II. Constitution du comité, nomination des membres et processus d'examen des candidatures
A. But et objet du rapport
Conformément à l’article 165.34 de la LDN, le comité est mandaté par le Parlement pour examiner la question de savoir si la rémunération des juges militaires au Canada est satisfaisante. La loi en question précise ce qui suit :
Comité d’examen de la rémunération des juges militaires
165.33 (1) Est constitué le comité d’examen de la rémunération des juges militaires, composé de trois membres à temps partiel nommés par le gouverneur en conseil sur le fondement des propositions suivantes :
- a) un membre proposé par les juges militaires;
- b) un membre proposé par le ministre;
- c) un membre proposé à titre de président par les membres nommés conformément aux alinéas a) et b).
Durée du mandat et révocation
(2) Les membres sont nommés à titre inamovible pour un mandat de quatre ans, sous réserve de révocation motivée du gouverneur en conseil.
Mandat renouvelable
(3) Leur mandat est renouvelable une fois.
Remplacement
(4) En cas d’absence ou d’empêchement d’un membre, le gouverneur en conseil peut lui nommer un remplaçant suivant la procédure prévue au paragraphe (1).
Vacance à combler
(5) Le gouverneur en conseil comble toute vacance suivant la procédure prévue au paragraphe (1). Le mandat du nouveau membre prend fin à la date prévue pour la fin du mandat de l’ancien.
Quorum
(6) Le quorum est de trois membres.
Rémunération et frais
(7) Les membres ont droit à la rémunération fixée par le gouverneur en conseil et sont indemnisés, en conformité avec les instructions du Conseil du Trésor, des frais de déplacement et de séjour entraînés par l’accomplissement de leurs fonctions hors de leur lieu habituel de résidence
2013, ch. 24, art. 45
Fonction
165.34 (1) Le comité d’examen de la rémunération des juges militaires est chargé d’examiner la question de savoir si la rémunération des juges militaires est satisfaisante.
Facteurs à prendre en considération
(2) Le comité fait son examen en tenant compte des facteurs suivants :
a) l’état de l’économie au Canada, y compris le coût de la vie, ainsi que la situation économique et financière globale de l’administration fédérale;
b) le rôle de la sécurité financière des juges militaires dans la préservation de l’indépendance judiciaire;
c) le besoin de recruter les meilleurs officiers pour la magistrature militaire;
d) tout autre facteur objectif qu’il considère comme important.
Examen quadriennal
(3) Il commence ses travaux le 1er septembre 2015 et remet un rapport faisant état de ses recommandations au ministre dans les neuf mois qui suivent. Il refait le même exercice, dans le même délai, à partir du 1er septembre tous les quatre ans par la suite.
Report
(4) Il peut, avec le consentement du ministre et des juges militaires, reporter le début de ses travaux.
2013, ch. 24, art. 45
B. Constitution du comité, membres et soutien administratif
Le comité était constitué d’un président et de deux membres. Le président du comité était l’honorable Clément Gascon, C.C., Ad. E. Les membres étaient l’honorable Thomas A. Cromwell, C.C., et M. James E. Lockyer, O.N.-B., CD, c.r. Le soutien administratif du comité a été assuré par Gordon S. Campbell, secrétaire général.
C. Juges militaires : profil, nombre, endroit où ils siègent et nature de leur travail
Il y a un effectif de quatre juges militaires nommés au Canada qui siègent partout au Canada et, au besoin, dans le monde entier, là où les Forces armées canadiennes de Sa Majesté sont déployées. Leurs fonctions sont établies par la LDN. Il s’agit de juges de nomination fédérale et ayant un rôle spécialisé, comme c’est le cas pour les autres juges de nomination fédérale à des postes spécialisés, comme ceux nommés à la Cour canadienne de l’impôt. Les juges militaires sont des officiers militaires commissionnés au sein des Forces armées canadiennes.
