Recherche quantitative originale – Associations entre les expériences négatives liées à la COVID-19 et les symptômes d’anxiété et de dépression : étude fondée sur un échantillon national canadien représentatif

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Sandy Rao, M.S.S.Note de rattachement des auteurs 1; Gina Dimitropoulos, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3; Jeanne V. A. Williams, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 4; Vandad Sharifi, M.D.Note de rattachement des auteurs 4Note de rattachement des auteurs 5; Mina Fahim, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 4; Amlish Munir, M.D.Note de rattachement des auteurs 6; Andrew G. M. Bulloch, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 4; Scott B. Patten, M.D., Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 4

https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.2.03f

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Attribution suggérée

Cet article de recherche par Rao S et al. dans la Revue PSPMC est mis à la disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0 International

Rattachement des auteurs
Correspondance

Scott B. Patten, Université de Calgary, 2500, promenade University Nord-Ouest, Calgary (Alberta)  T2N 1N4; tél. : 403-220-8752; courriel : patten@ucalgary.ca

Citation proposée

Rao S, Dimitropoulos G, Williams JVA, Sharifi V, Fahim M, Munir A, Bulloch AGM, Patten SB. Associations entre les expériences négatives liées à la COVID 19 et les symptômes d’anxiété et de dépression : étude fondée sur un échantillon national canadien représentatif. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2024;44(2):60-70. https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.2.03f

Résumé

Introduction. Parmi les répercussions généralisées de la pandémie de COVID-19, l’aggravation marquée des symptômes d’anxiété et de dépression est devenue une préoccupation urgente. Dans cette étude, les auteurs ont analysé la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression au Canada de septembre à décembre 2020, en évaluant les influences démographiques et socio-économiques ainsi que le rôle potentiel des diagnostics de COVID-19 et des expériences négatives liées à la maladie.

Méthodologie. Les données ont été tirées de l’Enquête sur la COVID-19 et la santé mentale réalisée par Statistique Canada, qui a utilisé un plan d’échantillonnage à deux degrés pour recueillir les réponses de 14 689 adultes dans les dix provinces et les trois capitales territoriales, en excluant moins de 2 % de la population. Ces données ont été recueillies au moyen de questionnaires électroniques auto-administrés ou d’entrevues téléphoniques. Nous avons utilsé des techniques d’analyse comme les fréquences, les tableaux croisés et la régression logistique pour évaluer la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression, les caractéristiques sociodémographiques des Canadiens présentant des symptômes accrus d’anxiété et de dépression et l’association de ces symptômes avec les diagnostics de COVID-19 et les expériences négatives vécues pendant la pandémie.

Résultats. L’étude a révélé que 14,62 % (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 13,72 % à 15,51 %) des répondants présentaient des symptômes de dépression et que 12,89 % (IC à 95 % : 12,04 % à 13,74 %) ont fait état de symptômes d’anxiété. Aucune différence nette n’a été observée quant à la prévalence des symptômes entre les personnes infectées par la COVID-19 ou les proches d’une personne infectée et les personnes n’ayant pas vécu ces situations. Toutefois, il y avait de fortes associations entre les facteurs de risque classiques de symptômes de dépression et d’anxiété et les expériences négatives vécues pendant la pandémie, comme des problèmes de santé physique, la solitude et des difficultés dans les relations personnelles au sein du ménage.

Conclusion. L’étude fournit un aperçu du lien entre COVID-19 et santé mentale au sein de la population canadienne en révélant une prévalence accrue des symptômes d’anxiété et de dépression associés aux épreuves liées à la COVID-19 et aux déterminants courants de ces symptômes avant la pandémie. D’après nos résultats, la santé mentale en période de pandémie a été principalement façonnée par les déterminants classiques des symptômes de dépression et d’anxiété ainsi que par les expériences négatives vécues au cours de la pandémie.

Mots-clés : COVID-19, anxiété, dépression, santé mentale, solitude

Points saillants

  • Dans cette étude, nous avons analysé les effets des expériences négatives vécues en contexte de pandémie de COVID-19 sur la santé mentale au Canada.
  • L’étude a révélé que, de septembre à décembre 2020, 15 % des Canadiens ont obtenu un résultat positif au dépistage de symptômes de dépression et 13 % à celui de symptômes d’anxiété.
  • Les expériences négatives liées à la COVID-19, en particulier les problèmes de santé physique, la solitude et les difficultés dans les relations personnelles, ont été associées à des symptômes importants de dépression et d’anxiété.
  • Les recherches futures devraient porter sur les besoins en santé mentale des groupes qui n’ont pas été inclus dans l’ensemble de données, tels que les enfants, les communautés 2ELGBTQI+, les membres des Premières Nations vivant dans des réserves et les personnes en situation de précarité de logement.

Introduction

Le 4 mai 2023, l’Organisation mondiale de la santé a revu la classification de la COVID-19, qui est passée d’une urgence de santé publique de portée internationale à un problème de santé établi et à caractère persistantNote de bas de page 1. Malgré ce changement, les répercussions de la pandémie sur la santé mentale restent de la plus haute importance dans le discours sur la santé au Canada. Même si la littérature dont on dispose a fait la preuve d’une utilisation accrue de substancesNote de bas de page 2, d’une augmentation des idées suicidairesNote de bas de page 3 et d’une détérioration de la santé mentale autoévaluéeNote de bas de page 4 pendant la pandémie, des lacunes importantes subsistent sur le plan de la recherche. Plus précisément, les associations directes et indirectes entre les symptômes d’anxiété et de dépression et les expériences personnelles liées à la COVID-19, notamment le fait que la personne elle-même ait reçu un diagnostic de COVID-19 ou bien qu’un membre de sa famille, un ami ou une connaissance ait reçu ce diagnostic, restent sous‑étudiéesNote de bas de page 5. En outre, en accordant une bonne partie de l’attention à certaines populations spécifiques, on a négligé par inadvertance la population généraleNote de bas de page 6.

