Décision no 127

Motifs de la décision du commissaire

(Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, paragraphe 23 (2))

Cette décision vise la non-conformité de la Banque avec la règle selon laquelle le coût d’emprunt doit être exprimé sous forme d’un montant en dollars et en cents tel qu’établie dans la Loi sur les banques et le Règlement sur le coût d’emprunt (banques) (le Règlement). 

En octobre 2016, la commissaire adjointe de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (l’ACFC ou l’Agence) a dressé un procès-verbal de violation (procès-verbal) à l’endroit de la Banque. Elle alléguait ainsi, selon des motifs raisonnables, que la Banque avait fait défaut à son obligation de divulguer à ses emprunteurs avec précision, de septembre 2001 à novembre 2015, le coût d’emprunt, sous forme d’un montant en dollars et en cents, lié aux prêts et aux prêts hypothécaires à taux d’intérêt fixe et variable, et au renouvellement de ceux-ci. La pénalité prévue a été évaluée à 100 000 $. Le procès-verbal énonçait également que la Banque disposait de 30 jours pour présenter des observations, comme prévu au paragraphe 22(2) de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (la Loi).

Dans ses observations de novembre 2016 (la présentation), la Banque soutient que cette question est liée à une lacune qu’elle a auto-déclarée, que les dommages causés aux consommateurs étaient limités, et qu’elle avait adopté des mesures concrètes pour cerner et combler cette lacune. La Banque s’appuie sur cet argument et ses antécédents en matière de conformité, et elle me demande d’écarter le constat de violation et la pénalité.  

Les faits pertinents de la présente requête ne sont pas contestés. Après avoir examiné les preuves, y compris la présentation, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la Banque a commis une violation, qu’elle a auto-déclarée comme étant une lacune en octobre 2014. J’estime également que la pénalité de 100 000 $, proposée dans le procès-verbal, doit être maintenue. Mes motifs sont les suivants.

Contexte factuel

Je me base sur les  faits énoncés en détail dans le Rapport de l’ACFC sur la conformité de septembre 2016 pour décrire brièvement le contexte factuel de cette question.  

De septembre 2001 à novembre 2015, le coût d’emprunt indiqué dans la déclaration  de la Banque à l’intention des emprunteurs, dans le cas de prêts et de prêts hypothécaires, était inférieur au montant qui aurait dû être divulgué aux emprunteurs selon le système de la Banque, qui calcule et en enregistre le coût d’emprunt réel. 

Le système de traitement interne de la Banque, qui calcule les intérêts réels du compte d’emprunt ou d’emprunt hypothécaire d’un emprunteur et en enregistre les produits à recevoir, crédite les paiements versés. Cependant, une exception s’applique : les paiements versés dans un compte un jour non ouvrable ne s’appliquent que le jour ouvrable suivant. Le coût d’emprunt énoncé dans le document d’information de la Banque avait été calculé en fonction des paiements portés au compte de l’emprunteur à la date de versement, sans exception. Par conséquent, des intérêts ont été portés aux comptes de l’emprunteur d’une manière qui ne correspondait pas à la déclaration de la Banque. 

Plus de [texte omis] comptes ont été touchés. Le nombre exact de comptes ne peut être déterminé, puisque la capacité de récupération d’information de la Banque ne permet de remonter qu’en janvier 2006. Ainsi, la période de septembre 2001 à décembre 2005 demeure exclue des résultats.  

La Banque a estimé que l’incidence financière maximale (et le montant de remboursement connexe) de la période de janvier 2006 à novembre 2015 correspondait à un montant de $2,048,605. Le projet de rectification se déroule en deux étapes. La première étape prévoit un remboursement de $845,250, et la deuxième, un montant de $1,203,355.

Dispositions pertinentes

Les dispositions de la Loi sur les banques qui s’appliquent à mon analyse sont présentées ci-dessous.

450 (1) La banque ne peut accorder à une personne physique de prêt remboursable au Canada sans lui communiquer, selon les modalités – notamment de temps, lieu et forme – réglementaires, le coût d’emprunt calculé et exprimé en conformité avec l’article 451, ainsi que les autres renseignements prévus par règlement.

