langue et les intervalles courts aussi bien que longs.

Nous avons utilisé des modèles de régression quantile avec une division en 20 quantiles de l'intervalle entre les grossesses. Au 20e percentile de la distribution, les intervalles ont été considérés comme étant courts et au 80e percentile, comme étant longs, parce que ces valeurs seuil se rapprochaient des valeurs inférieures à 18 mois et des valeurs égales ou supérieures à 60 mois utilisées dans les analyses classiquesNote de bas de page 4,Note de bas de page 5,Note de bas de page 7,Note de bas de page 9,Note de bas de page 22. Dans le cas des intervalles courts comme des intervalles longs, nous avons obtenu une différence absolue dans l’intervalle intergénésique entre les anglophones et les francophones, exprimée en mois. Nous avons calculé l’IC à 95 % pour toutes les estimations et tenu compte de la scolarité, de la résidence en milieu rural, de la défavorisation matérielle, du statut vis-à-vis de l'immigration et de la période correspondant au deuxième accouchement de la mère. Nous avons analysé l’interaction entre la langue et les caractéristiques socioéconomiques, soit la scolarité, la résidence en milieu rural et le niveau de défavorisation matérielle du quartier. Nous avons évalué les tendances au fil du temps en comparant l’association entre la langue et les intervalles intergénésiques de la période 1989-1999 et celle de la période 2000-2011. Comme l’âge de la mère peut modifier les associations, nous avons employé des modèles de régression avec des données stratifiées selon l’âge à la première naissance (moins de 30 ans et 30 ans et plus).

Analyse de sensibilité

Nous avons effectué une série d’analyses de sensibilité. Nous avons estimé l’association entre la langue et les intervalles intergénésiques entre la deuxième et la troisième naissance chez 210 631 femmes, et entre la troisième et la quatrième naissance chez 60 972 femmes, afin de déterminer si les différences linguistiques persistaient au cours de la période de reproduction des femmes. Nous avons examiné séparément les modèles pour les mères nées au Canada et celles nées à l’étranger, afin de nous assurer que les différences linguistiques n’étaient pas attribuables à l’immigration. Nous avons examiné l’incidence de l’exclusion des femmes ayant accouché d’un enfant mort-né à la première grossesse, en utilisant la langue maternelle de chaque parent au lieu de la langue parlée à la maison et en tenant compte de l’âge de la mère. Enfin, nous avons évalué les associations après avoir exclu les femmes provenant des régions autochtones, car la fécondité y est plus élevée.

L’analyse a été réalisée au moyen du logiciel SAS, version 9.3 (SAS Institute Inc., Cary, Caroline du Nord, États-Unis). Nous avons obtenu une dérogation à l’éthique de la part du conseil d’examen institutionnel du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, car l’étude respectait les exigences éthiques en matière de recherche sur les personnes au Canada.

Résultats

L’étude a porté sur 506 974 femmes francophones et 64 487 femmes anglophones (tableau 1). 11,3% (IC à 95 % : 11,2 à 11,4) des femmes étaient anglophones. Ce pourcentage était légèrement plus faible parmi les femmes ayant des intervalles inférieurs à 18 mois (10,6%; IC à 95 % : 10,5 à 10,8) et plus élevé parmi les femmes ayant des intervalles de 60 mois ou plus (12,4%; IC à 95 % : 12,2 à 12,7). De manière générale, les intervalles entre les grossesses étaient plus longs chez les anglophones que chez les francophones. Les anglophones affichaient une proportion plus faible d’intervalles inférieurs à 18 mois (31,15 % [20 089/64 487] comparativement à 33,35 % [169 068/506 974] pour les francophones, p < 0,001) et une plus grande proportion d’intervalles de 60 mois ou plus (14,67 % [9 458/64 487] comparativement à 13,14 % [66 599/506 974] pour les francophones, < 0,001). Les anglophones sans diplôme d’études secondaires, vivant en milieu rural ou dans un quartier matériellement défavorisé étaient plus nombreuses que les francophones des mêmes catégories à avoir des intervalles très courts ou très longs (figure 2). La distribution des intervalles entre les grossesses était similaire pour les francophones et les anglophones avec diplôme universitaire, vivant en milieu urbain ou dans un quartier de faible défavorisation matérielle.