Au-delà d’un stress général attribué à la pandémie, la connaissance des composantes précises des expériences négatives propres à la COVID-19 qui contribuent à ce stress est lacunaire. En mettant l’accent sur les symptômes d’anxiété et de dépression plutôt que sur les diagnostics cliniques, cette étude adopte une approche en amont qui permet de cerner de façon proactive les problèmes de santé mentale émergents qui, faute de traitement, peuvent évoluer vers des maladies mentales officielles. Nous avons cherché à mieux comprendre les effets de la COVID-19 sur la santé mentale des Canadiens ainsi que les expériences qui y sont rattachées. Nous avons utilisé un échantillon représentatif à l’échelle nationale pour estimer la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression et pour déterminer les facteurs associés susceptibles d’avoir augmenté le risque de symptômes pendant cette période de grand stress.

Les ensembles nationaux de données sur la COVID-19 comme celui que nous avons utilisé fournissent des échelles d’évaluation des symptômes, qui servent d’outils validés permettant de faire le suivi des tendances en matière de santé mentale. Ces ensembles de données permettent l’étude de la notation des symptômes de dépression et d’anxiété au moyen d’instruments de dépistage fondés sur l’auto-évaluation, ce qui permet de surveiller la prévalence des symptômes liés à la santé mentale. Même si ces évaluations ne confirment pas les diagnostics cliniques, elles possèdent des seuils validés que les cliniciens interprètent comme un signal qu’une évaluation approfondie est nécessaireNote de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9. Il convient de souligner que, même en l’absence d’un diagnostic officiel, ces symptômes peuvent provoquer une détresse importante, compromettre le bien-être et la qualité de vie et ainsi mettre en évidence la valeur possible d’une évaluation de la santé mentale pour les personnes présentant des symptômes importants.

L’étude avait trois objectifs principaux : 1) estimer la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression dans la population du Canada entre le 11 septembre 2020 et le 4 décembre 2020; 2) analyser les caractéristiques de ce sous-groupe, notamment les personnes ayant reçu un diagnostic de COVID-19 ou ayant été en contact avec une personne atteinte de la COVID-19 et 3) identifier les facteurs négatifs liés à la COVID-19 associés à des résultats positifs au dépistage de symptômes d’anxiété et de dépression.

Méthodologie

Source des données

Cette étude se fonde sur les données de l’Enquête sur la COVID-19 et la santé mentale (ECSM) réalisée par Statistique Canada et mise à la disposition des chercheurs par l’entremise du Réseau canadien des Centres de données de rechercheNote de bas de page 10. Par conséquent, aucune autre évaluation de l’éthique n’est nécessaire en vertu de l’article 2.2 de l’Énoncé de politique des trois conseils 2 (2022)Note de bas de page 11. L’ECSM avait pour objet de recueillir des données en vue d’évaluer les expériences liées à la COVID-19 sur la santé mentale et le bien-être des Canadiens. Il est possible de consulter l’information méthodologique détaillée sur l’ECSM dans les archives de Statistique CanadaNote de bas de page 12. En bref, la population cible de l’enquête était constituée de résidents canadiens de 18 ans et plus, vivant dans les dix provinces et les trois capitales territoriales du Canada, ce qui excluait moins de 2 % de la population (les personnes vivant dans une réserve, les personnes vivant en établissement et les membres d’un collectif).

L’enquête a été réalisée selon une conception transversale à deux degrés : l’unité d’échantillonnage au premier degré était le logement et l’unité d’échantillonnage au second degré était les personnes., un échantillon aléatoire simple de logements, stratifié en fonction de la zone géographique, a été sélectionné dans chaque province et dans les trois capitales territoriales. La collecte des données a eu lieu entre le 11 septembre 2020 et le 4 décembre 2020. Les données ont été obtenues directement auprès des répondants au moyen d’un questionnaire électronique auto-administré ou d’une entrevue téléphonique assistée par ordinateur. L’enquête a permis de recueillir des données auprès de 14 689 répondants, avec un taux de réponse de 53,3 %.

Mesures

Variables sociodémographiques

Les variables sociodémographiques étaient le sexe (masculin, féminin), l’âge (18 à 24 ans, 25 à 44 ans, 45 à 64, 65 ans et plus), la composition du ménage (famille ou autre, personne vivant seule), le revenu (revenu annuel total du ménage, soit moins de 40 000 $ CA, 40 000 $ à 79 999 $, 80 000 $ à 99 999 $, 100 000 $ à 149 999 $ ou 150 000 $ et plus), la scolarité (diplôme d’études secondaires ou moins, baccalauréat ou moins, diplôme supérieur au baccalauréat), le milieu de résidence (urbain, rural); l’emploi (au cours de la semaine visée, soit n’a pas travaillé ou a travaillé), la province de résidence (Colombie‑Britannique, Alberta, Saskatchewan/Manitoba, Ontario, Québec, Est [Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve-et-Labrador], Nord [Yukon, Territoires du Nord‑Ouest, Nunavut]) et appartenance à un groupe minorisé (oui, non).

La variable relative aux groupes minorisés est une variable dérivée de l’ECMS. Les répondants se sont d’abord autosélectionnés dans des catégories prédéfinies représentant divers groupes ethniques. Par la suite, une seconde variable connexe a été établie dans l’ECMS sous forme d’ indicateur binaire indiquant si les répondants s’identifiaient comme personne minorisée ou non. Nous avons évité l’utilisation des termes « minorité visible » et « marginalisé », car ils peuvent perpétuer des stéréotypes et laisser entendre que certains groupes sont intrinsèquement moins capables ou ont besoin de protection. Nous avons plutôt utilisé les termes « minorisé » et « minorisation » afin de reconnaître que ce sont les inégalités et l’oppression systémiques qui placent les individus dans un statut de « minorité » plutôt que leurs caractéristiquesNote de bas de page 13.

Des variables portant sur les emplois liés à la COVID-19 ont aussi été incluses dans l’étude. On a demandé aux répondants s’ils étaient considérés, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, comme des travailleurs de première ligne ou des travailleurs essentiels au cours de la semaine précédente (oui, non).

