Recherche qualitative originale – Analyse du Fonds pour la santé mentale des communautés noires : facteurs de succès, défis et recommandations

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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : avril 2025
ISSN: 2368-7398
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Bukola Salami, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1 Mia Tulli-Shah, M.A.Note de rattachement des auteurs 1; Ifrah Abdillahi, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2; Wesley Crichlow, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 3
https://doi.org/10.24095/hpcdp.45.4.06f
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Attribution suggérée
Article de recherche par Salami B et al. dans la Revue PSPMC mis à disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0
Rattachement des auteurs
Correspondance
Bukola Salami, Département des sciences de la santé communautaire, Cumming School of Medicine, Université de Calgary, bâtiment Carl Wentzel Precision Health, 3280, Hospital Dr. NW, Calgary (Alberta) T2N 4Z6; tél. : 403-220-5171; courriel : oluwabukola.salami@ucalgary.ca
Citation proposée
Salami B, Tulli-Shah M, Abdillahi I, Crichlow W. Analyse du Fonds pour la santé mentale des communautés noires : facteurs de succès, défis et recommandations. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2025;45(4):233-243. https://doi.org/10.24095/hpcdp.45.4.06f
Résumé
Introduction. En 2018, dans le but de remédier aux iniquités en matière de santé mentale subies par les Canadiens noirs, le gouvernement du Canada a annoncé un investissement de 10 millions de dollars canadiens dans un nouveau programme de l’Agence de la santé publique du Canada intitulé « Promouvoir l’équité en santé : Fonds pour la santé mentale des communautés noires ». L’objectif de cette étude est d’analyser et de rassembler les leçons tirées de ce programme, qu’il s’agisse des succès ou des défis rencontrés.
Méthodologie. Les chercheurs ont effectué l’analyse documentaire de 15 projets participants, à partir des rapports annuels et de fin de projet de 14 organisations. Ils ont ensuite mené des entrevues avec des représentants de neuf de ces organisations. Une conception de type étude de cas intégrée a présidé à la collecte et à l’analyse des données, qui a porté sur le contenu des rapports annuels et de fin de projet ainsi que sur les thèmes des entrevues individuelles.
Résultats. L’analyse des données issues des entrevues et des rapports annuels et de fin de projet a mis en lumière trois thèmes principaux : les facteurs de succès, les défis rencontrés et les leçons apprises et recommandations à l’intention des bailleurs de fonds. Les facteurs de succès sont la rétribution et les incitatifs, l’application d’un modèle de recherche-action participative et un leadership assuré par des personnes noires. Parmi les défis rencontrés, on note les retards (dans l’obtention de l’approbation en matière d’éthique et la mise en œuvre du programme), les conséquences de la pandémie de COVID‑19 et les difficultés à maintenir des partenariats. Enfin, les leçons apprises et les recommandations qui sont ressorties en ce qui concerne les bailleurs de fonds sont qu’il faudrait un financement à long terme et plus souple, une représentation et un leadership accrus des personnes noires au sein des organismes de financement et un appui plus fort aux pratiques antiracistes chez les principaux fournisseurs de services.
Conclusion. Notre étude a permis de rassembler à la fois les défis et les facteurs de succès en matière d’appui envers le travail destiné à améliorer la santé mentale et le bien-être des personnes noires au Canada.
Mots-clés : santé mentale, Canadiens noirs, prestation de services, financement, équité en matière de santé
Points saillants
- Les facteurs de succès au sein des organisations participantes ont été la rétribution et les incitatifs, l’application d’un modèle de recherche-action participative et un leadership assuré par des personnes noires.
- Les défis ont été les retards (dans l’obtention de l’approbation de l’éthique et la mise en œuvre du programme), les répercussions de la pandémie de COVID-19 et les difficultés à maintenir les partenariats.
- Les recommandations ayant émergé de l’étude sont que les bailleurs de fonds devraient offrir un financement à plus long terme et plus souple, qu’il y ait une représentation et un leadership accrus des personnes noires au sein des organismes de financement et que soit renforcé l’appui aux pratiques antiracistes chez les principaux fournisseurs de services.
Introduction
Les Canadiens noirs souffrent d’iniquités en matière de santé mentale au Canada. Leur moins bon état de santé est attribuable aux iniquités relevant des déterminants sociaux de la santé, en particulier les disparités de revenu et la discrimination racialeNote de bas de page 1. Au Canada, les iniquités en matière de santé mentale qui sont liées à la racisation ont tout récemment attiré l’attention des fournisseurs de services et des décideurs. On associe désormais les iniquités en matière de santé mentale à un racisme systémique omniprésentNote de bas de page 2, à des iniquités similaires en matière de logement, à une inégalité des revenusNote de bas de page 3 et à des obstacles aux soins en santé mentale et aux services de promotion de celle-ci qui seraient liés à la racisationNote de bas de page 4. Le manque de représentation des Canadiens noirs au sein des principaux réseaux de soins et les carences généralisées dans une offre de soins de santé mentale qui leur soit accessible ont laissé nombre d’entre eux sans soutien.
En 2018, le gouvernement du Canada a annoncé un investissement de 10 millions de dollars canadiens dans un nouveau programme de l’Agence de la santé publique du Canada intitulé « Promouvoir l’équité en santé : Fonds pour la santé mentale des communautés noires ». Ce fonds a permis d’offrir des subventions et des contributions à l’appui de projets communautaires d’élaboration de programmes de santé mentale culturellement pertinents dans les communautés noires du Canada sur une période de cinq ans, soit de 2018 à 2023. Il a été prolongé jusqu’en 2024. Les organisations financées dans le cadre de ce programme ont fait la promotion du bien‑être mental grâce à du mentorat et à des interventions à l’échelle locale. Le programme comporte trois grands piliers : l’investissement à l’échelle de la collectivité, le renforcement des données probantes et la mobilisation des connaissances. Parmi les principes clés, il y a le déploiement d’efforts envers la lutte contre le racisme anti-Noirs; un leadership assuré par des Canadiennes et Canadiens noirs; des recherches et des programmes fondés sur des données probantes; une stratégie de prestation des programmes axée sur les déterminants sociaux de la santé; une optique d’équité en santé; des compétences et une sécurité culturelles; et enfin des partenariats et collaborationsNote de bas de page 5.
Le Fonds pour la santé mentale des communautés noires appuie les projets communautaires axés sur la promotion de la santé mentale des Canadiennes et Canadiens noirs par l’intermédiaire de deux volets de financement. Le volet d’incubation a financé à court terme les activités de renforcement des capacités qui aident les organismes communautaires et universitaires à concevoir, mettre au point et évaluer les projets favorisant la santé mentale des Canadiennes et Canadiens noirs et agissant sur ses déterminants. Le volet de mise en œuvre a offert un financement pluriannuel pour la mise en œuvre et l’évaluation des projets communautaires favorisant la santé mentale des Canadiennes et Canadiens noirs et agissant sur ses déterminantsNote de bas de page 5.
