Chapitre 4 : Consolider la mise en œuvre par l’élimination des obstacles

Titre officiel : Réaliser et soutenir l’équité en matière d’emploi : un cadre transformatif – Rapport du Groupe de travail sur l'examen de la Loi sur l'équité en matière d'emploi : Chapitre 4

Auteure : Professeure Adelle Blackett, MSRC, Ad E, Présidente du groupe de travail

Comprendre les approches proactives : au‑delà des mesures d'adaptation raisonnables individuelles

L'élimination des obstacles consiste à exécuter des processus qui sont équitables du début à la fin.

Un praticien des RH

Introduction

Nous entendons souvent dire que l'équité en matière d'emploi est proactive. Mais qu'est‑ce que cela signifie vraiment?

Les séances de mobilisation de notre groupe de travail ont révélé que le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi était mis en œuvre avec une notion trop limitée du concept de mesures « proactives ». Cela n'a pas contribué à améliorer l'image de l'équité en matière d'emploi.

Qui souhaite que son inclusion soit réduite à de simples calculs, à une porte tournante, à un exercice individuel d'accommodement raisonnable? L'approche étroite de la mise en œuvre n'a pas permis d'accorder aux mesures proactives la place centrale qu'elles devraient occuper dans la promotion de possibilités d'emploi équitables pour tous.

Le présent chapitre vise à clarifier le caractère proactif de la législation sur l'équité en matière d'emploi au Canada. Il propose des recommandations non seulement pour simplifier la législation, mais aussi pour veiller au respect du caractère proactif de l'équité en matière d'emploi.

L'article 5 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi énonce l'obligation des employeurs de « réaliser l'équité en matière d'emploi. » Cela comprend l'élimination des obstacles, principal sujet de ce chapitre. Toutefois, rien dans l'article 5 n'exige qu'un employeur démontre qu'il a mis en œuvre ses plans, ou du moins qu'il a fait des progrès raisonnables dans la mise en œuvre du plan. Dans le libellé anglais de l'article 11 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, le législateur emploie le mot « if » (si), dans l'expression « if implemented » (advenant [la mise en œuvre du plan]). Ce libellé semble être interprété au sens que l'on insiste sur le fait que le plan d'équité, s'il était mis en œuvre (« if implemented »), constituerait un progrès raisonnable dans la réalisation de l'équité en matière d'emploi. Nos consultations suggèrent que la version française - faisant également foi - qui ne connaît pas cette expression et qui précise que « l'employeur est tenu de veiller à ce que la mise en œuvre de son plan d'équité en matière d'emploi se traduise par des progrès raisonnables » n'a pas guidé l'interprétation. Ainsi, les responsables de la surveillance réglementaire ont souligné qu'il n'était pas précisé que des progrès raisonnables devaient réellement être réalisés.

Cette situation est, à juste titre, une source de frustration. De nombreux intervenants (les employeurs eux‑mêmes, les acteurs gouvernementaux responsables de la surveillance et les travailleurs et les syndicats) ont fait valoir que cela devait changer, sinon l'équité en matière d'emploi ne serait pas réalisée. Nous sommes tout à fait d'accord.

Les employeurs et leurs milieux de travail devraient être soutenus pour réaliser ces progrès raisonnables, et le présent rapport s'intéresse à la nature et à la qualité du soutien - y compris, surtout, le soutien financier.

Selon une conclusion connexe de ce chapitre, les perspectives d'équité, de diversité et d'inclusion (EDI) peuvent être utiles, mais les exigences du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi ne doivent pas être diluées. Comme il en a été question dans l'introduction du présent rapport, des initiatives adaptées peuvent faire travailler les personnes dans les milieux de travail, sans vraiment éliminer les obstacles. Nous devons veiller tout particulièrement à ce que certaines pratiques peu rigoureuses relatives à l'EDI ne sapent pas la confiance en la possibilité de réaliser et de soutenir l'équité en matière d'emploi.

Nous devons plutôt nous concentrer sur des progrès raisonnables dans la mise en œuvre proactive de l'équité en matière d'emploi, afin qu'elle puisse être à la fois réalisée et soutenue. Cette conclusion a été largement diffusée, notamment par le président sortant de la Commission de la fonction publique du Canada, dont notre groupe de travail a grandement apprécié la franchiseNote de bas de page 1.

Recommandation 4.1 : La Loi sur l'équité en matière d'emploi devrait être clarifiée pour s'assurer que les employeurs ont l'obligation de réaliser des progrès raisonnables pour réaliser l'équité en matière d'emploi et la soutenir une fois cet objectif atteint.

Représentation et obstacles

[Traduction] Le changement de culture en milieu de travail est essentiel à l'équité en matière d'emploi et à l'élimination des obstacles, et nous convenons avec le Congrès du travail du Canada que ce processus de modernisation doit soutenir une évolution vers des milieux de travail véritablement équitables et inclusifs et aller au‑delà de la simple représentation des membres des groupes en quête d'équité en examinant l'expérience en milieu de travail dans son ensemble. Cela signifie qu'il faut examiner les types de postes occupés par les membres des groupes désignés, leur rémunération, ainsi que les possibilités de promotion, d'avancement et de perfectionnement professionnel qui leur sont offertes. Nous pourrions ajouter que l'examen de l'expérience en milieu de travail dans son ensemble devrait inclure l'examen de la culture générale au sein du milieu de travail.

Fondation canadienne des femmes, mémoire présenté au GTELEME, 2 juin 2022; Congrès du travail du Canada, mémoire présenté au GTELEME, 28 avril 2022

En quoi consiste un obstacle?

Le mot « obstacle » est souvent utilisé, mais sans beaucoup de cohérence. Il est utile de revenir au processus d'élaboration de pratiques et de politiques proactives en milieu de travail à l'échelle organisationnelle. La clé est d'éliminer les facteurs pouvant entraîner des effets discriminatoires. Il existe de meilleures façons d'atteindre l'égalité réelle que d'attendre des demandes individuelles d'accommodement raisonnable ou des plaintes devant les tribunaux des droits de la personne ou les arbitres de griefs.

L'élimination des obstacles consiste à réaménager les routes que nous empruntons, c'est à dire, à concevoir une approche holistique à l'égard des soins, plutôt que de devoir aller à l'hôpital à cause d'un accident qui aurait pu être évité.

L'élimination des obstacles pour favoriser des milieux de travail véritablement inclusifs commence par un processus différent (sensibilisation, apprentissage mutuel et changement). Entrepris dans un esprit de collaboration, par le biais de véritables consultations visant à produire des analyses de l'environnement des lieux de travail et des plans d'action, il incite les acteurs du milieu de travail à améliorer ce dernier pour chacun d'entre nous.

Certaines demandes d'accommodement individuel seront toujours indispensables au maintien de l'égalité en milieu de travail. L'élimination des obstacles peut même soutenir le processus d'accommodement individuel, en éliminant les retards excessifs ou les dédoublements et en rationalisant les réponses afin que les demandes similaires soient traitées de façon rapide et équitable.

L'essentiel est qu'une approche proactive à l'égard de l'élimination des obstacles signifie que les travailleurs n'auront peut‑être pas besoin de demander des mesures d'adaptation individuelles concernant les obstacles structurels que les milieux de travail peuvent cerner et supprimer à l'avance. Nous sommes même prêts à suggérer que le fait d'agir de manière proactive pourrait accroître l'efficacité, si l'on tient compte des coûts économiques et sociaux de l'absentéisme, de la cessation d'emploi, des litiges et du stress au travail.

Mais surtout, le fait d'œuvrer à l'élimination des obstacles traduit un engagement en faveur d'une inclusion équitable pour tous.

[Traduction] Les obstacles comprennent tout ce qui empêche les gens de participer pleinement et équitablement à la vie des sociétés canadiennes. Certains obstacles sont très visibles, comme un immeuble sans rampe d'accès. D'autres sont moins visibles, comme des instructions rédigées dans un langage complexe.

Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Bureau de l'accessibilité au sein de la fonction publique, consultations du groupe de travail, 11 mars 2022.

L'élimination des obstacles a été intégrée dans la Loi canadienne sur l'accessibilité. Ses implications pour tous les membres de la société doivent être mieux reconnues.

Recentrer l'élimination des obstacles

Le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi a longtemps été considéré comme axé sur la sous‑représentation numérique en tant qu'obstacle, et sur la nécessité d'y remédier. Et ce n'est pas une mince affaire. L'exercice d'établissement d'objectifs est entrepris avec soin pour éviter l'arbitraire (c'est ainsi que les quotas sont définis et interdits au paragraphe 33(2) de la Loi sur l'équité en matière d'emploi).La surveillance réglementaire devrait consister à s'assurer que les progrès vers la mise en œuvre de ces objectifs quantitatifs sont raisonnables. Nous abordons ces caractéristiques dans le chapitre 6.

Ce n'est pas le seul objectif de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.Tel que discuté au chapitre 1, les employeurs sont tenus (article 5) de réaliser l'équité en matière d'emploi par la « détermination et [la] suppression des obstacles à la carrière » et l'« instauration de règles et d'usages positifs et [la] prise de mesures raisonnables d'adaptation » pour que le nombre de membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi atteignent une représentation équitable.

L'article 9 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi précise en outre qu'en plus de déterminer le degré de sous‑représentation, il incombe également à l'employeur « d'étudier ses systèmes, règles et usages d'emploi, conformément aux règlements, afin de déterminer les obstacles en résultant pour les membres des groupes désignés. »

Grâce à ses consultations auprès des employeurs, des représentants et des réseaux de travailleurs, des organismes gouvernementaux chargés d'assurer la conformité et la responsabilisation ainsi que d'un éventail d'experts, notre groupe de travail a réalisé qu'un grand nombre d'éléments se sont perdus dans l'interprétation et la mise en œuvre du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Vous avez été sans équivoque : le groupe de travail a compris que nous devons recentrer l'élimination des obstacles en matière d'équité en emploi, et ce, de façon exhaustive.

L'importance excessive accordée aux chiffres nous a détournés de l'objectif consistant à éliminer la discrimination systémique en milieu de travail. Pourtant, il est reconnu que nous ne pouvons pas assurer l'inclusion équitable en milieu de travail exigée par le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi à moins que les obstacles à l'emploi ne soient éliminés et que des politiques et des pratiques positives ainsi que des mesures d'adaptation raisonnables ne soient mises en œuvre.

En d'autres termes, on oublie parfois que l'équité en matière d'emploi doit se concentrer, en milieu de travail, sur les structures sociales et administratives qui [Traduction] « créent ou perpétuent une position de désavantage relatif » pour les groupes visé par l'équité, tout en privilégiant les autresNote de bas de page 2. Comme l'explique Carol Agócs, les examens des systèmes d'emploi fondés sur l'équité en matière d'emploi sont conçus pour cerner les obstacles en milieu de travail en vue d'y remédierNote de bas de page 3. Autrement dit, la sous‑représentation numérique n'est pas le seul obstacle. De plus, les niveaux de représentation numérique sont profondément liés à un éventail d'inégalités sociétales qui, pour les membres des groupes visés par l'équité, créent des obstacles pour entrer sur le marché du travail ou figurer aux niveaux appropriés.

Ainsi, dans le milieu de travail, les obstacles peuvent se trouver à l'échelle des structures organisationnelles et au sein de la culture organisationnelle. Les structures organisationnelles comprennent la classification des emplois, le recrutement, la rémunération et les autres conditions de travail, les politiques de maintien en poste, de formation et de promotion ainsi que les politiques de cessation d'emploi. La culture organisationnelle se rapporte à l'ensemble des normes et pratiques formelles et informelles qui entourent le milieu de travail, et comprend les approches de gestion, les communications et les interactions sociales.

Définir les obstacles?

On a eu tendance à ne pas définir la notion d'obstacles, même dans la Loi canadienne sur l'accessibilité qui s'articule autour de cette notionNote de bas de page 4.

Fondamentalement, si une pratique touche certains groupes de manière négative et disproportionnée, c'est un signal que les pratiques qui engendrent cet impact négatif peuvent être discriminatoiresNote de bas de page 5.

Les obstacles sont évalués dans leur contexte. Il n'y a pas de liste prédéfinie. La détermination et l'élimination des obstacles nécessitent un processus minutieux d'évaluation des pratiques en milieu de travail au moyen de l'analyse requise par l'article 5 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Des exemples concrets et pertinents d'obstacles peuvent inclure l'exigence d'une expérience au Canada pour obtenir un emploi tandis que cette exigence n'est pas nécessaire pour exercer cet emploi. D'autres obstacles peuvent comprendre le recrutement informel fondé sur le « bouche à oreille » qui s'appuie sur des réseaux qui excluent les travailleurs racisés ou les travailleurs handicapés. Les comités de sélection peuvent ne comprendre que des cadres supérieurs, à l'exclusion des femmes ou des travailleurs autochtones qui sont sous‑représentés dans les postes de haut niveau. Certains groupes consultés ont proposé une série d'exemples concrets. Par exemple, le Réseau de la Fierté à la fonction publique a indiqué que les membres des collectivités 2ELGBTQI+ sont confrontés à des formes précises d'obstacles :

Harcèlement et discrimination

  • Les membres LGBTQ2+ ont été la cible de comportements discriminatoires (p. ex. homophobie, transphobie, etc.)

Inégalités systémiques

  • Prestations de santé [compagnies d'assurance]

Manque d'espaces sûrs/inclusifs

  • Facteurs socio-environnementaux et pression familiale (p. ex. être vous‑même au travail, manque d'installations non genrées, etc.)

Violence en milieu de travail (verbale et physique)

  • Macroaggressions : menaces de mort au bureau
  • Microaggressions : présumer que la personne a des relations hétéronormatives, mégenrer

Isolation et aliénation

  • Manque de coordination pour tirer parti des ressources existantes disponibles pour les membres de la communauté LGBTQ2+ (p. ex. affirmation, transition, fluidité de genre, etc.)

Répercussions sur l'avancement professionnel

  • Stagnation de la mobilité ascendante (p. ex. visibilité des cadres LGBTQ2+, mentorat et coaching)

Contexte régional ayant une incidence sur les expériences vécues (ou disparités régionales)

  • Différences régionales/culturelles en matière de tolérance et d'acceptation
  • L'accès aux services et à l'information n'est peut-être pas aussi facile à obtenir

Ces obstacles sont amplifiés lorsque les membres font partie d'un autre groupe visé par l'équité

Réseau de la Fierté à la fonction publique, présentation au GTELEME, 17 mars 2022

Le monde évolue; parfois, des changements inattendus peuvent entraîner l'élimination d'obstacles. Par exemple, certains défenseurs des droits des personnes handicapées nous ont dit que pendant la pandémie de COVID‑19, quand les gens travaillaient à distance, certains immeubles comportant des obstacles physiques n'étaient plus utilisés et certains travailleurs handicapés pouvaient travailler dans leurs maisons accessibles. Avec le retour au travail, il peut être possible de repenser et de choisir délibérément des espaces de travail accessibles.

Il est important d'ajouter que l'alinéa 5a) de la Loi sur l'équité en matière d'emploi contient sa propre limite à l'étendue de la notion d'obstacles à l'emploi, car il fait référence aux systèmes, règles et usages en matière d'emploi « non autorisés par une règle de droit ». On trouve un exemple au paragraphe 8(1), selon lequel les droits d'ancienneté des salariés ne sont pas réputés constituer des obstacles à la carrière au sens de la Loi sur l'équité en matière d'emploilorsqu'il s'agit d'un licenciement ou d'un rappel. Dans d'autres cas, comme au paragraphe 8(2), ce n'est que s'il est conclu que les droits d'ancienneté constituent une pratique discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne qu'ils doivent être considérés comme des obstacles. Cela donne un sens à la limite prévue à l'article 5. Nous discutons de l'article 8 en détail dans le chapitre 5 sur les consultations véritables.

Nous trouvons également des indications dans le droit constitutionnel et les droits de la personne sur l'égalité réelle, avec un accent sur la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Les deux décisions récentes de la Cour suprême du Canada mentionnées dans l'introduction de ce rapport, soit les arrêts Fraser et Sharma, mettent l'accent sur l'application des lois pour évaluer leur constitutionnalité en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'arrêt Fraser a été cité de manière affirmative dans l'arrêt SharmaNote de bas de page 6, bien que les juges majoritaires présentent une interprétation restreinte de la norme et de la façon dont l'incidence disproportionnée peut être prouvée aux fins d'un litige constitutionnel.

Ce qui est pertinent pour nous, c'est la façon dont l'arrêt Fraser, en s'appuyant en partie sur les affaires de droits de la personne et de droit du travail axées sur les pratiques des employeurs, comprend les répercussions négatives disproportionnées, ou les obstacles, dans le contexte du milieu de travail :

  • Idéalement, il faudrait disposer à la fois d'éléments probants sur la situation du groupe et sur les résultats produits par l'obstacle, mais aucun des deux n'est nécessaire - il est important de faire preuve de souplesse;
  • Le groupe qui est confronté à des obstacles n'a pas besoin d'établir pourquoi il y a un déséquilibre statistique;
  • Une preuve de l'intention discriminatoire de l'employeur n'est pas pertinente;
  • Il n'est pas nécessaire de démontrer que tous les membres du groupe ont la même expérience, principe qui est particulièrement important pour les plaintes comportant des motifs de discrimination multiples ou croisés.

Tout au long du processus de détermination des obstacles, il faut veiller à s'attaquer à la discrimination pouvant découler du fait de continuer à faire les choses comme elles ont toujours été faitesNote de bas de page 7.

Stimuler l'élimination des obstacles grâce à l'examen des systèmes d'emploi

Nous devons nous réapproprier le plein sens du terme « proactif » dans le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Il s'agit toutefois d'un travail difficile, et nous devons réfléchir sérieusement à la façon d'en faire la promotion.

[Traduction] De nombreuses organisations ne sont pas conçues pour accélérer l'évaluation critique du rendement quotidien. Les employés doivent respecter les routines organisationnelles, ce qui limite leur perception des problèmes. [...] Les organismes publics sont également confrontés à d'importants obstacles en ce qui concerne l'élaboration de paramètres de rendement communs qui, simultanément, susciteront l'expérimentation locale et assureront la responsabilisation.

Susan P. Sturm, « The Architecture of Inclusion: Advancing Workplace Equity in Higher Education » (2006) 29 Harvard Journal of Law & Gender, aux pages 268-269

La détermination et l'élimination des obstacles sont la première étape requise à l'article 5 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. On ne parle pas que de chiffres. Nous avons toutefois besoin de mesures incitatives pour nous recentrer, et cela passera par le renforcement des deux autres piliers, soit les véritables consultations et la surveillance réglementaire.

L'un des exemples les plus récents et les plus complets de ce à quoi ressemble la détermination des obstacles ressort du Rapport de l'Examen externe indépendant et complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes de 2022 (le Rapport Arbour). Il n'est pas surprenant que l'examen approfondi soit venu de l'extérieur. Le rapport est examiné plus en détail dans la suite du présent chapitre, dans le cadre de notre analyse de la fonction publique fédérale. On y présente une détermination attentive des obstacles au recrutement et à la promotion des femmes, dans un contexte de harcèlement et d'abus sexuels largement documentés. Il y est également fait état des statistiques de représentation comme base pour comprendre où se situent les problèmes et ce qu'il faut faire pour les résoudre. Il prend en compte la culture organisationnelle, les obstacles au recrutement, à la promotion et au maintien en poste, les problèmes liés aux exigences en matière d'éducation et de formation, les procédures et le contexte de leadership, en plus de l'accès aux recoursNote de bas de page 8. L'essentiel est de parvenir à une évaluation étroite et minutieuse des défis systémiques qui empêchent la réalisation de l'équité en matière d'emploi.

En vertu du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, les structures organisationnelles et la culture organisationnelle devraient faire l'objet d'examens minutieux des systèmes d'emploi. Cela s'étend aux politiques et aux pratiques tout au long du cycle de vie de l'emploi, pour inclure le recrutement, l'évaluation, la promotion, le maintien en poste, les mesures disciplinaires et la cessation d'emploi ainsi que les politiques relatives au départ et la retraite.

Bien que la Loi sur l'équité en matière d'emploi exige que le plan d'équité en matière d'emploi en milieu de travail traite de l'embauche, de la formation, de la promotion et du maintien en poste tout au long du cycle de vie de l'emploi aux articles 5 et 9, nous demandons instamment plus de clarté, de spécificité et de soutien afin de garantir une mise en œuvre et des rapports complets.

Recommandation 4.2 : la Loi sur l'équité en matière d'emploi devrait :

  • définir les obstacles comme des pratiques qui touchent les groupes visés par l'équité d'une manière négative disproportionnée;
  • préciser que l'élimination des obstacles s'applique à chaque étape du cycle de vie de l'emploi;
  • prévoir que le Règlement sur l'équité en matière d'emploi ou les lignes directrices élaborées dans le cadre de celui‑ci soutiennent l'élimination complète des obstacles et l'établissement de rapports à ce sujet.

L'élimination des obstacles reconnaît que pour atteindre l'équité en matière d'emploi au sein de la main‑d'œuvre canadienne, l'ensemble du cycle de vie de l'emploi est important. L'équité en matière d'emploi ne concerne pas seulement le recrutement. Il s'agit de la capacité d'amener les travailleurs à être eux‑mêmes au travail tout au long de leur période d'activité en milieu de travail, le maintien en poste et la promotion faisant partie de la combinaison.

Cette pratique peut être transformatrice parce qu'elle exige que les obstacles systémiques qui peuvent être inconscients et involontaires soient reconnus. Pour ce faire, des efforts délibérés, dévoués et déterminés doivent être entrepris. Cela demande du temps et de la formation. Il sera question de la formation au chapitre 5.

Réduire la fréquence des rapports

La fréquence des rapports sous le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi présente certains avantages. Cela a toutefois créé une importante charge de travail largement axée sur la représentation numérique, au détriment de la résolution du problème qualitatif posé par les obstacles mêmes que l'équité en matière d'emploi cherche à éliminer. Les petits employeurs du secteur privé se sont particulièrement dits préoccupés par le poids de la responsabilité en matière de production de rapports. Cela concorde avec leur préoccupation selon laquelle la disponibilité sur le marché du travail liée au recensement est insuffisante pour répondre à leurs besoins.

Nous avons reçu un certain nombre de mémoires d'intervenants et d'universitaires, qui ont insisté pour que la fréquence des rapports soit réduite, tout en mettant davantage l'accent sur l'élimination des obstaclesNote de bas de page 9, et nous sommes d'accord avec cette proposition. La production de rapports tous les trois ans est également la norme dans le cadre du Programme de contrats fédéraux. Nous étendrions cette exigence aux lieux de travail visés par le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Recommandation 4.3 : L'établissement de rapports par les employeurs, notamment les examens des systèmes d'emploi, devrait être effectué par tous les employeurs concernés sur un cycle d'établissement de rapports trisannuel.

Recommandation 4.4 : Un processus de transition devrait être mis en œuvre pour s'assurer que les dates de présentation des rapports par les employeurs sont échelonnées.

Recommandation 4.5 : Le Règlement sur l'équité en matière d'emploi devrait contenir des annexes pour aider les employeurs à préparer un plan d'équité en matière d'emploi.

Recommandation 4.6 : Il faudrait élaborer des lignes directrices qui comprennent des pratiques prometteuses pour cerner et éliminer les obstacles en milieu de travail, notamment en ce qui concerne la façon de réaliser des examens des systèmes d'emploi qui cernent et éliminent les obstacles tout au long du cycle de vie du travail et intègrent des sondages des employés.

Au‑delà des mesures d'adaptation raisonnables individuelles

Ils ne font pas grand‑chose pour changer leur comportement en vue de s'adapter à vos besoins. « Ils partent du principe de l'assimilation et pensent que ce sont les Inuits qui doivent changer et s'adapter, et non le gouvernement du Canada ou ses politiques. »

Unis dans la diversité : une voie vers la réconciliation. Accueillir, respecter, appuyer et inclure pleinement les Autochtones dans la fonction publique fédérale. Rapport final des Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones, 4 décembre 2017, à la page 24.

[Traduction] La tradition veut que les personnes handicapées doivent prouver qu'elles ont un handicap et justifier les mesures d'adaptation nécessaires selon un modèle médical. Nous devons nous éloigner de ce modèle. La Loi canadienne sur l'accessibilité reconnaît qu'il incombe à la société de créer un environnement dans lequel chacun peut fonctionner et vivre en exploitant pleinement son potentiel.

Employé de la fonction publique fédérale, présentation au GTELEME, 14 juin 2022

[Traduction] Il est nécessaire d'aller au‑delà des mesures d'adaptation précises et individualisés pour aborder et comprendre la nature structurelle et institutionnelle de la discrimination.

Professeure Vrinda Narain, consultations menées par le GTELEME, 22 mars 2022

L'article 5 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi fait référence aux mesures d'adaptation raisonnables, et l'article 6 introduit la limite de préjudice injustifié. Est-ce là en quoi consiste le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi?

Les mesures d'adaptation raisonnables font partie intégrante de notre législation sur les droits de la personne.

Les mesures d'adaptation raisonnables individuelles sont reconnues à l'échelle internationale et dans les lois canadiennes sur les droits de la personne comme étant nécessaires pour assurer la jouissance égale du droit au travail et à l'emploiNote de bas de page 10. Les mesures d'adaptation individuelles relèvent de l'employeur en vertu des lois sur les droits de la personne, et elles peuvent contribuer à rendre les milieux de travail accueillants pour tous.

Le droit de demander un plan d'adaptation individuel est un élément central des programmes proactifs sur le handicap, notamment en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.Bien que la première série de règlements pris en vertu de la Loi canadienne sur l'accessibilité soit entrée en vigueur en 2021, établissant des règles pour publier des plans d'accessibilité, des processus de rétroaction et des rapports d'étape, les mesures d'adaptation individuelles sont présentées en détail dans le Règlement de l'Ontario 191/11, Loi sur l'accessibilité pour les personnes handicapées de l'Ontario, Normes d'accessibilité intégrées (2011) :

Plans d'adaptation individualisés et documentés en vertu de la réglementation intégrée connexe à la LAPHO :

28. (1) L'employeur, sauf s'il est une petite organisation, élabore et instaure un processus écrit régissant l'élaboration de plans d'adaptation individualisés et documentés pour les employés handicapés.

(2) Le processus d'élaboration des plans d'adaptation individualisés et documentés couvre les points suivants :

  1. La manière dont l'employé qui demande des mesures d'adaptation peut participer à l'élaboration du plan qui le concerne.
  2. Les moyens utilisés pour évaluer l'employé de façon individuelle.
  3. La manière dont l'employeur peut demander une évaluation, à ses frais, par un expert externe du milieu médical ou un autre expert afin de l'aider à déterminer si et comment des mesures d'adaptation peuvent être mises en œuvre.
  4. La manière dont l'employé peut demander qu'un représentant de son agent négociateur, s'il est représenté par un tel agent, ou un autre représentant du lieu de travail, dans le cas contraire, participe à l'élaboration du plan d'adaptation.
  5. Les mesures prises pour protéger le caractère confidentiel des renseignements personnels concernant l'employé.
  6. La fréquence et le mode de réalisation des réexamens et des actualisations du plan.
  7. Si l'employé se voit refuser un plan d'adaptation individualisé, la manière dont les motifs du refus lui seront communiqués.
  8. Les moyens de fournir le plan d'adaptation individualisé dans un format qui tient compte des besoins en matière d'accessibilité de l'employé qui découlent de son handicap.

(3) Les plans d'adaptation individualisés :

  1. comprennent l'information demandée, le cas échéant, concernant les formats accessibles et les aides à la communication fournis que décrit l'article 26;
  2. comprennent les renseignements individualisés relatifs aux interventions d'urgence sur le lieu de travail nécessaires, le cas échéant, et que décrit l'article 27;
  3. recensent toute autre mesure d'adaptation devant être fournie.

Règlement de l'Ontario, Loi sur l'accessibilité pour les personnes handicapées de l'Ontario, Normes d'accessibilité intégrées, 2011

Les mesures d'adaptation individuelles peuvent revêtir une importance particulière à différentes étapes du cycle de vie du travail d'une personne.

Les intervenants ont également fait part d'initiatives visant à centraliser les processus relatifs aux mesures d'adaptation et à réduire les délais d'attente pour ces dernières. Ces initiatives sont positives comparativement aux demandes individuelles ponctuelles en vue d'obtenir des mesures d'adaptation.

Toutefois, le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi doit être compris comme allant au‑delà de la responsabilité individuelle des salariés de demander des mesures d'adaptation, les lieux de travail devant répondre aux demandes de mesures d'adaptation des employés une par une, de manière répétée tout au long du cycle de vie professionnelle de l'employé, afin de lever les obstacles.

Les mesures d'adaptation raisonnables individuelles sont‑elles offertes équitablement?

Le groupe de travail s'est fait dire à plusieurs reprises par des experts en droit des personnes handicapées que c'est dans le domaine des mesures de protection de l'emploi que les cadres d'accessibilité sont les plus faiblesNote de bas de page 11. Lors de nos rencontres avec les milieux de travail qui se sont multipliées tout au long de nos consultations, nous avons pu nous faire une idée de la mesure dans laquelle la relation entre les mesures d'adaptation individuelles et l'élimination proactive des obstacles restait au mieux ambiguë, et nécessitait peut‑être une attention particulière du point de vue de la transparence ou de l'hypervisibilité des demandeurs. Où était l'incitation à entreprendre des changements significatifs?

Un exemple d'ambiguïté

Un exemple écrit de cette relation ambiguë est le document d'orientation généralement utile et convivial du Programme du travail publié à l'intention des employeurs participants au PLEME. Un modèle de politiques et de pratiques en matière de ressources humaines présente les politiques et les pratiques formelles et informelles des organisations en matière de ressources humaines sous une gamme de rubriques familières. Bien que des éléments comme les politiques générales en matière de ressources humaines, la formation et le perfectionnement et la promotion soient définis en termes généraux, la section sur les « mesures d'adaptation » est particulièrement détaillée et semble englober bon nombre des caractéristiques qui devraient faire l'objet d'un élimination proactive des obstacles. La liste va de « l'accessibilité » aux « services de garde d'enfants » en passant par le « congé de maternité, de paternité ou parental » et le « télétravail. » En énumérant ces éléments de la vie professionnelle sous la rubrique « mesures d'adaptation », il est tenu pour acquis qu'il existe une « norme » différente et que tout le reste fait simplement l'objet de mesures d'adaptationNote de bas de page 12.

L'élimination des obstacles à l'équité en matière d'emploi entraîne des changements nécessaires à la norme. La norme devient équitablement inclusive.

Transparence : les nouvelles recherches

Certaines nouvelles recherches sur de petits échantillons nous ont amenés à nous interroger sur la transparence des demandes de mesures d'adaptation individuelles. Nous ne pensions pas tellement à celles qui sont refusées, où des plaintes pourraient être déposées devant la Commission canadienne des droits de la personne ou des griefs. Nous songions plutôt davantage aux cas qui sont approuvés.