Résultats en matière de santé mentale

Le questionnaire sur la santé du patient en 9 points (PHQ-9) et l’échelle de dépistage du trouble d’anxiété généralisée en 7 points (GAD-7) ont servi à évaluer les symptômes actuels (dans les deux semaines précédentes) associés à un trouble de dépression majeure (point de coupure non atteint, point de coupure atteint) et à un trouble d’anxiété généralisée (point de coupure non atteint, point de coupure atteint). Un résultat est considéré comme positif sur ces échelles au seuil de 10, ce qui nécessiterait généralement une évaluation approfondie en pratique cliniqueNote de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9.

Diagnostic de COVID-19

Les personnes interrogées dans le cadre de l’ECMS de 2020 ont été invitées à répondre à la question : « Est-ce que vous ou l’une de vos connaissances avez reçu un diagnostic de COVID-19? » Les réponses possibles étaient « oui » ou « non ». Si le répondant indiquait « oui », on posait la question « Qui a reçu le diagnostic de COVID-19? ». Les choix de réponse étaient « vous-même » (oui, non), « un autre membre du ménage » (oui, non), « un ami proche ou un membre de la famille en dehors de votre ménage » (oui, non), « un collègue de travail » (oui, non), « quelqu’un d’autre avec qui vous avez interagi au sein de votre collectivité (voisin, employé d’épicerie, gardienne d’enfants, etc.) » (oui, non) ou « autre » (oui, non). Les répondants pouvaient choisir plus d’une catégorie.

Expériences négatives liées à la COVID-19

Les personnes interrogées dans le cadre de l’ECMS de 2020 ont été invitées à répondre à la question : « Avez-vous subi l’une des répercussions suivantes en raison de la pandémie de la COVID-19? » Les choix de réponse étaient « perte d’emploi ou de revenu » (oui, non), « difficulté à respecter des obligations financières ou à répondre à des besoins essentiels (par exemple loyer ou paiements hypothécaires, services publics et épicerie) » (oui, non), « perte d’un membre de la famille, d’un ami ou d’un collègue » (oui, non), « sentiment de solitude ou d’isolement » (oui, non), « détresse émotionnelle (par exemple chagrin, colère, inquiétude, etc.) » (oui, non), « problèmes de santé physique (par exemple gain ou perte de poids, hypertension artérielle, maux de tête, troubles du sommeil, etc.) » (oui, non), « difficultés dans les relations personnelles avec les membres de votre ménage (par exemple enfants, conjoint ou conjointe, parents, grands-parents, etc.) » (oui, non). Les répondants pouvaient choisir plus d’une catégorie.

Analyse des données

L’analyse des données a été effectuée au Centre de données de recherche régional des Prairies à l’Université de Calgary à l’aide du logiciel statistique Stata, version 16.0 (StataCorp, College Station, Texas, États-Unis). Pour tenir compte de la conception de l’enquête et fournir des résultats représentatifs à l’échelle nationale, nous avons pondéré les estimations à l’aide d’un ensemble de poids de rééchantillonnage fourni par Statistique CanadaNote de bas de page 12. Pour estimer les erreurs types, les coefficients de variation et les intervalles de confiance à 95 %, nous avons appliqué un poids maître et des poids de rééchantillonnage bootstrapNote de bas de page 14. Le calcul des poids de rééchantillonnage bootstrap intègre les ajustements pour non-réponse.

Nous avons utilisé des techniques descriptives pour les données transversales, notamment l’estimation des fréquences, afin de comprendre les distributions de base de nos variables d’intérêt, dont la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression. Nous avons utilisé des modèles de régression logistique pour étudier les associations entre les symptômes d’anxiété ou de dépression et les variables sociodémographiques, les diverses catégories de diagnostic de COVID-19 et les expériences négatives liées à la COVID-19, comme la perte d’un emploi ou le décès d’un membre de la famille. Chaque catégorie de diagnostic de COVID-19 et chaque expérience négative liée à la COVID-19 a été considérée comme une variable d’exposition distincte. La signification statistique des associations a été évaluée à l’aide de tests de Wald pour les coefficients obtenus de l’analyse de régression logistique à l’aide des poids de rééchantillonnage bootstrap. Les valeurs p inférieures à 0,05 ont été considérées comme significatives.

Pour les catégories de diagnostic de COVID-19, les personnes n’ayant reçu aucun diagnostic ou ne connaissant personne ayant reçu un diagnostic de COVID-19 ont constitué le groupe de référence. Nous avons initialement estimé les rapports de cotes non ajustés et les intervalles de confiance (IC) à 95 %. Les modèles de régression logistique ajustés en fonction de l’âge et du sexe ont ensuite été adaptés pour comparer la prévalence des symptômes au sein des catégories de diagnostic de COVID-19.

Pour les expériences négatives liées à la COVID-19, les personnes n’ayant pas vécu ce type d’expérience ont constitué le groupe de référence. Après le calcul des rapports de cotes non ajustés, nous avons étudié les effets des interactions avec le sexe et l’âge en tant que déterminants des symptômes de dépression et d’anxiété. Pour les « problèmes de santé physique » et la « perte d’un membre de la famille, d’un ami ou d’un collègue », la stratification des données par groupes d’âge (18 à 44 ans et 45 ans et plus) a été effectuée en raison des interactions de ces expériences avec l’âge. En cas d’absence d’interactions selon l’âge et le sexe, les variables d’exposition aux expériences liées à la COVID-19 ont été ajustées en fonction de l’âge et du sexe.

Une modélisation statistique supplémentaire a été réalisée afin d’évaluer l’effet des covariables sur les rapports de cotes ajustés en fonction de l’âge et du sexe. Une série de modèles de régression logistique ont servi à générer les rapports de cotes ajustés et leur IC à 95 %. Ces modèles comprenaient des covariables déterminées à priori – soit le sexe, l’âge, la composition du ménage, le lieu de résidence, l’emploi et la minorisation – et ces covariables ont été codées comme nous l’avons mentionné ci-dessus, sauf que le revenu, la scolarité et la province de résidence ont été inclus après codage fictif, les catégories « 150 000 $ CA ou plus », « diplôme supérieur au baccalauréat » et « Québec » étant définies comme les catégories de référence. Il s’est avéré que le mode de collecte des données (questionnaire électronique auto-administré, entrevue téléphonique assistée par ordinateur) avait un lien significatif avec les symptômes de dépression (p < 0,001). Nous l’avons donc été ajouté aux modèles et nous avons choisi le questionnaire électronique auto-administré comme groupe de référence.

