Section 1 : Introduction
1.1 Vue d’ensemble de l'eau douce
L'eau douce est un atout stratégique ayant une valeur économique, environnementale et sociale
Des provisions d’eau douce sûres et propres sont essentielles à la prospérité économique, à la sécurité alimentaire et énergétique, à la santé et au bien-être du Canada, ainsi qu'à l'identité nationale. Les Canadiens se soucient profondément de l'eau douceNote de bas de page 1 et l'eau est sacrée pour de nombreux peuples autochtones et honorée comme source de vieNote de bas de page 2 .
On croit souvent à tort que le Canada dispose de provisions abondantes d’eau douce propre. Bien que le Canada détienne 20 % des eaux douces de surface du monde, cette statistique est trompeuse. Les ressources en eau du Canada ne sont pas illimitées et nécessitent une gestion prudente : seulement un tiers de l'eau douce de surface du Canada est renouvelable (c'est-à-dire sans sel et remplacée annuellement par les précipitations), et sur cette quantité, plus de la moitié s'écoule vers le nord, loin des régions les plus peuplées du Canada.Footnote 3
L'eau n'est pas nécessairement disponible là où les Canadiens en ont besoin et lorsqu'elle arrive, elle peut prendre la forme d'inondations soudaines. Par exemple, l'Ouest canadien et la région des Prairies sont confrontés à des pénuries d'eau alors même qu’on projette une augmentation des précipitations annuelles nationales.Footnote 4
L'eau fait partie intégrante de l'économie canadienne
L'eau douce est à la base de la croissance économique et de la prospérité du Canada. Une tentative de quantifier la valeur économique annuelle mondiale de l'eau et des écosystèmes d'eau douce l'estime à 58 billiards de dollars américains, soit l'équivalent de 60 % du produit intérieur brut (PIB) mondial.Note de bas de page 5 En 2021, la production, le transport et la distribution d'électricité représentaient plus des deux tiers (69,5 %) de toute l'eau utilisée par les industries au Canada, suivies de la production végétale (6,2 %) et de la production animale (4,8 %).Footnote 6
Les sécheresses, les inondations et les tempêtes devraient entraîner une perte totale au PIB national de 108 milliards entre 2022 et 2050, soit une moyenne de 0,2 % du PIB national par année, avec des répercussions dans la fabrication et la distribution, le commerce de détail, les banques et les assurances, l'énergie et l'agriculture.Footnote 7
L'eau est essentielle à un environnement sain
La qualité de l'environnement du Canada dépend de la santé des écosystèmes. Les écosystèmes d'eau douce, tels que les milieux humides, les rivières et les aquifères, sont un élément essentiel du cycle mondial de l'eau – fournissant, purifiant et protégeant les ressources en eau douce.
Les écosystèmes fournissent de précieux « services écosystémiques » qui contribuent à la santé des sociétés humaines et des environnements naturelsFootnote 8 . Les milieux humides font partie des écosystèmes les plus vitaux de la planète. Ils constituent un habitat important pour la faune, filtrent la pollution, offrent une protection contre les inondations et stockent de grandes quantités de carbone. Au Canada, on estime que les milieux humides fournissent des services naturels d'une valeur annuelle de près de 225 milliards, soit environ 10 % du PIBFootnote 9 . Malgré leur grande valeur, les milieux humides ont été et continuent d'être détruits à un rythme rapide.
Le déclin des écosystèmes a également un impact significatif sur la biodiversité : entre 1970 et 2020, les populations en eau douce ont subi le plus fort déclin, avec une chute de 85 %, suivie par les populations terrestres (69 %) et marines (56 %)Footnote 10 . Au Canada, environ 11,7 % des espèces d'eau douce évaluées au Canada sont classées comme étant « en péril »Footnote 11 .
L'eau est importante pour la vie quotidienne des Canadiens
Près de la moitié des Canadiens considèrent l'eau douce comme la ressource naturelle la plus importante du Canada en raison de sa valeur pour la santé et la qualité de vie des CanadiensFootnote 12 . Les écosystèmes d'eau douce sont également très fréquentés par les Canadiens à des fins récréatives et touristiquesFootnote 13 .
Pourtant, sur le plan individuel, les Canadiens sont parmi les plus grands consommateurs d'eau au monde. Dans un ménage canadien moyen, la consommation d'eau par habitant dépasse 220 litres par jour, soit le double de la limite de consommation recommandée par les Nations UniesFootnote 14 .