Nos travaux avaient pour but de rassembler et de présenter les leçons tirées du programme du Fonds pour la santé mentale des communautés noires de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC). Notre intention est d’orienter l’élaboration des politiques et des programmes futurs dans les domaines de l’équité en santé et de la santé mentale visant toutes les communautés noires du Canada. Les questions qui suivent ont guidé notre étude :
- Selon les rapports des organisations financées, quels ont été les succès du Fonds pour la santé mentale des communautés noires de l’ASPC, les facteurs de succès et les défis rencontrés?
- Quels sont les points de vue des organisations financées, des membres du groupe de travail et de l’ASPC quant aux succès, aux défis rencontrés, aux leçons apprises et aux possibilités d’amélioration des approches du Fonds pour la santé mentale des communautés noires de l’ASPC?
Méthodologie
Approbation du comité d’éthique
L’approbation en matière d’éthique a été obtenue du comité d’éthique de la recherche 1 de l’Université de l’Alberta (Pro00130072).
Collecte des données
Nous avons effectué deux étapes de collecte de données afin d’analyser le Fonds pour la santé mentale des communautés noires. D’abord, l’équipe de recherche a effectué l’analyse documentaire des rapports annuels et de fin de projet des 15 projets provenant de 14 organisations participantes. Sur les 15 projets, 9 représentants ont accepté de participer à des entrevues. Dans la deuxième étape, des entrevues ont été menées avec les représentants de ces 9 organisations. Toutes les organisations qui participaient au programme pour la santé mentale des communautés noires avaient été invitées à participer à notre étude. Les 9 qui y ont consenti étaient représentatives de l’ensemble plus vaste des organisations financées, étaient de type communautaire ou universitaire et étaient géographiquement représentatives.
Conception de l’étude et analyse
Les chercheurs ont opté pour une conception d’étude de type étude de cas intégrée, fondée sur l’analyse du contenu des rapports annuels et de fin de projet ainsi que sur l’analyse thématique des entrevues individuelles. Dans une étude de cas intégrée, on analyse l’ensemble selon ses différentes composantesNote de bas de page 6. Par conséquent, l’équipe de recherche a exploré chaque organisation en vase clos avant de comparer toutes les entrevues et d’analyser les rapports, afin de comprendre les effets plus larges du Fonds pour la santé mentale des communautés noires.
Revue et analyse des documents
La première étape de l’évaluation de l’expérience qu’a représentée pour les organisations le programme pour la santé mentale des communautés noires a consisté pour les chercheurs à analyser les rapports annuels fournis pour 15 projets menés par 14 organisations qui ont reçu des fonds dans le contexte du volet de mise en œuvre. Six de ces organisations (les organisations 001 à 006) ont fourni des rapports annuels pour trois ans (2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022). Deux organisations (007 et 008) ont fourni des rapports annuels pour 2019‑2020 et 2020-2021. Les sept autres organisations (009 à 015) ont produit des rapports pour un seul exercice, soit 2021-2022. Trois organisations ont également fourni des rapports de fin de projet (001, 007 et 008).
Afin de tenir compte de chacun des rapports fournis et de l’ensemble de ceux-ci, l’équipe de recherche a effectué une analyse de contenu pour chaque rapport. Dans le formulaire de réponse, on demandait notamment : « Veuillez indiquer des temps forts et des réalisations qui ont marqué la période visée par le rapport (p. ex. des innovations, de nouveaux partenariats, etc.) » et « Veuillez indiquer les difficultés ou les défis rencontrés dans le contexte de votre projet au cours de la période visée par le présent rapport (p. ex. la difficulté à toucher les populations prioritaires, des problèmes de gouvernance, de recrutement ou de collaboration avec des partenaires, des obstacles administratifs, etc.), la façon dont elles ont été résolues et les leçons apprises ». Les rapports contenaient donc de l’information sur les principaux succès, défis et facteurs de succès ainsi que des recommandations à l’intention des bailleurs de fonds.
Le contenu portant sur chaque sujet a été enregistré en fonction d’un code spécifique à chaque organisation (par exemple : « Organisation 001 – principaux succès – rétribution et incitatifs »). Pour chaque élément indiqué, par exemple « rétribution et incitatifs », nous avons ensuite vérifié tous les codes d’organisation afin de savoir combien d’entre elles avaient relevé cet élément et afin de faire ressortir des thèmes communs. Pour cela, l’équipe de recherche a analysé les messages, leur sens et les thèmes internes à chaque document (les rapports annuels et de fin de projet des 14 organisations) puis en comparant les documentsNote de bas de page 7. Cette analyse d’ensemble nous a permis de cerner des thèmes quant aux facteurs de succès, aux défis rencontrés et aux recommandations en vue d’un financement futur.
Entrevues
À la seconde étape de la collecte des données, la chercheuse principale du projet (la première auteure, BS) a mené des entrevues individuelles auprès de neuf représentants d’organisations financées par l’entremise du Fonds pour la santé mentale des communautés noires (002, 004, 005, 007, 008, 010, 012, 013 et 015). L’équipe de recherche a remis une lettre d’invitation aux membres du personnel de l’Agence de la santé publique du Canada, qui l’ont distribuée aux représentants de chaque organisation financée. Les participants intéressés ont communiqué avec l’équipe de recherche afin de participer à une entrevue. Avant leur entrevue, tous les participants ont suivi le processus destiné à obtenir leur consentement éclairé. Chaque entrevue, effectuée sur Zoom, a duré environ une heure. Les entrevues ont été enregistrées sur bande sonore et transcrites textuellement. Un guide d’entrevue semi-structurée a orienté les entrevues.
Analyse des données
La collecte et l’analyse des données ont eu lieu en même temps. Après la transcription des données, l’équipe de recherche s’est familiarisée avec celles-ci par la lecture du texte et plusieurs écoutes de l’enregistrement audio. Les données ont été analysées par thèmeNote de bas de page 8. Deux membres de l’équipe de recherche (les deux premières auteures, BS et MT) ont mis au point des codes préliminaires, après quoi elles se sont rencontrées pour s’entendre sur la structure de codage. Les principaux sujets abordés dans les rapports annuels et de fin de projet (principaux succès, défis rencontrés et facteurs de succès) ont été choisis comme codes principaux préliminaires, puis des sous-codes ont été créés dans chacune de ces catégories. Un membre de l’équipe a ensuite codé les données au moyen de la version 14 du logiciel d’analyse qualitative NVivo (Lumivero LLC, Denver, CO, États-Unis). Les codes ont été révisés et leur nombre a été réduit ou augmenté en fonction de la nature des données émergentes. Ces codes ont ensuite été remodelés et transformés en thèmes au fur et à mesure de l’approfondissement de l’analyse des données et de l’analyse comparative des entrevues.
