Psychologie Médico-Légale Partie 3 : Chapitre 6 : Problèmes reliés au sexe et à la culture
Problèmes reliés au sexe et à la culture
Chapitre 6
Compétences multiculturelles - Théorie et pratique à l'intention des psychologues en milieu correctionnel
Joseph E. Couture, Ph.D. Note de bas de page 1
Au fur et à mesure que la composition démographique du Canada se diversifie, il devient de plus en plus important pour les psychologues de tenir compte des valeurs culturelles des différentes ethnies et de se familiariser avec ces valeurs. En effet, vu le pourcentage élevé de détenus de « culture différente » dans les prisons et les pénitenciers, il est important que les psychologues en milieu correctionnel acquièrent des compétences multiculturelles. De plus, compte tenu de la surreprésentation des Autochtones parmi les détenus, il est essentiel que les psychologues se familiarisent avec la culture autochtone.
Il est utile de se reporter aux études et recherches les plus récentes dans le domaine de la psychologie si l'on veut comprendre et apprécier les « différences culturelles ». Les résultats de ces études et recherches, contenus dans ce chapitre, servent de référence pour l'élaboration de principes et d'approches qu'il convient d'adopter à l'égard des questions liées à l'évaluation des Autochtones au Canada. Les observations liminaires établissent le contexte de l'étude des hypothèses, notions fondamentales et attitudes qui sous-tendent l'évaluation. Vient ensuite une sous-section portant sur l'évaluation des Autochtones en général. L'acculturation, à cause de son importance primordiale, fait l'objet d'une section distincte suivie d'un examen de la pertinence et de la nécessité de variables modératrices. Pour terminer, on trouvera une description de certaines questions et de certains éléments nouveaux quant à l'évaluation des détenus autochtones.
Observations liminaires
Nous savons par expérience que les Autochtones d'Amérique du Nord, en général, ont tendance à sous-utiliser les services de santé mentale. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. Cependant, l'une d'elles résiderait apparemment dans le fait que le système de santé mentale a été conçu pour répondre aux besoins des membres de la société nord-américaine dominante. Les Autochtones sont généralement d'avis que le système de santé mentale ignore tant leurs attentes quant à la prestation des services que les rôles culturels. Ainsi, de nombreux psychologues peuvent fonder leur pratique sur des préjugés, des hypothèses erronées et des renseignements insuffisants lorsqu'ils interviennent auprès de clients ou de patients dont l'identité culturelle est différente.
En outre, les partisans du courant de pensée dominant ne voient pas que les cultures autochtones au Canada, loin d'être statiques, subissent au contraire un changement en profondeur. A l'heure actuelle, de nombreuses cultures autochtones ne sont ni intactes ni tout à fait en bonne santé. On ne reconnait pas non plus l'existence d'une vision du monde propre à la nation autochtone, composée de sous-groupes distincts ayant chacun leur identité. Les Autochtones, en tant que groupe, se sont opposes à la destruction de leur vision du monde particulière. Voici ce que dit Dana (1993) a cet égard : [Traduction] « ...il existe, semble-t-il, une cohérence factorielle relativement plus importante entre les différentes tribus, de même qu'une tendance factorielle très différente de celle qu'on retrouve chez les Anglo-américains » (p. 190). On ne saurait trop insister sur la contribution de Dana à la littérature sur ce sujet. En effet, son ouvrage est une mine de renseignements pour les cliniciens, et il a grandement inspire le présent chapitre.
Au Canada, ces comportements ont freiné, voire réduit au minimum l'assimilation des Autochtones et expliquent que ces derniers ont continué de vivre dans une extrême pauvreté, d'avoir un accès relativement limite aux études, de souffrir d'isolement et de discrimination, et de lutter contre les efforts soutenus en vue de leur assimilation. La situation aujourd'hui est d'autant plus complexe que l'ensemble de la société nord-américaine est entachée de racisme systémique, subtil mais évident. Par exemple, on a tendance à attribuer les différences de comportement et de cognition a un déficit génétique au aux effets de la pauvreté et de la discrimination.
Ces constatations indiquent clairement qu'il y a un décalage marqué entre les antécédents culturels des Autochtones et les attitudes et les attentes des intervenants du système de santé mentale. Pour y remédier d'une manière responsable, il faut s'interroger tant sur le modèle de psychologie anglo-américain, axé sur les hommes, reflété par la technologie psychométrique, que sur la logique et l'intégrité de la psychologie moderne. Les attitudes courantes dans le domaine des sciences sociales influent sur les services de soins et de santé mentale offerts aux groupes culturels autochtones.
La section suivante porte sur les hypothèses qui sous-tendent l'acquisition de compétences multiculturelles.
Hypothèses
Le processus d'évaluation et les méthodes diagnostiques applicables aux troubles psychopathologiques découlent tous deux, du moins dans une certaine mesure, de jugements professionnels fondés sur des valeurs culturelles, de sorte que les résultats prévus de l'évaluation, qui sont aussi bases sur des normes découlant de la culture dominante, ne sont guère pertinents dans le cas des clients de culture différente. Par exemple, un diagnostic erroné peut mener directement au choix d'interventions inappropriées et inefficaces. Il faut donc accorder une attention particulière aux hypothèses qui sous-tendent le processus d'évaluation et les méthodes diagnostiques utilisés par les psychologues.
