La coopération internationale en matière de droit de la concurrence : points de vue du nord du 49e parallèle

Discours

Remarques du commissaire de la concurrence Matthew Boswell
Audiences internationales de la Federal Trade Commission sur la concurrence et la protection des consommateurs au 21e siècle
Le 25 mars 2019
Washington (DC)

(Le discours prononcé fait foi)

Bonjour.

Merci pour cette aimable présentation.

Je remercie également la Federal Trade Commission de m’avoir invité à me joindre à la discussion d’aujourd’hui.

Je remercie mes collègues panélistes, Edith Ramirez, Chilufya Sampa, Tom Barnett et mon compatriote Jean-François Fortin.

Et, bien évidemment, je vous remercie toutes et tous d’être avec nous aujourd’hui pour discuter de la concurrence et de la protection des consommateurs au 21e siècle.

Le changement est inévitable, et toujours à nos portes.

La croissance de l’économie numérique de manière générale, en particulier du commerce en ligne, est un phénomène mondial.

De plus en plus, les comportements sur lesquels nous enquêtons ne se limitent plus aux frontières.

Et lorsque des changements surviennent, la question n’est pas de savoir comment nous les percevons, mais plutôt comment nous allons y répondre.

Parviendrons-nous à relever le défi?

Saisirons-nous l’occasion qui se présente?

Il s’agit là de questions auxquelles les gouvernements de partout dans le monde sont confrontés, et la façon dont nous y répondons sera gage de notre succès.

Au Bureau de la concurrence du Canada, nous avons une longue histoire de coopération avec la FTC et de nombreuses autres autorités de la concurrence ailleurs dans le monde.

Mais nous ne pouvons pas nous fonder sur ces bases seulement.

Nous devons continuer de bâtir sur ces relations pour nous adapter aux nouvelles réalités.

Dans l’ère numérique de notre époque, la coopération entre les autorités internationales de la concurrence est plus cruciale que jamais.

Nous sommes en pleine ère de transformation.

Les géants des industries du taxi et du logement ne possèdent dorénavant plus de voitures ou de propriétés.

Ils se servent plutôt des technologies pour perturber les modèles d’affaires traditionnels en créant des plateformes qui connectent les utilisateurs rapidement et facilement.   

Comme l’a fait remarquer notre ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, l’économie numérique, c’est l’économie.

C’est là la toile de fond de l’application de la loi sur la concurrence du 21e siècle.

Les plateformes numériques créent une économie fondée sur la collaboration.

Si nous voulons suivre cette évolution, nous devrons continuer de coopérer afin de trouver de meilleurs moyens d’atteindre cet objectif.

Aujourd’hui, je souhaite discuter des raisons qui expliquent en quoi la coopération internationale entre les autorités de la concurrence est si importante.

Je discuterai des avantages que cela nous apporte et des outils que nous utilisons pour y parvenir.

Je terminerai en donnant quelques exemples d’affaires où la collaboration a été à la fois primordiale et bénéfique.

De plus, sans trop en dévoiler, je proposerai une réflexion sur la manière dont nous pouvons nous améliorer dans l’avenir. 

Les moteurs de la collaboration internationale

Pour commencer, pensons aux raisons qui expliquent l’importance de la coopération.

La croissance de l’économie numérique de manière générale, en particulier du commerce en ligne, est un phénomène mondial.

Le nombre d’acheteurs en ligne dans le monde devrait dépasser les deux milliards d’ici 2020, soit environ le quart de la population mondiale.

De plus en plus de pays adoptent des lois sur la concurrence et mettent en place des autorités en la matière.

En 2001, lorsque le Réseau international de la concurrence a été lancé, il n’y avait que 14 pays membres.

Aujourd’hui, il y en a 146.

Nous sommes passés de discussions théoriques sur la coopération en matière d’application de la loi à notre réalité actuelle de coopération régulière entre les autorités.

Sans surprise, la coopération avec les autorités de la concurrence américaines est particulièrement importante.

