Recherche qualitative originale – Perception des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose chez les personnes consommatrices de drogues qui vivent dans des régions rurales et éloignées du Canada : étude qualitative

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Dylan Viste, B. Sc. S.Note de rattachement des auteurs 1; William Rioux, B. Sc. Kin.Note de rattachement des auteurs 2; Marguerite Medwid, B. Sc. inf.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3; Kienan Williams, MPHNote de rattachement des auteurs 4; Esther Tailfeathers, M.D.Note de rattachement des auteurs 5; Amanda Lee, B. Sc. S., MBAM.D.Note de rattachement des auteurs 2; Farah Jafri, MBBS, M.D.Note de rattachement des auteurs 2; Stryder Zobell, M.D.Note de rattachement des auteurs 6; S. Monty Ghosh, M.D., M. Sc., MPHNote de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2 

https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.11/12.03f

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Attribution suggérée

Article de recherche par Viste D et al. dans la Revue PSPMC mis à disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0

Rattachement des auteurs
Correspondance

S. Monty Ghosh, Faculté de médecine et de dentisterie, 2J2.00 Centre des sciences de la santé Walter C. Mackenzie, 8440, 112e Rue Nord-Ouest, Edmonton (Alberta)  T6G 2R7; tél. : 780‑934‑5697; courriel : ghosh@ualberta.ca

Citation proposée

Viste D, Rioux W, Medwid M, Williams K, Tailfeathers E, Lee A, Jafri F, Zobell S, Ghosh SM. Perception des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose chez les personnes consommatrices de drogues qui vivent dans des régions rurales et éloignées du Canada : étude qualitative. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2024;44(11/12):524-537. https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.11/12.03f

Résumé

Introduction. L’épidémie actuelle de surdoses demeure l’une des plus grandes crises de santé publique au Canada. Si, pour la freiner, différentes mesures de réduction des méfaits ont été mises en place, ces mesures demeurent concentrées dans les milieux urbains. Les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose sont de nouveaux services technologiques de réduction des méfaits susceptibles de pallier le peu de ressources offertes en milieu rural : grâce à la supervision virtuelle de la consommation, ils pourraient réduire les décès liés à la consommation de drogues chez les personnes consommatrices de substances qui vivent dans des régions rurales. Ces services permettent une activation plus rapide et à distance des procédures d’intervention d’urgence dans l’éventualité où une personne perdrait conscience. Dans cette étude, nous explorons les expériences, les perceptions et les attitudes des habitants de régions rurales à l’égard de ces services.

Méthodologie. Nous avons mené des entretiens semi-structurés auprès de 15 personnes consommatrices de substances (dont 7 [46,7 %] de sexe masculin et 9 [60 %] Autochtones) vivant dans des collectivités rurales, éloignées ou autochtones. Les entretiens ont pris fin lorsque la saturation des données a été atteinte. Les données ont été analysées selon une analyse thématique.

Résultats. Six thèmes clés se sont dégagés de l’analyse : 1) selon les participants, les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose offrent une solution pragmatique en milieu rural, mais leur utilisation et leur efficacité pourraient comporter certaines limites; 2) la localisation en milieu rural est susceptible d’allonger le temps de réponse des services médicaux d’urgence, réduisant ainsi l’efficacité des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose; 3) l’utilisation des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose pourrait être limitée en raison de l’importante stigmatisation à laquelle font face les habitants consommateurs de substances des collectivités rurales, éloignées ou autochtones; 4) le manque d’accès à la technologie reste un obstacle à l’utilisation de ces services; 5) dans les régions rurales, les gens sont souvent peu sensibilisés à la réduction des méfaits; 6) chez les personnes autochtones qui consomment des substances et qui vivent en milieu rural, la consommation de substances et la réduction des méfaits ont des implications sociales spécifiques.

Conclusion. Même si, de l’avis des participants, les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose offrent une stratégie de réduction des méfaits possible chez les personnes consommatrices de substances vivant en milieu rural, certaines contraintes persistent, dont le temps de réponse, l’accès à la technologie et la stigmatisation associée à la consommation de substances.

Mots-clés : surdose, intoxication aux drogues, services d’intervention téléphonique en cas de surdose, application d’intervention en cas de surdose, intervention en cas de surdose, réduction des méfaits, consommation supervisée, santé publique, santé rurale, santé autochtone

Points saillants

  • Dans les régions rurales, les services et les connaissances en matière de réduction des méfaits sont nettement insuffisants.
  • L’importante stigmatisation à laquelle les personnes consommatrices de substances vivant en milieu rural font face les amène à afficher un surcroît de prudence lorsqu’il s’agit d’accéder aux services de réduction des méfaits, pour peu que de tels services soient offerts.
  • Dans les collectivités rurales, les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose sont parfois les seuls services de réduction des méfaits accessibles aux personnes consommatrices de substances.
  • La localisation en milieu rural pourrait compliquer les mesures d’intervention d’urgence prises par les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose.
  • Chez les personnes consommatrices de substances qui vivent dans des collectivités rurales, la possession de moyens technologiques et la connectivité pourraient être limitées, réduisant ainsi l’utilisation des services.

Introduction

L’épidémie de décès liés à la consommation de substances (aussi appelée épidémie « par surdose » ou « par intoxication aux drogues ») qui sévit actuellement est sans doute l’une des plus grandes crises de santé publique qui touchent l’Amérique du NordNote de bas de page 1. Pour lutter contre la montée en flèche du taux de mortalité qui y est associé, différentes stratégies de réduction des méfaits ont été mises en œuvre au Canada et, encore aujourd’hui, ces stratégies s’avèrent efficaces pour ce qui est d’atténuer les effets de la criseNote de bas de page 2Note de bas de page 3Note de bas de page 4. Des ressources telles que les services de vérification des drogues, les sites de consommation supervisée et les lignes directrices sur l’atténuation des risques ont permis de réduire les taux de morbidité et de mortalitéNote de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7.

L’accès à ces ressources constitue toutefois un défi perpétuel. Comme le mentionne une étude de modélisation réalisée par Irvine et ses collaborateursNote de bas de page 8, l’utilisation accrue des interventions de réduction des méfaits, par exemple des trousses de naloxone à emporter, se traduirait probablement par une réduction marquée des taux de mortalité découlant de l’épidémie. Bien que l’association entre l’emplacement géospatial et les intoxications aux drogues ou surdoses mortelles ne fasse pas l’objet d’un consensus dans la littérature actuelleNote de bas de page 9Note de bas de page 10, une étude récente montre une hausse de 30 % de la probabilité de faire une surdose mortelle dans les régions rurales de la Colombie-BritanniqueNote de bas de page 9. Les auteurs de l’étude en question ont émis l’hypothèse que le risque accru serait principalement attribuable au manque d’accès aux services de réduction des méfaits et à un approvisionnement en drogues de plus en plus toxiquesNote de bas de page 9. Par ailleurs, même dans les grands centres urbains, la réduction des décès observée depuis la mise en place de services de consommation supervisée se limite à un rayon de 500 mètresNote de bas de page 11.

Les personnes consommatrices de substances et les décideurs ont donc envisagé de nouvelles stratégies susceptibles d’accroître la portée actuelle des services de réduction des méfaits en Amérique du Nord grâce à la technologieNote de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17. C’est dans ce contexte et dans le but de veiller à la sécurité des personnes consommatrices de substances que la pratique de la « surveillance ponctuelle » (ou « spotting ») virtuelle a été adoptée : avant de faire usage de substances, la personne prend contact avec quelqu’un (membre de la collectivité ou personne digne de confiance au sein de son réseau social) qui, par un moyen virtuel, gardera un œil sur elle pendant sa consommation de substances et pourra activer les procédures d’intervention d’urgence dans l’éventualité où elle perdrait conscienceNote de bas de page 18.