Tout au long du processus, nous avons pris note de ce qui ressortait du contenu, entre autres au sujet de la relation entre les thèmes et les codes. Cela nous a permis de mieux définir, décrire et formuler les thèmes. Les données des entrevues ont ensuite été comparées aux données des rapports annuels et de fin de projet et l’équipe de recherche a vérifié les recoupements entre les thèmes. Nous avons communiqué les thèmes et notre rapport à tous les membres de l’équipe à des fins de rétroaction.
Résultats
L’analyse des résultats des entrevues et des rapports annuels et de fin de projet a mis en lumière trois thèmes principaux : les facteurs de succès, les défis rencontrés et les leçons apprises ainsi que les recommandations à l’intention des bailleurs de fonds. Des sous-thèmes ont permis de préciser quels facteurs avaient eu une influence sur l’expérience des organisations pendant la période de leur financement. Le tableau 1 présente une synthèse de nos constatations.
Thème | Exemples | Répercussions sur le financement et les politiques |
---|---|---|
Facteurs de succès | Rétribution et incitatifs | Malgré l’importance de la rétribution pour ce qui est d’encourager la participation aux programmes et aux interventions en santé, cette mesure a été peu appuyée. Les participants ont relevé des freins chez le bailleur de fonds quant au versement d’une rétribution aux participants. |
Projets de RAP | La nature des projets de RAP a permis aux organisations de mieux répondre aux besoins changeants des communautés pendant la prestation du programme. L’appui du bailleur de fonds envers ce type de projets a été l’un des avantages du programme pour la SMCN, en particulier pendant la pandémie. | |
Leadership assuré par des personnes noires | L’appui envers le leadership des personnes noires et la diversité raciale, de genre et orientation sexuelle a permis aux organisations d’adapter le programme et le recrutement aux populations clientes et d’intégrer des principes de l’afrocentrisme dans l’ensemble des activités. | |
Défis | Retards | Les retards ont été causés par la pandémie et les longues périodes nécessaires à l’obtention des approbations en matière d’éthique. Afin d’aider une organisation, dans une situation où le délai d’approbation en matière d’éthique par l’université était trop long, le comité d’éthique de la recherche de l’ASPC s’est chargé de traiter la demande. Cela met en évidence le fait que les bailleurs de fonds peuvent aider les organisations qui subissent des retards à cette étape de la recherche. |
Conséquences de la pandémie de COVID‑19 | Les interruptions de service, le passage en ligne des programmes et la nécessité de remanier ces derniers ont retardé la prestation des services à des populations pour qui les effets de la pandémie étaient déjà particulièrement marqués. Les bailleurs de fonds pourraient être plus accommodants au cours des crises futures. | |
Violence structurelle et défis propres à certaines communautés | Le racisme systémique, la surveillance policière excessive, le manque de logements abordables, l’homophobie et les systèmes d’oppression fondée sur le genre ont accru les besoins en soins de santé mentale des populations clientes des organisations. Certaines organisations ont laissé entendre que les bailleurs de fonds ne comprenaient pas ces questions et elles ont souligné l’utilité qu’aurait un financement souple. | |
Maintien des partenariats | Le roulement du personnel a entraîné une rupture des relations et des changements de vision qui ont eu une incidence sur le réseautage et les partenariats entre les organisations. Nous constatons donc que les collaborations fructueuses nécessitent une stabilité à long terme au sein des organisations. | |
Leçons apprises et recommandations à l’intention des bailleurs de fonds | Prolongement et assouplissement du financement | Les défis associés à la création de tout nouveaux espaces pour les personnes noires exigent un financement souple et de longue durée. |
Représentation des personnes noires et leadership | En raison du petit nombre de personnes noires parmi les représentants du bailleur de fonds, certains points ont dû faire l’objet d’explications auprès de personnes pourtant compétentes et sensibilisées, mais qui n’étaient pas noires. En fonction de leur taille, certaines organisations ont eu le sentiment de subir des pratiques de microgestion. Les petites organisations ont plutôt eu tendance à exprimer de la reconnaissance envers le soutien de l’ASPC. À l’inverse, les grandes organisations mieux établies se sont montrées critiques à l’égard d’une supervision jugée excessive. | |
Pratiques antiracistes chez les principaux fournisseurs de soins | L’élimination des obstacles à l’accès des personnes noires aux principaux fournisseurs de soins devrait aller de pair avec le fait de veiller à ce qu’elles ne se butent pas à des obstacles dans d’autres domaines ayant une incidence sur la santé mentale. Les bailleurs de fonds doivent accroître leur appui aux organisations noires. | |
Facteurs de succès
Rétribution et incitatifs
Le facteur de succès le plus souvent mentionné dans les rapports annuels et les entrevues a été la remise par les organisations d’une rétribution ou d’incitatifs destinés à encourager la participation aux diverses activités offertes. Onze organisations (001, 002, 003, 004, 005, 006, 007, 008, 009, 010, 012) ont indiqué dans un rapport annuel ou lors de l’entrevue que cet élément avait été un facteur clé de leur succès.
Les incitatifs prenaient habituellement la forme de cartes-cadeaux ou d’une rétribution financière, mais il pouvait aussi s’agir de certificats marquant l’achèvement du programme ou encore de l’accès gratuit à des services. La rétribution se serait avérée particulièrement nécessaire pour encourager la participation aux programmes virtuels. En effet, comme il pouvait y avoir à manger à l’occasion des activités en personne, cela suffisait, selon certaines organisations, à encourager la participation :
Nous avons dû chercher des solutions de remplacement [c’est-à-dire, pendant les activités en ligne, une façon de fournir des repas] afin que les gens mangent bien, donc leur donner des cartes-cadeaux pour qu’ils puissent acheter leurs propres aliments, puis leur donner aussi une rétribution allant au-delà du paiement symbolique minimal. Beaucoup de jeunes avaient du mal à joindre les deux bouts, qu’ils soient aux études ou sur le marché du travail : ils occupaient des emplois de subsistance ou faisaient partie de ménages dont le revenu est inférieur au revenu médian. Il fallait donc rétribuer adéquatement les participants. [005, traduction]
On apprend de cette entrevue qu’il était d’autant plus important, vu le passage aux activités en ligne et les répercussions économiques de la pandémie, de fournir des cartes-cadeaux pour que les gens puissent manger. Or, malgré l’importance de la rétribution dans leur contexte, certaines organisations ont senti un manque de soutien de la part des représentants du bailleur de fonds par rapport à cette rétribution. Deux organisations (005, 007) ont expliqué que les remboursements de l’ASPC avaient été très longs à venir.
Recherche-action participative
Un autre facteur important de succès a été l’utilisation de la recherche-action participative. Ce sujet a été évoqué par six organisations au cours des entrevues. Les organisations 004, 005 et 007 ont toutes trois explicitement mentionné l’utilisation de la recherche-action participative dans leurs activités et leurs travaux de recherche. Elles ont évoqué l’importance d’activités dirigées par les pairs (002, 004), la présence d’un comité consultatif (004, 013), le recours à des ambassadeurs pour établir des liens avec la communauté (012) et l’importance de la participation des intervenants communautaires (010). De plus, les organisations 006, 007 et 011 ont toutes trois souligné les avantages des méthodes de recherche-action participative dans leurs rapports annuels. Ces méthodes leur ont permis de répondre aux besoins des communautés et d’obtenir de meilleures données de recherche.