Les eaux de surface fournissent de l'eau potable à deux tiers des Canadiens en moyenne, tandis qu'un tiers de la population s'approvisionne en eau souterraine. Le type d’approvisionnement dominant varie entre milieux urbains et ruraux : les Canadiens qui dépendent des eaux souterraines pour leur eau potable représentent environ 80 % de la population rurale du pays.Footnote 15
Défis en matière d’approvisionnement en eau au Canada
L'approvisionnement en eau douce au Canada dépend d'écosystèmes aquatiques et terrestres sains et productifs, ainsi que d'un cycle hydrologique mondial qui fonctionne bien. Pour qu’un approvisionnement en eau soit considéré comme étant “sûr”, il est nécessaire d'avoir la bonne quantité d'eau de la bonne qualité au bon moment et au bon endroit pour répondre aux besoins économiques, environnementaux et sociaux. L'approvisionnement en eau du Canada est influencé par de nombreux facteurs et les impacts socioéconomiques et environnementaux varient d'une région à l'autre, ce qui nécessite des interventions ciblées en fonction des besoins et des conditions locales.
Les effets cumulatifs des changements dans les régimes de précipitations, de la hausse des températures et des phénomènes météorologiques extrêmes ont une incidence sur l'approvisionnement en eau au Canada, ce qui entraîne des conséquences considérables dans tous les secteurs de la société et de l'économie canadiennes.
Défis liés à la qualité de l'eau douce
En 2023, la qualité de l'eau douce dans les rivières canadiennes est généralement évaluée comme étant passable à excellente, avec une variabilité locale et régionale importante.Footnote 16 L’aménagement du territoire est un facteur de stress majeur sur la qualité de l'eau douce par le biais de l'agriculture, de l'exploitation minière, de la foresterie, des populations à densité élevée, ou d’une combinaison de ces éléments. Les contaminants ponctuels et émergents (PFAS, microplastiques) peuvent également avoir des répercussions importantes sur les écosystèmes aquatiques et la santé humaine. La qualité de l'eau et la dégradation des écosystèmes aquatiques peuvent entraîner des coûts élevés pour l'économie canadienne en raison de l'augmentation des coûts des soins de santé, du traitement de l'eau et de l'assainissement, entre autres.Footnote 17
Par exemple, les proliférations d'algues dans le lac Érié coûtent actuellement 412,5 millions par année à l'économie canadienne (estimation de 2019) en raison de pertes directes comme la perte de valeur de la pêche commerciale, l'augmentation des coûts des usines de traitement de l'eau potable et la perte de valeur des biens, ainsi que de pertes indirectes telles que la perte de services publics pour les adeptes de plein air, les touristes et les non-utilisateursFootnote 18 . Les éclosions d'algues posent également des risques néfastes pour la santé humaine et l'écosystème : en 2014, une prolifération d'algues sur le lac Érié a entraîné une interruption de l'eau potable dans la ville de Toledo, en Ohio, touchant 500 000 utilisateursFootnote 19 .
En 2013, le Fonds mondial pour la nature a désigné le lac Winnipeg comme le lac le plus menacé de l'année au monde en raison de l'eutrophisation et de la détérioration de la santé de l'écosystème. L’exploitation de terres agricoles occupant plus de 50 % du territoire du bassin versant, la charge en phosphore continue de dépasser la capacité naturelle du lac à traiter les nutriments, ce qui entraîne des proliférations d'algues à grande échelle. De plus, la santé du lac Winnipeg continue d'être mise à l'épreuve par les effets cumulatifs de multiples facteurs de stress (ex. excès de nutriments, changements climatiques, espèces aquatiques envahissantes) et de la complexité (ex. hydrologie, climat froid) du bassinFootnote 20 .
