Rapport du Comité d’experts sur les normes du travail fédérales modernes

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La nature du travail au Canada et dans d'autres économies avancées s'est transformée du tout au tout au cours des 50 dernières années. Les travailleurs sont relativement moins nombreux à occuper des emplois permanents à plein temps, tandis que les travailleurs qui occupent des emplois temporaires, qui travaillent à temps partiel ou qui sont travailleurs autonomes représentent une plus grande proportion de la population active. L'inégalité des revenus, la stagnation des salaires et le recul des taux de syndicalisation soulèvent d'importantes questions sur la façon dont les travailleurs s'en tirent dans l'économie d'aujourd'hui et nous amènent à nous demander s'il y a lieu d'envisager de nouvelles politiques pour protéger les travailleurs, particulièrement ceux qui sont les plus vulnérables à l'exploitation.

Les normes du travail jouent un rôle essentiel lorsqu'il s'agit d'assurer un minimum de droits aux travailleurs. Que ce soit en prescrivant combien d'heures de travail un travailleur peut accomplir ou les droits qu'il devrait avoir en matière de vacances, les normes du travail protègent les travailleurs contre des conditions de travail injustes tout en permettant d'uniformiser les règles du jeu entre les entreprises. Les normes du travail doivent être mises à jour régulièrement en fonction des nouvelles pratiques d'affaires, des progrès de la technologie, des nouvelles formes d'emploi et d'une gamme d'autres facteurs économiques et sociaux. Notre façon de vivre et de travailler aujourd'hui est tout simplement très différente de ce qu'elle était dans les années 1960.

La partie III du Code canadien du travail (le Code) établit des normes du travail minimales pour les milieux de travail du secteur privé sous réglementation fédérale (SPRF). Le SPRF compte environ 915 000 employés et 18 000 employeurs au Canada dans des secteurs d'activité comme les banques, la radiodiffusion, les télécommunications et le transport interprovincial et international ainsi que les sociétés d'État fédérales et certaines activités des administrations publiques autochtones dans les réserves des Premières Nations. La partie III du Code a été promulguée en 1965, mais elle n'avait pas connu de mise à jour importante avant 2017 à 2018, année où le Programme du travail d'Emploi et Développement social Canada en a fait un examen approfondi qui s'est traduit par une série de modifications concernant des questions comme les modalités de travail flexibles, le traitement équitable des travailleurs qui occupent des emplois précaires et les stages non rémunérés.

Toutefois, cinq enjeux n'avaient pas été réglés à l'issue de cet examen, ce qui a amené la ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail de l'époque à constituer un Comité indépendant d'experts sur les normes du travail fédérales modernes en février 2019 dont la mission allait être de consulter des parties prenantes, de faire des recherches et de présenter des conseils à la ministre sur ces cinq enjeux au plus tard le 30 juin 2019. Le présent rapport donne un compte rendu des travaux du Comité tout en faisant état des résultats de nos consultations et de nos recherches et en présentant nos recommandations à l'intention de la ministre et du gouvernement fédéral.

Pendant nos travaux, nous avons consulté environ 140 personnes et organismes d'un bout à l'autre du Canada et nous avons tenu des séances de discussions en personne avec un vaste éventail de parties prenantes à Vancouver, Winnipeg, Toronto, Ottawa, Montréal et Halifax. Nous remercions sincèrement les personnes qui ont pris le temps et la peine de nous parler de leurs expériences, de leurs perspectives et de leur expertise. Nous n'aurions pas pu produire le présent rapport sans leur participation.

En plus de nos consultations, nous avons également pu tirer profit d'une solide base documentaire composée notamment des recherches que le Secrétariat a menées pour le Comité, de données de Statistique Canada et de nos propres recherches et analyses sur les enjeux dans la perspective des divers domaines de spécialisation des membres du Comité, notamment le droit du travail, l'économie et la politique sociale.

Un élément clé de notre mandat était d'examiner les enjeux dans la perspective de l'analyse comparative entre les sexes plus (ACS+), qui met l'accent sur les répercussions distributives et intersectionnelles des politiques et des programmes sur divers groupes et diverses personnes. Nous avons cherché des données supplémentaires quand c'était possible pour mieux comprendre certains enjeux démographiques et nous avons fait de sérieux efforts pour mobiliser divers groupes qui n'avaient pas traditionnellement participé à l'examen des enjeux concernant les normes fédérales du travail (par exemple les travailleurs à faible salaire, les travailleurs non syndiqués, les pigistes, les jeunes, les Autochtones, les organisations autochtones et les organismes représentant les personnes LGBTQ+, entre autres).

Nous avons également abordé la planification et la réalisation de nos activités de mobilisation dans l'optique de l'ACS+, par exemple en nous concentrant sur des représentants locaux qui allaient pouvoir discuter d'enjeux régionaux, en prenant des mesures pour que les travailleurs à faible salaire n'aient pas à assumer de frais de participation et en offrant des options de téléconférence et de traduction simultanée.

Ces travaux allaient nous permettre de formuler à l'intention du gouvernement fédéral des conseils indépendants et impartiaux sur cinq enjeux de premier plan qui ont des répercussions importantes sur les travailleurs et les employeurs du SPRF. Ces enjeux revêtent également de l'importance pour les millions de personnes dont les régimes de travail sont réglementés par les provinces et les territoires, et nous espérons que notre analyse et nos recommandations pourront se révéler utiles pour les juridictions qui songent à actualiser leurs lois sur les normes du travail au cours des prochaines années.

Notre rapport présente des recommandations concrètes découlant d'enjeux et de défis particuliers qui sont ressortis de nos consultations et de nos recherches. Voici les faits saillants de certaines recommandations clés (on trouvera la liste complète des recommandations à l'annexe A) :

Salaire minimum fédéral

  • Le Comité recommande qu'un salaire minimum fédéral soit établi et qu'il soit rajusté annuellement.
  • Le Comité propose deux options pour établir un salaire minimum fédéral :
    • Un salaire minimum fédéral commun dans toutes les provinces et tous les territoires qui représenterait 60 % du salaire horaire médian de l'ensemble des personnes qui travaillent à temps plein au Canada;
    • Un salaire minimum variable dans chaque province et chaque territoire et qui représenterait 60 % du salaire horaire médian dans chacune de celle-ci.
  • Le Comité recommande la mise sur pied d'une Commission de recherche sur les faibles salaires chargée de faire des recherches sur une politique du salaire minimum et ses répercussions sur les employeurs, les employés et l'économie d'un bout à l'autre du Canada.

Mesures de protection prévues dans les normes du travail pour les travailleurs qui occupent des emplois atypiques

  • Le Comité recommande que le concept d'« employé » soit défini dans la partie III.
  • Le Comité recommande qu'une disposition sur la responsabilité solidaire soit ajoutée à la partie III.
  • Le Comité recommande d'inclure dans la partie III une définition d'« emploi continu » qui comprend les périodes de mise à pied ou d'interruption de service de moins de 12 mois.

Déconnexion des communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail

  • Le Comité recommande que la partie III du Code comprenne une définition de ce que constitue « être réputé être au travail ».
  • Le Comité recommande que la partie III du Code accorde le droit à une rémunération ou à des congés compensatoires aux employés tenus d'être disponible pour répondre aux possibles demandes de leur employeur.

Avantages sociaux : accès et transférabilité

  • Le Comité recommande que le gouvernement fédéral, sous la direction de l'Agence du revenu du Canada, examine ce qu'il peut faire pour aider les Canadiens à résoudre le problème des bénéfices perdus.
  • Le Comité recommande que le gouvernement fédéral étudie, au moyen de consultations et de recherches auprès des parties prenantes, la possibilité d'élaborer un modèle d'avantages sociaux transférables pour les travailleurs du SPRF.

Voix collective des travailleurs non syndiqués

  • Le Comité recommande la mise en place d'une protection anti-représailles dans la partie III du Code pour les employés s'engageant dans des activités concertées.
  • Les recommandations du Comité au sujet des organismes communautaires de défense des droits des employées, des comités mixtes en milieu de travail et des modèles progressifs de représentation collective, entre autres éléments, représentent des façons de renforcer la voix collective des travailleurs non syndiqués.

Enjeux transversaux

  • Les recommandations du Comité visant à renforcer les mesures de conformité et de mise en application de la loi comprennent ce qui suit : produire des directives d'interprétation exhaustives et des critères destinés aux employeurs et aux employés sur des enjeux comme la détermination de la juridiction; accorder la priorité à un plus grand partage d'information entre organismes gouvernementaux; remettre en lumière la nécessité de campagnes de sensibilisation et d'information plus proactives; et veiller à ce que la prestation des services proposés par le Programme du travail soit simplifiée, conviviale et accessible.
  • Le Comité recommande que l'Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale ait lieu de façon soutenue et régulière et qu'n « facteur d'identification du SPRF » soit ajouté à l'Enquête sur la population active mensuelle.
  • Le Comité recommande que le gouvernement fédéral examine à intervalles réguliers l'évolution de la modernisation des normes du travail fédérales et la protection de ceux qui occupent des formes précaires d'emploi, tout en maintenant l'égalité des chances pour les employeurs. Un tel examen devrait avoir lieu tous les cinq ans.

Nous encourageons la ministre et le gouvernement à considérer les recommandations présentées dans ce rapport comme une prochaine étape importante pour s'assurer que les normes du travail dans les milieux de travail du SPRF se conforment aux réalités de notre économie et de notre société au XXIe siècle.

Chapitre 1 : Introduction et aperçu du travail du Comité d'experts

Les normes du travail établissent les droits fondamentaux des travailleurs relativement à diverses conditions de travail, notamment les heures de travail, la rémunération, les jours fériés et les congés.

La partie III du Code canadien du travail (le Code) établit les normes du travail qui s'appliquent aux employeurs et aux employés dans le secteur privé sous réglementation fédérale (SPRF), qui comprend des secteurs d'activité comme les banques, les télécommunications, la radiodiffusion, le transport aérien, ferroviaire, routier et maritime interprovincial et international, ainsi que les sociétés d'État fédérales et certaines activités des administrations publiques autochtones dans les réserves des Premières Nations. Même si la majorité des Canadiens sont assujettis à la législation provinciale ou territoriale du travail, la partie III du Code s'applique à plus de 18 000 employeurs qui comptent environ 915 000 employés, soit 5 % de la population active canadienneNote de bas de page 1.

Les normes du travail fédérales ont été adoptées il y a plus de 50 ans, à une époque où le monde du travail était très différent de ce qu'il est aujourd'hui. Les emplois permanents à temps plein étaient la norme, l'accès aux avantages sociaux et aux pensions était relativement répandu dans la population active et la mondialisation et les progrès technologiques n'avaient pas encore commencé à transformer le paysage économique.

Reconnaissant l'écart croissant entre des normes adaptées au monde du travail des années 1960 et la réalité d'aujourd'hui, c'est-à-dire un plus grand nombre de personnes qui travaillent à temps partiel ou sous contrat ou qui occupent des emplois temporaires et dont l'accès à des avantages sociaux et à des hausses salariales est souvent limité, le Premier ministre a chargé la ministre fédérale de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail de moderniser les normes du travail fédérales. En 2017, des modifications ont été apportées à la partie III du Code, qui allait dorénavant comprendre le droit de demander des modalités de travail flexibles, la création de nouveaux congés non payés, l'imposition de limites sur les stages non rémunérés et de nouvelles mesures de conformité et de mise en application.

Par la suite, entre mai 2017 et mars 2018, le Programme fédéral du travail a tenu des consultations exhaustives avec un vaste éventail de partis prenantes de partout au Canada pour explorer quels changements qui étaient nécessaires dans les normes du travail (EDSC, 2018a). Divers changements qui ont été apportés à la partie III ou qui le seront bientôt découlent de ces consultations, notamment des dispositions pour améliorer l'admissibilité des employés aux avantages et protections prévus par le Code, assurer des horaires de travail plus équitables et le traitement équitable des travailleurs qui occupent des emplois précaires, offrir des congés personnels payés et veiller à ce que les employés dont le poste est éliminé bénéficient d'un préavis suffisant et d'une indemnisation.

Toutefois, cinq enjeux sont ressortis de ces consultations dont on pensait qu'ils méritaient un examen plus poussé parce qu'ils étaient moins bien compris, parce que les vues différaient au sujet de la façon dont le gouvernement fédéral devrait les aborder et parce qu'ils soulevaient des questions fondamentales au sujet des buts et des principes des normes fédérales du travail. Il s'agissait des enjeux suivants :

  1. Salaire minimum fédéral;
  2. Mesures de protection prévues dans les normes du travail pour les travailleurs qui occupent des emplois atypiques;
  3. Déconnexion des communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail;
  4. Avantages sociaux : accès et transférabilité;
  5. Voix collective pour les travailleurs non syndiqués.

Le 20 février 2019, la ministre a annoncé la création du Comité d'experts sur les normes du travail fédérales modernes. Le Comité a été chargé d'étudier les cinq enjeux ressortis des consultations de 2017 à 2018, de mobiliser des parties prenantes et des experts pour examiner ces enjeux et de présenter à la ministre un rapport qui comprendrait des conseils reposant sur des éléments probants au sujet des cinq enjeux et de toute autre question connexe, au plus tard le 30 juin 2019 (voir le mandat du Comité à l'annexe B). Le Comité a également été chargé de mener ses travaux dans la perspective de l'analyse comparative entre les sexes plus (ACS+)Note de bas de page 2.

Le présent rapport est l'aboutissement de quatre mois de travaux menés par les sept membres du Comité (voir les biographies des membres du Comité à l'annexe C), le Secrétariat au Programme du travail et les adjoints de recherche qui ont aidé le Comité dans ses travaux.

Le rapport se divise en sept grandes parties :

  1. Introduction et aperçu
    1. La nature changeante du travail
    2. Aperçu du secteur privé sous réglementation fédérale
    3. Principes guidant les travaux du Comité
    4. Démarche retenue par le Comité
  2. Salaire minimum fédéral
  3. Mesures de protection prévues dans les normes du travail pour les travailleurs qui occupent des emplois atypiques
  4. Déconnexion des communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail
  5. Avantages sociaux : accès et transférabilité
  6. Voix collective des travailleurs non syndiqués
  7. Enjeux transversaux : mise en application de la loi et conformité, données et surveillance et examen

Le rapport comprend également une série d'annexes.

La nature changeante du travail

Ces dernières années, l'avenir du travail et la transformation de la nature du travail ont suscité un vif intérêt chez les décideurs, les élus, les chercheurs et le public en général. Au Sommet du G20 qui a eu lieu à Buenos Aires en 2018, des leaders mondiaux ont convenu qu'il était hautement prioritaire de créer un avenir inclusif en matière de travail, particulièrement dans le contexte des immenses changements technologiques qui vont apporter de nouvelles occasions à saisir, certes, mais aussi représenter des risques significatifs de dislocation et de défis distributifs (Sommets du G20, 2018). D'autres rapports récents d'organismes internationaux comme la Banque mondiale, l'Organisation internationale du Travail (OIT) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se sont également concentrés sur les répercussions de la nature changeante du travail et ses conséquences pour les décideurs et pour les cadres réglementaires et législatifs existants (Banque mondiale, 2019; OIT, 2019; OCDE, 2018).

Des études estimant les répercussions de l'automatisation découlant des progrès de l'intelligence artificielle et de la robotique sont produites régulièrement. Les estimations de la proportion des emplois actuels qui seront automatisés vont de moins de 5 % à plus de 40 % des emplois existants au Canada qui deviendraient obsolètes d'ici 10 à 20 ans (Manyika et coll., 2017; Johal et Thirgood, 2016; Lamb, 2016).

Et pourtant, beaucoup de ces préoccupations reposent sur la possibilité de ce qui pourrait se produire plutôt que sur la réalité de ce qui se produit vraiment. En dépit de l'attention croissante que les médias accordent à la thèse selon laquelle un grand nombre de travailleurs au Canada se tournent vers l'économie des plateformes numériques (qu'on appelle souvent « économie de partage ») et ont recours à des sociétés comme Uber et Airbnb pour parfaire leur revenu, une enquête que Statistique Canada a menée en 2017 a permis de constater que seulement 0,3 % et 0,2 % des Canadiens, respectivement, avaient offert des services de transport automobile et des services d'hébergement privé (Statistique Canada, 2017).

Les estimations de la taille de ce qu'il est convenu d'appeler l'économie des « petits boulots », c'est-à-dire l'économie des emplois occasionnels à la demande, varient grandement elles aussi et dépendent en grande partie des définitions utilisées (par exemple travail en ligne ou travail hors ligne) et de l'accès à des données fiables. Dans une étude du travail aux États-Unis, Katz et Krueger ont constaté qu'en 2015, seulement 0,5 % des travailleurs travaillaient par l'entremise de plateformes numériques (Katz et Krueger, 2019). L'ampleur de l'économie des petits boulots dans le SPRF est encore moins claire, car les activités qui s'effectuent par le biais des grandes plateformes numériques relèvent plus souvent de la compétence des provinces ou des territoires.

Ce qui est clair toutefois, c'est que depuis plusieurs décennies, des tendances s'observent dans le marché du travail, notamment les suivantes :

Il y a eu un recul du taux de syndicalisation au Canada, qui est passé de 37,6 % en 1981 à 30,1 % en 2018. Cela s'explique principalement par une baisse des taux de syndicalisation dans le secteur privé (qui se situait à 15,9 % par rapport à 75,1 % dans le secteur public en 2018) (Statistique Canada, 2018; Statistique Canada, 2019a).

La stagnation des salaires a eu des conséquences significatives pour un grand nombre de travailleurs au Canada. Le revenu médian global des ménages en dollars constants de 2017 est passé de 52 200 $ en 1976 à seulement 59 800 $ en 2017 (soit une hausse de 14,6 % en 41 ans) (Statistique Canada, 2019b). Le recul du revenu moyen réel des ménages dans les trois déciles inférieurs de la distribution des revenus depuis 40 ans est particulièrement frappant si on le compare aux gains significatifs dans les trois déciles supérieurs; il faut toutefois préciser que les salaires ont recommencé à augmenter depuis le début des années 2000 (Johal et Yalnizyan, 2018; Riddell, 2018).

L'inégalité des revenus persiste au Canada et elle a atteint des sommets inégalés au cours de la dernière décennie (OCDE, 2019). Si on compare les chiffres du 90e centile à ceux du 10e centile, on constate que l'inégalité des revenus après impôt dans les groupes autres que ceux des aînés a plus que doublé entre 1976 et 2015 (Johal et Yalnizyan, 2018).

La croissance des formes atypiques de travail persiste au Canada et dans de nombreuses économies développées. Le travail atypique (y compris le travail à temps partiel, les emplois temporaires et le travail autonome sans employés) est à l'origine de 60 % de la croissance de l'emploi dans les pays de l'OCDE depuis le milieu des années 1990 (OCDE, 2015). Au Canada, l'incidence du travail atypique s'est accrue entre les années 1970 et le début des années 1990, mais elle est demeurée relativement stable depuis. Les statistiques de l'emploi à temps partiel (qui est passé de 12,5 % en 1976 à 18,7 % en 2018) (Statistique Canada, 2019c) et du travail temporaire (qui est passé de 8,6 % en 1997 à 11,3 % en 2019) témoignent de l'ampleur de la hausse au cours des 40 dernières années.

Un certain nombre d'éléments complexes et interreliés explique le recul des taux de syndicalisation, la stagnation des salaires, l'inégalité des revenus et la hausse des formes atypiques de travail, mais leur examen n'entrait pas dans notre mandat. On peut toutefois affirmer clairement que la mondialisation, les choix en matière de politiques publiques sur l'imposition et la redistribution, les nouvelles technologies et les pratiques des entreprises comme l'externalisation, le franchisage et la sous-traitance font partie des facteurs qui peuvent être cités (Weil, 2011; OCDE, 2011).

Répercussions sur les normes du travail

La nature changeante du travail a de nombreuses répercussions sur les politiques publiques et la réglementation. Quand les entreprises ont recours à des modalités complexes de sous-traitance pour vendre des biens ou fournir des services, à quelle entreprise de la chaîne revient la responsabilité principale de respecter les normes réglementaires applicables? Quels facteurs devraient déterminer si quelqu'un est un entrepreneur indépendant, et est-ce que le traitement fiscal devrait influencer de tels choix? Si votre employé expédie des courriels liés au travail en dehors des heures de travail, devrait-il avoir droit à une rémunération sous une forme ou une autre ou devrait-on considérer que cela relève de ses choix et de ses préférences?

