V. Analyse des facteurs énonces dans la loi

A.  Cadre législatif des travaux du comité

Pour les juges militaires, la détermination de la rémunération est un processus fondé sur la LDN. L’article 165.34(2) de la Loi énonce les facteurs à prendre en considération pour déterminer le caractère satisfaisant de la rémunération des juges militaires pour la période faisant l’objet de l’examen.

Pour résumer, les quatre facteurs à prendre en considération par le comité sont les suivants :

  • l’état de l’économie au Canada;
  • le rôle de la sécurité financière;
  • le besoin de recruter les meilleurs officiers pour la magistrature militaire;
  • tout autre facteur objectif qu’il considère comme important.

Le comité a entendu les représentants du gouvernement et des juges militaires sur chacun de ces facteurs.

a.  L’état de l’économie au Canada

i.    Position et argument du gouvernement sur l’économie

Le gouvernement fait valoir que toute hausse de salaire des juges militaires doit tenir compte de l’économie actuelle et de la situation financière des Canadiens. La pandémie a provoqué une distorsion de l’IEAE en 2021 lorsque 2,9 millions de travailleurs canadiens ont perdu leur emploi au cours du printemps 2020. La plupart des personnes qui ont perdu leur travail durant la pandémie occupaient des postes soumis à des taux de rémunération plus faibles. Dans le même temps, l’inflation projetée pour 2023 était de 4,3 % et d’environ 2,9 % annuellement jusqu’en 2027.

Le gouvernement fait valoir que pendant toute cette période, les salaires des juges militaires ont bénéficié d’une hausse de l’IEAE de 6,6 %. Par conséquent, et contrairement à la plupart des Canadiens, le salaire des juges militaires a considérablement augmenté durant cette période. Conformément au Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, le gouvernement fait valoir que la perception que les juges (y compris les juges militaires) ne supportent pas leur part du fardeau en période de difficultés économiques serait dommageable pour la réputation de la magistrature. Le gouvernement fait remarquer que selon la Commission Turcotte, qui fait dépendre la hausse de salaire des autres juges de nomination fédérale de l’IEAE, les juges militaires ont reçu la même hausse de salaire que les autres juges de nomination fédérale.

Le gouvernement fait valoir que durant la période allant de 2020 à 2022, on a assisté à une baisse du PIB et de l’indice des prix à la consommation (IPC), ainsi qu’à une récession et à une explosion des déficits budgétaires. On a également assisté à une reprise économique, avec une hausse de l’inflation et de l’IPC, une baisse du taux de chômage et une hausse du niveau d’endettement, au minimum, et une incertitude sur le marché et dans l’économie. Dans ces circonstances, la hausse du coût de la vie a été largement compensée par la hausse (IEAE) des salaires des juges militaires. En conséquence, les juges militaires ont été préservés des pressions économiques grâce à la hausse de salaire permise par la hausse annuelle basée sur l’IEAE.

Le gouvernement fait valoir que l’incertitude dans l’économie, qui perdurera au moins jusqu’en 2027, requiert d’exercer une certaine prudence lors de l’établissement des salaires. En d’autres termes, la formule existante assure un salaire suffisant et elle doit être conservée. Le gouvernement fait valoir qu’une hausse de salaire portant les salaires des juges militaires au niveau de ceux des autres juges de nomination fédérale n’est pas justifiée compte tenu de la conjoncture économique.

ii.    Position et argument des juges militaires sur l’économie

Les juges militaires soutiennent que les augmentations en pourcentage découlant de l’IEAE ne constituent pas une hausse de salaire, mais simplement une disposition pour maintenir leur niveau de salaire actuel. Ils font valoir que les retards respectifs de trois et quatre ans avec lesquels le gouvernement a traité la question des salaires des juges militaires contreviennent à l’esprit de l’article 165.34 de la LDN. Ils soutiennent que la Loi exige une approche prospective pour traiter cette question et n’est pas une loi qui recommande des salaires de façon rétroactive. Ils font valoir que c’est un non-respect flagrant et injustifié de la structure exposée dans la LDN. Les juges militaires soulignent que cet exercice aurait dû commencer en septembre 2019. Ce retard excessif et inacceptable risque d’avoir une incidence sur l’indépendance de la magistrature militaire et suffit à nuire à la confiance du public dans l’efficacité du processus de recommandation d’une rémunération pour les juges militaires. En d’autres termes, le gouvernement ne suit pas la législation pertinente, et ce mépris de la législation applicable a donc une incidence sur l’indépendance judiciaire.