D. Avocats représentant les juges militaires et avocats du gouvernement
Les avocats représentant les juges militaires étaient Me Michel Jolin, Me Catherine Martel et Me Jean-Philippe Dionne. Les avocats du gouvernement étaient Me Jean-Robert Noiseux et Me Sara Gauthier. Ils ont tous représenté de manière compétente leurs clients respectifs et défendu leurs positions.
E. Observations écrites reçues par le comité et témoignages d’experts
Le comité a reçu des observations écrites volumineuses bien rédigées et des documents à l’appui de la part du gouvernement et des juges militaires. Les observations du gouvernement et leurs dates de réception respectives par le comité étaient les suivantes :
a) 2 décembre 2022 : le « Mémorandum »;
b) 30 mars 2023 : le « CV de Yann Bernard »;
c) 17 février 2023 : le « Mémoire du gouvernement »;
d) 17 février 2023 : le « Cahier de documents » (volumes 1 à 4);
e) 3 mars 2023 : la « Réplique »;
f) 3 mars 2023 : le « Cahier de documents » (volume 5);
g) 29 mars 2023 : le « Cahier d’autorités »
h) 29 mars 2023 : le « Cahier de documents » (volume 6).
Les observations des juges militaires et leurs dates de réception respectives étaient les suivantes:
a) 13 janvier 2023 : la « Lettre de M. André Sauvé »;
b) 17 février 2023 : le « Mémoire des juges militaires »;
c) 17 février 2023 : le « Cahier d’autorités »;
d) 17 février 2023 : le « Cahier d’annexes »;
e) 3 mars 2023 : la « Réplique »;
f) 3 mars 2023 : le « Cahier d’annexes supplémentaires »;
g) 29 mai 2023 : les « Documents additionnels ».
M. Yann Bernard, directeur du Bureau de l’actuaire en chef, a été présenté comme témoin expert pour le gouvernement, et le Comité l’a dûment reconnu comme expert qualifié dans son domaine. M. Bernard a présenté une analyse de la rémunération des juges militaires au Canada en date du 2 décembre 2022. Dans son analyse, il a expliqué les résultats de son calcul du montant de la rémunération des juges militaires par rapport à celle des autres juges de nomination fédérale au Canada.
M. André Sauvé, un actuaire-conseil, a été présenté comme l’expert des juges militaires. Il a également été dûment reconnu comme expert par le Comité. Il a présenté et expliqué son rapport du 13 janvier 2023, dans lequel il visait à réfuter plusieurs des constatations de M. Bernard, comme le grade disponible après celui de lieutenant-colonel. En outre, il a calculé le montant des prestations de retraite des juges militaires et a proposé plusieurs hypothèses économiques et démographiques. Les experts sont surtout en désaccord sur qui, entre les juges militaires et les autres juges de nomination fédérale, avait la rémunération totale (comprenant le montant du salaire et le montant de la pension de retraite) la plus élevée.
F. Audience en personne
Une audience en personne a eu lieu à Gatineau (Québec) les 14 et 15 juin 2023. Elle s’est déroulée en trois parties :
1) les présentations respectives des témoins experts, M. Sauvé et M. Bernard, dans le cadre de témoignages de vive voix sous serment devant le comité;
2) la présentation du juge militaire Pelletier J. devant le comité;
3) les plaidoiries respectives des avocats du gouvernement et des juges militaires.
À l’issue de l’audience, le comité a indiqué qu’il examinerait l’affaire. Ce rapport est le fruit des délibérations du comité et se base sur l’ensemble des éléments de preuve, observations et plaidoiries présentés par les parties.
G. Remerciements pour les contributions et l’aide apportée au comité
Le comité tient à remercier M. Campbell pour son aide précieuse.
H. Efficacité du processus du comité
Les juges militaires ont noté le long retard inexpliqué concernant la nomination des membres du comité. Leur mémoire présenté à la Commission aux paragraphes 100 à 104 expose les faits pertinents :
Le présent Comité aurait dû être mis en place peu de temps après le 1er septembre 2019. Pourtant, ce n’est que le 20 juin 2022, après que les juges militaires aient transmis un projet de demande en mandamus à la Cour fédérale, que les membres du présent Comité ont été nommés par décret.