Même si la détresse émotionnelle figurait dans l’ECSM en tant qu’expérience négative liée à la COVID-19, elle n’a pas été intégrée à l’analyse des symptômes d’anxiété ou de dépression car il s’agit d’un élément des évaluations de l’anxiété et de la dépression. Il y avait peu de données manquantes (moins de 10 % pour toutes les variables) et les modèles de régression n’incluaient que les cas complets, ce qui a permis d’éviter l’imputation.

Résultats

Prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression (objectifs 1 et 2 de l’étude)

Les caractéristiques descriptives des 14 689 Canadiens admissibles à cette analyse sont résumées dans le tableau 1. L’étude a révélé que 12,89 % des Canadiens avaient obtenu un résultat positif au dépistage de symptômes d’anxiété et 14,62 % avaient obtenu un résultat positif au dépistage de symptômes de dépression. La prévalence des symptômes d’anxiété s’est avérée plus élevée chez les femmes (15,79 %) que chez les hommes (9,86 %); chez les 18 à 24 ans (20,52 %) que chez les groupes plus âgés (tableau 1); dans les ménages composés d’une famille ou d’autres personnes vivant ensemble (13,15 %) que chez les personnes vivant seules (11,40 %); chez les personnes ayant déclaré un revenu du ménage inférieur à 40 000 $ CA (14,90 %) et entre 40 000 et 79 999 $ CA (14,15 %) par rapport aux personnes ayant un revenu du ménage supérieur ou égal à 150 000 $ CA (11,38 %); chez les personnes sans emploi (14,87 %) que chez les personnes ayant un emploi (12,62 %) et enfin chez les travailleurs de première ligne (17,48 %) par rapport aux personnes ne travaillant pas en première ligne (11,81 %).

Dans le même ordre d’idées, la fréquence des symptômes importants de dépression était la plus élevée chez les femmes (16,78 %) comparativement aux hommes (12,23 %); chez les 18 à 24 ans (26,90 %) comparativement aux autres adultes (tableau 1); chez les personnes ayant déclaré un revenu du ménage inférieur à 40 000 $ CA (17,33 %) et entre 80 000 et 99 999 $ CA (16,04 %) par rapport aux personnes dont le revenu du ménage était de 150 000 $ CA (12,51 %); chez les personnes ayant un diplôme inférieur au baccalauréat (15,89 %) comparativement à celle ayant un diplôme supérieur au baccalauréat (13,04 %); chez les personnes vivant dans les centres urbains (15,45 %) comparativement aux personnes vivant en zone rurale (10,85 %); chez les personnes sans emploi (16,68 %) par rapport aux personnes ayant un emploi (14,55 %) et enfin chez les travailleurs de première ligne (19,08 %) par rapport aux personnes ne travaillant pas en première ligne (13,75 %).

Fait à noter, les résidents du Québec affichaient la prévalence la plus faible de symptômes d’anxiété (9,00 %) et de symptômes de dépression (10,75 %) par rapport à toutes les autres provinces et capitales territoriales du Canada (tableau 1).

