Décision no 140

Décision de la commissaire et motifs

Sommaire

1. Dans un procès-verbal émis le 25 octobre 2019 conformément au paragraphe 22(2) de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (Loi), le personnel de la Direction générale de la surveillance et de la mise en application de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (personnel de l’ACFC) allègue que la Banque Rogers (ou la Banque) a commis deux violations du Règlement relatif à l’abonnement par défaut (le Règlement) en lien avec la vente de cartes de crédit.

2. En vertu du Règlement, les banques doivent obtenir le consentement exprès, oral ou par écrit, du client avant d’émettre une carte de crédit. Si le consentement est donné oralement, les banques doivent fournir au client, sans délai,Note de bas de page 1  une confirmation écrite de son consentement exprès pour la nouvelle carte de crédit.

3. Dans le procès-verbal et tel que décrit de façon plus détaillée dans le rapport de conformité émis le 23 octobre 2019 joint au procès-verbal (rapport de conformité), le personnel de l’ACFC allègue que la banque a omis :

i. entre octobre 2014 et février 2018, d’obtenir le consentement exprès avant d’émettre aux clients des cartes de crédit en vertu du paragraphe 3(1) du Règlement (violation 1); 

ii. entre octobre 2013 et février 2019, de fournir aux clients une conformation écrite lorsque le consentement pour l’obtention d’une carte de crédit était donné oralement en vertu du paragraphe 3(2) du Règlement (violation 2).

4. Le montant proposé des pénalités est de 175 000 $ pour la violation 1, et de 75 000 $ pour la violation 2.

5. Dans ses observations écrites du 21 novembre 2019 (observations), la Banque ne remet pas en cause le caractère approprié ni le montant proposé des pénalités. La Banque s’oppose toutefois à ce que son nom soit rendu public dans cette décision.

6. Compte tenu des observations de la Banque et du fait qu’elle n’a pas payé les pénalités proposées, les questions à trancher dans cette affaire sont : (i) de déterminer si les violations ont eu lieu telles qu’alléguées dans le procès-verbal; (ii) d’imposer les pénalités pour les montants proposés, pour des montants moindres ou ne pas imposer de pénalité; (iii) de rendre public le nom de la Banque.

7. J’ai examiné le dossier qui m’a été soumis, soit le rapport de conformité, le procès-verbal et les observations. J’ai déterminé, selon la prépondérance des probabilités, que les violations ont eu lieu telles qu’alléguées. Je n’ai trouvé aucune justification pour réduire les montants proposés pour les pénalités dans le procès-verbal. Je les estime appropriés dans les circonstances; ces montants sont donc maintenus. J’ai également décidé que rendre public le nom de la banque serait approprié dans cette affaire. Mes raisons sont les suivantes.

Contexte

8. Pendant la période pertinente, le Règlement énonçait :

Consentement à l’égard de nouveaux produits ou services

3(1) Avant de fournir un nouveau produit ou service financier de base ou optionnel à une personne, l’institution obtient son consentement exprès à cet égard, oralement ou par écrit.

(2) Si le consentement est donné oralement, l’institution fournit à la personne, par écrit, la confirmation de son consentement exprès.

(3) Pour l’application du paragraphe (1), l’utilisation par la personne du nouveau produit ou service ou de tout produit ou service connexe ne constitue pas une preuve de consentement exprès.

(4) Toute communication faite par l’institution en vue d’obtenir le consentement exprès de la personne est faite dans un langage et d’une manière simples et clairs, et de façon à ne pas induire en erreur.

9. En mai 2017, dans le cadre de ses activités régulières de surveillance, l’ACFC a demandé à la Banque Rogers des renseignements relatifs aux plaintes concernant le consentement exprès pour les cartes de crédit pour la période du 1er avril 2015 au 31 mars 2017. La Banque Rogers avait reçu des demandes de cartes de crédit par l’entremise de différentes voies au cours de cette période. Le procès-verbal porte sur les ventes par toutes les voies (en magasin, centres d’appels, démarcheurs indépendants) sauf les demandes en ligne.

10. Le personnel de l’ACFC a examiné les rapports récapitulatifs des 525 plaintes à signalerNote de bas de page 2  soumis par la Banque Rogers et a constaté que 481 d’entre eux portaient sur l’absence de consentement exprès. Le personnel de l’ACFC a également examiné de façon plus détaillée 110 de ces plaintes, y compris l’écoute des enregistrements téléphoniques, ce qui a permis de confirmer que pour 96 des 110 plaintes examinées, le consentement exprès n’avait pas été obtenu tel que requis.

11. De plus, le personnel de l’ACFC a examiné un échantillon d’appels qui n’étaient pas liés aux plaintes à signaler et dans lesquels le client annulait la carte de crédit avant son activation. Le personnel de l’ACFC est d’avis que l’annulation d’une carte avant son activation peut être une indication de l’absence de consentement exprès. Dans son examen de 209 de ces enregistrements, le personnel de l’ACFC a trouvé des preuves que le consentement exprès n'avait pas été obtenu dans environ 20 % des cas. Les raisons de l’annulation comprenaient le fait que le client ne savait pas qu’une carte avait été demandée, était surpris de recevoir un relevé de carte ou n’avait jamais voulu cette carte. 