Elle s’est développée naturellement, étant donné nos frontières communes et nos liens économiques et commerciaux étroits.

L’année dernière, la signature de l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) a été un événement très important, et il permettra de renforcer davantage nos relations commerciales lorsqu’il sera en vigueur.

Une approche coordonnée des enjeux en matière de droit de la concurrence soulevés dans l’ère numérique actuelle est essentielle pour les organismes d’application de la loi.

Avantages de la coopération internationale

Lorsque nous collaborons, nous en tirons de nombreux avantages :

Détecter et décourager davantage les conduites anticoncurrentielles.

Gagner en efficience, pour les organismes comme les entreprises.

Échanger des pratiques exemplaires, ce qui permet de réaliser des enquêtes plus efficaces et de protéger davantage les consommateurs.

Réduire les risques et l’incertitude pour les entreprises et les organismes, car la coopération entre les organismes donne des résultats plus cohérents.

Collaboration officielle et officieuse

Au Bureau de la concurrence, cette coopération essentielle se produit sur un large éventail, de manière officielle ou officieuse.

De manière officieuse, nous échangeons des renseignements publics, des théories de dommages et des renseignements sur les processus, comme le calendrier des étapes d’une enquête, en plus de tenir des réunions et de permettre des échanges de personnel.

De l’autre côté, la coopération officielle peut comprendre de l’entraide juridique et la transmission de documents, de données et de renseignements confidentiels.

Cadre de collaboration en matière d’application de la loi

Par exemple, les principes des politiques de la concurrence sont courants dans les accords de libre-échange du Canada, comme l’ACEUM, et ils permettent de s’assurer que les avantages de la libéralisation des échanges ne sont pas compromis par des conduites anticoncurrentielles.

Dans les affaires criminelles, les traités d’entraide juridique sont des outils officiels pratiques permettant de recueillir des éléments de preuve qui sont dans des territoires étrangers.

Cette coopération officielle permet aux organismes d’applications de la loi de se transmettre des documents et des affidavits, de se prêter des pièces et de participer à des perquisitions et à des saisies.

Le Bureau se sert des processus des traités d’entraide juridique pour mener des perquisitions au Canada au nom de la Division antitrust du département de la Justice des États-Unis et pour obtenir des éléments de preuve importants aux États-Unis.

Lorsque des renseignements confidentiels sont échangés hors du cadre des traités d’entraide juridique, nous obtenons souvent l’approbation des parties.

Même sans l’approbation, l’article 29 de la Loi sur la concurrence nous permet de transmettre des renseignements confidentiels avec d’autres organismes pour assurer ou contrôler l’application de la Loi sur la concurrence et là où la confidentialité est assurée.

L’Accord de coopération entre le Canada et les États-Unis, signé en 1995, a servi de cadre pour définir notre relation de coopération positive.

Il établit la façon dont le Bureau, la FTC et la Division antitrust du département de la Justice des États-Unis coopèrent.

Nous avons également un Accord sur la courtoisie active entre le Canada et les États-Unis, qui permet à l’un de s’en remettre à l’autre dans les affaires où la conduite dans un des pays est la cause d’effets anticoncurrentiels dans l’autre.

Plus récemment, nous avons établi les Pratiques exemplaires en matière d’examen des fusions de nature transfrontalière.

Ce document est fondé sur des années de collaboration dans l’examen des fusions entre le Bureau de la concurrence et les autorités antitrust des États-Unis.

Fusions

Nous nous sommes d’ailleurs bien servi des pratiques exemplaires de ce document.

Récemment, nous avons travaillé avec la FTC et la Commission européenne sur la transaction mondiale entre Linde et Praxair, pour laquelle nous avons obtenu nombre de mesures correctives.

Nous avons également travaillé en étroite collaboration avec le département de la Justice des États-Unis sur des transactions du domaine agricole, telles que Bayer-Monsanto et Dow-DuPont.

Mais une transaction qui me vient à l’esprit est la fusion entre Staples et Office Depot en 2016.