Tableau 1. Prévalence nationale des symptômes d’anxiété et de dépression par variables démographiques et socio-économiques en contexte de pandémie de COVID-19 (septembre à décembre 2020), Canada
Variable Proportion totale des variables Symptômes d’anxiété Symptômes de dépression
% IC à 95 % Prévalence (%) IC à 95 % Prévalence (%) IC à 95 %
Prévalence au sein de la population générale   12,89 12,04 à 13,74 14,62 13,72 à 15,51
Sexe
Masculin 49,24 49,17 à 49,32 9,86Note de bas de page r 8,71 à 11,00 12,23Note de bas de page r 10,97 à 13,48
Féminin 50,76 50,68 à 50,83 15,79Note de bas de page *** 14,54 à 17,04 16,78Note de bas de page *** 15,47 à 18,09
Âge (ans)t1ch1 t1sh2
18 à 24 9,47 8,67 à 10,27 20,52Note de bas de page r 15,99 à 25,05 26,90Note de bas de page r 21,96 à 31,84
25 à 44 35,58 34,78 à 36,38 15,22Note de bas de page * 13,66 à 16,78 17,84Note de bas de page *** 16,13 à 19,55
45 à 64 32,78 32,78 à 32,78 11,93Note de bas de page *** 10,65 à 13,21 12,92Note de bas de page *** 11,66 à 14,17
65 et plus 22,17 22,17 à 22,17 7,24Note de bas de page *** 6,16 à 8,33 6,60Note de bas de page *** 5,57 à 7,62
Situation des individus dans le ménage
Famille ou autres 85,59 85,34 à 85,83 13,15Note de bas de page r 12,18 à 14,11 14,54Note de bas de page r 13,52 à 15,56
Personne vivant seule 14,41 14,17 à 14,66 11,40Note de bas de page * 10,02 à 12,77 15,11 13,63 à 16,60
Revenu total du ménage ($ CA)
< 40 000 17,28 16,39 à 18,17 14,90Note de bas de page ** 12,87 à 16,93 17,33Note de bas de page ** 15,19 à 19,48
40 000 à 79 999 27,69 26,58 à 28,80 14,15Note de bas de page * 12,38 à 15,91 15,05 13,24 à 16,86
80 000 à 99 999 11,66 10,81 à 12,50 12,25 9,53 à 14,97 16,04Note de bas de page * 13,07 à 19,00
100 000 à 149 999 20,76 19,67 à 21,85 13,02 11,13 à 14,90 14,69 12,53 à 16,84
150 000 et plus 22,61 21,50 à 23,73 11,38Note de bas de page r 9,48 à 13,28 12,51Note de bas de page r 10,56 à 14,45
Scolarité
Niveau inférieur au diplôme d’études secondaires 7,56 6,97 à 8,15 14,31Note de bas de page * 10,90 à 17,72 12,99 9,94 à 16,04
Baccalauréat ou moins 56,30 55,10 à 57,49 14,05Note de bas de page ** 12,88 à 15,22 15,89Note de bas de page ** 14,61 à 17,16
Diplôme supérieur au baccalauréat 35,78 34,59 à 36,96 10,81Note de bas de page r 9,51 à 12,10 13,04Note de bas de page r 11,67 à 14,42
Milieu de résidence
Zone rurale 17,51 16,79 à 18,23 11,55Note de bas de page r 9,92 à 13,17 10,85Note de bas de page r 9,30 à 12,40
Zone urbaine 82,49 81,77 à 83,21 13,20 12,23 à 14,17 15,45Note de bas de page *** 14,42 à 16,48
Emploi
Occupe un emploi 62,75 61,58 à 63,92 12,62Note de bas de page r 11,49 à 13,76 14,55Note de bas de page r 13,34 à 15,76
Sans emploi 37,25 36,08 à 38,42 14,87Note de bas de page * 13,40 à 16,35 16,68Note de bas de page * 15,08 à 18,27
Province de résidence
Colombie-Britannique 13,41 12,64 à 14,21 14,33 12,10 à 16,57 15,94 13,50 à 18,37
Alberta 11,41 10,73 à 12,13 15,20 12,72 à 17,69 17,58 15,06 à 20,10
Saskatchewan et Manitoba 6,17 5,85 à 6,50 13,81 12,04 à 15,58 16,48 14,63 à 18,33
Ontario 39,48 38,10 à 40,80 13,42 11,82 à 15,02 15,10 13,39 à 16,82
Québec 22,88 21,80 à 23,90 9,00Note de bas de page *** 7,60 à 10,41 10,75Note de bas de page *** 9,21 à 12,30
EstNote de bas de page a 6,49 6,20 à 6,79 15,50Note de bas de page r 13,81 à 17,18 15,57Note de bas de page r 13,87 à 17,27
NordNote de bas de page b 0,15 0,15 à 0,15 14,83 12,19 à 17,47 16,53 13,87 à 19,19
Groupe minoriséNote de bas de page c
Oui 25,12 24,08 à 26,16 11,59 9,60 à 13,59 15,11 12,89 à 17,33
Non 74,88 73,84 à 75,92 13,27Note de bas de page r 12,35 à 14,18 14,48Note de bas de page r 13,51 à 15,45
Emploi lié à la COVID-19 : travailleurs essentiels et travailleurs de première ligne
Considéré comme travailleur essentiel
Oui 50,04 48,45 à 51,63 12,61 10,96 à 14,26 13,85 12,09 à 15,61
Non 49,96 48,37 à 51,55 12,14Note de bas de page r 10,56 à 13,72 14,69Note de bas de page r 12,98 à 16,41
Considéré comme travailleur (de la santé) de première ligne
Oui 11,63 10,58 à 12,68 17,48Note de bas de page ** 13,73 à 21,24 19,08Note de bas de page ** 15,25 à 22,92
Non 88,37 87,32 à 89,42 11,81Note de bas de page r 10,62 à 13,00 13,75Note de bas de page r 12,48 à 15,02

Catégories de diagnostic de COVID-19 et associations avec les symptômes d’anxiété et de dépression (objectif 2 de l’étude)

Nous avons exploré le lien entre les catégories de diagnostic de COVID-19 (oui, non) et la présence de symptômes d’anxiété et de dépression (point de coupure atteint/point de coupure non atteint) à l’aide de rapports de cotes (RC), comme l’illustre le tableau 2. Il n’y a pas d’association statistiquement significative entre le fait d’avoir reçu soi-même un diagnostic de COVID‑19 (ou l’une des catégories subséquentes) et les symptômes d’anxiété et de dépression (p > 0,05).

Tableau 2. Rapports de cotes, rapports de cotes ajustés, valeurs p et intervalles de confiance à 95 % pour les associations entre les catégories de diagnostic de COVID-19 et les symptômes d’anxiété et de dépression
Catégorie Symptômes d’anxiétéNote de bas de page a Symptômes de dépressionNote de bas de page a
Non ajusté Ajusté selon l’âge et le sexe Non ajusté Ajusté selon l’âge et le sexe
RC Valeur p IC à 95 % RC Valeur p IC à 95 % RC Valeur p IC à 95 % RC Valeur p IC à 95 %
Vous ou l’une de vos connaissances avez reçu un diagnostic de COVID-19 1,13 0,25 (0,92 à 1,38) 1,00 0,99 (0,81 à 1,23) 1,18 0,10 (0,97 à 1,43) 1,00 0,97 (0,82 à 1,23)
Vous-même 0,83 0,77 (0,24 à 2,85) 0,86 0,81 (0,26 à 2,86) 1,37 0,48 (0,57 à 3,28) 1,44 0,40 (0,62 à 3,35)
Un autre membre du ménage 1,07 0,91 (0,36 à 3,15) 1,13 0,83 (0,38 à 3,33) 1,13 0,79 (0,45 à 2,82) 1,21 0,68 (0,48 à 3,07)
Un ami proche ou un membre de la famille en dehors de votre ménage 1,03 0,87 (0,72 à 1,48) 1,00 1,00 (0,69 à 1,44) 1,26 0,20 (0,89 à 1,80) 1,22 0,28 (0,85 à 1,74)
Un collègue de travail 1,22 0,35 (0,80 à 1,87) 1,23 0,34 (0,80 à 1,89) 1,43 0,08 (0,96 à 2,12) 1,35 0,14 (0,90 à 2,03)
Quelqu’un d’autre avec qui vous avez interagi au sein de votre communauté 1,46 0,09 (0,94 à 2,28) 1,46 0,10 (0,94 à 2,27) 0,84 0,46 (0,52 à 1,34) 0,85 0,52 (0,53 à 1,37)
Autre 0,93 0,77 (0,59 à 1,48) 0,92 0,72 (0,58 à 1,46) 0,85 0,44 (0,56 à 1,29) 0,88 0,55 (0,57 à 1,35)

Facteurs liés à la COVID-19 et association avec les résultats positifs au dépistage de symptômes d’anxiété et de dépression (objectif 3 de l’étude)