Les juges militaires font valoir que la question de la force ou de la faiblesse de l’économie a été discutée par la Commission Turcotte dans son rapport de 2021. Ils soutiennent que la Commission Turcotte a conclu que l’état de l’économie ne devrait pas constituer un facteur restrictif dans l’établissement de la rémunération des juges malgré les difficultés économiques liées à la pandémie de COVID-19. Ils font remarquer que la Commission a souligné le fait que les déficits budgétaires temporaires ont pour but de stimuler l’économie. Elle a également souligné que ce ne sont pas des déficits structurels et que les facteurs énoncés dans la loi (art. 165.34 de la LDN) ne devraient pas être interprétés comme une restriction sur ce qui devrait être considéré comme une rémunération satisfaisante pour les juges. La Commission Turcotte a conclu que l’état de l’économie ne pouvait pas être un facteur limitatif dans la détermination de la rémunération des juges de nomination fédérale, malgré les bouleversements provoqués par la pandémie de COVID-19.

Les juges militaires soutiennent que les effets de l’incertitude dans l’économie canadienne sont temporaires. Ils soulignent qu’en 2019 et en 2020, deux années qui font partie de la période d’examen, le gouvernement du Canada a indiqué publiquement que le Canada serait le chef de file en matière d’activité économique parmi les pays du G7. Les quatre juges militaires soutiennent que le gouvernement ne peut pas raisonnablement suggérer que la hausse de salaire demandée afin d’instaurer une parité avec les autres juges de nomination fédérale nuirait considérablement à l’état des finances publiques du Canada. Ils indiquent que le gouvernement ne peut affirmer de manière crédible que la mise en œuvre de leur proposition relative à quatre juges porterait un préjudice financier à l’économie canadienne.

Les juges militaires allèguent que les conclusions de la Commission Turcotte sont parfaitement applicables dans cette affaire. D’un côté, les effets de la pandémie sur l’économie canadienne sont de nature temporaire, et de l’autre, le gouvernement n’a présenté aucune preuve de l’adoption ou de la mise en œuvre d’une politique d’application générale pour réduire les déficits générés durant la pandémie.

iii.  Analyse du facteur économique

L’état de l’économie au Canada semble s’être stabilisé après la pandémie de COVID-19. Le budget de 2019 du gouvernement du Canada prévoyait le renforcement de l’économie canadienne pendant toute l’année 2019 et estimait que le Canada serait le chef de file de la croissance économique en 2019 et au début de l’année 2020 parmi les pays du G7.

Étant donné que les juges militaires ont fait valoir que l’établissement des salaires pour la période des fonctions de ce comité (de 2019 à 2023) aurait dû être entamé au plus tard en septembre 2019 et être achevé peu de temps après, comme l’exigent la LDN et les Règlements et ordonnances du Roi (ROR). Si cet établissement des salaires avait été achevé, comme cela aurait dû être le cas, il aurait coïncidé avec le délai énoncé en 2019 et en 2020 lorsqu’on projetait que le Canada serait un chef de file en matière de croissance économique parmi les pays les plus développés du monde. Cette projection économique était correcte jusqu’en 2021, car, comme l’a souligné la Commission Turcotte, le budget fédéral de 2021, qui est un énoncé reflétant l’économie canadienne, n’était pas un budget d’austérité et n’imposait pas de mesures pour limiter les dépenses discrétionnaires des ministères et agences fédérales.

Comme l’ont fait remarquer les juges militaires, la Commission Turcotte a conclu, dans son analyse de l’état de l’économie canadienne en 2021, que l’« état de l’économie » ne devrait pas être considéré comme un facteur restrictif dans la détermination de la rémunération des juges de nomination fédérale, malgré les difficultés engendrées par la pandémie de COVID-19. La CERJ a conclu ce qui suit aux paragraphes 78 et 79 (les notes de bas de page ont été omises) :