Il s’agit d’un projet dirigé par des pairs, et on les fait donc participer aux travaux dès le tout début. Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons dû complètement transformer notre modèle ainsi que les ateliers que nous allions donner dans la collectivité. Nous avons dû mettre au point nos propres ateliers. Au début, ça a été beaucoup de travail, car nous avons dû tout reprendre de zéro, mais en fin de compte ça a été à notre avantage : les pairs étaient tellement plus investis dans le travail que l’auraient été d’autres personnes. Les projets ont été très bénéfiques pour la communauté. [004, traduction]
Comme l’illustre ce participant, la recherche-action participative a été particulièrement bénéfique au début de la pandémie, lorsque les organisations ont été forcées à s’adapter. Les organisations engagées dans la recherche-action participative étaient déjà intégrées dans les communautés à qui elles offraient leurs services, ce qui fait qu’elles étaient particulièrement bien placées pour comprendre l’évolution des besoins et y répondre.
L’utilisation de la démarche de recherche-action participative a également été synonyme d’initiative axée sur la mobilisation des connaissances. Par exemple, le Centre de santé communautaire TAIBU, de Toronto, et l’ASPC ont élaboré conjointement le projet Amandla Olwazi, qui a offert des supports de connaissances et un carrefour du savoir destinés à mobiliser les connaissances sur la santé mentale des Canadiens noirs. Ce projet a également permis la tenue d’un congrès destiné à favoriser la mobilisation des connaissances. Vous trouverez plus d’information en ligne.
Leadership assuré par des personnes noires
Quatre organisations (002, 007, 012, 014) ont mentionné dans un rapport annuel que leur équipe composée d’une diversité de personnes et dirigée par des personnes noires avait été un facteur clé de leur succès. Au cours des entrevues, les organisations 002, 007, 010 et 012 ont indiqué que le fait d’avoir une équipe de direction noire et une diversité dans la représentation raciale, de genre et d’orientation sexuelle au sein des activités avaient compté dans la conception de leur programme et le recrutement de participants. Une organisation (013) a aussi souligné l’importance qu’avait eue l’intégration des valeurs et des principes afrocentristes tout au long de la conception des projets, ce qui a découlé du fait que des personnes noires occupaient des postes de direction et de décision.
Sur le plan organisationnel, je crois que le travail que nous avons accompli jusqu’à maintenant en matière d’afrocentrisme, c’est-à-dire pour offrir aux projets financés un cadre, des valeurs et des principes afrocentristes, a également été très utile, car ainsi ils correspondent bien à tous les membres de la population qu’ils visent. Nous nous retrouvons dans un espace où les remue-méninges et les discussions ont le pouvoir de nous unifier et où chacun peut se reconnaître dans ces principes. Je pense donc que ça a été très utile. [013, traduction]
Ce participant a expliqué au cours de l’entrevue que le programme s’était appuyé sur des questions liées au sens du savoir en contexte africain, à la façon dont les connaissances sont acquises dans ce contexte, aux acteurs du savoir et au mode de diffusion des connaissances. Dans un autre cas, l’organisation 007 a expliqué que ses activités s’inspiraient des pratiques poétiques propres à la République démocratique du Congo. Ces pratiques, qui ont permis aux participants d’écrire au sujet de leur famille, de leurs ancêtres et de lieux particuliers, ont contribué à leur guérison.
Défis
Retards
Les retards dans la mise en œuvre du programme ont constitué la difficulté la plus fréquemment signalée dans l’ensemble des rapports. Dans leurs rapports, 11 organisations (001, 002, 003, 004, 005, 007, 008, 010, 011, 012 et 014) ont mentionné les retards comme un défi important. Quatre de ces organisations ont développé ce sujet lors de l’entrevue (002, 003, 013, 014). C’est principalement à l’étape de l’approbation en matière d’éthique de la recherche, nécessaire à la collecte des données auprès des participants, que l’on a enregistré des retards. L’organisation 005 a fini par présenter une demande auprès du Comité d’éthique de la recherche de l’ASPC car elle n’arrivait pas à obtenir l’approbation d’une université.
Dans plusieurs cas, les organisations ont été forcées de retarder le lancement du programme ou la collecte des données parce qu’elles ne pouvaient pas obtenir l’approbation en matière d’éthique à temps pour les dates prévues. Par exemple, l’organisation 001 a dû reporter à la deuxième année toutes les activités prévues pour la première année. Les organisations 003 et 012 ont pu commencer à offrir des programmes et des services, mais la collecte de données a dû attendre l’année suivante.
Au moment où nous obtenons l’approbation [pour une demande de report du financement], deux ou trois mois se sont écoulés. Donc, disons que nous disposions d’une fenêtre de cinq mois. Pendant les deux mois d’attente de l’approbation, je ne vais pas donner suite aux projets, car qu’arrivera-t-il s’ils ne sont pas approuvés? Donc cela limite en quelque sorte le temps dont je dispose pour accomplir les activités, ce qui crée un stress. [004, traduction]
Cette entrevue est révélatrice de ce cas, mais d’autres organisations (002, 003, 013, 014) ont aussi subi des retards dans l’approbation de demandes de modification des modalités initiales des accords de financement (période ou montant du financement) et dans la mise au point des plans d’évaluation et la conclusion des accords de financement avec l’ASPC, ce qui fait que les activités du programme ont dû être repoussées.
Conséquences de la pandémie de COVID-19
Au total, 10 organisations ont signalé diverses répercussions de la pandémie de COVID-19 sur leurs projets dans leurs rapports annuels (001, 002, 003, 004, 005, 006, 007, 008, 009, 011). À l’exception des organisations 009 et 011, les organisations qui ont signalé d’importantes difficultés en lien avec la pandémie étaient toutes en activité en 2019-2020, soit l’année du début de la pandémie et des premières directives sanitaires. Parmi les difficultés rencontrées, mentionnons la nécessité de transformer les activités en personne en activités virtuelles et les problèmes d’approbation éthique et d’obtention des fonds. Plusieurs organisations ont été obligées de demander une nouvelle approbation éthique lors du passage en ligne des activités, ce qui a retardé le lancement du programme. Certaines ont également dû présenter des demandes de modification budgétaire à l’ASPC pour soit transférer le financement de la première année à la deuxième année, soit affecter à la rétribution des personnes qui participaient aux activités en ligne les fonds initialement réservés aux locaux, aux déplacements, à la nourriture et ainsi de suite.