Les programmes tels que les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose visent à assurer une intervention plus rapide en cas de surdose, surtout chez les personnes qui n’ont pas accès aux services de réduction des méfaits. Ces services permettent d’intervenir à distance, en cas de surdose, selon deux modes de communication différents (ligne téléphonique et application pour téléphone intelligent), avec pour objet de diminuer le délai d’intervention. Le Service national d’intervention en cas de surdose (ou « NORS », pour « National Overdose Response Service ») et Brave sont deux services d’intervention téléphonique de surveillance des surdoses accessibles partout au Canada. Les applications d’intervention en cas de surdose, quant à elles, ne sont offertes que dans certaines provinces canadiennes, par exemple le Système numérique d’intervention en cas de surdose (ou « DORS », pour « Digital Overdose Response System ») en Alberta et l’application Lifeguard en Colombie-BritanniqueNote de bas de page 19. Aux États-Unis, des services semblables au NORS existent, en particulier les services d’intervention téléphonique Never Use Alone et SafeSpot.

Étant donné que ces services sont encore relativement nouveaux, peu de travaux ont porté sur leur efficacité. Une étude portant sur l’un de ces services (le NORS) a toutefois permis de générer des données préliminaires sur son utilisation en tant que stratégie de réduction des méfaits : sur les 3 994 épisodes de consommation de substances supervisés à l’aide du NORS, aucun décès n’a été signalé et 77 surdoses sont survenuesNote de bas de page 20. Globalement, ces interventions ont été associées à une réduction du nombre de surdoses mortelles et à une analyse coûts-avantages favorableNote de bas de page 19Note de bas de page 21. En outre, elles ont permis d’aider des personnes ayant manifesté d’autres types de complications, par exemple une psychose induite par la méthamphétamineNote de bas de page 22. Si  ces services sont utiles aux personnes consommatrices de substances, il demeure que leur utilisation est limitée en milieu rural (< 1 %), selon une étude ayant évalué le NORS du CanadaNote de bas de page 20.

Pour déterminer la meilleure façon d’améliorer l’accès aux services de réduction des méfaits grâce aux services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose, nous nous sommes intéressés 1) aux valeurs, aux perceptions et aux croyances que les personnes consommatrices de substances vivant dans des collectivités rurales, éloignées ou autochtones entretiennent à l’égard de l’utilité potentielle de ces services au sein de leur collectivité et 2) aux moyens qui permettraient d’améliorer l’acceptabilité et l’efficacité de ces services afin de mieux répondre aux besoins de ces personnes.

Méthodologie

Approbation éthique

Nous nous sommes appuyés sur les lignes directrices COREQNote de bas de page 23 pour ce qui est de la méthodologie et de la présentation des résultats de cette étude qualitative et nous avons obtenu l’approbation éthique de l’Université de l’Alberta (Pro00118444). La participation à l’étude était volontaire, et les participants ont tous donné leur consentement verbal après explication des implications et des risques associés à l’étude.

Caractéristiques et réflexivité de l’équipe de recherche

L’équipe de recherche principale était composée d’un assistant de recherche (DV), d’une étudiante (MM), de deux résidentes en médecine interne (FJ et AL) et d’un médecin spécialiste (MG) détenant une formation au niveau de la maîtrise en analyse qualitative. DV et MG possédaient déjà de l’expérience dans la réalisation et l’évaluation d’études qualitatives et ils ont aidé les stagiaires à appliquer la méthodologie qualitative. Les entretiens ont été menés par DV et MM, qui ont également effectué l’analyse ultérieure des données.

Plan d’étude et paradigme de recherche

Cette étude repose sur une approche de description qualitative. Nous avons élaboré un guide d’entretien semi-structuré en nous appuyant sur les recherches antérieures menées sur la réduction des méfaits en milieu rural, ainsi que sur les connaissances de professionnels et les expériences de personnes consommatrices de substances. Des personnes consommatrices de substances ont vérifié le contenu du guide d’entretien afin de s’assurer que celui-ci était approprié et respectueux. Nous avons choisi d’utiliser la théorie ancrée et un raisonnement inductif pour analyser le contenu des entretiens. Les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose reposant sur une technologie nouvelle dont la pénétration est limitée, la méthodologie choisie nous permettait d’explorer cette technologie et d’en évaluer l’utilisation et l’adaptation en nous fondant sur des donnéesNote de bas de page 24Note de bas de page 25.

Stratégie de recrutement et d’échantillonnage

Nous avons procédé à un échantillonnage au jugé et à un échantillonnage en boule de neige entre mars et juillet 2023 afin de recruter les participants à l’étude et de mener des entretiens auprès de ceux-ci. Les lieux de recrutement ont été les programmes de sensibilisation et les centres de réduction des méfaits en milieu rural. D’autres participants ont été recrutés dans le cadre d’un sondage national de grande envergure mené par l’équipe de recherche et portant sur la réduction des méfaits (résultats non encore publiés), par l’intermédiaire de centres de traitement des dépendances et par le bouche-à-oreille. Nous sommes entrés en contact avec les participants par courriel ou par téléphone. Nous nous sommes efforcés de recruter des personnes vivant dans des collectivités rurales et des petits centres de population de moins de 10 000 habitants situées un peu partout au Canada. Les participants ont reçu une rétribution de 30 dollars canadiens pour leur participation à l’étude. Les participants pouvaient choisir d’être interviewés par une femme (MM) ou par un homme (DV), en fonction de leur préférence. Les critères d’admissibilité et d’exclusion sont présentés ci-après.

Critères d’admissibilité

Pour participer à l’étude, les participants devaient :

  • vivre dans une collectivité rurale ou autochtone ou dans une région éloignée du Canada;
  • être âgés de 18 ans ou plus; 
  • faire usage ou avoir déjà fait usage de substances non réglementées;
  • être en mesure de communiquer efficacement en anglais et de donner leur consentement éclairé verbalement;
  • avoir un numéro de téléphone ou une adresse courriel;
  • avoir accès à un téléphone ou à un appareil doté de fonctions de clavardage.

Les participants étaient exclus :

  • s’ils n’étaient pas capables de parler anglais;
  • s’ils présentaient à ce moment-là un risque de se faire du mal;
  • s’ils avaient besoin que quelqu’un d’autre prenne des décisions à leur place.

Processus d’entretien

Après avoir donné leur consentement, les participants ont pris part à des entretiens par téléphone ou par Zoom. Les participants ont tous été informés qu’ils avaient le droit de quitter l’entretien à n’importe quel moment, pour quelque raison que ce soit, et qu’ils recevraient tout de même une rétribution. Une liste de numéros de lignes de soutien en matière de santé mentale et de consommation de substances leur a été remise pour leur offrir de l’aide. Avant l’entretien, les participants devaient répondre à un court sondage afin de fournir à l’équipe de recherche des données sociodémographiques de référence. Les enquêteurs ont pris des notes de terrain. Les fichiers audio ont été transcrits par un service de transcription tiers et les renseignements permettant d’identifier les participants ont été caviardés et stockés sur un disque dur sécurisé et privé à l’Université de Calgary. Les citations ont été traduites de l’anglais pour la version en français de cet article.