Le tableau 3 présente la prévalence et les IC connexes des symptômes d’anxiété et de dépression correspondant à différentes expériences négatives liées à la COVID-19. Parmi les Canadiens ayant fait état d’expériences négatives liées à la COVID-19, l’expérience associée à la plus forte prévalence de symptômes d’anxiété (71,08 %; IC à 95 % : 67,84 à 74,32) et de dépression (74,14 %; 71,19 à 77,10) était les sentiments de solitude et d’isolement. Les problèmes de santé physique liés à la COVID-19 arrivaient au deuxième rang de la prévalence la plus élevée de symptômes d’anxiété (56,71 %; 53,26 à 60,15) et de dépression (60,51 %; 57,26 à 63,76). La perte d’un membre de la famille, d’un ami ou d’un collègue était associée à la plus faible prévalence de symptômes d’anxiété (10,98 %; 8,66 à 13,30) et de dépression (10,88 %; 8,66 à 13,10).

Tableau 3. Fréquence des expériences négatives liées à la COVID-19 dans la population générale, avec ou sans symptômes d’anxiétéNote de bas de page a et de dépressionNote de bas de page a
Expérience
Facteurs d’expérience négative liée à la COVID-19
Proportion totale Aucun symptôme d’anxiété Symptômes d’anxiété Aucun symptôme de dépression Symptômes de dépression
% IC à 95 % % IC à 95 % % IC à 95 % % IC à 95 % % IC à 95 %
Problèmes de santé physique 23,94 (22,86 à 25,01) 19,07 (17,98 à 20,17) 56,71 (53,26 à 60,15) 17,60 (16,55 à 18,64) 60,51 (57,26 à 63,76)
Sentiments de solitude ou d’isolement 37,67 (36,49 à 38,85) 32,63 (31,40 à 33,87) 71,08 (67,84 à 74,32) 31,34 (30,13 à 32,55) 74,14 (71,19 à 77,10)
Difficultés dans les relations personnelles avec les membres de votre ménage 17,86 (16,92 à 18,80) 13,83 (12,91 à 14,75) 45,02 (41,57 à 48,46) 13,55 (12,66 à 14,44) 42,70 (39,30 à 46,10)
Difficulté à respecter des obligations financières ou à répondre à des besoins essentiels 15,42 (14,49 à 16,34) 12,52 (11,62 à 13,42) 34,23 (30,96 à 37,49) 12,20 (11,29 à 13,10) 33,67 (30,46 à 36,88)
Perte d’un membre de la famille, d’un ami ou d’un collègue 6,04 (5,46 à 6,62) 5,26 (4,69 à 5,82) 10,98 (8,66 à 13,30) 5,22 (4,65 à 5,79) 10,88 (8,66 à 13,10)
Perte d’emploi ou de revenu 25,49 (24,38 à 26,59) 23,75 (22,58 à 24,93) 36,85 (33,45 à 40,26) 23,38 (22,19 à 24,56) 37,43 (34,06 à 40,80)

Le tableau 4 présente les rapports de cotes (RC) ajustés pour les symptômes d’anxiété et de dépression avec prise en compte simultanée de toutes les covariables. Les RC non ajustés sont également inclus aux fins de comparaison. Les RC sont présentés en fonction des différentes expériences négatives liées à la COVID-19. Dans les analyses non ajustées comme dans les analyses ajustées, chacune des expériences de COVID-19 répertoriées a montré un lien statistiquement significatif avec des symptômes d’anxiété et de dépression (p < 0,05). Tant pour les symptômes d’anxiété que pour les symptômes de dépression, les problèmes de santé physique, la solitude et les difficultés dans les relations personnelles avec les autres membres du ménage offraient les RC les plus élevés.

Tableau 4. Rapports de cote non ajustés et ajustésNote de bas de page a pour un résultat positif au dépistage de symptômes d’anxiété et de dépression, par facteur d’expérience négative liée à la COVID-19, avec IC à 95 %
Facteurs d’expérience négative liée à la COVID-19 Symptômes d’anxiété Symptômes de dépression
RC non ajusté (IC à 95 %) RC ajustéNote de bas de page a (IC à 95 %) RC non ajusté (IC à 95 %) RC ajustéNote de bas de page a
(IC à 95 %)
Problèmes de santé physique 5,55 (4,74 à 6,50) 5,19 (4,34 à 6,19) 7,17 (6,16 à 8,35) 6,77 (5,72 à 8,01)
De 18 à 44 ansNote de bas de page b s. o. 4,66 (3,60 à 6,04) s. o. 5,45 (4,21 à 7,06)
45 ans et plusNote de bas de page b s. o. 6,16 (4,86 à 7,80) s. o. 8,57 (6,74 à 10,88)
Sentiments de solitude ou d’isolement 5,07 (4,29 à 5,99) 4,43 (3,67 à 5,35) 6,28 (5,32 à 7,40) 6,49 (5,41 à 7,79)
Difficultés dans les relations personnelles avec les membres de votre ménage 5,10 (4,34 à 5,99) 4,60 (3,81 à 5,55) 4,75 (4,05 à 5,57) 4,46 (3,71 à 5,36)
Difficulté à respecter des obligations financières ou à répondre à des besoins essentiels 3,63 (3,08 à 4,28) 3,10 (2,53 à 3,80) 3,65 (3,10 à 4,30) 3,52 (2,91 à 4,26)
Perte d’un membre de la famille, d’un ami ou d’un collègue 2,22 (1,71 à 2,88) 1,98 (1,47 à 2,66) 2,21 (1,71 à 2,86) 2,03 (1,52 à 2,72)
De 18 à 44 ansNote de bas de page b s. o. 2,19 (1,36 à 3,54) s. o. s. o.
45 ans et plusNote de bas de page b s. o. 1,80 (1,22 à 2,66) s. o. s. o.
Perte d’emploi ou de revenu 1,87 (1,59 à 2,19) 1,53 (1,27 à 1,83) 1,96 (1,67 à 2,29) 1,80 (1,51 à 2,14)

Analyse

Dans le cadre de cette étude, nous avons exploré la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression pendant la pandémie de COVID-19 en nous concentrant sur les caractéristiques spécifiques des Canadiens présentant des symptômes importants, notamment un diagnostic de COVID-19 et des expériences négatives liées à COVID-19, entre septembre et décembre 2020. Nos constatations confirment que la pandémie a fait peser un lourd fardeau sur la santé mentaleNote de bas de page 4Note de bas de page 15Note de bas de page 16, soulignant ainsi la nécessité d’élaborer des interventions exhaustives et stratégiques en matière de santé mentale.