De plus, au cours des entrevues, huit organisations (002, 004, 005, 007, 008, 010, 012, 013) ont expliqué que les répercussions de la pandémie de COVID-19 avaient constitué un défi important. Parmi ces répercussions, il y a eu les interruptions de service, le passage aux activités en ligne, la refonte des activités dans certains cas et le fait que la plupart des organisations offraient leurs services à des populations durement touchées par la pandémie. Les iniquités de revenu préexistantes, le manque de logements abordables et l’insécurité alimentaire sont devenus des préoccupations importantes par rapport à la prestation des services et à la planification du programme. Au cours de son entrevue, le représentant d’une organisation a déclaré ce qui suit :
Les gens ne pouvaient même plus payer leur loyer, parce qu’ils n’avaient pas de revenu. Il y avait de l’insécurité alimentaire. L’une des choses que nous avons dû faire a été de donner. Dans notre budget pour le programme, nous avions prévu à boire et à manger, parce que ça incite toujours les gens à venir participer. Donc, au lieu d’offrir de tels rafraîchissements, nous avons décidé de donner aux gens des bons et des cartes alimentaires, et ça a beaucoup compté. [007, traduction]
En outre, les organisations qui offraient leurs services à des populations noires aux prises avec l’action conjuguée de plusieurs formes d’oppression, par exemple les jeunes Noirs queers, ont dû composer avec des répercussions spécifiques à leur communauté. Par exemple, une organisation (012) a vu des clients sur qui on faisait déjà pression pour qu’ils se masquent le visage être affligés d’une souffrance mentale particulière en raison de l’isolement social pendant les confinements.
Violence structurelle et défis spécifiques à certaines communautés
Au cours des entrevues, cinq organisations (004, 005, 007, 010, 013) ont expliqué que la violence systémique et les iniquités avaient constitué un défi. Parmi ces iniquités, citons la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice pénale et leur sous-représentation parallèle dans les programmes de justice réparatrice, le manque de logements abordables, de faibles revenus et le racisme systémique, l’homophobie et les systèmes d’oppression fondée sur le genre. Au cours des entrevues, plusieurs organisations (004, 007, 010, 013) ont mentionné l’accroissement des besoins en santé mentale chez leurs clients à la suite du meurtre de George Floyd.
Puis le meurtre de George Floyd est survenu. Le monde entier l’a vu […] Je crois avoir constaté qu’il y avait soudain un peu plus de colère au sein de ce groupe. Certains se sont exprimés ainsi : « Nous disons cela depuis si longtemps, et personne ne nous a écoutés. Nous avons parlé du fait que la police nous brutalise. Nous avons peur de sortir de la maison, parce que nous serons interpellés du simple fait que nous sommes noirs, que nous déambulons alors que nous sommes noirs. » Vous savez, je parle d’une collectivité où les gens ne font que marcher dans la rue ou attendre un autobus. Ils ne conduisent pas nécessairement. Mais il s’agit de jeunes gens. Cela les a donc mis en colère, et ils en ont discuté. Ils ont eu l’occasion d’en discuter au sein du groupe. [007, traduction]
La vive colère et la peur de la brutalité policière qui ont suivi le meurtre de George Floyd ont clairement mis en évidence la nécessité de répondre aux besoins de la communauté au fur et à mesure qu’ils se présentent. Le participant cité ci-dessus a laissé entendre que les bailleurs de fonds ne comprennent pas nécessairement les problèmes avec lesquels les organisations et leurs clients sont aux prises et que, de ce fait, ils peuvent se montrer incapables d’offrir la souplesse nécessaire ou réticents à le faire.
Maintien des partenariats
Quatre organisations ont mentionné le maintien des partenariats pendant la pandémie comme un des principaux défis rencontrés. Dans leurs rapports, les organisations 001, 004, 007 et 010 ont évoqué la perte de partenariats. Le roulement du personnel au sein de l’organisation partenaire a souvent été en cause dans l’interruption des relations, et de telles ruptures ont freiné l’élan des projets. Les organisations 001 et 010 ont évoqué les changements de vision et les virages vers des objectifs différents des leurs causés par les changements de personnel au sein des organisations partenaires.
Par exemple, l’organisation 001 a mentionné avoir perdu un partenariat et des participants en raison de son partenariat avec une organisation qui offrait une formation sur l’inclusivité en matière de genre et d’orientation sexuelle. Dans ce cas, des activités inclusives et un partenariat avec une organisation inclusive sur le plan du genre et de l’orientation sexuelle ont mené à la dissolution d’autres partenariats et empêché la formation de partenariats potentiels. Bien que les organisations LGBTQ qui ont participé aux entrevues n’aient pas signalé de problèmes de cet ordre, un participant a indiqué que les identités queer et trans étaient souvent invisibilisées ou reléguées au second plan dans le travail à l’appui des populations clientes noires. Par conséquent, ils étaient d’avis qu’il fallait parfois beaucoup de temps pour réussir à nouer des collaborations en vue de soutenir les clients LGBTQ noirs.
Leçons apprises et recommandations à l’intention des bailleurs de fonds
Prolongement et assouplissement du financement
Une importante recommandation faite aux bailleurs de fonds est d’offrir un financement de plus longue durée et souple (002, 004, 012, 015), notamment un financement des infrastructures et un financement de base (008). Comme un participant l’a expliqué pendant l’entrevue :
Nous essayons de créer des lieux qui n’ont peut-être jamais existé ici en quelque chose comme 350 ans. Donc, si l’on pense au temps de cette façon, peut-être qu’un financement sur cinq à sept ans serait raisonnable, n’est-ce pas? Parce que nous essayons de travailler en opposition avec ces 350 années où les communautés noires ne disposaient en aucun cas de lieux où prendre soin de leur santé mentale. Les personnes noires n’avaient même pas le droit d’être, pas vrai? C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons des problèmes de santé mentale. Donc moi, je pense toujours au temps, à la façon de ralentir et d’agir de façon réfléchie. [012, traduction]
Il est vraisemblable que l’ampleur d’un tel défi exige un financement durable. De plus, certaines organisations ont expliqué que, même si leurs capacités avaient augmenté au cours de la période de financement, elles étaient revenues aux niveaux préfinancement une fois la période des projets pour le Fonds achevée. Les bailleurs de fonds pourraient aussi tenir compte du contexte plus vaste dans lequel évoluent les organisations noires au Canada. Par exemple, deux représentants ont expliqué que la rareté du financement créait une concurrence entre les organisations qui œuvrent dans le même sens (005, 010). Les bailleurs de fonds doivent donc accroître leur appui financier aux organisations noires. Ce faisant, ils favoriseraient peut-être une meilleure collaboration et des partenariats fructueux entre ces organisations.
Les organisations participantes ont également indiqué que le travail administratif pourrait être mieux organisé. Les formulaires de rapport sur l’atteinte des objectifs financiers et l’incidence pourraient être plus clairs et plus faciles à remplir, car la bureaucratie est un obstacle au succès du programme (005, 010, 015). Par ailleurs, une organisation a suggéré à l’ASPC de s’appuyer sur sa réputation pour faciliter les partenariats avec des établissements qui sont peu susceptibles de rencontrer des organisations (comme des conseils scolaires) sans ce lien (002). En jouant un rôle d’intermédiaire dans les partenariats, l’ASPC veillerait à ce que les organisations continuent à être soutenues une fois la relation de financement terminée.