Tableau 1. Distribution des intervalles entre les grossesses des francophones et des anglophones en fonction des caractéristiques de la mère, 1989 à 2011, QuébecTableau 1 - Note a
Caractéristiques Nombre total de naissances de mères francophones Intervalle entre les grossesses
chez les francophones
Nombre total de naissances de mères anglophones Intervalle entre les grossesses
chez les anglophones
< 18 mois
N (%)
18‑59 mois
N (%)
≥ 60 mois
N (%)
< 18 mois
N (%)
18‑59 mois
N (%)
≥ 60 mois
N (%)
Scolarité
Sans diplôme d’études secondaires
50 219 15 777 (31,4) 24 635 (49,1) 9 807 (19,5) 4 673 1 521 (32,5) 2 166 (46,4) 986 (21,1)
Diplôme d’études secondaires
294 582 94 821 (32,2) 157 661 (53,5) 42 100 (14,3) 34 183 10 143 (29,7) 18 276 (53,5) 5 764 (16,9)
Université
141 913 52 095 (36,7) 78 124 (55,1) 11 694 (8,2) 21 651 7 250 (33,5) 12 427 (57,4) 1 974 (9,1)
Résidence
Milieu urbain
386 250 126 916 (32,9) 207 695 (53,8) 51 639 (13,4) 58 875 18 145 (30,8) 32 169 (54,6) 8 561 (14,5)
Milieu rural
116 957 40 758 (34,8) 61 671 (52,7) 14 528 (12,4) 5 243 1 822 (34,8) 2 575 (49,1) 846 (16,1)
Défavorisation matérielle du quartier
Faible
89 948 30 738 (34,2) 49 539 (55,1) 9 671 (10,8) 20 086 6 575 (32,7) 11 335 (56,4) 2 176 (10,8)
Faible-moyenne
104 191 34 437 (33,1) 56 859 (54,6) 12 895 (12,4) 12 385 3 748 (30,3) 6 897 (55,7) 1 740 (14,0)
Moyenne
103 812 34 480 (33,2) 55 638 (53,6) 13 694 (13,2) 9 604 2 888 (30,1) 5 156 (53,7) 1 560 (16,2)
Moyenne-élevée
100 086 33 508 (33,5) 52 592 (52,5) 13 986 (14,0) 9 390 2 886 (30,7) 4 914 (52,3) 1 590 (16,9)
Élevée
93 042 30 474 (32,8) 48 356 (52,0) 14 212 (15,3) 10 695 3 269 (30,6) 5 420 (50,7) 2 006 (18,8)
Statut vis-à-vis de l'immigration
Née au Canada
465 011 157 116 (33,8) 249 058 (53,6) 58 837 (12,7) 43 028 13 819 (32,1) 23 941 (55,6) 5 268 (12,2)
Née à l’étranger
37 448 10 515 (28,1) 19 860 (53,0) 7 073 (18,9) 19 567 5 683 (29,0) 10 030 (51,3) 3 854 (19,7)
Période du 2e accouchement
1989-1999
255 492 85 854 (33,6) 136 808 (53,5) 32 830 (12,8) 30 604 9 783 (32,0) 16 624 (54,3) 4 197 (13,7)
2000-2011
251 482 83 214 (33,1) 134 499 (53,5) 33 769 (13,4) 33 883 10 306 (30,4) 18 316 (54,1) 5 261 (15,5)
Total 506 974 169 068 (33,3) 271 307 (53,5) 66 599 (13,1) 64 487 20 089 (31,2) 34 940 (54,2) 9 458 (14,7)
Figure 2 : Distribution des intervalles entre les grossesses des francophones et des anglophones, 1989 à 2011, Québec
Figure 2
Figure 2 - Description textuel

On voit dans cette figure que les anglophones sans diplôme d’études secondaires, vivant en milieu rural ou dans un quartier matériellement défavorisé étaient plus nombreuses que les francophones des mêmes catégories à avoir des intervalles très courts ou très longs. La distribution des intervalles entre les grossesses était similaire pour les francophones et les anglophones avec diplôme universitaire, vivant en milieu urbain ou dans un quartier de faible défa­vorisation matérielle.