  1. Comme le fait valoir l’Association du Barreau canadien, le paragraphe 26(1.1) de la Loi sur les juges « n’accorde de prépondérance à aucun critère. Elle indique qu’il faut tenir compte de chacun des critères 49. »
  2. Compte tenu que,
    1. les déficits budgétaires temporaires ont pour but de stimuler l’économie et ne sont pas des déficits structurels; 
    2. le budget de 2021 n’est pas un budget d’austérité et que, à la différence du budget de 2009, il n’a pas « souligné des mesures pour gérer les dépenses, y compris des mesures pour limiter les dépenses discrétionnaires des ministères et agences fédérales »; 
    3. le gouvernement n’a présenté aucune preuve de politiques de réduction de déficit d’une application générale;   
    4. l’indexation conforme à la loi a été maintenue par le gouvernement à la suite des commissions Block et Levitt malgré l’état de l’économie à l’époque51;

nous sommes d’avis que le premier critère au paragraphe 26(1.1) de la Loi sur les juges ne devrait pas être un facteur d’interdiction ou de restriction au moment de présenter des recommandations que nous jugerions normalement nécessaires pour assurer une rémunération satisfaisante aux juges.

Il en irait de même pour les preuves présentées au CERJM en 2023. L’économie est plutôt en phase de lente reprise depuis la fin de la pandémie, qui était à son paroxysme en 2021 selon la Commission Turcotte. Ainsi, selon le CERJM en 2023, le premier facteur ne devrait pas être un facteur d’interdiction ou de restriction pour le CERJM au moment de présenter des recommandations que nous jugerions normalement nécessaires pour assurer une rémunération satisfaisante aux juges. Enfin, la hausse de salaire demandée par les juges militaires, qui instaurerait une parité avec les autres juges de nomination fédérale, ne peut être considérée de façon crédible ou raisonnable comme étant susceptible de compromettre de façon réaliste les finances publiques du Canada.

b.  Le rôle de la sécurité financière

i.  Position et argument du gouvernement sur la sécurité financière

Le gouvernement reconnaît que la sécurité financière est une condition essentielle de l’indépendance judiciaire et vise à s’assurer que les juges ne cèdent pas aux ingérences dans leur prise de décisions par le biais de l’exercice d’une manipulation financière. Le gouvernement est d’accord avec le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, qui précise que la confiance dans l’indépendance de la magistrature nécessite de verser des salaires qui permettent aux juges de ne pas devenir vulnérables aux pressions exercées par la manipulation financière. Le gouvernement convient que les salaires des juges militaires devraient être maintenus à un niveau qui préserve les juges de ces pressions.

Le gouvernement fait valoir que même si le salaire actuel égal à 85 % de celui versé aux autres juges de nomination fédérale, le montant de la pension de retraite ajoute un montant supplémentaire de 219 835 $ au montant annuel du salaire, ce qui porte la rémunération totale à 545 034 $. Le gouvernement affirme que le montant actuel du salaire et de la pension de retraite des juges militaires est tel qu’une personne raisonnable bien informée en conclurait que la somme du salaire et des prestations de retraite des juges militaires est largement supérieure au niveau de rémunération qui les rendrait vulnérables aux pressions exercées par le biais de la manipulation économique. Nous notons que les juges militaires ont présenté les preuves de leur propre expert contestant les chiffres de la pension de retraite fournis par le gouvernement, qui sont basés sur plusieurs hypothèses.

ii. Position et argument des juges militaires sur la sécurité financière

Un juge militaire est à la fois un juge de nomination fédérale et un officier des Forces armées canadiennes. Le Rapport de l’autorité du troisième examen indépendant au ministre de la Défense nationale – Au titre du paragraphe 273.601(1) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 (30 avril 2022), rédigé par l’honorable Morris J. Fish, a indiqué que ce fait pourrait miner la confiance dans l’indépendance des juges militaires, en raison de la perception par le public de leur inclusion comme officiers dans les FAC et de leur proximité à la fois avec le processus décisionnel inhérent à la chaîne de commandement et avec la Branche du Juge-avocat général (JAG), qui fournit des services de poursuites et de défense aux membres des FAC. Les juges militaires font valoir qu’un facteur contribuant à dissiper cette perception serait de porter la rémunération des juges militaires au même niveau que celle des autres juges de nomination fédérale. En d’autres termes, il s’agit de traiter les juges militaires de la même manière que les juges des cours supérieures.