Représentation des personnes noires et leadership
En raison du petit nombre de personnes noires parmi les représentants du bailleur de fonds, certains points ont dû faire l’objet d’explications, même en présence de personnes compétentes ayant été sensibilisées, car ces dernières n’étaient pas noires. Ensuite, les attentes des bailleurs de fonds concernant la collecte de données ne correspondaient pas toujours aux pratiques des organisations (005). De plus, il aurait fallu consacrer un financement particulier à des évaluations antiracistes menées par des tiers (002). En raison de ces lacunes, certaines organisations ont eu l’impression que les bailleurs de fonds ne comprenaient pas vraiment les problèmes auxquels doivent faire face les organisations et les populations à qui elles offrent leurs services (002, 005). Enfin, les demandes transmises à l’ASPC par les équipes de projet en vue d’obtenir les services d’un évaluateur tiers non blanc n’ont pas toujours pu être satisfaites. Le manque d’évaluatrices et d’évaluateurs noirs et le fait que la principale personne-ressource pour l’évaluation était blanche ont aussi constitué un défi.
Vous savez, nous recueillons des données, et nous le faisons à notre façon […] Ce projet est encadré par un processus d’évaluation très, très rigoureux, comme vous le savez probablement. Nous avons donc un évaluateur dont le travail est intimement intégré au nôtre; ce dernier s’assure que le projet permet effectivement d’accomplir le travail prévu, et je pense que c’est positif, car cela donne de la crédibilité à ce travail. Mais, vous savez, nous nous demandons tout de même si les organisations non noires ou non racisées sont soumises à un processus d’évaluation aussi rigoureux que nous. [005, traduction]
Ici, la personne qui participait à l’entrevue a abordé le fait que, même si un degré élevé de communication entre l’ASPC et l’organisation était parfois bénéfique, cette dernière avait également l’impression que les bailleurs de fonds la microgéraient parce qu’il s’agissait d’une organisation noire. Le sentiment de subir des pratiques de microgestion dépendait de la taille des organisations. En effet, les petites organisations ont plutôt eu tendance à exprimer de la reconnaissance envers le soutien de l’ASPC. À l’inverse, les grandes organisations mieux établies ont eu l’impression d’une supervision excessive.
Antiracisme et anti-oppression chez les principaux fournisseurs de services
Finalement, des personnes ayant participé aux entrevues ont conseillé aux bailleurs de fonds d’appuyer le travail qui vise à renforcer la lutte contre le racisme envers les personnes noires. L’élimination des obstacles à l’accès des personnes noires auprès des principaux fournisseurs de soins devrait aller de pair avec le fait de veiller à ce qu’elles ne se butent pas à des obstacles dans d’autres domaines ayant une incidence sur la santé mentale, tels que le logement (008). Parallèlement à ces mesures, les bailleurs de fonds doivent être plus conscient du racisme envers les personnes noires et du rejet des spécificités noires et produire des données ventilées selon la race afin d’améliorer la compréhension du lien entre le racisme structurel envers les personnes noires et les déterminants sociaux de la santé (010, 013, 015). L’ASPC et les autres bailleurs de fonds pourraient également tenir compte du contexte de financement plus vaste dans lequel les organisations noires exercent leurs activités au Canada, car la rareté du financement crée une concurrence entre les organisations engagées dans des travaux de même nature. Les bailleurs de fonds doivent donc accroître leur appui aux organisations noires. Ce faisant, ils contribueraient sans doute à améliorer la collaboration et les partenariats entre ces organisations.
Je dirais donc que, puisque le système de santé est si vaste et compte tant de gens, il faudrait vraiment que l’ASPC trouve des façons d’agir par rapport aux personnes qui ont grandi sans jamais connaître de Canadiens noirs : ces personnes doivent améliorer leurs connaissances au sujet des différentes cultures des Canadiens qui ne sont pas blancs. Il faudrait vraiment que du financement soit offert à des organisations dirigées par des personnes noires, afin que celles-ci contribuent à familiariser les gens avec les besoins des personnes noires. [008, traduction]
Au cours de cette entrevue, nous avons appris que la multiplication des actions contre le racisme constituait la meilleure façon de veiller à ce que les personnes noires ne se trouvent pas devant des obstacles dans les établissements du système de santé publique et du réseau de soins, mais aussi dans les autres domaines ayant une incidence sur la santé mentale, qu’il s’agisse du logement, du revenu, de l’emploi ou de l’éducation, qui sont tous des déterminants sociaux de la santé, notamment de la santé mentale.
Analyse
Bien que les participants aient évoqué plus de défis que de facteurs de succès, la majorité d’entre eux ont indiqué qu’ils avaient gagné à participer au programme. Nos constatations donnent à penser que l’appui apporté par le programme pour la santé mentale pour les communautés noires au renforcement des capacités au sein des organisations financées s’est globalement avéré être un succès, mais l’amélioration du programme demeure souhaitable. Parmi les facteurs d’obtention de succès par les organisations, mentionnons la capacité de verser une rétribution et des incitatifs aux participants, l’intégration de la recherche-action participative dans la conception des projets et la collecte des données, ainsi que le fait d’avoir mis le leadership de personnes noires au cœur de la prestation du programme.
Ces résultats vont dans le sens de nombreuses constatations antérieures selon lesquelles il y a des avantages à offrir des incitatifs destinés à encourager la participation communautaire aux interventions en santéNote de bas de page 9Note de bas de page 10. Toutefois, la rétribution a également suscité des débats sur le plan de l’éthique. Certaines personnes déconseillent plutôt l’utilisation d’incitatifs pécuniaires à la participation (voir, par exemple, la publication de HeadNote de bas de page 11, qui affirme s’inquiéter du fait que de telles mesures puissent inciter des participants à accepter des entrevues alors qu’ils n’ont « rien d’utile » à apporter à la recherche). D’autres auteurs invitent les chercheurs qui œuvrent directement auprès des populations à établir dès le départ les règles qui entoureront les incitatifs à la rechercheNote de bas de page 12. Néanmoins, ni l’un ni l’autre de ces points de vue ne semble prendre en considération les participants, dans toute la diversité de leurs besoins, comme de précieux acteurs de la recherche de statut égal à celui des chercheurs. Or, au cours de notre étude, nous avons justement constaté la nécessité d’établir des relations de réciprocité entre les fournisseurs, les équipes de recherche et les membres des communautés et d’apprécier à leur juste valeur les efforts des participants.