Les juges militaires ne comprennent pas et dénoncent le retard considérable qu’a pris la Ministre pour instituer le présent Comité, et ce, malgré les termes clairs et exprès de la LDN et des ORFC quant aux délais qui s’imposent à elle.
L’intention législative veut que le comité sur la rémunération opère de manière permanente. Or, le défaut de respecter les délais et le processus applicables a eu pour effet de laisser les juges militaires sans processus formel quant à la détermination de leur rémunération, ce qui mine l’indépendance de la magistrature militaire.
Ceci oblige le présent Comité à se livrer à un exercice essentiellement rétroactif, ce qui affecte la confiance du public dans l’indépendance et l’efficacité d’un processus qui s’impose en vertu de principes constitutionnels et de la LDN.
Les juges militaires déplorent que la constitution du présent Comité n’ait été effectuée que près de deux ans après que toutes les étapes administratives ainsi que la documentation nécessaire à la nomination par le Gouverneur en Conseil des trois membres du Comité aient été complétées…
Le comité note que ce retard contrevient à l’impératif constitutionnel selon lequel le comité doit être efficace et transforme son rôle en un rôle d’élaboration de recommandations rétrospectives plutôt que prospectives. Nous exhortons le gouvernement à nommer les futurs comités en temps opportun de telle sorte qu’ils puissent faire communiquer leurs recommandations avant le début de la période à laquelle celles-ci se rapportent et non une fois que cette période s’est écoulée.
Les rejets constants récents par le gouvernement des principales recommandations du CERJM minent également l’efficacité du processus du comité, telle qu’elle était envisagée par la Cour suprême du Canada. Bien que le gouvernement ne soit pas lié par les recommandations, le refus constant de mettre en œuvre des recommandations indépendantes mine la confiance dans le processus.
Les deux plus récents comités ont recommandé une parité de rémunération des juges militaires avec les autres juges de nomination fédérale. Il est instructif de tenir compte de leurs points de vue.
a. Rapport du comité d’examen de la rémunération des juges militaires 2012 recommandant une parité de rémunération avec les autres juges de nomination fédérale
Le rapport du comité d’examen de la rémunération des juges militaires 2012 a mis en évidence les éléments suivants aux pages 12 et 14 :
Si on accepte que les juges militaires sont tout aussi qualifiés que les autres juges de nomination fédérale, il est étonnant de constater que parmi plus d’un millier d’entre eux, seulement quatre touchent une rémunération beaucoup moindre, vu que tous ces juges sont payés sur les mêmes fonds publics. […]
les candidats nommés à d’autres tribunaux supérieurs qui étaient également aptes à devenir juges militaires l’étaient selon le même processus qui s’applique aux nominations à la magistrature militaire, mais ils sont payés 31 % de plus qu’un juge militaire et ce, sur les mêmes fonds publics. […] Nous convenons […] que le raisonnement du gouvernement ne résiste pas à l’analyse. [caractères gras ajoutés] […]
b. Rapport du comité d’examen de la rémunération des juges militaires 2018 unanime pour recommander une parité de rémunération avec les autres juges de nomination fédérale
Le rapport du comité d’examen de la rémunération des juges militaires 2018 a mis en évidence les éléments suivants aux pages 8 et 9 :
Si le gouvernement du Canada accepte une rémunération égale pour les juges qui œuvrent dans différentes provinces ou encore dans des tribunaux spécialisés, il est difficile de comprendre pourquoi, par principe, il en irait différemment pour la cour militaire.
Le rapport du Comité d’examen de la rémunération des juges militaires 2018 a conclu ce qui suit aux pages 12 et 13 :
1. Les conditions économiques ne sont pas le principal facteur à prendre en considération par le comité, car elles « ne posent aucun obstacle à l’établissement d’une rémunération suffisante, ce que d’ailleurs le gouvernement accepte ».
2. Le rôle de la sécurité financière pour la préservation de l’indépendance judiciaire ne doit pas être interprété comme le fait de simplement aspirer au strict minimum : « […] il ne faut pas se contenter du minimum requis à cette fin et qu’il est impossible de fixer le traitement adéquat en fonction de cette norme seulement ».