Comment la nature changeante du travail se répercute-t-elle sur les normes du travail en particulier? Le Comité est d'avis qu'il y a quatre répercussions importantes qu'il convient de retenir :

L'absence de ligne de démarcation claire entre diverses catégories pose de plus en plus de problèmes. Que ce soit la démarcation entre le travail et la vie privée, entre un entrepreneur et un employé, ou entre les secteurs relevant de la compétence de législation fédérale et ceux relevant des provinces et territoires, des distinctions qui étaient relativement claires autrefois se sont brouillées au fil du temps à mesure que les modalités de travail évoluaient et que de nouvelles façons de travailler apparaissaient. D'une certaine façon, il ne faut pas s'en étonner, car les catégories que les décideurs et les hommes et femmes politiques ont créées dans les années 1960 paraissaient logiques à l'époque : comment en effet prévoir que tout le monde disposerait d'un téléphone intelligent à l'avenir ou que les structures des entreprises comprendraient de multiples parties réglementées à différents niveaux (par exemple une entreprise relevant de la réglementation fédérale qui a recours aux services d'une agence d'emploi temporaire relevant de la réglementation provinciale)?

La distance qui existe entre certains travailleurs et la protection assurée par les normes du travail est une conséquence significative de ce qu'il est convenu d'appeler le « milieu de travail fissuré ». Les entreprises ont recours à un réseau plus complexe de sous-traitants, externalisent davantage d'activités et utilisent des stratégies comme le franchisage pour fournir des services plus efficacement, de sorte que la distance se creuse entre les travailleurs et l'entreprise qui profite de leur travail, et entre les travailleurs et les mesures de protection prévues dans la législation du travail (Weil, 2011). Le recours par les entreprises à des entrepreneurs indépendants est peut-être l'exemple le plus clair d'entreprises qui, dans certains cas, vont tenter de se soustraire à certaines responsabilités et à certaines obligations (par exemple ne pas effectuer de retenues sur les salaires comme les cotisations au RPC et à l'a.-e.) en soustrayant certains travailleurs du statut d'employé. Il ne faut toutefois pas oublier que certains travailleurs préfèrent être considérés comme des entrepreneurs indépendants, souvent pour des raisons de nature fiscale.

Certains travailleurs sont laissés pour compte, car leurs salaires n'augmentent pas au même rythme que le coût de la vie tandis que l'accès aux avantages sociaux est de plus en plus ténu. L'augmentation de l'inégalité des revenus au Canada et dans d'autres économies avancées a mis en lumière les défis que de nombreux travailleurs doivent relever lorsqu'il s'agit de répondre à des besoins de base comme le logement et la nourriture et d'assumer leurs dépenses de santé et celles de leur famille, qu'il s'agisse de soins dentaires ou de médicaments. Il est essentiel de repenser ce que devraient être un salaire décent et des avantages sociaux suffisants au XXIe siècle, car 3,7 millions de Canadiens vivent dans la pauvreté (EDSC, 2018b), 6 millions de Canadiens n'ont pas les moyens de se payer des services dentaires de base, et beaucoup n'ont pas les moyens d'accéder aux services de santé mentale dont ils auraient besoin (Académie canadienne des sciences de la santé, 2014).

Les répercussions ne se font pas sentir de la même façon chez différents groupes de travailleurs. En particulier, les travailleurs dont le statut d'emploi est précaire ou qui sont vulnérables sont moins susceptibles de toucher un salaire décent, d'avoir accès à des avantages sociaux et de se sentir suffisamment en sécurité pour défendre leurs propres droits, qu'il s'agisse d'un salaire qu'ils ont gagné mais qui ne leur a pas été versé, ou d'horaires de travail trop chargés qui leur sont imposés. Les femmes, les personnes handicapées, les membres de minorités visibles, les travailleurs issus de l'immigration récente, les travailleurs étrangers temporaires, les travailleurs moins instruits et les travailleurs monoparentaux sont tous plus susceptibles d'occuper des emplois précaires (Noack et coll., 2011; Block et Galabuzi, 2011; Cranford et coll., 2003; PEPSO, 2015). Comprendre les répercussions des normes du travail, selon qu'elles sont plus ou moins bien conçues, sur ces groupes (y compris les intersections de différents facteurs identitaires), voilà une étape importante pour le développement d'approches efficaces de régulation du marché du travail, lequel est diversifié et fluide.

Aperçu du secteur privé sous réglementation fédérale

Il est important de préciser certaines caractéristiques de premier plan du SPRF au Canada. Le secteur compte 18 000 employeurs, 915 000 employés et 80 000 travailleurs autonomes (la figure 1 en donne une ventilation plus détaillée). Ces chiffres ne comprennent pas les statistiques concernant certaines activités des administrations publiques autochtones dans les réserves des Premières Nations.

Figure 1 : Composition du SPRF, 2018
Figure 1 : Composition du SPRF, 2018
Figure 1 – Version textuelle

Ce graphique illustre les différentes catégories d'employés dans le secteur privé sous réglementation fédérale ainsi que le nombre d'employeurs et le nombre de travailleurs occupant des emplois atypiques. Les trois catégories sont les suivantes : employés occupant un emploi typique qui sont visés par la partie III du Code; employés occupant un emploi atypique qui sont visés par la partie III du Code; et employés occupant un emploi atypique qui ne sont pas visés par la partie III du Code. Il y a également des employeurs qui sont assujettis à la partie III du Code et des travailleurs autonomes qui ne sont pas visés par la partie III du Code ou n'y sont pas assujettis.

  • Nombre total d'employés : 915 000
  • Nombre total d'employeurs : 18 000
  • Nombre total de travailleurs autonomes : 80 000
  • Employés permanents : 865 000
    • Parmi les employés permanents, 790 000 sont des employés à temps plein et 75 000, des employés à temps partiel.
    • Parmi les employés permanents à temps partiel, 53 000 travaillent à temps partiel de leur plein gré et 22 000, contre leur gré.
    • Employés temporaires : 50 000
    • Parmi ces employés temporaires, 32 000 sont des employés à temps plein et 18 000, des employés à temps partiel.
    • Parmi ces employés temporaires à temps plein, 5 000 sont des travailleurs saisonniers, 20 000 sont des employés recrutés pour une durée déterminée ou des contractuels, et 7 000 sont des employés occasionnels.
    • Parmi ces employés temporaires à temps partiel, 3 000 sont des saisonniers, 11 000 sont des employés recrutés pour une durée déterminée ou des contractuels, et 4 000 sont des employés occasionnels.
  • Travailleurs autonomes : 80 000
    • Parmi ces travailleurs autonomes, 20 000 ont des employés et 60 000 n'ont pas d'employés.
    • Les travailleurs autonomes qui ont des employés sont assujettis à la partie III du Code canadien du travail à titre d'employeurs, mais ne sont pas visés à titre d'employés. Les travailleurs autonomes sans employés ne sont pas visés par la partie III du Code canadien du travail.
  • Source : Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale, 2015; Enquête sur l'emploi, la rémunération et les heures de travail, 2017; Enquête sur la population active, 2018; estimations de la Division de l'information et de la recherche sur les milieux de travail du Programme du travail.
  • † La partie III du Code canadien du travail s'applique à ces personnes à titre d'employeurs plutôt qu'à titre de travailleurs.

Il faut préciser que parmi les 915 000 employés, 790 000 (soit environ 85 %) sont des employés permanents à temps plein, et les 125 000 qui restent occupent des emplois atypiques (c'est-à-dire des emplois à temps partiel ou des emplois temporaires). De plus, on compte 80 000 employeurs autonomes qui ne sont pas protégés par les normes du travail en vertu de la partie III du Code (cases rouges de la figure 1).

D'un point de vue géographique, la majorité des employés travaillent en Ontario (39 %), au Québec (20 %) et en Colombie-Britannique (13 %) (voir la Figure 2).

Figure 2 : Répartition géographique des travailleurs du SPRF, 2017
Figure 2 : Répartition géographique des travailleurs du SPRF, 2017
Figure 2 – Version textuelle

Ce graphique illustre la répartition géographique des travailleurs du secteur privé sous réglementation fédérale d'un bout à l'autre du Canada, à l'exception des territoires, pour lesquels il n'y a pas de données.

  • C.-B. 13 %
  • Alberta 12 %
  • Saskatchewan 3 %
  • Manitoba 4 %
  • Ontario 39 %
  • Québec 20 %
  • Provinces de l'Atlantique 8 %
  • Source : Estimations de la Division de l'information et de la recherche sur les milieux de travail du Programme du travail d'après l'Enquête sur l'emploi, la rémunération et les heures de travail (2015, 2017); Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale (2008); Enquête sur la population active (2013 à 2017).

Les grands employeurs sont prédominants dans le SPRF, car 87 % des employés du SPRF travaillent dans des entreprises comptant 100 employés ou plus (voir la Figure 3). La plus grande proportion des employés de ces grandes entreprises travaille dans le secteur bancaire (28 %), les télécommunications et la radiodiffusion (16 %), et le transport routier. Du point de vue de la taille des entreprises, il y a beaucoup plus de petites entreprises dans le secteur; 85 % des employeurs comptant moins de 20 employés (voir la Figure 4). Le Tableau 1 donne une ventilation des employeurs par province et par secteur d'activité.

Figure 3 : Distribution des employés du SPRF selon la taille de l'entreprise, 2015
Figure 3 : Distribution des employés du SPRF selon la taille de l'entreprise, 2015
Figure 3 – Version textuelle
Employés  Pourcentage
1 à 5 employés 2 %
6 à 19 employés 3 %
20 à 99 employés 8 %
100 employés ou plus 87 %
  • Source : Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale, 2015
Figure 4 : Distribution des employeurs du SPRF selon la taille de l'entreprise, 2015
Figure 4 : Distribution des employeurs du SPRF selon la taille de l'entreprise, 2015
Figure 4 – Version textuelle
Employés Pourcentage
1 à 5 employés 66 %
6 à 19 employés 19 %
20 à 99 employés 11 %
100 employés ou plus 4 %
  • Source : Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale, 2015
Tableau 1 : Nombre estimé d'employeurs du SPRF selon la province et le secteur d'activité, 2017
Secteur Total T.-N.-L. Î.-P.-É. N.-É. N.-B. QC ONT. MAN. SASK. ALB. C.-B.
Transport routier 14 180* 80 30 170 290 2 560 6 440 640 460 2 060 1 430
Transport aérien 1 010* 20 2 20 10 160 300 40 20 140 270
Télécommunications 960* 10 3 30 20 240 380 30 20 80 120
Transport maritime 430* 50 10 30 20 70 70 3 2 10 150
Aliments pour animaux, farine, semences et grains 410* 1 1 10 10 110 130 30 30 40 40
Services postaux et transport par pipelines 390* 10 1 10 10 60 150 10 10 70 60
Secteur bancaire 100* 0 0 2 1 10 50 1 3 20 10
Transport ferroviaire 20* 0 0 0 1 4 5 1 4 2 2
Total (sans les industries diverses) 17 500 170 50 270 370 3 210 7 540 760 550 2 420 2 090
Industries diversesNote de bas de page 3 500* s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o.
Total (avec les industries diverses) 18 000* s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o.
  • Source : Estimations de la Division de l'information et de la recherche sur les milieux de travail du Programme du travail, d'après la Structure des industries canadiennes (2015, 2017); Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale, 2015.
  • *Les pourcentages sont basés sur les résultats de l’Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale de 2015.

La proportion d'employés visés par des conventions collectives dans le SPRF est de 34 % (EDSC, 2019), ce qui est beaucoup plus élevé que dans le secteur privé canadien en général, où la proportion est d'approximativement 16 % (Statistique Canada, 2019a). La proportion de travailleurs qui ont un emploi typique (85 %) est également plus élevée que la moyenne canadienne, soit 71 % pour le secteur privé et le secteur public combinés (EDSC, 2019).

Un certain nombre de groupes de travailleurs dans les industries diverses ont des emplois atypiques, dans des proportions variées, comme le montre le Tableau 2.

Tableau 2 : Analyse ACS+ des employés qui occupent une forme d'emploi atypique et des travailleurs autonomes du SPRF, 2018
Caractéristiques personnelles Tous les employés (915 000) Employés temporaires (50 000) Employés à temps partiel (93 000) Travailleurs autonomes sans employés (60 000)
Femmes* 39 % (357 000)* 45 % (23 000)* 53 % (49 000)* 7 % (4 000)
Hommes* 61 % (558 000)* 55 % (28 000)* 47 % (44 000)* 93 % (56 000)
Autochtones 4 % (37 000) 5 % (3 000) 3 % (3 000) 5 % (3 000)
Personnes nées au Canada 70 % (641 000) 67 % (34 000) 73 % (68 000) 42 % (25 000)
Rémunération < 15 $ 7 % (64 000)* 13 % (7 000) 17 % (16 000) pas de données
55 ans et plus* 20 % (183 000) 18 % (9 000) 25 % (23 000) 30 % (18 000)
  • Source : Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale, 2015; Enquête sur l'emploi, la rémunération et les heures de travail, 2017; Enquête sur la population active, 2018; analyse de la Division de l'information et de la recherche sur les milieux de travail du Programme du travail.
  • *Les pourcentages sont basés sur les résultats de l'Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale de 2015.

Par rapport aux travailleurs du reste du Canada, les travailleurs du SPRF tendent à avoir de meilleures conditions de travail (notamment sur le plan du salaire et de l'admissibilité aux avantages sociaux), sont plus susceptibles d'être de sexe masculin et sont légèrement plus âgés et plus susceptibles d'appartenir à un syndicat.

Principes guidant le présent rapport

Les principes énumérés ci-dessous ont orienté nos travaux pendant la phase de consultation et la phase de recherche et d'écriture, mais surtout pendant la phase des délibérations, au moment où nous cherchions à en arriver à un consensus sur nos recommandationsNote de bas de page 4 :

Décence au travail : Principe fondamental selon lequel les normes du travail doivent assurer un minimum de décence pour les travailleurs. Aucun travailleur ne devrait recevoir un salaire insuffisant pour vivre; être privé du paiement du salaire ou des avantages sociaux auxquels il a droit; être obligé de travailler un nombre déraisonnable d'heures de travail; être victime de harcèlement ou de discrimination; être exposé à des dangers injustifiés en milieu de travail (OIT, sans date).

Économie de marché : Les normes du travail doivent permettre aux travailleurs de contribuer au succès de l'économie de marché au Canada et d'en bénéficier, tout en assurant des règles du jeu uniformes pour les employeurs.

Négociations dans le milieu de travail : Les normes du travail doivent respecter le droit des employeurs et des travailleurs de négocier les conditions de leurs relations, pourvu que celles-ci ne dérogent pas aux normes minimales du travail.

Inclusion et intégration : Tous les travailleurs, quelle que soit leur situation individuelle, doivent être pleinement protégés par les normes du travail pertinentes ainsi que par la législation sur les droits de la personne, et les répercussions distributives des normes doivent être prises en considération (par exemple, dans la perspective de l'ACS+).

Niveaux élevés de conformité : Il est essentiel d'élaborer des normes auxquelles les parties vont se conformer pour assurer la confiance envers le système, le respect global des lois ainsi que des règles du jeu uniformes pour les employeurs.

Clarté : Les normes du travail doivent être énoncées en termes clairs et simples, et les travailleurs comme les employeurs doivent avoir facilement accès à de l'information expliquant ces normes.

Circonspection : Les normes du travail doivent être conçues et mises en œuvre de manière à éviter des conséquences non intentionnelles pour les travailleurs, et des changements incrémentiels ou graduels sont plus susceptibles d'éviter de telles conséquences non intentionnelles.

Des données probantes à la base : L'analyse et les conseils sur lesquels repose notre rapport se fondent sur des données fiables disponibles et sur l'apport des parties prenantes et d'experts.

Démarche retenue par le Comité

Le Comité a retenu une démarche en trois volets pour mener ses travaux entre février 2019 et le 30 juin 2019. Ces volets se sont toutefois chevauchés, car ils n'étaient pas séquentiels.

Phase 1 (définition de l'enjeu et détermination de la portée des travaux) : réunions initiales et discussions avec le Programme du travail pour déterminer le mandat du Comité et la portée de ses travaux, et veiller à ce que les bonnes questions soient examinées.

Phase 2 (mobilisation) : activités de mobilisation ciblées dans tout le pays qui ont tablé sur les consultations de 2017 à 2018 tenues par le Programme du travail et qui ont été menées auprès d'un éventail de travailleurs, de groupes de la société civile, de syndicats et d'organisations du travail, d'employeurs et d'organisations patronales, d'experts et d'autres parties prenantes. En tout, des réunions ont eu lieu avec plus de 140 personnes et organismes (voir la liste complète à l'annexe D). Des réunions en personne ont eu lieu à Ottawa, à Toronto, à Montréal, à Vancouver, à Halifax et à Winnipeg et un certain nombre de réunions et d'appels bilatéraux ont eu lieu avec d'autres parties prenantes pendant la phase de mobilisation.

Phase 3 (recherche et écriture) : recherches menées par le Comité, le Secrétariat et nos adjoints de recherche, et rédaction du rapport final présentant les constatations et les recommandations du Comité. Nous tenons à remercier le Secrétariat, sous la direction de la directrice exécutive Margaret Hill, et nos adjoints de recherche pour leur travail acharné, leur patience et les efforts qu'ils n'ont pas ménagés (voir la liste du personnel du Secrétariat et des adjoints de recherche à l'annexe E). Toutes les erreurs et les omissions que pourrait comporter le rapport final sont imputables au Comité.

Il nous faut mentionner certaines contraintes importantes qui se sont répercutées sur le travail du Comité. D'abord et avant tout, la question de l'échéancier : trois mois et demi à temps partiel, voilà qui a présenté un sérieux défi pour les membres du Comité. Nous aurions souhaité examiner de nombreux enjeux plus en détail et avoir des discussions plus approfondies avec un certain nombre de parties prenantes si nous avions eu plus de temps pour réaliser notre travail (par exemple rencontrer plus de travailleurs, avoir un dialogue plus large avec des organismes autochtones et des communautés des Premières Nations). Faute de temps, nous n'avons pas non plus confié à des experts de l'extérieur la tâche de mener des recherches novatrices sur ces enjeux, et nous avons dû nous contenter de discuter avec des experts dans l'optique où ils envisageaient les enjeux à l'époque.

Une deuxième contrainte importante, dont nous discutons de façon plus détaillée dans le rapport, est celle des données. Nous n'avons pas eu accès à certaines données importantes qui nous auraient permis de mieux comprendre les enjeux à étudier, faute de temps ou de ressources, ou encore pour des raisons générales de disponibilité. Cette contrainte nous a posé un défi particulier du fait que nous avions été priés d'appliquer une lentille ACS+ à notre travail (par exemple examiner les répercussions distributionnelles d'éventuelles recommandations sur différents groupes comme les femmes, les Autochtones, les minorités racialisées, les nouveaux-Canadiens). La section qui porte sur les données et les recommandations qu'elle contient expliquent certaines des lacunes et des contraintes auxquelles nous nous sommes heurtés.

Indépendamment de ces limitations, nous sommes satisfaits des recommandations que nous présentons ici (voir la liste des recommandations à l'annexe A). Quand nous estimions que certaines questions nécessitaient une étude et un examen plus approfondis, nous l'avons indiqué dans les recommandations correspondantes. Nous avons clairement indiqué les cas où nous n'avions pas suffisamment d'information ou de données pour formuler une recommandation éclairée.

Nous remercions le gouvernement fédéral de nous avoir demandé notre avis impartial sur ces questions, qui sont de la plus haute importance pour les travailleurs et les employeurs du SPRF. Nous savons également qu'un grand nombre de ces enjeux seront pertinents – ou le sont déjà – pour les travailleurs et les entreprises qui relèvent de la compétence des provinces et des territoires.

Sunil Johal (président)
Toronto (Ontario)

Richard Dixon
Ottawa (Ontario)

Mary Gellatly
Toronto (Ontario)

Dalia Gesualdi-Fecteau
Montréal (Québec)

Kathryn A. Raymond, c.r.
Halifax (Nouvelle-Écosse)

W. Craig Riddell
Vancouver (Colombie-Britannique)

Rosa B. Walker
Winnipeg (Manitoba)

Chapitre 2 : Salaire minimum fédéral

Depuis plus de 20 ans, le salaire minimum fédéral établi dans la partie III du Code canadien du travail (le Code) est fixé au taux de salaire minimum de la province ou du territoire où l'employé exerce habituellement ses fonctions. Nous avons été chargés d'examiner deux grandes questions :

  • Devrait-on maintenir cette approche ou rétablir un salaire minimum fédéral indépendant?
  • Advenant l'adoption d'un taux indépendant, comment devrait-il être établi, à quel niveau et qui devrait y avoir droit?

L'enjeu

Le salaire minimum, qui est une norme du travail fondamentale, est le plus faible taux de salaire qu'un employeur peut légalement verser à ses employés. On peut justifier l'établissement d'un tel minimum en s'appuyant sur des notions d'équité fondamentale ou de justice. Ce peut aussi être une façon efficace d'atteindre d'autres objectifs de politique, comme réduire l'inégalité des revenus ou la pauvreté en faisant en sorte que les avantages de la croissance économique soient plus équitablement répartis.

Toutefois, les hausses du salaire minimum peuvent aussi avoir des conséquences négatives, comme la réduction des débouchés d'emploi ou des heures de travail des travailleurs à faible salaire, l'augmentation du prix des biens et services et la baisse de la compétitivité des entreprises qui embauchent des travailleurs à faible salaire.