Ces questions fondamentales sont examinées dans ce chapitre, dans le contexte des hypothèses suivantes :
- l'évaluation clinique repose sur la collecte systématique de renseignements sur le patient dans la collectivité;
- la « compétence culturelle » fait partie intégrante de la compétence clinique générale;
- la compétence interculturelle est fonction d'un mode de prestation de services que le consommateur client et la collectivité considèrent comme crédible, dévoué, efficace et digne de confiance;
- l'apport, les attentes et l'influence de la collectivité revêtent une importance capitale pour l'évaluation des Autochtones;
- le service peut être assuré conformément aux normes culturelles fondamentales traditionnelles;
- le respect proactif du praticien a l'égard des autres est nécessairement fondé sur une plus grande prise de conscience, par ce dernier, de sa propre socialisation, de ses attitudes et de ses préjugés, ainsi que des limites de ses connaissances et compétences;
- la plupart des Autochtones du Canada sont en période de transition sur le plan culturel et subissent, a différents degrés, le stress lié à l'acculturation;
- les cultures et les collectivités autochtones au Canada aujourd'hui forment un ensemble extrêmement hétérogène;
- il ne faut pas tenir pour acquis qu'un trouble donné dépend exclusivement de l'individu et résulte, par exemple, d'un agent pathogène, d'une prédisposition génétique, de la chimie du cerveau ou de l'apprentissage en bas âge, pas plus qu'il ne dépend exclusivement de facteurs sociétaux et environnementaux, comme l'expérience de vie de l'individu; et
- la santé mentale de l'Autochtone repose sur un sentiment d'appartenance (membre à part entière de la collectivité).
Notions fondamentales et attitudes
L'un des principes déontologiques qui sous-tendent le travail des professionnels de la santé mentale est la démonstration de la compétence (Ogloff, 1995). En effet, la norme de déontologie II.6 du Code de déontologie professionnelle des psychologues (1991) prévoit que :
« en adhérant au Principe des soins responsables, les psychologues ne devraient exercer que les fonctions (sans supervision) pour lesquelles leur compétence à aider les autres est établie ».
Par conséquent, les psychologues qui interviennent auprès de personnes de différentes origines ethniques ont le devoir d'acquérir des compétences multiculturelles.
Une pratique clinique « responsable », qui comporte des compétences multiculturelles, exige :
- une sensibilisation aux effets de la vision du monde des Anglo-canadiens et des différentes visions du monde; une sensibilisation aux différences culturelles;
- il s'agit notamment de comprendre les différences dans le concept de l'actualisation de soi, d'une culture à l'autre;
- l'application d'autres modèles scientifiques; et
- des attitudes positives a l'égard de la théorie et de la pratique en matière d'évaluation dans une société pluraliste, ou les différentes visions du monde entrent parfois en conflit.
Comme l'indiquent les travaux de Dana (1993) et d'autres spécialistes, on peut adopter une approche systématique, basée sur des principes et des méthodes, pour acquérir les compétences multiculturelles nécessaires. Cette approche peut aider les psychologues à acquérir les compétences nécessaires pour assurer des services adaptés aux membres d'autres cultures, en général, et aux Autochtones du Canada, en particulier.
i) Sensibilisation aux différentes visions du monde
Différentes variables interactives et interdépendantes comme les coutumes, les usages et le langage, façonnent l'identité individuelle et collective. Ce sont ces éléments qui servent de fondement aux perceptions qu'ont les gens des services, des intervenants et de la prestation de ces services.
Il est donc important pour les psychologues d'être conscients des différences entre les coutumes, les valeurs et les croyances des minorités culturelles et celles de la culture dominante. Les sections suivantes traitent de certaines caractéristiques de la vision du monde occidental.
ii) La sensibilisation aux différences culturelles et le concept de l'actualisation de soi
Le concept de soi qui prévaut dans les pays occidentaux est individualiste ou égocentrique, il est caractérisé par un contrôle personnel et il exclut les autres personnes. On semble appuyer sans réserve le contrôle personnel que permettent d'exercer l'acquisition d'argent, le pouvoir et la reconnaissance, ainsi que les efforts déployés pour créer un monde ordonné et se définir d'une manière satisfaisante en « arrivant », en « devenant quelqu'un ».
Par contre, du point de vue traditionnel, le concept de soi chez les Autochtones est « sociocentrique », et comporte des relations élargies. Comme le dit Dana (1993) : [Traduction] « Ce soi augmenté a des responsabilités et des obligations a l'égard de différentes personnes sur lesquelles les actions de l'individu ont un effet et dont il doit tenir compte dans toute situation où il s'agit de prendre une décision ou de résoudre un problème » (p. 11).
En d'autres termes, les limites interactives entre l'individu et les autres, le soi et autrui, fluctuent dans la famille étendue, dans le clan et dans la collectivité, et ce sont elles qui fournissent un contexte et un sens.
Dans le passé, les liens étroits qui unissaient la famille ou le clan engendraient des contrôles sociaux auxquels l'individu était assujetti tout au long de sa vie et qui façonnaient son concept de soi. Dans le cas de nombreuses Premières Nations, la famille exerçait jadis un contrôle absolu sur le comportement social et la sexualité à toutes les étapes de la vie de l'individu.