Nous disposons généralement de très peu d'informations sur la question de savoir si les travailleurs ayant des besoins en matière d'adaptation similaires bénéficient de mesures d'adaptation similaires. Les premières recherches qualitatives sur les pratiques réelles des gestionnaires des ressources humaines commencent à faire la lumière sur la façon dont les mesures d'adaptation sont accordées dans les milieux de travail sur le terrain. Certaines des mesures d'adaptation peuvent dépasser ce qui est requis en vertu de la loi sur les droits de la personne, lorsqu'un employeur veut travailler de manière créative pour maintenir des relations avec les employés souhaités. Les chercheurs ont également constaté que les mesures d'adaptation peuvent expressément rester officieuses, c'est-à-dire qu'elles pourraient ne pas être documentées. Pourquoi créer un précédent qui pourrait mener à d'autres demandes comparablesNote de bas de page 13?

Autrement dit, savons-nous si les mesures d'adaptation - offertes par des spécialistes pragmatiques des ressources humaines en milieu de travail pour résoudre les problèmes tout en maintenant des relations valorisantes - sont mises en place équitablement pour tous les travailleurs ayant des besoins en matière d'adaptation dans une situation similaire? Davantage de données et de recherches sont nécessaires.

Qui peut faire l'objet de mesures d'adaptation?

Le cadre de mesures d'adaptation est largement compris comme s'appliquant dans le contexte du handicap, mais il s'applique à tous les motifs de discrimination et, dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi, à tous les groupes visés par l'équité en matière d'emploi. L'adaptation religieuse en milieu de travail est depuis longtemps un domaine important pour la législation sur les droits de la personne, mais elle n'a pas toujours été bien comprise. Les membres des minorités religieuses qui demandent des mesures d'adaptation individuelles doivent prouver que leur demande est raisonnable, mais ils peuvent être confrontés à une norme de caractère raisonnable qui traite leurs croyances religieuses comme la norme subjective par rapport à laquelle est mesurée la norme objective en milieu de travail.

Vrinda Narain, Coleen Sheppard et Tamara Thermitus, spécialistes de l'égalité réelle, font une mise en garde contre l'autorisation de mesures d'adaptation raisonnable individuelles qui [Traduction] « normalisent l'inégalité structurelle » en validant plutôt qu'en analysant soigneusement les normes existantes en milieu de travailNote de bas de page 14.

Quel modèle?

Enfin, notre groupe de travail a été informé que le recours à des mesures d'adaptation individuelles lorsqu'il est possible de supprimer l'ensemble des obstacles n'est pas seulement lourd, mais aussi potentiellement coûteux. Les mesures d'adaptation individuelles ont été critiquées parce qu'elles nous incitent à apporter des changements après coup, à la pièce, pour permettre à un travailleur de « s'intégrer. » Elles renforcent le modèle médical du handicap et ne sont pas si transparentes. Nous devons en savoir plus à leur sujet, et nous recommandons l'établissement de rapports précis à cet égard aux fins de l'élimination des obstacles.

Recommandation 4.7 : Le Règlement sur l'équité en matière d'emploi ou les lignes directrices élaborées dans le cadre de celui‑ci devraient prévoir l'inclusion de rapports sur les mesures d'adaptation raisonnables individuelles demandées et fournies en milieu de travail dans les examens des systèmes d'emploi.

Cependant, la réalisation de l'équité en matière d'emploi ne se limite pas aux mesures d'adaptation raisonnables individuelles.

Bousculer la norme : réduire l'écart entre les mesures d'adaptation raisonnables et l'élimination des obstacles

La plupart des causes portant sur des mesures et des pratiques qui touchent beaucoup d'individus en milieu de travail peuvent être qualifiées de systémiques dans la mesure où elles reconnaissent et suppriment des obstacles fondés sur des préjugés et des stéréotypes démodés.

Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, La promotion de l'égalité : une nouvelle vision. (Ottawa : ministère de la Justice, 2000), à la page 19.

Le potentiel de transformation de l'équité en matière d'emploi est d'intégrer l'accessibilité à la conception ou à la refonte du milieu de travail. L'équité en matière d'emploi modifie la norme.

Nos vastes consultations nous ont amenés à craindre que la notion de « mesures d'adaptation raisonnables » - un concept tiré du droit général des droits de la personne que l'on retrouve dans la législation sur les droits de la personne dans l'ensemble du pays - est dans certains cas devenue la norme dans le cadre de l'équité en matière d'emploi également, à tel point que le travail proactif de réalisation de l'équité en matière d'emploi a été réduit à des mesures d'adaptation individuelles.

Notre groupe de travail préconise un rééquilibrage, qui accentue la spécificité du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. En d'autres termes, les mesures d'adaptation raisonnables dans le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi doivent être comprises comme elles l'ont été par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Meiorin dont il est question dans l'introduction. Les obstacles sont intégrés dans les mesures mêmes qui sont censées fournir des évaluations objectivesNote de bas de page 15. Il s'agit d'attirer l'attention sur l'élimination des normes discriminatoires, plutôt que de faire des exceptions aux normes pour y intégrer chaque travailleur. Parfois, c'est la norme qui constitue l'obstacle et c'est ce qu'il faut changer. Dans le droit international relatif aux droits de la personne, c'est ce qu'on appelle parfois l'« obligation d'assurer l'accessibilité » par l'élimination des obstaclesNote de bas de page 16.

Le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi met l'accent sur ce caractère proactif. L'examen des systèmes d'emploi est nécessaire pour cerner et éliminer les obstacles suivants :

Une [étude des systèmes d'emploi] ESE est une analyse approfondie des systèmes, politiques et pratiques de l'organisation en matière d'emploi - dans un contexte tant officiel qu'informel. Une ESE s'attarde aux attitudes, aux comportements et à la culture d'entreprise et devrait toujours nécessiter une consultation directe avec les membres des groupes désignés sous‑représentés. L'ESE doit porter sur chaque écart de représentation marqué que l'analyse de l'effectif a permis de cerner. Une ESE approfondie est essentielle pour élaborer un plan d'équité en matière d'emploi efficace et conforme à la Loi.

Commission canadienne des droits de la personne, Vérification horizontale dans le secteur des communications : améliorer la représentation des personnes handicapées, 2022, à la page 15.

Nous disposons de quelques exemples publics de ce travail dans le secteur privé réglementé par le gouvernement fédéral.

Prenons par exemple le rapport annuel (2020) de la Société Radio‑Canada/Canadian Broadcasting Corporation. Il propose des adaptations générales très précises du lieu de travail à des fins d'accessibilité. Radio‑Canada/CBC a mentionné l'introduction de meubles adaptables et l'installation de postes de travail à hauteur réglable, la création de toilettes universelles à la fois non genrées et accessibles et l'installation d'ouvre‑portes automatiques pour permettre une portée plus facile pour tous les utilisateurs. Ce type de spécificité concernant l'accessibilité et son incidence sur d'autres groupes visés par l'équité est important, en particulier pour un employeur fédéral qui, dans le cadre de son mandat en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, doit chercher à offrir une programmation de qualité équivalente en français et en anglais, contribue au partage d'une conscience et d'une identité nationales, et refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada.

Malheureusement, très peu d'exemples similaires ont été relevés dans les vérifications communiquées à la présidente du groupe de travail, un sujet que nous abordons dans le cadre de la surveillance réglementaire au chapitre 6.

Préjudice injustifié

Il y a une limite conforme aux lois canadiennes relatives aux droits de la personne concernant l'obligation de prendre des mesures d'adaptation, soit à l'alinéa 6a) de la Loi sur l'équité en matière d'emploi- préjudice injustifié pour l'employeur. Le droit international relatif aux droits de la personne reconnaît également la limite d'un fardeau indu. Dans la jurisprudence canadienne, le préjudice injustifié fait partie de la façon dont nous évaluons si une mesure constitue une exigence professionnelle justifiée (EPJ). La Cour suprême du Canada a reconnu que la notion même d'« excessif » (ou injustifié) suppose qu'une certaine contrainte est acceptable pour atteindre l'objectifNote de bas de page 17. L'objet est l'égalité réelle. Comme une mesure d'adaptation doit être raisonnablement nécessaire, l'employeur doit établir qu'il serait « impossible » d'accommoder le travailleur sans « préjudice injustifié ».

Au fil du temps, nous avons constaté qu'il est facile, lorsque des causes sont portées devant les tribunaux, d'appliquer une notion si large de préjudice injustifié que l'obligation de prendre des mesures d'adaptation peut être réduite à une question de coût ou rejetée en raison de considérations de santé et de sécurité dominantes. Les deux sont des facteurs importants. Les tribunaux peuvent toutefois se montrer réticents à substituer leur évaluation à celle des employeurs.

Dans sa version actuelle, la Loi sur l'équité en matière d'emploi semble s'appliquer à toutes les mesures visant à mettre en œuvre l'équité en matière d'emploi. Nous devons garder à l'esprit que l'élimination proactive des obstacles dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi est différente des mesures d'adaptation raisonnables individuelles.

L'élimination proactive des obstacles en vertu du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi met en branle un processus en milieu de travail et entre les parties grâce à des véritables consultations. Les mesures visant à éliminer les obstacles sont censées être mises en œuvre. Le fait de permettre que l'élimination proactive des obstacles soit minée par une notion générale de préjudice injustifié irait à l'encontre de l'objectif du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Grâce à une surveillance réglementaire et à un soutien souples (voir le chapitre 6), il existe une occasion importante de veiller à ce que le préjudice injustifié soit une norme solide.

Des spécialistes canadiennes de l'égalité réelle ont exhorté notre groupe de travail à recommander que le préjudice injustifié soit défini strictement dans le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi[18]. Nous sommes d'accord avec leurs conseils.

Recommandation 4.8 : La notion de « préjudice injustifié » présentée à l'alinéa 6a) de la Loi sur l'équité en matière d'emploi devrait être définie de manière à signifier qu'il serait impossible de prendre la mesure raisonnablement nécessaire sans « préjudice injustifié. »

Détermination des obstacles tout au long du cycle de vie des milieux de travail

Obtenir l'orientation nécessaire aux milieux de travail

L'élimination des obstacles est essentielle aux approches proactives en matière d'égalité réelle et devrait avoir lieu tout au long du cycle de vie de l'emploi. Pourtant, rapport après rapport, on a souligné les défis que rencontrent les employeurs qui tentent de déterminer les obstacles menant à la sous-représentationNote de bas de page 19.

Le processus d'autoréflexion nécessite du soutien. Il faut également suffisamment de commentaires de la part des travailleurs et des travailleuses concernés pour que l'on puisse voir et nommer le problème. Les milieux de travail ont besoin de plus d'orientation et de soutien pour que cette demande devienne réaliste. Des remaniements s'imposent. Les chapitres 5 et 6 traitent de ce défi, y compris de l'orientation nécessaire.

Le constat de ce chapitre est simple : l'élimination des obstacles devrait se faire tout au long du cycle de vie de l'emploi. Pour ce faire, les milieux de travail ont besoin d'une orientation souple et adaptée au contexte.

Nous avons lu des rapports de vérification dans lesquels on demandait simplement aux employeurs de revoir leur cadre et leurs pratiques de dotation afin qu'ils s'assurent que les processus de nomination, de promotion et de maintien en poste sont exempts d'obstacles pour les groupes visés par l'équité en matière d'emploi, y compris les sous-groupes des minorités visibles. Il s'agit d'une demande, et non d'une orientation. Comme nous le mentionnons au chapitre 6, les fonctionnaires du Programme du travail ne savent même pas ce que contiennent les rapports de vérification. On ne devrait pas avoir besoin de 37 ans et d'un examen indépendant pour résoudre ce problème évident.

Même la Directive sur l'équité en matière d'emploi, la diversité et l'inclusion récemment adoptée par le gouvernement du Canada reprend la notion d'élimination des obstacles à l'article 4.1.5 : « examiner de façon proactive les systèmes, les politiques, les programmes, les processus et les pratiques au fur et à mesure qu'ils sont élaborés et mis en œuvre afin de s'assurer qu'ils ne créent aucun obstacle pour les groupes visés par l'équité en matière d'emploi. » Toutefois, elle ne fournit aucune orientation sur la façon de mener ces examens et semble indiquer à l'article 4.1.3 que ce processus ne relève pas des obligations découlant de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Tirer des leçons du cadre de la Loi sur l'équité salariale

En revanche, la Loi sur l'équité salariale est extrêmement précise. Les calculs de l'équité salariale sont compliqués; comme en témoigne la façon technique et prudente dont les exigences législatives sont énoncées et expliquées. Les responsabilités et les pouvoirs du commissaire à l'équité salariale sont formulés de manière précise à chaque étape du processus de constitution des comités pertinents, dans le calcul de la rémunération, dans le contenu détaillé d'un plan d'équité salariale [alinéas 51a) à m)] et compte tenu de la nature de l'exercice, dans l'obligation de corriger l'écart salarial en effectuant les augmentations salariales requises qui deviennent payables le lendemain du jour où le plan est dûment affiché, sous réserve d'une période de mise en œuvre de 90 jours (article 96).

Au-delà de l'objectif visant l'atteinte de l'équité salariale par les moyens proactifs décrits, la loi prévoit aussi une responsabilité de maintenir l'équité salariale par des moyens proactifs (article 2), grâce à la révision du maintien de l'équité salariale, ce qui comprend la mise à jour du plan d'équité salariale (articles 64 et s.).

L'article 95 de la Loi sur l'équité salarialeinstaure également un principe important : le plan l'emporte en cas d'incompatibilité avec toute convention collective, cette dernière comprenant les augmentations de la rémunération payables par un employeur aux employés en vertu de la Loi.

Nous avons également appris des consultations que beaucoup dépendaient de la capacité du commissaire à l'équité salariale à gagner la confiance des employeurs et des employés dans le contexte du milieu de travail. Nous y reviendrons au chapitre 6 sur la surveillance réglementaire.

Il y a des limites à ce que l'on peut tirer d'une loi qui met l'accent sur un seul aspect du désavantage d'un groupe visé par l'équité. Toutefois, ce que nous retenons du cadre de la Loi sur l'équité salarialepour ce premier pilier - la mise en œuvre - c'est qu'une version modernisée de la Loi sur l'équité en matière d'emploi doit s'efforcer de clarifier la responsabilité qu'ont les employeurs de réaliser et de soutenir l'équité en matière d'emploi.

Recommandation 4.9 : La Loi sur l'équité en matière d'emploi devrait être modifiée afin de préciser que les employeurs ont la responsabilité continue de soutenir l'équité en matière d'emploi une fois que celle-ci a été atteinte pour tout groupe visé.

Par où commencer? Qualifications essentielles et nécessité d'examiner en profondeur le mérite

[Traduction] Je pose une question rhétorique : qui définit les caractéristiques d'un bon avocat ou d'une bonne avocate?

L'honorable Corrine Sparks, Women of Colour in the Legal Profession, annexe 10 du Rapport du Groupe de travail de l'Association du Barreau canadien sur l'égalité des sexes dans la profession juridique, août 1993.

Dans son rapport de 1993 au Groupe de travail de l'Association du Barreau canadien sur l'égalité des sexes dans la profession juridique, l'honorable Corinne Sparks, la première juge afro-néo-écossaise au Canada, a écouté les avocates canadiennes d'origine asiatique qui se sont retrouvées enfermées dans des emplois liés à la recherche. Ces avocates ont parlé de l'un des stéréotypes auxquels elles ont fait face dans la profession : qu'elles n'étaient pas assez agressives pour défendre des actions en justice. La juge Sparks a compris que le stéréotype venait de loin : de la définition même de ce qui constitue un bon avocat - ou une bonne avocate. Le modèle a été construit autour d'une autre image, l'image prédomine dans la profession depuis des siècles. S'il ne changeait pas, ce modèle continuerait d'exclure beaucoup d'avocates et d'avocats démontrant du talent et de l'engagement et appartenant à des groupes visés par l'équité. La juge Sparks a ajouté que trop de femmes ayant réussi dans ce milieu ont dû accepter, au prix de grands sacrifices personnels, les normes établies par les hommes.

Trente ans plus tard, la réflexion de la juge Sparks continue malheureusement de trouver un écho parmi la population.

  • Comment pouvons-nous formuler les qualifications essentielles de manière inclusive?
  • Comment pouvons-nous apprendre à abandonner les normes établies autour de la profession, non pas parce qu'elles sont des qualifications essentielles, mais parce qu'elles sont profondément liées à des caractéristiques attribuées à ceux qui ont prédominé dans la profession dans le passé?
  • Comment pouvons-nous éviter que des générations de membres appartenant à des groupes en quête d'équité soient exclues ou bafouent leur authenticité pour s'adapter à une norme du milieu de travail?

Si nous ne parvenons pas à répondre à ces questions difficiles et à changer de dynamique, nous continuerons à perdre des talents.

[Traduction] « [C]ertaines personnes choisissent de ne pas s'auto-identifier afin que leur embauche soit perçue comme étant fondée sur le mérite plutôt que comme contribuant à la représentation. »

Personne participant aux consultations entreprises par le BDPRH du SCT, présentation au GTELEME, 26 mai 2022.

Selon l'alinéa 6b) de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, l'employeur n'a pas « à engager ou promouvoir des personnes qui ne possèdent pas les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. » L'alinéa 6d) précise que l'employeur n'a pas à créer de nouveaux postes en milieu de travail pour mettre en œuvre la Loi. Ces dispositions s'appliquent à tous les lieux de travail sous réglementation fédérale au Canada visés par la Loi.

L'alinéa 6c) traite également de la question du « mérite » pour les employés de la fonction publique : aucun employeur n'a à engager ou promouvoir des personnes sans égard au mérite, dans les cas où la Loi sur l'emploi dans la fonction publique exige que la sélection soit faite au mérite. Bien que la discussion ci-dessous ait donc une importance particulière pour la fonction publique fédérale, il est évident que la question s'étend bien au-delà de ce secteur et qu'elle concerne toutes les personnes qui se préoccupent de l'inclusion équitable en milieu de travail.

Revenons aux dispositions. Nous devons reconnaître d'emblée qu'il y a redondance. L'alinéa 6c) de la Loi sur l'équité en matière d'emploi pourrait simplement indiquer que le mérite entendu au sens de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique est conforme à l'équité en matière d'emploi. L'alinéa 6b) traite déjà des qualifications essentielles pour le travail à accomplir.

Toutefois, nous avons entendu à maintes reprises que la façon dont les messages sont communiqués dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi donne inutilement l'impression à un certain nombre d'employés de la fonction publique qu'ils ne sont pas méritants selon ce qui est présumé dans la loi.

Le sous-ministre des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, et sous-ministre champion des minorités visibles dans la fonction publique fédérale, Daniel Quan-Watson, a axé ses commentaires sur la référence au « mérite » dans la fonction publique fédérale qui est présente dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Dans sa présentation au groupe de travail, il a retracé l'histoire, c'est-à-dire la transition d'une période en droit qui a eu lieu avant l'adoption de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Il a soutenu que lors de cette transition, comme lors du passage des mesures impériales aux mesures métriques, on a sous-estimé tout le travail qui était nécessaire pour passer d'un lieu favorisant des pratiques d'embauche manifestement discriminatoires à un lieu favorisant l'embauche fondée sur le mérite. Il a conclu de façon poignante en rappelant que la haute direction demeure essentiellement non représentative.

[Traduction] Le cadre est axé sur la supposition, et la façon dont il est mis en œuvre donne l'impression à la plupart d'entre nous que nous ne sommes pas des personnes méritantes.

Sous-ministre champion des minorités visibles dans la fonction publique fédérale, Daniel Quan-Watson, présentation au GTELEME, 14 juin 2022.

Comprendre le mérite

Il est vrai que le mérite est souvent mentionné, mais rarement défini. C'est une erreur. L'équité en matière d'emploi est critiquée parce qu'elle semble être étroitement axée sur la répartition de la représentation, c'est-à-dire les chiffres. Cette impression a donné lieu au point de vue erroné et invariablement offensant selon lequel assurer l'équité en matière d'emploi signifie promouvoir des personnes qui ne sont pas qualifiées. Ce point de vue nuit aux groupes en quête d'équité, comme cela a été exprimé à maintes reprises, y compris dans la fonction publique fédérale.

Les participants ont exprimé le sentiment d'être les Autochtones « de service » et de toujours avoir à défendre ou à expliquer des histoires ou des cultures Autochtones aux collègues non Autochtones. Selon eux, les dirigeants veulent se faire prendre en photo avec des Autochtones, mais lorsque cela compte vraiment, par exemple lorsqu'il s'agit de concevoir une politique ou un programme destiné aux Autochtones et à leurs collectivités, les employés Autochtones ne sont pas invités à communiquer leur expérience et leur savoir Autochtones.

Unis dans la diversité : une voie vers la réconciliation. Accueillir, respecter, appuyer et inclure pleinement les Autochtones dans la fonction publique fédérale, Rapport final des Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones, 4 décembre 2017, à la page 12.

La situation doit changer.

Le sous-ministre champion Quan-Watson a lancé un appel poignant en faveur d'une meilleure compréhension, ce qui rejoint l'importance accordée par le groupe de travail à la transformation et à l'importance d'humaniser le fait que le soutien, le mentorat, les conseils d'orientation et, selon plusieurs, la bienveillance témoignée en milieu de travail en vue de l'épanouissement d'autrui, nous permettent d'apprendre et nous sont bénéfiques.

Ce groupe de travail souligne qu'au fond, l'équité en matière d'emploi consiste fondamentalement à éliminer les obstacles à l'égalité réelle. Il s'agit là d'affirmer que tout le monde a la même valeur et d'assurer une inclusion équitable pour tout le monde. S'il n'y a pas de représentation adéquate, il y a un problème. La solution réside dans l'inclusion équitable. L'équité en matière d'emploi exige d'examiner de près les obstacles à l'atteinte de l'inclusion équitable. Autrement dit, il est important de cesser d'étiqueter les personnes faisant face à des obstacles à l'inclusion comme des personnes non méritantes.

[Traduction] Le fait de sous-estimer les femmes et les personnes 2ELGBTQQAI+ autochtones peut donner à celles-ci l'impression qu'elles doivent se dépasser pour être traitées de manière équitable par les employeurs .

L'Association des femmes autochtones du Canada, Supporting the Employment Equity Act Review Task Force: Consolidation of 2021 Labour Market Reports, septembre 2022.

De la même façon, il ne faut pas donner à ces personnes l'impression qu'elles doivent travailler deux fois plus dur pour être respectées en milieu de travail.

Cet examen offre plutôt une occasion cruciale de redéfinir les noms sous-jacents afin de rendre les milieux de travail équitables pour tout le monde.

Ce qui se passe en partie avec les discussions sur l'équité en matière d'emploi et la correction de la sous-représentation, c'est que nous allons au-delà du déficit en pensant à la recherche et au perfectionnement des talents.

Si, comme nous l'avons appris, les grandes universités ont été en mesure de se fixer des objectifs visant à embaucher des grappes de personnes provenant de groupes où il y a des lacunes liées à l'équité en matière d'emploi, et de s'efforcer de combler ces lacunes dans le cadre de certains de leurs processus d'embauche les plus prestigieux, et qu'elles recherchent les personnes les plus instruites aux quatre coins du monde, la plupart des milieux de travail au Canada devraient être en mesure de mieux repenser la façon dont ils conçoivent l'acquisition de talents, aussi.

Le mérite est à double tranchant et doit être abordé avec nuance. De plus, son importance est telle qu'il doit être compris d'une manière plus intelligente, solidaire et durable.

Le mémoire de la Communauté fédérale des minorités visibles est particulièrement pertinent sur ce point : des initiatives d'EDI vaguement définies pourraient miner des initiatives d'équité en matière d'emploi qui sont véritablement importantes et efficaces.

[Traduction] Le SCT et la CFP ont plus ou moins éliminé les programmes qui avaient une incidence positive sur les minorités visibles, comme les processus de dotation non impérative et de sélection ciblée à l'échelle du gouvernement, et ont plutôt recours à des processus sélectifs comme le choix de la bonne personne pour le poste, le programme Mentorat plus et le parrainage, ce qui rend le népotisme légitime et le normalise, compromet les principes de mérite, de justice et de transparence, et punit les membres du personnel qui ont leur propre avis et qui l'expriment. Ces approches à court terme cachent les problèmes réels et légitimes de la discrimination et du favoritisme dans la fonction publique, ce qui empêche les personnes qualifiées et compétentes qui font partie des minorités visibles d'être embauchées, d'être choisies pour suivre de la formation, dont la formation linguistique, de se voir offrir une affectation intérimaire, et de faire avancer leur carrière selon leur capacité à réaliser le travail et à contribuer à servir avec excellence la population canadienne.

Puisque la fonction publique fédérale ne tient pas compte de l'ancienneté, elle ne tient pas non plus compte du fait que la grande majorité des personnes hautement qualifiées qui font partie des minorités visibles passent leur carrière entière dans le même groupe professionnel et au même niveau.

Communauté des minorités visibles fédérales, mémoire présenté au GTELEME, 28 avril 2022 .

Il convient de noter que les postes non annoncés représentent 59,7 % des nominations dans l'administration publique centrale. Les agents négociateurs se sont dits préoccupés par cette pratique.

Nous avons entendu dire que cette pratique permet aux candidats de continuer à faire partie d'un bassin de personnes qualifiées pendant une période limitée, quand ils et elles ont participé à un processus de sélection et ont rempli les critères lors de l'évaluation, mais n'ont pas eu le poste. Toutefois, nous avons également entendu dire qu'il y a un manque flagrant de transparence dans le processus entourant les postes non annoncés. En gros, le processus permet aux gestionnaires de choisir parmi un bassin de personnes qualifiées, sans réellement annoncer le poste. D'autres personnes qualifiées dans le bassin ne savent peut-être pas qu'il existe un poste pour lequel elles sont qualifiées. Malgré l'objectif déclaré de favoriser l'inclusion, la pratique laisse entre les mains de chaque gestionnaire un pouvoir important lui permettant de prendre des décisions qui pourraient bien être arbitraires. Cette façon de faire pourrait bien mener à l'embauche ou à la promotion d'un membre des groupes visés par l'équité en matière d'emploi, mais donner à beaucoup d'autres personnes l'impression qu'elles n'ont pas eu une chance équitable de postuler le poste.

Ce qui est peut-être plus important encore, c'est que les processus de nomination non annoncés distincts permettent de laisser les conditions telles quelles. Fait troublant, nous avons appris que des processus pouvaient être lancés pour contourner le bassin de candidats qualifiés. Nous devons accorder une attention particulière aux processus de sélection, y compris la composition des comités d'embauche, une question à laquelle des consultations véritables pourraient apporter des réponses pour les milieux de travail, comme nous le verrons au chapitre 5. Il est également nécessaire d'indiquer clairement que les responsables de l'embauche doivent atteindre l'équité en matière d'emploi, comme nous le mentionnons au chapitre 6.

Prenons l'exemple de l'étude de 2014 de la Commission de la fonction publique du Canada, qui était concluante : « le fait d'appartenir à un groupe visé par l'EE a une incidence sur les perceptions de mérite et de la justice dans les activités de dotationNote de bas de page 20. »

  • Les résultats suggèrent que les hommes autochtones, les hommes handicapés ou les hommes membres des minorités visibles ont des perceptions du mérite moins favorables que les hommes n'appartenant pas à un groupe visé par l'EE.
  • Les femmes autochtones et les femmes handicapées ont des perceptions du mérite comparables à celles des femmes n'appartenant pas à un autre groupe visé par l'EE.
  • Les femmes membres des minorités visibles ont des perceptions du mérite moins favorables que les femmes n'appartenant pas à un autre groupe visé par l'EE.
  • Les perceptions du mérite ne diffèrent pas entre les femmes n'appartenant pas à un autre groupe visé par l'EE et les hommes n'appartenant pas à un tel groupe.

Commission de la fonction publique du Canada, Perceptions du mérite et de la justice dans les activités de dotation, Étude statistique (Ottawa : 2014), à la page 11.

L'étude a également permis de cerner les facteurs qui, au cours des processus de sélection, ont une incidence sur les perceptions du mérite. En voici quelques-uns :

  • « Les outils d'évaluation utilisés au cours des activités de dotation ont aussi une incidence sur les perceptions du mérite. Les candidats ayant été évalués au moyen d'un examen de connaissances écrit, d'une entrevue structurée ou de vérifications de références ont des perceptions du mérite plus favorables que ceux qui n'ont pas été évalués au moyen de tels outils; »
  • Les candidats ayant trois années ou plus d'expérience dans leur poste ont tendance à exprimer des opinions moins favorables sur le mérite;
  • Les longs processus de dotation ont tendance à miner les perceptions du mériteNote de bas de page 21.

La Commission de la fonction publique du Canada a cerné séparément les facteurs qui ont une incidence sur la perception de la justice. La différence principale semble être que « les candidats ayant participé à une discussion informelle sont moins enclins à exprimer [sic] une opinion favorable quant à la justice de l'activité de dotationNote de bas de page 22. »

Plusieurs études, y compris le Sondage sur la dotation et l'impartialité politique de 2021, ont souligné que 53 % des employés croient que les nominations dépendent des personnes que vous connaissez.

Malgré cela, la Commission de la fonction publique a conclu que les points de vue des employés sur le mérite, la justice et la transparence s'étaient améliorés au fil du temps, même si des différences persistent. Toutefois, les conclusions étaient vagues : l'appel à une analyse approfondie cache la nécessité de réponses proactives. Les recommandations de l'étude sur les taux de promotion des groupes désignés aux fins de l'équité en matière d'emploi étaient tout aussi vagues malgré les taux de promotion négatifs signalés dans certains cas pour tous les groupes désignés.

Lorsque notre groupe de travail a posé des questions sur la manière de réaliser des progrès, il a reçu une réponse franche de la CFP : nous avons besoin d'une responsabilisation claire et d'une surveillance régulière et rigoureuseNote de bas de page 23.

Notre groupe de travail est tout à fait d'accord : la surveillance réglementaire externe est essentielle en vue de la réalisation de progrès raisonnables.

Nous abordons cette question de façon exhaustive au chapitre 6. Il y a cependant lieu d'aborder l'équité en matière d'emploi d'une manière proactive et créative, compte tenu de la latitude législative prévue au paragraphe 34(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique :

34 (1) En vue de l'admissibilité à tout processus de nomination sauf un processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire, la Commission peut définir une zone de sélection en fixant des critères géographiques, organisationnels ou professionnels, ou en fixant comme critère l'appartenance à un groupe désigné au sens de l'article 3 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Compte tenu de la sous-représentation marquée dans les postes de direction au sein de l'administration publique centrale, le groupe de travail recommande que la latitude prévue au paragraphe 34(1) soit utilisée pour appuyer les processus d'embauche ciblés afin de remédier de manière proactive et équitable à la sous-représentation des groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Recommandation 4.10 : Il faudrait appliquer expressément les dispositions du paragraphe 34(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique pour appuyer les processus d'embauche ciblés afin de remédier de manière proactive et équitable à la sous-représentation des groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Se pencher sur le mérite nécessite de repenser les exigences réelles des emplois

L'idéal du mérite est louable. Il vise à réduire l'arbitraire et à faire en sorte que le travail soit réparti en fonction des capacités des individus, plutôt que des préférences personnelles de l'employeur, ou indépendamment des stéréotypes. Il n'est donc pas surprenant que la Commission de la fonction publique du Canada soit d'avis que l'embauche fondée sur le mérite et celle fondée sur l'équité sont entièrement compatibles. Sa définition du mérite, cependant, diffère de ce que bon nombre de gens pourraient penser. Nous y reviendrons plus tard dans ce chapitre.