Analyse des données

Nous avons utilisé la version 12 du logiciel NVivo (QSR International, Denver, Colorado, États‑Unis) pour le processus de codage des transcriptions. Toutes les transcriptions ont été codées indépendamment par deux membres de l’équipe de recherche (DV et MM). L’équipe de recherche s’est réunie pour discuter de tous les nœuds et thèmes ayant émergé afin d’assurer l’harmonisation avec le codage et d’analyser le degré de saturation. Le recrutement s’est arrêté une fois la saturation atteinte, c’est-à-dire lorsqu’aucun nouveau thème n’est ressorti des entretiens avec les participants. La vérification par les membres s’est faite grâce à des comparaisons avec les recherches antérieures et par la discussion des résultats avec des personnes consommatrices de substances. Puisque l’étude comptait un grand nombre de participants autochtones, nous avons demandé à deux partenaires autochtones (ET et KW) de vérifier le guide d’entretien, les résultats de l’étude et l’analyse des résultats afin de s’assurer que les thèmes étaient valides, adaptés à la réalité culturelle et interprétés avec justesse.

Résultats

Quinze participants (âge moyen = 38 ans, écart-type [ET] = 10,74; n = 7 [46,7 %] personnes de sexe masculin) ont été recrutés à l’échelle du pays. Neuf (60,0 %) d’entre eux s’identifiaient comme Autochtones et les six autres comme Blancs (40,0 %). Les participants ont estimé qu’il fallait en moyenne entre 25 min 50 s (± 19 min 53 s) et 31 min 40 s (>± 27 min 38 s) pour que l’ambulance parvienne à leur domicile en cas d’urgence. Les autres données sur les caractéristiques sociodémographiques et sur les interventions sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1. Données sociodémographiques des participants à l’étude sur l’utilisation des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose en milieu rural et éloigné, Canada, 2023
Variable Nombre (n) et
proportion (%)
Total (N = 15)
Âge moyen, en années (ET) 38 (10,7)
Genre
Homme 7 (46,7)
Femme 8 (53,3)
Autre 0
Origine ethnique
Blanc 6 (40,0)
Autochtone 9 (60,0)
Province de résidence
Alberta 10 (66,7)
Colombie-Britannique 2 (13,3)
Manitoba 2 (13,3)
Ontario 1 (6,7)
A déjà utilisé des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose 3 (20,0)
A sauvé d’autres personnes d’une surdose 11 (73,3)
Temps moyen estimé avant l’arrivée d’une ambulance (minutes:secondes), n = 12 (ET) Minimum : 25:50 (± 19:53)
Maximum : 31:40 (± 27:38)

Six thèmes se sont dégagés de notre analyse thématique et sont résumés dans le tableau 2.

Tableau 2. Grands thèmes et principales recommandations à retenir en ce qui concerne l’utilisation des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose dans les collectivités rurales, éloignées ou autochtones au Canada

1. Les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose peuvent être une intervention pragmatique en milieu rural, mais leur utilisation et leur efficacité comportent certaines limites.

  • Les participants avaient des attentes réalistes quant aux délais avant l’arrivée des SMU ou des secours non professionnels.
  • Les participants étaient d’accord avec l’idée de recourir à des intervenants non professionnels en remplacement ou en complément des SMU.
  • Les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose peuvent alléger la tâche des personnes qui assurent déjà la surveillance ponctuelle de la consommation d’autrui dans un cadre informel et non professionnel.
  • Les pairs de la collectivité pourraient servir d’intervenants non professionnels.
  • Les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose pourraient devoir faciliter l’établissement de liens entre les personnes susceptibles de servir d’intervenants non professionnels et les clients, les uns n’étant pas nécessairement au courant de la situation des autres et vice versa.
  • Pour accroître l’utilisation des services, il faut réduire la stigmatisation qui entoure la consommation de substances au sein de la collectivité.
  • Les intervenants des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose doivent rappeler aux personnes consommatrices de substances que le fait de consommer sous leur surveillance n’élimine pas nécessairement tous les dangers.
  • Les personnes peuvent avoir une préférence pour les lignes téléphoniques ou les applications en fonction de leur personnalité.

2. La localisation en milieu rural pourrait nuire à l’efficacité des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose.

  • Les appelants devraient déterminer à l’avance des itinéraires qui tiennent compte des difficultés de navigation en milieu rural (absence de concordance entre les adresses et les domiciles, itinéraires de rechange, etc.).
  • Il faut prendre en considération les conditions météorologiques au moment d’estimer le délai avant l’arrivée des secours.

3. Le contexte rural peut amplifier la stigmatisation associée à la consommation de substances, et les conséquences pour la personne et sa famille sont plus vastes.

  • Les fournisseurs de services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose doivent être conscients des répercussions complexes que la stigmatisation associée à la consommation de substances peut avoir sur les personnes et leur famille dans les petites collectivités.
  • Les organismes locaux et les fournisseurs de soins de santé pourraient ne pas tous être favorables à l’utilisation de services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose au sein de leur collectivité.
  • Les intervenants des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose doivent faire preuve de prudence, car leurs interventions pourraient révéler au grand jour la consommation cachée d’une personne.

4. En milieu rural, la possession de moyens technologiques et la connectivité sont source de préoccupations.

  • Les personnes consommatrices de substances qui vivent en milieu rural sont susceptibles d’être moins nombreuses à posséder des technologies et d’avoir davantage de problèmes de connectivité que les personnes consommatrices de substances qui vivent en milieu urbain.

5. Les connaissances et les services généraux offerts en matière de réduction des méfaits sont souvent limités dans les collectivités rurales.

  • L’organisation de possibilités de covoiturage pourrait contribuer à améliorer l’accès des personnes consommatrices de substances qui vivent en milieu rural aux services de réduction des méfaits.
  • Le marché des drogues illicites est souvent un point d’accès pour l’obtention de matériel de réduction des méfaits en région rurale.
  • La publicité pour la réduction des méfaits pourrait susciter de la résistance dans certaines collectivités.
  • Les pharmacies sont souvent le principal point d’accès pour l’obtention de fournitures ou d’information en matière de réduction des méfaits.

6. Chez les personnes autochtones consommatrices de substances qui vivent en milieu rural, la consommation de substances et la réduction des méfaits ont des implications sociales spécifiques.

  • Les personnes consommatrices de substances qui sont membres de communautés autochtones pourraient se heurter à des obstacles supplémentaires (comme le bannissement de la communauté ou la stigmatisation).
  • Les responsables des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose devraient travailler avec les dirigeants autochtones locaux à l’atteinte d’objectifs communs.
  • Les intervenants devraient suivre une formation sur la sensibilité culturelle, étant donné que les interactions négatives peuvent amener les personnes à éviter les services.

Abréviation : SMU, services médicaux d’urgence.

Thème 1 : les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose peuvent être une intervention pragmatique en milieu rural, mais leur utilisation et leur efficacité comportent certaines limites

Les participants ont été d’avis que, en milieu rural, les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose représentent un service de réduction des méfaits de plus (ou, parfois, le seul service de réduction des méfaits) susceptible de sauver des vies. Malgré les craintes quant aux conséquences que pourrait avoir un temps de réponse plus long, les participants jugeaient que le risque d’une intervention tardive est bien moindre que le risque associé à la consommation de substances en solitaire. Les personnes interviewées percevaient les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose comme une solution pragmatique, à l’instar d’autres interventions fondées sur les télécommunications ou sur des outils numériques qui permettent d’ouvrir des perspectives et d’offrir des services en région rurale.