Ces liens familiaux ont perdu de leur importance depuis leur contact avec les colons européens; il est devenu plus difficile de caractériser la vie de famille. Bien que l'infrastructure de la famille demeure, les processus de la vie de famille et de la vie dans la collectivité sont de plus en plus incertains. Les limites traditionnelles des liens de parenté s'estompent; pourtant, la famille demeure, selon Bea Medicine, [traduction] « ...une structure de survie adaptative » (Dana, 1993, p. 81). Elle fait remarquer que, de plus en plus, [traduction] « ...on entend par famille étendue un réseau de collectivités d'Autochtones d'Amérique du Nord qui ressemble à un village dans lequel les responsabilités sont partagées » (p. 81).
iii) Les différents modèles scientifiques et la vérification des connaissances
L'accent mis dans les pays occidentaux sur l'individualisme est compatible avec le concept de la science qu'a la société, jumelage qui influe sensiblement sur le contrôle et la responsabilité personnelles et, par conséquent, sur l'estime de soi. Par leur besoin de certitude cognitive, les psychologues, qui souscrivent à la doctrine de l'individualisme, ont tendance
Ces vues et stratégies, qui comprennent les valeurs scientifiques, le déterminisme, l'objectivisme, les données, l'enquête en laboratoire, les antécédents, l'hérédité, les données nomothétiques, les mécanismes concrets, l'élémentarisme, la cognition et la réactivité, ont permis aux psychologues de croire qu'on obtient toujours des données fiables et valables, quelle que soit l'origine culturelle du client et malgré un nombre croissant d'indices selon lesquels il semble bien que les techniques diagnostiques ne tiennent pas toujours compte des disparités culturelles (voir Greene, 1987; Triandis et Berry, 1980).
Les vues et les stratégies contraires, c'est-à-dire les valeurs, l'indéterminisme, l'intuitionnisme, la théorie, les études sur le terrain, la méthode ahistorique, l'environnement, les données idiographiques, les notions abstraites, le holisme, l'affect et la créativité exigent du psychologue qu'il se concentre davantage sur le subjectif et constituent le fondement d'une science humaine plus adaptée aux recherches et à la pratique en milieu interculturel. L'incompatibilité des méthodes traditionnellement utilisées en science et en psychologie et des méthodes considérées comme plus efficaces pour les populations multiculturelles a des conséquences graves pour l'évaluation et I'intervention auprès du client.
L'attitude occidentale tient pour acquis que tous les clients se ressemblent, recherchent le contrôle interne et assument leurs responsabilités dans leur propre vie. Les services qui leur sont assures prennent la forme d'échanges contractuels et négociés reposant sur le fait que les participants sont entièrement responsables d'eux-mêmes. Ces attentes signalent la nécessite d'un comportement autonome et d'une identité essentiellement solitaire. Par contre, selon le concept traditionnel de soi de l'Autochtone, qui est défini par rapport à autrui, l'accent mis constamment sur le soi peut paraitre étranger, préoccupant, peu souhaitable ou inutile.
Les pratiques qui ne tiennent pas compte des valeurs culturelles influent sur les besoins du client, et elles influent aussi sur le diagnostic spécifiquement. Les problèmes affectifs et psychologiques ne sont pas identifiés de façon suffisamment précise, ou bien ils sont occultes, et ils risquent d'être perçus selon une vision du monde axée sur la culture anglo-canadienne dominante.
Même lorsque les résultats des évaluations qui ne sont pas adaptées sur le plan culturel ne sont pas extrêmes, on court toujours le risque de confondre culture et psychopathologie, et psychopathologie et déviance générique, dans les cas où la psychopathologie comprend à la fois une déviance véritable et une déviance résiduelle. Cette dernière comprend un plus petit nombre de comportements fonctionnels, ces « problèmes de vie » qui ne sont pas nécessairement pathologiques mais le résultat d'expériences culturelles structurées.
iv) Théorie et pratique en matière d'évaluation
Comme l'indique l'analyse des concepts et des attitudes qui guident la psychologie traditionnelle, l'incompatibilité des approches de la culture dominante, d'une part, et des cultures différentes, d'autre part, pourrait fort bien donner lieu à une pratique qui ne tient pas compte des valeurs culturelles - ou à une pratique incompétente. Nulle part cette réalité est plus évidente que dans le domaine de la théorie et de la pratique en matière d'évaluation. Compte tenu de la portée même des problèmes à ce chapitre, on traite, dans la section suivante, des problèmes et des approches concernant l'évaluation des Autochtones.
Élaboration d'un instrument d'évaluation adapté aux Autochtones
Cette section porte sur les éléments qui doivent être pris en considération pour effectuer une évaluation clinique tenant compte des valeurs des Autochtones. À cette fin, il est important de prendre en considération tant les mesures étiques que les mesures émiques (voir Dana, 1993). On procède à cette fin à un diagnostic clinique, à une description de la personnalité, et a une description des problèmes de vie.
i) Diagnostic clinique
Plusieurs observations s'imposent ici. Il faut établir des distinctions fiables entre les psychopathologies qu'on retrouve dans la société dominante et celles qui peuvent ou non être perçues de la même façon en ce qui a trait aux comportements ou symptômes et sens dans d'autres cultures. Cela s'impose du simple fait que la définition de « trouble grave » diffère selon la culture et l'expérience. Par exemple, Johnson et Johnson (1965) déclarent : [Traduction] « dépression » chez les Sioux de Standing Rock a un sens plus inclusif que celui que lui donne le DSM-Ill; il s'agit d'un syndrome qu'on peut appeler « découragement total » (voir Dana, 1993, p. 95).