Les résultats mettent en évidence des variations dans la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression selon le sexe, l’âge et les couches socio-économiques, ce qui correspond aux résultats d’autres études sur la pandémieNote de bas de page 17Note de bas de page 18. Notamment, une prévalence élevée des symptômes a été observée chez les femmes et les cohortes plus jeunes (18 à 24 ans). La littérature scientifique semble indiquer une susceptibilité accrue aux conséquences psychologiques néfastes fondée sur le sexe, observable pendant les périodes de stress élevé et de rétablissement de la pandémieNote de bas de page 18Note de bas de page 19. Cela peut s’expliquer par une convergence de facteurs de stress tels que les rôles traditionnels des hommes et des femmes, les responsabilités parentales, les disparités en matière d’emploi et un environnement sociétal propice à la violence à l’égard des femmes. Le passage à l’enseignement à domicile et la nécessité de s’occuper d’une personne âgée ont exacerbé la charge des soins, supportée principalement par les femmesNote de bas de page 20. Combinés à des systèmes de soutien réduits, ces facteurs de stress ont probablement aggravé les problèmes de santé mentale chez les femmes. En outre, la tendance des femmes à signaler davantage les symptômes que les hommes met en lumière la nécessité de mener d’autres recherches afin de cerner et d’explorer les facteurs qui contribuent à ces disparités entre les sexes.

D’après la littérature dont on dispose, la pandémie a eu d’énormes répercussions sur la santé mentale des jeunes adultesNote de bas de page 4Note de bas de page 21. Parmi les complications propres à ce groupe, citons les perturbations en milieu scolaire et en emploiNote de bas de page 22, comme le soulignent également les travaux de recherche axés sur les jeunesNote de bas de page 23Note de bas de page 24. Cependant, la manière dont les facteurs de stress liés à la pandémie exacerbent les facteurs de stress normatifs associés aux transitions scolaires et professionnelles n’est pas encore clairement établie. Néanmoins, un sous-ensemble de jeunes adultes a fait état d’un bien-être accru au cours de la phase initiale de la pandémie, exprimant une certaine satisfaction à l’égard d’un ralentissement de leur mode de vie, d’un temps de loisirs accru pour les passe-temps et l’épanouissement personnel et d’un soulagement temporaire des préoccupations liées aux études et au changement climatiqueNote de bas de page 25.

Malgré ces aspects positifs, l’entrée dans l’âge adulte reste une période de vulnérabilité pour l’apparition de troubles mentaux. Dans le contexte de la pandémie, les perturbations scolaires, les difficultés économiques, l’isolement social, la mésinformation dans les médias sociaux et l’accès restreint aux activités physiques ont probablement intensifié les problèmes de santé mentale auxquels sont confrontés les jeunes adultesNote de bas de page 24Note de bas de page 25.

Les personnes à faible revenu ou sans emploi ont affiché une prévalence plus élevée de symptômes d’anxiété et de dépression, potentiellement liés à l’insécurité financière associée à la pandémie. Cela tranche avec certaines recherches qui suggèrent que des interventions telles qu’une aide financière et des interdictions de location peuvent avoir atténué certains impacts sur la santé mentaleNote de bas de page 17. Des variations géographiques de prévalence des symptômes ont également été constatées. C’est au Québec que les gens ont présenté le moins de symptômes d’anxiété et de dépression, ce qui témoigne d’éventuelles différences spatiales en ce qui concerne les facteurs de stress ou la disponibilité des ressources en santé mentaleNote de bas de page 26Note de bas de page 27. Même s’il n’y a pas de différence significative dans la prévalence des symptômes entre les groupes minorisés et non minorisés, il ne faut pas négliger l’influence des écarts systémiques sur les résultats en matière de santé mentaleNote de bas de page 28.

Notre étude a mis en évidence les disparités professionnelles liées à la pandémie, en révélant une prévalence plus élevée de symptômes de dépression et d’anxiété chez les travailleurs de première ligne. Toutefois, paradoxalement, les travailleurs de la santé qui étaient en contact direct avec des patients atteints de la COVID-19 ont fait état de niveaux de stress inférieurs à ceux des unités non touchées par cette maladieNote de bas de page 29. Cela peut donner à penser que l’incertitude entourant la pandémie a induit un stress plus important que l’exposition directe à la maladie, cette dernière pouvant favoriser de meilleures stratégies d’adaptation grâce à une meilleure prise de conscience. On a également constaté une augmentation des symptômes d’anxiété chez les personnes en contact avec des gens ayant reçu un diagnostic de COVID-19. Les théories des crises, les construits personnels et les modèles d’anxiété chez l’adulte servent de filtre pour interpréter ces résultats, mettant en évidence une réaction de menace perçue déclenchée par l’absence de contrôle et de prévisibilité au premier stade de la pandémieNote de bas de page 30Note de bas de page 31Note de bas de page 32.

En outre, nous avons constaté que les répondants ayant des problèmes de santé physique étaient beaucoup plus susceptibles de faire état de symptômes de dépression et d’anxiété. Cela correspond aux perturbations de la prestation des soins de santé pendant la pandémie, qui pourraient avoir exacerbé des maladies chroniques préexistantes.

Nous avons également observé des tendances surprenantes, notamment que la solitude était fortement associée à des symptômes de dépression et d’anxiété, mais pas le fait de vivre seul (dans le cas des symptômes d’anxiété). Les données soulignent l’importance de faire la distinction entre l’isolement social objectif et la sensation subjective de solitude lors de la conception d’interventions visant à améliorer les résultats en matière de santé mentale. Les programmes visant à atténuer le sentiment de solitude par l’acquisition de compétences sociales et la création de liens significatifs peuvent être plus bénéfiques que la simple augmentation du nombre d’interactions sociales pendant les périodes de criseNote de bas de page 33Note de bas de page 34.