Nous pouvons en apprendre beaucoup du rapport de l'honorable Michel Bastarache sur la GRC. Non seulement il a critiqué ceux qui ignoreraient le mérite, mais il a également demandé à ce que le mérite soit pris au sérieux.

Le fait d'ignorer le mérite et la capacité de faire le travail a parfois entraîné une aggravation du harcèlement et de la discrimination. […] Cependant, on ne peut pas supposer que le « mérite » est une question neutre et objective. La définition du « mérite » doit être soigneusement examinée dans le cadre du processus d'élimination des obstacles systémiques. Le fait qu'un candidat apporte de la diversité à la GRC peut être un facteur qui rehausse son mérite. La question que l'on doit se poser est la suivante : qu'est-ce qui est réellement nécessaire pour faire « le travail »? De plus, en quoi « le travail » consiste-t-il? […] Enfin, on ne peut pas supposer que la détermination des candidats méritants est un processus neutre et objectif; cela peut être très subjectif.

L'honorable Michel Bastarache, Rêves brisés, vies brisées : les effets dévastateurs du harcèlement sexuel sur les femmes au sein de la GRC. Rapport final sur la mise en œuvre de l'accord de règlement de Merlo Davidson, novembre 2020, à la page 64.

Après avoir comparé les exigences à l'échelle internationale, il a conclu que le travail d'un agent de la GRC exigeait des qualifications plus élevées, et non l'inverse. Autrement dit, une partie du problème de harcèlement en milieu de travail venait de ce qu'il aurait fallu exiger du personnel - de tout le personnel - des qualifications précises et spécialisées, au lieu de s'attendre à ce que des généralistes soient capables de remplir tous les rôles possibles à la GRC.

C'est par cet examen minutieux du mérite, visant à s'assurer que nous comprenons et valorisons vraiment tout le monde, que l'équité en matière d'emploi commence à changer le milieu de travail pour le mieux, et pour tout le monde, y compris pour notre société dans son ensemble et pour le Canada dans le monde.

L'examen minutieux doit commencer par la façon dont nous comprenons les « qualifications essentielles » de l'emploi et s'étendre à l'ensemble du cycle de vie de l'emploi.

Les qualifications essentielles et la fonction publique fédérale

Quelle est donc la définition du mérite dans la fonction publique fédérale? Elle entoure une notion hautement discrétionnaire, celle de la « bonne personne pour le poste ».

Bonne personne pour le poste

Le prétexte de la « bonne personne pour un poste » est souvent utilisé pour exclure des candidats plus qualifiés appartenant à des communautés marginalisées, au lieu de tenter d'atteindre le but initial d'accroître la représentation. L'énoncé des critères de mérite (ECM) est adapté de façon à limiter les candidatures et à favoriser les candidats préférés. Les zones de sélection n'ont pas de réelle pertinence; elles correspondent rarement aux exigences réelles du poste, qui sont adaptées au secteur ou à la direction générale.

L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Mémoire présenté au Groupe de travail sur l'examen de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, 22 septembre 2021.

De nombreux documents sur le comportement organisationnel indiquent que les milieux de travail où les pratiques liées au personnel sont hautement discrétionnaires peuvent rendre les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi vulnérables aux préjugés. Le pouvoir discrétionnaire est une partie importante de la vie en milieu de travail et ne peut être traité comme étant le problème à lui seul. Cependant, face à une législation elle-même ambiguë, les organisations conservent beaucoup de latitude pour fixer les modalités de la conformité, sur certaines des questions sociétales les plus fondamentales.

Le mérite est un terme défini dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, qui exige que les nominations soient fondées sur le mérite et exemptes d'ingérence politique. Selon le paragraphe 30(2) sur la définition du mérite :

  • (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :
    • a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles - notamment la compétence dans les langues officielles - établies par l'administrateur général pour le travail à accomplir;
    • b) la Commission prend en compte :
      • (i) toute qualification supplémentaire que l'administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l'administration, pour le présent ou l'avenir,
      • (ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l'administration précisée par l'administrateur général,
      • (iii) tout besoin actuel ou futur de l'administration précisé par l'administrateur général.

Divers intervenants, dont des réseaux d'employés et des syndicats, nous ont dit qu'il y avait de sérieux problèmes dans la façon dont la notion était appliquée.

Il s'agit d'une question délicate. Nous sommes conscients que le choix de la « bonne personne pour le poste » est considéré par certains comme une solution visant à remédier à la sous-représentation. Ce principe a même été instauré pour permettre une approche de l'évaluation du mérite qui est plus souple qu'un système étroit fondé sur des points et ne tenant pas compte de l'éventail des possibilités que les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi pouvaient apporter. Dans l'ensemble, le présent rapport porte une réflexion générale sur les qualifications ainsi que sur la façon dont on évalue l'expertise et l'expérience des candidats.

Le recours à la notion du choix de la « bonne personne pour le poste » fait partie d'une discussion générale sur l'importance du pouvoir discrétionnaire permettant à la direction de prendre des décisions d'embauche dans des milieux de travail qui ne disposent justement pas d'un ensemble bien défini de tâches.

Ce défi dans les relations de travail et d'emploi n'est pas nouveau.

Si de nombreuses personnes ayant un large éventail de compétences peuvent répondre aux critères et accomplir le travail, et que les différences entre les candidatures résident davantage dans les possibilités de formation, de mentorat et de cheminement de carrière que ces personnes auraient pu se voir offrir tout au long de leur parcours, la question revient toujours au même : comment pourrions-nous nous assurer que le personnel en milieu de travail a un accès approprié à la formation et à l'avancement en fonction du potentiel et de la qualité de l'exercice des fonctions, jugés satisfaisants? Comment pouvons-nous nous assurer que les comités d'embauche ont une vision et une formation suffisamment étendues pour évaluer les candidatures avec équité afin de favoriser une inclusion équitable?

Le risque que les préjugés - conscients ou inconscients - et d'autres obstacles aient une incidence sur la sélection et perpétuent le statu quo a été mentionné à maintes reprises au groupe de travail, avec une frustration considérable.

Soyons clairs : le terme « bonne personne pour le poste » envoie exactement le mauvais message aux membres des groupes qui sont sous-représentés. Le but n'est pas de répondre à une norme qui exclut les talents divers, mais de favoriser une inclusion équitable pour tout le monde, ce qui implique de remettre en question les obstacles à l'inclusion.

Dans d'autres types de milieux de travail, on craint que l'ancienneté n'empêche les décisions fondées sur l'équité. Pourtant, on pourrait penser que l'ancienneté augmente les perceptions d'équité, car grâce à elle, les membres des groupes historiquement exclus peuvent progresser dans leur carrière, une fois embauchés. Dans la fonction publique fédérale, où il n'y a pas d'ancienneté, nous constatons que les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi restent dans des postes de relève, mais ne sont pas promus à des postes de direction. Encourager la sélection de la bonne personne, au lieu de donner des incitatifs et de la latitude à la sélection de membres de groupes visés par l'équité qui sont sous-représentés, peut laisser s'ancrer la possibilité de négliger bon nombre de ces derniers, et il va sans dire leurs années d'expérience. Ce problème deviendra plus aigu à mesure que les données désagrégées attireront l'attention sur l'ampleur de la sous-représentation des membres de certains groupes ou sous-groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Cette préoccupation est loin d'être nouvelle.

Nous devons trouver des solutions par l'intermédiaire de consultations avec les acteurs des milieux de travail. Des pratiques et des politiques prometteuses peuvent cependant être encouragées pour assurer l'équité.

  • L'une d'entre elles consiste à déterminer les groupes visés par l'équité - et les membres distincts de ces groupes - qui sont les plus sous-représentés et à accorder la priorité à leur embauche et à leur promotion. Dans le Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi, la juge Abella a fait valoir ce qui suit : « Au moment d'élaborer de meilleurs programmes, il y aura […] lieu de concentrer les efforts sur les minorités qui habitent dans les régions où les besoins ont été mis en évidenceNote de bas de page 24. »
  • Une autre consiste à s'assurer que les comités d'embauche sont eux-mêmes équitablement inclusifs, mais aussi bien formés pour tenir compte d'un éventail d'expertise et d'expérience ainsi que pour comprendre les qualifications essentielles du poste.
  • Une autre encore, comme nous le mentionnons ci-dessous, consiste à prêter attention aux normes de qualification.

Normes de qualification

Le groupe de travail a reçu des mémoires encourageant l'utilisation des normes de qualification du Secrétariat du Conseil du Trésor pour l'administration publique centrale par catégorie ou groupe professionnel. Ces normes sont élaborées et tenues à jour par le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines conformément au paragraphe 31(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Le paragraphe 31(2) précise qu'il s'agit des normes qui doivent être respectées ou dépassées en vertu du paragraphe 30(2). Autrement dit, ce sont les qualifications essentielles minimales. Les normes de qualification sont censées s'appliquer à toutes les nominations, ainsi qu'à toutes les mutations intragroupes et intergroupes d'organismes distincts, à quelques exceptions notables près pour les programmes d'emploi pour étudiants, les nominations intérimaires de moins de 4 mois, les emplois occasionnels et les emplois à temps partiel (de moins de 12,5 heures par semaine).

Les normes de qualification devraient être appliquées suivant la Politique de nomination.

Les intervenants ont déterminé qu'elles limitaient le pouvoir discrétionnaire des gestionnaires d'embauche. Toutefois, on a estimé qu'elles avaient le potentiel de réduire des obstacles systémiques. Par exemple :

  • elles pourraient répondre à la question de la reconnaissance des titres de compétences étrangers à l'aide d'un processus permettant aux candidats de fournir une preuve d'équivalence canadienne lorsqu'ils postulent un emploi dans la fonction publique fédérale;
  • elles pourraient appuyer un processus visant à déterminer un certain nombre de solutions de rechange aux diplômes officiels qui seraient approuvées par l'employeur;
  • elles pourraient appuyer les façons de maintenir l'inclusion équitable dans les situations de réaménagement des effectifs.

Fait crucial, le paragraphe 31(3) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, récemment révisée, exige de cerner les préjugés et les obstacles pendant la fixation ou la révision des normes de qualification. Si l'employeur constate des préjugés ou des obstacles, il « déploie des efforts raisonnables pour les éliminer ou pour atténuer leurs effets sur ces personnes ». Nous avons peu entendu parler de la façon dont les obstacles étaient cernés dans l'ensemble des systèmes d'emploi au sein de la fonction publique fédérale, mais cet aspect est essentiel pour repenser les processus de nomination.

Soyons clairs : les normes de qualification ne sont pas une panacée. Nous nous attendons plutôt à ce qu'elles contribuent à réduire le vaste pouvoir discrétionnaire.

En outre, nous tenons à formuler une mise en garde : il ne s'agit pas d'un nivellement par le bas.

L'objectif est de favoriser l'épanouissement de tout le monde en milieu de travail, y compris des membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi. En créant des conditions qui assurent l'inclusion équitable, nous aidons les travailleurs et les travailleuses à apprendre et à s'épanouir dans un milieu de travail solidaire et durable.

Notre groupe de travail a été informé que les nominations discrétionnaires sont fondées sur l'interprétation du paragraphe 30(4) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique qui se lit comme suit : « La Commission n'est pas tenue de prendre en compte plus d'une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. » Nous pensons que l'interprétation du mérite comme prévu à ce paragraphe de la Loi devrait être resserrée.

Bien que personne ne devrait passer une entrevue simplement pour « accompagner » la personne qui sera sélectionnée, le verbe « prendre en compte » sous-entend que la nomination pourrait être faite sans aucun processus de sélection. Nous recommandons de resserrer cette formulation afin de veiller à ce que les nominations fondées sur le mérite se fassent par l'intermédiaire de processus de sélection qui reposent résolument sur l'équité.

Recommandation 4.11 : Le paragraphe 31(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique devrait être modifié pour indiquer une exigence plutôt qu'une permission.

Recommandation 4.12 : Les normes de qualification devraient être établies au moyen de véritables consultations avec le Comité mixte sur l'équité en matière d'emploi.

Recommandation 4.13 : L'interprétation du mérite comme prévu au paragraphe 30(4) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique devrait être resserrée, notamment par l'utilisation habile du pouvoir réglementaire général conféré à la Commission de la fonction publique au paragraphe 22(1), afin de veiller à ce que les nominations fondées sur le mérite soient faites au moyen de processus de sélection évalués par des comités composés en consultation avec le ou les comités mixtes sur l'équité en matière d'emploi pertinents.

Recommandation 4.14 : Le terme « bonne personne pour le poste » devrait être abandonné dans la fonction publique du Canada au profit d'un concept qui évoque une approche équitablement inclusive des nominations.

Caractéristiques du cycle de vie de l'emploi

Quels éléments nous permettent de déterminer les conditions qui aident les travailleurs et les travailleuses à s'épanouir tout au long du cycle de vie de l'emploi? On nous parle de l'aspect négatif : les politiques d'équité en matière d'emploi pourraient-elles vouer à l'échec les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi? Des documents qui ont été élaborés encadrent ces préoccupations quant aux capacités des membres des groupes visés et au stress lié à la réussite qui leur est imposé. L'échec, soutient-on, ne fera que renforcer les stéréotypes négatifsNote de bas de page 25.

On a tendance à négliger ce que cela signifie pour les membres des communautés sous-représentées d'entrer dans un milieu de travail en sachant qu'ils portent le fardeau de prouver qu'ils sont à leur place et qu'ils en sont dignes, encore et encore, parfois dans des conditions inégalitaires.

En outre, paradoxalement, pour les membres d'un groupe visé par l'équité en matière d'emploi, le fait d'être perçus comme étant bel et bien qualifiés peut en fait constituer une menace aux yeux d'autres personnes susceptibles d'avoir des préjugés conscients ou inconscients à l'égard de ce groupe. Une équipe de chercheurs dirigée par Mme Kecia Thomas, professeure primée et docteure en psychologie, a interrogé des femmes noires aux États-Unis et a constaté qu'au début de leur carrière, ces femmes pouvaient bénéficier d'un mentorat de la part de personnes qui étaient déjà en milieu de travail, souvent des hommes blancs. Cependant, à mesure qu'elles voyaient leur confiance et leurs compétences se renforcer, l'attitude de leurs mentors changeait, et ces derniers faisaient même preuve d'hostilité envers elles. Selon les dires de Mme Thomas, elles étaient passées [Traduction] « du statut d'animal de compagnie à celui de menaceNote de bas de page 26. » Cette étude a été largement reconnue comme faisant état d'un obstacle important à la promotion et au maintien en poste. Elle est révélatrice parce qu'elle montre le large éventail de réactions organisationnelles possibles face à la réussite des membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

La réussite de groupes historiquement sous-représentés peut ébranler des perceptions profondément ancrées qui sont également des idées d'exclusion sur le mérite.

Plutôt que d'être acceptés et inclus, les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi peuvent faire face à de la peur, à du ressentiment et à de l'exclusion.

Enfin, les chercheurs avertissent qu'il y a beaucoup de choses que nous ignorons encore.

Certains demandent plus de recherches, en particulier sur la façon dont l'inclusion des membres de la communauté 2ELGBTQI+ est comprise et vécue dans le contexte du milieu de travail. Soulignant la notion d'organisations « amies des personnes gaies », par exemple, ils se demandent si les recherches existantes tiennent suffisamment compte des pratiques d'emploi qui touchent les travailleurs transgenresNote de bas de page 27. Une approche intersectionnelle et fondée sur les distinctions est également nécessaire dans cette catégorie.

La tâche importante concernant l'équité en matière d'emploi n'est pas de renforcer ce discours, mais plutôt de le changer.

L'équité en matière d'emploi vise à tourner notre regard vers la qualité de l'environnement d'accueil. Ce n'est pas une question de blâme ou d'intention. Il s'agit plutôt de créer de manière proactive des environnements de travail positifs et durables.

Recommandation 4.15 : L'alinéa 6c) de la Loi sur l'équité en matière d'emploi devrait être abrogé.

Élimination des obstacles dans la classification des emplois

Il existe de nombreuses études sur les origines des exigences et des classifications des emplois en milieu de travail, des évaluations et des pratiques de gestion des ressources humaines connexes. Examinons la façon dont les profils d'emploi ont été élaborés. Les profils eux-mêmes ont été créés avant la Seconde Guerre mondiale; ils ont permis aux gestionnaires de comparer les emplois et de justifier objectivement la hiérarchie et la rémunération. Les modèles étaient ceux qui prédominaient à l'époque. Il est maintenant généralement admis que ces modèles reflètent les normes qui prévalaient lors de l'émergence du milieu de travail moderne du début au milieu du 20e siècle. Ces normes s'adressaient majoritairement aux hommes. Elles excluaient de nombreux travailleurs qui forment des groupes visés par l'équité en matière d'emploiNote de bas de page 28. La législation sur les droits de la personne et les procédures de traitement des plaintes étaient nécessaires pour commencer la remise en question des normes, qui s'est toutefois produite après coup - voir le scénario de l'hôpitalNote de bas de page 29.

Dans des milieux de travail comme les usines qui ont été organisées avec des hiérarchies verticales de rapport et de promotion, les classifications d'emploi, les évaluations et les pratiques de gestion des ressources humaines connexes étayaient et justifiaient les augmentations de salaire et les progressions dans la hiérarchie basées sur l'évaluation des exigences et des compétences de base requises pour accomplir le travail. Même dans les modèles traditionnels, il était entendu que les travailleurs étaient principalement évalués en fonction de caractéristiques comme la ponctualité et la fiabilité - typiques du « bon travailleur » - ainsi que des critères les plus directement liés à la productivité.

Le fait d'être considéré comme un bon travailleur, d'obtenir des augmentations au mérite et de voir son dossier référé pour les promotions - souvent par l'intermédiaire de systèmes fondés sur l'ancienneté - est une partie importante de l'évaluation d'un processus d'emploi « méritoire » ou, pour utiliser un terme connexe, « juste. » Pour bon nombre, les études requises avant l'emploi seraient minimes, et une formation ainsi qu'un apprentissage en cours d'emploi seraient à prévoir.

En revanche, la classification des emplois pour des postes qui étaient généralement détenus par des femmes ou qui leur étaient associés est critiquée en raison du fait qu'elle ne reconnaît pas et ne valorise pas adéquatement le travail réalisé par les femmes, ou la manière dont celles-ci pourraient exercer ces emplois de façon différente, mais tout aussi convenable. En Ontario, des cas récents sur les sages-femmes montrent que l'on ne valorise pas le travail qui est massivement réalisé par les femmes et d'autres membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploiNote de bas de page 30.

De la même façon, la recherche de « compétences générales » par les employeurs peut rendre la comparaison difficile. La manière dont les compétences sont évaluées peut avoir un effet disproportionné sur les membres des groupes visés par l'équité. Par exemple, dans l'affaire sur l'équité en matière d'emploi de l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations interraciales, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que les gestionnaires de la fonction publique à Santé Canada présumaient que certaines compétences générales se retrouvaient dans certaines « cultures » plutôt que dans d'autres, et décidaient alors que certaines minorités visibles étaient moins qualifiées pour être gestionnairesNote de bas de page 31. De plus, certains chercheurs ont été préoccupés par le fait que les pratiques d'embauche non discriminatoires qui ont émergé lorsque l'équité en matière d'emploi a été introduite ne deviennent en fait moins répandues ou ne soient remplacées grâce à l'accent mis sur les « compétences généralesNote de bas de page 32. »

Certains groupes visés par l'équité en matière d'emploi, et en particulier la Communauté des minorités visibles fédérales, ont recommandé que le gouvernement collabore avec les unités de négociation pour s'assurer que les emplois sont bien classés d'une manière qui ne comporte pas de désavantage. Cette proposition nous rappelle l'importance de renforcer le pilier des véritables consultations.

Enfin, le groupe de travail a été mis en garde contre les dangers de la montée progressive de la diplômanie - si la barre est continuellement haussée en même temps que les bassins de candidats sont diversifiés, les employeurs pourraient finir par exclure diverses personnes qui peuvent parfaitement répondre aux exigences du poste à l'entrée ou à la promotion.

Élimination des obstacles dans les processus de recrutement et d'intégration.

À plusieurs reprises, lorsque le groupe de travail a posé des questions sur l'élimination des obstacles dans le processus de présentation de candidature, il a reçu des exemples de mesures d'adaptation individuelles raisonnables. Pourtant, les étapes de l'évaluation et de la nomination sont des moments de vulnérabilité importante pour les personnes qui postulent.

Il n'est pas difficile d'imaginer qu'une personne ayant postulé un poste puisse demander peu de mesures d'adaptation, si ce n'est aucune.

Idéalement, le milieu de travail aurait déjà cerné les obstacles les plus courants et les aurait éliminés. Par exemple, l'employeur aurait peut-être déjà veillé à ce que les offres d'emploi soient disponibles dans des formats accessibles et soient affichées sur des sites Web accessibles. Il aurait pu penser à annoncer que l'environnement de travail se veut sans parfum plutôt que d'attendre qu'une personne présentant une hypersensibilité environnementale ait à le demander.

La Directive sur l'obligation de prendre des mesures d'adaptation du gouvernement du Canada est entrée en vigueur le 1er avril 2020. Elle réaffirme le droit aux mesures d'adaptation qui s'applique à tous les groupes protégés en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et qui indique avec justesse que les mesures d'adaptation individuelles doivent être prises « lorsqu'il est impossible d'éliminer les obstaclesNote de bas de page 33. » Cette politique établit une série de procédures obligatoires qui s'appliquent aux personnes à la recherche d'un emploi.

La Commission de la fonction publique note que les demandes de mesures d'adaptation ont diminué en 2020-2021 : elle en a reçu 621, alors qu'elle en avait reçu 3 160 en 2019-2020Note de bas de page 34. Il serait utile de savoir, parmi les personnes qui ont demandé des mesures d'adaptation, combien ont effectivement été embauchées. Bien que le pourcentage de nominations de personnes handicapées dans la fonction publique dépasse le pourcentage de postulants, cette différence semble attribuable aux personnes handicapées embauchées dans des postes non annoncés et, malheureusement, les rapports n'indiquent pas clairement combien de ces nominations sont temporairesNote de bas de page 35. Si le nombre de personnes qui ont demandé des mesures d'adaptation et qui ont été embauchées pour des emplois permanents est élevé, cela pourrait inspirer une plus grande confiance aux personnes qui postulent. Si le nombre est faible, ce serait peut-être signe qu'il faut revoir les politiques.

Le rapport 2020-2021 de la Commission de la fonction publique indique au public que même si 4,4 % des personnes qui postulent à des emplois dans la fonction publique fédérale étaient des personnes handicapées, voire 4,7 % après la présélection automatisée, à l'étape de l'évaluation, le pourcentage était tombé à 3,6 %, et seulement 2,4 % des personnes embauchées étaient des personnes handicapées. La vérification effectuée en 2021 par la Commission de la fonction publique a permis de reconnaître la nécessité de « mieux faire connaître les services d'adaptation en matière d'évaluation » et de réclamer un examen approfondiNote de bas de page 36. Dans son rapport annuel, la Commission de la fonction publique a constaté que les préjugés et les obstacles doivent être cernés et éliminés.

Le fait que les personnes handicapées s'en sont mieux sorties à la présélection automatisée et à la présélection organisationnelle qu'à l'évaluation, et que le nombre déjà faible de nominations a baissé de moitié au lieu d'augmenter pour les femmes handicapées indique « qu'il reste beaucoup à faire pour nous assurer de cerner et supprimer les obstacles et les préjugésNote de bas de page 37. »

Il est particulièrement difficile, mais nécessaire et d'ailleurs exigé par la politique sur les mesures d'adaptation, de cerner les facteurs systémiques qui pourraient être revus de façon proactive, de sorte qu'il n'incombe pas systématiquement à chaque personne qui postule de demander des mesures d'adaptation à l'étape de l'évaluation et de la nomination. Par exemple, le Bureau de l'accessibilité au sein de la fonction publique a recommandé que dès le début, les employeurs s'assurent que les logiciels utilisés dans les processus de présentation de candidature sont eux-mêmes accessibles plutôt que d'attendre qu'un postulant potentiel demande des logiciels accessibles. Les processus de recrutement eux-mêmes doivent être inclusifsNote de bas de page 38.

Nous avons également reçu des mémoires qui soulignaient l'importance de veiller à ce qu'il y ait un accès universel aux toilettes afin que les personnes non binaires ou à l'identité non conforme au genre n'aient pas à demander des mesures d'adaptation individualisées face à un obstacle qui nuit à leur santé et à leur sécurité au travail, ainsi qu'à leur dignité humaine fondamentaleNote de bas de page 39.

D'autres types d'obstacles comprennent la discrimination fondée sur des facteurs de substitution. Les postulants peuvent être éliminés en raison de l'adresse domiciliaire figurant dans leur curriculum vitae, ou en raison de leur accent qui aurait été décelé par un évaluateur au téléphoneNote de bas de page 40. Une étude entreprise par la Commission des droits de la personne du Québec en 2012 a établi une différence statistiquement importante dans la discrimination fondée sur le nom des personnes qui postulent. Faisant état du taux de chômage important des groupes racisés nés au Québec, l'étude visait à comprendre s'il y avait discrimination raciale à l'étape des demandes d'emploi. Pour ce faire, un simple artifice a été adopté : des curriculums vitae essentiellement similaires ont été envoyés aux employeurs de la grande région de Montréal dans un éventail de secteurs et pour des emplois exigeant des qualifications élevées et faibles. Seul le nom des postulants variait pour évoquer des personnes d'origine africaine, arabe ou latino-américaine. Quelqu'un portant le nom de famille Tremblay aurait de 1,54 à 1,80 fois plus de chance d'être rappelé pour une entrevue que quelqu'un portant le nom de famille TraoréNote de bas de page 41.

Dans nos consultations approfondies, des préoccupations similaires ont été soulevées concernant les perspectives de demandes d'emploi des membres de la communauté 2ELGBTQI+ :

[Traduction] Il doit y avoir une réelle compréhension de la manifestation possible de l'homophobie et de la transphobie face au CV ou à la demande d'emploi de quelqu'un, et une compréhension des obstacles à l'emploi que rencontrent les gens de la communauté 2ELGBTQI+. On peut résoudre ces problèmes en ne considérant pas comme étant négatives les interruptions dans les antécédents professionnels ou les périodes d'emploi à court terme, et en offrant plus de mentorat à ces personnes.

Le réseau Enchanté, The Employment Equity Act and 2SLGBTQI+ Communities, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, août 2022, à la page 10.

Des tests psychométriques ou comportementaux peuvent être réalisés dans certains milieux de travail. Non seulement ils évaluent les aptitudes, mais ils peuvent également être utilisés pour tenter de contourner les problèmes de sous-représentation. Autrement dit, et selon le Diversity Institute, on pourrait mettre à profit ces formes de tests pour évaluer les aptitudes à l'emploi des membres des groupes visés par l'équité au lieu d'exiger certains diplômes ou même certains types d'expérienceNote de bas de page 42. Cette recherche n'en était qu'à ses débuts, et nous n'avons pas été en mesure de savoir si cette méthode était marginale ou si elle était utilisée pour de nombreux autres contextes. Il faudrait veiller à ne pas se retrouver dans une situation où les tests deviendraient un obstacle supplémentaire plutôt qu'une solutionNote de bas de page 43. La fiabilité des tests devrait également être remise en question. Cela n'a rien de nouveau : pour cerner et éliminer les obstacles, voire éviter d'en ajouter de nouveaux, les milieux de travail doivent veiller à déterminer les critères essentiels pour l'emploi et à s'en tenir rigoureusement.

Enfin, comme il a été mentionné au chapitre 1, il faut prendre soin d'évaluer l'incidence des agences de recrutement de cadres. Nous savons que l'un des problèmes les plus délicats en matière de représentation des groupes visés par l'équité en matière d'emploi se trouve au sommet de la hiérarchie : s'assurer que le travail des recruteurs de cadres favorise l'équité - plutôt que de renforcer la hiérarchie - devrait être l'une des caractéristiques d'un examen des systèmes d'emploi.

Élimination des obstacles au travail : harcèlement en milieu de travail et violence fondée sur le sexe

[Traduction] Les politiques de lutte contre le harcèlement en milieu de travail devraient porter sur trois grandes mesures : prévenir, intervenir et soutenir.

Unifor, Strengthening the Federal Employment Equity Act: Unifor's Submission to the Federal Employment Equity Task Force, avril 2022, à la page 10.

Le harcèlement en milieu de travail fondé sur des motifs de discrimination, y compris le harcèlement sexuel et d'autres formes de violence fondée sur le sexe et de comportement sexuel non désiré constituent des exemples évidents d'obstacles en milieu de travail. Les effets sont universels et touchent tous les sexes, bien que différemment, et la gravité de la situation ne fait aucun doute :

Alors que les hommes (56 %) étaient un peu plus susceptibles que les femmes (53 %) d'être témoins de comportements sexuels inappropriés dans leur milieu de travail, l'inverse se produisait lorsqu'il s'agissait de subir personnellement ce type de comportement. Au total, 3 femmes sur 10 (29 %) ont été la cible d'un comportement sexuel inapproprié dans un cadre lié au travail, comparativement à 17 % des hommes.

De plus, la prévalence des comportements sexuels inappropriés subis dans le milieu de travail était la plus élevée chez les femmes qui ont déclaré travailler dans un milieu à prédominance masculine (c.-à-d. que tous leurs collègues de travail ou la plupart d'entre eux étaient des hommes). Au total, 4 femmes sur 10 (39 %) travaillant dans un milieu à prédominance masculine ont été personnellement la cible d'un comportement sexuel non désiré, comparativement à 27 % des femmes qui travaillaient dans un milieu à prédominance féminine et à 28 % de celles dont le milieu de travail comptait à peu près autant d'hommes que de femmes. En ce qui concerne les hommes, la prévalence des comportements sexuels inappropriés subis dans le milieu de travail était la plus élevée chez ceux qui travaillaient dans un milieu à prédominance féminine (24 %), tandis qu'elle était semblable parmi ceux qui travaillaient dans un milieu à prédominance masculine (16 %) et ceux dont le milieu de travail comptait autant d'hommes que de femmes (15 %).