Les modèles de régression quantile ajustés en fonction des caractéristiques socioéconomiques semblent indiquer une différence linguistique dans les intervalles longs entre les grossesses (80e percentile), mais pas dans les intervalles courts (20e percentile) (figure 3). Au 80e percentile, les anglophones avaient des intervalles de 0,8 mois de plus que les francophones (IC à 95 % : 0,4 à 1,3). Les termes d’interaction suggèrent que les différences au 80e percentile étaient plus importantes chez les anglophones vivant en milieu rural (< 0,001) ou dans un quartier matériellement défavorisé (< 0,001). Même si, dans l’ensemble, il n’y avait pas de différence au 20e percentile entre anglophones et francophones, les termes d’interaction avec les caractéristiques socioéconomiques laissent supposer que les intervalles étaient plus courts pour les anglophones sans diplôme d’études secondaires (p < 0,001), vivant en milieu rural (< 0,001) ou dans un quartier matériellement défavorisé (p = 0,04).

Figure 3 : Différence dans l’intervalle entre les grossesses entre les anglophones et les francophones, 1989 à 2011, QuébecFigure 3 - Note a
Figure 3
Figure 3 - Description textuel

Cette figure représente les modèles de régression quantile ajustés en fonction des caractéristiques socioéconomiques, qui semblent indiquer une dif­férence linguistique dans les intervalles longs entre les grossesses (80e percentile), mais pas dans les intervalles courts (20e percentile). Au 80e percen­tile, les anglophones avaient des intervalles de 0,8 mois de plus que les francophones (IC à 95 % : 0,4 à 1,3). Les termes d’interaction suggèrent que les différences au 80e percentile étaient plus importantes chez les anglophones vivant en milieu rural (p < 0,001) ou dans un quartier matérielle­ment défavorisé (p < 0,001). Même si, dans l’ensemble, il n’y avait pas de dif­férence au 20e percentile entre anglophones et francophones, les termes d’interaction avec les caractéristiques socioéconomiques laissent supposer que les intervalles étaient plus courts pour les anglophones sans diplôme d’études secondaires (p < 0,001), vivant en milieu rural (p < 0,001) ou dans un quartier matériellement défavorisé (p = 0,04).

Courts intervalles entre les grossesses

Lorsque nous avons examiné séparément chaque groupe socioéconomique, les résultats ont confirmé que les anglophones défavorisées avaient des intervalles entre les grossesses plus courts que les francophones  défavorisées au 20e percentile de la distribution (figure 4). Les anglophones sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles plus courts, soit 1,0 mois de moins, que les francophones sans diplôme (IC à 95 % : −1,5 à −0,4), et les anglophones des régions rurales affichaient des intervalles de 0,7 mois de moins que les francophones des régions rurales (−1,0 à −0,3). Cependant, chez les anglophones de quartiers matériellement défavorisés, les intervalles n’étaient pas statistiquement différents par rapport aux francophones de quartiers matériellement défavorisés (0,2 mois de moins; IC à 95 % : −0,6 à 0,1). Les anglophones qui détenaient un diplôme universitaire, qui vivaient en milieu urbain ou dans un quartier de faible défavorisation matérielle avaient des intervalles intergénésiques similaires à ceux de leurs homologues francophones.