3. En ce qui concerne le besoin de recruter les meilleurs officiers pour la magistrature militaire : « Lorsque l’on considère les candidatures à des postes au sein des cours supérieures […]. Il a d’ailleurs déjà été démontré qu’un très grand nombre de candidats vont obtenir un salaire bien supérieur à celui qu’ils ont déjà. Il n’y a pas de différence à établir dans le cas des juges militaires. Notre détermination concernant ce critère est tout simplement d’accepter qu’un salaire approprié en soit un qui permet le recrutement raisonnable et stable ».
4. « […] la rémunération des juges militaires devrait faire l’objet d’une augmentation visant à leur fournir un salaire équivalent à celui des autres juges de nomination fédérale. […] il n’existe aucune raison justifiant d’offrir un salaire moindre au juge militaire alors qu’il a une formation équivalente […] ».
Nous notons que les réponses du gouvernement à ces rapports soulevaient plusieurs préoccupations selon lesquelles les comités semblaient se concentrer uniquement sur une référence ou un critère, à savoir la parité, au lieu d’examiner tous les facteurs énoncés dans la loi pour déterminer si la rémunération est satisfaisante. Dans nos délibérations, nous avons tenu compte de ces préoccupations et avons pris en considération de façon minutieuse et exhaustive tous les facteurs énoncés dans la loi dans nos conclusions.
c. Acceptation constante par le gouvernement des recommandations formulées dans les rapports de la CERJ
Le traitement accordé par le gouvernement aux recommandations de la CERJ relatives aux autres juges de nomination fédérale contraste nettement avec celui accordé par le gouvernement aux précédents rapports du CERJM. Le comité note que la « Réponse du gouvernement du Canada au rapport de la Commission d’examen de la rémunération des juges de 2021 » (11 mai 2022) a
accepté la totalité des huit recommandations faites par la Commission : « Le gouvernement prendra des moyens pour assurer la mise en œuvre des recommandations de la Commission en temps opportun […] ». Cela incluait des améliorations aux indemnités judiciaires telles qu’une augmentation de 50 % de l’« indemnité pour faux frais » (passant de 5 000 à 7 500 $). Dans cette réponse, la Commission a rejeté la proposition par le gouvernement d’« un plafonnement à 10 % de l’indexation fondée sur l’IEAE, par rapport au traitement payable au 1er avril 2020 » en dépit d’une « hausse singulièrement importante du 1er avril 2021 », tout en rejetant par ailleurs les « propositions […] de la magistrature (à savoir des augmentations de traitement de 2,3 % pour la troisième et la quatrième années de la période de travaux de la Commission, en plus de l’indexation) ».
Le comité note que le gouvernement a également accepté la totalité des recommandations de la Commission Rémillard dans sa « Réponse du gouvernement du Canada au rapport de la Commission d’examen de la rémunération des juges de 2015 », y compris la constatation suivante : « Le gouvernement convient qu’il est approprié que le juge en chef de la Cour d’appel de la cour martiale reçoive un salaire équivalent à celui reçu par les juges en chef des autres cours supérieures et que les dispositions relatives à la démission volontaire soient aussi élargies pour l’inclure. » Les réponses du gouvernement aux deux dernières Commissions d’examen de la rémunération des juges contrastent donc nettement avec la réponse du gouvernement aux deux derniers CERJM.
Dans sa réponse à la sixième commission d’examen de la rémunération des juges (la Commission Turcotte), le gouvernement note que la Commission « incarne une des protections issues du principe constitutionnel d’indépendance du pouvoir judiciaire, que la Cour suprême du Canada considère comme l’élément vital du caractère constitutionnel des sociétés démocratiques et comme un principe fondamental pour préserver la confiance du public dans l’administration de la justice” ». Cela est également vrai pour le CERJM, qui est régie législativement par précisément les mêmes principes que ceux qui régissent la CERJ.
Détails de la page
- Date de modification :