Points forts et limites

Cette étude repose sur un ensemble de données représentatif à l’échelle nationale, qui couvre une vaste diversité démographique au Canada. Cette approche nous a permis d’explorer de manière exhaustive le lien entre les expériences liées à la COVID-19 et la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression à l’échelle nationale. Surmontant les limites des recherches antérieures, qui présentaient des cadres d’échantillonnage variés, des méthodes inégales de collecte de données et une dépendance à l’égard des données d’opinion publique, cette étude donne un aperçu des profils de prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression au cours de la pandémie de COVID-19Note de bas de page 35.

Malgré ces points forts, il est essentiel de reconnaître la présence de limites intrinsèques. Par exemple, la nature transversale de l’enquête a restreint notre capacité à formuler des conclusions définitives sur les effets de la pandémie sur la santé mentale et empêche l’inférence causale. Comme l’étude repose sur des données autodéclarées et un rappel rétrospectif, des erreurs de mesure ont pu survenir.

Bien que le cadre de l’étude permette d’établir des associations, il ne permet pas de tirer des inférences causales. Par conséquent, nous suggérons que de futures enquêtes longitudinales soient menées afin de dégager des idées plus nuancées sur les types de tendances au fil du temps et les relations de causalité entre les expériences vécues pendant les urgences de santé publique et les résultats en matière de santé mentale. En outre, l’étude exclut certains sous-groupes de population, notamment les personnes en situation d’itinérance, les membres des Premières Nations vivant dans des réserves et les personnes vivant en établissement, qui sont susceptibles de présenter la plus forte prévalence de symptômes d’anxiété et de dépression.

La conception de l’étude n’a pas non plus tenu compte de l’influence possible des multiples diagnostics d’exposition à la COVID-19, ni de la gravité de la maladie chez les personnes diagnostiquées. Elle a négligé l’effet du chevauchement des expériences diagnostiques personnelles et de la connaissance des diagnostics des autres. Ces facteurs pourraient modifier la réponse psychologique à la pandémie, limitant ainsi une évaluation précise de ses effets sur la santé mentale. L’étude n’a pas intégré l’état de santé mentale préexistant des personnes sondées, un élément clé pour comprendre leur réponse psychologique face à la pandémie. Par ailleurs, bien qu’ils soient tous deux liés à des expériences de COVID-19 négatives, les concepts de solitude et d’isolement social (généralement compris comme, respectivement, la sensation subjective d’être seul et l’état objectif de l’environnement social d’un individu) ne sont pas équivalents; ces concepts étaient toutefois regroupés dans les données de l’ECSM, ce qui est susceptible de compliquer les interprétations.

Enfin, il convient de noter que les résultats de cette étude concernent la population générale au cours des premiers stades de la pandémie et qu’ils ne tiennent pas compte de développements ultérieurs importants comme l’émergence de nouveaux variants et l’introduction de vaccins. Ce contexte doit être pris en compte lors de l’étude de l’applicabilité et des implications des résultats de l’étude.

Conclusion

Cette étude visait à explorer la prévalence et les caractéristiques des symptômes d’anxiété et de dépression autodéclarés chez les Canadiens entre septembre et décembre 2020, surtout chez les personnes ayant reçu un diagnostic de COVID-19 et celles ayant vécu des expériences négatives liées à la COVID-19. Reposant sur l’ECSM, notre étude semble indiquer que d’importantes répercussions sur la santé mentale découlent de la pandémie et elle met en évidence des disparités entre différents sous-groupes de population.

Nos résultats laissent supposer que la pandémie a fait peser un lourd fardeau sur la santé mentale de la population, les femmes, les jeunes (18 à 24 ans) et les groupes à faible revenu présentant des signes de vulnérabilité accrue. Les différences spatiales laissent penser qu’il existe des facteurs de stress locaux ou de possibles lacunes dans les ressources en santé mentale. Si aucune association directe entre un diagnostic de COVID-19 et une aggravation des symptômes d’anxiété ou de dépression n’a été clairement établie, les données révèlent toutefois un lien étroit avec les expériences négatives liées à la COVID-19, ce qui fait ressortir la nécessité d’adopter des approches plus globales en matière de santé mentale. La présence de variations entre groupes d’âge, secteurs professionnels et diverses collectivités donnent un aperçu de l’influence hétérogène de la pandémie.

Même si la résilience est un phénomène souvent observé à la suite de catastrophes, phénomène qui permet à beaucoup de personnes d’éviter la psychopathologie et même à certaines de se découvrir de nouvelles forces, cette étude semble indiquer qu’il faut adopter une approche plus nuancée et plus ciblée en santé mentale, allant au-delà des effets immédiats de la pandémie sur la santé physique. Cela renforce l’importance de poursuivre la recherche et la surveillance en vue de mieux comprendre les répercussions durables de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale en tant que problème de santé persistant.

Remerciements

L’analyse a été réalisée au Centre de données de recherche régional des Prairies, qui fait partie du Réseau canadien des Centres de données de recherche (RCCDR).

Les services et activités offerts par le RCCDR sont rendus possibles grâce au soutien financier ou en nature du Conseil de recherches en sciences humaines du gouvernement du Canada, des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Fondation canadienne pour l’innovation, de Statistique Canada et des universités participantes, que nous remercions chaleureusement.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Contributions des auteurs et avis

Conception : AM, SR, JVAW, SBP.

Méthodologie : AM, JVAW, AGMB, SBP, SR.

Curation des données : SR, JVAW, SBP.

Supervision : GD, SBP.

Analyse formelle : SR, GD, JVAW, VS, MF, AM, AGMB, SBP.

Vérifications : SR, VS, MF, GD, AGMB, SBP.

Rédaction de la première version du manuscrit : SR, SBP, GD.

Relectures et révisions : SR, GD, JVAW, VS, MF, AM, AGMB, SBP.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada ou à ceux du RCCDR et de ses partenaires.

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