Figure 4 : Différence dans l’intervalle entre les grossesses entre les anglophones et les francophones, en fonction des caractéristiques socioéconomiques, 1989 à 2011, QuébecFigure 4 - Note a
Figure 4
Figure 4 - Description textuel

Cette figure démontre que les anglophones défavorisées avaient des intervalles entre les grossesses plus courts que les francophones défavorisées au 20e percentile de la distribution. Les anglophones sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles plus courts, soit 1,0 mois de moins, que les francophones sans diplôme (IC à 95 % : −1,5 à −0,4), et les anglophones des régions rurales affichaient des intervalles de 0,7 mois de moins que les francophones des régions rurales (−1,0 à −0,3). Cependant, chez les anglophones de quartiers matériellement défavorisés, les intervalles n’étaient pas statistiquement différents par rapport aux francophones de quartiers matériellement défavorisés (0,2 mois de moins; IC à 95 % : −0,6 à 0,1). Les anglophones qui détenaient un diplôme universitaire, qui vivaient en milieu urbain ou dans un quartier de faible défavorisation matérielle avaient des intervalles intergénésiques similaires à ceux de leurs homologues francophones.

À l’opposé, les anglophones défavorisées avaient des intervalles entre les grossesses plus longs au 80e percentile de la distribu­tion comparativement aux francophones défavorisées. Les anglophones vivant en milieu rural présentaient des intervalles plus longs, soit 5,0 mois de plus que les francophones du même milieu (IC à 95 % : 3,5 à 6,5), et les anglophones de quartiers matériellement défavorisés avaient des intervalles de 2,7 mois de plus que les francophones de quartiers matériellement défavorisés (1,4 à 4,0). Les anglophones sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles de 1,9 mois de plus que les francophones de la même catégorie, mais la différence n’était pas statistiquement sig­nificative (IC à 95 % : −0,5 à 4,3). En revanche, les anglophones qui détenaient un diplôme universitaire ou qui vivaient en milieu urbain avaient des intervalles entre les grossesses similaires à ceux de leurs homologues francophones, et les anglo­phones vivant dans un quartier de faible défavorisation matérielle avaient des inter­valles plus courts, soit de 1,4 mois (IC à 95 % : −2,1 à −0,7).

Longs intervalles entre les grossesses

À l’opposé, les anglophones défavorisées avaient des intervalles entre les grossesses plus longs au 80e percentile de la distribution comparativement aux francophones défavorisées (figure 4). Les anglophones vivant en milieu rural présentaient des intervalles plus longs, soit 5,0 mois de plus que les francophones du même milieu (IC à 95 % : 3,5 à 6,5), et les anglophones de quartiers matériellement défavorisés avaient des intervalles de 2,7 mois de plus que les francophones de quartiers matériellement défavorisés (1,4 à 4,0). Les anglophones sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles de 1,9 mois de plus que les francophones de la même catégorie, mais la différence n’était pas statistiquement significative (IC à 95 % : −0,5 à 4,3). En revanche, les anglophones qui détenaient un diplôme universitaire ou qui vivaient en milieu urbain avaient des intervalles entre les grossesses similaires à ceux de leurs homologues francophones, et les anglophones vivant dans un quartier de faible défavorisation matérielle avaient des intervalles plus courts, soit de 1,4 mois (IC à 95 % : −2,1 à −0,7).

Lorsque nous avons examiné les tendances temporelles, les différences entre les anglophones et les francophones défavorisées sur le plan socioéconomique n’ont pas changé au fil du temps. Ces différences étaient toutefois plus marquées chez les femmes de moins de 30 ans que chez celles de 30 ans et plus (figure 5). Au 20e percentile, les anglophones de moins de 30 ans sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles de 0,9 mois de moins que les francophones de la même catégorie (IC à 95 % : −1,5 à −0,3) et celles des régions rurales avaient des intervalles plus courts de 0,7 mois (−1,1 à −0,3). Au 80e percentile, les anglophones de moins de 30 ans sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles plus longs que les francophones de la même catégorie, soit 2,8 mois de plus (IC à 95 % : 0,2 à 5,3), celles des régions rurales avaient des intervalles de 6,4 mois de plus (4,7 à 8,1) et celles des quartiers matériellement défavorisés avaient des intervalles de 3,3 mois de plus (1,8 à 4,7). Par contre, les anglophones défavorisées de 30 ans et plus et les francophones de la même catégorie affichaient des intervalles intergénésiques similaires.