[O]n a demandé à ceux qui ont subi une agression physique ou sexuelle dans n'importe quel cadre de fournir des renseignements sur l'incident le plus grave, y compris de préciser si l'agression s'était produite ou non à leur lieu de travail. La proportion de victimes ayant déclaré que l'incident le plus grave qu'elles ont vécu s'était produit dans leur milieu de travail variait de 18 % des femmes et de 21 % des hommes qui ont été agressés sexuellement à 26 % des hommes et à 29 % des femmes qui ont subi une agression physique.

Adam Cotter et Laura Savage, La violence fondée sur le sexe et les comportements sexuels non désirés au Canada, 2018 : Premiers résultats découlant de l'Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés, Statistique Canada, 5 décembre 2019, aux pages 3, 15 et 16. Cette étude comprend certaines données par âge et par OSIEGCS.

On entend par harcèlement et violence au travail le fait d'exclure, c'est-à-dire [Traduction] « d'intimider, de décourager et de tenir les femmes à l'écart des domaines d'emploi où, traditionnellement, les hommes dominentNote de bas de page 44. »

C'est également le cas dans la fonction publique fédérale : en 2020, plus de 1 employé sur 10 (11 %) a déclaré avoir été victime de harcèlement au travail. Dans près de deux tiers des cas (62 %), la source de harcèlement était une personne de niveau supérieur. Pourtant, seulement 8 % des victimes ont déposé un grief ou une plainte officielle et 27 % n'ont pris aucune mesureNote de bas de page 45. Qu'est-il arrivé aux autres 65 % qui, apparemment, ont pris des mesures, mais n'ont pas déposé officiellement de grief ou de plainte?

L'Examen externe sur l'inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes entrepris en 2015 par l'honorable Marie Deschamps et détaillé ci-dessous souligne le principal facteur dissuasif qui fait que les victimes ne sont pas portées à signaler un incident si les plaintes de harcèlement sont réglées à l'échelon le plus bas sans acheminement aux échelons supérieurs. Mettre l'accent sur le règlement anticipé et le rétablissement de l'harmonie en milieu de travail est peut-être considéré par les gestionnaires comme un « objectif louable ». Toutefois, les plaignants peuvent se sentir intimidés si bien qu'ils ne feront pas valoir leurs préoccupations légitimesNote de bas de page 46.

Dans la foulée de la Convention de l'OIT (no 190) sur la violence et le harcèlement (2019), que le Canada a ratifiée au début de 2023, l'attention nécessaire est accordée à la relation entre un ou plusieurs comportements, pratiques ou menaces inacceptables qui ont pour but de causer ou qui causent un dommage d'ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, ce qui comprend la violence et le harcèlement visant des personnes en raison de leur sexe ou de leur genre, ou ayant un effet disproportionné sur celles-ci. Ces comportements, pratiques et menaces sont liés au monde du travail, et les lois canadiennes sur le travail, l'emploi et les droits de la personne soulignent de plus en plus, entre autres caractéristiques, la nécessité de condamner la violence et le harcèlement, d'adopter une stratégie globale pour les prévenir, et d'atténuer l'incidence de la violence familiale sur le monde du travail. L'élimination des obstacles grâce à l'équité en matière d'emploi a un rôle important à jouer dans cette approche globale.

Le cadre de protection contre la violence et le harcèlement au travail situe les comportements, pratiques et menaces susmentionnés dans le contexte des obligations en matière de santé et de sécurité au travail. Les employeurs ont l'obligation de protéger la santé mentale et psychologique de leur personnel au travail.

Recommandation 4.16 : Le Règlement sur l'équité en matière d'emploi ou les lignes directrices préparées en vertu de celui-ci devraient faire en sorte que les employeurs rendent des comptes relativement aux politiques sur le harcèlement et la violence en milieu de travail ainsi que sur les mesures préventives mises en place.

Les obstacles tout au long du cycle de vie de l'emploi : façades de la conformité, de la santé mentale et de l'authenticité

Notre groupe de travail a entendu à maintes reprises que les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi veulent pouvoir être authentiques en milieu de travail.

Des études sur l'authenticité nous rappellent que les personnes qui sont bien représentées en milieu de travail sont celles autour desquelles les normes du milieu de travail sont construites. Logiquement, ces personnes sont donc plus en mesure d'être elles-mêmes au travail que les membres de certains groupes visés par l'équité en matière d'emploi. Autrement dit, bien que certaines personnes aient déjà le privilège d'être elles-mêmes au travail, les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi peuvent avoir de la difficulté à s'intégrerNote de bas de page 47. Cette situation touche tous les aspects du cycle de vie des milieux de travail. Nous devons encourager les processus de changement qui éliminent les obstacles à l'authenticité au travailNote de bas de page 48.

À bien des égards, les personnes des groupes visés par l'équité en matière d'emploi peuvent avoir l'impression qu'elles ne répondent pas aux normes du milieu de travail et qu'elles doivent se conformer pour s'intégrer et survivre. Il peut s'agir de questions aussi élémentaires que celle de l'obligation de faire des heures supplémentaires, qui peut entrer en conflit avec des engagements familiaux importantsNote de bas de page 49 et, compte tenu des données présentées au chapitre 2, avoir un effet disproportionné sur les travailleuses ayant des responsabilités relatives aux soins familiaux. Les normes largement répandues en milieu de travail selon lesquelles les coiffures naturelles des personnes noires ne sont pas professionnelles peuvent être des obstacles au recrutement et à la promotion, malgré le nombre croissant de preuves attestant que les défrisants chimiques sont liés au cancer de l'utérusNote de bas de page 50. La pression exercée en milieu de travail qui vise à inciter les femmes à teindre leurs cheveux gris en est un autre exemple. On a rappelé à notre groupe de travail que les accents ne sont pas tous traités de la même façon en milieu de travail. La pression - y compris la pression perçue - d'adopter un nom ou un accent qui sonne « canadien » peut faire partie d'un modèle similaire de conformité à une norme qui peut entraver l'authenticité au travail. Il peut s'agir de types de [Traduction] « fausse conservation de soi » en milieu de travailNote de bas de page 51. Ces comportements renforcent les stéréotypes et peuvent faire obstacle à une véritable inclusion en milieu de travail.

[Traduction] Nous voulons être noirs et queers sans être sujets aux micro-agressions et aux macro-agressions, et sans nécessairement porter le fardeau de mener les initiatives d'équité, de diversité et d'inclusion en milieu de travail. Nous ne voulons pas être considérés comme une bizarrerie ou un cas spécial, ou même un cas que l'on applaudit, en raison de la bravoure ou du courage dont nous faisons preuve ou des défis auxquels nous faisons face dans la vie. Nous voulons être authentiques en milieu de travail…

Répondant au sondage cité dans Harvi Millar, Reimagining the Employment Equity Act: Making it Work for Black Canadian Employees, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, 20 juillet 2022, à la page 76.

Les études sur les « façades de la conformité » évoluent. Elles commencent à démontrer que lorsque l'on veut, mais que l'on ne peut pas être soi-même au travail, lorsqu'il y a un [Traduction] « conflit entre les valeurs exprimées et ressenties », lorsque l'on craint que le fait d'être soi-même n'ait une incidence sur notre avancement professionnel, on peut éprouver une détresse psychologique et émotionnelleNote de bas de page 52. Cela ne signifie pas pour autant que le fait d'être soi-même mène à des résultats positifs. Dans un milieu de travail peu solidaire, se dévoiler au grand jour peut donc entraîner une détresse psychologique et émotionnelleNote de bas de page 53. Comme nous l'ont dit de nombreuses personnes qui se sont exprimées devant le groupe de travail, il y a quand même de bonnes raisons de faire preuve de prudence. Malgré tout, il y a de l'espoir : selon une étude, les personnes qui se sont dévoilées et qui ont perdu leur emploi craignaient beaucoup de se dévoiler de nouveau, mais étaient aussi plus susceptibles de le faireNote de bas de page 54.

Les membres des groupes visés par l'équité peuvent considérer qu'il est nécessaire de résister aux normes d'exclusion et d'insister sur l'inclusion authentique. L'équité en matière d'emploi peut-elle aider à réduire les coûts, en permettant aux milieux de travail d'être plus positifs et d'encourager les personnes à être authentiques au travail?

Dans les études, l'authenticité est associée au bien-être général. L'authenticité et l'implication au travail sont également liées : les membres du personnel peuvent avoir l'impression d'être en mesure de tirer pleinement parti de leur énergie et de leurs forces personnelles dans le contexte du milieu de travail. Leurs identités intersectionnelles de personnes autochtones, racisées, de sexe féminin, de la communauté 2ELGBTQI+ ou handicapées ne sont pas dévalorisées. Ces personnes n'ont pas l'impression de devoir cacher des facettes de leur identité pour essayer de s'intégrer ou réussir. Lorsque les membres du personnel peuvent être eux-mêmes, ils ont tendance à faire du bon travailNote de bas de page 55.

La réduction des obstacles soutient la capacité des membres du personnel à être authentiques au travail, ce qui peut profiter à tout le monde.

Élimination des obstacles au travail : évaluation du rendement, accès à la formation et avancement professionnel

[Traduction] La LEME est mise en œuvre pendant l'embauche, mais pas tout au long du cycle de vie de l'emploi, ce qui empêche les personnes autochtones d'accéder à des postes de la haute direction.

Employé de la fonction publique, membre du Réseau des employés autochtones fédéraux, 10 mai 2022.

On nous a parlé à maintes reprises de la répartition inégale des possibilités d'occuper un poste de direction pour les membres des groupes et des sous-groupes visés par l'équité en matière d'emploi. Les préoccupations exprimées correspondaient aux chiffres.

En mars 2021, il y avait 6 717 postes de direction dans l'administration centrale de la fonction publique fédérale.

  • Seulement 297, ou 4,4 %, de ces postes étaient occupés par des membres des Premières Nations, des Métis ou des Inuits.
  • Seulement 128, ou 1,9 %, de ces postes étaient occupés par des personnes noires.
  • Au total, 830 personnes racisées occupaient l'un de ces postes, ce qui représente 12,4 % de l'ensemble des postes.
  • Les personnes handicapées, au nombre de 377, occupaient 5,6 % des postes.
  • En tant que groupe, les femmes étaient majoritaires (52,3 % ou 3 513).

Bien que le Bureau du vérificateur général signale que les membres des minorités racisées sont représentés dans une proportion supérieure au taux de disponibilité au sein de la population active, ils sont « grandement sous-représentés » dans les échelles de rémunération les plus élevées. De plus, le nombre de cadres supérieurs a été supprimé pour des raisons de confidentialité parce qu'il était trop petit. Les chiffres ont également été supprimés pour les Autochtones (2,5 % dans l'ensemble) et les personnes handicapées (4,9 % dans l'ensemble). Cette situation s'inscrit dans un milieu de travail gouvernemental important, le Bureau du vérificateur général, qui compte à lui seul 791 employés.

Nous avons entendu beaucoup de préoccupations au sujet de l'accès aux postes de cadre de direction (EX) dans la fonction publique fédérale. Certains syndicats ont admis qu'il était possible pour les employés d'acquérir de précieuses expériences d'apprentissage grâce à des nominations temporaires. Toutefois, la plupart ont reconnu que les nominations temporaires pouvaient être une source de préoccupation étant donné le vaste pouvoir discrétionnaire dont disposent les employeurs. L'Alliance de la Fonction publique du Canada a demandé d'accroître la surveillance de l'équitéNote de bas de page 56.

Notre groupe de travail a reçu de nombreux exemples de la façon dont les groupes visés par l'équité pouvaient faire face à une « rétrogradation inconsciente »; c'est ce que Suzanne Wertheim appelle les suppositions modèles, souvent stéréotypées, qui mènent à l'omission de reconnaître une personne à la juste valeur de sa situation professionnelle. Supposer qu'une juge chinoise est une sténographe judiciaire, qu'un médecin noir est un préposé aux bénéficiaires, ou qu'un professeur bispirituel autochtone est un étudiant sont des exemples de la façon dont les préjugés inconscients fonctionnent. Les « erreurs » qui sont faites au sujet de certaines personnes peuvent indiquer des problèmes systémiques qui empêchent les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi de progresser à un rythme équitable dans leur milieu de travail. Elles peuvent amener ces personnes à sentir à plusieurs reprises qu'elles doivent prouver leur valeur et à éviter, à cause du fardeau psychologique, certains événements qui pourraient favoriser leur avancement professionnelNote de bas de page 57.

Force est de constater que des mesures sont largement nécessaires concernant les promotions, l'accès à la formation et le maintien en poste. L'affaire Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la Santé et du Bien-être social) de 1997 sur l'équité en matière d'emploi présentée devant le Tribunal canadien des droits de la personne donne des exemples importants de façons de cerner des obstacles précis et de proposer des mesures afin de les éliminer tout au long du cycle de vie de l'emploi. Dans sa décision, le Tribunal examine de près la formation, le perfectionnement professionnel et la promotionNote de bas de page 58.

De plus, si les emplois peu spécialisés dans lesquels les femmes prédominent sont moins bien rémunérés que ceux dans lesquels les hommes prédominent, et qu'ils offrent moins de possibilités de formation en cours d'emploi pouvant améliorer l'accès à la mobilité interne, des obstacles généraux à la promotion et au mouvement de la main-d'œuvre persisteront sur le marché du travail. L'étude de la professeure Marie-Josée Legault est l'une des rares enquêtes menées sur le fait que l'équité en matière d'emploi puisse éliminer les obstacles à la progression au travail pour les femmes à faible revenu qui ont un niveau de scolarité bas. Elle exhorte les décideurs politiques à prêter attention aux obstacles qui touchent les femmes à faible revenuNote de bas de page 59. Cette préoccupation, lorsqu'elle est abordée de façon intersectionnelle, contribue également à attirer l'attention sur le sous-emploi des femmes qui pourraient, par exemple, être de nouvelles immigrantes ou des personnes racisées.

Élimination des obstacles au travail et au maintien en poste : ensembles d'avantages sociaux inclusifs

Le caractère inclusif des ensembles d'avantages sociaux devrait faire partie du processus d'examen des systèmes d'emploi. Notre groupe de travail a appris que la couverture des congés de maladie et des congés visant à s'occuper de personnes à charge, les programmes d'aide aux employés et les régimes d'assurance-invalidité de longue durée sont des sujets de préoccupation pour les travailleurs et les travailleuses en général, et peuvent avoir un effet disproportionné sur les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Recommandation 4.17 : Le Règlement sur l'équité en matière d'emploi ou les lignes directrices préparées en vertu de celui-ci devraient prévoir la prise en compte des ensembles d'avantages sociaux en milieu de travail dans le processus d'examen des systèmes d'emploi.

L'importance des processus et des ententes de négociation collective visant à assurer cette caractéristique importante de l'inclusion équitable est reconnue à l'échelle internationale, confirmée au Canada et étudiée par notre groupe de travail au chapitre 5.

Obstacles au maintien en poste et à l'avancement professionnel dans la fonction publique fédérale : formation en langues officielles

[Traduction] Les personnes racisées sont souvent perçues comme n'ayant pas de compétences linguistiques dans les deux langues officielles. Ces personnes ont l'impression qu'elles ont moins accès que les autres aux tests de langues officielles et aux occasions d'apprentissage, ce qui devrait être considéré comme un obstacle à l'emploi et à la promotion. Malgré certaines dispositions politiques qui permettent de prioriser les employés et les employées racisés, l'accès est limité par le pouvoir discrétionnaire de la direction. On devrait élaborer des programmes visant à assurer un accès adéquat.

Ressources naturelles Canada, mémoire présenté au GTELEME .

Nous avons remarqué avec une certaine préoccupation que les « exigences en langues officielles » ont été présentées à maintes reprises comme des obstacles dans la fonction publique fédéraleNote de bas de page 60. Pourtant, ces exigences indiquent un engagement important du gouvernement à l'égard du bilinguisme au Canada.

Cette situation est décourageante, car il y a beaucoup à faire dans la fonction publique pour faciliter la mise en œuvre du bilinguisme dans ce secteur, qui profite à toute la population. Les exigences en langues officielles découlent d'une priorité importante, que le gouvernement a d'ailleurs réaffirmée dans le budget fédéral de 2023. Il est impératif d'employer les moyens nécessaires pour faire en sorte que l'accès inéquitable à la formation linguistique n'ait pas d'incidence négative sur les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Dans leur rapport de 2017, les Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones ont précisément insisté sur l'accès à la formation linguistiqueNote de bas de page 61. Pour certains groupes, cela comprenait la formation linguistique destinée au personnel nouvellement recruté qui peut avoir besoin de soutien dès le début pour combler ses lacunes, ou le personnel qui se trouve dans les régions.

Nous avons également été troublés par la suggestion qui a été exprimée dans plusieurs mémoires et lors de diverses consultations selon laquelle l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la direction pourrait permettre l'adoption d'approches inégales concernant les exigences relatives à la formation en langues officielles. Nous avons entendu dire que l'offre d'une formation en langues officielles constitue un engagement financier important au sein du gouvernement, car la formation peut nécessiter 18 mois de salaire.

Selon un mémoire écrit, les personnes handicapées ayant une déficience auditive profonde pourraient avoir besoin de mesures d'adaptation afin de répondre à l'exigence relative à la maîtrise des deux langues officielles. Comme une grande partie du travail sur l'équité, il faut se demander si la façon dont le handicap est compris constitue un obstacle : la reconnaissance officielle de la langue des signes québécoise (LSQ) et de la langue des signes américaine ne pourrait-elle pas améliorer notre compréhension du bilinguisme et aider à favoriser l'inclusion? Le contexte est important. Cerner minutieusement l'obstacle, afin qu'il puisse être éliminé, l'est tout autant.

L'accès équitable des groupes visés par l'équité en matière d'emploi à la formation en langues officielles est devenu une question qui justifie une attention particulière des décideurs politiques. Des consultations véritables avec les agents négociateurs devraient avoir lieu afin que la formation linguistique soit réellement offerte aux membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi d'une manière qui n'impose pas d'autres obstacles liés à la surcharge de travail ou à l'horaire.

Le groupe de travail tenait également à ce qu'un soutien soit apporté à l'atteinte d'un objectif fortement lié : adopter une approche appuyant la tenue de véritables consultations avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits afin que les langues autochtones soient valorisées dans le milieu de travailNote de bas de page 62. Selon le recensement de 2021, parmi le 1,8 million d'Autochtones au Canada, seulement 237 420 personnes peuvent parler une langue autochtone suffisamment bien pour tenir une conversation. Selon un sondage national mené en 2016 par le Centre de données des Premières Nations, même si peu de jeunes maîtrisaient une langue des Premières Nations, près de la moitié (48,2 %) de celles et ceux qui avaient une certaine connaissance d'une langue pouvaient la comprendre et la parler un peu, tandis qu'un quart (23,8 %) la parlaient couramment ou en avaient une maîtrise de niveau intermédiaireNote de bas de page 63. Chez les adultes des Premières Nations, près de 75 % ont indiqué qu'il semblait important de comprendre et de parler une langue des Premières NationsNote de bas de page 64.

Ne devrions-nous pas, à ce stade du cheminement de notre pays, être en mesure d'adopter des façons d'honorer, de promouvoir et de valoriser les langues autochtones?

Certaines personnes autochtones travaillant dans la fonction publique ont exprimé leur choix de s'efforcer de préserver et de promouvoir leur langue autochtone, afin de pouvoir la transmettre à leurs enfants et à leurs communautés. Il a été suggéré au groupe de travail que les compétences des personnes ayant fourni des services dans leur langue autochtone, notamment dans le Nord, soient valorisées et rémunérées plutôt que tenues pour acquises.

Certains partenaires autochtones qui ont fait une présentation au groupe de travail se sont également dits préoccupés par le fait que la Loi sur les langues autochtones ne rend pas les langues autochtones officielles au Canada. Le cadre législatif stipule qu'il facilite l'exercice effectif des droits des peuples autochtones relatifs aux langues autochtones, notamment au titre des mesures de collaboration et des accords établis, tout en reconnaissant et en préservant un ensemble de droitsNote de bas de page 65.

Aux fins du présent rapport, les Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones ont formulé une demande concrète et appropriée qui ferait partie d'un ensemble général de changements transformateurs : rémunérer les locuteurs de langues autochtones dans des postes où la maîtrise de ces langues est requise ou considérée comme un atoutNote de bas de page 66.

Recommandation 4.18 : Les décideurs politiques devraient sans tarder porter une attention particulière à l'évaluation de la répartition des possibilités de formation en langues officielles afin d'en assurer l'accessibilité aux membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale, sans discrimination.

Recommandation 4.19 : Des véritables consultations devraient être entreprises entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations, les Métis et les Inuits en vue de l'établissement d'une prime nationale pour les langues autochtones au sein de la fonction publique fédérale visant à reconnaître et à rémunérer les compétences des locuteurs de langues autochtones dans les postes où la maîtrise d'une langue autochtone est requise, recommandée ou attendue.

Élimination des obstacles au maintien en poste : comprendre les cessations d'emploi

Les entrevues de fin d'emploi sont un outil important de l'EDI pour comprendre les raisons des départs. Dans la fonction publique fédérale, bien que l'embauche relève de la Commission de la fonction publique et que les fins d'emploi relèvent du BDPRH du SCT, il semble important de s'attarder à la capacité d'aller au-delà des clivages et de tirer des leçons à partir des raisons pour lesquelles les fonctionnaires des groupes visés par l'équité quittent leur emploi.

Aussi importantes que soient ces entrevues de fin d'emploi, elles ont toutefois lieu à la fin de la relation de travail.

Les personnes qui partent en endossent une partie de la responsabilité. Les entrevues de fin d'emploi doivent être menées de manière à assurer la responsabilisation des membres de la direction. Nous ne pouvons toutefois pas nous permettre de faire preuve de naïveté et d'oublier que, parfois, la raison pour laquelle les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi partent est sans doute bien connue. La responsabilisation est essentielle. Il faut trouver le juste équilibre entre garantir la responsabilisation et procurer aux personnes qui partent le sentiment qu'elles peuvent raconter leur histoire.

Les Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones ont demandé à ce que les entrevues de fin d'emploi pour les personnes autochtones soient menées auprès d'une personne autochtone qui n'est pas immédiatement liée au milieu de travail des personnes concernéesNote de bas de page 67. Ces entrevues pourraient être menées par un ou plusieurs membres du comité mixte sur l'équité en matière d'emploi qui est proposé au chapitre 5. Il est possible que cette responsabilité s'inscrive dans un vecteur de changement transformateur qui est nouveau, mais important : les sous-commissaires à l'équité en matière d'emploi ou les ombuds que l'on recommande au chapitre 6. La personne qui quitte son milieu de travail pourrait être autorisée à être accompagnée par un représentant de son choix. En fin de compte, ce qu'il faut retenir à ce stade, c'est que les entrevues de fin d'emploi sont très importantes, car elles permettent aux milieux de travail de cerner et d'éliminer leurs obstacles.

Les suppositions ont bien évidemment changé depuis 1986, lorsque la première Loi sur l'équité en matière d'emploi a été adoptée. Bien qu'il soit important de ne pas les exagérer, des changements ont eu lieu dans la compréhension de la relation d'emploi et dans la question de savoir si les travailleurs et les travailleuses prévoient de faire carrière dans un seul milieu de travail. L'égalité réelle en milieu de travail exige que nous nous penchions sur les raisons pour lesquelles les membres de groupes sous-représentés quittent un emploi. Il se peut que ces personnes aient été très heureuses, mais qu'elles aient trouvé de meilleures possibilités ailleurs. Il se peut que ce ne soit pas le cas non plus. La collecte de données sur l'équité en matière d'emploi permet de faire le suivi des disparités dans les cessations d'emploi.

Toutefois, des données insuffisantes rendront cet exercice imparfait. Que peut-on faire?

[Traduction] Lorsque l'on dispose de peu de données, chaque départ, chaque embauche et chaque promotion compte.

Katie Wullert, Shannon Gilmartin et Caroline Simard, « The Mistake Companies Make When They Use Data To Plan Diversity Efforts », Harvard Business Review, 16 avril 2019.

Plus précisément, que peut-on faire avec des échantillons de petite taille? Ces échantillons signifient-ils que l'on ne peut pas déterminer les facteurs?

Des recherches importantes sur les pratiques en matière d'équité indiquent le contraire. La façon dont les employeurs utilisent les données quantitatives pour cerner et éliminer les obstacles a également donné lieu à un examen minutieux. Il est logique de faire preuve de prudence vis-à-vis des petits nombres. Toutefois, selon un article du Harvard Business Review de 2019, qui s'appuie sur un exemple de l'étape de la cessation d'emploi ou du maintien en poste, il est fortement recommandé que les employeurs soient plus sagaces quant au type d'affirmations qu'ils peuvent avancer en fonction des petits nombres :

[Traduction] Toutefois, lorsqu'une organisation dispose de données sur l'ensemble de son personnel, de petits échantillons ne sont pas un problème pour déceler les tendances. Comprendre en détail ce qui se passe avec le personnel ne nécessite pas de tirer des conclusions à partir d'un échantillon et de l'interpréter pour l'ensemble du personnel. Prenons l'exemple d'une organisation hypothétique qui, en 2017, comptait 40 femmes noires. Disons qu'en 2018, 15 % ou 6 de ces femmes ont quitté l'entreprise. Ces renseignements suffisent pour que l'on comprenne qu'il faudrait accorder une attention particulière au maintien en poste des femmes noires.

Maintenant, disons que dans l'organisation, le taux d'attrition des femmes est en moyenne de 6 %. Si l'entreprise se concentre uniquement sur les données d'ensemble, la différence dans les taux d'attrition des petits groupes devient difficile à comprendre. Les interprétations possibles sont très variées : « le roulement des femmes noires est alarmant » ou « le taux d'attrition des femmes est peu élevé. » Cette variété d'interprétations peut nuire aux efforts futurs de maintien en poste.

Lorsque l'on dispose de peu de données, chaque départ, chaque embauche et chaque promotion compteNote de bas de page 68.

Autrement dit, en cas d'échantillon de petite taille, les données statistiques à elles seules ne permettent pas de voir tout le tableau.

Lorsque l'on dispose de peu de données, il est nécessaire d'analyser et de comprendre la situation, ainsi que de déterminer les mesures à prendre pour changer les tendances, en tenant compte de leur incidence sur les personnes qui restent en poste. Les entrevues - dont celles de fin d'emploi - sont des outils importants pour cerner les obstacles et y remédier.

Des intervenants ont demandé à ce que l'on veille à une soigneuse intégration des membres des groupes visés par l'équité, en particulier les nouveaux immigrants, puisque l'expérience de travail de ces personnes au Canada est limitée et que certaines attentes devraient sans doute être explicitées. Les groupes visés par l'équité en matière d'emploi ont formulé ce commentaire de diverses façons : la promotion d'une inclusion équitable exige un certain degré de souplesse, de mutualité et même de bienveillance, afin de permettre d'accueillir, telles qu'elles sont, des personnes ayant diverses expériences vécues et de favoriser leur épanouissement. Fondamentalement, cette idée semble être le genre de transformation qui correspond à la façon dont la population canadienne veut se voir dans le monde, y compris dans le monde du travail.

L'obstacle potentiel que constitue l'intelligence artificielle

Les milieux de travail tendent de plus en plus vers l'intégration d'innovations technologiques et décident parfois d'automatiser des tâches et de modifier des compétences requises dans certains emploisNote de bas de page 69.

La capacité de l'intelligence artificielle à entraîner des désavantages structurels précisément en s'appuyant sur des inégalités sociales existantes et même en les amplifiant est la raison pour laquelle une approche de l'égalité réelle est nécessaireNote de bas de page 70.

Ce qu'il faut retenir, c'est que la technologie n'est pas neutre. Dans les milieux de travail visés par le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, nous devons veiller à ce que les solutions fondées sur l'intelligence artificielle ne masquent pas simplement les préjugés persistants ou de plus en plus profonds. Ces résultats ne sont pas une fatalité. Une approche visant à éliminer les obstacles qui est fondée sur l'égalité réelle demeure une méthode importante pour l'atteinte et le maintien de l'équité en matière d'emploi.

Unifor a recommandé qu'un commissaire à l'équité en matière d'emploi soit chargé d'élaborer des normes, notamment pour les sites d'emploi en ligne et les agences de recrutement et d'embauche. Sa préoccupation était de renforcer les objectifs d'équité en matière d'emploi plutôt que d'y faire obstacleNote de bas de page 71.

Notre groupe de travail convient que la capacité d'élaborer des directives souples et contextuelles permettra de résoudre ces problèmes avec le temps. Nous recommandons de faire un suivi de l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le recrutement ou d'autres formes d'évaluation du personnel afin de déceler les préjugés potentiels, d'en faire rapport dans l'examen des systèmes d'emploi, et d'indiquer des directives appropriées.

Recommandation 4.20 : Le Règlement sur l'équité en matière d'emploi devrait prévoir que l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le recrutement ou d'autres formes d'évaluation du personnel fasse l'objet de rapport dans l'examen des systèmes d'emploi des employeurs.

Recommandation 4.21 : Des lignes directrices et de la formation devraient être élaborées et mises à jour par le commissaire à l'équité en matière d'emploi, y compris sur l'utilisation de l'intelligence artificielle tout au long du cycle de vie de l'emploi, en particulier le recrutement et l'embauche.

Pratiques prometteuses pour l'élimination des obstacles à l'emploi

Il y a énormément de travail autour de l'équité, de la diversité et de l'inclusion. Les membres du groupe de travail en ont beaucoup entendu parler. Des groupes visés par l'équité en matière d'emploi ont mentionné que certaines initiatives suscitaient du scepticisme et un véritable découragement lorsqu'elles ne s'accompagnaient pas d'un changement réel dans la représentation. C'est formidable de souligner le Mois de l'histoire des Noirs ou le Mois de l'histoire des femmes ou d'assister à un défilé de la Fierté. Toutefois, il faut prioriser l'élimination concrète des obstacles en milieu de travail.

Nous ne pouvons pas passer aux solutions si nous ne comprenons pas réellement les problèmes. Trop d'activités fondées sur l'EDI offrent des solutions sans procéder à l'analyse des problèmes. Après 37 ans, si nous ne faisons pas mieux en matière de représentation, nous n'avons pas réellement compris le problème.

C'est pourquoi, dans ce chapitre, nous insistons sur la détermination des obstacles. Le but n'est toutefois pas de recommander certaines pratiques ou approches. L'élimination des obstacles est propre au contexte. Elle vise à permettre l'atteinte des objectifs quantitatifs relatifs à l'équité en matière d'emploi, et à éviter le roulement du personnel, où les taux de cessation d'emploi sont plus élevés que les taux de recrutement et de promotion.

Les pratiques prometteuses suivantes ne sont donc pas présentées comme des éléments d'une liste de contrôle ni comme des solutions universelles, mais comme des exemples de la façon dont les acteurs de certains secteurs - au Canada et à l'étranger - tentent d'éliminer certains obstacles systémiques par des moyens proactifs.