Déterminer un salaire minimum optimal et la façon dont il sera rajusté au fil du temps est un exercice d'équilibre délicat qui doit tenir compte des coûts et des avantages de chaque option pour la société.

Ces derniers temps, la politique du salaire minimum a revêtu une importance accrue comme composante importante de la politique du marché du travail et de la politique sociale. Ce changement s'explique par divers faits nouveaux, notamment la hausse de l'inégalité des salaires et des revenus dans de nombreux pays développés depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980. Le partage très inégal des avantages de la croissance économique au cours des quatre dernières décennies est un phénomène connexe. Par exemple, d'après des données relatives à l'impôt sur le revenu (corrigées de l'inflation), le revenu de marché réel des travailleurs canadiens dans les 90 centiles inférieurs a augmenté d'à peine 2 % entre 1982 et 2010, par rapport à 75 % dans les 10 centiles supérieurs et à 160 % dans le centile le plus élevé (Lemieux et Riddell, 2016). Les parts du revenu de marché gagné par le 1 % et le 0,1 % les plus élevés ont également augmenté substantiellement au cours de la même période. Devant le partage extrêmement inégal des gains économiques, on accorde maintenant beaucoup plus d'attention aux politiques susceptibles de promouvoir une croissance économique équitable, y compris des salaires minimums plus élevés.

Un troisième facteur explique l'attention accrue qui est accordée à la politique du salaire minimum : la croissance de la taille du marché du travail des faibles salaires par rapport à la population active dans son ensemble. Cette croissance reflète en partie la polarisation accrue du marché du travail du Canada (et d'autres pays) – on retrouve plus de travailleurs au sommet et au bas de l'échelle de distribution des salaires et moins au milieu (Green et Sand, 2015; Beach, 2016).

Le corpus des recherches de plus en plus nombreuses qui concluent que les conséquences négatives d'un revenu minimum – et particulièrement l'ampleur du déplacement de l'emploi – ne sont peut-être pas aussi importantes qu'on le croyait est un autre facteur qui explique l'attention accrue qui est accordée à la politique du salaire minimum. Cette nouvelle tendance en matière de recherche a commencé à se dessiner lorsque Card et Krueger (1994; 1995) ont présenté leurs travaux influents qui remettaient en question les idées traditionnelles au sujet des conséquences des salaires minimums. Même si un débat vigoureux se poursuit sur l'ampleur des effets de déplacement de l'emploi attribuables aux augmentations des salaires minimums, les recherches subséquentes ont, en grande partie, été nombreuses à confirmer la conclusion de Card et Krueger, à savoir que des hausses modérées des salaires minimums n'ont pas nécessairement d'effets négatifs sur l'emploi peu rémunéré.

Les nombreuses analyses qui ont suivi les travaux de Card et Kruger constituent elles aussi un riche corpus d'éléments probants au sujet des salaires minimums et de leurs effets. On comprend donc mieux maintenant le rôle que les salaires minimums peuvent jouer pour réduire l'inégalité des salaires et des revenus et combattre la pauvreté, ainsi que d'autres conséquences – positives et négatives – des salaires minimums. Ce corpus de recherche et d'éléments probants a également donné lieu à l'adoption du premier salaire minimum national dans des pays comme le Royaume-Uni (en 1998)Note de bas de page 5 et l'Allemagne (en 2015) et dorénavant, le public et les décideurs examinent de plus près les salaires minimums dans les pays qui ont adopté des salaires minimums il y a de nombreuses années.

La politique du salaire minimum au Canada

Au Canada, le salaire minimum fédéral est le salaire minimum applicable aux employés visés par la partie III du Code. Entre 1965, année où la partie III est entrée en vigueur, et 1970, le taux du salaire minimum était précisé dans le Code, mais depuis 1971, le gouverneur en conseil est autorisé à prendre un règlement pour le modifier.

La formule actuelle, adoptée en 1996, est définie dans l'article 178 de la partie III. Selon cet article, l'employeur doit verser à l'employé au moins « le salaire horaire minimum au taux fixé et éventuellement modifié en vertu de la loi de la province où l'employé exerce habituellement ses fonctions et applicable de façon générale, indépendamment de la profession, du statut ou de l'expérience de travail »Note de bas de page 6. De plus, le gouverneur en conseil peut, par décret, remplacer le salaire horaire minimum fixé par la loi de la province ou en fixer un si aucun salaire minimum n'a été établi. Ces pouvoirs n'ont jamais été utilisés.

Les provinces et territoires établissent leurs salaires minimums de différentes façons. En général, ils les établissent en vertu d'une loi du travail ou d'un règlement et dans 5 des 13 juridictions, il existe des mécanismes pour rajuster annuellement les salaires minimums en fonction de l'Indice des prix à la consommation (IPC)Note de bas de page 7. Les changements apportés aux salaires minimums provinciaux et territoriaux entraînent aussi des changements dans le taux applicable aux employés du secteur privé sous réglementation fédérale (SPRF), compte tenu de la formule d'équilibre actuellement prévue dans la partie III.

Les personnes qui touchent un faible salaire ou le salaire minimum dans le SPRF

D'après l'Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale (EMTCF) de 2015 et l'Enquête sur la population active (EPA), le Programme du travail estime que 42 000 personnes employées dans le SPRF gagnaient le salaire minimum dans la province où elles travaillaient en 2017, soit 5 % de tous les travailleurs du SPRF. Par comparaison, toujours en 2017, 7 % des employés gagnaient le salaire minimum au Canada dans son ensemble (à l'exclusion des territoires, faute de données disponibles).

Par rapport au Canada dans son ensemble, les travailleurs qui touchent le salaire minimum sont plus susceptibles d'occuper un emploi typique à temps plein dans le SPRF (71 % par rapport à 41 % pour le Canada dans son ensemble) et à long terme (50 % par rapport à 16 %). Dans le SPRF, comme dans d'autres juridictions canadiennes, les personnes qui touchent le salaire minimum sont surreprésentées dans les emplois atypiques. Près du quart (24 %) des employés à temps partiel dans le SPRF sont payés au salaire minimum, alors qu'ils ne représentent que 10 % de la population active dans le SPRF.

De la même façon, les travailleurs temporaires représentent 16 % des employés payés au salaire minimum, mais seulement 5,5 % de la population active. Les emplois payés au salaire minimum se concentrent dans les domaines du transport routier (31 %), du transport aérien, ferroviaire et maritime (26 %) et des banques (21 %)Note de bas de page 8.

Pour ce qui est des éléments du marché du travail qui contribuent à la vulnérabilité des travailleurs, le travail payé au salaire minimum dans le SPRF présente des caractéristiques uniques en leur genre. Les personnes qui travaillent au salaire minimum dans le SPRF sont plus âgées (76 % ont 25 ans ou plus) que dans le reste du Canada (42 % ont 25 ans ou plus). Les immigrants sont légèrement plus susceptibles d'être payés au salaire minimum dans le SPRF (33 %) que dans le reste du Canada (30 %) (EDSC, 2019)Note de bas de page 9. De plus, 56 % des personnes payées au salaire minimum dans le SPRF ont un diplôme collégial, un diplôme de métier ou un diplôme universitaire, comparé à 31 % qui ont fait des études secondaires ou dont la scolarité s'est arrêtée plus tôt.

Les employés qui travaillent dans le SPRF sont généralement bien payés. Toutefois, environ 10 % touchent un faible salaire, comparé à plus de 20 % pour Canada dans son ensemble; par exemple, selon des estimations du Programme du travail, 67 000 employés gagnaient 15 $ ou moins en 2017 (EDSC, 2019). La répartition des employés qui touchent un faible salaire dans les secteurs d'activité du SPRF est illustrée par la Figure 5. Les faibles revenus sont souvent le fait d'employeurs de plus petite taille. Dans le SPRF toutefois, 71 % des employés qui touchent un faible salaire travaillent pour des entreprises comptant plus de 100 employés.

Figure 5 : Répartition des employés qui touchent un faible salaire dans le SPRF selon le secteur d'activité, de janvier 2018 à février 2019
Figure 5 : Répartition des employés qui touchent un faible salaire dans le SPRF selon le secteur d'activité, de janvier 2018 à février 2019
Figure 5 – Version textuelle
Industrie %
Banques 27 %
Transport aérien 13 %
Transport ferroviaire et maritime 4 %
Transport routier 32 %
Services postaux et transport par pipeline 7 %
Télécommunications et radiodiffusion 12 %
  • Source : Enquête sur la population active, janvier 2018 à février 2019.

L'expérience des faibles salaires n'es pas vécue de manière identique. En effet comme le montre la figure 6, 45 % des femmes touchent un faible salaire, même si les femmes représentent seulement 39 % de la main-d'œuvre dans le SPRF. De même, les employés temporaires constituent seulement 5,5 % de la main-d'œuvre dans le SPRF, mais ils sont deux fois plus susceptibles de toucher un faible salaire. Les employés qui touchent un faible salaire sont moins susceptibles d'être syndiqués (17 %) que l'ensemble des employés (34 %). Une faible rémunération dans le SPRF n'est pas nécessairement une caractéristique de l'emploi des jeunes, car 80 % des employés qui touchent une faible rémunération ont 25 ans ou plus. La faible rémunération n'est pas non plus confinée aux emplois de premier échelon ou aux employés nouvellement embauchés, car 38 % travaillent pour leur employeur depuis une période d'un an à quatre ans et 35 %, depuis cinq ans ou plus.

Figure 6 : Proportion d'employés appartenant à des groupes démographiques particuliers qui ont un faible salaire par rapport à l'ensemble de la main-d'œuvre du SPRF, de janvier 2018 à février 2019
Figure 6 : Proportion d'employés appartenant à des groupes démographiques particuliers qui ont un faible salaire par rapport à l'ensemble de la main-d'œuvre du SPRF, de janvier 2018 à février 2019
Figure 6 – Version textuelle
Caractéristiques personnelles Tous les employés (915 000) Employés temporaires (50 000) Employés à temps partiel (93 000) Travailleurs autonomes sans employés (60 000)
Femmes 39 % (357 000) 45 % (23 000) 53 % (49 000) 7 % (4 000)
Hommes 61 % (558 000) 55 % (28 000) 47 % (44 000) 93 % (56 000)
Autochtones 4 % (37 000) 5 % (3 000) 3 % (3 000) 5 % (3 000)
Personnes nées au Canada 70 % (641 000) 67 % (34 000) 73 % (68 000) 42 % (25 000)
Rémunération < 15 $ 7 % (64 000) 13 % (7 000) 17 % (16 000) pas de données
55 ans et plus 20 % (183 000) 18 % (9 000) 25 % (23 000) 30 % (18 000)
  • Source : Totalisations faites par le Comité à partir de microdonnées de l'EPA de 2018 et de 2019. L'EPA ne traite pas le SPRF séparément, de sorte que ces chiffres sont des estimations établies par le Comité d'après les meilleures approximations. Voir les recommandations relatives aux données dans le chapitre 7 sur les enjeux transversaux.

Trois des quatre provinces qui comptent les plus fortes concentrations d'activités fédérales ont un salaire minimum fixé à un seuil de 15 $ l'heure ou qui s'en rapproche (Alberta, Colombie-Britannique et Ontario). Ces provinces comptent plus de la moitié (64 %) des employés dans le SPRF.

Ce que nous apprend la recherche

Le salaire minimum peut avoir de nombreuses répercussions quant aux résultats sur le marché du travail. Au moment de choisir le salaire minimum approprié à un moment précis dans le temps et de le rajuster au fil du temps, il est important de tenir compte aussi bien des effets positifs que négatifs. Cela permettra de trouver plus facilement le niveau d'équilibre, c'est-à-dire le niveau où le salaire minimum représente des avantages importants sans entraîner de coûts inutilement élevés. Il y aura toujours des compromis à faire, quel que soit le niveau du salaire minimum, car toute option aura des avantages et des inconvénients.

Nous résumons ci-dessous l'état des connaissances au sujet des conséquences des salaires minimums. Nous mettons particulièrement l'accent sur les études canadiennes et sur certaines études pertinentes des États-Unis (É.-U.) et du Royaume-Uni (R.-U.), deux pays dont les institutions du marché du travail sont semblables à celles du Canada.

Effets d'entraînement

Les effets d'entraînement sont les répercussions des hausses du salaire minimum sur la rémunération des travailleurs dont le salaire avant la hausse était supérieur au salaire minimum original ou au nouveau salaire minimum. Il existe maintenant un important corpus de recherche sur les effets d'entraînement aux É.-U., au R.-U. et au Canada. Dans tous ces trois pays, on a pu mettre en évidence l'existence des effets d'entraînement provenant des hausses du salaire minimum.

Deux études récentes ont montré que des changements dans le salaire minimum avaient des effets d'entraînement dans le marché du travail canadien. Fortin et Lemieux (2015) ont trouvé des effets marqués chez les hommes comme chez les femmes au 5e centile et des effets un peu moindres au 10e et au 15e centiles. Les effets sont généralement d'une plus grande amplitude chez les femmes. Les travaux de Campolieti (2015) font ressortir des résultats de moindre ampleur : des effets d'entraînement ont été observés jusqu'au 5e centile de la courbe des salaires chez les hommes et jusqu'au 10e centile chez les femmes. Rien ne démontre que des effets d'entraînement se manifestent aux centiles plus élevés.

Fortin et Lemieux ont également constaté des différences importantes dans les effets du salaire minimum entre 1997 et 2005 et entre 2005 et 2013. Entre1997 et 2005, les salaires minimums réels sont demeurés stables ou ont diminué dans la plupart des provinces, tandis que depuis 2005, les salaires minimums ont augmenté plus rapidement que l'inflation. Entre 1997 et 2005, les changements dans les salaires minimums ont exercé une modeste pression à la baisse dans la partie inférieure de la courbe des salaires, tandis que depuis 2005, les effets des salaires minimums se sont manifestés dans la direction opposée et ils étaient d'une amplitude beaucoup plus élevée.

Les deux études ont examiné un grand nombre de changements dans les salaires minimums dans les provinces canadiennes sur une longue période. Certaines de ces augmentations ont été relativement faibles en pourcentage (la plupart se situent entre 5 % et 10 %), tandis que d'autres ont été beaucoup plus importantes (quelques-unes ont dépassé 20 %). Les estimations faites par leurs auteurs reflètent divers changements dans les politiques et il est possible qu'elles aient sous-évalué ou surévalué les résultats attendus de tout rajustement d'un salaire minimum particulier.

Autrement dit, les hausses des salaires minimums augmentent la rémunération des travailleurs qui touchent le salaire minimum, mais aussi celle des employés dont le salaire n'est que légèrement supérieur au salaire minimum. L'influence des salaires minimums sur l'inégalité des revenus et la pauvreté peut donc s'exercer au-delà des travailleurs qui touchent le salaire minimum pour se répercuter sur d'autres groupes d'employés. Toutefois, rien n'indique que des salaires minimums plus élevés influencent les taux de salaire des travailleurs à revenu moyen ou élevé.

Répercussions sur l'inégalité des salaires et du revenu

L'augmentation de l'inégalité des salaires et du revenu au cours des quatre dernières décennies dans beaucoup de pays développés a soulevé beaucoup d'attention et fait l'objet de nombreuses recherches sur ses causes et ses conséquences. Le consensus dans la littérature est que les changements technologiques et la mondialisation de la production sont les causes dominantes de l'augmentation de l'inégalité. Toutefois, des preuves convaincantes montrent que des changements dans les institutions du marché du travail – particulièrement le recul de la syndicalisation et des changements dans les salaires minimums – sont également des facteurs ayant des répercussions sur l'augmentation de l'inégalité.

Autor, Manning et Smith (2016) concluent que des changements dans les salaires minimums aux É.-U. ont contribué à l'augmentation de l'inégalité pendant les périodes au cours desquelles les salaires minimums reculaient en termes de pouvoir d'achat. Des études menées au R.-U., comme celles de Dickens et Manning (2004) et de Stewart (2012), ont conclu que l'adoption d'un salaire minimum national à la fin des années 1990 au R.-U. avait exercé une influence importante au bas de la courbe de distribution des salaires (les 20 % inférieurs) et qu'une tendance modérée à l'augmentation de l'inégalité s'observait dans ce pays.

Au Canada, l'inégalité des salaires et du revenu mesurée par l'indice de Gini (mesure fréquemment utilisée pour mesurer le degré général d'inégalité dans un pays ou dans une région) a augmenté de façon marquée pendant années 1980 et les années 1990 et est demeurée relativement stable à ces niveaux plus élevés depuis 2000 (Green, Riddell et St-Hilaire, 2016)Note de bas de page 10.

Fortin et Lemieux (2015) concluent que les changements dans les salaires minimums entre 1997 et 2013 ont joué un rôle clé dans les tendances de l'inégalité salariale au Canada. Ils comparent les changements réellement produits dans l'inégalité salariale à leurs valeurs estimées qui se seraient produites si les salaires minimums étaient restés demeurés constants par rapport au coût de la vie.

Fortin et Lemieux ont constaté qu'entre 1997 et 2003, la diminution des salaires minimums en termes de pouvoir d'achat a exercé une légère influence sur l'augmentation de l'inégalité à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La hausse des salaires minimums réels dans beaucoup de provinces depuis le début des années 2000 a exercé une forte influence sur les pressions modératrices de l'inégalité pendant cette période. Les auteurs ont constaté que les effets de réduction de l'inégalité étaient plus importants chez les femmes qui étaient plus fortement représentées que les hommes parmi les travailleurs qui touchent le salaire minimum et les employés à faible salaire.

Fortin et Lemieux ont également constaté que les effets de réduction de l'inégalité attribuables à des salaires minimums plus élevés sont plus forts au bas de la courbe des salaires – au 5e et au 10e centiles – et plus faibles, mais encore évidents, au 15e centile. Les hausses des salaires minimums n'avaient pas de répercussions sur les salaires au-delà du 20e centile de la distribution, ni chez les hommes ni chez les femmes.

La pauvreté

De nombreuses études aux É.-U. comme au Canada ont conclu que le lien entre les salaires minimums et la pauvreté est relativement faibleNote de bas de page 11. Ces études notent que plusieurs travailleurs payés au salaire minimum sont des adolescents de familles à revenu moyen et à revenu élevé. Un autre groupe important de travailleurs qui sont payés au salaire minimum se compose de jeunes adultes qui fréquentent le collège ou l'université et qui vivent chez leurs parents (Morissette et Dionne-Simard, 2018). Beaucoup de ces étudiants qui combinent études et travail viennent également de familles à revenu moyen. Ces deux enjeux seront peut-être moins pertinents dans le SPRF, où il y a moins d'adolescents et d'étudiants à temps plein parmi les travailleurs qui touchent le salaire minimum fédéral.

Deuxièmement, dans beaucoup de familles pauvres, certaines personnes travaillent très peu, voire pas du tout, de sorte que les changements dans les salaires minimums ont peu ou pas d'impact sur leur revenu familial. Parmi ceux qui ont un emploi, les travailleurs qui touchent le salaire minimum font moins d'heures de travail que les travailleurs situés en haut de la courbe salariale. Par exemple, Fortin et Lemieux (2000) ont constaté que les travailleurs qui touchaient le salaire minimum constituaient 6 % de la population active, mais qu'ils ne faisaient que 3,6 % des heures totales.

Toutefois, il y a lieu de croire que la relation entre les changements dans les salaires minimums et la pauvreté peut être plus forte aujourd'hui que par le passé. Tout comme les salaires minimums réels qui ont augmenté substantiellement au cours des 15 dernières années, la composition de la main-d'œuvre qui touche le salaire minimum a elle aussi changé. Par exemple, Morissette et Dionne-Simard (2018) ont comparé la composition de la main-d'œuvre touchant le salaire minimum au premier trimestre de 2017 et au premier trimestre de 2018 pour constater que la proportion des travailleurs payés au salaire minimum ayant moins de 25 ans a reculé, passant de 52 % au début de 2017 à 43 % au début de 2018.

Green (2016) fait valoir que l'augmentation du salaire minimum à 15 $ l'heure au Canada aurait vraisemblablement des effets négatifs sur l'emploi, particulièrement chez les adolescents, mais aurait le potentiel de réduire la pauvreté parce qu'une plus grande proportion de travailleurs touchant le salaire minimum serait composée d'adultes plus âgés, dont certains seraient le principal soutien de leur famille.

Selon qu'on utilise une mesure relative ou une mesure absolue de la pauvreté, les taux de pauvreté au Canada sont demeurés stables ou ont diminué considérablement au cours des dernières années (Heisz, 2016). Pendant cette période, les salaires minimums ont augmenté substantiellement par rapport au coût de la vie. Il est clairement nécessaire de déterminer si ce recul de la pauvreté peut s'expliquer en partie par les récentes hausses des salaires minimums. Cette lacune dans nos connaissances revêt de l'importance non seulement pour le SPRF, mais aussi pour la Stratégie de réduction de la pauvreté que le gouvernement fédéral a annoncée récemmentNote de bas de page 12. Nous examinons cette question plus à fond dans le contexte de notre recommandation relative à une commission indépendante de recherche sur les faibles salaires.