Les juges militaires font également valoir que le refus systématique du gouvernement de suivre les recommandations salariales en matière de « parité », qui figurent dans les décisions de 2008, 2012 et 2019 de ce comité, constitue une confirmation ministérielle que les juges militaires n’ont pas la même stature que les autres juges de nomination fédérale. Selon eux, cela équivaut à une déclaration de la part du gouvernement selon laquelle les juges militaires de nomination fédérale n’ont pas la même classe, le même statut et la même indépendance que les autres juges de nomination fédérale. Ils font valoir que les membres des FAC et, potentiellement, les civils qui comparaissent devant eux auraient la perception que les juges militaires sont des juges de stature moindre. Ils soulignent le fait que les problèmes de sécurité financière et d’indépendance, pris ensemble, sont exacerbés par le refus du gouvernement d’accepter les principales recommandations des comités d’examen de la rémunération des juges de 2008, 2012 et 2019 en ce qui concerne la rémunération.

Les juges militaires indiquent que la disparité entre les salaires des juges militaires et ceux des autres juges de nomination fédérale minent l’indépendance des juges militaires. La rémunération des juges militaires actuels est inférieure de 15 % à celle des autres juges de nomination fédérale, sans que le gouvernement fournisse la moindre explication pour justifier l’existence d’une telle disparité. Les juges militaires font valoir qu’ils s’acquittent des mêmes responsabilités, suivent la même formation et assistent aux mêmes conférences et ateliers que leurs homologues de nomination fédérale. Pourtant, parmi les quelque 1 200 juges de nomination fédérale, on a recensé quatre juges militaires touchant une rémunération inférieure à celle de leurs homologues de nomination fédérale. Enfin, les juges militaires font valoir que le comité devrait, en adéquation avec les comités qui l’ont précédé, recommander la nécessité d’instaurer une « parité » avec les autres juges de nomination fédérale en ce qui concerne le traitement financier des juges militaires.

iii. Analyse du facteur « sécurité financière »

Le gouvernement et les juges militaires semblent être d’accord sur un aspect : les salaires actuels versés aux juges militaires devraient faire en sorte que ces derniers ne soient pas vulnérables aux pressions exercées par le biais de la manipulation économique. Les juges militaires soulignent qu’une rémunération égale à 85 % de la rémunération des autres juges de nomination fédérale est le minimum pour préserver l’indépendance judiciaire. Cependant, leur argument va plus loin. Dans le contexte d’une magistrature de nomination fédérale, personne ne leur a expliqué ou n’a expliqué à d’autres personnes pourquoi les juges militaires devraient être différemment des autres juges de nomination fédérale. Actuellement, cette différence est d’environ 15 %.

Le gouvernement affirme ce qui suit au paragraphe 81 de son mémoire : « Le salaire actuel […] est de loin supérieur au niveau minimal requis pour prémunir la magistrature militaire contre l’ingérence politique exercée par le biais de la manipulation économique. » Cependant, le comité est d’avis que les trois facteurs énoncés dans la loi conformément aux exigences du Parlement doivent être pris en considération dans leur totalité, et non séparément les uns des autres ou séparément des fonctions globales du comité.

Le gouvernement semble prôner une interprétation de l’article 165.34 de la LDN allant dans le sens d’un « strict minimum ». Pour les raisons mentionnées ci-dessus, nous sommes arrivés à la conclusion que l’application des principes adéquats de l’interprétation législative nous amène à constater que le Parlement, en créant l’article 165.34 de la LDN, n’avait pas chargé le comité d’établir un modèle reposant sur le strict minimum, mais plutôt de déterminer ce qui constituerait une rémunération satisfaisante. Nous estimons qu’une sécurité financière satisfaisante consisterait à établir une parité de rémunération avec les autres juges de nomination fédérale.

Nous sommes d’accord avec l’observation des juges militaires au paragraphe 117 de leur mémoire : « Par conséquent, afin de satisfaire la norme constitutionnelle, les recommandations du Comité prennent une importance accrue. Ces recommandations doivent être formulées de manière à promouvoir la perception que les juges militaires jouissent pleinement de l’indépendance judiciaire malgré leur appartenance aux FAC. » Le terme « indépendance judiciaire », tel qu’il est utilisé par le Parlement au paragraphe 165.34(2) de la LDN, possède à la fois une composante objective et une composante subjective. La magistrature doit non seulement rester indépendante, mais aussi être perçue comme étant indépendante. La différence de salaire entre les juges militaires et les autres juges de nomination fédérale favorise une perception de différence qui nuit à la perception de l’indépendance et de l’impartialité des juges militaires. Nous pensons que la perception de l’indépendance par le public revêt une importance toute particulière au sein d’une organisation hiérarchique comme les FAC, où les juges militaires font toujours partie intégrante des FAC, contrairement aux autres juges de nomination fédérale.