C’est comme si tu peux consommer et mourir, ou tu peux consommer et avoir la possibilité de te faire sauver par quelqu’un si tu fais une surdose. Qu’est-ce que tu préfères? N’avoir personne qui vient à ton secours, ou avoir quelqu’un qui pourrait venir te secourir? Je crois que ce serait une meilleure option […]. (Participant no 12, homme)

De nombreux participants avaient déjà eu recours à la surveillance ponctuelle dans un cadre informel ou à des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose. Toutes les personnes interviewées étaient favorables à la prestation de services par des pairs intervenants, qui, selon elles, apporteraient de la légitimité au programme. Presque tous étaient d’accord avec l’idée d’offrir la possibilité de faire appel à des intervenants non professionnels, car le temps de réponse pourrait être plus court. En revanche, les participants étaient tout de même en faveur de l’utilisation des services médicaux d’urgence (SMU) en tant que plan de secours. La plupart des participants ont indiqué qu’ils seraient prêts, sur le principe, à agir à titre d’intervenant non professionnel pour des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose dans leur région. Il a été mentionné que ces services d’intervention pourraient devoir faciliter la mise en contact des intervenants non professionnels connus avec les personnes consommatrices de substances car, pour une personne consommatrice de substances sans contacts personnels, il pourrait être stigmatisant, voire impossible de trouver un intervenant professionnel.

Les participants qui, au moment de l’étude, assuraient la surveillance ponctuelle de la consommation d’autrui (à distance ou en personne) ou faisaient l’objet de ce type de surveillance de la part de quelqu’un d’autre pendant leur consommation de substances étaient d’avis que l’utilisation de services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose contribuerait à alléger la tâche des personnes qui se portent volontaires pour surveiller les gens qui consomment, car un tel engagement était perçu comme un dérangement dans la vie personnelle de ces volontaires.

Personnellement, j’ai l’habitude d’appeler quelqu’un ou d’envoyer un message sur Messenger à un de mes amis et je dis : « Bon, j’ai consommé aujourd’hui, et j’ai consommé telle quantité » ou « J’ai l’intention de consommer telle quantité. » Mais l’autre personne a aussi sa propre vie, n’est-ce pas? Elle n’a pas que ça à faire, rester assise là et me regarder par appel vidéo. (Participante no 14, femme autochtone)

Même si l’idée de recourir à des intervenants non professionnels a été bien accueillie par la plupart des personnes interviewées, certaines d’entre elles ont mentionné que les pairs s’exposaient ainsi à différents risques, par exemple celui de faire une rechute lors d’une intervention ou de souffrir d’épuisement s’ils étaient constamment appelés à assurer la surveillance ponctuelle de la consommation d’autres habitants de la collectivité. En outre, les participants ont indiqué qu’ils ne connaissaient pas nécessairement tous les consommateurs de substances au sein de leur collectivité, ce qui rend moins viable l’option de consommer en groupe ou d’entrer en contact avec des personnes vivant à proximité.

En dépit de leur appui à l’égard des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose, les participants ont fait montre d’un optimiste moindre en ce qui concerne l’utilisation de ces services au sein de leur propre collectivité, nombre d’entre eux invoquant le fait que les personnes les plus à risque de surdose étaient moins susceptibles d’avoir recours à ce type de services. Selon les participants, ces personnes ont pour principales caractéristiques d’être trop intoxiquées pour se souvenir d’utiliser services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose, de faire preuve d’une insouciance générale envers leur propre sécurité, de stigmatiser les programmes de réduction des méfaits ou d’entretenir une méfiance à l’égard de ces derniers.

Je trouve que c’est une excellente idée et que ça pourrait aider à sauver beaucoup de gens, mais je sais que, quand j’étais à mon pire, j’étais dans un état d’esprit où je m’en foutais. Tu vois ce que je veux dire? Je m’en foutais de mourir. (Participante no 4, femme)

Certains participants se sont inquiétés de la possibilité que les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose procurent un faux sentiment de sécurité aux personnes consommatrices de substances qui vivent en milieu rural, les conduisant à adopter des pratiques de consommation plus dangereuses que lorsqu’elles consommaient seules sans avoir recours à ce type de service.

C’est sûr que ça pourrait arriver. Genre, « Oh, je peux consommer autant que je veux quand je veux, quelqu’un va venir me sauver. » (Participant no 12, homme)

Je crois que, si j’avais eu un filet de sécurité, j’aurais peut-être été plus loin. Je crois que je l’aurais peut-être fait. (Participante no 7, femme)

Les participants avaient des avis divergents quant au format qu’ils préféreraient pour les services de surveillance à distance des surdoses (ligne téléphonique ou application). Un participant a mentionné ce qui suit à propos de la ligne téléphonique :

Je crois en fait que c’est assez bien, parce que, souvent, quand ils consomment, ils tombent dans un genre d’état second, ils se mettent à cogner des clous, ils ne savent pas trop ce qui se passe autour d’eux. Ils ont plus tendance à somnoler, si on peut dire. C’est comme ça que ça se passe : s’endormir, tomber dans un état second. Alors je pense que ce serait une bonne idée, parce que le bruit les ramènerait peut-être ou, sinon, s’ils n’ont pas donné signe de vie depuis un moment, les ambulanciers seraient déjà en chemin, tu vois ce que je veux dire? (Participant no 12, homme)

Une autre participante a dit préférer les applications, car elle ne souhaite pas interagir avec les autres :

Je pense que je voudrais utiliser l’application, genre, celle qui a bipé, parce que c’est comme, je suis toute seule, mais, à l’autre bout du fil, il y a l’opérateur qui est un consommateur de drogues lui aussi ou un ancien accro […] Genre, quand j’étais au pire de ma dépendance, la dernière chose que j’avais envie de faire, et bien, c’était de jaser, [de parler] de tout et de rien avec des étrangers. Tu comprends ce que je veux dire? (Participante no 7, femme)

Thème 2 : la localisation en milieu rural pourrait nuire à l’efficacité des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose

L’isolement géographique des collectivités rurales a été perçu comme un obstacle important, mais non insurmontable, à l’utilisation des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose. Plus précisément, les participants avaient des préoccupations quant au temps de réponse des SMU en cas de surdose ou d’intoxication aux drogues. En effet, de nombreux participants vivant en milieu rural ont dit connaître quelqu’un qui a fait l’expérience de délais prolongés avant l’arrivée des SMU ou ont rapporté en avoir fait eux-mêmes l’expérience.

Au bout de 45 minutes, c’est littéralement impossible de s’en tirer vivant, alors ce serait difficile dans les réserves. Ce serait vraiment difficile pour une ambulance de trouver quelqu’un qui vit dans la réserve. (Participant no 3, homme autochtone)

À la distance physique et au temps nécessaire pour atteindre une destination s’ajoute un autre obstacle : bon nombre de participants ont mentionné qu’il serait difficile de diriger les secours d’urgence vers le lieu où se trouve la victime en raison de différentes complexités (par exemple, des opérateurs des SMU connaissant mal la topographie et les réseaux routiers en milieu rural, des secours susceptibles de se perdre ou de ne pas trouver le lieu). Le fait que certaines adresses officielles de domicile ne correspondent pas aux adresses physiques des logements a été une source de préoccupations. Certains participants ne savaient pas comment indiquer facilement leur localisation, car ils ont recours à des points de repère visuels plutôt qu’à l’adresse officielle exacte de leur domicile pour la navigation. Afin d’éviter le plus possible la survenue de ce type de complications, il a été suggéré que les intervenants des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose vérifient non simplement la destination mais aussi l’itinéraire complet avec la personne consommatrice de substances vivant en milieu rural.

Alors, ouais, je voulais les amener là. Ils disaient des choses du genre « on ne veut pas se perdre » et « on est là, dépêchez-vous, on est là », juste parce que certaines maisons n’ont pas de numéro. Je ne sais pas pourquoi. (Participante no 9, femme autochtone)

Les mauvaises conditions météorologiques figurent également parmi les obstacles à l’arrivée rapide des SMU qui ont été mentionnés par les participants. Même si les phénomènes extrêmes sont rares, leurs répercussions sont souvent amplifiées en milieu rural. Les intempéries peuvent entraîner une interruption des réseaux de communication ou rendre les conditions de conduite plus difficiles, ce qui nuirait à l’efficacité des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose.