Réactions des employeurs et effets de déplacement de l'emploi

De nombreuses recherches ont été menées, particulièrement aux É.-U., pour comprendre l'ampleur de tout effet de déplacement de l'emploi attribuable à des changements dans les salaires minimums et les facteurs qui influencent ces effets négatifs. Avant les années 1990, le consensus était qu'une hausse de 10 % du salaire minimum se traduirait par un recul d'entre 1 % et 3 % de l'emploi et que les adolescents et les jeunes adultes seraient les plus touchés. Les estimations se basaient principalement sur des séries de données chronologiques illustrant les changements dans le salaire minimum fédéral des É.-U. Toutefois, et notamment parce que le salaire minimum fédéral aux É.-U. demeurait à un faible niveau, un certain nombre d'États ont commencé à augmenter les salaires minimums qui relevaient de leur compétence au début des années 1990. Cela a permis d'utiliser les variations intersectorielles entre les États pour analyser les effets des salaires minimums.

Dans leur étude phare, Card et Krueger (1994) n'ont observé aucun recul de l'emploi dans les établissements de restauration rapide du New Jersey après une hausse du salaire minimum dans un État voisin (la Pennsylvanie). Cette constatation a remis en question le consensus et a donné lieu à de nombreuses recherches par la suite. Ces recherches ont été facilitées par une variation régionale accrue dans les salaires minimums en raison de l'importance croissante des salaires minimums dans les États – qui couvrent dorénavant plus de la moitié de la population active des É.-U. – pendant une période au cours de laquelle le salaire minimum fédéral n'a pas changé. Des études récentes ont eu recours à des données régionales détaillées pour examiner les changements dans le salaire minimum qui ont lieu dans des comtés contigus qui chevauchent des frontières entre États. Les études de ce genre constatent que les effets de déplacement de l'emploi sont généralement limités, voire inexistants (voir par exemple Dube, Lester et Reich, 2016).

Les conclusions de Card et Krueger ont été contestées. Ainsi, Neumark et Wascher (2000) et Card et Krueger (2000) ont réévalué « l'expérience naturelle » entre le New Jersey et la Pennsylvanie au moyen de diverses séries de données de corroboration et ont obtenu des résultats contradictoires, même si les effets estimés positifs et négatifs étaient relativement limités. Les conclusions d'études récentes dans des comtés contigus chevauchant des frontières entre États ont elles aussi été remises en questionNote de bas de page 13.

Au Canada, le fait que l'établissement du salaire minimum relève principalement des autorités provinciales et territoriales facilite la recherche dans ce domaine, car cela permet d'utiliser des séries de données chronologiques et des variations entre juridictions dans les rajustements des salaires minimums. Comme l'a souligné Baker (2005), les données canadiennes, qui portent sur une longue période pendant laquelle on peut observer à la fois des dans laquelle il existe à la fois des variations temporelles et transversales dans les rajustements des salaires minimums, se prêtent mieux à l'examen des impacts des salaires minimums que les données des États-Unis et du Royaume-Uni.

Benjamin, Baker et Stanger (1999) ont examiné les impacts des hausses de salaires minimums au Canada qui remontent au début des années 1990, après que les salaires minimums réels ont reculé à de faibles niveaux (voir la Figure 7). Ils n'ont constaté aucun effet de déplacement de l'emploi à court terme (un ou deux ans après l'augmentation), mais leurs estimations tendent à montrer qu'il y aurait des effets négatifs importants à plus long terme, particulièrement chez les jeunes travailleurs. Ces conclusions ont été confirmées par diverses études ultérieures (Baker, 2005; Campolieti, Fang et Gunderson, 2005; Campolieti, Gunderson et Riddell, 2006; Brochu et Green, 2013) qui ont conclu que les jeunes travailleurs avaient connu un recul de l'emploi d'entre 3 % et 5 % après une hausse de 10 % du salaire minimum.

La littérature canadienne montre aussi que des effets de déplacement de l'emploi peuvent être une conséquence négative de l'augmentation des salaires minimums dont les décideurs devraient tenir compte. Ces effets sont plus évidents chez les adolescents et les jeunes adultes, qui constituent une proportion importante des employés au salaire minimum dans de nombreuses juridictions canadiennes.

Il est important pour la politique du salaire minimum que l'on comprenne les facteurs qui influencent l'ampleur de tout effet de déplacement possible de l'emploi et les circonstances dans lesquelles il se produit. La période de rajustement est un facteur qui entre en considération : les répercussions négatives sont plus susceptibles d'être plus importantes à long terme qu'à court terme, car certains rajustements comme les technologies qui vont permettre de réaliser des économies de main-d'œuvre peuvent prendre beaucoup plus de temps à concevoir, à acheter et à installer.

Une autre façon dont les employeurs réagissent aux coûts accrus qui découlent de changements dans le salaire minimum est d'augmenter les prix de leurs produits. Pareille hausse peut se traduire à son tour par une réduction de l'emploi dans l'industrie, car les consommateurs adapteront leurs habitudes de dépense si les coûts accrus entraînés par les hausses du salaire minimum ont pour effet d'augmenter les prix des produits. Ce phénomène peut à son tour avoir pour effet de réduire l'emploi dans le secteur d'activité à mesure que les consommateurs modifient leurs habitudes de dépense à la suite de changements dans les prix relatifs et réduisent leurs achats des biens et services produits par les employés à faible salaire. De tels rajustements prennent du temps à se manifester, de sorte qu'ils ne seront pas observés dans les études qui se concentrent sur les effets à court terme.

La capacité des entreprises d'augmenter les prix des produits influence également les effets de déplacement de l'emploi. Campolieti (2018) examine les effets des salaires minimums sur l'emploi et les prix dans le secteur canadien de la restauration. Entre 1983 et 2000, période pendant laquelle les hausses du salaire minimum ont été modestes, les restaurants pouvaient répercuter l'augmentation des coûts sur les consommateurs et ils ne réduisaient pas l'emploi. Dans la période plus récente de 2011 à 2016, Campolieti a constaté qu'il y avait eu des effets négatifs modérément importants au chapitre de l'emploi et que les prix pratiqués par les restaurants n'avaient pas été répercutés aussi largement sur les consommateurs. Harasztosi et Lindner (2018) ont analysé une forte augmentation du salaire minimum en Hongrie pour constater que les entreprises dans le secteur des exportations ont connu d'importantes pertes d'emploi, mais que les entreprises dans les secteurs des produits non exportables et des services ont connu des baisses moins importantes de l'emploi et ont augmenté leurs prix. Ces études illustrent les compromis qu'il faut faire au moment de choisir les niveaux appropriés du salaire minimum.

Des salaires minimums plus élevés ont pour effet de réduire l'écart entre les travailleurs peu spécialisés et les employés plus spécialisés. Certains employeurs réagissent en remplaçant des travailleurs peu spécialisés qui sont payés au salaire minimum par des travailleurs plus productifs. Ainsi, une récente étude américaine a conclu que les entreprises qui embauchent des travailleurs dans des professions à faible salaire avaient relevé leurs critères d'embauche à la suite d'augmentations du salaire minimum dans l'État (Clemens, Kahn et Meer, 2018), ce qui a eu pour effet de limiter les débouchés pour les travailleurs les moins qualifiés.

En résumé, les salaires minimums peuvent avoir de nombreuses conséquences, positives comme négatives. Les éléments de preuve recueillis au Canada au sujet des effets de déplacement de l'emploi sont plus systématiquement négatifs qu'aux É.-U. (et qu'au R.-U., dont il sera question ci-dessous). Il sera important d'examiner les raisons qui expliquent ces différences dans les recherches futures. Une autre question importante pour les recherches futures est celle des conséquences de hausses substantielles qui ont été apportées récemment au salaire minimum dans plusieurs des provinces les plus peuplées. Nous reviendrons plus loin sur la question de la recherche sur les salaires minimums à l'avenir.

Les politiques du salaire minimum dans d'autres juridictions

Il y a des politiques du salaire minimum dans plus de 100 pays aujourd'hui. On peut aborder la réglementation des salaires minimums dans deux perspectives différentes. Les salaires minimums peuvent être établis au niveau national ou au niveau infranational au moyen d'une loi qui s'applique à tous les employés à certaines exceptions près, par exemple l'âge. C'est la pratique qui a généralement cours au Canada à l'heure actuelle, comme on l'a vu plus tôt.

Ou encore les salaires peuvent être établis par secteur ou dans le cadre de conventions collectives, le salaire minimum se situant le plus souvent entre 60 % et 70 % des taux salariaux moyens. On trouve des mécanismes d'établissement des salaires minimums de ce genre dans divers pays, notamment la Suède, la Finlande, la Norvège, le Danemark, la Suisse, l'Islande et l'Italie. Les pays qui déterminent les salaires collectivement ont tendance à avoir des minimums salariaux plus généreux et moins d'inégalité salariale de manière générale, mais nécessitent des taux de couverture syndicale élevés (McBride et Muirhead, 2016).

Comme on observe un recul de la syndicalisation dans de nombreux pays, le modèle de l'établissement collectif des salaires est en train d'être remplacé dans certaines juridictions par des régimes de salaire minimum statutaire à l'échelle nationale. L'Irlande, le Royaume-Uni et plus récemment l'Allemagne ont adopté des salaires minimums statutaires nationaux pour contrer le phénomène du recul de la syndicalisation et d'autres facteurs (McBride et Muirhead, 2016).

Royaume-Uni

Le recul de la couverture syndicale et des commissions salariales et l'augmentation de l'inégalité des revenus tout au long des années 1980 et 1990 ont donné lieu à l'adoption d'un salaire minimum statutaire et à la mise sur pied d'une commission indépendante sur les faibles salaires (appelée « Low Wage Commission ») au R.-U. en 1999. Initialement fixé à 45 % du revenu médian (pour les personnes de 25 ans et plus), le salaire minimum avait augmenté le salaire de 1,5 million de travailleurs à bas salaire. Pendant la plus grande partie des deux dernières décennies, la proportion des personnes dont le salaire horaire était inférieur à la mesure du faible salaire (66 % de la médiane) est demeurée à environ 20 %. Mais les choses ont changé en avril 2016, lorsque le R.-U. s'est doté d'une politique du « salaire suffisant ». Le salaire minimum a ensuite été établi à 56 % de la rémunération médiane et il devrait augmenter à 60 % d'ici octobre 2020. L'objectif est de veiller à ce que « le travail paie et réduit la dépendance envers l'État pour assurer un supplément de rémunération par l'entremise du régime des prestations sociales ».

La Commission sur les faibles revenus a pour mandat de faire des recherches sur les effets des hausses du salaire minimum et de présenter au gouvernement des recommandations annuelles au sujet du rajustement du salaire minimum. Après avoir surveillé la politique du salaire minimum pendant 20 ans, la conclusion est qu'il y a peu de preuves démontrant que les augmentations du salaire minimum ont eu des répercussions négatives sur les emplois ou les investissements des entreprises et que même s'il y a eu une hausse des prix au début, lors de l'adoption du salaire minimum en 1999, les augmentations suivantes du salaire minimum n'ont pas eu le même effet. De plus, même si la rémunération est plus étroitement comprimée pour les personnes qui touchent moins de 60 % de la médiane, la Commission sur les faibles salaires estime que la proportion des travailleurs qui ont profité directement ou indirectement du salaire minimum peut aller jusqu'à 30 %.

Les deux grands partis politiques de la Grande-Bretagne se sont engagés à poursuivre leurs efforts pour s'attaquer aux bas salairesNote de bas de page 14. Philip Hammond, chancelier de l'Échiquier du gouvernement actuel du Parti conservateur, a promis de recourir au salaire minimum pour atteindre l'objectif ultime de mettre fin aux faibles salaires dans le R.-U. (Savage, 2019). Compte tenu de la définition internationale, cela nécessiterait d'établir le salaire minimum aux deux tiers de la rémunération médiane. Le Parti travailliste s'est engagé à relever le salaire minimum à 10 ₤ s'il est élu, ce qui représenterait 69 % du salaire horaire médian en 2022 (Cowburn, 2019).

États-Unis

Aux États-Unis, le salaire horaire minimum fédéral est gelé à 7,25 $ US depuis dix ans. Le salaire minimum est d'application obligatoire dans 21 États. Faute de rajustements au salaire minimum fédéral, les capitoles des États et les hôtels de ville dans d'autres juridictions se sont montrés plus actifs en adoptant leurs propres salaires minimums. En 2019, 21 États et 39 villes et comtés vont relever leur salaire minimum (NELP, 2018).

Si on fait la moyenne des niveaux prévus dans toutes les lois fédérales, les lois des États et les lois locales sur le salaire horaire minimum, on peut conclure que le niveau du salaire minimum aux É.-U sera de 11,80 $ l'heure (15,84 $ CA) en 2019. Des variations régionales persistent. Ainsi, dans l'État de New York, le salaire minimum est de 13,73 $, soit 62 % du salaire horaire médian dans l'État; au New Hampshire, par ailleurs, le salaire minimum de 7,25 $ US (9,73 $ CA) est établi au taux fédéral et il représente seulement 30 % du salaire horaire médian (Tedeschi, 2019).

Ce que nous avons entendu

Au cours des consultations, des travailleurs non syndiqués et des syndicats nous ont dit qu'un salaire minimum commun pour les travailleurs du SPRF serait le bienvenu. Ils ont dit qu'un salaire minimum fédéral commun égaliserait les règles du jeu pour les employés d'entreprises pancanadiennes au moment de négocier des salaires en se basant sur un socle commun plutôt qu'une mosaïque disparate de salaires minimums établis selon divers taux provinciaux ou territoriaux.

Des syndicats nous ont dit qu'il serait plus facile d'établir des grilles salariales pour des conventions collectives pancanadiennes s'il y avait un salaire minimum commun, de sorte qu'il ne serait plus nécessaire de s'aligner par exemple sur un salaire minimum peu élevé de 11,16 $ en Saskatchewan et sur un salaire minimum plus élevé, soit 15 $, dans la province voisine, l'Alberta. De leur point de vue, un salaire minimum fédéral commun éliminerait l'injustice et l'inégalité entre les travailleurs du SPRF dont le salaire minimum diffère selon la province ou le territoire.

Les syndicats, les travailleurs et certains experts étaient en faveur d'un salaire minimum fédéral universel et pensaient généralement qu'il devrait être de 15 $ l'heure, parce qu'un tel salaire pourrait permettre d'améliorer les conditions de vie des travailleurs précaires, de renforcer la stabilité d'emploi, de limiter le roulement et de réduire l'écart salarial entre les sexes. Beaucoup de travailleurs et de syndicats voyaient un salaire minimum fédéral comme une mesure de lutte contre la pauvreté et étaient d'avis que le gouvernement fédéral devrait aider les particuliers à sortir de la pauvreté et faire preuve d'un leadership dont les provinces et territoires pourraient s'inspirer. Les travailleurs et les syndicats ont fait remarquer qu'en cas de sous-traitance à répétition dans certains secteurs, comme dans les aéroports, les travailleurs se retrouvent généralement ramenés au salaire minimum. Dans ce contexte, un salaire minimum fédéral plus élevé que le taux provincial serait avantageux pour ces personnes.

Le statu quo, c'est-à-dire la formule du salaire minimum fédéral établi en fonction des taux de salaire minimum des provinces et des territoires, était préconisé par la plupart des groupes d'employeurs, mais n'avait pas le soutien des syndicats, des travailleurs, des organisations du travail ni des groupes de la société civile.

Dans les consultations avec les employeurs et leurs organisations patronales, la réaction à un salaire minimum commun était plus mixte. Beaucoup de grands employeurs dans le SPRF ont dit que les salaires minimums ne représentaient pas un enjeu important pour eux parce que peu d'employés, voire aucun, n'étaient payés au salaire minimum dans leur entreprise ou dans leur secteur d'activité. Toutefois, certains employeurs ont dit que les taux salariaux devraient être considérés parallèlement aux pensions de retraite et à d'autres avantages offerts par une entreprise.

Certains employeurs et organisations patronales se sont dits préoccupés à l'idée qu'un salaire minimum fédéral supérieur à celui de certaines provinces ou territoires puisse accroître les pressions en faveur de hausses des salaires minimums au niveau provincial ou territorial, particulièrement dans les juridictions dont les salaires minimums sont moins élevés. Certains employeurs ont dit qu'un salaire minimum commun créerait des inégalités entre des personnes qui occupent des emplois semblables, mais dont les taux de salaire minimum sont différents (fédéral et provincial ou territorial). Certains pensaient qu'un salaire minimum plus élevé dans le SPRF pourrait améliorer le recrutement d'employés.

Conclusions et recommandations

On en sait plus aujourd'hui sur les effets (positives et négatives) des hausses du salaire minimum, ce qui s'explique en grande partie par les recherches assez nombreuses qui ont été menées ces dernières années. Ces recherches ont démontré les conséquences des hausses du salaire minimum dans certaines juridictions et elles confirment généralement que les estimations précédentes des conséquences négatives sur l'emploi tendaient à être surestimées, bien que les travailleurs plus jeunes et qui possèdent peu de compétences puissent continuer d'en subir des conséquences négatives et que les entreprises des secteurs des exportations puissent elles aussi avoir des défis à surmonter. De plus, de solides éléments de preuve montrent que les hausses du salaire minimum peuvent jouer un rôle lorsqu'il s'agit d'atténuer l'inégalité des revenus.

Il n'existe toutefois pas de moyen facile de modéliser les répercussions précises des hausses du salaire minimum sur les niveaux d'emploi, les prix à la consommation, la compétitivité des entreprises et un éventail d'autres enjeux pour ceux relevant d'une compétence législative particulière, comme les entreprises du SPRF au Canada. Ces incertitudes posent des défis particuliers, compte tenu des marchés du travail et des économies uniques de chaque province et de chaque territoire dans un pays aussi vaste et aussi diversifié sur le plan économique que le Canada. Les constatations faites en Hongrie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, voire au Canada, ne sont pas facilement transférables dans le contexte particulier du SPRF.

Dans ces circonstances, le Comité est convaincu qu'il existe des solutions préférables à la démarche actuelle qui consiste à aligner le salaire minimum fédéral sur les taux provinciaux ou territoriaux.

Statu quo

Le statu quo peut se traduire – et se traduit souvent – par de longues périodes au cours desquelles le salaire minimum demeure inchangé dans certaines provinces ou certains territoires et finit par reculer régulièrement en termes de pouvoir d'achat. Ces périodes sont souvent suivies d'une hausse rapide et importante du salaire minimum, habituellement après l'élection d'un nouveau gouvernement, et cette hausse donne lieu à des augmentations du salaire minimum fédéral. Cette évolution en dents de scie se retrouve dans une certaine mesure dans l'ensemble des provinces et des territoires, mais particulièrement en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique.

La Figure 7 illustre l'évolution du salaire minimum réel moyen au Canada depuis 1970 en dollars constants de 2018Note de bas de page 15. On peut y voir clairement que les taux des salaires minimums provinciaux ont connu des hauts et des bas pendant cette période. Le salaire minimum moyen se situe à un niveau historiquement élevé, mais en termes de pouvoir d'achat, il n'est que d'environ 10 % plus élevé que dans le milieu des années 1970, et ce, après plus de quatre décennies de croissance économique.

Figure 7 : Salaire minimum moyen réel, Canada, en dollars de 2018
Figure 7 : Salaire minimum moyen réel, Canada, en dollars de 2018
Figure 7 – Version textuelle

Ce graphique montre l'évolution du salaire minimum moyen réel au Canada entre 1970 et 2018. Les chiffres ont été rajustés en dollars de 2018. Le salaire moyen a connu des augmentations et des diminutions au fil de ces années.

En 1970, le salaire minimum s'établissait à un peu plus de 8 $ l'heure. Il a augmenté jusqu'au milieu des années 1970 pour culminer à un peu moins de 12 $ l'heure, puis il a suivi une tendance à la baisse jusqu'à la fin des années 1980, où il est retombé à approximativement 8 $ l'heure. Le salaire horaire minimum a augmenté à nouveau au début des années 1990 pour atteindre environ 9 $. Il est retombé à 8 $ au début des années 2000 et il a augmenté régulièrement depuis jusqu'à environ 13 $ en 2018.

Le graphique révèle une évolution en dents de scie qui permet de penser qu'en dépit de ces fluctuations de plus grande amplitude, le salaire minimum moyen a continué d'augmenter et de diminuer légèrement à l'intérieur d'une fourchette d'environ un dollar.

  • Source : Totalisations faites par le Comité à partir de données mensuelles sur les salaires minimums provinciaux pondérées au moyen des données mensuelles sur l'emploi de l'EPA. Les rajustements faits pour tenir compte de l'évolution du coût de la vie se fondent sur l'Indice des prix à la consommation.