c. Le besoin de recruter les meilleurs officiers pour la magistrature militaire

i.  Position et argument du gouvernement sur le besoin de recruter les meilleurs officiers

Le gouvernement affirme que la rémunération actuelle des juges militaires ne décourage pas le recrutement des meilleurs officiers pour la magistrature militaire. Depuis 2005, pour chacune des cinq nominations, entre sept et dix candidats étaient classés soit dans la catégorie « recommandé » soit dans la catégorie « hautement recommandé » pour les nominations à la magistrature militaire. Le gouvernement soutient que ces chiffres sont certainement comparables ou supérieurs à ceux des juges de nomination fédérale travaillant dans le système civil. Il soutient également que les résultats des processus de nomination des juges militaires ont été globalement satisfaisants.

Si l’on fait une analyse comparative, le salaire d’un juge militaire est certainement attrayant pour les membres des FAC qui sont des avocats faisant partie de la Force régulière ou de la Force de réserve et travaillant dans le système de justice militaire. La comparaison des salaires des juges militaires avec ceux des officiers du JAG fait ressortir un net avantage à être nommé juge militaire.

En comparant les renseignements disponibles, le gouvernement fait valoir que rien ne suggère que la rémunération d’un juge militaire décourage les candidatures des avocats faisant partie de la Force de réserve. Le gouvernement souligne qu’en 2018, des candidats de la Force de réserve ont postulé à des postes de juge militaire. Le gouvernement indique que 30 % des officiers qui ont postulé à des postes de juge militaire étaient des réservistes et 70 % étaient des membres de la Force régulière, proportion qui est restée stable au fil des années. Le gouvernement soutient que bien qu’il pourrait y avoir d’autres facteurs susceptibles de dissuader les réservistes de postuler à un poste de juge militaire, le salaire n’en fait pas partie.

ii.    Position et argument des juges militaires sur le besoin de recruter les meilleurs officiers

Les juges militaires font valoir que le gouvernement a adopté un point de vue restrictif injustifié du bassin de candidats à la magistrature judiciaire. Les juges militaires soulignent qu’il est essentiel que les meilleurs candidats possible soient incités à servir dans la magistrature militaire de nomination fédérale. Ils affirment que la rémunération est un facteur majeur contribuant à favoriser cette attractivité. Ils soutiennent que l’inverse est également vrai : une faible rémunération ne doit pas devenir un obstacle à l’attraction des meilleurs candidats. Le salaire ne doit pas être si faible qu’il dissuade les candidats potentiels de postuler un poste de juge de nomination fédérale. Cela vaut aussi bien pour les avocats militaires travaillant dans la Branche du JAG que pour les autres officiers de la Force régulière susceptibles d’être des avocats ne pratiquant pas le droit militaire dans le cadre de leurs responsabilités quotidiennes, ainsi que pour les membres de la Force de réserve qui pratiquent le droit dans le cadre de leur profession civile. Les juges militaires affirment que ce salaire doit être suffisamment attrayant pour que les membres des FAC aient envie de servir comme juges militaires. Le salaire doit attirer un large éventail de candidats potentiels afin de satisfaire, entre autres, aux exigences en matière de diversité et d’inclusion.

Les juges militaires affirment que compte tenu de la disparité de salaire entre les juges militaires et les autres juges de nomination fédérale, les meilleurs candidats sont davantage attirés par une nomination fédérale dans le système de justice civil que par le service dans le système de justice militaire. Ils font remarquer que tout avocat qualifié des FAC, qu’il soit membre de la Force régulière ou de la Force de réserve, peut prétendre à un poste de juge de nomination fédérale dans le système de justice civil. À titre d’exemple, les juges militaires soutiennent que les réservistes des FAC qui pratiquent le droit dans le cadre de leur profession civile seraient bien plus attirés par une nomination à une cour supérieure que par une nomination à la magistrature militaire. Cette préférence pourrait être due en grande partie à l’écart de rémunération.