Il arrive que des arbres tombent, que des routes soient bloquées, alors ça pourrait poser problème. (Participant no 11, homme autochtone)

Thème 3 : le contexte rural peut amplifier la stigmatisation associée à la consommation de substances et les conséquences pour la personne et sa famille sont plus vastes

Les participants ont indiqué que les collectivités rurales sont spécifiques en ce sens que « tout le monde sait ce que tout le monde fait », et l’interaction entre la réputation personnelle dans les petites collectivités et la stigmatisation liée à la consommation de substances a souvent (mais pas toujours) fait partie des préoccupations majeures soulevées par les participants. Selon eux, le fait pour une personne de voir sa consommation de substances exposée au grand jour aurait pour conséquence immédiate de nuire à son statut social et à sa réputation. Différents participants l’ont vécu ou en ont été témoins de par le traitement réservé à d’autres personnes consommatrices de substances au sein de leur collectivité.

Peut-être que le fait de savoir qu’ils n’auront pas d’ennuis aiderait un peu, parce que c’est probablement ce qui fait le plus peur aux accros – que les gens découvrent qu’ils consomment. (Participant no 3, homme autochtone)

Selon les participants, les conséquences de la consommation de substances ne se limitent pas à la réputation de la personne consommatrice de substances mais peuvent avoir des effets sur toute sa famille. Souvent, lorsqu’une personne consomme, les membres de sa famille s’éloignent d’elle ou tentent de dissimuler sa consommation. La crainte de nuire à la réputation de toute sa famille est un facteur de grande importance, car la plupart des participants ont dit être particulièrement proches de leur famille.

Ils [les proches] ne veulent pas […]; parfois, ils ne diront même pas aux autres membres de la famille qu’ils ont un fils qui fout sa vie en l’air. Certains ne diront rien à leurs frères et sœurs ou même à leur mère, leurs grands-parents ou qui que ce soit d’autre. Ils gardent ça secret en quelque sorte parce qu’ils ont honte, j’imagine […]. (Participant no 3, homme autochtone)

Beaucoup de gens sont incapables d’être ouverts et honnêtes avec leur famille. Et lorsqu’ils le sont, lorsque les proches découvrent que la personne consomme, j’ai remarqué que cette personne se fait coller un stéréotype ou qu’elle se fait rejeter, surtout si elle consomme de la meth. J’ai remarqué que beaucoup de familles repoussent leurs proches qui consomment. (Participante no 14, femme autochtone)

Presque tous les participants (sauf deux) ont mentionné que leur famille était la principale raison pour laquelle ils restaient dans leur collectivité. Même s’il leur est arrivé de quitter temporairement leur collectivité, ils ont continué de graviter autour de celle-ci en raison de leur famille.

Bien que la stigmatisation généralisée entourant la consommation de substances dans les milieux ruraux demeure une source de préoccupations, les participants n’avaient pas l’impression que les habitants des collectivités rurales protesteraient activement contre les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose.

Les résidents pourraient s’énerver un peu, j’imagine, je ne sais pas. Eh bien, je suppose que c’est virtuel. C’est genre directement sur ton téléphone, ce n’est pas comme un site d’injection supervisée, mais comme […]. Je ne sais pas. Je ne pense pas vraiment qu’il y aurait de réactions négatives. (Participant no 12, homme)

Même si les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose ont été perçus comme une mesure permettant de sauver des vies, ils ont parfois été décrits comme stigmatisants, mais pas plus que les autres services de réduction des méfaits. À cet égard, les fournisseurs de soins de santé ou de services sociaux qui n’ont aucune sympathie envers les personnes consommatrices de substances représentent un obstacle à l’utilisation de ce type de service, car ces fournisseurs risquent de dissuader les patients d’accéder à des services où l’on pourrait leur parler des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose. De plus, les personnes interviewées ont dit craindre que la présence des SMU ou de secouristes à leur domicile ne révèle leur consommation de substances.

Parce que dès qu’il y a une ambulance sur la rue, tout le monde s’arrête pour regarder ce qui se passe. À quelle maison va-t-elle? Qu’est-ce qui est arrivé? Et pourquoi cette personne fait-elle ça? De vraies fouines, c’est incroyable. (Participante no 4, femme)

Thème 4 : en milieu rural, la possession de moyens technologiques et la connectivité sont source de préoccupations

Les participants avaient des points de vue variés en ce qui concerne l’accès à la technologie, la réception cellulaire ou encore les données et les minutes d’appel nécessaires pour accéder aux services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose dans les collectivités rurales. Ils ne s’entendaient pas non plus quant à savoir si les personnes consommatrices de substances qui vivent en milieu rural sont plus enclines ou moins enclines à disposer de technologies que celles qui vivent en milieu urbain. Plus précisément, certains craignaient que les appareils technologiques soient trop faciles à vendre en échange de substances, les personnes n’ayant alors plus accès aux technologies dont elles ont besoin pour améliorer leur sécurité dans les moments où elles sont le plus vulnérables.  

Je pense que si quelqu’un peut s’acheter un téléphone, avoir un téléphone et garder un téléphone sans le vendre pour de la drogue, ce serait une très bonne chose. Mais ce n’est pas tout. Est-ce que la personne a des minutes? Est-ce qu’elle peut appeler quelqu’un? (Participante no 9, femme autochtone)

Par ailleurs, quelques participants ont dit être préoccupés par la confidentialité et la protection des données lors de l’utilisation des différents services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose.

Thème 5 : les connaissances et les services généraux offerts en matière de réduction des méfaits sont souvent limités dans les collectivités rurales

Selon les participants, la méconnaissance des ressources de réduction des méfaits et les difficultés d’accès à celles-ci sont particulièrement notables dans les collectivités rurales. L’un des obstacles les plus souvent cités était la difficulté à obtenir du transport vers certains services de réduction des méfaits, qui s’explique surtout par l’absence de transports en commun et de services de transport professionnels. Les personnes doivent donc s’en remettre aux membres de la collectivité ou à leur famille pour se faire conduire, ce qui est rarement gratuit et nécessite souvent de patienter. Certains participants ont dit déjà offrir de conduire gratuitement les personnes qui entament une démarche de rétablissement d’une dépendance, ayant eux-mêmes eu à se débrouiller pour se rendre à l’endroit où les services de réduction des méfaits sont offerts ou où les rendez-vous axés sur le rétablissement se tiennent, ou ayant été témoins des difficultés d’autrui à cet égard.

C’était, genre, vraiment impossible. J’ai essayé d’aller à l’hôpital. J’ai essayé d’aller voir les services de santé mentale. Et comme tout ce qu’on m’a dit, c’est : « Vous devez vous rendre à cet endroit à Grand Prairie. » Donc je savais qu’il existait un endroit magique à Grand Prairie, je n’avais juste aucun moyen pour y aller. (Participante no 7, femme)

Les personnes interviewées étaient généralement d’avis que l’offre de services de réduction des méfaits était moins importante en milieu rural qu’en milieu urbain. Les services de réduction des méfaits les plus souvent mentionnés étaient la fourniture de matériel stérile ou de médicaments de substitution par les pharmacies, suivie de l’offre de ressources minimales en matière de dépendances par les petits centres de santé communautaires. Certaines collectivités ne seraient dotées d’aucune ressource ou, si elles l’étaient, les participants n’étaient pas au courant. Les participants ont également indiqué que leurs fournitures personnelles de réduction des méfaits provenaient souvent de l’extérieur et qu’ils en avaient fait l’acquisition par l’entremise d’autres services d’approvisionnement mobiles, ou encore qu’elles leur avaient été remises en même temps que la drogue. Il ne serait pas rare que les revendeurs de drogues remettent des fournitures de réduction des méfaits aux personnes qui leur achètent des substances. D’autres participants ont déclaré qu’ils faisaient souvent le plein de fournitures de réduction des méfaits lorsqu’ils visitaient de plus grandes villes. Les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose, en tant qu’outils de réduction des méfaits, ont été perçus comme une modalité d’appoint raisonnable qui permet d’assurer la sécurité des personnes consommatrices de substances.