La Figure 8 et la Figure 9 illustrent le comportement des salaires minimums réels dans les provinces selon leur poids démographique entre 1970 et 2019. Il y a des différences dignes de mention entre les provinces, particulièrement les provinces plus peuplées. Dans plusieurs provinces (par exemple la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario), le salaire minimum est demeuré inchangé pendant de longues périodes, ce qui équivaut à un recul constant en termes de pouvoir d'achat. Par exemple, en 2002, la Colombie-Britannique (C.-B.) affichait le salaire minimum le plus élevé parmi les provinces les plus peuplées, mais le salaire minimum n'y a pas été rajusté avant 2011. Pendant cette période, le salaire minimum réel a été régulièrement érodé par l'inflation, de sorte que la C.-B. a le salaire minimum le plus faible des provinces de ce groupe. Même s'il est moins prononcé, on observe aussi un recul du pouvoir d'achat dans les provinces moins peuplées du fait que les salaires minimums n'y ont pas été rajustés en termes de dollars nominaux pendant de longues périodes.

Figure 8 : Salaire minimum réel, provinces peuplées, en dollars de 2018
Figure 8 : Salaire minimum réel, provinces peuplées, en dollars de 2018
Figure 8 – Version textuelle

Ce graphique montre l'évolution des salaires minimums réels dans les grandes provinces, c'est-à-dire la Colombie-Britannique, l'Ontario, le Québec et l'Alberta, entre 1970 et 2019. Les chiffres ont été rajustés en dollars de 2018.

Le graphique illustre l'évolution du salaire minimum de ces provinces pendant la période de référence. Même si les tendances observées dans ces provinces diffèrent légèrement les unes des autres, chacune suit une courbe généralement semblable. Les salaires minimums de chacune de ces provinces ont augmenté pendant les années 1970 pour culminer entre 11 $ et un peu plus de 13 $ l'heure. Ils ont ensuite commencé à diminuer dans la deuxième moitié des années 1970 pour atteindre un plancher oscillant entre un peu moins de 7 $ et plus de 8 $ à la fin des années 1980.

Depuis les années 1990, les salaires horaires minimums réels de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec ont généralement augmenté pour se situer entre un peu moins de 12 $ et un peu moins de 13 $ aujourd'hui. En Alberta, le salaire minimum réel a suivi une courbe différente de celle des autres grandes provinces dans les années 1990 et au début des années 2000, car il est demeuré à un taux d'approximativement 7 $ à 8 $ l'heure. Depuis le milieu des années 2000, le salaire minimum réel de l'Alberta a augmenté pour se situer un peu en dessous de 15 $ l'heure.

Le graphique illustre le salaire minimum réel, et les valeurs à la baisse reflètent une diminution du pouvoir d'achat. En effet, le salaire minimum provincial était fixé durant cette période, de sorte qu'il a subi une érosion attribuable à l'inflation.

Le graphique révèle une évolution en dents de scie qui permet de penser qu'en dépit de ces fluctuations de plus grande amplitude, les salaires minimums réels ont continué d'augmenter et de diminuer légèrement à l'intérieur d'une fourchette d'environ un dollar.

  • Source : Totalisations faites par le Comité à partir de données mensuelles sur les salaires minimums provinciaux pondérées au moyen des données mensuelles sur l'emploi de l'EPA. Les rajustements faits pour tenir compte de l'évolution du coût de la vie se fondent sur l'Indice des prix à la consommation.
Figure 9 : Salaire minimum réel, autres provinces, en dollars de 2018
Figure 9 : Salaire minimum réel, autres provinces, en dollars de 2018
Figure 9 – Version textuelle

Ce graphique montre l'évolution des salaires minimums réels entre 1970 et 2019 dans les autres provinces, c'est-à-dire Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan. Les chiffres ont été rajustés en dollars de 2018.

Le graphique illustre l'évolution du salaire minimum de ces provinces pendant la période de référence. Même si les tendances observées dans ces provinces diffèrent légèrement les unes des autres, chacune suit une courbe généralement semblable. Les salaires minimums de chacune de ces provinces ont augmenté pendant les années 1970 pour culminer entre 10 $ et un peu moins de 13 $ l'heure. Ils ont ensuite commencé à diminuer dans la deuxième moitié des années 1970 pour atteindre un plancher allant d'un peu moins de 7 $ à moins de 8 $ l'heure au début des années 1990.

Depuis les années 1990, les salaires minimums réels de ces provinces ont généralement suivi une tendance à la hausse pour se situer autour de 11 $ l'heure aujourd'hui.

Le graphique illustre le salaire minimum réel, et les valeurs à la baisse reflètent une diminution du pouvoir d'achat. En effet, le salaire minimum provincial était fixé durant cette période, de sorte qu'il a subi une érosion attribuable à l'inflation.

Le graphique révèle une évolution en dents de scie qui permet de penser qu'en dépit de ces fluctuations de plus grande amplitude, les salaires minimums réels ont continué d'augmenter et de diminuer légèrement à l'intérieur d'une fourchette d'environ un dollar.

  • Source : Totalisations faites par le Comité à partir de données mensuelles sur les salaires minimums provinciaux pondérées au moyen des données sur l'emploi de l'EPA mensuelle. Les rajustements faits pour tenir compte de l'évolution du coût de la vie se fondent sur l'Indice des prix à la consommation.

On observe également dans ces chiffres une tendance à des hausses rapides et importantes du salaire minimum provincial après ces longues périodes de stagnation des salaires minimums. De l'avis du Comité, ce n'est pas là une bonne politique publique en matière de salaires minimums. Les longues périodes pendant lesquelles les salaires minimums demeurent inchangés et sont régulièrement érodés par inflation ont pour effet de réduire le niveau de vie des employés qui gagnent un faible salaire, elles renforcent l'inégalité des revenus et elles sont un facteur contributif de la pauvreté.

Les fortes hausses subséquentes dans le salaire minimum imposent de difficiles rajustements aux employeurs qui emploient des travailleurs à faible salaire. Elles sont également des sources de perturbation pour les consommateurs qui ont besoin de s'adapter aux changements dans les prix des biens et services produits par les employés à faible salaire par rapport aux prix d'autres biens et services.

Comme on l'a vu plus tôt, un certain nombre de provinces et de territoires ont mis en place des mécanismes d'établissement des salaires minimums qui rajustent les taux salariaux en fonction de l'IPC sur une base annuelle. Ces mécanismes vont probablement atténuer les courbes en dents de scie qu'on a observées au cours des dernières décennies dans ces juridictions. Toutefois, il est également possible qu'ils soient abandonnés à l'avenir, ce qui augmenterait les risques de revenir à des changements rapides après de longues périodes de dormance. Il faut également savoir que trois des quatre provinces les plus peuplées (la Colombie-Britannique, le Québec et l'Alberta) n'ont pas de mécanisme de rajustement régulier des salaires minimums.

Un autre inconvénient du statu quo en matière de politique sur le salaire minimum est que cette formule n'est pas aussi efficace qu'elle pourrait l'être en matière d'amélioration de la capacité de gain des travailleurs qui touchent le salaire minimum et de réduction de l'inégalité des revenus. Un examen des taux du salaire minimum par rapport aux salaires en vigueur le confirme. La figure 10 illustre la relation entre les salaires minimums et les salaires médians des provinces en janvier 2019 ainsi que la relation prédite entre les deux (illustrée par la ligne continue).

Figure 10 : Régression linéaire entre le salaire horaire médian et le salaire minimum dans chaque province, janvier 2019
Figure 10 : Régression linéaire entre le salaire horaire médian et le salaire minimum dans chaque province, janvier 2019
Figure 10 – Version textuelle

Ce graphique montre la relation entre le salaire horaire médian provincial et le salaire minimum provincial, relation qui est illustrée par la droite de régression.

Les provinces qui se situent au-dessus de la droite de régression ont un salaire minimum faible par rapport à leur salaire horaire médian. Les provinces qui se situent en dessous ont un salaire minimum élevé par rapport à leur salaire horaire médian.

Les provinces qui se situent au-dessus de la droite de régression sont, dans l'ordre décroissant des salaires minimums, l'Alberta, la Colombie-Britannique, le Québec, Terre-Neuve et la Saskatchewan.

Les provinces qui se situent en dessous de la droite de régression sont, dans l'ordre décroissant des salaires minimums, l'Ontario, le Manitoba, l'Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Même si la Saskatchewan affiche un salaire horaire médian élevé, son salaire minimum se situe parmi les plus bas. L'Alberta, quant à elle, affiche le salaire minimum et le salaire horaire médian les plus élevés. La Nouvelle-Écosse affiche le salaire horaire médian et le salaire minimum les plus bas. Les salaires médians et les salaires minimums du Québec, de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et de l'Alberta se suivent généralement de près, comme le montre leur position à proximité de la droite de régression.

La Saskatchewan occupe actuellement le deuxième rang des provinces en termes de salaire, mais son salaire minimum est relativement faible, comme le montre la Figure 10. Terre-Neuve a elle aussi un salaire minimum qui est relativement faible par rapport à son salaire horaire médian. Comme les taux des salaires minimums dans ces juridictions sont faibles par rapport aux salaires courants, ils pourraient probablement être relevés sans risque significatif de conséquences négatives.

Le Comité s'est inspiré du principe selon lequel les normes, comme le salaire minimum, devraient assurer décence et salaire suffisants pour vivre. Nous croyons également que la politique du salaire minimum devrait jouer un rôle dans la réduction de l'inégalité des revenus. Comme on l'a vu plus tôt, des recherches menées dans différents pays, y compris celle de Fortin et Lemieux (2015) au Canada, concluent que des changements dans les salaires minimums jouent un rôle important dans la réduction de l'inégalité, particulièrement à l'extrémité inférieure de la distribution des salaires.

Recommandation 1 : Le Comité recommande qu'un salaire minimum fédéral indépendant soit établi et qu'il soit rajusté annuellement.

Options

Recommandation 2 : Le Comité propose deux options pour établir un salaire minimum fédéral :

  1. Un salaire minimum fédéral commun dans toutes les provinces et tous les territoires qui représenterait 60 % du salaire horaire médian de l'ensemble des personnes qui travaillent à temps plein au Canada;
  2. Un salaire minimum variable dans chaque province et chaque territoire et qui représenterait 60 % du salaire horaire médian.

Même si chacune de ces options présente des avantages et des inconvénients, que nous soulignons ci-dessous, les membres du Comité sont d'avis que le choix final de l'option retenue devrait faire l'objet d'une discussion vigoureuse et exhaustive au Cabinet et tenir compte des résultats des consultations auprès d'un vaste éventail d'intervenants, dont certains (y compris les gouvernements provinciaux et territoriaux) avec qui nous n'avons pas pu discuter en raison de contraintes de temps.

Le Comité a convenu à l'unanimité que l'une ou l'autre de ces options serait préférable au statu quo, bien que les membres du Comité ne se soient pas entendus à l'unanimité sur l'option qui serait préférable.

Option 1 : Un salaire minimum fédéral commun dans toutes les provinces et tous les territoires
Démarche

Selon Arthurs (2006), aucun travailleur ne devrait être payé si peu qu'après avoir travaillé à temps plein pendant une année complète, il a toujours moins d'argent qu'il ne lui en faudrait pour vivre au seuil de la pauvreté, et encore moins au-dessus. L'option 1 aurait pour objet de permettre à une personne qui travaille à temps plein à longueur d'année de sortir de la pauvreté, dans la mesure où le salaire minimum fédéral serait établi à 60 % du salaire horaire médian des travailleurs à temps pleinNote de bas de page 16 Note de bas de page 17. Ce salaire se situerait actuellement à 15 $ l'heure.

Le niveau de référence proposé équivaut au salaire minimum provincial/territorial le plus élevé à l'heure actuelle, c'est-à-dire 15 $ l'heure en Alberta, et il se situe juste au-dessus des taux de l'Ontario (14 $), de la Colombie-Britannique (13,85 $), des Territoires du Nord-Ouest (13,65 $) et du Nunavut (13 $).

Dans les juridictions où le salaire minimum est moins élevé, le rajustement du minimum fédéral serait significatif s'il se faisait en une seule fois. Même si le nombre réel d'employés et d'employeurs touchés était relativement peu élevé, une augmentation de cette envergure pourrait avoir des effets localisés importants. Par conséquent, dans les régions où le salaire minimum fédéral représenterait une augmentation de plus de 3 $ l'heure, sa mise en œuvre se ferait en deux étapes, de façon que la proportion visée de 60 % du salaire horaire médian national soit atteinte graduellement (voir le Tableau 3).

Tableau 3 : Mise en œuvre graduelle proposée du salaire minimum fédéral (Option 1)
Taux du salaire minimum horaire dans le SPRF en juin 2019 Première étape, 2019 Deuxième étape, 2020
Hausse $ Hausse % Taux Hausse $ Hausse % Taux
Alberta 15,00 $ 0 $ 0 15 $ 0 $ 0 15 $
Ontario 14,00 $ 1,00 $ 7 % 15 $ 0 $ 0 15 $
Colombie-Britannique 13,85 $ (14,60 $ en juin 2020; 15,20 $ en juin 2021) 1,15 $ 8 % 15 $ 0 $ 0 15 $
Territoires du Nord-Ouest 13,46 $ 1,54 $ 11 % 15 $ 0 $ 0 15 $
Nunavut 13,00 $ 2,00 $ 15 % 15 $ 0 $ 0 15 $
Yukon 12,71 $ 2,29 $ 18 % 15 $ 0 $ 0 15 $
Québec 12,50 $ 2,50 $ 20 % 15 $ 0 $ 0 15 $
Île-du-Prince-Édouard 12,25 $ 2,75 $ 22 % 15 $ 0 $ 0 15 $
Nouvelle-Écosse 11,55 $ 1,75 $ 13 % 13,30 $ 1,75 $ 13 % 15 $
Nouveau-Brunswick 11,50 $ 1,75 $ 13 % 13,25 $ 1,75 $ 13 % 15 $
Terre-Neuve-et-Labrador 11,40 $ 1,80 $ 16 % 13,20 $ 1,80 $ 14 % 15 $
Manitoba 11,35 $ (11,65 $ en octobre 2019) 1,83 $ 16 % 13,18 $ 1,82 $ 14 % 15 $
Saskatchewan 11,06 $ (11,32 $ en octobre 2019) 1,97 $ 18 % 13,02 $ 1,97 $ 15 % 15 $
  • Source : Taux des salaires minimums provinciaux et territoriaux en juin 2019; calculs du Comité.
Avantages possibles de l'option 1

En adoptant un salaire minimum fédéral à 15 $, le Canada s'alignerait sur de nombreuses économies avancées et sur divers partenaires commerciaux. Au R.-U., le salaire minimum correspond actuellement à 14,14 $ CA et il est prévu qu'il atteindra 60 % des salaires médians d'ici 2020. Aux É.-U., on observe un solide mouvement en faveur de la hausse du salaire minimum et si on fait une moyenne à partir de toutes les lois fédérales, lois au niveau des États et lois locales, on obtient un salaire minimum effectif qui atteindra 11,80 $ US (15,84 $ CA) l'heure aux États-Unis en 2019 (Tedeschi, 2019). Dans des économies comparables comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, les salaires minimums sont de 17,51 $ CA et de 15,16 $ CA respectivement et la Nouvelle-Zélande a pris l'engagement de relever son salaire minimum à 17,72 $ CA d'ici 2021.

Au Canada, un salaire minimum fédéral commun fixé à 60 % des salaires médians permettrait au gouvernement fédéral de jouer un rôle de leadership aux côtés de pays comme le R.-U. lorsqu'il s'agit de travailler à réduire les bas salaires et l'inégalité des revenus. Le pourcentage des employés à faible salaire parmi les employés dans le SPRF pourrait diminuer, comme ce fut le cas au R.-U.Note de bas de page 18.

Les répercussions de cette politique à l'échelle nationale seraient doubles. Premièrement, il y aurait des conséquences directes et, dans certains cas, significatives sur les coûts de la main-d'œuvre pour les employeurs du SPRF. Deuxièmement, des pressions à la hausse s'exerceraient sur les salaires minimums provinciaux et territoriaux et on observerait des écarts assez profonds entre le salaire minimum fédéral et les salaires minimums provinciaux et territoriaux dans les provinces et territoires où les salaires sont bas.

On peut faire valoir que les entreprises dans le SPRF exercent leurs activités dans des marchés caractérisés par des contraintes naturelles ou réglementaires en matière de concurrence, de sorte qu'elles pourraient absorber des hausses salariales (Arthurs, 2006). Dans ce contexte, les entreprises relevant de la réglementation fédérale ne sont pas vulnérables aux pressions de la mondialisation et au mouvement qu'on observe à l'étranger en faveur de la réduction des coûts de la main-d'œuvre.

Le SPRF au Canada se caractérise en majeure partie par des biens et services produits au pays qui ne sont pas commercialisés à l'international, de sorte qu'ils sont peut-être moins vulnérables aux effets des hausses salariales que les entreprises qui dépendent davantage des marchés d'exportation (Harasztosi et Linder, 2017). Quoi qu'il en soit, certains secteurs d'activité comme le camionnage et le transport aérien sont relativement plus exposés à la concurrence internationale et les chaînes d'approvisionnement à l'échelle mondiale dans certains autres secteurs d'activité pourront aussi occasionner des perturbations en cas de hausse du salaire minimum, particulièrement dans les provinces où les salaires sont moins élevés.

Selon des données du Programme du travail, les provinces de l'Atlantique prises ensemble comptent relativement peu d'employés du SPRF (8 % ou 73 200). Seulement 10 % de ces travailleurs touchent actuellement moins de 15 $ l'heure et verraient leur salaire augmenter. Les répercussions de la hausse de salaire proposée dans les provinces de l'Atlantique toucheraient 7 320 employés. La tendance serait semblable en Saskatchewan et au Manitoba (approximativement 550 personnes et 1 460 personnes respectivement verraient leur salaire augmenter). Sauf pour Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard (où la hausse salariale générale serait de moins de 3 $ l'heure), la hausse du salaire minimum fédéral se ferait en deux étapes dans ces régions où les salaires sont moins élevés.

Ce ne serait pas la première fois qu'on assisterait à des hausses importantes du salaire minimum au Canada. En mai 2011, la C.-B. a augmenté son salaire minimum de 28 % en un an. L'Ontario a récemment augmenté son salaire minimum de 21 %. En général, les craintes de licenciements dans les deux provinces se sont révélées sans fondement.

Un salaire minimum fédéral commun servirait également à réduire la concurrence pour les initiatives fédérales à laquelle se livrent les provinces et les territoires sur la base des bas salaires. Il pourrait toutefois y avoir un risque accru de concurrence entre les employeurs qui relèvent de la réglementation fédérale et les autres employeurs. Compte tenu du faible nombre d'employés qui touchent moins de 15 $ dans le SPRF (approximativement 7,4 % en 2017), la concurrence entre les employeurs assujettis à la réglementation fédérale et les employeurs assujettis à la réglementation provinciale ou territoriale se centrerait sur le segment inférieur du marché du travail. La majorité des employés qui gagnent moins de 15 $ travaillent pour de grandes entreprises qui, en général, sont mieux placées pour s'adapter à une hausse du salaire minimum.

Le salaire minimum fédéral proposé aurait un impact sur les secteurs industriels où les salaires sont plus faibles et sur les travailleurs au bas de l'échelle salariale dans les industries où les structures salariales sont plus étendues. Le Tableau 4 démontre que les employés dans les secteurs du transport (transport aérien, ferroviaire, maritime et routier) connaîtront les hausses salariales les plus directes par rapport à d'autres secteurs. Les employés des secteurs du transport routier, des banques, des télécommunications et de la radiodiffusion vont peut-être en subir le contrecoup, car leurs salaires se situent juste au-dessus du salaire minimum proposé.

Tableau 4 : Incidence des taux salariaux dans les secteurs d'activité du SPRF
Secteur Salaire minimum actuel (qui correspond aux taux provinciaux) Salaire minimum à 15 $ > 15 $ Gains de 15 $ à 17 $
Globalement 3 % 6,3 % 7,6 %
Transport aérien 6 % 13,5 % 7,4 %
Transport ferroviaire et maritime 5 % 11,8 % 1,6 %
Transport routier 4 % 8,4 % 35,4 %
Services postaux et transport par pipelines 2 % 4,5 % 9,5 %
Banques 3 % 4,9 % 30,3 %
Télécommunications et radiodiffusion 3 % 5,8 % 11,4 %
Autres 2 % 2,6 % 4,6 %
  • Source : Totalisations faites par le Comité à partir de microdonnées de l'EPA de 2018 et de 2019. L'EPA ne traite pas le SPRF séparément, de sorte que ces chiffres sont des estimations établies par le Comité d'après les meilleures approximations.

Le Tableau 5 illustre l'incidence sur les personnes qui sont actuellement payées au salaire minimum ainsi que sur les personnes dont le salaire serait relevé à 15 $ et celles qui gagnent entre 15 $ et 17 $ l'heure, qui pourraient en subir le contrecoup.