  • Le groupe de travail a entendu parler de mesures proactives visant à éliminer les préjugés dans les pratiques de recrutement, comme la suppression des données d'identification démographique dans les curriculum vitae.
  • Nous avons appris que l'initiative de faire passer à des musiciens des auditions derrière un écran a été un succès, car les examinateurs pouvaient évaluer chaque artiste uniquement selon ce qu'ils entendaientNote de bas de page 72.
  • Le Diversity Institute a mentionné des programmes de bourses d'études dans le secteur sous-représenté de l'aviation qui sont offertes par l'entremise d'Indspire aux étudiants autochtones pour leur permettre de devenir pilotes.
  • Nous avons entendu parler d'une initiative de formation préalable à l'emploi, Pilimmaksaivik, qui vise à recruter du personnel inuit aux fins d'embauche dans des ministères et organismes fédéraux au Nunavut. Elle comprend un groupe de travail de 2020 coprésidé par le BDPRH et Pilimmaksaivik qui travaille sur l'incitation à utiliser l'inuktitut et sur la question de savoir si cette démarche pourrait améliorer la représentation des Inuits dans la fonction publique fédéraleNote de bas de page 73. Il est à noter qu'en négociant la création d'un comité mixte sur les langues autochtones avec le Conseil du Trésor, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) a affirmé ce qui suit : « Il y a longtemps que l'AFPC revendique une prime de langue autochtone, faisant écho aux appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation. Cet examen nous aidera à y arriverNote de bas de page 74. » Certaines de ces pratiques prometteuses portent sur l'embauche relativement à la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et sont axées sur la recherche de moyens permettant l'embauche de personnel inuit en mettant l'accent sur la capacité d'accomplir le travail, et pas nécessairement sur le fait de posséder les qualifications officiellesNote de bas de page 75.
  • Les Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones ont demandé à ce que des exigences de conduite relatives à la lutte contre le racisme, la discrimination et le harcèlement, ainsi qu'à l'absence de préjugés soient intégrées aux profils de compétences de l'ensemble des fonctionnaires et qu'elles fassent partie des attentes continues en matière de rendement.
  • L'Australie a instauré une approche d'« entrevue garantie », qui exige de la part des employeurs un engagement visant à garantir qu'ils incluront dans leur liste de présélection pour les entrevues un ou plusieurs postulants handicapés qui répondent aux exigences inhérentes au poste à pourvoir. Cette pratique prometteuse évite les accusations de décision symbolique parce que les postulants présélectionnés répondent aux exigences inhérentes au poste. Elle a été mise en place dans un certain nombre de processus de recherche pour les groupes visés par l'équité dans différents secteurs d'emploi. Elle offre un moyen proactif de lutter contre les préjugés inconscients, car elle fait en sorte que les comités de sélection examinent de plus près les postulants des groupes visés par l'équité. Il s'agit également d'une pratique qui peut servir de base à la production de rapports visant à faire le suivi de la conformité.
  • Les personnes qui postulent pourraient demander que du temps additionnel leur soit accordé pour passer un test, à passer un test oralement, ou à utiliser un lecteur ou un transcripteur. Toutefois, imaginez si certaines des normes sur la conduite d'un test étaient simplement repensées - imaginez si l'on tenait compte des composantes essentielles de l'emploi ainsi que des progrès technologiques pour rendre les tests généralement accessibles dans des formats permettant à la personne évaluée de décider de lire ou de faire lire le test par un ordinateur, peut-être en s'appuyant davantage sur le recrutement en ligne comme c'est le cas en Nouvelle-ZélandeNote de bas de page 76. Grâce aux progrès technologiques, les possibilités sont multipliées.
  • Tout au long du cycle de vie de l'emploi, la fonction publique fédérale a instauré des passeports pour l'accessibilité en milieu de travail. Les passeports permettent aux employés de faire part de leurs renseignements une seule fois. Ces renseignements suivent les employés dans l'ensemble du gouvernement. Cette initiative, qui tient compte des mesures de protection des renseignements personnels, peut favoriser l'inclusion et réduire la nécessité de devoir sans cesse demander certains types de mesures d'adaptation.
  • Pour ce qui est de créer des milieux de travail accessibles dans la fonction publique fédérale, le groupe de travail a été informé du Fonds centralisé pour un milieu de travail habilitant, décrit comme suit dans la Stratégie sur l'accessibilité au sein de la fonction publique du Canada :

Mesures immédiates à l'échelle de la fonction publique

Par l'intermédiaire du Fonds centralisé pour un milieu de travail habilitant, élaborer une approche pangouvernementale pour répondre aux besoins d'adaptation au sein du milieu de travail

Dans le cadre du Programme d'accessibilité du gouvernement du Canada, 10 millions de dollars sur cinq ans (de l'exercice 2019 à 2020 à l'exercice 2023 à 2024) ont été affectés au Fonds centralisé pour un milieu de travail habilitant.

Le fonds a été créé en fonction des recommandations formulées par le Comité des champions et des présidents pour personnes handicapées. Il sera géré par le BAFP et permettra :

  • d'élaborer et mettre en œuvre un passeport d'employé qui :
    • documente les besoins,
    • facilite les conversations avec les gestionnaires et les services ministériels,
    • assure le suivi des actions,
    • « suit » les employés lorsqu'ils changent de poste;
  • d'effectuer des recherches, d'évaluer les pratiques exemplaires dans les secteurs public et privé, et d'expérimenter des approches novatrices en matière d'adaptation du milieu de travail;
  • de créer une « bibliothèque » centralisée d'appareils et de services adaptés pour fournir un accès rapide à des appareils fonctionnels aux nouveaux employés (étudiants, employés occasionnels et temporaires);
  • de mettre en œuvre une formation et des outils pour appuyer le changement de culture au sein de la fonction publique;
  • de mettre en œuvre d'autres initiatives, comme des projets pilotes, afin d'examiner leur faisabilité à l'échelle du gouvernement.

Secrétariat du Conseil du Trésor, « Objectif 1 - Emploi : accroître le recrutement, le maintien en poste et la promotion des personnes handicapées », Stratégie sur l'accessibilité au sein de la fonction publique du Canada (7 mai 2020).

  • Certains mémoires ont souligné que la pandémie a apporté une nouvelle compréhension des possibilités de faire les choses différemment. Le travail à domicile en est un exemple. Des leçons peuvent être tirées sur la question de savoir si le travail à domicile peut accroître l'accessibilité de certaines personnes handicapées ou respecter la préférence de certains membres des Premières Nations, Métis et Inuits sur le fait de rester près de leur territoire. Certains rapports réalisés pendant la pandémie indiquent que les membres du personnel qui ont été victimes de discrimination en milieu de travail pourraient préférer travailler à domicileNote de bas de page 77. Les leçons tirées devraient être fondées sur des données probantes et dépendront d'un éventail de facteurs contextuels dans des industries et des secteurs distincts. Certains intervenants nous ont informés que l'accès à Internet demeurait un obstacle pour de nombreuses personnes dans les collectivités éloignées du Nord. Les mémoires mentionnaient les problèmes de santé mentale qui peuvent découler de l'isolement social chez certaines personnes qui travaillent à domicile.
  • Le groupe de travail s'est également penché sur une pratique en train d'être normalisée pour le recrutement de cadres de direction : le recours à des agences externes. Les talents recrutés par les agences de recrutement de cadres deviennent en général des membres de l'organisation, et ce, souvent aux plus hauts échelons. Toutefois, pour les besoins de l'équité en matière d'emploi, il est essentiel de pouvoir évaluer l'incidence sur le milieu de travail pour tout le monde. Les agences facilitent-elles l'équité en matière d'emploi ou constituent-elles des obstacles?
    • Certaines assument la responsabilité de chercher et même de présélectionner les postulants. Certaines se spécialisent dans la recherche de personnes appartenant à des groupes visés par l'équité. Certaines vendent comme une force leur capacité à attirer des personnes issues de la diversité. Nous en savons toutefois très peu sur ces pratiques.
    • Dans son audit horizontal sur l'emploi des Autochtones dans le secteur bancaire et financier, la Commission canadienne des droits de la personne a indiqué que le recrutement de cadres était une pratique prometteuse :

      Une pratique positive et prometteuse connexe pour l'embauche externe est l'utilisation d'une entente de services de recrutement qui exige que les agences de recrutement sous contrat respectent l'engagement d'une organisation envers l'EE en recherchant des candidats provenant des groupes désignés sous-représentés. Une organisation fournit à l'agence sous contrat les cibles d'EE par groupe désigné et par groupe professionnel, en mettant à jour l'information au moins une fois par année, et l'agence s'efforce d'inclure des membres qualifiés des groupes désignés dans sa liste de candidats proposés. Si, au cours d'une période d'un an, l'agence ne fournit pas de candidats convenables provenant des groupes désignés, elle doit présenter une justification écrite indiquant les raisons pour lesquelles elle n'a pas été en mesure de la [sic] faire. Ces contrats peuvent être utilisés pour les cadres supérieurs ainsi que pour d'autres postes professionnels ou techniques qui se libèrent. Ils peuvent également être liés à une politique de l'entreprise exigeant un certain nombre ou pourcentage de candidats appartenant aux groupes désignés pour les postes comportant des écarts de représentation importants avant que le processus d'entrevue ne puisse commencer.

      Commission canadienne des droits de la personne, Audit horizontal sur l'emploi des Autochtones dans le secteur bancaire et financier, 2019, aux pages 16 et 17.
    • Notre groupe de travail estime que ces pratiques constituent une partie importante du processus d'équité en matière d'emploi et méritent une attention particulière continue dans l'examen des systèmes d'emploi.
  • Les Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones ont considéré comme une occasion immédiate de changement transformateur dans la fonction publique fédérale l'initiative d'élaborer un programme de possibilités d'emploi en milieu de carrière visant à encourager l'embauche latérale d'Autochtones dans le secteur.

Au fur et à mesure que les pratiques prometteuses nous ont été communiquées, dans le cadre des consultations, des études et des rapports écrits, notre groupe de travail a lu et entendu à maintes reprises que les employeurs devaient avoir la capacité de s'acquitter de leur responsabilité d'offrir des environnements sûrs et inclusifs à l'ensemble des membres du personnel, y compris aux personnes des groupes visés par l'équité en matière d'emploiNote de bas de page 78.

Essentiellement, les personnes qui se sont exprimées devant nous voulaient que nous envisagions, en particulier dans les secteurs où il y a une pénurie de main-d'œuvre, que les milieux de travail accessibles pourraient « ouvrir un nouveau marché du travailNote de bas de page 79. » Il s'agit d'un argument important pour éliminer les obstacles de façon proactive, de sorte que les mesures d'adaptation ne soient pas le cadre auquel les personnes handicapées doivent s'adapter, ne serait-ce que pour postuler un emploi.

Nous avons également réfléchi à cette question lorsque nous avons analysé au chapitre 1 la façon de joindre les travailleurs et les travailleuses qui sont « découragés » d'un point de vue statistique et qui ne sont pas considérés comme faisant partie du marché du travail.

Ce message trouve un écho auprès des personnes qui pourraient faire face à de l'exclusion pour d'autres motifs de distinction qui sont indiqués dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'élimination proactive des obstacles, comme les carrefours giratoires ou les trottoirs élargis, peut appuyer des politiques inclusives globales qui profitent aux travailleurs et aux travailleuses en général.

Trop souvent, nous pensons que l'équité en matière d'emploi consiste à partager une tarte qui va toujours en diminuant. Dans le cadre d'une approche visant l'élimination des obstacles à l'équité en matière d'emploi, nous rassemblons des gens et nous préparons une grande et délicieuse tarte que nous n'avons plus qu'à couper en parts égales.

Élimination des obstacles au-delà des groupes visés par l'équité

L'aperçu fourni devrait tout de même donner une indication complète du type de travail que l'examen exhaustif des systèmes d'emploi peut mettre en évidence. Cet examen nous permettra de mieux comprendre le type de travail à 360 degrés qui est nécessaire pour éliminer les obstacles à l'inclusion équitable en milieu de travail.

Cela devrait également aller de soi : l'élimination des obstacles est globalement avantageuse et a le potentiel de favoriser l'inclusion équitable en milieu de travail. Les effets s'étendent au-delà des groupes visés par l'équité en matière d'emploi et créent un climat qui peut permettre aux milieux de travail d'être plus réceptifs aux besoins d'un large éventail de personnes. Par exemple, les représentants des jeunes ont rappelé au groupe de travail qu'ils sont présents dans tous les groupes visés par l'équité et qu'ils appuient une approche intersectionnelle. Unifor a souligné que les personnes des générations Y et Z qui ont commencé un nouvel emploi pendant la pandémie peuvent faire face à des difficultés particulières d'intégration en milieu de travail, ainsi qu'à des clichés et à des stéréotypes qui peuvent leur nuireNote de bas de page 80. Les organisations de jeunes ont accueilli favorablement le soutien aux initiatives qui pourraient permettre aux employeurs de s'attaquer aux obstacles en milieu de travail, comme la croyance erronée selon laquelle il est acceptable de crier après les jeunes au travail. La prévention du harcèlement en milieu de travail ferait partie de la solution. Il en va de même pour la prise en compte, dans l'examen des systèmes d'emploi, de questions comme l'âge, tel que le recommande Unifor. En somme, résoudre les préoccupations liées à l'accessibilité et à l'élimination des obstacles aidera également les jeunesNote de bas de page 81.

Une réforme législative pourrait bien évidemment appuyer l'élimination des obstacles. Le groupe de travail a été consterné d'apprendre, par exemple, qu'à ce stade de la vie au Canada, les minorités religieuses ont toujours de la difficulté à obtenir un congé aux jours fériés qui, pour elles, sont différents de ceux des calendriers chrétiens traditionnels.

Dans son examen des normes du travail fédérales, le commissaire Harry Arthurs a considéré que les droits du travail, y compris les normes minimales du travail, étaient des droits de la personne. Il a plaidé en faveur d'une plus grande souplesse dans les heures de travail, ce qui comprend les congés pour obligations familiales. Selon son examen, « les normes du travail en vigueur au Canada ne sont ni plus coûteuses ni moins souples que celles des pays étrangers utilisées comme points de comparaisonNote de bas de page 82. » En ce qui concerne les congés pour fêtes religieuses, M. Arthurs a recommandé ce qui suit :

La Partie III devrait permettre à l'employeur, à la demande écrite d'un employé, de remplacer tout jour férié indiqué à la Partie III par un ou plusieurs jours fériés culturels ou religieux. Le Programme du travail, en collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne, devrait rappeler aux employeurs leur obligation légale de tenir compte de ces demandes.

Examen des normes du travail fédérales, Équité au travail : des normes du travail fédérales pour le XXIe siècle, professeur Harry Arthurs, commissaire (Ressources humaines et Développement des compétences Canada), 2006, à la page 175.

La recommandation montre qu'il faut reconnaître l'importance de tenir compte des fêtes religieuses.

Depuis, des réformes importantes ont été faites à la Partie III des dispositions du Code canadien du travail sur les congés. L'approche a été de reconnaître qu'il existe un éventail de raisons pour lesquelles les gens pourraient avoir besoin de souplesse dans leur vie professionnelle. Les milieux de travail et la société dans son ensemble ont avantage à offrir une certaine souplesse, au besoin. Les types de congés accordés en vertu de la Partie III du Code canadien du travail varient du congé parental à la naissance ou à l'adoption d'un enfant au congé pour des responsabilités relatives aux soins de fin de vie, en passant par le congé en cas de maladie grave, le congé de soignant, le congé de décès, le congé en cas de violence familiale, le congé personnel défini au sens large et le congé pour « pratiques autochtones traditionnelles. » L'approche renforce le principe selon lequel l'égalité réelle n'est pas une norme d'uniformisation. L'égalité réelle est une norme d'inclusion équitable.

Nous encourageons le gouvernement fédéral à entamer des consultations avec les représentants des employeurs et des travailleurs ainsi que les collectivités concernées en vue d'envisager une modification de la Partie III du Code canadien du travail qui prévoirait qu'un ou plusieurs jours par année peuvent être pris en congé pour les grandes fêtes religieuses, ainsi que des modalités appropriées pour la prise en compte des besoins d'industries ou d'urgences particulières.

Recommandation 4.22 : Le gouvernement fédéral devrait entamer des consultations avec les représentants des employeurs et des travailleurs ainsi que les collectivités concernées en vue de modifier le Code canadien du travail afin que les minorités religieuses puissent se prévaloir d'un ou de plusieurs jours de congé payé par année accordés de façon raisonnable pour célébrer les grandes fêtes religieuses.

Le principal point à retenir demeure que le processus devrait être orienté par les observations du groupe de travail sur l'utilisation excessive d'un modèle de mesures d'adaptation alors que la mise en place de mesures proactives est nécessaire.

Le but n'est pas de tout amener à l'échelle de la macro et d'exiger que la loi règle le problème. Dans ce contexte, la loi permet d'établir les paramètres généraux et permet aux milieux de travail d'agir de manière souple et fluide pour éliminer les obstacles.

Cette démarche nous oblige à prendre des précautions pour cerner et éliminer les obstacles. Le besoin de précision est reconnu aux plus hauts niveaux gouvernementaux, à en juger par l'Appel à l'action en faveur de la lutte contre le racisme, de l'équité et de l'inclusion dans la fonction publique fédérale, lancé en 2021 par le greffier du Conseil privé.

Le groupe de travail rappelle que ce travail doit inclure les comités mixtes de direction et du personnel, et être assorti des mesures de protection nécessaires en vue d'éviter les représailles pour les personnes qui prennent ce genre de travail proactif au sérieux.

Équité, élimination des obstacles et ententes de non-divulgation

Introduction

Une pratique en milieu de travail a récemment fait l'objet d'une attention importante dans la foulée du mouvement #MoiAussi et de la sensibilisation croissante du public aux torts causés par le harcèlement et la violence de nature sexuelle en milieu de travail. Il s'agit de l'utilisation d'ententes de non-divulgation dans le règlement des différends. Certaines personnes considèrent cette pratique comme une question de gestion plutôt qu'une question juridique; autrement dit, le fait de laisser une affaire dégénérer au point qu'elle devienne une plainte externe serait un signe de [Traduction] « mauvaise gestionNote de bas de page 83. » On pourrait avoir l'impression de favoriser des relations d'emploi moins conflictuelles. Il y a toutefois des dangers : lorsqu'une question sérieuse de droits de la personne n'est pas résolue, il est possible que le différend disparaisse, mais alors il y a un risque que la discrimination soit tout simplement dissimulée. Cette approche peut empêcher l'élimination des obstacles et laisser la discrimination systémique en place, ce qui va à l'encontre des objectifs de l'équité en matière d'emploi.

Le groupe de travail a entendu de vives protestations de la professeure de droit Julie MacFarlane et de Zelda Perkins, cofondatrices de Can't Buy My Silence, qui soutiennent que les ententes de non-divulgation (END) ayant force exécutoire - également connues sous le nom d'ententes de confidentialité - dissimulent l'abus et la discrimination, et causent du tort. À l'origine, ces instruments juridiques étaient des outils de protection de la vie privée qui visaient à protéger les secrets commerciaux, mais leur utilisation dans le règlement des différends en matière d'emploi est devenue généralisée. Les deux femmes ont souligné le recours massif aux END, tant dans la fonction publique fédérale que dans le secteur privé. Elles ont fait remarquer que les ententes de confidentialité sont utilisées même dans les contrats de travail comme condition d'emploi, ou à l'étape de l'enquête sur les plaintes de harcèlementNote de bas de page 84.

L'utilisation des ententes de confidentialité dans le contexte de l'emploi va au-delà de la portée du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi et justifie un traitement rigoureux et complet. Elle a été à la base d'examens importants à l'échelle internationale et au Canada, qui sont liés en grande partie à la défense transnationale de Can't Buy My Silence.

[Traduction] « Chaque fois que ces modèles de règlement sont appliqués, ils se répercutent sur l'ensemble du système de lois qui assurent une protection en matière de travail et d'égalité : si un règlement avec une END est la meilleure option que la loi et le processus juridique offrent naturellement aux personnes invoquant ces droits au travail, il semble tout à fait rationnel que, pour cette seule raison, ces personnes ne poursuivent pas leurs démarches, et aient encore moins envie de le faire une fois que des pressions ont été exercées sur elles pour qu'elles ne divulguent rien. »

Lizzie Barmes, « Silencing at Work: Sexual Harassment, Workplace Misconduct and NDAs », Industrial Law Journal, volume 52, 2023, à la page 76.

Dans la mesure où elle risque de renforcer plutôt que d'éliminer les obstacles à l'atteinte de l'égalité réelle au travail, l'utilisation aveugle d'ententes de non-divulgation et d'ententes de confidentialité dans le but d'enquêter sur des cas de harcèlement et de discrimination en milieu de travail ou de les régler est une question qui mérite également notre attention dans le cadre de l'examen de l'équité en matière d'emploi.

Ententes de non-divulgation en droit comparé et partout au Canada

Partout au Canada et à l'étranger, on accorde de plus en plus d'attention aux END en ce qui concerne les plaintes de harcèlement sexuel en milieu de travail. Les trois grandes caractéristiques suivantes ressortent d'un examen des études entreprises en Australie, en Irlande et au Royaume-Uni sur l'utilisation des END dans les plaintes de harcèlement et de discrimination, en particulier sur le harcèlement sexuel.

Premièrement, les END peuvent être perçues comme présentant certains avantages, dont la confidentialité pour les plaignants, car certaines personnes préfèrent régler un différend et éviter un litigeNote de bas de page 85. D'autres choisissent la confidentialité afin d'éviter d'être qualifiées de personnes difficiles ou de faire face à des atteintes à la réputation personnelle dans leur secteur de travailNote de bas de page 86. Certaines personnes laissent entendre que sans les END, les employeurs pourraient plutôt utiliser leurs ressources pour démontrer qu'ils ont pris des mesures raisonnables afin de lutter contre la discrimination en milieu de travail et afin de contraindre les défendeurs à demander un avis juridique indépendant, ou encore afin de dissuader ou de réprimer complètement les plaintesNote de bas de page 87. Nous ignorons si c'est le cas. Néanmoins, aucun de ces arguments ne signifie que les END devraient être utilisées sans distinction. La plupart des gens, et même certains experts, peuvent avoir de la difficulté à comprendre les exceptions à l'utilisation des ENDNote de bas de page 88. Il est important de se demander si ces dernières protègent réellement le plaignant contre les atteintes à la réputation.

Deuxièmement, les victimes peuvent subir un préjudice du fait qu'elles ont signé une END. En réalité, le choix de signer ou non une END ne leur appartient peut-être pas en raison du déséquilibre de pouvoir qui existe entre elles et leur employeurNote de bas de page 89. Certaines personnes n'ont peut-être pas eu accès à un avis juridique indépendantNote de bas de page 90. Encore là, selon la recherche sociolégale limitée, il y a lieu de se demander si l'avis juridique indépendant est suffisantNote de bas de page 91. Les plaignants peuvent se sentir isolés, car le fait de signer une END les empêche de se confier à leurs amis et à leur famille ou de trouver du soutienNote de bas de page 92. Les END peuvent également limiter les possibilités qu'ont les plaignants de trouver un nouvel emploi s'ils ne peuvent pas expliquer les raisons pour lesquelles ils ont quitté leur emploiNote de bas de page 93.

Troisièmement, si les END ne s'appliquent qu'aux accusations crédibles d'abus au lieu de faire en sorte que les auteurs en milieu de travail comparaissent devant les comités de discipline appropriés et s'exposent à des sanctions, elles contribuent à perpétuer le harcèlement en milieu de travail et empêchent de déterminer les tendances de harcèlement et de s'y attaquer. Les auteurs peuvent être en mesure de changer facilement d'employeurs sans mettre fin à leurs comportementsNote de bas de page 94. Il y a une difficulté inhérente à la collecte de renseignements sur le taux d'utilisation des END en raison des exigences relatives à la confidentialitéNote de bas de page 95. En ce sens, elles contribuent à une culture du silenceNote de bas de page 96.

Au Canada, la Non-Disclosure Agreements Act de l'Île-du-Prince-Édouard est entrée en vigueur le 17 mai 2022, ce qui a fait de la province la première au pays à adopter une loi interdisant les END lorsqu'un ou une plaignante allègue avoir été victime de harcèlement ou de discrimination ou lorsque ses allégations sont fondéesNote de bas de page 97. Des projets de loi semblables ont été présentés en Nouvelle-ÉcosseNote de bas de page 98, où il y a eu adoption à la première lecture, et au Manitoba, où le projet de loi d'initiative parlementaire n'a pas été adopté à la deuxième lecture, mais dont l'objet est étudié par la Commission de réforme du droit du ManitobaNote de bas de page 99. La Colombie-Britannique envisagerait également de présenter un projet de loiNote de bas de page 100.

En février 2023, l'Association du Barreau canadien a massivement appuyé une résolution qui « encourage le recours équitable et adéquat aux ententes de confidentialité comme mesure de protection de la propriété intellectuelle, et s'oppose à leur utilisation comme moyen de bâillonner les victimes et les lanceurs d'alerte qui dénoncent les mauvais traitements, la discrimination et le harcèlement au Canada » et qui « fasse pression auprès des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, afin de faire modifier les lois et politiques de manière à éliminer le recours abusif aux ententes de confidentialité comme bâillon contre les victimes et les lanceurs d'alerteNote de bas de page 101. »

Il n'y a actuellement aucune loi en Australie, en Irlande ou au Royaume-Uni, mais l'Irlande envisage un projet de loi d'initiative parlementaire, et le Royaume-Uni s'est engagé en principe à envisager une législation visant à limiter la portée des END. L'Australie a proposé un document de pratique contenant une clause de confidentialité type, afin de promouvoir les pratiques exemplaires à l'aide d'attentes indiquées en langage clair et de veiller au maintien des mesures de protection à l'égard des lanceurs d'alerte.

Un certain nombre d'États américains ont également pris des mesures pour restreindre ou pour interdire l'utilisation des END entre les employeurs et les employés, mais dans la plupart des cas sans interdire les clauses contractuelles des conventions d'arbitrage obligatoires dans les contrats de travail typesNote de bas de page 102. En Californie et dans l'État de Washington, les END sont en général interdites ou rendues nulles en cas de discrimination ou de harcèlement, et la situation s'applique également aux entrepreneurs indépendantsNote de bas de page 103. New York est l'un des États américains qui ont intégré des protections procédurales, en accordant un délai de 21 jours au demandeur pour qu'il examine l'END et un délai de 7 jours pour la révoquerNote de bas de page 104. Dans d'autres États comme le Vermont, les employés doivent être informés de leurs droits. Les ententes de règlement stipulent que l'END n'empêche pas de déposer une plainte, de témoigner ou de contribuer autrement à une enquête, ou de répondre à une demande de documentNote de bas de page 105.

Fait particulièrement intéressant pour le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, le Maryland a instauré une exigence de rapport pour les employeurs comptant plus de 50 employés. Les employeurs concernés doivent indiquer à la commission des droits civiques de l'État le nombre :

  • de règlements conclus après qu'un employé ou une employée a allégué avoir été victime de harcèlement sexuel;
  • de paiements versés à une même personne en vue de la résolution d'allégations de harcèlement sexuel au cours des 10 dernières années;
  • d'exigences en matière de confidentialité dans les ententes de règlementNote de bas de page 106.

Que pouvons-nous faire maintenant?

[Traduction] Il est toutefois essentiel de ne pas présumer que tous les changements visent à arrêter de bâillonner les victimes.

Lizzie Barmes, « Silencing at Work: Sexual Harassment, Workplace Misconduct and NDAs », Industrial Law Journal, volume 52, 2023, aux pages 101 et 102.

Il est clair qu'il existe une importante position qui vise à comprendre et à corriger l'utilisation abusive des ententes de confidentialité. Il y a suffisamment de renseignements qui étayent la possibilité d'utiliser les END à mauvais escient pour que le groupe de travail recommande que le gouvernement fédéral envisage d'apporter des modifications aux lois sur les droits de la personne et le travail afin que les END ne soient pas utilisées dans le but de restreindre les droits de la personne des plaignants et des lanceurs d'alerte. Nous devons également penser aux conséquences imprévues de la réforme des lois.

Le harcèlement en milieu de travail est un concept général selon le Code canadien du travail, et plusieurs gouvernements au pays ont des lois particulières sur le harcèlement psychologique. Nous avons entendu des préoccupations selon lesquelles non seulement les groupes visés par l'équité en matière d'emploi et faisant face à de la discrimination intersectionnelle sont plus susceptibles d'être victimes de harcèlement en milieu de travail, mais aussi que les plaintes de harcèlement psychologique ou de harcèlement en général peuvent cibler de façon disproportionnée les femmes de la haute direction, y compris les femmes noires, autochtones ou racisées, lorsqu'elles exercent leur autorité et cherchent à travailler dans le cadre des structures et des politiques organisationnelles pour faire pression en faveur du changementNote de bas de page 107. Des stéréotypes comme celui de la « femme noire ou autochtone en colère » pourraient-ils rendre certaines gestionnaires plus susceptibles de voir des organisations se retourner contre elles, en les rendant plus vulnérables aux plaintes de harcèlement psychologique ou autre pour des comportements qui seraient considérés comme normaux chez les gestionnaires masculins? Cette mise en garde nous rappelle que la violence et le harcèlement sexuels font partie des jeux de pouvoir. Ils se retrouvent mêlés aux jeux de pouvoir notamment en ce qui a trait à la race, à l'orientation sexuelle, à l'identité et à l'expression de genre, aux caractéristiques sexuelles et à l'accessibilité, c'est-à-dire les dynamiques qui sont au cœur des expériences vécues par les groupes visés par l'équité en matière d'emploi et dont il faut également tenir compte.

Le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi comporte déjà des exigences pour la production de rapports sur les mesures proactives prises en milieu de travail. Il donne l'occasion d'en apprendre davantage sur une pratique qui s'inscrit dans le silence. Comme l'exigence sera tournée vers l'avenir, les employeurs sous réglementation fédérale seront tenus d'agir dans le cadre de leurs ententes privées d'une manière qui leur permettra de respecter cette exigence redditionnelle. Notre groupe de travail estime qu'il peut être instructif d'obliger les employeurs sous réglementation fédérale à rendre compte de l'étendue et de la nature de l'utilisation des END et des ententes de confidentialité.

Exiger de faire rapport de ce qui peut l'être améliorera la capacité que nous offre le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi de cerner et d'éliminer les obstacles.

Notre groupe de travail recommande donc que les milieux de travail soient tenus de rendre compte du nombre de plaintes de harcèlement et de discrimination, en les classant selon la catégorie, selon le fait ou non que les plaignants, les intimés ou les auteurs sont membres d'un ou de plusieurs groupes visés par l'équité en matière d'emploi tout en indiquant, le cas échéant, lesquels, et selon le nombre d'END qui ont été conclues par le milieu de travail dans le cadre de l'analyse obligatoire du climat de travail. La liste doit être anonymisée. Nous reconnaissons que la suppression de certaines données pourrait être nécessaire en fonction de la taille des groupes ou des sous-groupes visés par l'équité en matière d'emploi en question, conformément aux principes de protection de la vie privée dont il est question au chapitre 2.