Défis liés à la quantité d'eau douce
La quantité d'eau douce au Canada varie également considérablement selon les régions, certaines régions étant sujettes à la sécheresse et d'autres à des inondations saisonnières. Les inondations sont les catastrophes les plus courantes et les plus coûteuses au Canada et sont de plus en plus fréquentes et graves. Au cours de la dernière décennie, les inondations ont coûté près de 800 millions par année en moyenne en pertes assuréesFootnote 21 . Plus de 1,5 million de maisons sont construites dans des zones à risque élevé d'inondation, et 80 % des villes canadiennes sont construites, totalement ou en partie, sur des plaines inondables.Footnote 21
Les sécheresses sont exacerbées par les changements climatiques: leur fréquence et leur intensité devraient augmenter dans le sud des Prairies et l'intérieur de la Colombie-Britannique, et les risques de sécheresse devraient augmenter pour les régions du Canada qui sont déjà aux prises avec des pénuries d'eau. Par exemple, en 2021, la production agricole en Saskatchewan a chuté d'un niveau record de 47 %.Footnote 22 En 2022, les agriculteurs ont utilisé 23 % d'eau en plus pour irriguer leurs cultures par rapport à 2020, principalement en raison des conditions plus sèches.Footnote 23
Le réseau électrique du Canada dépend fortement de l'hydroélectricité (60 % du portefeuille énergétique de 2016 à 2022). En 2023, trois des plus grands producteurs d'hydroélectricité du Canada ont été touchés par la sécheresse ou des conditions anormalement sèches, ce qui a réduit l'électricité totale produite au Canada de 3,9 %.Footnote 24 .
1.2 Aperçu de la gouvernance de l'eau douce au Canada
La gouvernance de l’eau douce au Canada est complexe en raison du partage des rôles et des responsabilités entre les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux, municipaux et autochtones, ainsi qu’avec les États-Unis pour les eaux limitrophes et transfrontalières. La collaboration entre les juridictions est essentielle.
Gouvernement fédéral
Le Canada dispose d’un cadre législatif et réglementaire vaste et complexe afin de permettre et soutenir la restauration et la protection de la santé des écosystèmes, avec des pouvoirs découlant entre autres de la Loi sur le ministère de l’Environnement, de la Loi sur les ressources en eau du Canada, de la Loi sur les pêches et de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999). Ces pouvoirs sont mis en œuvre par plus de 20 ministères et organismes fédéraux ayant des responsabilités liées à l’eau douce, notamment : la protection de l’eau douce; les compétences en matière de prévention de la pollution; la cartographie et la surveillance des eaux souterraines ; les pêches; la navigation et le transport maritime; les eaux sur le territoire domanial et les réserves des Premières Nations; les eaux transfrontalières nationales et internationales; et les processus et traités internationaux. Le ministre de l’Environnement est le responsable fédéral de l’eau douce et l’Agence de l’eau du Canada (AEC) et Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) s’acquittent des responsabilités du ministre.
L’AEC est responsable du leadership et de la coordination en matière d’eau douce pour le gouvernement fédéral et de l’amélioration de la collaboration avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones pour garder les eaux du Canada sûres, propres et bien gérées pour les générations futures. L’AEC atteint cet objectif par le biais d'un leadership fédéral en matière de politique, de gestion et d'intendance de l'eau douce. L’Agence est aussi responsable de mettre en œuvre le Plan d’action renforcé sur l’eau douce au moyen de huit initiatives relatives aux écosystèmes d’eau douce dans des plans d’eau d’importance nationale et met également en œuvre le programme ÉcoAction. L’AEC préside le Régie des eaux des provinces des Prairies et le Conseil du bassin du fleuve Mackenzie, et fournit un soutien aux offices internationaux des eaux. L’AEC n'est pas responsable de la mise en œuvre des activités maritimes au sein du gouvernement fédéral, qui relève des responsabilités de Pêches et Océans Canada.
ECCC est responsable de : la collecte, de l’interprétation et de la diffusion de renseignements normalisés sur les conditions météorologiques, le climat et les ressources en eau; la science, le contrôle et la surveillance ainsi que la modélisation et les prévisions en matière qualité et de quantité d’eau; l’appui aux offices nationaux et internationaux de l’eau; l’application des dispositions relatives à la prévention de la pollution de la Loi sur les pêches; et les conseils sur les eaux transfrontalières internationales (avec AMC), y compris la relation d’ECCC avec la Commission mixte internationale.
Les autres départements fédéraux ayant des responsabilités en matière d'eau douce comprennent (liste non exhaustive):
- Ressources naturelles Canada (p. ex. cartographie des aquifères),
- Agriculture et Agroalimentaire Canada (p. ex. la surveillance de la sécheresse et la réduction de l'impact de l'agriculture sur la qualité de l'eau douce),
- Pêches et Océans Canada (p. ex. poisson d’eau douce et leur habitat),
- Services aux Autochtones Canada (p. ex. appui aux Premières Nations en matière d’eau potable), et
- Sécurité publique Canada (p. ex. gestion des urgences et intervention, y compris en cas de déversement et d’inondation)
Provinces et territoires
Les provinces et les territoires ont la compétence principale en matière de gestion et de protection des eaux de surface et souterraines à l’intérieur de leurs frontières. Les pouvoirs législatifs comprennent la gestion des terres et des eaux souterraines, l’allocation et l’utilisation de l’eau, les services d’eau potable et d’eaux usées, la délivrance de permis pour les effluents, la protection des sources d’eau, le développement de l’énergie thermique et hydroélectrique et l’éducation du public.