451 Le coût d’emprunt est calculé de la manière réglementaire, comme si l’emprunteur respectait scrupuleusement tous ses engagements, et exprimé sous forme d’un taux annuel avec indication, dans les circonstances prévues par règlement, d’un montant en dollars et en cents.

Le Règlement stipule que le coût d’emprunt doit être exprimé sous forme de somme dans le cas de prêts à taux d’intérêt fixe d’un montant fixe, conformément à l’alinéa 8 (1) d), de prêts à taux d’intérêt variable d’un montant fixe, conformément au paragraphe 9 (1), et de déclarations relatives au renouvellement de prêts hypothécaires, conformément au paragraphe 14 (1).

Considérations préalables

Je tiens à souligner, dès le départ, que la Banque a auto-déclaré cette situation comme étant une lacune en matière de divulgation, et a correctement indiqué que les obligations relatives aux articles 450 et 452 de la Loi sur les banques et du Règlement connexe avaient été engagées. 

La commissaire adjointe a examiné la preuve relative aux produits de prêt touchés et a décidé de n’appliquer qu’une seule violation à l’endroit de la Banque. Je conviens de procéder de cette façon, bien que la preuve qui m’est présentée puisse appuyer des violations distinctes de l’alinéa 8 (1) d) et des paragraphes 9 (1) et 14 (1) du Règlement.

Analyse et conclusions

Je comprends de la situation que la Banque m’a demandé de remettre en question la constatation d’une violation et d’une pénalité sous le prétexte suivant : (i) la lacune auto-déclarée a causé des dommages limités aux consommateurs; (ii) des mesures concrètes ont été adoptées pour cerner et combler cette lacune; (iii) les antécédents de la Banque en matière de conformité doivent être pris en compte. La Banque m’a également demandé de ne pas publier son nom en vertu de l’article 31 de la Loi, affirmant un risque d’atteinte considérable à sa réputation, qui pourrait ébranler la confiance des consommateurs envers son cadre de conformité. J’examinerai chacun de ces points à tour de rôle.

La violation

Dans sa présentation, la Banque fournit une analyse des dommages financiers causés aux titulaires de comptes d’emprunt ou d’emprunt hypothécaire faisant partie du groupe de consommateurs touchés à compter du 1er janvier 2006. Elle explique la stratégie qui consiste à arrondir le montant des remboursements à payer dans le cadre des étapes 1 et 2 du plan de rectification. La Banque conclut que les dommages réels causés à la plupart des consommateurs touchés (c.-à-d. le préjudice monétaire) ne sont pas considérables. 

Parallèlement, la Banque admet que la mise à l’essai normale du système n’a pas permis de détecter la lacune en question durant près de 13 ans, et ce, malgré l’apport de mises à jour ou de modifications au système. La Banque attribue cette situation au montant infinitésimal de l’écart relatif au coût d’emprunt.  

Il est certain que la Banque doit satisfaire aux exigences en matière de divulgation en vertu de la Loi sur les banques et respecter toutes les autres dispositions visant les consommateurs. La violation d’une disposition relative aux consommateurs soumet une entité réglementée à une responsabilité stricte, de sorte que cette entité puisse être jugée responsable d’une infraction en vertu de la Loi, sauf en cas de présentation d’une justification ou excuse valable. Surtout, cette situation s’applique même lorsque les dommages causés sont limités. Dans le cas Banque Internationale de Commerce Mega (Canada) c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 1 , la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

« [...] on peut présumer qu’un tort est établi dès lors qu’une banque ne satisfait pas aux exigences du Règlement, privant ainsi ses clients de l’information et des déclarations auxquelles ils ont droit. » [paragr. 56]

Je ne vois aucun motif pour aborder cette affaire différemment. La Banque a divulgué de l’information inexacte à bien plus de [texte omis] comptes. De septembre 2001 à novembre 2015, soit durant plus de 14 ans, le coût d’emprunt divulgué était différent du montant chargé aux emprunteurs, à cause d’un écart entre les calculatrices que la Banque avait utilisées aux fins de divulgation et celles qu’elle avait utilisées aux fins de traitement des paiements que les emprunteurs ont fait.