Les juges militaires font valoir que la « parité » salariale avec les juges de nomination fédérale dans le système civil annihilerait ce désavantage, ce qui permettrait de recruter les meilleurs candidats au sein des Forces armées canadiennes et du secteur privé pour la magistrature militaire. Cela permettrait également aux personnes ne faisant pas partie des Forces armées canadiennes et qui sont spécialisées dans le droit militaire de postuler un poste de juge militaire.

iii.  Analyse du facteur « besoin de recruter les meilleurs officiers »

Comme indiqué, le gouvernement fait valoir qu’il y a un grand nombre de candidats qualifiés pour les postes de juges militaires, c’est pourquoi la rémunération doit déjà être satisfaisante : « La rémunération actuelle des juges militaires n’a pas d’effet dissuasif sur le recrutement des meilleurs candidats à la magistrature militaire » (mémoire, par. 86). Toutefois, comme nous l’avons expliqué ci-dessus, notre interprétation législative est que le Parlement, en rédigeant l’article 165.34, souhaitait attirer « les meilleurs officiers », pas seulement des candidats très qualifiés. Le terme « meilleurs » signifie que les meilleurs candidats ne seront pas attirés par des postes de juge mieux rémunérés ailleurs. Compte tenu de la différence de salaire qui existe entre les juges militaires et tous les autres juges de nomination fédérale, les meilleurs candidats sont susceptibles de postuler à des postes dans d’autres branches de la magistrature fédérale.

Nous concluons que ce critère favorise une parité de rémunération avec les juges de nomination fédérale.

d.  Autres facteurs importants

Conformément à l’alinéa 165.34(2)d), le comité « fait son examen en tenant compte des facteurs suivants : […] tout autre facteur objectif qu’il considère comme important. » Les juges militaires ont allégué que nous devions prendre en considération la rémunération des autres juges de nomination fédérale sous l’alinéa relatif aux autres facteurs objectifs. Dans le cadre de la comparaison avec les juges de nomination fédérale, le gouvernement nous invite à comparer le régime de retraite des juges militaires avec la pension que perçoivent les autres juges de nomination fédérale. Le gouvernement nous invite également à examiner les augmentations de salaire des autres juges de nomination fédérale, le rôle des juges militaires et leur charge de travail.

i.  Comparaisons entre les régimes de retraite

Les parties étaient en désaccord sur la question de savoir si le comité a le pouvoir de prendre en considération les montants de pension dans son examen de la rémunération des juges militaires. Nous estimons que nous avons le pouvoir d’examiner la question de savoir si la « rémunération » est satisfaisante et que nous devrions prendre en compte la rémunération totale réelle lorsque nous formulons notre recommandation quant à son caractère satisfaisant. Cependant, nous n’avons pas le pouvoir de formuler des recommandations relatives au régime de retraite.

Le comité a pris en compte l’argument du gouvernement selon lequel, si l’on inclut leur pension de retraite, la rémunération des juges militaires est en fait supérieure à celle des autres juges de nomination fédérale. De notre point de vue, les preuves ne corroborent pas cet argument.

Durant les audiences du comité, le gouvernement a soutenu que le salaire des juges militaires s’élève à 545 034 $ si l’on prend en compte leur pension de retraite, selon les preuves présentées par leur actuaire, qui affirme qu’ils reçoivent un montant supplémentaire correspondant à 67,6 % de leur salaire sous la forme de prestations de retraite. Le gouvernement fait également valoir que le montant de la pension de retraite des juges militaires est supérieur au montant de celle des autres juges de nomination fédérale, car les juges militaires prennent leur retraite 14 à 16 avant les autres juges de nomination fédérale. De plus, les juges provinciaux ne touchent que 287 136 $ par an, tandis que les juges puînés des cours supérieures touchent un salaire annuel de 297 700 $.

Les juges militaires et le gouvernement ont présenté au comité des preuves d’expert établissant une comparaison entre les pensions de retraite, et celles-ci se sont avérées contradictoires. En revanche, il y avait un consensus sur les salaires réels des juges militaires et des autres juges de nomination fédérale. Nous pensons qu’il n’y a pas lieu de choisir un vainqueur dans la guerre des experts à propos de l’évaluation du montant des pensions de retraite. Le fait que les juges militaires soient susceptibles de prendre leur retraite en touchant une pension plus élevée que les autres juges de nomination fédérale s’explique simplement par le choix professionnel que font la plupart des juges militaires, à savoir travailler toute leur carrière dans la fonction publique avant d’être nommés à la magistrature, tandis que les autres juges de nomination fédérale, pour une grande partie d’entre eux, proviennent du secteur privé où, s’ils ont travaillé dans un cabinet privé, n’ont pas bénéficié d’un régime de retraite, ce qui fait qu’ils n’ont commencé à cotiser à leur régime de retraite que bien plus tard que les juges militaires.