Municipalités
Les gouvernements provinciaux et territoriaux délèguent souvent certains pouvoirs aux municipalités, particulièrement en ce qui a trait au traitement et à la distribution de l’eau potable, au traitement des eaux usées et à l’aménagement du territoire. Les organismes locaux de gestion des bassins versants peuvent assurer la protection des sources d’eau, la surveillance de l’eau et l’éducation du public, sous la surveillance réglementaire des provinces et des territoires.
Peuples autochtones
Les peuples autochtones ont un fort intérêt à participer à la prise de décisions concernant l’eau, dont en raison de leur rôle traditionnel de gardiens de l’eau, des systèmes de connaissances autochtones, et des pratiques et des liens spirituels avec l’eau. Cependant, la participation varie d’une province et d’un territoire à l’autre. Les peuples autochtones cherchent généralement à faire reconnaître leur rôle et leurs droits en matière d’eau et de gouvernance de l’eau.
De nombreux traités modernes et ententes sur l’autonomie gouvernementale conclus avec les peuples autochtones comprennent des droits d’utilisation et des droits d’adopter des lois ou de prendre certaines décisions relatives à l’eau. Les peuples autochtones participent également à la gestion des eaux transfrontalières, notamment par l’intermédiaire des conseils de gestion de l’eau.
Cette compétence découle des droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution, ce qui comprend le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, ainsi que les droits protégés par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), mise en œuvre au Canada par la Loi de mise en œuvre de la DNUDPA.
L’eau potable et les eaux usées dans les réserves des Premières Nations sont une responsabilité partagée entre les Premières Nations et le gouvernement du Canada.
Relations Canada-États-Unis sur l'eau douce
Le Canada partage d'importantes eaux limitrophes et transfrontalières avec les États-Unis. Les eaux partagées représentent plus de 40 % de la frontière entre le Canada et les États-Unis, dont plus de 300 lacs et rivières qui font partie de la frontière internationale ou la traversent. Le Canada et les États-Unis collaborent depuis longtemps dans le domaine des eaux frontalières. Depuis 1909, le Traité relatif aux eaux limitrophes a établi les principes et les mécanismes d’examiner les questions relatives aux eaux limitrophes et frontalières et a créé la Commission mixte internationale (CMI).
La CMI poursuit le bien commun des deux pays en tant que conseiller indépendant et objectif du Canada et des États-Unis. En particulier, la CMI se prononce sur les demandes d'approbation de projets d’ouvrages qui touchent les eaux limitrophes ou transfrontalières, et s’il y a lieu, régit l'exploitation de ces ouvrages; elle aide les deux pays à protéger l'environnement qu'ils partagent, y compris par la mise en œuvre d'accords et l'amélioration de la qualité de l’air de part et d’autre de la frontière; et elle attire l'attention des gouvernements sur les enjeux qui se dessinent le long de la frontière et qui pourraient donner lieu à des différends bilatéraux.Footnote 25
Affaires mondiales Canada est responsable de la politique étrangère, y compris des eaux transfrontalières entre le Canada et les États-Unis, et gère les relations du gouvernement fédéral avec la CMI. L'ECCC et l’AEC fournissent une expertise technique et un soutien à 15 conseils, comités et groupes de travail binationaux sur les eaux transfrontalières de la CMI.
Le Canada collabore avec les États-Unis sur des questions prioritaires communes telles que la pollution transfrontalière de l'eau et la gestion des nutriments, les faibles niveaux d'eau et le tarissement des aquifères, ainsi que les espèces aquatiques envahissantes. Il partage la gestion de l'écosystème des Grands Lacs, l'un des plus grands systèmes d'eau douce de la planète, dans le cadre de l'Accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs (1972-aujourd'hui). Parmi les autres accords de collaboration entre le Canada et les États-Unis figurent le Traité du Niagara, le Traité du fleuve Columbia, et la Convention et le Protocole du lac des Bois de 1925.