[texte omis]

En l’absence de preuve de prise de précautions voulues, je ne vois aucun motif excusant la non-conformité de la Banque. Par conséquent, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la Banque a commis la violation en question.

La pénalité

En ce qui concerne la question du montant de la pénalité, j’ai examiné l’analyse présentée dans le procès-verbal, y compris les constatations de la commissaire adjointe sur la négligence, les dommages causés et les antécédents en matière de conformité. Dans sa présentation, la Banque a mis l’accent sur les dommages causés aux consommateurs sur une base individuelle, et concluait qu’ils étaient limités. Cependant, le montant global de $2,048,605 correspondant à l’incidence financière sur les consommateurs de la Banque devant être indemnisés et les [texte omis] comptes touchés n’indiquent assurément pas que les dommages sont limités. 

De plus, la Banque prétend que, malgré l’écart entre les montants divulgués, la capacité des consommateurs à évaluer le coût d’emprunt n’a pas été affectée. Je ne peux accepter cette affirmation. Je tiens à souligner que, conformément à la décision rendue dans l’affaire Mega, une infraction à une disposition relative aux consommateurs pose un préjudice suffisant  pour établir un constat de violation. 

Je souligne également que le processus de retour à la conformité de la Banque a duré plus d’un an, à compter de la détection de la lacune, en août 2014. De plus, une enquête approfondie de l’ACFC s’est avérée nécessaire pour que la Banque mette son plan de rectification en œuvre. Je reconnais toutefois que ce plan est approprié sur le plan financier, dans les circonstances. En fonction de ces considérations, je ne vois aucune raison d’imposer une pénalité inférieure, et j’estime que la pénalité de 100 000 $ doit être maintenue.

Publication

La dernière question devant faire l’objet d’une décision porte sur la publication ou non du nom de la Banque. Dans sa présentation, la Banque prétend que ses clients se fient à ses antécédents en matière de conformité, à son engagement envers un programme de conformité solide et efficace, et évoque le risque d’atteinte considérable à sa réputation, qui pourrait nuire à la confiance des consommateurs envers son cadre de conformité, si je prends la décision de publier son nom. 

De plus, la Banque estime que les dommages causés à sa réputation seraient excessifs et disproportionnés, compte tenu, entre autres, de la nature de la lacune en question, du degré limité de dommages qu’elle prétend avoir causés, et des mesures correctives qu’elle a soigneusement adoptées.  

Au moment de déterminer si le nom d’une entité réglementée doit être rendu public, je tiens compte de divers facteurs, notamment la gravité de ses gestes ou de ses omissions, sa volonté de reconnaître sa responsabilité relativement à l’infraction et de rembourser les consommateurs touchés, l’impact de l’infraction sur les consommateurs et la confiance de ceux-ci, ainsi que la dissuasion. Je prends aussi en compte le degré de collaboration obtenu par l’ACFC tout au long du processus d’enquête ainsi que l’engagement de l’entité réglementée à améliorer sa gestion des risques d’infraction future.  

De plus, c’est important de noter que mon analyse repose sur le principe selon lequel tout exercice du pouvoir discrétionnaire de publier le nom d’une entité réglementée est forcément cohérent avec le cadre législatif conçut par le Parlement. Par conséquent, une décision résultante de rendre le nom public ne serait ni punitive ni contraire aux principes d’application de la Loi. 

Dans le cas présent, l’argument selon lequel la Banque dépend grandement de la confiance du public et de sa réputation dans le marché financier m’a convaincue, et j’estime que la violation et la pénalité sont suffisamment dissuasives et aideront la Banque à multiplier ses efforts pour respecter l’engagement énoncé, qui consiste à entretenir un programme de conformité solide et efficace. Je m’attends à ce que la Banque adopte des mesures supplémentaires, à l’avenir, pour augmenter l’efficacité du contrôle et de la mise à l’essai des systèmes, et qu’elle conçoive des programmes de conformité appropriés pour éviter les infractions futures. Pour ces raisons, je suis convaincue qu’il est justifié de ne pas publier le nom de la Banque.

Le 21 février 2017

Lucie M.A. Tedesco
Commissaire

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