Figure 5 : Différence dans l’intervalle entre les grossesses entre les anglophones et les francophones défavorisées sur le plan socioéconomique, selon l’âge de la mère, 1989 à 2011, QuébecFigure 5 - Note a
Figure 5
Figure 5 - Description textuel

On voit dans cette figure que les différences étaient plus marquées chez les femmes de moins de 30 ans que chez celles de 30 ans et plus. Au 20e percen­tile, les anglophones de moins de 30 ans sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles de 0,9 mois de moins que les francophones de la même catégorie (IC à 95 % : −1,5 à −0,3) et celles des régions rurales avaient des intervalles plus courts de 0,7 mois (−1,1 à −0,3). Au 80e percen­tile, les anglophones de moins de 30 ans sans diplôme d’études secondaires avaient des intervalles plus longs que les franco­phones de la même catégorie, soit 2,8 mois de plus (IC à 95 % : 0,2 à 5,3), celles des régions rurales avaient des intervalles de 6,4 mois de plus (4,7 à 8,1) et celles des quartiers matériellement défavorisés avaient des intervalles de 3,3 mois de plus (1,8 à 4,7). Par contre, les anglophones défavori­sées de 30 ans et plus et les francophones de la même catégorie affichaient des inter­valles intergénésiques similaires.

En ce qui concerne les analyses de sensibilité, les différences linguistiques dans les intervalles entre la deuxième et la troisième naissance étaient similaires à celles des intervalles entre la première et la deuxième naissance, mais il n’y avait aucune différence dans les intervalles entre la troisième et la quatrième naissance. Les résultats demeuraient semblables lorsque les données étaient stratifiées selon le statut vis-à-vis de l'immigration de la mère, une fois exclues les femmes ayant accouché d’un enfant mort-né à la première grossesse, et lorsque nous utilisions la langue maternelle de la mère ou du partenaire. L’ajustement en fonction de l’âge de la mère a eu peu d’impact sur les intervalles courts, et le fait de se limiter aux femmes jeunes n’a eu aucune incidence sur les intervalles longs. L’exclusion de 2 923 femmes provenant de régions autochtones n’a pas changé les résultats.

Analyse

Cette étude a révélé des différences dans les intervalles intergénésiques courts et longs entre les anglophones et les francophones du Québec. Chez les anglophones défavorisées sur le plan socioéconomique, les intervalles étaient moins favorables que chez les francophones défavorisées, tant pour les intervalles courts que pour les intervalles longs. Dans le cas des intervalles courts, les anglophones sans diplôme d’études secondaires, vivant en milieu rural ou dans un quartier matériellement défavorisé avaient des intervalles entre les grossesses systématiquement plus courts que les francophones des mêmes catégories. Quant aux intervalles longs, les anglophones sans diplôme d’études secondaires, vivant en milieu rural ou dans un quartier matériellement défavorisé avaient des intervalles entre les grossesses systématiquement plus longs que les francophones des mêmes catégories. Les différences ont persisté avec le temps et elles étaient plus marquées chez les femmes plus jeunes. En revanche, aucune différence n’a été observée entre les francophones et les anglophones socioéconomiquement favorisées. Ces résultats s’ajoutent aux données probantes de plus en plus nombreuses selon lesquelles les anglophones désavantagés sur le plan socioéconomique peuvent constituer une population vulnérable au Québec. Ces résultats sont préoccupants étant donné que les anglophones ont un taux de fécondité plus élevéNote de bas de page 21 et que les intervalles sous-optimaux entre les grossesses sont associés à un large éventail d’issues maternelles et périnatales défavorables.