Tableau 5 : Incidence des taux salariaux sur certains travailleurs du SPRF
Salaire minimum actuel (qui correspond aux taux provinciaux) Salaire minimum à 15 $ > 15 $ Gains de 15 $ à 17 $
Globalement 3 % 6,3 % 7,6 %
Femmes 4 % 8,5 % 10,1 %
Immigrants 3 % 6,1 % 8,1 %
Travailleurs temporaires 7 % 13,0 % 15,7 %
Travailleurs à temps partiel 3 % 17,2 % 21,3 %
Autochtones 4 % 7,5 % 8,3 %
  • Source : Totalisations faites par le Comité à partir de microdonnées de l'EPA de 2018 et de 2019. L'EPA ne traite pas le SPRF séparément, de sorte que ces chiffres sont des estimations établies par le Comité d'après les meilleures approximations.

Quand les employeurs ajustent leurs barèmes de salaire en fonction d'une hausse du salaire minimum, ils peuvent les relever à un niveau juste un peu plus élevé que le salaire minimum pour maintenir les écarts salariaux afin de préserver le recrutement et le maintien en poste ainsi que le moral des employés (Gunderson, 2005). Fortin et Lemieux (2015) le confirment pour le Canada, car ils ont constaté qu'il y aura peut-être des hausses dans le 5e centile et le 10e centile de la courbe salariale, mais qu'au-delà du 15e centile, il n'y a pas de conséquences significatives.

Comme il en a été question ci-dessus, l'expérience des faibles salaires varie. Les travailleurs dans une situation plus précaire profiteront davantage de la hausse proposée du salaire minimum que l'ensemble des employés. Dans ce contexte, le salaire minimum fédéral dont il est proposé qu'il soit fixé à 60 % des salaires médians permettra au Canada de progresser dans l'atteinte d'objectifs d'équité au sein des collectivités.

Comme mentionné ci-dessus, les hausses du salaire minimum depuis le milieu des années 2000 ont généralement eu pour effet de relever le minimum salarial d'un bout à l'autre du pays et se sont traduites par une compression des salaires au bas de la courbe. Le relèvement du minimum ne réduira pas cette compression des salaires, mais cela tirera les gains de productivité vers le sommet plutôt que le milieu de la distribution des revenusNote de bas de page 19.

Compte tenu du rôle qui lui est conféré en matière de politique sociale, le gouvernement fédéral se doit de prendre des mesures pour réduire l'inégalité des revenus. Même si leurs répercussions globales seront assez limitées, étant donné la petite taille du SPRF et la proportion moindre d'employés qui gagnent moins que 15 $ si on compare le SPRF aux juridictions provinciales et territoriales, ces mesures enverront un signal fort et représenteront une pratique exemplaire pour le développement économique de la nation. Le relèvement du salaire minimum va influencer la demande, qui représente 54 % de l'économie, et n'aura vraisemblablement pas d'effets négatifs sur les investissementsNote de bas de page 20.

Inconvénients possibles de l'option 1

La principale préoccupation que soulève l'option 1 a trait aux conséquences négatives possibles sur les employeurs ainsi que sur les travailleurs du SPRF dans les régions où les salaires courants sont peu élevés. Ces inquiétudes sont aggravées par l'ampleur des hausses implicites du salaire minimum en général dans ces régions, qui vont de 30 % à 35 % dans quatre des cinq provinces où les salaires sont les plus faibles et se situent à 22 % à l'Île-du-Prince-Édouard (I.-P.-É.). Il y aurait également un vaste écart entre les salaires minimums provinciaux et territoriaux et le salaire minimum fédéral à l'avenir. Ces coûts supplémentaires de la main-d'œuvre pourraient également inciter davantage les employeurs du SPRF à recourir à des sous-traitants dont les coûts de main-d'œuvre, réglementés par la province ou le territoire, seraient moins élevés.

Il est impossible de dire avec certitude si l'emploi risque de diminuer dans des proportions significatives dans le SPRF; cela dépendrait en partie de la décision des entreprises de répercuter leurs coûts plus élevés sur les consommateurs. Les régions où les salaires sont moins élevés font du commerce avec d'autres régions du Canada, les États-Unis, etc. Par conséquent, la capacité des producteurs régionaux de compenser la hausse de leurs coûts en pratiquant des prix plus élevés risque d'être limitée. Il pourra également y avoir d'autres conséquences négatives sur la compétitivité régionale.

Les répercussions sur les travailleurs peu qualifiés sont aussi une source de préoccupation. Selon des recherches menées aux États-Unis (Clemens, Kahn et Meer, 2018), la réaction des employeurs sera de relever leurs normes d'embauche, ce qui réduira les débouchés pour la main-d'œuvre la moins qualifiée. Dans les provinces où les salaires sont les plus bas, 25 % de la population active ou plus gagne moins de 15 $. Les emplois qui offrent des salaires de 15 $ sont très désirables et attireraient vraisemblablement des travailleurs plus qualifiés qui sont plus susceptibles d'être embauchés que des travailleurs moins qualifiés, ce qui serait préjudiciable pour ces derniers.

Une dernière conséquence imprévue pourrait être que les gouvernements provinciaux et territoriaux seront incités à augmenter leur salaire minimum au-delà de ce que les conditions régionales peuvent supporter.

Option 2 : Un salaire minimum fédéral variable dans chaque province et chaque territoire établi en fonction du salaire horaire médian
Démarche

Il s'agirait de fixer le salaire minimum fédéral dans chaque province et chaque territoire en pourcentage du salaire horaire médian dans chaque province ou territoire. Aux fins de l'analyse des avantages et des inconvénients de cette option, nous avons retenu le pourcentage de 60 % du salaire horaire médian à titre d'exemple. Dans le contexte actuel, cela signifierait que le salaire minimum irait d'un minimum de 11,77 $ au Nouveau-Brunswick à un maximum de 16,14 $ en Alberta.

Le gouvernement fédéral pourrait choisir une cible plus ambitieuse, comme 65 % du salaire horaire médian, ou moins ambitieuse, comme 55 % du salaire horaire médian.

Avantages possibles de l'option 2

L'objet de l'option 2 est de permettre à une personne qui travaille à temps plein à longueur d'année de sortir de la pauvreté en fixant le salaire minimum fédéral à 60 % du salaire horaire médian dans la province ou le territoire. Comme l'option 1, elle contribuerait à la réalisation des objectifs de la Stratégie fédérale de réduction de la pauvreté.

Un autre avantage important de cette option est qu'elle tient compte des différences régionales dans les conditions du marché du travail et les salaires. La médiane des salaires est généralement plus élevée dans les provinces et territoires où les salaires courants sont plus élevés et moins élevée dans les provinces et territoires où les salaires sont moins élevés. En fait, comme il représente le taux salarial d'une personne qui se situe au milieu de la courbe salariale, le salaire horaire médian est souvent utilisé comme mesure simple des salaires courants dans une région.

De grandes différences salariales entre régions sont une caractéristique constante des marchés du travail au Canada. Il existe de vastes différences dans les taux de chômage, d'emploi et de participation au marché du travail ainsi que dans les taux salariaux et le revenu d'emploi, et ces différences persistent généralement. Le Tableau 6 montre le salaire moyen et le salaire horaire médian dans les provinces en 2018. On voit clairement de grandes différences dans les salaires courants d'une province à l'autre. Le salaire moyen et le salaire horaire médian de la province où les salaires sont les plus élevés (l'Alberta) sont d'environ 40 % plus élevés que ceux de la province où les salaires sont les moins élevés (Île-du-Prince-Édouard).

Tableau 6 : Salaire moyen et salaire horaire médian par province, 2018
Province Salaire horaire médian Salaire moyen
Terre-Neuve 21,54 $ 25,55 $
Île-du-Prince-Édouard 19,10 $ 22,23 $
Nouvelle-Écosse 19,95 $ 23,46 $
Nouveau-Brunswick 19,62 $ 22,75 $
Québec 22,02 $ 25,45 $
Ontario 23,40 $ 27,37 $
Manitoba 20,93 $ 24,51 $
Saskatchewan 24,46 $ 27,46 $
Alberta 26,75 $ 30,87 $
Colombie-Britannique 23,54 $ 26,71 $
  • Source : Totalisations établies à partir de microdonnées à grande diffusion de l’Enquête sur la population active.
  • Note : Les moyennes et les médianes sont des moyennes des données mensuelles entre le 1er juillet 2018 et le 1er décembre 2018.

On obtient des résultats semblables en comparant collectivement les provinces où les salaires sont les plus élevés (l'Alberta et la Saskatchewan suivies de la Colombie-Britannique et de l'Ontario) aux provinces où ils sont les moins élevés (Île-du-Prince-Édouard, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse et Manitoba). On observe également d'importantes différences dans les salaires entre les grandes villes et les régions rurales au sein d'une même province.

Cette option permet également de traiter équitablement les travailleurs du SPFR dans différentes régions. Leur salaire se situerait au même niveau que celui des employés à l'extérieur du SPFR dans la province ou le territoire où ils travaillent, plutôt que de conserver le statu quo, c'est-à-dire de voir les employés du SPRF bien payés par rapport à d'autres travailleurs dans certaines provinces et territoires et mal payés dans d'autres.

L'un des grands défis d'une politique fédérale en matière de salaire minimum consiste à déterminer s'il y a lieu de tenir compte des différences dans les salaires courants entre les régions et dans l'affirmative, comment en tenir compte. Lorsqu'ils fixent le salaire minimum, les gouvernements provinciaux tiennent clairement compte des salaires qui y ont cours – le salaire minimum provincial est le plus bas dans les provinces où les salaires sont bas et le plus élevé dans les provinces où les salaires sont élevés (voir le Tableau 6 et le Tableau 7). Et cela s'explique par de solides motifs économiques : tout salaire minimum spécifique (par exemple 15 $ l'heure) sera vraisemblablement trop élevé dans certaines régions (en d'autres termes, les avantages d'un salaire minimum de cette ampleur ne sont pas suffisants pour justifier ses conséquences négatives) et trop faible dans d'autres (en d'autres termes, les avantages de la hausse du salaire minimum seraient supérieurs à ses conséquences négatives).

Le Tableau 7 montre les salaires minimums provinciaux au 1er juin 2019, 60 % de la médiane du salaire provincial et la différence entre les deux. Comme la cible de 60 % du salaire horaire médian est relativement ambitieuse, ce choix donne lieu à un salaire minimum fédéral supérieur au salaire minimum provincial dans toutes les provinces à l'exception de l'Î.-P.-É. À l'heure actuelle, compte tenu des salaires courants et des salaires minimums provinciaux, la plupart des rajustements à la hausse sont inférieurs à 1,00 $. Les augmentations seraient plus importantes au Manitoba (1,21 $), à Terre-Neuve ($1,71) et en Saskatchewan (3,62 $). Dans ces trois provinces (et notamment la Saskatchewan), le salaire minimum est faible par rapport au salaire horaire médian courant.

Un avantage de l'option 2 est qu'elle creuserait l'écart entre le salaire minimum fédéral et le salaire minimum provincial dans les provinces où le salaire minimum est faible par rapport au salaire horaire médian. Il s'agit des provinces dans lesquelles le salaire minimum peut connaître la plus forte hausse sans conséquences négatives.

Tableau 7 : Salaire minimum et 60 % du salaire horaire médian dans chaque province, 2018
Province Salaire minimum provincial 60 % du salaire horaire médian Différence
Terre-Neuve 11,40 $ 12,92 $ 1,52 $
Île-du-Prince-Édouard 12,25 $ 12,25 $ 0,00 $
Nouvelle-Écosse 11,55 $ 11,98 $ 0,43 $
Nouveau-Brunswick 11,50 $ 11,77 $ 0,27 $
Québec 12,50 $ 13,21 $ 0,71 $
Ontario 14,00 $ 14,04 $ 0,04 $
Manitoba 11,35 $ 12,56 $ 1,21 $
Saskatchewan 11,16 $ 14,68 $ 3,62 $
Alberta 15,00 $ 16,04 $ 1,04 $
Colombie-Britannique 13,85 $ 14,12 $ 0,27 $
  • Note : Salaire minimum provincial au 1er juin 2019. Les salaires médians sont basés sur des données mensuelles de l’EPA entre juillet 2018 et décembre 2018.

Un avantage important de cette option est qu'elle permettrait d'assurer plus de stabilité au fil du temps dans le salaire minimum fédéral par rapport au comportement plus erratique affiché par les salaires minimums provinciaux au cours des dernières décennies caractérisées par le statu quo. Les figures 11 à 13 illustrent l'évolution du salaire minimum provincial et du taux de salaire qui se situe à 60 % du salaire horaire médian provincial dans trois provinces. Les deux séries ont été rajustées en fonction des changements dans le coût de la vie.

La Figure 11 illustre l'expérience de l'Ontario depuis 1997. Entre 1999 et 2003, le salaire minimum a reculé considérablement en termes réels, ce qui s'est traduit par un écart grandissant entre le salaire minimum et le point qui se situe à 60 % du salaire horaire médian provincial. Suivirent des hausses importantes du salaire minimum réel entre 2003 et 2010, de sorte que l'écart avait été éliminé en 2010. Depuis 2010, le salaire minimum et le 10e centile affichent des évolutions très semblables.

Figure 11 : Évolution du salaire minimum et du taux de salaire qui se situe à 60 % du salaire horaire médian, Ontario, 1997 à 2018
Figure 11 : Évolution du salaire minimum et du taux de salaire qui se situe à 60 % du salaire horaire médian, Ontario, 1997 à 2018
Figure 11 – Version textuelle
Année 60 % du salaire médian Salaire minimum
1997 13,28 $ 10,11 $
1998 13,15 $ 10,01 $
1999 13,26 $ 9,84 $
2000 13,43 $ 9,58 $
2001 13,50 $ 9,34 $
2002 13,21 $ 9,14 $
2003 13,24 $ 8,89 $
2004 13,38 $ 9,08 $
2005 13,47 $ 9,26 $
2006 13,22 $ 9,44 $
2007 13,79 $ 9,55 $
2008 13,84 $ 10,01 $
2009 13,99 $ 10,85 $
2010 13,81 $ 11,52 $
2011 13,55 $ 11,41 $
2012 13,81 $ 11,24 $
2013 13,78 $ 11,13 $
2014 13,83 $ 11,39 $
2015 14,23 $ 11,66 $
2016 14,10 $ 11,73 $
2017 14,11 $ 11,71 $
2018 14,10 $ 14,00 $

L'évolution du salaire minimum de l'Alberta (Figure 12) a été plus erratique que le taux de salaire qui se situe à 60 % du salaire horaire médian, qui a augmenté sensiblement entre 1997 et 2018. Le recul du salaire minimum entre 2000 et 2004 s'est traduit par un écart considérable entre le salaire minimum provincial et le niveau qu'aurait atteint le salaire minimum fédéral s'il avait été établi à 60 % du salaire horaire médian provincial. Cet écart s'est maintenu jusqu'au moment où des hausses substantielles ont commencé à être apportées au salaire minimum de l'Alberta en 2015.

Figure 12 : Évolution du salaire minimum et du taux de salaire qui se situe à 60 % du salaire horaire médian, Alberta, 1997 à 2018
Figure 12 : Évolution du salaire minimum et du taux de salaire qui se situe à 60 % du salaire horaire médian, Alberta, 1997 à 2018
Figure 12 – Version textuelle
Année 60 % du salaire médian Salaire minimum
1997 11,73 $ 7,38 $
1998 12,28 $ 7,45 $
1999 12,24 $ 8,12 $
2000 12,31 $ 8,25 $
2001 12,48 $ 8,05 $
2002 12,53 $ 7,87 $
2003 12,46 $ 7,66 $
2004 12,75 $ 7,52 $
2005 13,39 $ 7,81 $
2006 13,94 $ 8,56 $
2007 14,45 $ 8,78 $
2008 14,84 $ 9,70 $
2009 15,31 $ 10,14 $
2010 15,12 $ 10,08 $
2011 15,36 $ 10,02 $
2012 15,79 $ 10,43 $
2013 16,29 $ 10,66 $
2014 15,99 $ 10,69 $
2015 16,44 $ 11,01 $
2016 16,21 $ 11,90 $
2017 16,73 $ 12,83 $
2018 16,34 $ 13,95 $

Comme en Ontario et en Alberta, le salaire minimum de la Colombie-Britannique (Figure 13) a reculé en termes de pouvoir d'achat pendant une longue période (de 2002 à 2010) et l'écart entre le point qui représente 60 % du salaire horaire médian et le salaire provincial s'est accentué considérablement. De fortes hausses ont été apportées au salaire minimum de la C.-B. entre 2010 et 2012, ce qui a réduit l'écart. Depuis 2012, les deux séries affichent une évolution semblable.

Figure 13 : Évolution du salaire minimum et du taux de salaire qui se situe à 60 % du salaire horaire médian, Colombie-Britannique, 1997 à 2018
Figure 13 : Évolution du salaire minimum et du taux de salaire qui se situe à 60 % du salaire horaire médian, Colombie-Britannique, 1997 à 2018
Figure 13 – Version textuelle
Année 60 % du salaire médian Salaire minimum
1997 14,17 $ 10,33 $
1998 14,84 $ 10,39 $
1999 14,65 $ 10,27 $
2000 14,26 $ 10,10 $
2001 13,95 $ 10,46 $
2002 14,41 $ 10,67 $
2003 13,94 $ 10,39 $
2004 13,76 $ 10,20 $
2005 13,47 $ 9,97 $
2006 13,75 $ 9,78 $
2007 13,70 $ 9,57 $
2008 14,03 $ 9,35 $
2009 13,99 $ 9,32 $
2010 14,43 $ 9,16 $
2011 14,09 $ 9,60 $
2012 14,20 $ 10,96 $
2013 14,34 $ 11,13 $
2014 14,35 $ 10,92 $
2015 14,54 $ 10,87 $
2016 14,34 $ 11,00 $
2017 14,73 $ 11,27 $
2018 14,40 $ 12,11 $

On peut tirer une conclusion claire de ces chiffres (et des chiffres correspondants pour les sept autres provinces), à savoir que l'établissement du salaire minimum fédéral à 60 % du salaire horaire médian provincial ou territorial donnerait lieu à une plus grande stabilité du salaire minimum fédéral au fil du temps. Même s'il peut y avoir occasionnellement des périodes inhabituelles pendant lesquelles le salaire horaire médian diminue d'une année à l'autre en valeur corrigée de l'inflation, cela ne signifie pas nécessairement que la valeur pécuniaire du salaire horaire médian va diminuer. Quoi qu'il en soit, une solution simple dans ces circonstances serait d'adopter une politique selon laquelle le niveau du salaire minimum fédéral peut augmenter au fil du temps, mais qu'il ne peut pas diminuer.

Cette option a également l'avantage de traiter équitablement les employés du SPRF qui travaillent dans différentes provinces et différents territoires, en ce sens que leur salaire minimum serait fixé au même point de la courbe des salaires courants que celui des employés qui ne travaillent pas dans le SPRF dans la province ou dans le territoire. Dans une certaine mesure, cela aplanit également les différences dans le coût de la vie entre régions, parce que le coût de la vie (et particulièrement le coût du logement) tend à être moins élevé dans les provinces où les salaires sont moins élevés que dans les provinces où ils sont plus élevés.

Inconvénients possibles de l'option 2

Comme nous l'avons entendu dire pendant nos consultations, un salaire minimum fédéral fixé en proportion de 13 salaires médians provinciaux ou territoriaux différents peut susciter de la confusion et être complexe à administrer, tant pour les employeurs que pour les employés, particulièrement pour les entreprises nationales qui exercent des activités relevant à la fois de la réglementation fédérale et de la réglementation provinciale ou territoriale.

Cette option donne à penser que les salaires courants dans une province ou un territoire représentent un meilleur indicateur des différences dans le coût de la vie qu'un salaire minimum fédéral devrait prendre en considération. Le seuil officiel de la pauvreté au Canada établit des exigences en matière de revenu en fonction du coût de la vie dans 50 régions d'un bout à l'autre du paysNote de bas de page 21. Cette mesure absolue de la pauvreté montre que pour les employés à faible salaire, le coût de la vie dépend des dépenses qu'il faut engager pour vivre dans les plus grands centres urbains du pays, dans les petites villes ou encore en région rurale. Par exemple, les seuils de pauvreté les plus élevés se retrouvent dans des collectivités de moins de 30 000 personnes de l'Alberta, de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard et de la SaskatchewanNote de bas de page 22. Un salaire minimum fédéral commun calculé à partir d'un salaire horaire médian national ou pancanadien permettrait peut-être de mieux tenir compte de ces facteurs qui expliquent les seuils de pauvreté au Canada.