Enfin, le groupe de travail estime qu'il convient d'entreprendre une étude sur la question de l'utilisation apparemment courante des END dans le but de résoudre des questions d'emploi et son incidence sur les droits de la personne et l'équité en milieu de travail et au-delà. L'étude proposée pourrait tenir compte d'un éventail de pratiques susceptibles d'avoir une incidence sur l'inégalité du pouvoir de négociation des parties à différentes étapes de la relation de travail, et également sur les conditions de cessation d'emploi. De plus, elle pourrait englober l'utilisation de clauses restrictives, y compris les clauses de non-concurrence dans les contrats de membres du personnel qui ont souvent un faible revenu, étant donné que la Federal Trade Commission des États-Unis vient de proposer une nouvelle règle dans le Code of Federal Regulations qui interdirait aux employeurs d'imposer des clauses de non-concurrence aux travailleurs et aux travailleuses, une pratique que le pays qualifie d'abusiveNote de bas de page 108.

Recommandation 4.23 : Le gouvernement fédéral devrait, en consultation avec les groupes concernés, envisager de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code canadien du travail afin que les END ne soient pas utilisées dans le but de restreindre les droits de la personne des plaignants ou des lanceurs d'alerte.

Recommandation 4.24 : Le Règlement sur l'équité en matière d'emploi devrait être modifié afin d'exiger que les employeurs rendent compte du nombre d'END qui ont été signées, en indiquant les catégories concernant le sujet général et les obstacles potentiels sur lesquelles elles portaient. Le rapport devrait comprendre des renseignements non nominatifs sur le ou les groupes visés par l'équité en matière d'emploi auxquels le ou les plaignants et auteurs présumés appartiennent.

Recommandation 4.25 : Une étude devrait être entreprise sur l'utilisation des END dans le but de résoudre des questions d'emploi relevant de la compétence fédérale et sur son incidence sur le respect des droits de la personne et l'atteinte de l'équité en matière d'emploi en milieu de travail.

Obstacles qui se recoupent en milieu de travail

Si l'on ne se penche pas sur les premiers indicateurs de la réussite en matière d'emploi, comme l'emploi des jeunes, les efforts relatifs à la Loi sur l'équité en matière d'emploi seront perdus d'avance…

Inclusion Canada, présentation au GTELEME, 9 juin 2022.

[I]l importe d'intégrer la promotion de l'égalité de chances et de traitement dans l'emploi et la profession dans les politiques nationales pertinentes, telles que les politiques d'éducation et de formation, les politiques de l'emploi, les stratégies de réduction de la pauvreté, les programmes de développement rural ou local, les programmes d'autonomisation économique des femmes et les stratégies d'atténuation des changements climatiques et d'adaptation à ces changements.

Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT, Observation générale sur la discrimination fondée sur la race, la couleur et l'ascendance nationale, 2019.

Introduction

Les marchés sont interdépendantsNote de bas de page 109. Le marché du travail ne fait pas exception. On prend de plus en plus conscience du fait que sans le travail de reproduction sociale, le marché du travail ne pourrait pas fonctionner. Pourtant, l'accès à des services de garde d'enfants abordables demeure un obstacle persistant à l'égalité réelle en matière d'emploi. En outre, il est révélateur que les rapports de la commission menée en 1968 par H.D. Woods et de la commission menée en 1984 par la juge Abella aient indiqué qu'il était troublant que les domestiques soient exclus des droits du travail et de la personneNote de bas de page 110. Ce fait demeure une préoccupation. Le leadership du Canada par la ratification et la mise en œuvre de la Convention (no 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques de l'OIT, 2011 est nécessaire. Il faudrait entre autres réfléchir à la façon dont les programmes que nous soutenons - comme les programmes de garde d'enfants - peuvent permettre une inclusion équitable.

Recommandation 4.26 : Le gouvernement du Canada est encouragé à ratifier la Convention (no 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques de l'OIT, 2011.

Il n'y a pas de ligne magique entre les obstacles en milieu de travail et ceux en dehors de celui-ci.

Nous voulons toutefois souligner le rôle que jouent les politiques publiques d'emploi dans le soutien des milieux de travail - soit les employeurs et les travailleurs - et dans le soutien de nos objectifs sociétaux généraux en matière d'égalité réelle. Les obstacles dont il a été question - concernant les responsabilités relatives aux soins familiaux, l'éducation, le transport et le logement - ne sont pas les seuls obstacles, mais ce sont ceux qui ont été portés à notre attention à maintes reprises par les personnes qui se sont présentées à nous.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'en tant que société, nous devons réfléchir de façon générale et créative à certains des aspects les plus fondamentaux de notre système social - les soins à la petite enfance, l'éducation, le transport et le logement, et les perspectives de revenu de base.

Responsabilités relatives aux soins familiaux

La différence de poids des responsabilités relatives aux soins familiaux que les groupes visés par l'équité en matière d'emploi doivent endosser était un thème récurrent des consultations de notre groupe de travail. Les données le confirment. Le droit international, y compris la Convention de l'OIT (no 156) sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales, 1981, soutient la résolution de ces problèmes par des politiques spéciales. La jurisprudence canadienne sur les droits de la personne évolue lentement vers la reconnaissance de la situation familiale comme un motif de distinction qui doit être pris en compte au travailNote de bas de page 111.

Bien que le présent rapport indique que le fardeau disproportionné porté par les femmes en tant que groupe est bien connu et fait souvent l'objet de commentaires, cette disproportion a également été ressentie par les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits, les personnes handicapéesNote de bas de page 112, les personnes noires et racisées ainsi que les membres de la communauté 2ELGBTQI+. Ci-dessous, nous recensons les écrits portant sur les Premières Nations, les Métis et les Inuits et soulignons que les données sont intersectionnelles, y compris relativement aux handicaps et aux sexes.

Les initiatives postpandémiques visant à rebâtir en mieux, comme les accords sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants issus d'un investissement transformateur, conclus en 2021, sont extrêmement importantes pour favoriser l'accès au milieu de travail. Toutefois, d'autres mesures pourraient également être nécessaires pour répondre à certaines des préoccupations profondes concernant les responsabilités relatives aux soins familiaux qui ont été soulevées par les Premières Nations, les Métis et les Inuits.

L'Enquête auprès des peuples autochtones qui a été menée en 2017 par Statistique Canada a indiqué que parmi les femmes des Premières Nations en âge de travailler qui occupaient un emploi à temps partiel, un cinquième (19 %) l'ont fait pour s'occuper de leurs enfantsNote de bas de page 113. Parmi les femmes des Premières Nations du principal groupe en âge de travailler qui voulaient occuper un emploi, mais qui n'étaient pas considérées comme faisant partie de la population active, 21 % n'ont pas cherché de travail en raison de responsabilités liées à la garde d'enfants. L'accès aux services de garde d'enfants a été jugé particulièrement important pour les femmes des Premières Nations et les Inuites qui prévoyaient de chercher du travail dans les 12 mois. Il est également important de noter que 72 % des membres des Premières Nations vivant hors réserve, et un pourcentage équivalent chez les Inuits, ont déclaré « aider leur communauté » au moins une fois par mois; bon nombre des activités comportaient des formes de soins, notamment les soins aux aînés.

Nous avons également tenu compte du rapport de 2016 du Centre de données des Premières Nations, qui offre une perspective authentique des programmes de garde d'enfants et des programmes scolaires :

[Traduction] Bien que les programmes de garde d'enfants et les programmes scolaires officiels soient très importants pour ce qui est de soutenir directement les enfants et les familles, ces programmes ne devraient pas être considérés comme adéquats en soi. Au contraire, les stratégies inclusives à plusieurs volets qui sont conçues pour respecter la diversité devraient être à la base de l'élaboration de programmes, de politiques et d'activités qui portent précisément sur les éléments collectifs et individuels de la santé et du bien-être.

Autrement dit, aider les familles et les collectivités à se sentir en bonne santé et complètes sur le plan culturel, spirituel, économique et social est un facteur clé du développement sain des enfants des Premières Nations. Cette approche générale et holistique du développement et de l'apprentissage des jeunes enfants trouve écho dans une vision autochtone du monde qui reconnaît l'interconnexion de toutes choses et le rôle indispensable de la langue, de la culture et du savoir autochtone dans la santé et le bien-être des personnes, des familles, des communautés autochtones et des collectivités élargiesNote de bas de page 114.

Il importe de souligner un autre point au sujet des « soins » : bien que beaucoup d'attention ait été accordée, et à juste titre, à l'importance des services de garde d'enfants abordables, il ne faut pas oublier que certains groupes visés par l'équité en matière d'emploi - notamment les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits - font face à l'héritage laissé par le placement disproportionné d'enfants autochtones dans le système de protection de la jeunesse. Ce point a été souligné en mars 2023 par le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, M. José Francisco Calí-Tzay, dans son énoncé de fin de mission au CanadaNote de bas de page 115. Le Canada commence seulement à s'attaquer aux conséquences des pensionnats et à la rafle des années 1960 pour les enfants, les familles et les nations autochtones.

Ce que notre groupe de travail a entendu au cours des consultations concorde avec les données des rapports, y compris les progrès insatisfaisants indiqués dans le rapport de la vérificatrice générale sur les programmes pour les Premières Nations dans les réserves (2011) au sujet de la recommandation selon laquelle on demandait que le gouvernement, après consultation des Premières Nations, élabore et mette en œuvre immédiatement une stratégie globale et un plan d'action complet, assortis de cibles, pour combler l'écart de scolarisation et rendre compte au Parlement en temps utileNote de bas de page 116.

Éducation primaire et secondaire

Les décisions sur les choix de vie se prennent tôt, que l'on connaisse ces choix ou non. L'éducation vise à égaliser les chances et à préparer les enfants à toute une gamme de choix de vie et de travail, mais les disparités dans le domaine demeurent criantes. Autrement dit, la ségrégation des sexes commence tôtNote de bas de page 117. Il en va de même pour d'autres formes de choix de vie différents fondés sur des motifs de discrimination. Les recherches qui portent sur les raisons pour lesquelles les femmes sont si sous-représentées dans certains secteurs, dont ceux du transport et de la construction, dans le monde entier, permettent d'attirer l'attention sur la façon dont les matières liées aux sciences, à la technologie, à l'ingénierie et aux mathématiques (STIM) sont enseignées. Ces facteurs se recoupent avec d'autres, y compris l'incidence d'un emploi nécessitant de longues heures de travail alors que l'on s'attend à ce que les femmes soient les principales responsables des soins familiauxNote de bas de page 118.

Les commentaires faisaient écho à ceux du professeur James Anaya, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui a rappelé dans le rapport sur sa visite au Canada en 2014 que, bien qu'il y ait eu plusieurs [Traduction] « programmes d'éducation gouvernementaux louables » :

[Traduction] À tous les niveaux de l'éducation, la population autochtone dans son ensemble continue d'être très à la traîne par rapport à la population générale. Les représentants du gouvernement ont attribué l'écart dans la réussite scolaire en grande partie aux niveaux élevés de pauvreté, au contexte historique des pensionnats et au racisme systémiqueNote de bas de page 119.

Il a fait remarquer que [Traduction] « de nombreux dirigeants des Premières Nations affirment que le financement fédéral pour l'éducation primaire, secondaire et postsecondaire est insuffisantNote de bas de page 120. » Dans son examen périodique du Canada, le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) a souligné expressément que les femmes autochtones handicapées devraient avoir accès à des programmes d'éducationNote de bas de page 121.

Dans sa déclaration de fin de mission du 10 mars 2023, l'actuel rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, José Francisco Cali Tzay, a attiré l'attention sur l'héritage épouvantable des pensionnats :

Partout où je me suis rendu durant ma visite, j'ai entendu parler de la façon dont les pensionnats indiens au Canada ont brisé les liens familiaux et communautaires. Pendant plus de 100 ans, des générations successives d'enfants, dont beaucoup appartenaient aux mêmes communautés et familles, ont été envoyées dans ces institutions et ne sont jamais revenues dans des proportions qui ne seront peut-être jamais connues. Ce sombre chapitre a été en grande partie caché de l'histoire du Canada jusqu'à la découverte en 2021 de 215 tombes non marquées au pensionnat indien de Kamloops, et l'attention médiatique que cette découverte a suscité à travers le mondeNote de bas de page 122.

Le groupe de travail a écouté attentivement les propos sur l'ampleur des obstacles en matière d'éducation auxquels font face les Premières Nations, les Métis et les Inuits à la lumière de l'héritage colonial du Canada. Le rapport de 2016 du Centre de données des Premières Nations a souligné l'importance de l'apprentissage dans la communauté, y compris auprès des aînés et des membres des communautés des Premières Nations, ainsi que du savoir issu du territoire et à propos de celui-ci. L'une des conclusions les plus importantes de ce rapport sur l'éducation est que parmi ceux qui quittent l'école dans leur jeunesse, près des trois quarts y reviennent avec le soutien de leurs parents et de leur familleNote de bas de page 123. L'incidence du soutien parental et familial se retrouve dans l'ensemble du rapport. On y fait également un rappel important : il est impossible d'évaluer les statistiques socioéconomiques négatives pour les jeunes des Premières Nations sans tenir compte du traumatisme intergénérationnel qui est enraciné dans l'héritage des pensionnats et de la colonisation en général. Selon le rapport, pour que les Premières Nations réussissent dans leur futur emploi, il est essentiel que leur culture et leur langue soient reconnues et intégrées aux programmes officiels d'éducationNote de bas de page 124.

[Traduction] L'écart en matière d'éducation entre les adultes vivant dans les collectivités des Premières Nations et ceux vivant hors réserve est notable et devrait être source de préoccupations. Il est impératif que des efforts soient déployés pour améliorer les résultats pour les personnes vivant dans les réserves et dans les collectivités des Premières Nations du Nord.

Le Centre de gouvernance de l'information des Premières Nations, Now is the Time - Our Data, our stories, our future: The National Report of the First Nations Regional Early Childhood, Education, and Employment Survey, 2016, à la page 67.

L'Enquête auprès des peuples autochtones de 2017 a permis d'examiner de près les obstacles à l'éducation pour les femmes et les hommes des Premières Nations vivant hors réserve. Fait crucial, elle a indiqué qu'au cours de la dernière année, plus du tiers (36 %) des membres des Premières Nations vivant hors réserve ont suivi des cours, des ateliers, des séminaires ou de la formation pour améliorer leurs compétences professionnelles, et 28 % voulaient le faire.

Dans la fonction publique fédérale, les Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones ont indiqué que la plupart des personnes semblaient être entrées au gouvernement fédéral en participant à un programme étudiant ou à des salons de l'emploi de la fonction publiqueNote de bas de page 125. Il ne faut pas sous-estimer l'importance de ces initiatives visant à éliminer les obstacles.

Études postsecondaires, programmes de formation et stages

[Traduction] L'augmentation du recrutement de membres appartenant à certains groupes dépend fortement de l'information et de la sensibilisation. Ce n'est pas seulement une question de responsabilité des employeurs, c'est aussi une question de promotion des programmes de formation et de participation des établissements d'enseignement, en particulier les programmes gouvernementaux qui encouragent les gens à s'orienter vers des professions inhabituelles ou inconnues.

Association canadienne des avocats d'employeurs, mémoire présenté au GTELEME, 28 avril 2022.

La relation entre l'éducation, la formation et l'équité en matière d'emploi ne pourrait pas être plus claire. Nous l'avons entendu à maintes reprises. Les employeurs qui veulent embaucher des personnes demandent de l'aide pour résoudre les problèmes liés au bassin de candidats. Les politiques proactives du gouvernement, des employeurs et des communautés historiquement sous-représentées ont un rôle important à jouer pour encourager l'inclusion. L'importance du mentorat ne doit pas non plus être négligée. Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDEF) a recommandé au Canada :

De poursuivre l'élaboration et la fourniture de programmes de formation et de mentorat ciblés sur les aptitudes en matière de leadership et de négociation pour les femmes candidates et les potentielles femmes dirigeantes dans le secteur public, notamment celles qui sont sous-représentées, dont les femmes migrantes, autochtones et afro-canadiennes; ainsi que les femmes appartenant à d'autres minorités et les femmes handicapées.

Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Observations finales concernant les huitième et neuvième rapports périodiques du Canada, 2016, CEDEF/C/CAN/CO/8-9 au paragraphe 35d).

Par l'entremise de 82 organisations signataires d'entente partout au Canada et de deux organisations nationales, l'OCDE, qui a examiné le Programme de formation pour les compétences et l'emploi destiné aux Autochtones du Canada, a soulevé des préoccupations quant à savoir si les habitants des régions rurales sont adéquatement servisNote de bas de page 126.

La nature et la qualité des programmes de formation sont également importantes. Le rapport de 2022 rédigé par l'honorable Louise Arbour fournit une analyse cruciale des problèmes systémiques qui sont liés à la formation des militaires. Il indique en conclusion que « [l]es collèges militaires sont des établissements d'une époque révolue où l'on retrouve un modèle de leadership périmé et problématique » qui présente un « réel risque » de perpétuer la discriminationNote de bas de page 127. Bien qu'elle reconnaisse que les collèges militaires sont pour plusieurs membres des FAC des institutions intouchables, elle recommande que la structure de commandement d'autorité et de responsabilité de l'escadre des élèves-officiers soit éliminée (recommandation no 28) et que d'autres solutions importantes pour la formation actuelle des élèves-officiers dans les collèges militaires soient étudiées et envisagées :

Je ne nie aucunement le fait que le système de collèges militaires a produit plusieurs jeunes Canadiens et Canadiennes brillants qui sont devenus d'excellents officiers de carrière et des civils accomplis après leur libération. Cependant, la vaste majorité d'entre eux étaient des hommes blancs. La société canadienne a changé. Les problèmes persistants de structure, de culture et d'éthique inhérents au système de collèges militaires obligent le Canada à se demander s'il n'existe pas une autre manière, potentiellement beaucoup plus efficace, d'éduquer nos futurs dirigeants militaires.

L'honorable Louise Arbour, Rapport de l'examen externe indépendant complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, 20 mai 2022, à la page 261.

Le Comité des droits des personnes handicapées a également formulé des recommandations visant à éliminer les obstacles liés à la liberté d'expression et d'opinion et à l'accès à l'information, qui sont des droits en vertu de l'article 21 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par le Canada en 2010. Il a demandé de reconnaître comme langues officielles la langue des signes québécoise et la langue des signes américaine et d'admettre leur utilisation dans les écoles, ainsi que de promouvoir et de faciliter l'utilisation du langage simplifié et d'autres formes de communication accessibles dans les technologies des communications, mais aussi d'assurer l'accès à ces technologiesNote de bas de page 128. Le CDPH a également appelé à des stratégies éducatives inclusives.

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes s'est par ailleurs dit préoccupé par les difficultés d'accès à une éducation de haute qualité, en particulier par « [l]es obstacles majeurs, notamment l'absence de subventions et le financement fragmenté des programmes éducatifsNote de bas de page 129 » auxquels font face les femmes et les filles qui sont handicapées ou qui sont autochtones, afro-canadiennes ou migrantes. Le CEDEF a recommandé d'augmenter les subventions et de supprimer le plafond de financement du Programme d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire afin que les femmes et les filles autochtones aient accès à du financement pour les études postsecondaires, ainsi que d'adopter une approche générale visant à éliminer les obstacles structurels pour toutes les filles, y compris celles qui sont défavorisées ou marginalisées.

Dans l'arrêt R. c. Gladue [1999] 1 RCS 688, la Cour suprême du Canada a reconnu l'incarcération « excessive » des Autochtones dans le système de justice pénale et le problème de la discrimination systémique. Le lien avec l'histoire coloniale du Canada a été fait à maintes reprises par des groupes de travail et des études de recherche, et a été nommé avec force dans le Rapport de la Commission de vérité et réconciliation et l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

L'enquêteur correctionnel, Ivan Zinger, a régulièrement fait état de la discrimination raciale endémique dans les prisons canadiennes, et indiqué la surreprésentation systémique des prisonniers autochtones et noirsNote de bas de page 130. La Commission canadienne des droits de la personne s'est dite préoccupée par les problèmes supplémentaires auxquels font face les détenus autochtones et noirs, y compris leur surreprésentation dans les établissements à sécurité maximale et en isolement. Elle a adopté la position selon laquelle [Traduction] « le recours à l'isolement pour gérer les détenus ayant une déficience mentale est inapproprié et ne devrait jamais être permis. » Elle attire l'attention sur les services limités en santé mentale et fait valoir d'autres solutions à l'isolementNote de bas de page 131. Dans le rapport de 2022 de la Commission sur les erreurs judiciaires dirigée par l'honorable Harry LaForme et l'honorable Juanita Westmoreland-Traoré, il est indiqué que le système actuel n'a pas fourni de recours aux femmes et aux personnes autochtones ou noires dans une proportion égale à leur nombre dans les prisons au Canada, et il est demandé que soit mise en place une commission indépendante, proactive, systémique et adéquatement financée.

Le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale a également soulevé que les élèves ou étudiants afro-canadiens « semblent traités avec plus de sévérité que les autres, ce qui expliquerait qu'ils quittent le système éducatif et viennent grossir les rangs de ceux qui suivent le parcours "école-prison"Note de bas de page 132. » Dans une recommandation générale, le comité a appelé les États membres à « [i]ntervenir avec détermination pour éliminer toute discrimination à l'égard des élèves d'ascendance africaineNote de bas de page 133. » Nous avons entendu des groupes qui s'inquiétaient que la surincarcération des personnes autochtones et noires au Canada ait un effet disproportionné sur l'accès au marché du travail de ces personnes en raison de leurs casiers judiciaires.

Bien que l'inégalité d'accès à l'éducation puisse être un obstacle, ce serait une erreur de supposer que le simple fait de suivre des études ouvrira la voie à la réussite. Comme il a été mentionné dans les chapitres 1 et 3, les personnes noires et racisées qui ont un niveau de scolarité élevé n'ont pas nécessairement un emploi à la hauteur de leurs compétences. Les représentants des personnes immigrantes se sont depuis longtemps dits particulièrement frustrés par le fait que ces dernières soient encouragées à immigrer au Canada en partie en raison de leurs qualifications élevées. En effet, ces personnes sont incapables de faire reconnaître leurs qualifications dans un délai raisonnable et sont obligées de recourir à un emploi faiblement rémunéré pour survivre. À l'époque, l'experte indépendante sur les questions relatives aux minorités, Gay McDougall, a déclaré ce qui suit : [Traduction] « Il doit être reconnu que la discrimination joue un rôle dans cette équation. Le gouvernement doit s'attaquer à la rupture entre l'éducation et l'emploi et considérer qu'il s'agit d'un sujet de préoccupation important nécessitant la mise en œuvre de politiquesNote de bas de page 134. » Elle a demandé de trouver des solutions au cliché des [Traduction] « médecins conduisant des taxis » qui trouve un écho de façon troublante auprès d'un trop grand nombre de personnes racisées. Le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale a également souligné les obstacles potentiels liés à la reconnaissance professionnelle, et demandé aux associations - qui relèvent essentiellement de la compétence provinciale - d'examiner leurs politiques afin de déterminer s'il existe des obstacles discriminatoires à la reconnaissance des titres de compétences étrangersNote de bas de page 135.

Certains aspects du sous-emploi des groupes visés par l'équité nécessitent depuis toujours un certain effort de compréhension. Le médecin immigrant qui conduit un taxi essaie sans doute non seulement de garder un toit sur la tête de sa famille au Canada, mais aussi, compte tenu de l'inégalité mondiale des revenus, d'envoyer des fonds pour soutenir ses parents et d'autres membres de sa famille à l'étranger.

Il existe de nombreux documents sur la nécessité d'adopter un ensemble de stratégies [Traduction] « soucieuses de l'identité » pour combler l'écart des possibilités de réussite scolaire des élèves issus de communautés historiquement marginaliséesNote de bas de page 136. Plus précisément, M. Pendakur cherche à concentrer l'attention sur l'élimination des obstacles, c'est-à-dire sur l'examen de [Traduction] « la responsabilité institutionnelle visant à s'attaquer aux politiques, aux systèmes et aux facteurs environnementaux qui contribuent à la réussite ou à l'échec des élèvesNote de bas de page 137. »

Transport et logement

[Traduction] Les obstacles peuvent être partout. Se rendre sur son lieu de travail peut en être un. Nous pouvons examiner les obstacles systémiques du point de vue de la Loi canadienne sur l'accessibilité et travailler ensemble à la recherche d'une solution qui nous permettra de les cerner afin de créer une société exempte d'obstacles.

Employé de la fonction publique fédérale, présentation au GTELEME, 14 juin 2022.

[Traduction] Le transport est le lien vital qui relie les personnes handicapées à la collectivité et qui facilite ainsi de plus grandes possibilités de travail, d'inclusion sociale et d'indépendance en général.

Laverne Jacobs, « The Universality of the Human Condition: Theorizing Transportation Inequality Claims by Persons with Disabilities in Canada, 1976-2016 », Canadian Journal of Human Rights, volume 7, numéro 1, 2018, à la page 35.

Plusieurs représentants de groupes visés par l'équité en matière d'emploi qui se sont présentés devant le groupe de travail ont soulevé la question du transport, du logement et de l'accès aux technologies de l'information et des communications. Ces préoccupations sont notamment reprises par la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées qui s'est rendue au Canada en 2019 et a recommandé un accès équitableNote de bas de page 138. La professeure Laverne Jacobs, qui est devenue membre du Comité des droits des personnes handicapées en 2022, a réalisé un examen exhaustif de la jurisprudence et s'est concentrée sur les réclamations déposées par les personnes cherchant à modifier les systèmes de transport qui sortaient du cadre des mesures d'adaptation individuelles répondant à leurs propres besoins en matière de handicap. Ces cas visant la [Traduction] « restructuration des transports » ont été accueillis par des interprétations juridiques restrictives qui étaient incompatibles avec les obligations internationales du Canada en vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et en contradiction avec les approches transformatricesNote de bas de page 139.

Les personnes autochtones sont plus susceptibles de vivre dans des logements insalubres, surpeuplés et culturellement inadéquats que le reste de la population canadienne. Cette situation constitue un obstacle à l'obtention d'un emploi stable, à l'éducation et à l'accès aux services sociaux.

Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, déclaration de fin de mission, visite au Canada, 10 mars 2023, à la page 7.

Certains groupes consultés ont estimé que l'accès à distance à l'emploi - à l'aide d'un accès Internet approprié - pourrait améliorer l'équité en matière d'emploiNote de bas de page 140. Il est certain que les possibilités offertes par les milieux de travail flexibles sont devenues plus claires depuis la pandémieNote de bas de page 141.

Il est important d'expérimenter des mesures ciblées. On déplore que la question du logement adéquat soit un élément constant qui empêche la réconciliation avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits; c'est aussi un obstacle à l'emploi pour les personnes autochtones. Adopter les pratiques prometteuses en matière d'allocation de logement et d'allocation de déplacement, par exemple, peut être nécessaire pour favoriser l'inclusion équitable en milieu de travail des personnes autochtones vivant dans les régions éloignéesNote de bas de page 142.

Les exigences particulières en matière d'éducation peuvent constituer des obstacles pour les nouveaux immigrantsNote de bas de page 143 d'une manière qui peut refléter les obstacles auxquels font face les personnes racisées, quel que soit leur lieu de naissanceNote de bas de page 144.

Le problème spécifique des travailleurs et des travailleuses découragés est à bien des égards une question liée aux données pour l'équité, qui est abordée au chapitre 2. On reconnaît toutefois qu'il existe des écarts potentiels entre l'obligation législative de corriger la sous-représentation et la façon dont la disponibilité est calculée. Par exemple, une personne issue des minorités visibles qui est titulaire d'un diplôme en informatique et qui travaille en tant qu'agent ou agente de sécurité en raison des obstacles à l'emploi peut ne pas être prise en compte dans le calcul de la disponibilité sur le marché du travail lorsque l'accent est mis sur le secteur et la catégorie professionnelle, et non sur le niveau ou le type de scolaritéNote de bas de page 145.

Revenu de base

Enfin, certaines organisations œuvrant dans le domaine de l'accessibilité ont demandé que les programmes offrant des prestations de revenu soient structurés de manière à éviter les mesures de recouvrement qui pourraient décourager les personnes handicapées de prendre le risque d'entrer sur le marché du travailNote de bas de page 146. La relation entre le soutien du revenu de base et l'accès au marché du travail mérite un examen plus approfondi que ce que le présent rapport peut fournir. Les appels novateurs en faveur de l'offre d'un emploi décent, décemment rémunéré, à toute personne en recherchant un sont intimement liés à l'inclusion équitableNote de bas de page 147. Toutefois, les membres du groupe de travail ont estimé qu'il était fondamental de briser le cycle des désavantages en fournissant la base sur laquelle les travailleurs et les travailleuses peuvent faire des choix qui améliorent leur vie. Comme l'essentiel de cette partie, l'enjeu s'étend au-delà du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, mais n'en est pas moins important pour les groupes en quête d'équité.

Recommandation 4.27 : Il faudrait encourager les études sur la faisabilité des politiques de revenu de base, qui devraient permettre de porter une attention particulière à l'effet des stratégies de revenu de base sur l'élimination des obstacles à l'inclusion équitable en milieu de travail auxquels font face les groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Obstacles chez certains employeurs sous réglementation fédérale

La fonction publique fédérale est prête pour une transformation.

Unis dans la diversité : une voie vers la réconciliation. Accueillir, respecter, appuyer et inclure pleinement les Autochtones dans la fonction publique fédérale. Rapport final des Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones, 4 décembre 2017, à la page 4.

La culture évolue, et on ne peut pas la modifier à coups de simples décrets. Malgré le lent progrès réalisé en ce qui concerne le nombre de femmes en position d'influence, d'autorité et de pouvoir, et malgré la percée des femmes dans des domaines professionnels dont elles étaient traditionnellement exclues, celles-ci continuent de faire face à de la résistance, particulièrement au sein d'organisations historiquement réservées aux hommes, telles que les FAC.

Heureusement, il est maintenant possible de constater un changement palpable autour de nous. Il n'est plus question ici d'en déterminer l'éventualité ou le moment, mais bien la manière dont il s'effectuera.

L'honorable Louise Arbour, C.C., G.O.Q., Rapport de l'examen externe indépendant et complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, 20 mai 2022.

Les initiatives relatives à l'équité en matière d'emploi et les initiatives connexes en matière d'EDI varient considérablement dans l'ensemble de la fonction publique fédérale. Il en va de même pour les employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale.