Peu d’études ont tenté de mesurer les différences culturelles dans les intervalles entre les grossessesNote de bas de page 4,Note de bas de page 5,Note de bas de page 6,Note de bas de page 7. La majorité des publications n’examinent pas la distribution complète des intervalles entre les grossesses et analysent habituellement l’intervalle comme un résultat binaire. Bien que les tendances concordent avec les résultats de notre étude, où les anglophones, minoritaires, avaient également des intervalles entre les grossesses défavorables, il est difficile de savoir si les résultats sont applicables à d’autres minorités ailleurs.

De plus, il existe peu de données sur la façon dont les différences linguistico-culturelles dans les intervalles entre les grossesses varient en fonction du statut socioéconomique. D'après certaines recherches, les femmes défavorisées sur le plan socioéconomique présentent des intervalles défavorables par rapport aux femmes favorisées. Le chômage, le faible revenu et la résidence en milieu rural sont tous des facteurs associés à un risque plus élevé d’intervalles courts entre les grossessesNote de bas de page 6,Note de bas de page 23. De même, les femmes moins instruites présentent un risque plus élevé d’avoir de longs intervalles entre les grossesses que les femmes très scolariséesNote de bas de page 6,Note de bas de page 7. Toutefois, les études n’ont pas évalué la possibilité d’une interaction entre l’origine ethnique et le statut socioéconomique. Nos résultats suggèrent en fait un fort effet d’interaction, puisque la plus grande partie de la différence entre anglophones et francophones du Québec se limitait aux femmes défavorisées. Il n’y avait aucune différence dans les intervalles intergénésiques entre les anglophones et les francophones favorisées. L’allaitement maternel peut aussi avoir une incidence sur les intervalles entre les grossesses en retardant les règles et la grossesse suivanteNote de bas de page 9. Le début et la durée de l’allaitement varient selon l’origine ethnique, et une scolarité élevée a tendance à être associée à une plus longue durée de l’allaitement maternelNote de bas de page 29.

La planification familiale peut également différer entre les sous-groupes linguistiques et culturels. Pour certaines femmes, le moment de la deuxième grossesse est fonction de leur culture, de leur âge, de leur carrière ou de leur revenu à venir. Par exemple, les femmes qui ont un emploi ou qui sont étudiantes peuvent choisir de retarder leur grossesseNote de bas de page 4. Cependant, des chercheurs ont montré que de courts intervalles entre les grossesses sont souvent imprévusNote de bas de page 5, particulièrement chez les femmes défavoriséesNote de bas de page 23, alors que de longs intervalles peuvent être des marqueurs de problèmes de fertilité ou de changement de partenaireNote de bas de page 30. En effet, nous avons constaté que les anglophones défavorisées plus jeunes étaient plus susceptibles d’avoir des intervalles très courts ou très longs que les francophones de la même catégorie, ce qui laisse penser que les effets de la langue sont plus marqués chez les jeunes mères. La planification familiale peut être influencée par les services de soins santé, et nous ne pouvons pas exclure la possibilité que des barrières linguistiques nuisent à l’accès à l’information sur la santé reproductive. Les anglophones défavorisées peuvent être davantage touchées et avoir moins de possibilités de recevoir des conseils appropriés sur la contraception et le moment optimal d’une deuxième grossesse. Le français étant la langue officielle au Québec, il est généralement plus facile de recevoir des services de santé en français dans plusieurs régions de la province, surtout en milieu ruralNote de bas de page 16.

À notre connaissance, les évolutions au fil du temps quant aux intervalles intergénésiques entre les groupes ethniques, culturels ou socioéconomiques n’ont pas été étudiées dans d’autres pays. Au Québec, il existe des preuves substantielles indiquant que les anglophones défavorisées présentent des taux croissants de mortinaissance, de naissance prématurée et de faible poids pour l’âge gestationnel de l'enfantNote de bas de page 18,Note de bas de page 19. Le taux de fécondité chez les anglophones est également en hausse, en particulier chez les femmes matériellement défavoriséesNote de bas de page 21. Ces tendances coïncident avec la hausse du chômage et du faible revenu chez les anglophonesNote de bas de page 16. Il se peut aussi que la structure des groupes linguistiques ait changé au fil du temps en raison de l’émigration disproportionnée d’anglophones favorisés vers d’autres provinces canadiennesNote de bas de page 31, d’une augmentation du nombre d’immigrants et d’un changement quant au type d’immigrants au Québec. Par contre, rien n’indique que les écarts entre anglophones et francophones quant aux intervalles entre les grossesses se soient creusés au cours de l’étude.