Dans le contexte des approches ascendantes de la collecte des données, de la mobilisation des connaissances et de la prestation des services, par exemple la recherche-action participative, on n’a pas à prévoir de règles rigides en ce qui a trait aux incitatifs et à la rétribution, ni à se préoccuper de savoir si la valeur que les chercheurs peuvent tirer des participants en vaut le coût. Les organisations qui ont participé à notre étude ont plutôt expliqué qu’elles devaient pouvoir se réorienter et adapter les incitatifs aux besoins des populations clientes à qui elles offrent leurs services. Il serait judicieux d’envisager nos conclusions concernant les incitatifs parallèlement aux constatations favorables, d’une part, aux travaux de type recherche-action participative qui appuient la recherche et la prestation de services effectuées auprès des populations et, d’autre part, au financement ciblant de tels travaux. Un article récent a mis en évidence les défis de la recherche-action participative, dont le risque qu’il y ait une inégalité de pouvoir entre chercheurs et participantsNote de bas de page 13. Or le fait de ne pas offrir d’incitatifs pertinents, suffisants et souples risque de nuire aux efforts de la recherche-action participative.
Le troisième facteur de succès, le leadership des personnes noires, a permis aux organisations de fonder leurs activités de prestation de services, de collecte de données et de mobilisation des connaissances sur la pertinence culturelle et sur l’action contre le racisme. Le leadership assuré par des personnes noires a permis d’intégrer dans les activités des pratiques afrocentristes comme la rédaction de poèmes sur les ancêtres. L’idée selon laquelle il faut une représentation de la diversité dans l’ensemble du système de santé, notamment parmi ses dirigeants, a récemment gagné en popularitéNote de bas de page 14Note de bas de page 15. Nous joignons notre voix à ces appels à favoriser le leadership des personnes noires dans les activités et les travaux de recherche en santé mentale menés auprès des populations et, de même, nous croyons nécessaire une représentation accrue des personnes noires au sein des organismes bailleurs de fonds.
Parmi les principaux défis, mentionnons les retards (qu’ils soient liés à la pandémie de COVID-19 ou indépendants de celle-ci) ainsi que les répercussions des confinements, la violence structurelle et les défis spécifiques à certaines communautés, ainsi que les difficultés liées au maintien des partenariats. Les retards étaient le plus souvent liés à l’obtention de l’approbation en matière d’éthique, mais ils se sont produits aussi parfois lorsque des organisations souhaitaient modifier leur demande de financement ou cherchaient à mettre un point final à leur plan d’évaluation et à leur accord de financement avec l’ASPC. Des études ont d’ailleurs révélé que la recherche auprès des communautés marginalisées faisait souvent face à des retards similaires dans l’approbation en matière d’éthique en raison du manque de représentation au sein des comités d’évaluation institutionnels, des hypothèses idéologiquement biaisées en ce qui a trait à la vulnérabilité et des interprétations divergentes du risque selon les chercheurs, les participants et ces comitésNote de bas de page 16Note de bas de page 17. Les comités d’évaluation institutionnels ont également été critiqués pour avoir institutionnalisé l’« ignorance coloniale » en séparant le risque du contexte structurelNote de bas de page 18. Le financement futur pourrait tenir compte de ce fardeau accru qui pèse sur la recherche menée auprès des communautés noires. On pourrait aussi simplifier les processus d’attribution et réduire les obstacles.
En conséquence de la pandémie, les organisations ont dû s’adapter et transférer leurs services en ligne, modifier le type de rétribution et d’incitatifs offerts et transformer la prestation des services afin de relever de nouveaux défis en matière de santé mentale. De façon générale, nos constatations vont dans le sens des travaux antérieurs sur les interruptions dues à la pandémie et la possibilité de faire preuve de souplesse dans le financement et la prestation des services en situation de criseNote de bas de page 19. Elles mettent également en évidence l’ampleur de l’iniquité en ce qui concerne les déterminants sociaux de la santé et révèlent ce en quoi l’interaction de désavantages tels que la pauvreté, la discrimination raciale et l’homophobie ont une influence sur l’expérience et les besoins des populations clientes des organisations. Par ailleurs, il est important d’admettre que la souplesse est nécessaire même en l’absence de situation de crise mondiale. Comme nous l’avons appris de l’organisation 012, on donne souvent forme à des activités dans des types d’espaces autrefois inexistants pour les Canadiennes et Canadiens noirs. Cette population est sous-représentée au sein du système de soins de santé mentale et souffre d’une insuffisance de soins systémique. En fait, c’est l’absence d’une approche des soins de santé mentale aux Canadiennes et Canadiens noirs de nature éclairée, antiraciste et culturellement adaptée qui a mené à l’élaboration et à la mise en œuvre du Fonds pour la santé mentale des communautés noires.
À la suite du meurtre de George Floyd par des policiers de Minneapolis, les principaux acteurs de la prestation des services et de la recherche médicale se sont mis à explorer de près les liens entre le racisme systémique et la santéNote de bas de page 20. Des études ont permis d’établir que la discrimination raciale était un facteur clé de la survenue de problèmes de santé mentaleNote de bas de page 21. D’autres ont exploré la limitation de l’accès aux services dont souffrent de nombreuses personnes racisées en raison du racisme systémique (dont les préjugés des fournisseurs) au sein du système de santéNote de bas de page 22. Nos constatations devraient attirer l’attention des bailleurs de fonds sur les principaux déterminants de la santé mentale que sont la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice pénale et leur sous-représentation parallèle dans les programmes de justice réparatrice, le manque de logements abordables, de faibles revenus et le racisme systémique, l’homophobie et les systèmes d’oppression fondée sur le genre.
Le Fonds pour la santé mentale des communautés noires a mis en évidence l’importance des partenariats et de la collaboration. Le programme pourrait d’ailleurs offrir un soutien accru aux organisations en la matière. En effet, le maintien des partenariats pendant la pandémie a été mentionné comme l’un des principaux défis par quatre organisations, et d’autres ont expliqué qu’elles avaient eu de la difficulté à former ou à maintenir des partenariats en raison de visions divergentes, du roulement du personnel chez les partenaires ou du fait qu’elles étaient peu connues. Il s’agit d’une lacune à laquelle les futurs bailleurs de fonds pourraient envisager de remédier par des moyens autres que pécuniaires. Par exemple, comme ils jouissent d’une réputation enviable, les bailleurs de fonds tels que l’ASPC pourraient utiliser cette réputation pour organiser des rencontres entre les organisations et leurs partenaires potentiels.
On peut tirer d’importantes leçons des facteurs de succès évoqués et des défis rencontrés, et il existe des moyens pour les bailleurs de fonds d’améliorer l’aide financière à l’avenir. D’abord, un financement de longue durée et offrant une certaine souplesse pourrait contribuer au renforcement permanent des capacités. Ensuite, s’ils tenaient compte du contexte dans lequel de nombreuses organisations noires exercent leurs activités, les bailleurs de fonds pourraient mieux comprendre ce en quoi la maigreur du financement passé et présent dresse les organisations les unes contre les autres et est peu propice aux partenariats et à la collaboration. Le leadership assuré par des personnes noires a été un facteur important dans les succès des organisations, mais le manque de représentation des personnes noires parmi le personnel des bailleurs de fonds a constitué un défi pour plusieurs organisations. Nous avons appris que des attentes contradictoires en matière de collecte de données et un manque d’évaluateurs indépendants noirs avaient donné à certaines organisations l’impression d’être davantage microsupervisées que les organisations non noires. Enfin, les participants ont indiqué que les bailleurs de fonds devraient encourager les travaux qui accroissent les compétences antiracistes chez les principaux fournisseurs de services.