Les symptômes dans ce cas sont plus complexes que dans le cas de la « dépression » au sens du DSM-III et comprennent l'usage abusif d'alcool, la privation, la nostalgie du passé, l'esprit probablement préoccupé par l'au-delà et la mort, le voyage imaginaire au camp ou séjournent les esprits des membres de la famille décédés et, éventuellement, le désir actif de les rejoindre en voulant sa propre mort, en menaçant de se suicider ou en se suicidant effectivement. La douleur et la tristesse découleraient non seulement de la perte d'un membre de la famille, mais également d'un sentiment persistant de perte de la terre et d'une menace permanente à un mode de vie substantiellement modifié, de même qu'à la langue maternelle.
Ce syndrome présente un ensemble de symptômes qui, bien qu'ils soient propres à une culture particulière, peuvent également s'appliquer à d'autres groupes des Grandes Plaines. Il est essentiel de tenir compte des facteurs tels que ceux décrits dans cet exemple pour chacune des principales populations autochtones du Canada.
L'exemple de la dépression reflète un besoin taxinomique. Il serait utile d'ajouter un axe culturel au DSM-III pour faire en sorte qu'on accorde à la culture l'attention voulue. L'annexe I de la dernière version de l'ouvrage, le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994), traite d'une manière très générale de la pertinence de la culture. Dana (1993) recommande l'utilisation d'un pendant au DSM, soit la Classification internationale des maladies, élaborée par l'Organisation mondiale de la santé.
Marsella (1978) et Dana (1993) proposent d'autres moyens d'éviter de tomber dans le piège qui consiste à croire que les méthodes diagnostiques sont valables pour toutes les cultures (notion appelée la « distorsion culturelle ». Ces moyens comprennent les catégories émiques décrites au moyen de la méthodologie de l'ethnoconnaissance et des données de base et sur les interrelations qui permettent de déterminer la fréquence, l'intensité et la durée. A partir de telles données préliminaires, on pourrait établir des tendances objectives en ce qui a trait aux symptômes à l'aide de méthodes d'analyse comportant plusieurs variables.
ii) Description de la personnalité
La description de la personnalité, tout comme le diagnostic clinique, comporte des exigences uniques auxquelles il faut satisfaire pour effectuer des évaluations pertinentes, qui tiennent compte de la culture. Lorsqu' on examine la personnalité, il faut tenir compte tant du contenu que du processus. Les questions concernant le contenu portent sur les concepts distincts de la personnalité ou les théories globales de la personnalité, ou les deux. Lorsque c'est possible, les cliniciens doivent éviter de confondre culture et personnalité.
Les mêmes concepts n'existent pas nécessairement dans les différentes langues et dans les différentes cultures. Toutefois, même si c'est le cas, le concept n'a pas nécessairement le même sens d'une culture à l'autre. Les difficultés de traduction témoignent nettement de l'absence d'équivalence dans les concepts.
Outre les difficultés liées à la langue, les différentes visions du monde engendrent des variations dans les limites du concept du soi, le caractère souhaitable de certaines valeurs, la conceptualisation des phénomènes et le sentiment de contrôle personnel de son propre comportement et de responsabilité personnelle à cet égard. Une sélection adéquate de descriptions de la personnalité, adaptées sur le plan culturel, expliquerait l'influence du contexte de vie individuel (p. ex., la fonctionnalité des caractéristiques et des comportements face aux évènements de la vie, la résolution de problèmes pour assurer la survie, l'adaptation et le bien-être de l'individu).
Le problème de l'interprétation du comportement et des cognitions se pose à nouveau, puisque celle-ci est influencée par les différents préjugés de l'évaluateur. Il existe un préjugé qui tient à la croyance de la culture dominante à l'assimilation, à l'application d'une théorie et de méthodes axées sur les cultures européennes et aux attentes stéréotypées en ce qui concerne les comportements des groupes minoritaires. Un préjugé s'exprime sous forme de l'hypothèse des lacunes qui maintenant comprennent la « privation socioculturelle » et la « pathologie sociale » (Mays, 1985). La tendance à supposer plus de similarité que de dissimilarité entre des groupes qui diffèrent sur le plan culturel constitue également un préjugé.
Ainsi, le Minnesota Multiphasic Personality Inventory (MMPI), et maintenant le MMPI-II, sont couramment employés pour évaluer les patients ou les clients autochtones (voir Greene, 1987; Pollack et Shore, 1980; Whatley et Dana, 1989). Certains des problèmes inhérents au MMPI et au MMPI-Il, concernant l'évaluation multiculturelle, découlent des méthodes empiriques utilisées. Comme Dana l'a souligné [Traduction] « On a volontairement évité, dans les deux versions du MMPI, d'établir un lien entre les procédures empiriques de sélection des questions et les questions utilisées pour les besoins des échantillons de standardisation composés principalement d'Anglo-américains » (p.99).