Elle illustre à perfection la coopération profonde et positive que nous entretenons avec la FTC.

Dans cette affaire, il y a eu un vaste échange de données et d’éléments de preuve, et la FTC nous a notamment communiqué le contenu de son processus de deuxième demande.

Nous avons également détaché un avocat du ministère de la Justice du Canada auprès de l’équipe du contentieux de la FTC, et des représentants du Bureau ont assisté à l’audience d’injonction de la FTC.

Par conséquent, le Bureau et la FTC ont été en mesure de contester simultanément la fusion devant les tribunaux, et les parties ont finalement abandonné la transaction.

J’encouragerai le personnel du Bureau chargé des fusions à saisir ces occasions de collaboration approfondie chaque fois que possible.

Abus de position dominante

En ce qui concerne l’abus de position dominante, Google me vient à l’esprit comme un excellent exemple de notre coopération.

Le Bureau a lancé une enquête en 2013 en vertu des dispositions sur l’abus de position dominante de la Loi sur la concurrence afin d’enquêter sur le comportement de Google en matière de recherche en ligne et de publicité dans les moteurs de recherche ainsi que d’affichage publicitaire.

Au cours de notre enquête approfondie, nous avons travaillé avec plusieurs homologues internationaux, dont la FTC.

Nous avons conclu que Google avait utilisé des clauses anticoncurrentielles dans ses conditions générales relatives à l’interface de programmation d’applications AdWords.

Ces clauses visaient à exclure les concurrents et elles ont nui aux annonceurs.

Google a supprimé ces clauses et s’est engagé à ne pas les réintroduire, ou des clauses similaires, pendant une période de cinq ans.

Ces engagements étaient semblables à ceux pris aux États-Unis.

Le fait d’être en mesure d’examiner facilement les faits et les éléments de preuve liés à des allégations similaires contre Google dans le contexte américain a été d’une grande utilité pour l’enquête du Bureau de la concurrence.

Cartels

Du côté des cartels, je citerai notre récente affaire concernant Nishikawa.

Entre 2000 et 2012, Nishikawa a participé à un complot international de truquage des offres touchant le Canada et les États-Unis.

Le Bureau et le département de la Justice américain ont tous deux enquêté sur cette conduite et nous avons travaillé en étroite collaboration tout au long de nos enquêtes.

Étant donné que la conduite de Nishikawa visait principalement les consommateurs américains, il a été convenu que la question serait prise en charge par le département de la Justice des États-Unis, en consultation avec le Bureau.

Cette affaire s’est résolue aux États-Unis notamment par un plaidoyer de culpabilité de Nishikawa et une lourde amende de 130 millions de dollars américains pour réparer le tort causé au Canada et aux États-Unis.

Pratiques commerciales trompeuses

Et, dans le domaine des pratiques commerciales trompeuses, notre cadre juridique et notre capacité d’aider nos homologues étrangers et de partager l’information avec eux se sont considérablement améliorés avec l’adoption de la Loi anti-pourriel du Canada.

La Loi anti-pourriel du Canada a récemment mis en vigueur de nouvelles dispositions expresses permettant au Bureau d’utiliser ses pouvoirs d’enquête en vertu de la Loi sur la concurrence ou du Code criminel pour aider des partenaires étrangers, sans que nous ayons à mener notre propre enquête.

Elle accorde ces pouvoirs à la condition que l’information ne soit utilisée que pour cette enquête ou procédure et qu’elle demeure confidentielle, comme le prévoit la Safe Web Act des États-Unis.

Bien que je ne sois pas en mesure de discuter des détails, récemment, en réponse à une demande de la FTC, le Bureau a communiqué à la FTC l’information obtenue grâce à des pouvoirs officiels pour l’aider dans le cadre d’une enquête.

De même, les modifications apportées à la Safe Web Act des États-Unis ont été un outil très utile pour recueillir des renseignements dans les cas de pratiques commerciales trompeuses transfrontalières.