Dans les petites collectivités, ni la stigmatisation ni les mentalités n’ont été considérées comme un obstacle à la mise en œuvre ou à l’utilisation de services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose, mais la stigmatisation a été considérée comme un obstacle à la sensibilisation générale à l’existence du service.

Eh bien, j’aurais aimé avoir plus d’information pour pouvoir l’afficher dans la communauté, mais je ne sais pas comment les gens réagiraient. C’est – certaines personnes le prendraient bien, alors que d’autres seraient comme : « Quoi? Pourquoi apportes-tu ce genre de négativité? » … Ce n’est pas de la négativité – je crois que c’est simplement une façon d’aider les gens en cas de surdose, mais… notre communauté est toujours divisée. (Participant no 5, homme autochtone)

Je sais que, dans une petite communauté, la stigmatisation est énorme, par exemple si tu as besoin de Narcan et d’aiguilles propres et que tu décides d’aller en demander à l’hôpital. J’ai entendu dire que c’est très difficile, car beaucoup d’infirmières qui travaillent là vont regarder la personne et dire quelque chose comme : « Ah, voyez-vous, c’est ce type de personne ! » (Participante no 4, femme)

En outre, les participants étaient d’avis que l’approbation de la ville ou de la collectivité pourrait être nécessaire pour pouvoir afficher de la publicité sur des sujets controversés comme la réduction des méfaits, ce qui pourrait limiter davantage la connaissance de ces services. Selon certaines personnes interviewées, le fait d’afficher de la publicité sur la réduction des méfaits équivaut surtout à admettre qu’il y a un problème au sein de leur collectivité, ce qui a pour effet de faire « mal paraître » la collectivité. Malgré tout, plusieurs mesures permettant de faire mieux connaître le service de façon générale ont été suggérées.

Je pense que je vais faire un dépliant et l’afficher au centre communautaire […] directement à côté de la porte. Il y a là un gros babillard. Tout est accepté. J’ai mis des affiches l’autre fois, j’en ai mis partout pour que tous puissent en prendre connaissance, parce que si je réussissais à sauver une vie simplement parce que […] la personne a pris en note le numéro [de la ligne téléphonique NORS], ce serait formidable. (Participant no 5, homme autochtone)

Les médias sociaux ont été perçus comme une autre solution raisonnable qui pourrait contribuer à faire connaître le service, d’autant plus que, de l’avis des participants, l’obtention de l’autorisation et de l’approbation des instances locales ne serait pas nécessairement requise. De nombreux participants ont fait remarquer que les petites collectivités n’avaient pas leurs propres pages Web et qu’elles utilisaient plutôt les pages des grandes collectivités voisines pour communiquer de l’information.

La ville de [caviardé] a une page [Facebook] où elle affiche les trucs qui se passent dans le coin, non? Quelque chose comme ça. (Participante no 7, femme)

Thème 6 : chez les personnes autochtones consommatrices de substances qui vivent en milieu rural, la consommation de substances et la réduction des méfaits ont des implications sociales spécifiques

Plus de la moitié des participants ont déclaré être autochtones ou appartenir à une communauté autochtone. La plupart des participants autochtones ont témoigné d’expériences semblables à celles des participants non autochtones, par exemple en ce qui concerne les difficultés de transport et le manque de ressources de réduction des méfaits en ville ou à proximité. Les participants autochtones ont relaté des expériences de stigmatisation communautaire et souligné l’efficacité des interventions de la part de personnes non professionnelles, qu’ils attribuent en partie à la culture autochtone, aux liens de parenté et aux règlements administratifs communautaires.

Tous les participants ont dit que la consommation de substances était souvent perçue comme un échec et qu’il n’était pas rare qu’elle soit gardée secrète par peur ou par honte, ou en raison d’autres sentiments négatifs intériorisés. Les participants autochtones ont fait état de la pression à dissimuler la consommation de substances pour éviter le sentiment de honte dans la communauté, une situation susceptible de nuire aux chances d’une personne d’obtenir un poste de dirigeant dans la communauté (chef ou membre d’un conseil par exemple). Les personnes interviewées ont parlé des règlements administratifs appliqués dans certaines communautés autochtones qui prévoient l’expulsion des membres de la communauté qui sont réputés contribuer au problème de consommation de substances, ce qui peut mener à des cycles de consommation de substances et à une augmentation des déplacements entre différentes collectivités.  

Beaucoup d’entre eux se font exclure de la communauté, s’en vont vivre dans les rues de [petite ville], puis prétendent être sobres, reviennent à la maison, recommencent à voler et se font jeter dehors à nouveau. (Participant no 5, homme autochtone)

La crainte que le domicile d’une personne soit étiqueté comme un lieu où des gens consomment des substances est un obstacle à l’établissement d’un réseau d’intervenants non professionnels au sein de la communauté : en effet, si un intervenant non professionnel stationne son véhicule dans l’entrée du domicile, des membres de sa famille ou de la communauté sont susceptibles de le remarquer. Les conséquences professionnelles et sociétales de la stigmatisation pourraient l’emporter sur les avantages des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose. En outre, le fait de constituer un réseau d’intervenants non professionnels sans inclure les dirigeants de la communauté autochtone pourrait avoir des conséquences négatives, surtout si les intervenants viennent en aide à des membres de la communauté qui ont déjà été expulsés de celle-ci dans le passé.

Je pense, tu sais, qu’il y a vraiment des avantages à ce que ce soit offert par des gens qui ont réellement l’expérience de sauver ainsi des gens et qui ont les connaissances pour le faire. Il y a comme tellement de personnes maintenant qui ont fait une surdose depuis que ma [parente 2] et moi avons été expulsées et bannies de notre réserve. Il y a eu tellement de décès là-bas. (Participante no 9, femme autochtone)

Même si la saturation thématique n’a pas été atteinte, les participants ont dit craindre que le racisme aggrave la stigmatisation, ce qui pourrait entraîner une diminution de l’adoption des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose.  

Il n’y a rien que je n’ai pas entendu. Il m’est arrivé d’être dans une ambulance, et les ambulanciers me croyaient inconscient et ils parlaient des « Indiens » de [petite ville] et se disaient à quel point ils détestent avoir à conduire aussi loin pour aider quelqu’un. Ouais. Je sais que c’est à cause de la couleur de ma peau. (Participant no 5, homme autochtone)

Analyse

Notre évaluation témoigne de l’interaction complexe entre, d’une part, le besoin de ressources de réduction des méfaits telles que les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose dans les collectivités rurales et, d’autre part, la difficulté à mettre en œuvre ces ressources, à mieux faire connaître le programme et à en accroître l’utilisation, difficulté attribuable à des questions pratiques d’ordre géographique, à la stigmatisation, aux infrastructures technologiques et aux complexités culturelles. Plusieurs messages clés se sont dégagés de l’analyse et touchent la mise en œuvre des programmes ainsi que les politiques de santé publique.

Tous les participants ont reconnu l’existence d’obstacles généraux à l’obtention d’un soutien à la réduction des méfaits en milieu rural, citant les problèmes de transport et l’offre insuffisante de services comme deux sujets de préoccupations majeurs. Ces mêmes obstacles ont été observés dans des études antérieures, qui ont montré un risque accru de partage et de réutilisation du matériel pour la consommation de substances et un risque accru de consommation de substances en solitaireNote de bas de page 26. Bien que les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose ne puissent peut-être pas atténuer tout de suite les risques liés aux pratiques dangereuses d’utilisation du matériel pour la consommation de substances, ils pourraient contribuer à réduire les risques associés à la consommation de substances en solitaire.