Points forts et limites

Nous disposions de données populationnelles sur plus de 500 000 femmes pares provenant d’une grande province canadienne, et nous avons utilisé la régression quantile, une méthode qui a permis d’estimer les différences pour des intervalles courts et longs entre les grossesses. L’étude comporte néanmoins des limites. L’impact clinique d’une différence de quelques mois dans les intervalles entre les grossesses est inconnu, bien que les effets sur la population puissent être significatifs. Les résultats semblent indiquer qu’un changement de simplement un mois dans les intervalles entre les grossesses de la population anglophone pourrait avoir un effet bénéfique sur la santé de la mère et de l’enfant. L’information sur la date de l’accouchement pour la première grossesse était déclarée par la mère et, dans certains cas, elle peut avoir été mal consignée. La situation socioéconomique et la langue n’étaient disponibles qu’au deuxième accouchement, et nous ne savons pas dans quelle mesure elles auraient pu différer par rapport à la première naissance. Nous ne pouvions pas tenir compte de l’âge de la mère ni exclure l’effet de confusion résiduelle en raison des différences liées à l’âge de la mère entre les groupes linguistiques. Nous n’avons pas pu étudier les groupes bilingues ou d’autres groupes linguistiques en raison des limites de la taille de l’échantillon ni tenir compte de la défavorisation matérielle en tant que variable à l’échelle des régions dans une analyse à plusieurs niveaux. Cette étude a été limitée par des mesures imparfaites du statut socioéconomique. Nous n’avions pas d’information sur le revenu des ménages ni aucune mesure de la situation socioéconomique du partenaire, et la défavorisation du quartier est un marqueur global qui peut ne pas refléter la défavorisation de l'individu. Nous n’avions pas de renseignements sur l’avortement, la période d’immigration, la planification familiale, l’allaitement maternel, la contraception ou d’autres caractéristiques potentiellement liées aux intervalles entre les grossessesNote de bas de page 5,Note de bas de page 6,Note de bas de page 22,Note de bas de page 23. Enfin, le Québec possède une population multiculturelle au sein de laquelle la langue ne constitue pas forcément un reflet de l’origine ethnique, de sorte qu’on ne peut appliquer les résultats à des sous‑groupes ethniques.

Conclusion

Notre étude a permis de relever des différences dans les intervalles intergénésiques entre les anglophones, minoritaires, et les francophones du Québec. Les anglophones défavorisées avaient des intervalles moins favorables que les francophones défavorisées. Ces résultats laissent penser que des différences linguistico-culturelles dans les intervalles entre les grossesses existent au Canada, et ces résultats s’ajoutent aux données probantes de plus en plus nombreuses selon lesquelles les anglophones défavorisés sur le plan socioéconomique peuvent constituer une population vulnérable au Québec.

Remerciements

Ces travaux ont reçu le soutien de Santé Canada dans le cadre du Projet de formation et de maintien en poste des professionnels de la santé de l’Université McGill et d’une bourse de carrière du Fonds de recherche du Québec-Santé (34695).

Conflits d’intérêts

Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêts à déclarer.

Contributions des auteurs et avis

NA a conçu cette étude, et LL et MBB ont réalisé l’analyse statistique sous la direction de NA. ADB et AC ont aidé à interpréter les résultats. NA, MBB et ADB ont rédigé l’article, et LL et AC en ont vérifié le contenu. Tous les auteurs ont approuvé la version définitive.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs et ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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