Les études comparant la validité des résultats et des profils des membres de la population dominante et des Autochtones, obtenus au moyen du MMPI, font ressortir encore davantage un certain nombre des limites de cet instrument. Par exemple, d'après les travaux de Pollack et Shore, quel que soit le diagnostic, les Indiens du nord-ouest obtiennent des résultats beaucoup plus élevés pour les éléments simulation, psychopathie et schizophrénie (F, Pd et Sc). Wormith (1984) en est arrivé à des conclusions analogues dans son étude comparative des profils des détenus autochtones et non autochtones obtenus à l'aide du MMPI.
Comme on pourrait le croire à la lumière des commentaires précédents sur les différences dans l'identité ou le concept du soi des Autochtones, ces derniers peuvent être diagnostiqués, à tort, comme souffrant de troubles de la personnalité, soit la Personnalité dépendante et la Personnalité paranoïaque. Les critères descriptifs de la Personnalité dépendante contenus dans le DSM comprennent le fait pour la personne de laisser autrui prendre les décisions importantes la concernant et la subordination de ses besoins personnels à ceux d'autrui. Dans de nombreuses cultures autochtones d'Amérique du Nord, toutefois, d'autres assument cette responsabilité parce que leur concept de soi confère certaines responsabilités à des membres désignés de la famille et non parce que l'individu est incapable de fonctionner indépendamment.
Non seulement une évaluation pertinente, qui tient compte de la culture, exige que l'on tienne compte du contenu, comme on vient de le voir, mais elle doit également tenir compte du processus. Comme Dana (1993) l'a souligné [Traduction] « L'emploi de méthodes d'évaluation adaptées sur le plan culturel, lorsqu'il ne s'accompagne pas d'un mode de prestation des services acceptable sur le plan culturel, ne peut donner des résultats valables quant à la personnalité et la psychopathologie de l'individu, malgré les bonnes intentions de l'évaluateur anglo-américain, lequel peut être aimable, chaleureux, bien intentionné et dispose à accepter les autres tels qu'ils sont » (p. 107). Comme ces commentaires l'indiquent clairement, les cliniciens qui veulent acquérir des compétences culturelles doivent adopter des méthodes de prestation des services qui témoignent de la compréhension et de la prise en considération de la vision du monde qu'ont les Autochtones. Pour se familiariser avec la culture autochtone, ils doivent apprendre à connaitre les Autochtones dans leur milieu. Une formation en cours d'emploi dans le cadre d'un programme d'études autochtones portant, par exemple, sur la langue, les méthodes de guérison, la philosophie et le droit tribal, peut également se révéler utile à cette fin.
iii) Problèmes de vie
L'une des raisons importantes d'établir des taux de base pour les troubles dans des milieux culturels différents tient à la possibilité qu'il n'existe aucune distinction claire entre les troubles pathologiques spécifiques et la déviance résiduelle. Le DSM comprend certes des informations générales sur la présence et l'incidence dans différents groupes culturels de problèmes spécifiques (par exemple, abus de drogue et d'alcool, comportement antisocial, anxiété, problème d'identité personnelle, dépression, difficulté dans les relations humaines et violence physique et psychologique) mais, comme on l'a déjà souligné, ces psychopathologies peuvent avoir et ont effectivement des sens différents et différentes populations peuvent présenter ou présentent effectivement des risques dans divers contextes culturels.
On constate par exemple, entre autres problèmes de vie, le stress lié à l'acculturation, qui peut comprendre la confusion sur le plan culturel, les dommages résultant du racisme dans la société dominante et les lacunes au niveau des compétences requises pour fonctionner dans cette dernière. Par conséquent, lorsqu' on procède à des évaluations auprès de personnes de différentes cultures, il faut tenir compte de l'importance et de l'influence des problèmes de vie.
L'acculturation
On entend par acculturation le phénomène de modification des modèles culturels de base de deux ou plusieurs groupes résultant du contact direct et continu de leurs cultures différentes. Quand l'un des groupes est minoritaire par rapport à l'autre, les pressions qu'il subit en ce sens se transforment en stress lié à l'acculturation. Depuis leur rencontre avec les colons européens, presque tous les peuples autochtones vivent une période de transition culturelle et s'acheminent notamment vers une identité biculturelle. En fait, selon un sondage mené aux États-Unis, la plupart des Autochtones s'identifient jusqu'à un certain point à leur culture traditionnelle et moins de 9 % d'entre eux s'assimilent Johnson et Lashley, 1989).
De nouvelles formes de stress apparaissent lorsque des groupes multiculturels sont en contact avec des groupes dominants et augmentent au cours des étapes subséquentes de conflit et de crise. Pendant cette crise et les tentatives d'adaptation, le stress se manifeste sous forme de taux élevés d'homicide, de suicide, de violence familiale et de toxicomanie. À l'heure actuelle, il y a trois formes ou trois étapes ou niveaux d'acculturation : le traditionalisme, la marginalité et l'assimilation. Plusieurs modèles de classification ont été élaborés récemment (Dana, 1993; Red Horse, 1980a, 1980b; Waldram, 1992). Aucun de ces trois modèles ne traite de l'ensemble des caractéristiques et des résultats de l'acculturation. D'autres études pourraient porter sur les phénomènes de la transition biculturelle, de la transition panculturelle et sur les facteurs liés à la « culture fondamentale ». Il faudrait en outre accorder une attention particulière à l'influence du sexe du parent dans les relations métis, et à la conservation de la culture traditionnelle par les Autochtones vivant en milieu urbain.