Quoi qu’il en soit, les préoccupations concernant le temps de réponse des SMU, la stigmatisation de la part des techniciens ambulanciers et le risque que les secours se perdent en chemin ont déjà été mentionnées dans la littérature. En effet, selon une étude rétrospective menée dans l’ensemble des États-Unis, le temps de réponse des SMU en région rurale est presque le double de celui enregistré dans les grands centres urbainsNote de bas de page 27. Les personnes consommatrices de substances devraient être dûment informées, par l’entremise des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose, des contraintes liées à l’intervention des SMU dans les collectivités rurales, et des efforts devraient être déployés pour réduire les délais d’intervention en cas de surdose dans ces collectivités. Bien qu’il ait été prouvé que l’établissement d’un réseau communautaire d’intervenants non professionnels est une stratégie viableNote de bas de page 28, la mise en place d’un réseau de ce type dans les collectivités rurales et éloignées est considérée comme difficile en raison de la peur de l’épuisement ou de la récidive chez les pairs intervenants ainsi que du nombre insuffisant d’intervenants issus de la collectivité.

Les participants ont exprimé des réserves quant à la collecte de données et à la surveillance par les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose. Les habitants des collectivités rurales ont tendance à se méfier davantage du gouvernement que les habitants des grands centres urbains, ce qui fait qu’il est possible qu’ils ne veuillent pas recourir aux services gouvernementauxNote de bas de page 29. Au Canada, les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose ont différents modèles de fonctionnement et de financement, certains bénéficiant d’un financement et d’un soutien opérationnels directs, d’autres étant financés uniquement par le gouvernement et d’autres encore étant financés et exploités par le secteur privéNote de bas de page 19Note de bas de page 30.

L’importance de la famille s’est révélée un thème nouveau, jusque-là absent de la littérature portant sur la réduction des méfaits en milieu rural. La famille joue un rôle non seulement dans la motivation des personnes consommatrices de substances à demeurer au sein de leur collectivité, mais aussi dans leur volonté à demander de l’aide pour leur consommation de substances, que ce soit sous forme de réduction des méfaits ou de traitement, en raison du risque de stigmatisation et d’atteinte à la réputation de la famille. La honte qui risquerait de peser sur la famille ou sur la collectivité de la personne consommatrice de substances a été un thème récurrent chez tous les participants, avec toutefois des effets et des conséquences différents selon si la personne appartenait à une communauté autochtone ou à une communauté non autochtone. Le fait de reconnaître que chaque collectivité doit composer avec des difficultés spécifiques lorsqu’il s’agit de prendre des mesures en matière de consommation de substances peut améliorer les chances de réussite du programme, ce qui donne à penser qu’il faut poursuivre l’éducation en ce qui a trait à la consommation de substances et insister davantage sur la déstigmatisation d’une façon adaptée à la collectivité.

Des travaux antérieurs ont mis en évidence la perte de capital social et la stigmatisation associées à la consommation de substances par les femmes enceintes et les membres de minorités ethniques vivant en milieu rural, ainsi que par les habitants des milieux ruraux en généralNote de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33Note de bas de page 34Note de bas de page 35. Puisque de nombreux participants ont indiqué que la personne désignée pour agir en tant qu’intervenant non professionnel était un membre de leur famille (par exemple, « Mon père est simplement à l’étage, et il vérifie que je vais bien »), nous pensons que les familles des personnes consommatrices de substances constitueront probablement la principale source d’intervenants non professionnels compatissants et compétents issus de la collectivité, ce qui pourrait contribuer à rétablir le capital social des personnes marginalisées par d’autres forces stigmatisantes.

Au Canada et aux États-Unis, l’accès aux services de réduction des méfaits est limité dans les régions ruralesNote de bas de page 36Note de bas de page 37. Les méthodes utilisées actuellement pour la distribution des fournitures destinées à la réduction des méfaits dans les collectivités rurales (qu’il s’agisse des moyens officiels comme les pharmacies ou des moyens non officiels comme les revendeurs et le partage entre pairs) ont été abordées, et ces méthodes pourraient servir à communiquer de l’information sur les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose. Les affiches et les médias sociaux ont été également considérés comme des stratégies raisonnables permettant de transmettre de l’information sur ces services, même si les messages véhiculés par ces moyens pourraient être interdits dans les collectivités dont les attitudes à l’égard de la consommation de substances sont particulièrement stigmatisantes. Étant donné que la quasi-totalité des participants avaient en leur possession une trousse de naloxone, prévoyaient de s’en procurer une ou avaient déjà aidé à distribuer des trousses à d’autres membres de leur collectivité, il pourrait être possible d’utiliser des autocollants ou un autre matériel promotionnel à l’intérieur des trousses de naloxone pour promouvoir les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose ou rappeler aux personnes consommatrices de substances qu’elles peuvent y avoir recours.Note de bas de page 38

La discrimination et le racisme, à la fois interpersonnels et structurels, sont d’autres niveaux de stigmatisation décrits par les participants autochtones, ce qui concorde avec les résultats d’autres recherchesNote de bas de page 39. Le racisme interpersonnel à l’égard des personnes racisées, dont font partie les personnes autochtones consommatrices de substances, est bien documenté dans la littératureNote de bas de page 40, et un lien a été établi entre le développement de troubles liés à l’usage de substances et le racismeNote de bas de page 41Note de bas de page 42. En outre, les personnes autochtones interviewées ont indiqué que le racisme était un obstacle à l’utilisation des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose, ce qui va dans le même sens que les travaux antérieurs qui ont démontré que le racisme est un obstacle qui dissuade les personnes d’appeler le 911 en cas de surdoseNote de bas de page 43. Pour éliminer ces obstacles, il faut adopter des approches antiracistes à tous les niveaux, y compris parmi les premiers répondantsNote de bas de page 44Note de bas de page 45.

De nombreux autres cas de discrimination structurelle ou institutionnelle ont été rapportés par les participants (comme un développement économique communautaire insuffisant ou l’absence d’améliorations apportées aux infrastructures routières) et répertoriés dans la littérature canadienneNote de bas de page 46, mais ils ne relèvent pas de la portée de cet article. Notre étude a mis en évidence l’absence de concordance qui existe parfois entre l’adresse officielle et l’adresse physique des domiciles dans les communautés autochtones, différences qui peuvent faire perdre de précieuses minutes aux intervenants en cas d’urgence. Dans une perspective de défense des intérêts, il serait avisé d’améliorer la fiabilité des adresses dans ces régions de façon à atteindre la parité nationale. 

Notre étude a fait ressortir les préoccupations des participants en ce qui concerne la capacité des SMU à localiser les clients dans un délai raisonnable. L’un des problèmes les plus pressants signalés par les participants est la nécessité de fournir aux SMU des renseignements plus précis sur la façon de se rendre jusqu’aux clients, ce qui fait que les SMU pourraient également se servir de la technologie GPS utilisée dans les ambulances de concert avec la technologie intégrée aux téléphones intelligents. Il a été prouvé que les appareils GPS permettent une réduction considérable, de l’ordre d’une minute, du temps de réponse des SMU dans les cas de collisions de véhicules motorisés, lesquelles se produisent habituellement sur la routeNote de bas de page 47. Certains services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose étant directement reliés aux SMU provinciaux et permettant le partage des coordonnées GPS, les études ultérieures devraient tenter de déterminer si ces services seraient capables d’accélérer le délai d’intervention lorsqu’une personne est victime d’une surdose.