Enfin, un salaire minimum fédéral établi en fonction des salaires médians courants dans les provinces ou les territoires plutôt qu'en fonction d'un salaire horaire médian national risque peut-être de reproduire par inadvertance la dynamique de l'inégalité des revenus entre les provinces et les territoires. L'inégalité des revenus s'explique en partie du fait que les salaires sont plus élevés dans les segments supérieurs du marché du travail que dans les segments inférieurs, où la croissance réelle des salaires s'est située autour de 2 % au cours des dernières décennies. Ces inégalités se reflètent dans les salaires courants ou les salaires médians. Un salaire horaire médian national peut se révéler préférable aux salaires médians provinciaux ou nationaux pour atténuer ce facteur.

Rajustement du salaire minimum fédéral

Un avantage important d'un salaire minimum fédéral fixé à 60 % du salaire horaire médian au Canada (option 1) ou à 60 % du salaire horaire médian dans la province ou dans le territoire (option 2) est qu'avec le temps, le salaire minimum fédéral augmentera au même rythme que les salaires ailleurs Canada. Dans une conjoncture économique normale, les salaires augmentent plus rapidement que le coût de la vie, de sorte qu'on assiste à une croissance du salaire réel (corrigé de l'inflation). Par exemple, entre 2000 et 2016, le taux horaire du salaire horaire médian a augmenté de 49 %, soit un rythme de 3,1 % par année en dollars constants.

Toutefois, si la conjoncture est anormale, les salaires médians n'augmenteront peut-être pas suffisamment pour suivre la hausse du coût de la vie, et vont peut-être même diminuer en termes de dollars. Cela peut s'expliquer par divers facteurs, comme un grave ralentissement de l'économie, des changements dans les politiques commerciales internationales ou des mesures de contrôle des salaires comme celles qui ont été en vigueur pendant trois ans récemment dans la fonction publique ontarienne. En pareilles circonstances, les hausses du salaire horaire médian peuvent être inférieures à l'augmentation annuelle du coût de la vie ou même être négatives.

Recommandation 3 : Le Comité recommande que le salaire minimum fédéral soit rajusté annuellement en fonction des données de l'Enquête sur la population active (EPA), quelle que soit la démarche retenue pour établir le salaire minimum fédéral.

Compte tenu des variations saisonnières considérables qu'on observe dans les marchés du travail canadiens, il conviendrait d'utiliser les 12 mois de l'année civile précédente pour calculer les salaires médians pertinents, ce qui permettrait de tenir compte des facteurs saisonniers. Comme les microdonnées de l'EPA nécessaires pour calculer les salaires médians sont publiées rapidement, les salaires médians de l'année civile précédente (par exemple 2018) seront connus dès avril de l'année en cours (par exemple 2019).

Afin que les employeurs disposent d'un préavis suffisant pour faire les rajustements annuels, nous proposons que les salaires minimums révisés entrent en vigueur au mois d'octobre. Des rajustements annuels vont se traduire par des changements réguliers et graduels, par opposition à la pratique actuelle selon laquelle les salaires minimums en dollars constants reculent pendant de longues périodes dans certaines juridictions pour augmenter rapidement ensuite.

Recommandation 4 : Le Comité recommande que si, en raison de la conjoncture économique, un salaire minimum à 60 % du salaire horaire médian est inférieur à la hausse du coût de la vie, le salaire minimum soit rajusté en fonction de l'IPC.

Conformément à cette formule, le rajustement annuel correspondrait à la hausse en pourcentage du salaire horaire médian ou, si celui-ci est plus élevé, à l'IPC.

Une commission indépendante de recherche sur les faibles salaires

Les faibles salaires sur le marché du travail sont une caractéristique importante et durable de l'économie du Canada. Pouvons-nous sortir de cette situation malencontreuse et dans l'affirmative, de quelle façon, cela demeure une question ouverte. À la suite d'augmentations importantes qui ont été apportées récemment aux salaires minimums, plus de 10 % de la population active touche le salaire minimum dans plusieurs provinces, soit une proportion beaucoup plus importante qu'autrefois.

Le segment des faibles salaires dans le SPRF est relativement petit en proportion de la taille de la population canadienne, mais son ampleur n'en demeure pas moins une préoccupation pour les membres du Comité. Pour comprendre la nature de ce segment et les politiques qui seront susceptibles de se révéler les plus efficaces pour améliorer le niveau de vie des personnes qui le composent, il faudra des travaux d'analyse et de recherche soutenus. Il serait également utile que le public ait accès à des mises à jour régulières sur l'état du segment des faibles salaires du marché du travail et à des analyses minutieuses et crédibles des conséquences des politiques du salaire minimum et des politiques connexes.

Par exemple, comme on le voit de la Figure 7 à la Figure 9, les salaires minimums au Canada ont récemment connu des hausses substantielles, mais il n'y a pas de recherche crédible sur les conséquences de ces importants changements qui aurait pu éclairer le rapport du Comité. L'étude la plus récemment publiée sur les répercussions du salaire minimum est celle de Campolieti (2018), qui examine les changements dans le salaire minimum dans le secteur de la restauration entre 1997 et 2016.

La recherche canadienne existante conclut que le lien entre les salaires minimums et la pauvreté est faible – ce qui s'expliquerait en grande partie par le fait qu'un grand nombre de travailleurs qui sont payés au salaire minimum sont des adolescents et de jeunes adultes venant de familles à revenu moyen ou élevé. Toutefois, comme on l'a vu précédemment, la composition de la population active payée au salaire minimum est en train de changer depuis les récentes hausses du salaire minimum et elle comprend dorénavant davantage d'adultes plus âgés et de soutiens de famille. Dans ces circonstances, une recherche à jour sur la relation entre les salaires minimums et la pauvreté est essentielle pour éclairer la politique.

Les débats sur les salaires minimums suscitent souvent des conflits, les parties des deux camps citant toute preuve qu'elles peuvent trouver à l'appui de leurs positions. Un objectif clé de la commission de recherche sur les faibles salaires que nous proposons consisterait à apporter une perspective équilibrée, objective et reposant sur des données probantes au sujet des options en matière de politique sur le salaire minimum.

Recommandation 5 : Le Comité recommande la mise sur pied d'une commission de recherche sur les faibles salaires chargée de faire des recherches sur une politique des salaires minimums et ses répercussions sur les employeurs, les employés et l'économie du Canada.

La commission devrait également examiner d'autres options de politique pour améliorer la vie des personnes au bas de l'échelle salariale et de la courbe de distribution des revenus et, dans ce contexte, ses travaux pourraient compléter ceux du nouveau Conseil consultatif national sur la pauvretéNote de bas de page 23.

La commission présenterait des recommandations concernant le rajustement du salaire minimum fédéral et ses paramètres de référence selon les besoins d'après l'expérience acquise dans le cadre de la nouvelle démarche adoptée et de recherches menées sur ses conséquences. De façon plus générale, la commission surveillerait les nouvelles recherches sur les répercussions des salaires minimums au Canada et dans d'autres pays et les résumerait de manière équilibrée et objective à l'intention des décideurs et du grand public. La Low Pay Commission du Royaume-Uni, qui présente des rapports annuels au gouvernement, est un modèle possible de mécanisme reposant sur des éléments probants pour l'examen du salaire minimum fédéral et la présentation de recommandations à son sujet.

Chapitre 3 : Mesures de protection prévues dans les normes du travail pour les travailleurs qui occupent des emplois atypiques

En général, les normes du travail s'appliquent aux travailleurs se trouvant dans une relation de travail traditionnelle. De nos jours, cependant, de nombreux travailleurs occupent un emploi atypique et peuvent ne pas avoir accès à ces mesures de protection. Dans ce contexte, deux questions nous ont été posées :

  • Qui devrait être visé par les normes du travail fédérales?
  • Quelles protections devraient s'appliquer aux travailleurs occupant un emploi atypique dans le secteur privé sous réglementation fédérale (SPRF)?

Travail atypique : Tendances dans le secteur privé sous réglementation fédérale

Les normes du travail fédérales sont fondées sur l'hypothèse selon laquelle le travail typique, à savoir le travail à temps plein, permanent et qui s'inscrit dans un lien d'emploi avec un seul employeur (OIT, 2016), constitue la norme. Cependant, au fur et à mesure que la nature du travail se transforme, un pourcentage limité, mais significatif et en croissance potentielle, de travailleurs occupe une forme d'emploi atypique (OIT, 2016).

Le travail atypique est généralement envisagé dans le contexte de la prolifération des formes d'emploi. Cette catégorie recoupe un vaste éventail de formes d'emploi, dont les employés disposant d'un statut temporaire ou à temps partiel, les employés d'agence de placement temporaire, de même que les entrepreneurs dépendants ou indépendants (voir Figure 14).

Figure 14 : Éventail des formes d'emploi
Figure 14 : Éventail des formes d'emploi
Figure 14 – Version textuelle

Ce graphique illustre l'éventail des protections offertes par les normes du travail pour toutes les formes d'emploi, avec une protection complète à l'extrémité gauche et aucune protection à l'extrémité droite. À gauche, nous trouvons l'employé permanent à temps plein, qui bénéficie d'une protection complète en vertu des normes du travail. Cet employé est considéré comme occupant un emploi typique. Toutes les autres formes d'emploi offrent moins de protections que le travail typique et sont considérées comme atypiques. Ces formes d'emploi sont énumérées à partir de la gauche, après l'employé permanent à temps plein. Elles comprennent les employés permanents à temps partiel, les employés temporaires à temps plein, les employés temporaires à temps partiel, les employés d'agence de placement temporaire, les entrepreneurs dépendants, puis les entrepreneurs indépendants non protégés par les normes du travail.

Les formes d'emploi atypiques répandues dans l'économie « sur demande » (également qualifiée d'économie « de plateforme »)Note de bas de page 24, comme les petits boulots, le travail fondé sur les tâches et les contrats « zéro heure » (contrats sans heures garanties), se situent à différents niveaux de cette gamme, et de nombreux travailleurs ne correspondent pas strictement à une seule catégorie. Si leur travail est exécuté en vertu de nombreux contrats, il se peut que de nombreuses désignations différentes s'appliquent simultanément à eux.

L'emploi atypique représente environ le tiers de l'emploi total au Canada (Busby et Muthukumaran, 2016; Randstad, 2017; Banque du Canada, 2019). Après avoir augmenté considérablement dans les années 1980 et 1990 (OCDE, 2018; OIT, 2016; Fudge et Vosko, 2001; Atkinson et Meager, 1986), la part globale des formes d'emploi atypiques que nous pouvons facilement mesurer (à savoir les emplois à temps partiel, temporaires ou à durée déterminée et les travailleurs autonomes) s'est stabilisée et demeure une caractéristique du marché du travail. Cette « période de stagnation relative » a été décrite comme étant une « précarité persistante » (Noack et Vosko, 2011).

Les travailleurs âgés de 18 à 24 ans sont surreprésentés dans cette catégorie, et 58 % d'entre eux occupent un emploi atypique (Banque du Canada, 2019; Noiseux, 2012). Les femmes sont plus susceptibles que les hommes d'occuper un emploi atypique (Crane, 2018; Fudge et Vosko, 2001; Cranford et coll., 2003a; Zeytinoglu et Muteshi, 2000). Les travailleurs des provinces où les taux de chômage sont historiquement élevés sont également surreprésentés (Banque du Canada, 2019; OCDE, 2018), tout comme les travailleurs en situation de handicap (Schur, 2002, en ce qui concerne les travailleurs américains) et les travailleurs racialisés (Cranford et coll., 2003b).

Des caractéristiques semblables de la main-d'œuvre peuvent être observées dans le secteur privé sous réglementation fédérale (SPRF), mais à plus petite échelle. Selon l'Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale (EMTCF) de 2015, environ 15 % des employés du SPRF n'occupent pas un emploi permanent à temps plein (EDSC, 2019b). Cela se compare à 29 % de l'ensemble de la main-d'œuvre canadienne.

Selon l'analyse de l'EMTCF de 2015, de l'Enquête sur la population active (EPA) de 2017 et de l'Enquête sur l'emploi, la rémunération et les heures de travail de 2017 qui a été faite par le Programme du travail (EDSC, 2019a), environ 10 % des employés du SPRF travaillent à temps partiel, comparativement à 18 % de l'ensemble de la main-d'œuvre canadienne. On estime que 5,5 % des employés du SPRF occupent un emploi temporaire, dont environ la moitié travaille pour une durée déterminée ou sous contrat et le reste occupe un emploi saisonnier ou occasionnel. Au Canada dans son ensemble, les employés temporaires représentent 14 % de la main-d'œuvre totale.

En 2018, plus de 20 % des employés temporaires gagnaient un faible salaire, contre 9,3 % des employés permanents du SPRFNote de bas de page 25,Note de bas de page 26. Un revenu plus faible pour les travailleurs temporaires peut être attribué en partie à des heures de travail moins nombreuses ou moins sûres. Les femmes représentent 39 % des employés du SPRF, mais 53 % des employés à temps partiel. En 2017, le pourcentage le plus élevé d'employés temporaires œuvraient dans le secteur bancaire (25 %), suivi des télécommunications et de la radiodiffusion (16 %), des industries diverses (16 %), du transport routier (13 %) et des services postaux et du transport par pipeline (13 %)Note de bas de page 27. Même si le travail temporaire peut être bien rémunéré ou servir de tremplin vers des emplois plus permanents, il tend à être moins bien rémunéré et à offrir moins d'avantages sociaux que le travail permanent à temps plein (OIT, 2016).

De plus, environ 80 000 travailleurs autonomes du SPRF ne sont pas protégés par les normes du travail en vertu de la partie III du Code canadien du travail (le Code)Note de bas de page 28. Bien qu'il n'existe pas de données précises à leur sujet, ce groupe de travailleurs se compose probablement d'entrepreneurs indépendants ou dépendants et peut-être aussi d'employés. Lorsque les employés sont classés à tort comme des entrepreneurs indépendants, des coûts et des risques considérables sont transférés aux travailleurs qui sont notamment privés des mesures de protection prévues par les normes du travail (Carre, 2015; Donahue et coll., 2007).

Le travail atypique résulte non seulement de changements dans la nature des formes d'emploi, mais aussi du passage d'une unité hiérarchique de production à une structure d'entreprise décentralisée. L'interaction entre la recherche de flexibilité par les employeurs, la mondialisation et la financiarisation des activités économiques, ainsi que l'accélération des transformations technologiques ont profondément modifié l'organisation du travail au cours des dernières années (Stone, 2006).

L'« entreprise flexible » s'articule autour de trois axes : numérique, fonctionnel et financier (Atkinson et Meager, 1986; Burrows et coll., 1992). Essentiellement, les employeurs cherchent à augmenter ou à diminuer leur effectif le plus rapidement possible au besoin tout en réduisant au minimum le fardeau financier associé aux salaires et aux autres avantages sociaux. Par conséquent, de nombreux employeurs se concentrent sur les compétences de base et externalisent les autres activités (Mercure, 2001).

David Weil (2014) qualifie ce processus de « fissuration ». Celle-ci permet aux entreprises de profiter du travail des employés sans être directement considérées par le droit du travail comme leur employeur. La fissuration comprend la délocalisation, la sous-traitance et le recours à des agences de placement temporaire. Selon l'auteur, cette fissuration est l'une des principales causes des faibles salaires, de la non-conformité aux lois fondamentales du travail, des avantages sociaux limités, du nombre croissant d'emplois conditionnels, d'une plus grande exposition au risque et d'un pouvoir de négociation affaibli pour le travailleur.

La fissuration peut se traduire par l'insécurité et la précarité sur le marché du travail (Standing, 1997; Vosko, 2005). Vosko (2010) fournit la définition la plus complète du travail précaire, qui se caractérise par l'incertitude, la faiblesse du revenu, ainsi que des avantages sociaux et des droits limités en vertu de la loi. Elle fait valoir que le travail précaire varie et est façonné par la situation d'emploi (emploi ou travail autonome), la forme (heures, mandat et durée du travail), la dimension de l'insécurité (degré d'incertitude, degré de couverture réglementaire, contrôle du processus de travail lui-même, conditions de travail, salaires et portée de la convention collective), le contexte social (profession, lieu de travail, industrie) et la position sociale (sexe, statut social, citoyenneté).

D'autres chercheurs estiment que le travail précaire se caractérise par l'absence de nombreux types de sécurité connexes qui vont au-delà des conditions de travail proprement dites, comme la sécurité sur le marché du travail, ou le plein emploi; la sécurité d'emploi, ou le maintien en poste et l'avancement professionnel; la sécurité du travail, ou les règles en matière de santé et de sécurité; la sécurité de reproduction des compétences, ou la formation et le perfectionnement; la sécurité du revenu, ou l'assurance d'un revenu stable et l'inclusion dans le filet de sécurité sociale; la sécurité de représentation, ou une voix collective et le droit de grève (Standing, 2011). Par conséquent, un plus grand nombre de ces insécurités cumulatives peut se traduire par un travail plus précaire. Bien que le travail précaire et le travail atypique ne soient pas des concepts interchangeables, le premier doit être perçu comme une conséquence possible du second.

Dans le contexte canadien, cette fissuration fait en sorte qu'il est encore plus difficile de déterminer si les activités d'un employeur sont réglementées par la législation fédérale, provinciale ou territoriale. Par exemple, les employés embauchés par l'intermédiaire d'une agence de placement temporaire pour travailler dans une entreprise sous réglementation fédérale sont-ils protégés par le Code ou relèvent-ils de la compétence provinciale ou territoriale? Selon l'EMTCF de 2015, les entreprises sous réglementation fédérale ont déclaré avoir payé 60 000 travailleurs temporaires par l'entremise d'une agence de placement. Ces travailleurs ne sont pas comptés dans l'EMTCF, car ils ne sont pas considérés comme des employés de l'entreprise sous réglementation fédérale, et travaillent surtout dans le secteur des services postaux et du transport par pipeline (66 %). D'autres travailleurs d'agence de placement temporaire ont été déclarés dans les secteurs des banques (13 %), des télécommunications et de la radiodiffusion (10 %) et du transport routier (8 %). Presque tous ces travailleurs (95 %) œuvraient dans des entreprises de 100 employés ou plus.

Les tribunaux canadiens ont reconnu que les relations de travail, y compris les normes du travail, sont présumées relever de la compétence des provinces et territoires. La compétence fédérale s'applique uniquement par exceptionNote de bas de page 29. Outre les cas manifestes de « compétence directe » – par exemple, un travailleur directement employé par une banque (qui relève de la compétence fédérale en vertu du paragraphe 91(15) de la Loi constitutionnelle de 1867) est assujetti à la loi fédérale –, le gouvernement fédéral a compétence sur une personne qui travaille pour une entreprise « faisant partie intégrante d'une entreprise sous réglementation fédérale »Note de bas de page 30. La Cour suprême a qualifié ce concept de « compétence dérivée »Note de bas de page 31. Pour déterminer si la compétence dérivée s'applique, le tribunal doit examiner « la nature fonctionnelle essentielle de l'ouvrage, du commerce ou de l'entreprise pour déterminer si cette nature constante est telle que l'ouvrage fait partie intégrante d'une entreprise fédérale »Note de bas de page 32.

L'analyse est axée sur la relation entre l'entreprise connexe, le sous-traitant et l'entreprise fédérale qui est censée bénéficier du travail fourni par les employés de l'entreprise connexe. L'analyse comporte deux volets : le rendement efficace de l'entreprise fédérale doit dépendre des services fournis par l'entreprise connexe et vice versa, et la prestation de ces services doit être au cœur des activités de l'entreprise connexe mêmeNote de bas de page 33. La détermination de la compétence déterminera à son tour le cadre juridique applicable aux employés.

Ce n'est pas une question sans importance, car il y a souvent des différences entre les régimes fédéral, provinciaux et territoriaux. En outre, comme les employeurs ont de plus en plus recours à la fissuration et que celle-ci est de plus en plus complexe, la détermination de la compétence peut devenir un défi de taille. Cela explique probablement aussi pourquoi il existe très peu de données illustrant la réalité des travailleurs du SPRF employés dans ces milieux de travail « fissurés ». Plusieurs entreprises connexes, comme les sous-traitants et les agences de placement temporaire, seront régies par la réglementation provinciale ou territoriale.

Les gouvernements ont abordé les conséquences du travail atypique au moyen de divers mécanismes, comme la réduction des incitatifs économiques pour les employeurs qui embauchent des employés temporaires ou contractuels et la limitation de la durée des formes temporaires d'emploi.

L'Union européenne (UE) fait depuis longtemps la promotion de l'amélioration de la qualité du travail pour les employés contractuels, à temps partiel ou nommés pour une période déterminée, et les employés d'agence de placement temporaire. Des directives sur l'emploi à durée déterminée, à temps partiel ou temporaire ont été adoptées au cours des deux dernières décenniesNote de bas de page 34. En général, ces directives stipulent que les travailleurs ne peuvent être traités moins favorablement que les travailleurs à temps plein comparables uniquement en raison de leur situation d'emploi.