Je sais que la Safe Web Act doit être renouvelée bientôt, et je tiens à dire que le Bureau appuie ce renouvellement, et nous sommes heureux de la façon dont nous avons pu utiliser cet outil précieux.

En général, le Bureau a utilisé les demandes de Safeweb pour obtenir des renseignements pertinents à nos enquêtes, comme dans l’affaire des messages textes payants – un litige contre les trois plus importants fournisseurs de services sans fil du Canada pour pratiques commerciales trompeuses.

À notre demande, la FTC a demandé à la Cour de district du Maryland, aux États-Unis, de rendre une ordonnance autorisant la FTC à forcer une société américaine, Aegis Mobile, à communiquer des éléments de manière écrite et orale.

Par la suite, la Cour de district américaine a ordonné à Aegis de remettre les documents à la FTC, ce qui lui a permis de les partager avec le Bureau.

C’était la première fois qu’un tribunal américain autorisait la FTC à procéder à la communication préalable d’une société américaine pour aider le Bureau.

Ces événements ont énormément aidé le Bureau à faire avancer sa cause.

La FTC et le Bureau participent à plusieurs partenariats régionaux transfrontaliers liés à la lutte contre la fraude par marketing de masse, notamment l’Alliance stratégique de Toronto, le Partenariat de l'Alberta contre la fraude transfrontalière et le Partenariat du Pacifique contre la fraude transfrontalière.

Ces relations de travail, axées sur l’échange de renseignements et la coopération dans le cadre d’enquêtes sur les fraudes par marketing de masse, ont souvent mené à une collaboration précoce entre nos deux organismes.

Toutefois, la communication sur l’application transfrontalière de la loi en dehors de ces partenariats pourrait permettre d’élargir la coopération entre le Bureau et la FTC.

Une coopération accrue au niveau opérationnel et des discussions informelles sur les tendances, le renseignement, les possibilités de coordonner les enquêtes et le dialogue dès le début du processus d’enquête pourraient rendre encore plus efficaces les outils officiels de partage de l’information.

À cette fin, nous participons à des réunions régulières des chefs d’équipe de fusions avec nos partenaires américains depuis 2011.

Ces réunions ont connu un tel succès que nous les avons élargies et avons eu des réunions similaires avec le Brésil, l’Australie, la Chine, l’Union européenne et le Royaume-Uni.

Et nous attendons avec impatience les réunions des chefs d’équipe sur l’abus de position dominante avec la FTC et le département de la Justice américain en juin.

Comme la FTC, nous participons également à des échanges internationaux de personnel et accueillons des représentants étrangers de partout dans le monde.

Au fil des ans, nous avons envoyé plusieurs de nos collègues séjourner auprès de la FTC, et nous serions heureux d’accueillir un membre de la FTC au Bureau, mais permettez-moi de vous suggérer de ne pas venir l’hiver.

Ce réseautage, et les liens de personne à personne que noue une telle coopération informelle, crée des rapprochements et facilite la coopération internationale – parce que les relations et la confiance sont importantes.

Conclusion

La coopération entre les autorités est essentielle pour trouver des approches communes afin de lutter contre les conduites anticoncurrentielles mondiales.

Et, grâce aux divers outils que nous avons mis en place, nous pouvons continuellement récolter, ensemble, les fruits de notre collaboration avec nos partenaires mondiaux.

Et « ensemble », c’est le mot clé.

Comme Henry Ford l’a dit un jour : « Si tout le monde va de l’avant ensemble, alors le succès viendra de lui-même. »

C’est vrai pour nous aussi.

De solides relations de travail sont la marque d’une organisation prospère dans notre monde numérique et mondialisé, et les autorités de la concurrence ne font pas exception.

Maintenant, permettez-moi de terminer en remerciant la FTC d’avoir organisé ce qui, j’en suis sûr, sera un dialogue intéressant.

J’ai vraiment hâte de participer à notre table ronde.

Je vous remercie et je vous souhaite de bonnes audiences.

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