Une des personnes interviewées a indiqué que la mise en place d’un réseau d’intervenants et de personnes désignées pour assurer la surveillance ponctuelle de la consommation d’autrui pourrait favoriser le resserrement des liens et le soutien par les pairs dans les petites collectivités et, éventuellement, améliorer le bien-être global de la population. S’il est vrai que le recours à des intervenants non professionnels serait sans doute profitable à la collectivité, il n’en demeure pas moins qu’il est impératif d’en vérifier les répercussions juridiques au titre de la Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdoseNote de bas de page 48 afin de protéger à la fois les services de réduction des méfaits et les intervenants non professionnels. Dans les communautés autochtones, il faudra probablement tenir compte des règlements administratifs au moment de mettre en contact les intervenants non professionnels et les personnes consommatrices de substances qui ont recours aux services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose de manière à éviter les conflits juridiques ou culturels qui pourraient survenir si on utilise ces services pour aider une personne bannie de la collectivité ou que cette personne demande à être aidéeNote de bas de page 49Note de bas de page 50Note de bas de page 51.

Un autre élément important des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose mentionné par les participants est le risque possible que les personnes consommatrices de substances augmentent leur consommation de substances lorsqu’elles font appel à ces services de réduction des méfaits, considérant que l’utilisation de ces services s’accompagne d’un risque moindre. Des études antérieures ont en effet montré que les personnes consommatrices de substances ont tendance à sous-estimer leur risque de surdoseNote de bas de page 52Note de bas de page 53. En revanche, les études portant sur les sites de consommation supervisée en personne ont révélé que la fréquentation de ces centres de réduction des méfaits n’entraîne pas d’augmentation des pratiques de consommation de substances dangereusesNote de bas de page 54. Il est donc difficile de tirer des conclusions sur l’efficacité des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose au sein des populations rurales. Les études ultérieures devraient comparer les habitudes de consommation de substances avant et après l’utilisation de ces services, déterminer si des changements se sont produits et établir si les délais d’intervention plus longs se traduisent par un risque accru de décès par surdose en milieu rural.

L’accès à la technologie a été décrit comme un obstacle à l’utilisation des services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose en région rurale. Selon des travaux de recherche menés auprès de personnes consommatrices de substances dans le centre‑ville de Vancouver, seulement 45 % des personnes qui ont recours aux services de consommation supervisée ont accès à un téléphone cellulaireNote de bas de page 55. S’il se peut que ce pourcentage ne soit pas représentatif des personnes consommatrices de substances vivant en milieu rural et ayant accès à un téléphone cellulaire, il est important de noter que le fossé numérique est vraisemblablement toujours réel pour ces collectivités. Le fait de combler le fossé numérique qui touche ces collectivités pourrait aider à aplanir non seulement les obstacles à la réduction des méfaits qui repose sur l’utilisation de services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose, mais aussi les obstacles à la réduction des méfaits qui repose sur d’autres services Internet, comme les programmes de réduction des méfaits par courrielNote de bas de page 56Note de bas de page 57, les mesures de soutien social et les programmes de traitement comme le programme virtuel de traitement de la dépendance aux opioïdes de l’AlbertaNote de bas de page 56.

Points forts et limites

Notre étude comporte plusieurs points forts. En effet, elle permet notamment d’approfondir les connaissances sur la consommation de substances et les attitudes à l’égard de la réduction des méfaits dans les collectivités rurales, éloignées ou autochtones du Canada. En revanche, quelques limites doivent être prises en compte lors de l’interprétation des résultats. Même si nous avons recruté une variété de personnes consommatrices de substances vivant en milieu rural, il convient de noter que les types de collectivités rurales faisant partie de l’échantillon à l’étude présentaient une grande hétérogénéité, ce qui fait que les résultats que nous avons obtenus pourraient ne pas être valides pour l’ensemble des collectivitésNote de bas de page 58. Toutes les personnes interviewées dans le cadre de notre étude avaient accès à des téléphones cellulaires et à d’autres technologies, ce qui fait que leurs réponses correspondent à un sous-groupe de population de personnes consommatrices de substances vivant en milieu rural. Nos méthodes de recrutement ont eu tendance à favoriser les personnes qui avaient déjà accès à des ressources de réduction des méfaits ou à des services de traitement, et nous n’avons pas sollicité les personnes qui n’avaient accès à aucune mesure de soutien. Bon nombre de répondants provenaient de la Colombie-Britannique ou de l’Alberta leurs points de vue ne sont pas forcément généralisables au reste du Canada.

Conclusion

Selon les membres des collectivités rurales, éloignées ou autochtones que nous avons interviewés, les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose pourraient constituer une ressource de réduction des méfaits apte à sauver des vies et ajustée socialement, d’autant plus que la stigmatisation associée à la consommation de substances a été perçue comme plus marquée dans ces collectivités. La plupart des participants considéraient qu’il était plus sécuritaire d’utiliser ces services que de consommer des substances en solitaire et espéraient que le recours combiné aux SMU et à des intervenants non professionnels issus de la collectivité pourrait contribuer à sauver des vies. Dans les régions rurales, les services d’intervention par téléphone et par application en cas de surdose devraient comporter une formation visant à aider les intervenants à mieux comprendre le fonctionnement des adresses et les stratégies (souvent informelles) de navigation en milieu rural; devraient prendre en compte les conditions météorologiques défavorables au moment d’établir le temps d’attente potentiel; devraient tenter de mobiliser des intervenants alliés non professionnels au sein de la collectivité (et leur offrir une protection juridique ainsi qu’un soutien en santé mentale adéquats) afin de raccourcir les délais avant l’arrivée des SMU et devraient offrir des services anonymes et discrets qui protègent la confidentialité des personnes consommatrices de substances. Enfin, la possession de technologies et la connectivité cellulaire ont été citées comme des obstacles permanents à l’accès aux services pour les personnes consommatrices de substances au sein de ces collectivités.

Remerciements

Nous tenons à remercier sincèrement les participants d’avoir pris le temps de participer à cette étude. Nous aimerions aussi remercier Reed Charbonneau et Victoria Horn pour leur aide dans le recrutement des participants. Enfin, nous souhaitons remercier le Dr Tyler Marshall pour son soutien méthodologique, de même que Adrian Teare et Jayelle Warken, qui nous ont prêté main-forte lors de la phase de collecte de données du projet.

Financement

Cette étude a été financée par une contribution du Programme sur l’usage et les dépendances aux substances (PUDS) de Santé Canada. L’étude a également été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Le PUDS et les IRSC n’ont aucunement participé à la conception de l’étude, à la collecte et à l’analyse des données, à l’interprétation des résultats ou à la décision de soumettre le manuscrit pour publication.

Conflits d’intérêts

MG est cofondateur du Service national d’intervention en cas de surdose (NORS) et est membre de la Société médicale canadienne sur l’addiction mais n’a aucun conflit d’intérêts personnel d’ordre financier à divulguer. Les résultats de ce travail pourraient servir à présenter une demande de financement pour le NORS ou à apporter des changements opérationnels au NORS. Les autres auteurs ne sont pas affiliés au NORS ni à aucun autre service d’intervention téléphonique ou en ligne en cas de surdose et n’ont aucun conflit d’intérêts à déclarer.

Contributions des auteurs et avis

  • DV, MG : conception.
  • DV, MM, AL, FJ : curation des données.
  • DV, WR, MM, AL, FJ : analyse formelle.
  • MG : obtention de fonds.
  • DV, MM, AL, FJ : enquête.
  • DV, MM, AL, FJ, SZ, MG : méthodologie.
  • MG : supervision.
  • DV, WR, MG : rédaction de la première version du manuscrit.
  • DV, WR, MM, KW, ET, AL, FJ, SZ, MG : relectures et révisions.

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2024-11-27