Cependant, cela ne tient pas compte du fait que les autres juges de nomination fédérale sont susceptibles d’avoir touché un salaire bien plus élevé dans le secteur privé avant d’être nommés juges, et certains d’entre eux sont susceptibles d’accepter une réduction de salaire lors de leur nomination à la magistrature, ce qui aiderait compenser leur nombre plus faible d’années de cotisation au régime de retraite, en particulier s’ils mettaient de côté une partie importante de leurs revenus dans des placements pour leur retraite. Il y a trop de variables à prendre en compte dans les montants des pensions de retraite pour établir une comparaison pertinente entre celle des juges militaires et celle des autres juges de nomination fédérale.

Personne ne conteste le fait que les juges militaires comme les autres juges de nomination fédérale bénéficient de régimes de retraite indexés confortables. Le montant de la pension de retraite qui est versé aux juges militaires lors de leur départ à la retraite pourrait être supérieur à celui que touchent les autres juges de nomination fédérale s’ils avaient cotisé plus longtemps à un régime de retraite, mais ce n’est pas une certitude. Les juges militaires sont également susceptibles de prendre leur retraite bien plus tôt que les autres juges de nomination fédérale. Divers facteurs de vie peuvent avoir une incidence sur les montants des pensions de retraite, notamment le fait de prendre sa retraite anticipée pour des raisons de santé.

Les calculs des deux experts étaient basés sur plusieurs hypothèses, qui avançaient les arguments selon lesquels les juges militaires touchaient déjà plus ou moins la même rémunération (y compris la pension de retraite) que les autres juges de nomination fédérale. Le montant de la pension de retraite n’est pas un facteur que nous devons obligatoirement prendre en considération dans le cadre de nos fonctions énoncées par le Parlement dans la LDN. Nous estimons que la comparaison entre les régimes de retraite n’est pas pertinente pour plusieurs raisons :

  • les régimes de retraite sont complètement différents (comptabilisation des années de service, âges de départ à la retraite, accumulation de prestations de retraite);
  • le montant des prestations de retraite varie beaucoup en fonction des hypothèses servant de base aux calculs;
  • une partie du montant de la pension de retraite est basée sur des facteurs subjectifs, tels que le choix de la date de départ à la retraite ou le choix du statut de juge surnuméraire.

Ainsi, même si nous concluons que le montant comparatif des régimes de retraite est un facteur pertinent, les preuves qui nous ont été présentées ne nous aident pas vraiment à appliquer ce facteur à l’examen de la question de savoir si la rémunération des juges militaires est satisfaisante.

ii.  Comparaisons avec les autres juges de nomination fédérale

Le gouvernement affirme ce qui suit au paragraphe 121 de son mémoire : « Lier le traitement des juges militaires à celui des juges de nomination fédérale ou des juges de cour provinciales irait à l’encontre du mandat et des exigences prévues à la LDN. » Le seul pouvoir cité pour cette affirmation figure à la p. 15. du rapport de 2008 du comité. Toutefois, lorsque l’on examine la formulation utilisée dans le rapport de 2008, celle-ci n’appuie pas l’observation du gouvernement :

Les parties ont toutes deux convenu que la conclusion des Comités précédents selon laquelle le salaire des juges militaires ne devait pas être lié directement au traitement moyen des juges des cours provinciales, et que cela ne constituait pas une approche ou une méthode appropriée de fixation d’une rémunération satisfaisante de la rémunération des juges militaires. Le présent Comité est d’accord. Parmi les autres problèmes qu’une telle approche soulèverait, cela reviendrait pour ce Comité à abdiquer la responsabilité qui lui incombe d’en arriver à ses propres conclusions plutôt que de lier le résultat de cet examen aux conclusions des divers autres comités d’examen de la rémunération des juges au Canada, créant ainsi une sorte de cercle vicieux. Il revient à chaque comité d’examen de la rémunération des juges de mener sa propre évaluation plutôt que de fonder sa conclusion sur celle d’autres comités. En outre, le salaire des juges militaires ne saurait être fixé en fonction d’un seul élément de comparaison.