Le degré d'acculturation peut influer sur la nature et la forme des symptômes, la mesure dans laquelle le client comprend la cause de ces derniers, les plaintes du client et ses réactions à l'intervention. De la même manière, il faudrait tenir compte des renseignements sur le degré d'acculturation, à la lumière les principes qui sous-tendent le traitement, les différents types de psychothérapie et les interventions communautaires.
Comme c'est le cas habituellement, les problèmes liés à l'acculturation chez les Autochtones sont compliqués en raison du nombre élevé de groupes tribaux distincts qui ont chacun vécu le phénomène d'acculturation de manière différente et qui ont obtenu des résultats différents. Il convient de signaler tout particulièrement le fait qu'un Autochtone peut vivre toute sa vie dans une ville tout en conservant ses valeurs culturelles traditionnelles au même titre qu'un Autochtone dans une réserve.
Compte tenu de cette information, il devient obligatoire de mesurer l'acculturation lorsqu' on souscrit à l'hypothèse selon laquelle la culture influe sur les résultats des tests psychologiques, d'autant plus que les données d'évaluation mettent l'accent sur les différences entre les groupes plutôt que sur les variations à l'intérieur d'un groupe donné. Ce dernier point revêt une certaine importance étant donné que les différences au sein d'un groupe sont plus importantes que celles entre les groupes (Argyle, 1969).
Variables modératrices et évaluation de l'acculturation
Le défi qui se pose lorsqu'on effectue des évaluations multiculturelles est d'élaborer des descriptions des facteurs et des variables qui modulent le processus d'acculturation. Même s'il s'agit là d'une approche limitée, compte tenu de la tendance à minimiser les différences entre les groupes, ces mesures peuvent sensibiliser les évaluateurs au caractère inadéquat des normes et à la nécessité de modifier ou de nuancer leur interprétation des données. Dana (1993) souligne que : [Traduction] « L'application de variables modératrices est peut-être la seule raison valable qui justifie l'emploi aujourd'hui encore de mesures étiques à l'égard de populations différentes sur le plan culturel des populations étalons (p. 22) ».
Les tests conçus en fonction d'une culture donnée peuvent être administres à une population d'une autre culture à la condition d'élaborer de nouvelles normes propres à cette culture. Il est nécessaire, en l'occurrence, de déterminer ce que l'on entend par « différences culturelles » et « variables modératrices ».
À cette fin, l'application des concepts des mesures étiques et émiques se révèle utile.
i) Mesures étiques et mesures émiques
Les mesures étiques sont celles qui ont été élaborées à des fins d'utilisation auprès de la population traditionnelle, ou dominante. Les caractéristiques psychométriques de ces mesures sont habituellement validées auprès de la population générale, ou d'un sous-groupe de cette population (par exemple, des détenus de race blanche et de sexe masculin). Quant aux mesures émiques, elles ont été élaborées au fil des ans pour tenir compte des caractéristiques et des préoccupations uniques de groupes multiculturels particuliers. Généralement parlant, les instruments disponibles en Amérique du Nord n'ont pas été adaptés aux fins de leur emploi auprès de populations multiculturelles. Au lieu d'élaborer des mesures émiques qui sont propres à un groupe culturel donné - et adaptées à ce dernier - on continue d'employer couramment surtout des mesures étiques. En effet, les psychologues supposent, à tort, que les mesures d'évaluation conçues pour l'Europe et l'Amérique du Nord sont universelles et valables pour toutes les cultures (Berry, Poortinga, Segall et Dasen,1992; Irvine et Carroll, 1980).
L'élaboration de mesures émiques nécessité beaucoup de temps et une connaissance des différentes cultures; il s'agit donc d'un objectif à long terme. Bien que cette mesure soit essentielle, il faudrait prendre des mesures plus immédiates afin d'assurer la validité des résultats des évaluations faites au moyen des instruments classiques. Il faudrait donc, à court terme, déterminer les variables modératrices qui sont caractéristiques des processus d'acculturation des Autochtones. Ces variables modératrices seront utiles pour déterminer le degré d'acculturation de l'individu dans la société dominante. Ces mesures, ou estimations, seront utiles pour déterminer la mesure dans laquelle la culture initiale demeure intacte et la mesure dans laquelle les valeurs et les comportements de la société dominante sont adoptés. Compte tenu du fait que l'on reconnait maintenant que les processus d'acculturation traditionnels et biculturels des Autochtones sont beaucoup plus complexes qu'on ne le croyait auparavant, la détermination de ces variables modératrices est également beaucoup plus complexe (Dana, 1993).
ii) Questions devant faire l'objet de recherches - Adaptation des mesures d'évaluation européennes et américaines à des fins d'utilisation auprès de groupes multiculturels
Cette section porte sur les questions sur lesquelles il faut se pencher, dans le cadre des recherches, en vue d'adapter les mesures d'évaluation traditionnelles à des fins d'utilisation auprès de populations multiculturelles.