Les rapports manquent énormément d'uniformité, même dans la fonction publique fédérale. Il a été expliqué que ce pouvoir est délégué aux départements et aux agences, et que la surveillance se limite à demander si les plans ont été préparés. Naturellement, le Bureau du vérificateur général, qui n'est pas assujetti à l'autorité du BDPRH du SCT, prépare ses propres rapports sur l'équité en matière d'emploi, ce qui comprend son plan d'équité en matière d'emploi. Il semble toutefois qu'il manque des mécanismes d'analyse qui permettent de veiller à ce que les plans répondent aux critères prescrits dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Le Congrès du travail du Canada s'est dit préoccupé par la délégation de cette responsabilité aux départementsNote de bas de page 148.

Les efforts d'ÉDI menés en faveur des personnes LGBTQI2S dépendent fortement des structures, du personnel et du rôle de chaque agence au sein du gouvernement. En raison de la diversité des missions et des mandats de chaque entité fédérale, il existe souvent différentes structures pour soutenir l'ÉDI au niveau organisationnel, sans aucun moyen formel pour coordonner les efforts à travers le gouvernement fédéral (par une agence centrale, par exemple).

Le Fonds Purge LGBT, Au lendemain de la Purge : État des lieux et recommandations en matière d'inclusion des personnes LGBTQI2S au fédéral, 17 mai 2021.

Tout au long du présent rapport du groupe de travail, nous faisons état de réflexions de la part et à propos de la fonction publique fédérale et des employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale. La présente partie porte sur les principaux organismes dont les pratiques en matière d'équité ont suscité beaucoup d'attention du public. Elle est également axée sur quelques secteurs où certains défis semblent se poser.

Nous tenons à nous assurer que nos recommandations sont fondées et utiles.

Les Forces armées canadiennes

Introduction

[Traduction] Après tout, nous sommes un employeur comme tous les autres. Nous devons rendre des comptes dans les domaines où des modifications doivent être apportées afin de mieux soutenir nos programmes et nos initiatives d'équité en matière d'emploi, de diversité et d'inclusion.

Forces armées canadiennes, mémoire présenté au GTELEME, 16 mai 2022

Les Forces armées canadiennes (FAC) estiment qu'elles sont le plus grand employeur fédéral assujetti à la Loi sur l'équité en matière d'emploi, et proclament qu'elles [Traduction] « se sont fermement engagées à respecter l'équité en matière d'emploi dans l'ensemble de l'organisationNote de bas de page 149. » Il est difficile d'exagérer l'importance de sa représentation. Le Canada ayant adopté une Politique d'aide internationale féministe et faisant partie des missions de maintien de la paix des Nations Unies dans le monde entier, ses FAC doivent être à l'image de la diversité de sa population. De plus, des données des Nations Unies suggèrent l'importance pour les survivantes de pouvoir s'adresser à des femmes au sein de FAC représentatives, notamment dans les cas de violence sexuelleNote de bas de page 150.

L'application de la Loi sur l'équité en matière d'emploi à la Défense nationale s'est faite en deux temps : d'abord pour les employés civils du ministère de la Défense nationale en 1986, puis pour les membres des FAC, y compris les officiers et les militaires du rang, en 2002. Les membres des « forces spéciales » sont exclus, mais le groupe de travail a été informé qu'ils sont très peu nombreux et que la représentation ne fait pas l'objet d'un suivi lorsque les membres des forces spéciales occupent leurs fonctions de façon temporaire. Les FAC sont assujetties à un règlement spécialNote de bas de page 151. Dans le mémoire que les FAC ont présenté à notre groupe de travail, celles-ci ont rappelé qu'en l'absence d'un syndicat, leurs membres n'ont pas de voix collective pour défendre leurs intérêts. L'honorable Morris Fish, ancien juge de la Cour suprême du Canada ayant réalisé le troisième examen indépendant de la Loi sur la défense nationale, a décrit leur situation en ces termes :

Les membres des Forces armées canadiennes (« FAC ») disposent d'un moins grand nombre de voies de redressement que les civils dans d'autres organisations. Ils ne peuvent pas se syndiquer ni par ailleurs négocier collectivement leurs conditions de travail. Ils n'ont pas non plus de contrats d'emploi. Ils ne peuvent également pas s'adresser à un tribunal indépendant lorsqu'ils s'estiment lésés par une décision, un acte ou une omission des FACNote de bas de page 152.

L'honorable Morris Fish a décrit leur principale voie de recours, c'est-à-dire de déposer un grief individuel auprès de leur chaîne de commandement, comme un système défectueux, en proie à des retards « inacceptables. » Comme l'ont fait les autorités d'examen externe précédentes, il a recommandé des améliorations au système de règlement des griefsNote de bas de page 153.

Un dossier d'exclusion - Violence, harcèlement et racisme au travail

[D]'importantes responsabilités sont dévolues aux dirigeants des FAC : ils doivent veiller à ce que les militaires soient traités avec dignité, et maintenir une norme de conduite professionnelle qui respecte la dignité de toutes les personnes […] il existe un profond fossé entre les aspirations des FAC d'incarner un éthos militaire empreint du principe de respect de la dignité de toutes les personnes, et la réalité que vivent de nombreux militaires au quotidien.

Examen externe sur l'inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes (27 mars 2015) (Responsable de l'examen externe : Marie Deschamps, C.C. Ad. E), p. 11.

Les Forces armées canadiennes ont fait l'objet de nombreux rapports alarmants sur l'inconduite sexuelle et le harcèlement dans leurs rangs. Le groupe de travail a examiné la plupart de ces rapports afin de produire le sien.

Dans son examen externe sur l'inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes, réalisé en 2015, l'honorable Marie Deschamps, C.C., Ad. E., ancienne juge de la Cour suprême, a rendu compte de l'ampleur du problème, de la façon dont les membres des FAC s'habituent à la culture du harcèlement à mesure qu'ils gravissent les échelons, de la loi du silence, ainsi que de la perception que le comportement est soit toléré, soit ignoré. La juge Deschamps a souligné un déficit ou une absence de signalement. Même dans le cas des plaintes qui s'avèrent fondées et qui donnent lieu à des mesures correctives, les sanctions imposées sont souvent perçues comme une tape sur les doigts. La juge Deschamps a demandé à la fois un changement de politique et un changement de culture. Ses recommandations étaient notamment de donner des options aux militaires pour leur permettre de signaler des incidents, de demander des services de soutien sans nécessairement être tenus de porter plainte officiellement, de créer un centre indépendant de responsabilisation et d'offrir la possibilité de transférer les plaintes aux autorités civiles.

En 2016, Statistique Canada a produit un rapport fondé sur une enquête sur l'inconduite sexuelle réalisée auprès de plus de 43 000 membres actifs des FAC. Les répondants ont révélé la prévalence inquiétante des inconduites sexuelles.

Le 1er juin 2021, l'honorable Morris Fish, ancien juge de la Cour suprême, a présenté le troisième examen indépendant contenant 107 recommandations dans le cadre d'un vaste mandat visant à couvrir le système de justice militaire. Cet examen a confirmé les conclusions de fait de l'honorable Marie Deschamps selon lesquelles « la nature, l'étendue et les coûts sur le plan humain de l'inconduite sexuelle dans les FAC demeurent aussi débilitants, endémiques et destructeurs qu'en 2015Note de bas de page 154 ». L'honorable Morris Fish a formulé dix recommandations sur l'inconduite sexuelle axées sur les victimes. Plus particulièrement, il a recommandé que le Centre d'intervention sur l'inconduite sexuelle (CIIS) mis en place en 2015 soit examiné par une autorité indépendante pour veiller à ce qu'il ait un niveau adéquat d'indépendance à l'égard des FAC et du ministère de la Défense nationale (MDN). Il a appelé les autorités civiles à enquêter sur les agressions sexuelles.

Il a fait référence au rapport de 2018 du vérificateur général du Canada au Parlement du Canada qui portait sur les membres de la Force régulière et de la Force de réserve des FAC. Le lancement de l'opération HONOUR en 2015 est décrit dans ce rapport : « [f]ondée sur une approche descendante, cette opération militaire couvrant l'ensemble de l'organisation visait à éliminer les comportements sexuels inappropriés ». L'opération HONOUR a permis d'accroître la sensibilisation, mais il a été signalé que « certains membres des Forces ne se sentaient toujours pas en sécurité ni soutenus » et que « [d] e nombreuses victimes ne comprenaient pas non plus le système de plaintes ou ne lui faisaient pas confianceNote de bas de page 155. » Le vérificateur général a indiqué que « l'information consignée dans 21 des 53 dossiers a révélé que les victimes avaient ressenti de la peur, de la détresse, un inconfort et un manque de soutien, et qu'elles avaient subi des représailles ou avaient été blâmées, notamment par leur commandant, de hauts dirigeants, des instructeurs et des collèguesNote de bas de page 156. »

L'examen externe indépendant et complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes de l'ancienne juge de la Cour suprême, l'honorable Louise Arbour, a suivi et comprenait à la fois une évaluation provisoire terminée le 20 octobre 2021 et un rapport final présenté le 20 mai 2022. L'honorable Louise Arbour a reçu le mandat d'examiner le traitement de l'inconduite sexuelle dans le système de justice militaire. Elle a examiné « les lacunes institutionnelles et les obstacles structurels » qui ont permis à la situation problématique de perdurer, en dépit de tant de rapports et de recommandations. La juge Arbour a réitéré qu'un déficit de confiance persiste dans le domaine de la lutte contre les abus sexuels et le harcèlement sexuel, ajoutant que « [c]e déficit de confiance est un handicap pour les FAC. Loin d'améliorer "l'efficacité, la discipline et le moral", la prise en charge des enquêtes et des poursuites relatives aux infractions sexuelles a miné la confiance dans la chaîne de commandement tout en faisant peu pour éradiquer la conduite proscrite ». En plus de recommander que le libellé soit harmonisé avec le Code criminel (agression sexuelle) et le Code canadien du travail (harcèlement sexuel), elle a évalué de près le processus de la CCDP, notant que les FAC ont souvent adopté « une position ferme » lorsque des plaintes ont été déposées à la CCDPNote de bas de page 157. Elle a fourni des tableaux qui indiquent le nombre de plaintes contre les FAC déposées auprès de la CCDP, qui ont été mis à jour par la CCDP pour ce rapport :

Tableau 4.1 : Plaintes contre les Forces armées canadiennes par motif de discrimination - 2015 à 2021
Motif de discrimination Nombre de plaintes
La déficience 106
Le sexe 42
L'origine nationale/ethnique 39
La race 38
La couleur 26
La situation de famille 26
L'âge 24
La religion 23
Les autres motifs (l'état matrimonial, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, l'état de personne graciée) 27
  • Source : Commission canadienne des droits de la personne
Tableau 4.2 : Plaintes contre les Forces armées canadiennes par pratique discriminatoire - 2015 à 2021
Acte discriminatoire Nombre de plaintes
Refus de service 10
Lien avec l'emploi 176
Lignes de conduite discriminatoires 74
Harcèlement 40
  • Source : Commission canadienne des droits de la personne

Elle a souligné que des protections contre les représailles existent dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et que le traitement des plaintes relève de la compétence de la Commission canadienne des droits de la personne. La CCDP l'a également assurée qu'elle serait en mesure de traiter rapidement les cas « si elle disposait de ressources adéquates [pour] faire face à un afflux de cas provenant des FAC. » À la lumière de ce qui précède, la juge Arbour a demandé à ce que les Forces armées canadiennes ne déposent pas d'objections fondées sur l'article 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, car cela relève de la compétence de la Commission canadienne des droits de la personne. Elle a ajouté que la Loi canadienne sur les droits de la personne devrait être révisée afin de permettre l'octroi de frais de justice et d'augmenter le montant des dommages-intérêts potentielsNote de bas de page 158.

Dans l'ensemble, la juge Arbour a réclamé des mesures correctives pour créer « un environnement égalitaire et sécuritaire pour les femmes », ajoutant que « ces mesures bénéficieront également aux autres membres marginalisés des FACNote de bas de page 159. » Ses conclusions étaient empreintes de franchise, et ses recommandations proposaient « d'autonomiser les survivantes, puisqu'elles seront moins à la merci d'une chaîne de commandement en laquelle elles ont largement perdu confianceNote de bas de page 160. »

Comme il en a été question au chapitre 3, une culture de harcèlement est un obstacle particulièrement pernicieux au recrutement des groupes en quête d'équité, y compris les femmes, et plus précisément les femmes autochtones. Le groupe de travail estime qu'il est important que les FAC produisent systématiquement des rapports sur de tels obstacles à l'emploi, au maintien en poste et à la promotion et que ces rapports soient rédigés de manière intersectionnelle.

Lors de nos consultations avec les membres des Forces armées canadiennes, les membres de la Direction du changement de culture ont facilement reconnu le passé d'exclusion, notamment le traitement [Traduction] « indéniablement abusif et traumatisant » connu sous le nom de purge LGBT. Ils ont également reconnu les domaines dans lesquels ils manquent de représentation et étaient ouverts à l'élimination des obstaclesNote de bas de page 161. Ils ont d'ailleurs démontré leur engagement à aller au-delà des paramètres de l'actuelle Loi sur l'équité en matière d'emploi, en reconnaissant volontairement les personnes 2ELGBTQI+ comme un groupe visé par l'équité en matière d'emploiNote de bas de page 162.

Dans quelle mesure les FAC sont-elles uniques en tant qu'employeur?

Je ne crois pas que la faible représentation des femmes dans les FAC soit attribuable à un manque d'intérêt de leur part à porter l'uniforme et à servir le Canada. Il m'apparaît évident que, malgré les lois exigeant l'égalité, l'expérience des femmes dans les FAC est tout sauf équitable. Beaucoup de femmes vivent du harcèlement et de la discrimination sur une base quotidienne. Une partie prenante a indiqué qu'« [u]n homme peut être perçu comme stoïque et énergique tandis qu'une femme est perçue comme une garce. Plus tôt dans ma carrière, on m'a dit que j'avais trois choix : être une salope, une garce ou une gouine. » Ce traitement inégal des femmes, jumelé à d'autres formes de discrimination systémique et à l'inconduite sexuelle largement répandue, contribue à de faibles taux de recrutement et de rétention, de même qu'à une sous-représentation à tous les grades.

L'honorable Louise Arbour, Rapport de l'examen externe indépendant complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, 2022, p. 37.

Les membres de la Direction du changement de culture des FAC ont souligné les principales particularités des FAC, notamment :

  1. l'embauche au niveau d'entrée, qui nécessite de gravir les échelons dans une structure hiérarchique;
  2. les exigences en matière d'universalité du service;
  3. le concept de « responsabilité illimitée » dans le contexte militaire, que tous les membres des FAC acceptent et comprennent que l'on puisse leur donner l'ordre légitime de s'exposer au danger dans des conditions pouvant leur coûter la vie.

Elles se traduisent par l'orientation stratégique sur le principe de l'universalité du service dans les Forces armées canadiennes :

2.1 La mission du MDN et des FAC consiste à défendre le Canada, ses intérêts et ses valeurs, en plus de contribuer à la paix et à la sécurité internationale.

2.2 Afin de remplir cette mission, les FAC doivent bénéficier d'une grande autorité et d'une grande latitude dans l'utilisation des militaires et de leurs compétences. Le fondement législatif de cette autorité se trouve à l'article 33 de la Loi sur la défense nationale. L'importance fondamentale de cette autorité qui a une incidence sur le fonctionnement et l'efficacité des FAC est reconnue au paragraphe 15(9) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui prévoit que l'obligation d'accommodement prévue au paragraphe 15(2) de cette loi est assujettie au principe de l'universalité du service. En vertu de ce principe, les militaires sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime.

2.3 L'exécution efficace de la vaste gamme de tâches de défense et de sécurité attribuées aux FAC exige que les militaires puissent exécuter un éventail tout aussi large de tâches militaires générales, de tâches communes liées à la défense et à la sécurité, en plus de tâches particulières de leur groupe professionnel militaire ou de leur profession militaire. Le caractère illimité du service militaire est l'une des caractéristiques qui le distinguent de la notion civile d'emploi régi par un contrat qui oblige les employés à n'exécuter que les tâches spécifiées dans leur description de poste ou leur contrat.

Orientation stratégique sur le principe de l'universalité du service dans les FAC, DOAD 5023-0

On a dit aux membres du groupe de travail qu'une recrue de premier échelon peut devoir attendre 30 ans avant d'occuper le poste de général. L'avancement professionnel des femmes doit être étudié. Il faut d'ailleurs examiner ce qu'il advient de leur progression lorsqu'elles prennent un congé de maternité. On nous a également parlé d'un niveau d'autoréflexion qui consiste à repenser les processus de sélection; si 25 personnes sont promues alors que la première femme est la 27e, on reconnaît, sur la base d'une expérience passée réelle, qu'il pourrait être nécessaire de procéder à une nouvelle évaluation pour voir si le processus a été influencé par un préjugé. On nous a dit que malheureusement, ce genre d'examen n'est pas encore devenu systématique. On nous a indiqué que de nouveaux processus, moins traditionnels et davantage axés sur les compétences, allaient entrer en vigueurNote de bas de page 163.

Mise en œuvre de l'équité en matière d'emploi dans les FAC:

Taux de représentation

La pénurie de recrues féminines, en particulier dans les professions à prédominance masculine, n'est pas le résultat d'un manque d'efforts de la part des centres de recrutement. Bien au contraire! Les centres s'efforcent de rediriger les candidates vers les professions où l'on a le plus besoin d'elles. Plusieurs recrues féminines nous ont dit qu'on leur avait conseillé de choisir l'infanterie ou les blindés, car c'était un moyen sûr d'être acceptées. Malheureusement, un officier supérieur a affirmé que même si le GRFC [Groupe du recrutement des Forces canadiennes] parvenait à recruter 25 % de femmes pour les métiers des armes de combat, la résistance de la communauté des armes de combat à l'égard de ces recrues rendrait difficile l'intégration d'autant de femmes dans ses rangs.

Rapport de l'examen externe indépendant et complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes (20 mai 2022) (Responsable de l'examen : L'honorable Louise Arbour), p. 224.

Le Règlement sur l'équité en matière d'emploi dans les Forces canadiennes exige que les dossiers contiennent l'historique des promotions de chaque membre des Forces canadiennes ainsi que d'autres aspects détaillés de l'analyse de l'effectif et de l'étude des systèmes d'emploi.

L'article 9 du Règlement sur l'équité en matière d'emploi dans les Forces canadiennes précise que pour l'application de l'article 33 de la Loi sur la défense nationale la Commission canadienne des droits de la personne et ultimement le Tribunal de l'équité en matière d'emploi limitent la capacité du chef d'état-major de la défense à « enrôler, rengager ou promouvoir des personnes. » Franchement, à ce stade-ci, la limite semble tout à fait hypothétique étant donné que le Tribunal de l'équité en matière d'emploi n'a jamais tranché une affaire sur le fond. Cette question est abordée au chapitre 6.

Les Forces armées canadiennes signalent qu'elles ont fait l'objet d'une vérification en 2011, affirmant qu'elles s'étaient « conformées » à la Loi sur l'équité en matière d'emploi à l'époque. Voici les données liées aux chiffres de 2022 :

Tableau 4.3 : Représentation des groupes visés par l'équité en matière d'emploi dans la Force régulière et la Première réserve, 2011 et 2022
Force régulière et Première réserve 2011 1er avril 2022
Femmes 14,8 % 16,3 %
Autochtones 2,1 % 2,7 %
Minorités visibles 4,6 % 10,1 %
Personnes handicapées 1,2 % 1,1 %
  • Source: Forces armées canadiennes. (2011). Rapport sur l'équité en matière d'emploi, 2010-2011, https://publications.gc.ca/collections/collection_2014/mdn-dnd/D3-31-2011-fra.pdf; Forces armées canadiennes, Mémoire écrit au Groupe de travail sur l'examen de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, 16 mai 2022.

Il faut également tenir compte du fait que même si elles sont tenues de recueillir des renseignements sur l'effectif, de déterminer la sous-représentation au moyen d'une analyse de l'effectif et d'établir un plan d'équité pour les personnes handicapées, les Autochtones et les minorités visibles, les FAC ont adopté la position selon laquelle elles ne sont pas tenues d'établir un objectif de représentation pour les personnes handicapéesNote de bas de page 164. Comme l'indique le tableau 4.3, les travailleurs handicapés ne représentent que 1,1 % des FAC, ce qui représente une légère baisse depuis 2011.

Les FAC se considèrent comme un employeur « unique », car près de la moitié de leur effectif comprend des professions qui sont propres aux militaires. On a soutenu qu'il n'est pas possible d'obtenir une comparaison directe sur le marché du travail externe, et il a été convenu avec le Programme du travail, la Commission canadienne des droits de la personne et le Conseil du Trésor du Canada de s'appuyer uniquement sur deux codes de la Classification nationale des professions pour estimer la disponibilité sur le marché du travail : les officiers et les militaires du rang (MR)Note de bas de page 165. Le choix a fait l'objet de vives critiques :

[Traduction] Cet arrangement permet aux FAC d'établir des objectifs conservateurs et désuets. Mis à part le fait que les données du recensement sont en retard de cinq ans, la norme de la CNP est fondée sur la représentation actuelle des membres des groupes désignés dans l'armée, et non sur le marché du travail - un point de référence qui est clairement inadéquat et qui doit être dépassé si l'on veut réaliser des progrès relativement à l'équité en matière d'emploi dans les FAC.

Carol Agócs, Canadian Dilemma: Is There a Path from Systemic Racism Toward Employment Equity for Indigenous People in the Canadian Forces?(2018) 19:2 Journal of Military and Strategic Studies 273, p. 281.

Fait intéressant, cependant, le rapport Arbour a rappelé que les FAC sont en « étroite concurrence avec les employeurs civils qui se disputent le même personnelNote de bas de page 166. »

Il est important de garder à l'esprit que les vérificateurs généraux du Canada ont effectué des audits de la conformité du recrutement et du maintien en poste du personnel militaire de la Défense nationale en 2002, en 2006 et en 2016. Ces audits portaient sur les responsabilités de la Loi sur l'équité en matière d'emploi des Forces armées canadiennes afin de cerner et d'éliminer les obstacles et de veiller à ce que les femmes et les autres groupes visés par l'équité en matière d'emploi soient représentés de façon appropriée. Toutefois, l'audit de 2016 se concentrait sur les femmes, mais pas sur d'autres groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Non seulement le vérificateur général a-t-il constaté que les femmes ne représentaient que 14 % de la Force régulière, il a également constaté que les femmes occupaient principalement six professions : commis au soutien à la gestion des ressources, techniciennes d'approvisionnement, agentes de logistique, techniciennes médicales, infirmières militaires et cuisinières. Le vérificateur général a fait remarquer que les Forces armées canadiennes n'avaient pas établi de cibles pour chaque groupe professionnel. Le rapport du vérificateur général indique qu'il y a eu accord, et Comité permanent des comptes publics a publié en 2017 un rapport de suivi détaillé contenant des recommandations particulières pour rendre compte des progrès réalisés en matière de représentation des femmes, des minorités visibles et des Autochtones.

Toutefois, le Plan d'équité en matière d'emploi 2021-2026 des FAC ne semble pas conserver cette approche. Il n'est pas clair si l'une des raisons est que l'entente conclue avec le Programme du travail, la Commission canadienne des droits de la personne et le Conseil du Trésor du Canada prévoyait qu'il fallait s'appuyer uniquement sur deux codes de la Classification nationale des professions pour estimer la disponibilité sur le marché du travail (les officiers et les MR).

Ce qu'il faut retenir, c'est que les FAC reconnaissent qu'il s'agit du niveau minimal de représentation. Les FAC conviennent qu'elles ont la latitude d'établir des objectifs plus élevés.

Pour les autres employeurs visés par le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, il est important de commencer par établir des minimums, puis de fixer des cibles plus élevées par la suite. En revanche, les planchers eux-mêmes ne doivent pas devenir collants, ce qui freinerait l'égalité. L'équité en matière d'emploi doit se traduire par des progrès raisonnables au fil du temps, l'élimination des obstacles à l'intérieur et au-delà du milieu de travail nous rapprochant de plus en plus d'une représentation de la population.

Dans ce domaine, les données sont vraiment importantes. Les objectifs comptent aussi.

Le Règlement sur l'équité en matière d'emploi dans les Forces armées canadiennes permet déjà aux FAC d'utiliser « toutes autres données fiables sur le plan statistique qui sont accessibles au public et que la ministre du Travail juge pertinentesNote de bas de page 167. »

Il est possible que le calcul des objectifs soit basé sur des sources statistiques différentes, mais il semble inadmissible de ne pas calculer d'objectifs en 2023. Cela doit changer.

Recommandation 4.28 : Les Forces armées canadiennes devraient être tenues de calculer la disponibilité et d'établir des objectifs pour tous les groupes visés par l'équité en matière d'emploi en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Élimination des obstacles

[Traduction] Plusieurs femmes membres des FAC ont révélé comment elles doivent adopter des traits masculins tels que l'affirmation de soi, sinon elles sont perçues comme étant [faibles]. Cependant, si une femme s'affirme trop, contrairement à son homologue masculin qui serait simplement considéré comme « grognon », elle serait vue comme une personne terrible en raison de son sexe. De plus, les femmes soldats ont déclaré devoir travailler deux fois plus fort que leurs homologues masculins pour être acceptées dans leur milieu de travail en devant prouver leurs compétences professionnelles…

Major Christina Eastwood, Equity in the Canadian Armed Forces - Why It Matters. Ministère de la Défense nationale, 2019.

Les FAC ont probablement eu plus d'occasions que beaucoup de milieux de travail fédéraux de comprendre ce qu'est réellement l'identification des obstacles, étant donné que de nombreux examens de haut niveau ont été réalisés. L'inclusion dans le cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi devrait faire de l'identification et de l'élimination des obstacles un processus interne continu et réfléchi.

Cela signifie que l'élimination des obstacles dans les FAC doit être plus qu'un élément parmi les nombreuses caractéristiques prévues d'un plan d'action. Elle doit être au cœur de l'examen des systèmes d'emploi et donner lieu à des actions concrètes.

Dans le cas des FAC, il faudra peut-être accorder plus d'attention à la question de savoir si les exigences en matière d'évaluation initiale (p. ex. les tests de condition physique) sont fondées sur un modèle qui exclut de façon disproportionnée les femmes ou d'autres groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Par exemple, dans son rapport, l'honorable Louise Arbour identifie certains obstacles potentiels et se demande notamment si la norme d'aptitude physique est requise et demeure pertinente, soulignant les « nombreuses professions qui n'exigent pas le même niveau d'aptitude physique que celui qui serait requis et auquel on pourrait s'attendre dans le cadre d'un déploiementNote de bas de page 168. » Le rapport Arbour présentait le portrait d'un recrutement qui donne lieu à un cercle vicieux, où les FAC ne peuvent recruter qu'autant de personnes qu'elles peuvent former. Les formateurs étant moins nombreux, le processus de recrutement s'enlise. L'honorable Louise Arbour a constaté que l'avenir du recrutement de femmes dans les FAC n'est « pas reluisant », et on lui a dit qu'il y a « peu ou pas de chance » que les FAC atteignent leur objectif d'obtenir une représentation féminine de 25 % d'ici 2026. Elle a ajouté que les femmes ont tendance à être recrutées dans des postes de soutien, où elles sont déjà représentées dans une certaine mesure. Elle a cité, entre autres, les métiers d'administratrice des ressources humaines, de technicienne médicale/dentaire, d'infirmière militaire, d'administratrice des services financiers et de cuisinière, qui sont traditionnellement exercés par des femmes. Un nombre limité de femmes occupaient aussi des postes de la Force aérienne, comme des officières du génie aérospatial et officières du contrôle aérospatialNote de bas de page 169. Elle a recommandé que le recrutement soit simplifié et restructuréNote de bas de page 170. Sa recommandation no 22, selon laquelle « les FAC devraient mettre en place de nouveaux processus qui permettraient d'évaluer et de traiter de manière appropriée les attitudes problématiques en matière de culture et de genre à un stade précoce, avant ou après le recrutement », est une recommandation que le groupe de travail appuie et encouragerait les FAC à étendre à tous les groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Des études menées jusqu'à présent ont montré que les femmes sont plus susceptibles d'avoir des doutes quant à leur capacité à satisfaire aux normesNote de bas de page 171. Il faut tenir compte de cette question, de même que de la perception erronée selon laquelle les normes physiques ont été abaissées pour permettre aux femmes de réussir les tests normalisés FORCE afin de satisfaire au principe de l'universalité du serviceNote de bas de page 172. Il est également important de ne pas présumer que certaines questions constitueront des obstacles. Par exemple, des femmes se sont enrôlées dans les FAC parce qu'elles étaient attirées par la sécurité d'emploi, les possibilités de voyager et le désir de servir, ainsi que les bourses d'études et le désir d'un changement de vie. Ces raisons étaient considérées comme étant plutôt universelles pour s'inscrire, tandis que le choix de la Première réserve comportait des caractéristiques qui permettaient un certain contrôle sur les questions d'équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelleNote de bas de page 173. Compte tenu de tout cela, que peut-on faire de plus pour soutenir les membres qui ont des responsabilités familiales?

Le groupe de travail n'a pas pour mandat de cerner les obstacles propres à chaque milieu de travail. La présente discussion est l'occasion de rappeler que ce milieu de travail en particulier dispose d'une base solide permettant de poursuivre les travaux d'identification et d'élimination des obstacles.

L'équité en matière d'emploi génère des processus réflexifs en milieu de travail. Dans les chapitres 5 et 6, nous proposons le genre de véritables consultations et de surveillance réglementaire permettant d'aider à stimuler et à soutenir les travaux en cours. La principale conclusion à tirer est que l'élimination des obstacles doit être centrée et continue si l'on veut parvenir à l'équité en matière d'emploi.

Véritables consultations dans les FAC

Le rapport Deschamps a identifié la crainte de répercussions négatives comme la première et principale raison exprimée par les membres des FAC pour expliquer pourquoi ils n'ont pas signalé d'incidents de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle, le manque de confidentialité et le manque de confiance à l'égard de la chaîne de commandement constituant d'autres raisons importantes données. La crainte d'être jugés, de se heurter à l'incrédulité ou d'être stigmatisés a également été signalée par les membres des FAC. Le rapport Deschamps a constamment rappelé que, bien que ces préoccupations reflètent la société dans son ensemble, « le contexte d'une culture organisationnelle qui valorise la force et la puissance, et qui peut sembler hostile à toute manifestation apparente de vulnérabilité ou de faiblesse » pourrait aggraver ces craintes dans les FAC. L'expérience réelle de la façon dont l'agression sexuelle signalée a été traitée, menant à la revictimisation de la plaignante et à peu de conséquences pour l'agresseur, était potentiellement l'un des moyens de dissuasion les plus graves pour d'autres personnes. Le rapport Deschamps demandait la création d'un centre indépendant de responsabilisation, à l'extérieur des FAC, qui aura la responsabilité de recevoir les signalements de harcèlement sexuel et d'agression sexuelleNote de bas de page 174.