Ainsi, le comité parlait d’éviter de manquer à ses responsabilités législatives en faveur d’autres comités, et non du fait que la rémunération des autres juges de nomination fédérale n’était pas pertinente. Comme l’a indiqué le comité de 2008 – et nous sommes d’accord 15 ans plus tard –, il appartient à chaque comité de tirer ses propres conclusions, et ces conclusions doivent être fondées sur les preuves et la prise en considération de tous les facteurs énoncés dans la loi. D’après les preuves qui nous ont été présentées, nous concluons que la rémunération des juges militaires est moins avantageuse que celles des autres juges de nomination fédérale. Cela peut donner l’impression que les juges militaires sont des juges de « seconde zone ». Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, nous ne considérons pas la parité avec les autres juges de nomination fédérale comme un « facteur » au titre de l’alinéa 165.34(2)d) de la LDN, mais plutôt comme une conclusion au titre du paragraphe 165.34(1) de la LDN.

iii.  Comparaisons avec les juges des cours provinciales et les juges puînés de nomination fédérale

Nous pensons que la rémunération des juges puînés de nomination fédérale n’est pas une comparaison utile pour déterminer le caractère satisfaisant de la rémunération des juges militaires. Cette comparaison suggère plutôt que les juges militaires devraient être comparés aux officiers de justice qui, à l’instar des juges puînés, ne sont pas des juges. En effet, ils ont une compétence et un pouvoir plus limités que les juges. Cela implique de classer les juges militaires de manière concrète comme des officiers de justice qui ne sont pas des juges à part entière, ce qui n’est exact ni sur le plan légal si sur le plan factuel. De même, nous estimons que la comparaison avec la rémunération des juges des cours provinciales dans tout le Canada est peu pertinente, compte tenu des situations économiques différentes des différentes provinces et des différents territoires.

Si l’on prend par exemple le traitement des juges de la Cour provinciale de l’Ontario, qui est supérieur aux salaires que touchent plus de 38 % des habitants de la province de l’Ontario (voir l’annexe A –Décret 1273/2018, « Traitement des juges de la Cour de justice de l’Ontario »), il correspond déjà à un pourcentage de 95,27 % du traitement des juges de la Cour supérieure :

En ce qui concerne le service du 1er avril 2018 au 31 mars 2022, le traitement annuel d’un juge de la Cour provinciale prévu au paragraphe 1(3), à la suite du rajustement prévu à l’article 3, est également augmenté pour correspondre à un pourcentage du traitement des juges de la Cour supérieure de justice de l’Ontario prévu à la partie I de la Loi sur les juges (Canada), L.R.C. (1985), ch. J-1, (le « traitement des juges de la Cour supérieure ») comme suit :...

Du 1er avril 2021 au 31 mars 2022, selon un pourcentage de 95,27 % du traitement d’un juge de la Cour supérieure pour cette période.

À titre de comparaison, le traitement des juges militaires s’élève à 85 % du traitement des autres juges de nomination fédérale, ce qui correspond à un traitement inférieur de plus de 10 % à celui des juges de la Cour provinciale de la province la plus peuplée du Canada. Nous déconseillons notamment toute comparaison de la rémunération des fonctionnaires avec celle des juges. Même s’il est vrai que les uns et les autres sont payés avec les deniers publics, les juges occupent des postes essentiels sur le plan constitutionnel dans la société canadienne, ce qui leur confère une place particulière par rapport aux fonctionnaires. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Provincial Court Judges’ Association of British Columbia, 2020 CSC 20, par. 85 : « […] un gouvernement qui ne tient pas compte du caractère distinctif de la charge judiciaire et qui traite la magistrature comme une simple catégorie de fonctionnaires perd de vue le principe de l’indépendance judiciaire […]. »

Nous n’accordons pas une grande importance à la charge de travail en tant que facteur supplémentaire. La charge de travail varie énormément parmi les autres juges de nomination fédérale. Nous estimons que les jours de séance ne constituent pas un point de comparaison pertinent. Par exemple, la Cour suprême du Canada a siégé pendant 35 jours en 2020 et a rendu 45 décisions (Rétrospective annuelle 2020 de la Cour suprême du Canada, accessible en ligne : https://www.scc-csc.ca/review-revue/2020/index-fra.aspx).

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