12. Le personnel de l’ACFC a également examiné les activités de contrôle et de surveillance de la Banque Rogers, y compris la surveillance du centre d’appels, les évaluations mystères et les enregistrements audio des démarcheurs indépendants. L’analyse des résultats de ces activités de surveillance a également révélé un taux relativement élevé d’incidents de non‑conformité avec le consentement exprès, variant entre 11 % et 24 % de l’ensemble des échantillons.

13. Le personnel de l’ACFC a décelé des lacunes dans les politiques et procédures, la formation et la documentation de la Banque Rogers. Selon le personnel de l’ACFC, le cadre de contrôle était insuffisant pour déterminer la pleine portée de la non‑conformité, ce qui permet de conclure qu’il est probable que d’autres omissions d’obtenir le consentement exprès ont eu lieu sans être détectées.

14. Le personnel de l’ACFC a également examiné les documents que la Banque Rogers a transmis à chacun des nouveaux clients de carte de crédit. Ces documents comprenaient un courriel de bienvenue et une trousse de bienvenue envoyée par courrier. Le personnel de l’ACFC a trouvé la formulation de ces communications inadéquate pour confirmer le consentement exprès donné oralement. Ces communications mentionnaient l’approbation de la carte de crédit plutôt que la confirmation que le client avait consenti de façon exprès à la recevoir, tel qu’exigé par le Règlement.

15. En raison des conclusions de l’enquête et des lacunes dans le cadre de contrôle résumées dans les paragraphes précédents, le personnel de l’ACFC a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la Banque Rogers avait enfreint le Règlement. Le personnel de l’ACFC a établi que les violations ont eu lieu entre octobre 2014 et février 2018 pour la violation 1, et octobre 2013 et février 2019 pour la violation 2.

16. Dans ses observations, la Banque Rogers ne remet pas en cause les conclusions du personnel de l’ACFC et assume sa responsabilité pour toute déficience ayant donné lieu aux violations décrites dans le procès-verbal. La Banque Rogers remet toutefois en cause l’inférence défavorable tirée par le personnel de l’ACFC selon laquelle d’autres clients peuvent avoir été affectés. Selon la Banque, cette déclaration exagère le tort causé par les violations.  

17. Enfin, la Banque s’oppose à ce que son nom soit rendu public pour des raisons d’atteinte potentielle à sa réputation.

Analyse et conclusions

18. J’ai pris connaissance du dossier qui m’a été soumis, soit le procès-verbal, le rapport de conformité et les observations.

Violations

19. Puisque les violations alléguées ne sont pas contestées, et que le dossier étaye les allégations, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les violations 1 et 2 ont été commises, telles qu’alléguées dans le procès-verbal.

Montant des pénalités

20. En ce qui concerne les montants des pénalités proposés pour les violations, la question à trancher est l’imposition ou non des montants proposés, des montants moindres ou aucune pénalité. Les critères pertinents à considérer sont décrits à l’article 20 de la Loi, soit la nature de l’intention ou de la négligence, la gravité du tort causé, et les antécédents de violation de la Banque.

21. Dans ses observations, la Banque Rogers ne remet pas en cause le montant des pénalités proposé par le personnel de l’ACFC, mais conteste le niveau de tort que le personnel de l’ACFC a attribué aux violations.

22. En ce qui a trait à la nature de l’intention ou de la négligence, le personnel de l’ACFC précise que les contrôles appropriés n’étaient pas en place à l’époque où la Banque Rogers a commencé à offrir des cartes de crédit, en 2013, et que, même si des contrôles avaient été mis en place au fil du temps, ses activités de surveillance ne permettaient pas de détecter et de régler les cas de non-conformité ayant entraîné le manquement identifié dans la violation 1.  

23. Quant à la violation 2, le personnel de l’ACFC affirme que la Banque Rogers a négligé de respecter ses obligations réglementaires. Elle n’a pas décelé le manque de conformité dans la formulation de ses messages de bienvenue, ce qui soulève des préoccupations quant à la façon dont la Banque produit et surveille ses documents de divulgation requis par la réglementation.

24. La Banque Rogers et le personnel de l’ACFC mentionnent tous deux les progrès réalisés par la Banque pendant l’enquête et les nombreuses améliorations mises en œuvre ou planifiées au cadre de contrôle entre 2017 et 2019. Depuis juin 2019, la formulation des messages de bienvenue est conforme et comprend un langage approprié pour confirmer le consentement exprès.

25. De plus, la Banque Rogers s’est engagée à conclure une entente de conformité avec l’ACFC. Une telle entente permettra une étroite surveillance de la Banque Rogers pour s’assurer qu’elle continue de prendre les mesures correctives appropriées pour régler les problèmes ciblés par le personnel de l’ACFC.  