Préoccupations liées aux concepts
Toute adaptation des mesures d'évaluation à des fins d'utilisation auprès de populations multiculturelles doit aboutir à des mesures équivalentes aux mesures originales. Mentionnons d'abord l'équivalence des concepts, c'est-à-dire que les concepts mesurés doivent être également valables pour le groupe multiculturel. De la même manière, les traductions, les ensembles de réponses conditionnées par la culture et la propension à parler de soi doivent être évalués. Par exemple, les Autochtones peuvent être plus réticents que d'autres à discuter de relations familiales, de sexualité, autrement que dans le contexte de relations particulières, surtout leurs relations intimes ou familiales élargies. L'analyse des facteurs peut constituer une méthode utile pour déterminer si les facteurs liés aux mesures adaptées correspondent étroitement aux facteurs liés aux mesures originales.
Ensuite, il s'agit de déterminer si les mesures adaptées sont équivalentes aux mesures originales, sur le plan fonctionnel. Par exemple, la mesure tient-elle compte des différents comportements adoptés dans différents contextes culturels pour faire face aux mêmes problèmes.
Enfin, l'équivalence métrique, quant à elle, concerne la forme dans laquelle se présentent les échelles, les questionnaires et les mesures de la personnalité. La version moderne de ces instruments peut poser un problème aux personnes analphabètes et à celles qui ne comprennent pas bien la langue de la majorité. Par ailleurs, ces instruments sont difficiles à traduire et, même lorsque des concepts équivalents existent dans une autre culture, on ne trouve généralement pas de données permettant de déterminer la portée et l'uniformité de ces concepts et l'étendue de leur utilisation, outre le sens dénotatif de ces derniers.
Par exemple, « oui » en anglais signifie « oui, peut-être » dans les langues algonquines et « non » devient « non, peut-être ».
Nécessité de mesures étiques et émiques
Il est essentiel d'appliquer des mesures étiques et émiques pour contrecarrer la tendance qui consiste à ajouter une méthodologie exclusivement étique à un cadre théorique étique (Irvine et Carroll, 1980). Ici aussi, ces deux types de mesures sont nécessaires aux fins de la description de la personnalité, de l'identification des problèmes de vie et du diagnostic de psychopathologie. La question est alors de savoir comment utiliser les éléments étiques imposés.
Comme le signale Dana (1993), il semble possible d'établir des points pour un ensemble de mesures étiques ou de mesures étiques imposées par rapport à une série émique de mesures au moyen d'interprétations précises et minutieuses, de normes révisées et élargies, ou adaptées sur le plan culturel, applicables aux instruments standardisés, d'adaptations émiques de mesures étiques et de nouvelles mesures émiques.
Accent mis sur les mesures émiques
Par définition, les mesures émiques sont des mesures adaptées et spécifiques à la culture. Les méthodes émiques comprennent aussi une gamme de stratégies comme l'appariement et l'analyse de la fréquence des idées associées dans la parole (p. ex., l'analyse de la structure personnelle, les questionnaires individualisés fondés sur des entrevues approfondies menées auprès d'une personne, les caractéristiques essentielles ou les principaux aspects structurés d'une vie, les échelles d'auto-ancrage et les expériences de pointe). Les stratégies émiques quantitatives comprennent des plans expérimentaux portant sur un seul cas, l'agencement ipsatif des réponses pour permettre les comparaisons intra-individuelles et l'analyse factorielle inversée permettant de cerner les principales dimensions de la personnalité individuelle.
Ultérieurement, on pourra peut-être procéder à des études comparatives à l'aide de définitions adaptées sur le plan culturel. Comme le dit Dana, « avant de pouvoir procéder à des comparaisons interculturelles, il faut créer des bases de données sur les populations selon leur culture au moyen de stratégies émiques » (p. 94). Un certain nombre d'approches émiques sont axées plus particulièrement sur les catégories sociales en ce qui a trait à la façon de concevoir le soi et à la prise de décisions en matière de comportement. Ces données donneront lieu à des hypothèses de travail qui pourront être mises à l'épreuve et révisées (se reporter à Medicine, 1980, et Trimble, Manson, Dinges et Medicine, 1984, pour des exemples de méthodes qui ont porté fruit auprès des Autochtones).
Détenus autochtones
Étant donné la disette actuelle de théories et de travaux portant sur l'évaluation et l'intervention psychologiques auprès des Autochtones en général, il ne faut pas s'étonner de ce que l'adaptation des approches adaptées aux détenus autochtones est très problématique. En Amérique du Nord, en général, et au Canada, en particulier, on n'a pas encore entrepris les recherches de base nécessaires axées sur la pratique. De plus en plus, on cherche à obtenir des renseignements diagnostiques exacts et fiables sur le comportement des détenus autochtones. Manifestement, il faut établir des descriptions de la personnalité qui soient adaptées et spécifiques à la culture aux fins de l'étude des psychopathologies, dont les troubles de la personnalité. Dans un premier temps, il conviendrait, comme on l'a signalé plus haut, de cerner et de décrire les variables ou les facteurs clés qui entrent en jeu dans le processus d'acculturation (c'est-à-dire les variables modératrices). Dans un second temps, il serait utile que les recherches portent aussi sur les comportements culturels de base (ceux qui sont communs aux membres des Premières Nations) qui seraient considérés comme des critères à la lumière desquels on pourra évaluer la validité d'instruments de mesure existants ou élaborer de nouvelles mesures et méthodes plus valables et plus fiables.