Points forts et limites
Parmi les points forts de notre étude, il y a le processus en deux étapes au cours duquel l’équipe de recherche a d’abord effectué une analyse du contenu des rapports annuels et de fin de projet fournis par les organisations qui avaient reçu des fonds par l’entremise du programme pour la santé mentale des communautés noires. Cette première étape a permis de peaufiner un guide d’entrevue et ainsi de recueillir plus de renseignements par rapport aux principales constatations tirées des documents. Toutefois, nos travaux ont été limités par le fait que certaines organisations n’ont pas fourni de rapports annuels pour toutes les années et que seulement trois organisations avaient des rapports de fin de projet prêts au moment de l’étude. De plus, des représentants de seulement 9 organisations sur les 14 ont accepté de participer à l’entrevue (deux des participants étaient affectés à deux projets différents menés par la même organisation). Malgré ces limites, l’analyse des entrevues a conduit à une saturation des données, et nous pensons avoir acquis une vue d’ensemble de la mise en œuvre du Fonds pour la santé mentale des communautés noires.
Conclusion
Le Fonds pour la santé mentale des communautés noires a permis d’offrir un financement pluriannuel à diverses organisations pour l’élaboration de programmes de santé mentale axés sur les personnes noires au sein des communautés noires du Canada. Dans le cadre de cette étude, nous avons opté pour une conception de type étude de cas intégrée afin d’explorer l’expérience des organisations qui avaient reçu ce financement. Nous avons constaté qu’une rétribution et des incitatifs, l’organisation d’activités selon le modèle de la recherche-action participative et le leadership des personnes noires avaient favorisé l’obtention de succès par les organisations. Parmi les défis rencontrés par les organisations tout au long de la période de financement, notons les retards, les répercussions de la pandémie de COVID-19, la violence structurelle et les défis spécifiques à certaines communautés ainsi que la difficulté à maintenir des partenariats.
Les bailleurs de fonds pourraient appuyer davantage la rétribution des participants et les incitatifs à participer; continuer d’appuyer le modèle de la recherche-action participative et d’autres outils aptes à aider les organisations à répondre aux besoins changeants des communautés; continuer de favoriser un leadership assuré par des personnes noires et la diversité dans la gestion des programmes; aider les organisations qui subissent des retards à obtenir l’approbation en matière d’éthique; renforcer l’aide en situation de crise comme celle que nous avons tous vécue au début de la pandémie de COVID-19; mieux tenir compte des problèmes causés par le racisme systémique et la violence structurelle; offrir une stabilité de longue durée aux organisations grâce à un financement à long terme de nature souple et enfin viser une représentation accrue des personnes noires au sein des organismes de financement.
En ce qui concerne la levée des obstacles, une analyse intersectionnelle fondée sur la théorie critique de la race pourrait s’avérer utileNote de bas de page 23Note de bas de page 24Note de bas de page 25. Cela reviendrait à délaisser le cadre des compétences culturelles individuelles au profit de questions structurelles, ainsi qu’à remettre en cause deux idées propres au libéralisme au sujet de la loi (ou des politiques), la première voulant que celle-ci soit aveugle à la couleur de la peau et la seconde, que cette vision sans couleur soit supérieure à une vision consciente de la race. Maintenir au centre des discussions sur les personnes noires l’analyse intersectionnelle des compétences fondée sur la théorie critique de la race orientera le débat vers la remise en question du racisme envers la population noire ainsi que des positions cisnormatives et eurocentriques qui prévalent dans les services sociaux.
Les personnes LGBTQ et non binaires noires se trouvent soumises à de multiples formes de discrimination qui se superposent, comme le rejet d’une spécificité noire et un sentiment anti-LGBTQ. Les bailleurs de fonds doivent donc être plus volontaires dans leur démarche pour ce qui est d’améliorer la recherche, la prestation des soins de santé, les lois et les politiques qui ont une incidence sur les enjeux intersectionnels touchant les personnes noires LGBTQ ainsi que les personnes qui sont non binaires, les personnes aînées, celles en situation d’itinérance ou de handicap ou les personnes incarcérées, en cette période où l’on explore les recoupements entre race et orientation sexuelle au sein des communautés noiresNote de bas de page 26Note de bas de page 27Note de bas de page 28Note de bas de page 29. La recherche sur les communautés noires dans tous les domaines exige et mérite que l’on tienne compte de toute la complexité de leur situation. Refuser de tenir compte de la question complexe de l’intersectionnalité et de l’hétérogénéité des personnes noires nous enlève notre humanité.
La société impose des hypothèses cisgenres et hétéronormatives profondément enracinées, selon lesquelles il n’y a que deux sexes (masculin et féminin) et seulement deux genres correspondants (homme et femme), le fait d’être cisgenre est la seule modalité de genre « naturelle et normale », les écarts par rapport à la norme étant rares, exceptionnels et déviantsNote de bas de page 28. Parallèlement aux recommandations ci-dessus, les bailleurs de fonds doivent mieux reconnaître le racisme envers la population noire et le rejet des spécificités noires et produire des données ventilées selon la race afin d’améliorer la compréhension du lien entre le racisme structurel envers les personnes noires et les déterminants sociaux de la santé. La collaboration avec les communautés noires et la coproduction de connaissances avec elles dans le cadre d’un projet d’émancipation sont aptes à faire progresser l’état de santé mentale des membres de ces communautés.
Remerciements
Les auteurs sont reconnaissants du soutien financier que leur a fourni l’Agence de la santé publique du Canada pour la réalisation de cette étude. L’Agence de la santé publique du Canada n’a eu aucune influence sur l’analyse des données, les interprétations et les conclusions tirées de l’étude.
Conflits d’intérêts
Mme Ifrah Abdillahi était employée de l’Agence de la santé publique du Canada au moment des travaux de recherche. Elle a contribué à la conception du projet et au recrutement des participants, mais n’a pas eu accès aux données confidentielles.
Contributions des auteurs et avis
- BS : conception, organisation des données, acquisition du financement, méthodologie, gestion du projet, supervision, validation, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions.
- MT : analyse formelle, méthodologie, validation, rédaction de la première version du manuscrit.
- IA : conception, organisation des données, acquisition du financement, gestion du projet, obtention des ressources, relectures et révisions.
- WC : conception, acquisition du financement, méthodologie, relectures et révisions.
Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement la position du gouvernement du Canada.
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