À l'heure actuelle, en l'absence de ce qu'elles qualifient d'agents négociateurs, les FAC cherchent à satisfaire à leurs exigences en matière de consultation par l'intermédiaire des groupes consultatifs de la Défense (GCD) : le Groupe consultatif des Autochtones de la Défense, le Groupe consultatif de la Défense pour les personnes handicapées, l'Organisation consultative de la fierté de l'Équipe de la Défense, le Groupe consultatif des minorités visibles de la Défense et l'Organisation consultative des femmes de la Défense. Les GCD sont ouverts à tous les membres des FAC, y compris les membres des groupes visés par l'équité en matière d'emploi, et cinq champions correspondants sont nommés. Il existe également des réseaux, y compris le Réseau des employés noirs de l'Équipe de la Défense.

Le rapport Arbour indique que les GCD et les réseaux informels sont des « agents de changement essentiels ». Ils sont présents sur le terrain. Ils s'engagent régulièrement auprès des communautésNote de bas de page 175. Cependant, les chercheurs se sont demandé dans quelle mesure les groupes consultatifs étaient sécuritaires pour les participants. Par exemple, un Groupe consultatif des Autochtones de la Défense (GCAD) de 2016 a fait état du racisme systémique dans les FAC et a reçu une couverture médiatique, mais la participation au sondage a donné lieu à un faible taux de réponse : seulement 16 personnes ont signalé 40 incidents. Le rapport du GCAD demandait la tenue d'une enquête indépendanteNote de bas de page 176. L'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) et l'Union des employés de la Défense nationale (UEDN) jouent un rôle actif auprès de l'effectif civil du MDN. Ces syndicats remettent en question la sous-traitance de certains employés pour le nettoyage et l'entretien des installationsNote de bas de page 177.

Les FAC signalent que certains changements ont été apportés pour s'assurer qu'il y a une véritable représentation au sein de la structure du GCD. La structure des véritables consultations dans les FAC demeure toutefois faible. Nous ne voyons aucune raison d'élaborer une approche distincte pour les FAC; les recommandations du chapitre 5 sur les structures de véritables consultations s'appliquent aux FAC.

Au-delà de l'exceptionnalisme

Comme cette discussion devrait le montrer, les FAC sont confrontées à des défis particuliers. Des outils sont aussi nécessaires pour commencer à les relever. Des recommandations précises ont été formulées dans la présente section. Toutefois, d'après l'information dont nous disposons, nous concluons que la plupart des recommandations du groupe de travail peuvent facilement s'appliquer aux Forces armées canadiennes, avec un peu d'adaptation, mais avec beaucoup de soutien. C'est la recommandation de base.

Recommandation 4.29 : Le commissaire à l'équité en matière d'emploi devrait fournir une aide spéciale aux FAC afin de les soutenir et de leur permettre de réaliser des progrès raisonnables en ce qui concerne l'atteinte de l'équité en matière d'emploi pour tous les groupes visés par l'équité en matière d'emploi.

Gendarmerie royale du Canada (GRC)

Comme d'autres employeurs fédéraux, la GRC a la responsabilité légale, en vertu des lois sur l'équité en matière d'emploi et d'autres lois sur les droits de la personne, de fournir un milieu de travail exempt de discrimination interdite. Sa responsabilité s'applique à l'ensemble de ses employés, qu'il s'agisse de ses membres réguliers, des membres civils ou des fonctionnaires. Pourtant, le groupe de travail a observé que la confiance dans la capacité de la GRC à réaliser l'équité en matière d'emploi n'est pas très élevée.

La GRC n'a pas eu à rendre comptes aux employés marginalisés au sein de l'organisation… Étant donné que la GRC n'avait pas de syndicat jusqu'à récemment, il n'y avait personne à qui signaler cette inaction

Un membre de la GRC

La GRC est un organisme très fermé. La plupart des membres arrivent au niveau du recrutement, reçoivent une formation au Dépôt, puis gravissent les échelons. Peu de cadres supérieurs ne sont pas policiers. Cela se traduit par une culture et un sentiment de fierté solides, ce qui est précieux à bien des égards, mais qui peut mener à une résistance au changement.

Sheila Fraser, ancienne vérificatrice générale. Examen de quatre cas de poursuites civiles contre la GRC pour des motifs de harcèlement au travail, mars 2017, p. 2.

Une telle restructuration fondamentale peut être nécessaire pour résoudre des problèmes bien ancrés de misogynie, de racisme et d'homophobie, mais exigera un examen approfondi qui dépasse la portée de mon mandat. Je crois, cependant, qu'il est temps de discuter de la nécessité d'apporter des changements fondamentaux à la GRC et à la police fédérale. Je suis d'avis qu'il est très peu probable que le changement de culture vienne de l'intérieur de la GRC.

Évaluateur indépendant, ancien juge de la Cour suprême du Canada, l'honorable Michel Bastarache, Rêves brisés, vies brisées : Les effets dévastateurs du harcèlement sexuel sur les femmes au sein de la GRC, 11 novembre 2020.

Les allégations de harcèlement sexuel généralisé à la GRC depuis plus de 30 ans, ainsi que les récents recours collectifs intentés par la gendarme Janet Merlo et l'inspectrice Linda Gillis Davidson, ont été signalées par la Commission canadienne des droits de la personne au Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies au cours des 8e et 9e examens périodiques du CanadaNote de bas de page 178. Les examens sont nombreux et de longue date, et portent notamment sur les obstacles au maintien en poste et à la promotion en milieu de travailNote de bas de page 179. L'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser a examiné quatre autres allégations en mars 2017 et a demandé « la création d'un processus d'enquête indépendant pour les cas de harcèlement », sous la gouverne d'une autorité centrale à la Direction générale, qui « devrait être dirigée par des personnes qui possèdent une expertise dans ce domaine et principalement constituée de telles personnes, plutôt que de membres de la GRCNote de bas de page 180. La Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC a également publié un rapport en mai 2017, considérant que les accusations de harcèlement étaient devenues un concept fourre-tout qui couvrait un plus large éventail de préoccupations concernant une « culture de dysfonctionnement » et une incapacité à mettre en œuvre une réforme pour corriger les problèmes, y compris les recommandations formulées par la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes contre la GRC en 2013. De plus, la Commission a constaté que les réformes de 2014 des procédures de lutte contre le harcèlement n'ont fait qu'exacerber le manque de confiance des employés à l'égard de la GRC. Elle a formulé dix recommandations, mais a conclu que « la GRC n'a ni la volonté ni la capacité d'apporter les changements nécessaires pour régler les problèmes qui grugent ses milieux de travail. Il incombe maintenant au gouvernement fédéral d'effectuer des changementsNote de bas de page 181. »

Le gouvernement du Canada a reconnu que la discrimination et le harcèlement étaient systémiques à la GRC et a accepté d'indemniser des milliers de femmes, dans une entente de règlement approuvée en mai 2017.

À la suite du règlement, et dans le cadre de sa mise en œuvre, Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême, a publié Rêves brisés, vies brisées, Les effets dévastateurs du harcèlement sexuel sur les femmes au sein de la GRC, Rapport final sur la mise en œuvre de l'accord de règlement Merlo Davidson, qui a révélé la persistance d'obstacles systémiques qui empêchaient les femmes de réussir à la GRC, et dans lequel il a demandé un examen des politiques et des procédures. Des obstacles ont été constatés dans les pratiques de recrutement qui établissent des qualifications beaucoup moins rigoureuses que celles de nombreux autres pays et qui n'ont pas réussi à vérifier les antécédents des candidats en matière de misogynie, d'homophobie ou de racisme; dans l'intégration, l'approche et les lieux de la formation à la fois à la période de probation initiale et de façon continue pendant les affectations; dans certaines des affectations dans des endroits éloignés; dans les pratiques en matière de ressources humaines; dans l'accès aux congés de maternité et aux congés parentaux et le fait de ne pas les remplacer pendant leur congé les amènent à ressentir de la pression pour revenir plus tôt; dans les perceptions de partialité et d'injustice dans les mécanismes de règlement des différends, y compris le manque de confidentialité, la crainte de représailles, ainsi que l'absence de conséquences significatives; ainsi que dans les promotions sont décrites avec dérision comme le plan « amis et famille », et les incidents de refus de certains hommes subalternes de suivre les ordres d'une femme de rang supérieur sont ignorés ou tacitement approuvés par les officiers supérieurs masculins.

Bien que mon mandat fût limité à l'évaluation des cas de harcèlement sexuel et de discrimination fondée sur le sexe et l'orientation sexuelle, ce que les femmes m'ont confié m'a fait perdre confiance dans la capacité de la GRC à changer sa culture. D'après mes conclusions, cette incapacité découle d'un manque de respect fondamental envers toute personne qui ne correspond pas au profil de l'agent « idéal » de la police montée, que ce soit en raison de son sexe, de sa taille, de son orientation sexuelle ou de sa race.

Évaluateur indépendant, ancien juge de la Cour suprême du Canada, l'honorable Michel Bastarache, Rêves brisés, vies brisées : Les effets dévastateurs du harcèlement sexuel sur les femmes au sein de la GRC, 11 novembre 2020, p. 56.

Voici ce que l'honorable Michel Bastarache avait à dire à propos des effets de la discrimination et du harcèlement sur la santé mentale :

Les réclamantes nous ont dit avoir été préparées aux choses atroces dont elles sont témoins dans le cadre de leurs fonctions. [M]ais beaucoup pensaient que le stress constant de devoir surveiller leurs arrières ou d'être soumises à du harcèlement et de la discrimination sapait leur résistance naturelle et les rendait plus vulnérables aux blessures psychologiques. C'est ce qu'ont démontré plusieurs évaluations psychologiques qui nous ont été fournies. À mon avis, sur la base des rapports médicaux qui nous ont été soumis, de nombreuses réclamantes à qui nous avons parlé n'auraient pas autant souffert des blessures psychologiques qu'elles ont subies si elles n'avaient pas été confrontées à un milieu de travail aussi hostileNote de bas de page 182.

Les recommandations précises du rapport comprenaient des caractéristiques très précises sur le recrutement qui s'apparentent à un examen de l'équité en matière d'emploi :

  • Effectuer une analyse approfondie de ce qui constituera le « mérite » dans le recrutement des membres de la GRC, en tenant compte de la nécessité d'éliminer les obstacles systémiques et de permettre l'exercice de rôles et de fonctions spécialisés.
  • Exiger un niveau minimum de deux ans d'études ou de formation postsecondaires pour postuler à la GRC. Je recommande que la GRC étudie les changements récemment apportés au recrutement au Royaume-Uni, qui offrent différentes façons de satisfaire à cette exigence.
  • Encourager les candidatures de divers groupes, y compris les femmes, les personnes LGBTQ2S+ et les communautés racisées et mettre en œuvre des programmes pour les aider à satisfaire aux conditions d'admission, si nécessaire.
  • Effectuer des vérifications des antécédents efficaces et détaillées sur les opinions des candidats sur la diversité et les femmes. Éliminer les candidats qui ne sont pas en mesure de travailler avec les femmes, les Autochtones, les minorités racisées ou les personnes LGBTQ2S+ et qui ne sont pas disposés à accepter les principes d'égalité et d'égalité des chances pour tous. La sélection doit tenir compte de tous les incidents de harcèlement et de violence familialeNote de bas de page 183.

Le rapport souligne l'importance du leadership, et se conclut de façon sévère :

J'ai conclu, d'après tout ce qu'on m'a dit au cours des trois dernières années, que la culture de la GRC est toxique et tolère la misogynie et l'homophobie dans tous les grades, dans toutes les provinces et tous les territoires. Cette culture ne reflète pas les valeurs déclarées de la GRC et se retrouve pourtant dans toute l'organisation. Les membres et les agents de la GRC sont forcés d'accepter de fonctionner dans le contexte de cette culture pour réussir. Les employés semblent blâmer les « brebis galeuses » sans reconnaître les origines systémiques et internes de cette conduite.

Un changement culturel complet est nécessaire. Au cours des 30 dernières années, les problèmes de harcèlement et de discrimination sexuels en milieu de travail ont été portés à l'attention du gouvernement du Canada et de la GRC au moyen de rapports internes, de rapports externes et de litiges devant les tribunaux. À mon avis, les mesures prises en réponse à ces actions n'ont pas réussi à régler les problèmes sous-jacents découlant de la culture toxique de la GRC. En effet, sur la base de mon examen d'anciens rapports et litiges et de mes conversations avec près de 644 femmes, je ne suis pas convaincu qu'un changement culturel positif puisse se produire sans pression extérieure. À ce titre, je conclus qu'il est probablement temps de procéder à un examen approfondi, externe et indépendant de l'organisation et son avenir en tant qu'organisation policière fédéraleNote de bas de page 184.

Voici la réponse de la GRC, qui s'engage à être « exempte de violence, de harcèlement et de discrimination » :

La réponse de la GRC tient compte des recommandations, qui recoupent quatre domaines clés, dont bon nombre sont déjà en cours dans le cadre d'une approche à long terme pour un milieu de travail sain et inclusif :

  • Prévention du harcèlement et résolution des plaintes de harcèlement : p. ex. un nouveau Centre indépendant de résolution du harcèlement (CIRH), qui se veut un régime de prévention du harcèlement et de résolution des plaintes doté de membres civils qui ne font pas partie de la chaîne de commandement et qui relèvent du dirigeant principal de l'Administration. Cela permettra aux employés d'avoir accès à un processus fiable, cohérent, accessible, opportun et responsable.
    • Le lancement du CIRH a eu lieu en juin 2021, et celui-ci comprend maintenant 29 enquêteurs externes.
    • Le CIRH est en voie d'être pleinement doté en personnel et opérationnel d'ici juillet 2022.
    • En plus de traiter des cas individuels, l'analyse des conclusions d'enquête externe fournira des renseignements importants pour aider la GRC à prévenir le harcèlement et la violence afin d'améliorer le milieu de travail.
    • Le CIRH fait partie du groupe d'experts qui participe aux discussions sur l'examen de la conduite.
  • Élimination des obstacles systémiques : p. ex. identification, prévention et élimination des obstacles à nos politiques, à nos programmes et à nos opérations au moyen de l'analyse comparative entre les sexes plus et d'une nouvelle stratégie de la GRC en matière d'équité, de diversité et d'inclusion.
  • Recrutement et intégration : p. ex. plan de modernisation du recrutement, examen des changements à grande échelle apportés à la Division Dépôt et poursuite de l'examen du Programme d'instruction des cadets.
  • Formation et perfectionnement du leadership : p. ex. intégration du leadership fondé sur le caractère dans les processus de recrutement, de formation et de promotionNote de bas de page 185.

Le Centre indépendant de résolution du harcèlement (CIRH) a été créé le 30 juin 2021. Il a pour mandat de faciliter le règlement des incidents de harcèlement et de violence en milieu de travail pour les employés de la GRC. Le CIRH est composé de fonctionnaires. Il doit accomplir son mandat de façon indépendante, ce qui signifie qu'il « ne fait pas partie de la chaîne de commandement et qu'il est libre de préjugés et de conflits d'intérêtsNote de bas de page 186. »

Le CIRH rapporte que 159 avis d'incident ont été soumis avant même sa création, pour un total de 615 avis d'incident reçus en date du 30 juin 2022. Ceux-ci se rapportaient à des cas d'abus de pouvoir, de discrimination, de manque de civilité et de harcèlement sexuel. L'un des principaux défis du CIRH durant sa première année a été la difficulté opérationnelle à simplement répondre à la forte demande d'enquêtesNote de bas de page 187.

Le CIRH s'est efforcé d'accroître l'accès à des enquêteurs externes qualifiés en vertu du récent Règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail du Code canadien du travailNote de bas de page 188. Les directeurs généraux reconnaissent toutefois que le but ultime ne doit pas être de s'attaquer au harcèlement après coup, mais plutôt de s'attaquer à ses causes profondes. Ils reconnaissent également la nécessité de pratiques réparatrices après un incident de harcèlement ou de violence, ce qui permet d'ailleurs de prévenir les récidives. Cela amène leurs enquêteurs à formuler des recommandations à l'intention du comité local de santé et de sécurité afin de déterminer conjointement si une allégation répond ou non à la définition de harcèlement et de violence en milieu de travail.

Nous prenons note des conclusions de l'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser en 2017, qui avait affirmé ce qui suit : la GRC « en tant qu'entité a du mal à officiellement reconnaître que certaines de ses unités de travail sont dysfonctionnelles. Je suis d'avis qu'on tend à minimiser les transgressions afin de protéger la réputation de l'organisationNote de bas de page 189. » L'honorable Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême du Canada, est parvenu à la conclusion suivante :

la résolution des problèmes de la GRC et la lutte contre la culture négative qui y est enracinée nécessiteront un effort immense et exigeront la bonne volonté de ses dirigeants et de ses membres. La plupart de ces personnes sont attachées au statu quo et ne voudront probablement pas apporter les changements nécessaires pour éradiquer cette culture toxiqueNote de bas de page 190.

Le 9 mai 2022, l'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale (AFAI) a présenté le rapport intitulé La culture toxique de la GRC : misogynie, racisme et violence contre les femmes dans la police nationale du Canada à l'honorable Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique. Ses conclusions concordent avec celles du rapport Bastarache et étendent la réflexion sur les conséquences des questions difficiles soulevées quant à la façon dont la GRC traite ses employées, mais aussi « les femmes qu'elle est censée servir. »

Au cours de nos consultations, la GRC a déploré que l'exercice d'équité en matière d'emploi ait semblé être un jeu de chiffres et a préconisé une approche plus globaleNote de bas de page 191. Pourtant, aucune consultation n'a eu lieu au sujet de l'évaluation plutôt complète des obstacles qui découle des examens externes et indépendants.

Le rapport annuel 2021-2022 de la GRC sur l'équité, la diversité et l'inclusion, présenté par Gail Johnson, dirigeante principale des ressources humaines et championne de l'EDI de la GRC, indique que pendant l'exercice 2020-2021, la GRC a élaboré la Stratégie d'équité, de diversité et d'inclusion pour répondre aux besoins constatés dans les précédentes analyses complètes des systèmes de main-d'œuvre et d'emploi. Toutefois, le rapport se concentre sur les statistiques relatives à la diversité aux termes de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Voici ce que nous retenons :

  • la représentation des Autochtones au sein de l'effectif a continué de diminuer en 2020-2021, passant de 6,3 % en 2019-2020 à 6,2 % pour l'effectif général, et de 7,2 % en 2019-2020 à 7 % en 2020-2021 pour les membres réguliers;
  • la représentation des femmes a légèrement augmenté, passant de 39,4 % en 2019-2020 à 39,6 % en 2020-2021, et seulement 21,8 % des femmes font partie des membres réguliers;
  • le pourcentage de minorités visibles est passé de 12,8 % en 2019-2020 à 13,2 % en 2020-2021;
  • il y a 15 personnes handicapées en moins, malgré le taux de représentation déjà faible des personnes handicapées parmi les membres réguliers (1,4 % en 2020-2021, sans changement depuis 2019-2020), et aucune nouvelle embauche n'a été faite pour cette catégorie non plus. Ces personnes sont sous-représentées dans les rangs des cadres supérieurs.

Les travailleurs handicapés font face à l'écart d'équité en matière d'emploi le plus important pour la GRC.

Le plan énumère d'autres caractéristiques, notamment la création de nouveaux réseaux d'employés, les communications sur la valeur de l'équité, de la diversité et de l'inclusion, des indicateurs de rendement permettant aux cadres supérieurs de mesurer les progrès en matière d'EDI ont été créés après avoir consulté les unités de négociation et un certain nombre de programmes « axés sur l'impact. » Comme de nombreux rapports, le plan contient des photos d'employés souriants représentant des groupes visés par l'équité en matière d'emploi et donnant une image positive. Ce qui manque, c'est la façon dont on s'attaque aux obstacles réels. On nous dit que « les pratiques de collecte de données de la GRC sont en train d'être renforcées pour permettre à l'organisation d'évaluer l'efficacité des programmes et des services liés à l'EDI, et leur incidence sur leur groupe démographique cibleNote de bas de page 192. »

Le décalage entre le plan d'EDI et les examens les plus sérieux était franchement déconcertant.

Bien qu'on nous ait dit que la direction de la GRC était désormais diversifiée sur le plan du genre et de la race (dans une certaine mesure), on ne nous a pas dit grand-chose sur le changement de culture et l'élimination des obstacles qui seraient nécessaires pour parvenir à l'équité en matière d'emploi. On nous a dit que tous les problèmes de longue date ne peuvent pas être réglés à court terme; les solutions systémiques semblaient être assimilées à des changements à long terme.

Pourtant, l'essence de l'équité en matière d'emploi est de prendre des mesures proactives pour s'attaquer aux inégalités réelles d'une manière déterminée et rapide afin d'entamer un processus plus équitable et d'empêcher l'iniquité de persister.

Recommandation 4.30 : La recommandation du rapport Bastarache en faveur d'un examen externe indépendant et d'un organisme de surveillance véritablement indépendant et doté de ressources suffisantes pour la GRC devrait être mise en œuvre.

Il n'est pas surprenant qu'il y ait à la fois une critique fondamentale du mérite et des appels à maintenir fermement le principe du mérite. Les deux arguments sont les deux côtés de la médaille. Ils cherchent à éliminer l'arbitraire et à parvenir à une approche précise, transparente et équitable en vue de réaliser une égalité réelle.

Ces conclusions appuient une approche de l'équité en matière d'emploi qui est ancrée dans les mesures de soutien en faveur de l'égalité réelle, ce qui permet d'assurer ce qui suit :

  • des critères d'emploi, des processus de candidature et des processus de sélection clairs et transparents qui garantissent que les candidats à des processus d'embauche et de promotion et les travailleurs évalués sont traités avec respect et dignité;
  • des processus qui sont exempts d'obstacles et qui favorisent des pratiques inclusives.

Dans ce genre de milieu de travail, les objectifs de représentation peuvent effectivement être atteints, et les mesures d'équité en matière d'emploi peuvent se concentrer sur le maintien de l'équité, car les conditions sont réunies pour que l'équité en matière d'emploi fonctionne pour tous.

Les employeurs privés sous réglementation fédérale - Pleins feux sur les transports

Le secteur privé sous réglementation fédérale est très varié. Il comprend plusieurs industries clés dans le secteur des transports. Ce secteur revêt une importance stratégique et symbolique, notamment parce que le jugement rendu par la Cour suprême du Canada en 1987 dans la cause CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), dont il a été question plus tôt dans le présent rapport, portait sur des problèmes de représentation tenaces dans l'industrie ferroviaire. À la suite de ce jugement et de la décision concernant la fonction publique dans l'affaire Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social), la possibilité de déposer des plaintes relatives à la représentation statistique en ce qui concerne l'équité en matière d'emploi a été essentiellement supprimée de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En 2023, des défis de représentation tenaces persistent dans le secteur des transports.

Prenons l'exemple de l'industrie de l'aviation. Les pilotes aériens, les mécaniciens de bord et les instructeurs de vol sont des hommes à 92,53 % et plus. Le manque de représentation est un défi mondial. Les problèmes ne sont pas propres à un seul employeur.

Au sein de cette industrie en difficulté, Air Canada est considérée comme l'un des meilleurs employeurs pour la diversité au Canada. Comme d'autres entreprises dans le secteur, Air Canada a été durement touchée par la pandémie. D'après son propre rapport sur l'équité en matière d'emploi de 2020, nous savons que ses effectifs ont diminué de 55 %. Il est donc important de faire preuve de prudence en ce qui concerne les chiffres globaux. Toutefois, avec une représentation globale des femmes de 38 %, dont 40 % quittent Air Canada, une représentation des minorités visibles de 20 %, avec 22 % de départs, une représentation des Autochtones de 1,2 % de l'ensemble de la main-d'œuvre, avec un taux de départ de 1,3 %, ou une représentation des travailleurs handicapés de 1,1 %, avec un taux de départ de 1,4 %, il est clair qu'il existe des défis importants et persistants en matière de représentation équitable.

Quel soutien a-t-on offert à Air Canada dans le cadre de sa participation au Programme légiféré d'équité en matière d'emploi en application de la Loi sur l'équité en matière d'emploi en vue d'améliorer ces chiffres?

Les rapports narratifs étaient parmi les plus complets examinés en ce qui a trait aux détails et à la portée. Les initiatives peuvent consister à mettre en valeur des événements relatifs à l'EDI ou des initiatives liées à des communications externes : promesses de dons, participation à des initiatives bénévoles, enregistrement de vidéos, soutien à des programmes de bourses d'études ou participation à des événements de la Fierté. Ces initiatives comprennent également la révision des politiques en matière de mesures d'adaptation et la prestation d'un éventail de formations.

Soyons clairs. Ce qui est répertorié est positif, et pourrait bien avoir une incidence sur l'ambiance et d'autres aspects. Il est toutefois impossible de tirer de telles conclusions du rapport.

En outre, l'attention portée à la détermination et à l'élimination des obstacles semble, dans le meilleur des cas, diffuse. Le lien avec les données quantitatives est supposé, mais n'est pas établi. Il y a des engagements envers les groupes qui pourraient être ventilés (p. ex. l'initiative Black North ou les événements de la Fierté), mais ceux-ci ne sont pas liés aux mesures d'équité en matière d'emploi. De plus, dans un milieu de travail où 86 % des salariés sont couverts par des conventions collectives (contre 90 % en 2015)Note de bas de page 193, le rapport narratif était étonnamment silencieux sur cet aspect de la mise en œuvre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

La conclusion est la suivante : certains employeurs déploient beaucoup d'efforts pour promouvoir la diversité et même pour en rendre compte. Ils ont toutefois besoin d'aide pour adapter leurs initiatives d'équité en matière d'emploi de manière à obtenir des résultats et à les maintenir.

Le transport ferroviaire ne se porte guère mieux. Jetez un coup d'œil à l'annexe M. Pour prendre un exemple tiré des codes de la CNP, à l'échelle du Canada, 97,07 % des réparateurs/réparatrices de wagons sont des hommes.

Via Rail a déclaré que la représentation des « minorités visibles » dans ses postes de direction était de 8 % en 2022, le pourcentage total de minorités visibles s'élevant à 16 %Note de bas de page 194. L'entreprise a informé le groupe de travail que 2 % de l'ensemble de son effectif sont des Autochtones et que 2 % sont des personnes handicapées, sans préciser quel pourcentage de l'un ou l'autre des groupes visés par l'équité en matière d'emploi occupe des postes de directionNote de bas de page 195. Ses efforts pour promouvoir l'égalité des genres semblent être à l'origine de la majeure partie du mouvement, car 46 % des cadres sont des femmes, alors que la représentation globale des femmes au sein de Via Rail s'élève à 37 %.

Le rapport narratif de Via Rail indique qu'un solide plan stratégique de diversité et d'inclusion a été élaboré, traduisant ainsi sa volonté de [Traduction] « passer de la conformité à la création d'une culture d'inclusion et d'appartenance. » Le rapport fournissait une liste à puces contenant des énoncés relativement vagues sur des sujets comme la gouvernance et le leadership, un examen prévu des pratiques et des politiques en matière de RH et la mise en œuvre de pratiques souples en matière de conciliation travail-vie personnelle et de mesures d'adaptation.

Encore une fois, les pratiques sont louables dans la mesure où elles sont appliquées. Cependant, les rapports ne fournissent que peu ou pas d'informations sur la manière dont ces initiatives sont liées pour permettre à Via Rail de réaliser l'équité en matière d'emploi. Le fait que les rapports sur le lieu de travail soient si vagues en dit long sur les attentes de l'entité destinataire. Nous devons nous concentrer à nouveau sur l'évaluation de la formation et du soutien offerts pour nous assurer que l'accent demeure mis sur la détermination et l'élimination des obstacles à l'équité en matière d'emploi.

Pour tout dire, l'équité en matière d'emploi n'est pas une simple façon de remplir son temps. Nous devons faire l'analyse et préparer les rapports dans un but précis. L'objectif est de réaliser et de soutenir l'équité en matière d'emploi.

Où vont ces rapports annuels, et pourquoi n'en fait-on pas plus pour aider les employeurs à atteindre et à maintenir l'équité en matière d'emploi?

Nos consultations ont été fructueuses. Nous n'avons pas été confrontés à des employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale qui étaient dans le déni. Nous avons plutôt été confrontés à des représentants de l'industrie qui ont été francs quant à la nécessité d'attirer et de retenir des talents diversifiés. Ils ont reconnu qu'ils se privaient d'une grande partie de la main-d'œuvre potentielle. L'Association du transport aérien du Canada a ajouté que la pénurie de pilotes était aggravée par des pénuries de main-d'œuvre dans de nombreuses autres professions de l'aviation. On a dit à notre groupe de travail que le transporteur ayant le pourcentage le plus élevé de femmes pilotes était le transporteur régional. Pourquoi? Éventuellement parce que celui-ci permet aux employés d'être de retour à la maison le soirNote de bas de page 196.

Les recherches disponibles sur les obstacles rencontrés par les travailleurs du secteur des transports confirment les conséquences des modes de travail, en particulier des longs quarts de travail. La capacité d'éliminer ces obstacles de façon systématique peut sembler limitée.

Ce n'est toutefois pas la seule réponse au problème.

Comme nous l'avons vu avec d'autres professions habituellement exercées par des hommes, une partie de la réponse se trouve dans la façon dont les mesures d'adaptation sont traitées. Si la mesure d'adaptation que nous proposons à des travailleuses ayant des responsabilités de garde d'enfants qui cherchent à travailler moins d'heures consiste à leur offrir des contrats précaires, alors nous ne faisons qu'aggraver le problème. Ce n'est pas ainsi que l'on construit une solution solidaire et durable au défi que représente le recrutement de femmes ayant des responsabilités de garde d'enfants. Dans les contextes où la flexibilité est peu démontrée, il n'est pas improbable qu'au lieu de demander des mesures d'adaptation, les travailleurs adoptent une stratégie d'imitation de la norme dominante ou quittent tout simplement le secteur. Le pouvoir des normes de genre dominantes en milieu de travail en ce qui concerne les facteurs liés à l'orientation sexuelle, à l'identité de genre, à l'expression de genre et aux caractéristiques sexuelles (OSIGEGCS) est quelque chose que la recherche commence également à observerNote de bas de page 197.

Cela dit, notre groupe de travail a été surpris de constater qu'à ce chapitre de l'histoire du cadre de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, nous soulevions encore ces préoccupations au sujet de problèmes de longue date. L'équité en matière d'emploi existe depuis 37 ans; nous aurions dû progresser davantage.

Nous devons renforcer le pilier de l'élimination des obstacles afin d'obtenir des diagnostics plus rigoureux et plus clairs des problèmes et de savoir ce qu'il faut faire pour éliminer les obstacles.

Il faut mettre en place des consultations véritables.

La surveillance réglementaire doit aussi être recalibrée.

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2024-07-05