En attendant les résultats de recherches plus poussées, j'ai mis au point une approche à l'évaluation adaptée à la culture des détenus autochtones (Couture, 1993). Mon approche combine les mesures étiques et émiques ainsi que les méthodes nomothétiques et idiographiques. À défaut de résultats de recherche, il est difficile de choisir des instruments valables d'évaluation des détenus autochtones. J'ai malheureusement dû me fier principalement à la validité apparente comme critère pour le choix des tests. Ainsi, j'ai constaté que certains instruments semblent mesurer mieux que d'autres l'interaction sociale et l'auto-évaluation chez les Autochtones (POI et FIRO-B, p. ex.). On pourrait attribuer cet état des choses aux critères que constituent les concepts d'orientation sociale et d'actualisation de soi, respectivement. De fait, un rapport conceptuel semble exister entre l'approche axée sur l'intro-détermination du POI et du FIRO-B et le principe culturel de la responsabilité personnelle, ainsi qu'entre les vues générales concernant les relations interpersonnelles et la réciprocité traditionnelle que l'on retrouve dans la culture autochtone. En outre, l'inclusion récente des exercices de Progoff (Progoff, 1992) à la procédure d'évaluation semble faciliter la révélation de soi.
En plus de tenir compte des résultats des mesures apparemment valables en ce qui concerne les détenus autochtones, je constate aussi qu'il est utile d'observer l'individu dans des moments traditionnels (danse, chant, appellation nom ou couleur, rêves) pour déterminer son niveau de maturité sur les plans émotif, mental et spirituel ainsi que lors des cérémonies de purification (cérémonies des herbes sacrées et de la suerie, p. ex.). Par conséquent, sans l'avoir vérifié systématiquement, je présume que, parce qu'il est « sécurisé » dans une large mesure par le caractère traditionnel du moment ou de l'activité, le participant est susceptible d'exhiber un comportement plus « véridique » (il est moins sur la défensive, il dédramatise moins les choses et il est moins en proie à la colère).
Conclusions
Comme on l'indique clairement dans ce chapitre, il faut faire preuve d'une très grande circonspection dans les évaluations psychologiques des Autochtones. Il est tout autant utile que nécessaire de bien comprendre les différences culturelles. Cependant, il ne suffit pas, pour se doter d'une compétence multiculturelle, notamment pour faire des diagnostics tenant compte des différences culturelles, de rejeter les concepts et de se défaire des instruments que les psychologues ont mis au point pour la culture occidentale. Plutôt, il faut d'abord, et de toute urgence, élargir et enrichir ces méthodes et ces instruments de mesure, et les rajuster et les corriger en adaptant les principes et les méthodes de la psychologie moderne aux qualités, expériences et situations des membres des peuples des Premières nations, les détenus y compris.
S'il importe de ne pas négliger les progrès réalisés dans le domaine de l'évaluation psychologique, ce n'est qu'en s'interrogeant sur les valeurs et les hypothèses qui sous-tendent les techniques et mesures contemporaines utilisées aux fins de l'évaluation psychologique que nous réussirons à déterminer la validité des méthodes et des mesures actuellement appliquées aux Autochtones. Cette analyse et cette remise en question des méthodes et des instruments de mesure en vigueur sont essentielles si l'on veut progresser dans le domaine de l'évaluation spécifique (émique) et exercer la profession dans un contexte multiculturel. Pour réaliser cet objectif, il conviendra d'abord de définir le processus d'acculturation et les variables modératrices qui l'affectent. Il faudra pour cela établir une base de données tirées d'un examen minutieux des travaux de recherche et des politiques et établir des liens avec les réseaux en place au sein des communautés culturelles minoritaires (aux niveaux communautaire, local, provincial et national par l'intermédiaire de conseils, de comités consultatifs, de commissions et de groupes de travail).
Bien que les méthodes et les procédés actuels ne se prêtent pas bien à la culture autochtone, il n'en demeure pas moins que nous devons continuer d'effectuer des évaluations aussi bien dans l'intérêt de l'Autochtone proprement dit qu'aux fins de la gestion correctionnelle. Par conséquent, comme nous l'avons recommandé dans ce chapitre, à court terme, la stratégie d'évaluation raisonnable qu'il convient d'adopter consiste à cerner les complexités insoupçonnées du phénomène d'acculturation. À cette fin, on devra évaluer attentivement les instruments de mesure que l'on veut appliquer aux Autochtones. Les études comparatives et les analyses factorielles des scores bruts au MMPI-2 et d'autres scores obtenus par des détenus autochtones aussi bien que non autochtones pourraient servir à déterminer l'utilité de ces mesures.
Il parait essentiel de procéder à une analyse systématique et exhaustive des méthodes ou instruments de mesure nouveaux ou existants, quels qu'ils soient, si l'on veut garantir la validité et la fiabilité de nos évaluations multiculturelles. On ne saurait se satisfaire de moins pour exercer la profession d'une façon compétente et éthique.
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