26. Il est impossible de quantifier avec précision le nombre de clients affectés et l’ampleur du tort causé par les violations. La documentation fournie par la Banque Rogers ne permet pas d’effectuer une analyse complète ou exacte.

27. Le personnel de l’ACFC affirme que tous les comptes de cartes de crédit de la Banque vendus par l’entremise de ces canaux (environ [texte omis]) ont été potentiellement touchés par l’absence de consentement, ce qui a donné lieu à la violation 1, et par la divulgation inappropriée, ce qui a entraîné la violation 2. Le personnel de l’ACFC remarque que les lacunes dans la collecte de données et les contrôles de la Banque sont des facteurs qui ont permis d’arriver à cette conclusion.

28. La Banque Rogers croit que cette conclusion « dénature la preuve » (traduction libre) et surestime le tort causé. Je note cette préoccupation; toutefois, l’analyse des plaintes, le nombre d’annulations avant l’activation, les évaluations mystères et la surveillance des appels démontrent clairement que les cas de non-conformité n’étaient pas isolés et représentaient entre 11 % et 87 % des échantillons examinés. Donc, même une estimation plus modérée du nombre de clients probablement concernés demeurerait dans les dizaines de milliers.

29. La Banque Rogers affirme également qu’aucun client n’a connu de tort financier direct puisque les mesures correctives (fermeture de comptes, remboursement des frais, retrait de l’impact des bureaux de crédit) étaient mises en œuvre. Cette interprétation étroite de tort ne correspond pas à l’objectif du Règlement. L’exigence visant à obtenir le consentement exprès n’est pas uniquement dans l’intérêt du client afin de lui permettre de prendre des décisions financières éclairées; elle rend tout produit offert sans ce consentement, en soi, une preuve de tort, car le droit du consommateur n’a pas été respecté.  

30. Les commentaires compris dans les plaintes démontrent le niveau de préoccupation des clients qui n’ont pas donné leur consentement exprès, ainsi que l’impact négatif sur la confiance en la Banque après cette expérience. De plus, il est probable que certains clients concernés n’aient pas pris de mesure pour annuler la carte ou pour déposer une plainte et qu’ils aient subi des conséquences négatives après avoir reçu un produit qu’ils n’avaient pas autorisé.  

31. Les manquements qui ont donné lieu aux violations étaient de longue date et n’ont pas été détectées par la Banque. Les antécédents de conformité de la Banque Rogers ne révèlent aucune violation au cours des cinq dernières années.

32. Selon l’analyse susmentionnée des critères pertinents, je n’ai trouvé aucune raison de réduire le montant proposé des pénalités et je les juge appropriés pour encourager la conformité. Le montant des pénalités pour les violations 1 et 2 demeure donc tel que proposé.

Publication

33. La Banque Rogers s’oppose à l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire visant à rendre public le nom de la Banque dans cette décision. Selon la Banque, la publication de son nom aurait des effets négatifs sur sa réputation, la réputation de sa société mère, la confiance des clients et son succès futur.  

34. De plus, la Banque Rogers affirme que, puisqu’elle estime le niveau de tort est moindre que celui allégué par le personnel de l’ACFC, rendre son nom public n’est pas nécessaire compte tenu du montant des pénalités et de l’entente de conformité pour favoriser la conformité.  

35. J’ai examiné les observations de la Banque concernant cet enjeu et j’ai adressé ses soumissions concernant le niveau de tort. Je suis d’accord que la conclusion d’une entente de conformité avec l’ACFC sera un facteur important pour améliorer la capacité de conformité de la Banque.

36. Toutefois, je crois que le fait de rendre public le nom de la Banque encouragerait la Banque Rogers à continuer à respecter son engagement à l’égard de son plan pour améliorer son programme de conformité, améliorant ainsi sa capacité à prévenir et à détecter des manquements de conformité futurs. Je note que, bien que la Banque Rogers ait coopéré avec l’ACFC pendant l’enquête, elle n’a pas détecté elle-même ces problèmes de longue date, et le manque de données de la Banque a nui à une détermination réelle de la véritable portée des violations.

37. Je crois également que toute répercussion négative potentielle sur la réputation de la Banque est supplantée par l’impact positif sur la confiance des consommateurs à l’égard de la surveillance réglementaire canadienne pour la protection des consommateurs et du système bancaire.

38. Comme moyen de dissuasion général, la publication permettra également d’approfondir la compréhension de l’importance du consentement exprès au sein de la communauté financière et auprès des consommateurs.

39. Je conclus donc qu’il est approprié d’exercer mon pouvoir discrétionnaire dans cette affaire et de rendre publics le nom de la banque ainsi que la nature des violations et le montant des pénalités.

Judith N. Robertson
Commissaire
Agence de la consommation en matière financière du Canada

Ottawa, 31 mars 2021

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