En avril de cette année, le Parlement européen a adopté une directive intitulée Conditions de travail transparentes et prévisibles dans l'Union européenne (2019), qui s'appuie sur la Directive de 1999 sur le travail à durée déterminée et la Directive de 2008 relative au travail intérimaireNote de bas de page 35. La Directive de 2019 vise à mettre à jour et à compléter l'information sur les obligations liées à l'emploi et les conditions de travail. Les employeurs sont tenus d'informer les travailleurs quant à leur relation de travail, à leurs horaires de travail, à leur droit de demander un emploi plus sûr et d'exercer un autre emploi (parallèle), et à leur protection contre le licenciement s'ils déposent une plainte. La Directive s'applique à tous les employés, y compris les travailleurs occasionnels ou à court terme, les travailleurs sur demande, les travailleurs domestiques et les travailleurs des plateformes.

La Directive de l'UE de 1999 sur le travail à durée déterminée exige également que les pays introduisent une ou plusieurs des mesures suivantes relatives aux modalités des contrats à durée déterminée successifs : des raisons objectives justifiant le renouvellement de ces contrats; la durée maximale totale des contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs; et le nombre maximal de renouvellements successifs de tels contratsNote de bas de page 36.

Le travail atypique a de vastes répercussions sur les travailleurs, les employeurs (qu'ils comptent sur des travailleurs atypiques ou non) et la société en général. Il importe de souligner que les travailleurs atypiques ne sont pas tous confrontés aux mêmes défis (Rodgers et Rodgers, 1989). Les employés à temps partiel, temporaires et d'agences de placement temporaire sont, sur le plan formel, protégés par les normes du travail. Toutefois, les travailleurs qui ne sont pas des employés ou qui ne sont pas considérés comme des employés ne sont pas protégés par celles-ci. Le travail atypique peut offrir à certains la souplesse nécessaire pour s'acquitter de leurs obligations personnelles et familiales, et leur permettre ainsi de mieux concilier travail et vie personnelle, surtout dans le cas des employés à temps partiel (OIT, 2016). Certains travailleurs s'exposent à gagner un faible salaire alors que d'autres sont vulnérables au surmenage. Girard (2010) fait remarquer qu'il n'y a généralement pas d'études sur les effets du travail indépendant, de l'emploi temporaire et du cumul de plusieurs emplois sur la vie familiale.

Les employeurs incluent des travailleurs atypiques dans leurs effectifs pour différentes raisons, ce qui peut avoir des répercussions sur eux-mêmes ainsi que sur les employeurs qui ne comptent pas sur ces travailleurs. Certains employeurs, en particulier ceux qui exercent des activités 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ont souligné durant nos activités de mobilisation qu'ils doivent recourir à certaines formes d'emploi atypiques (par exemple, temporaire ou à temps partiel) pour exercer leurs activités (par exemple, en période de pointe) et demeurer concurrentiels. Cette observation concorde avec les résultats de la recherche de l'OCDE (2018) et de l'OIT (2016), selon lesquels les formes d'emploi atypiques peuvent aider les employeurs à demeurer concurrentiels et à accroître leurs bénéfices en leur permettant de constituer une main-d'œuvre souple et agile. Toutefois, ces formes d'emploi donnent également lieu à des règles du jeu inégales chez les concurrents (De Stefano, 2016) et accroît le « roulement » du personnel.

Certaines recherches soulignent les répercussions sociétales générales du travail atypique sur le marché du travail (De Stefano, 2016). Ces répercussions comprennent une baisse des taux de propriété et de fécondité, qui pourrait avoir des conséquences sociétales négatives. La documentation sur les répercussions économiques du travail atypique met en relief la segmentation du marché du travailNote de bas de page 37 (OIT, 2016) et l'inégalité accrue (OCDE, 2015). Il est également reconnu que le fardeau fiscal allégé de certains employeurs entraîne des pertes fiscales. La classification inappropriée d'employés en tant qu'entrepreneurs indépendants cause, aux États-Unis seulement, des pertes annuelles de revenus fiscaux s'élevant à des milliards de dollars (National Employment Law Project, 2012).

Le travail atypique et la partie III du Code

La partie III du Code s'applique et se rapporte aux employés qui œuvrent pour une entreprise fédérale ou qui sont liés à celle-ci (y compris les employés des sociétés d'État, à l'exclusion de la fonction publique fédérale). La partie III du Code est la seule loi sur les normes du travail au Canada qui ne définit pas le terme « employé ». Les modifications récemment apportées à la partie III créent un précédent dans l'extension des protections à certains travailleurs (autres que les employés), tant sur le plan de la couverture que de l'accès efficace à ces protections.

À l'heure actuelle, la partie III ne traite pas les entrepreneurs indépendants comme des employés. Pour appliquer la partie III, les travailleurs et les employeurs doivent tirer régulièrement des conclusions binaires afin de déterminer si la personne est un véritable employé (qui bénéficierait des dispositions de la partie III) ou un véritable entrepreneur indépendant (qui n'en bénéficierait pas). Si des plaintes sont déposées, des décisions devront être prises au cas par cas par les inspecteurs du Programme du travail, les arbitres et les tribunauxNote de bas de page 38.

La partie I (Relations du travail) du Code reconnaît l'existence des « entrepreneurs dépendants » et les traite comme des employés. Elle définit le terme « entrepreneur dépendant » comme suit :

  1. le propriétaire, l'acheteur ou le locataire d'un véhicule destiné au transport, sauf par voie ferrée, du bétail, de liquides ou de tous autres produits ou marchandises qui est partie à un contrat, verbal ou écrit, aux termes duquel :
    1. il est tenu de fournir le véhicule servant à son exécution et de s'en servir dans les conditions qui y sont prévues;
    2. il a le droit de garder pour son usage personnel le montant qui lui reste une fois déduits ses frais sur la somme qui lui est versée pour son exécution;
  2. le pêcheur qui a droit, dans le cadre d'une entente à laquelle il est partie, à un pourcentage ou à une fraction du produit d'exploitation d'une entreprise commune de pêche à laquelle il participe;
  3. la personne qui exécute, qu'elle soit employée ou non en vertu d'un contrat de travail, un ouvrage ou des services pour le compte d'une autre personne selon des modalités telles qu'elle est placée sous la dépendance économique de cette dernière et dans l'obligation d'accomplir des tâches pour elle.

L'octroi de droits aux entrepreneurs dépendants en vertu de la partie I découle de l'argumentaire avancé par Harry Arthurs dans les années 1960 (Arthurs, 1967). M. Arthurs fait valoir que les entrepreneurs dépendants ne devraient pas être exclus des négociations collectives simplement parce que leur relation de travail ne s'apparente pas à une relation conventionnelle entre un employeur et un employé. Il avance notamment qu'une convention collective est un moyen de corriger un déséquilibre de pouvoir et que les entrepreneurs dépendants devraient avoir droit à la syndicalisation parce qu'ils occupent la même place sur le marché du travail que les employés.

Le Code offre également certaines protections aux employés syndiqués et non syndiqués lorsqu'une entreprise ou une partie d'une entreprise est vendue, louée, fusionnée ou autrement transférée. La partie I permet à un agent négociateur de continuer à représenter les employés syndiqués après une telle vente ou un tel transfert. Elle stipule également que la convention collective peut demeurer en vigueur jusqu'à son expiration. C'est ce qu'on appelle les « droits du successeur »Note de bas de page 39. Le nouvel employeur est lié par la convention collective existante.

La partie III prévoit que, lorsqu'une entreprise fédérale est cédée d'un employeur à un autre, la personne employée est réputée n'avoir pas cessé de travailler pour un seul employeur. C'est ce qu'on appelle la « continuité d'emploi »Note de bas de page 40. La continuité d'emploi est nécessaire pour établir et maintenir le droit aux protections et aux avantages prévus par la partie III qui ne sont accordés qu'après une période d'emploi continu auprès du même employeur (par exemple, les protections en cas de congédiement injuste, les congés de maladie, les congés de deuil, les congés parentaux et les indemnités de cessation d'emploi).

Jusqu'à récemment, aucune de ces dispositions ne s'appliquait lorsqu'un contrat était soumis à un nouvel appel d'offres. C'est ce qu'on appelle communément le « roulement de contrats ». En vertu des modifications apportées à l'article 189 dans la Loi no 2 d'exécution du budget de 2018(LEB 2), la continuité de l'emploi sera désormais protégée lorsqu'un contrat fait l'objet d'un nouvel appel d'offres et que le deuxième employeur devient responsable de l'exécution d'une entreprise fédérale ou d'une partie de celle-ci. Elle sera protégée même si les travaux étaient auparavant réglementés au niveau provincial ou territorial.

La LEB 2 a apporté d'autres modifications importantes à la partie III pour :

  • interdire aux employeurs de verser aux employés à temps partiel, temporaires, occasionnels ou saisonniers un salaire inférieur à celui des autres employés uniquement en raison de leur situation d'emploi s'ils accomplissent essentiellement le même travail dans des conditions similaires, à moins que la différence entre les taux de salaire repose sur des critères neutres (par exemple, l'ancienneté ou le mérite);
  • exiger des employeurs qu'ils fournissent à tous les employés, peu importe leur statut, des renseignements sur les exigences des normes du travail, leurs conditions d'emploi et leurs possibilités de promotion;
  • interdire aux agences de placement temporaire de facturer des frais à un employé pour l'affecter à l'exécution d'un travail pour un client, et de payer un employé à un taux salarial inférieur à celui que le client verse à ses employés.

Une fois mis en œuvre, ces changements devraient réduire les incitatifs économiques pour les employeurs qui ont recours à des formes d'emploi atypiques.

Les changements récents amélioreront l'accès aux droits pour les personnes visées par la partie III en éliminant les exigences d'emploi continu pour la rémunération des jours fériés, les congés de maladie, les congés de maternité et parentaux, les congés liés à une maladie grave, à un décès ou à la disparition d'un enfant, et en réduisant de six à cinq ans l'exigence d'emploi continu pour avoir droit à trois semaines de vacances payées. Cela aidera les employés temporaires, saisonniers et occasionnels à devenir admissibles aux droits en vertu de la loi. Le Comité d'experts souligne toutefois que le concept d'« emploi continu » n'est pas défini dans le Code.

D'autres changements apportés par la LEB 2 aideront à prévenir les erreurs de classification et à protéger les employés mal classés. Plus précisément, il sera interdit à un employeur de traiter un employé comme s'il n'était pas son employé afin de se soustraire à ses obligations en vertu de la partie III ou de priver l'employé de ses droits en vertu de la partie III. De plus, si dans toute procédure relative à une plainte déposée en vertu de la partie III, l'employeur alléguait que le plaignant n'était pas son employé, le fardeau de la preuve incombera à l'employeur.

Le Comité d'experts croit qu'il est important de noter que l'élément d'intention fait peser le fardeau initial de la preuve sur l'employé, qui doit établir l'intention de l'employeur de se soustraire à ses obligations ou de priver le travailleur de ses droits en vertu du Code. Néanmoins, cette modification est proactive en ce sens qu'elle est susceptible de mettre les employeurs et les travailleurs en garde contre une classification inappropriée.

Les modifications de la LEB 2 ont reçu la sanction royale en décembre 2018 et entreront en vigueur au fur et à mesure que les règlements de mise en œuvre seront mis en place.

Enfin, la partie III a récemment été modifiée pour mieux protéger une autre catégorie de travailleurs atypiques du SPRF, soit les stagiaires non rémunérésNote de bas de page 41. Cette protection supplémentaire est prescrite dans le projet de loi C-63, Loi no 1 d'exécution du budget de 2017, qui a reçu la sanction royale en décembre 2017. Une fois que la réglementation nécessaire sera entrée en vigueur, ce qui devrait se produire en 2020, les nouvelles dispositions interdiront les stages non rémunérés dans le SPRF, à moins que ceux-ci fassent partie d'un programme de formation. Elles feront en sorte que les stagiaires non rémunérés qui participent à un tel programme puissent bénéficier des protections offertes par les normes du travail pour ce genre de travail atypique. Ces modifications entreront en vigueur dès que les règlements nécessaires auront été pris.

Ensemble, ces changements instaurés dans le cadre du programme fédéral de modernisation des normes du travail marquent d'importants progrès dans nos efforts de réglementation du travail atypique. Il reste toutefois du travail à faire.

Ce que nous avons entendu

Au cours de nos activités de mobilisation, nous avons entendu des opinions divergentes sur la mesure dans laquelle le travail atypique présente un problème dans le SPRF. Nous avons également entendu un éventail d'idées à examiner de façon plus approfondie, et nous sommes largement d'accord sur la nécessité d'intensifier les efforts d'éducation et d'orientation.

Certains employeurs ont souligné que certaines formes d'emploi atypiques sont nécessaires pour leur permettre de fonctionner et de demeurer concurrentiels, et qu'ils ont parfois recours à des formes d'emploi atypiques comme outil de recrutement et de maintien en poste. Par exemple, cela peut leur permettre d'accueillir des travailleurs qui approchent de la retraite ou qui fréquentent un établissement d'enseignement. Selon certains employeurs et certaines organisations d'employeurs, les personnes occupant un emploi atypique sont habituellement des entrepreneurs professionnels hautement qualifiés qui choisissent ce travail parce qu'il est lucratif.

Les syndicats nous ont dit que certains travailleurs du SPRF éprouvent des difficultés. Un groupe de la société civile nous a dit que la précarité force les gens à vivre dans la pauvreté ou à dépenser davantage pour les soins de santé et le logement, et que ces difficultés ont une incidence sur les résultats financiers des employeurs. Nous avons également entendu dire que cela peut contribuer à l'anxiété, à l'épuisement professionnel et à l'incapacité de planifier les décisions de la vie, comme l'achat d'une maison. Nous avons entendu dire que ces enjeux ont des répercussions différentes sur certains groupes, comme les immigrants, les jeunes, les femmes, les minorités visibles, les personnes transgenres et de diverses identités de genre.

Par exemple, il a été noté lors d'une table ronde avec des groupes de la société civile et des associations de travailleurs que les immigrants, les jeunes et les femmes sont surreprésentés dans les formes et les régimes de travail atypiques. Les jeunes ont parlé d'une « nouvelle normalité » où certains font des heures de travail excessives dans plusieurs emplois précaires. Les organismes autochtones nous ont dit qu'il existe une tendance à recourir à des contractuels dans leurs collectivités, qui est souvent dictée par des ententes de financement gouvernementales, et que les contractuels ont habituellement des heures de travail irrégulières et ne bénéficient pas d'avantages sociaux.

Les participants ont proposé une gamme d'idées liées à cet enjeu qui avaient tendance à s'inscrire dans les thèmes suivants : couverture de la partie III, définitions des termes clés, éducation et orientation, et règles relatives à des enjeux particuliers.

Portée de la partie III

Les syndicats, les organisations syndicales et les associations de travailleurs privilégiaient généralement une couverture élargie des normes du travail fédérales qui s'étendrait aux travailleurs atypiques qui ne sont pas actuellement visés par la partie III. Un syndicat a recommandé que les mêmes normes du travail s'appliquent à la fonction publique fédérale et qu'il soit interdit aux employeurs de se soustraire aux normes du travail en déclarant que certains groupes de travailleurs ne sont pas des employés. Un expert et certains syndicats ont également soulevé la possibilité de recourir à des approches sectorielles pour régler certaines questions liées aux normes du travail.

En revanche, les employeurs et les organisations d'employeurs n'étaient généralement pas favorables à l'élargissement des mesures de protection des normes du travail à des groupes de travailleurs autres que ceux qui sont actuellement visées, et ils se sont dits préoccupés par les répercussions d'un tel changement. Une organisation d'employeurs a recommandé de tenir compte de l'incidence sur les petites entreprises, par exemple. Certains employeurs ont également suggéré d'exclure les conventions collectives établies de toute nouvelle modification.

Définitions des principaux termes

Des experts nous ont dit qu'avec la nouvelle technologie et l'évolution des formes d'emploi, la définition d'« employé » devient très compliquée. Les syndicats, les organisations syndicales, les associations de travailleurs et un expert ont recommandé que la partie III soit modifiée pour établir une définition générale du terme « employé », et bon nombre d'entre eux ont suggéré d'inclure les entrepreneurs dépendants dans la définition. Il a également été suggéré de modifier la définition de temps à autre pour tenir compte de l'évolution du marché du travail. Un syndicat a recommandé de définir également les termes « employeur » et « agence de placement temporaire ».

Au cours d'une table ronde des employeurs, certains ont exprimé le désir de définir une fois pour toutes des termes comme « entrepreneur indépendant », « entrepreneur dépendant » et « employé ». Cependant, il a également été suggéré que certains employeurs essaieraient de contourner toute définition.

Éducation et orientation

Nous avons entendu dire que les employeurs, en particulier les petits employeurs, et les travailleurs, connaissent mal les normes du travail. Des organisations autochtones nous ont dit qu'il s'agit d'un problème pour certains travailleurs autochtones, en particulier les jeunes. Pour régler ce problème, certains employeurs et une association de travailleurs ont recommandé que le gouvernement fédéral élabore des lignes directrices pour aider les employeurs à déterminer si un travailleur est assujetti aux normes du travail fédérales, provinciales ou territoriales. Les employeurs ont également recommandé des lignes directrices pour les aider à déterminer si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant.

Règles relatives à des questions particulières

Les participants ont proposé des idées liées à des enjeux plus précis. Les syndicats ont parlé du « roulement de contrats » et de la nécessité de s'assurer que les travailleurs resteront protégés par les normes du travail ou par leur convention collective lorsqu'un employeur perd un contrat. Un travailleur a suggéré que les contrats soient attribués en fonction de la qualité et non de la soumission la plus basse.

Un syndicat a recommandé que le gouvernement fédéral tienne les entreprises de plateformes numériques responsables des conditions auxquelles sont soumis les travailleurs occupant de petits boulots dans leur secteur.

Une association de travailleurs a recommandé que les employés d'agence de placement temporaire ne soient embauchés que pour de courtes périodes (par exemple, trois mois), qui seraient suivies d'un accès à un emploi direct chez l'employeur client. Les syndicats, les organisations syndicales et les associations de travailleurs ont recommandé une responsabilité solidaire pour les relations d'emploi tripartites. Une organisation d'employeurs, pour sa part, a déclaré qu'il existait déjà des mesures de protection pour les employés d'agence de placement temporaire.

Deux syndicats ont recommandé que le mandat des employés temporaires et contractuels soit limité à 18 mois et à un an, respectivement. Un employeur a insisté sur la nécessité de recourir à des employés temporaires pendant les périodes de pointe et a lancé une forte mise en garde contre toute restriction de cette pratique.

Un syndicat a suggéré que les travailleurs atypiques devraient bénéficier des mêmes protections sociales que les travailleurs typiques, y compris les prestations, l'assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada (RPC). Il a également recommandé des services et des programmes universels, y compris l'assurance médicaments et la garde d'enfants. Une organisation d'employeurs a recommandé d'examiner le RPC et l'assurance-emploi pour déterminer s'il y a une façon pour les travailleurs atypiques de cotiser. Lors d'une table ronde, des organisations autochtones se sont dites en faveur de l'élargissement du RPC. Un syndicat a recommandé de réformer et de limiter les avantages fiscaux associés aux entrepreneurs indépendants.

Conclusions et recommandations

Nous présentons ici deux séries de recommandations en réponse aux questions qui nous ont été posées. La première série concerne les travailleurs qui devraient être assujettis aux normes du travail, tandis que la deuxième vise à faire en sorte que les travailleurs atypiques puissent se prévaloir de ces normes.

Portée et champ d'application de la partie III

Définition d'employé

Comme il est mentionné plus haut, la version actuelle de la partie III ne définit pas le terme « employé ». Sa portée et son application aux employés dépendent donc des décisions prises par les employeurs, les travailleurs, les inspecteurs du Programme du travail, les arbitres et les tribunaux. Ces décisions sont généralement fondées sur des lignes directrices, la common law et des précédents juridiques. Dans la pratique, il s'agit habituellement de déterminer si une personne est un « véritable » employé, auquel cas elle serait visée par la partie III. En revanche, une personne non considérée comme un « véritable » employé serait exclue de la partie III.

Les Interprétations, politiques et guides (IPG) du Programme du travail sur la détermination de la relation employeur-employé indiquent que des critères différents doivent être pris en compte (EDSC, 2016a). Un travailleur doit être classé comme employé s'il travaille exclusivement pour l'employeur et que l'employeur lui fournit des outils, contrôle ses tâches et établit ses heures de travail. D'autres critères doivent être pris en compte, à savoir si le travailleur doit fournir les services lui-même et se rendre régulièrement au lieu de travail de l'employeur et si des prestations de retraite ou des avantages sociaux collectifs sont offerts.

Inversement, les IPG indiquent qu'un travailleur doit être classé comme entrepreneur indépendant s'il fournit ses services à plusieurs payeurs avec ses propres outils, paie ses propres dépenses et est en mesure d'accepter ou de rejeter le travail proposé par un payeur. Un travailleur qui est en mesure de décider la manière dont il exécutera le travail, d'embaucher un tiers pour compléter le travail et d'établir ses propres heures de travail est également susceptible d'être un entrepreneur indépendant, tout comme quelqu'un qui est exclu des régimes d'avantages sociaux et qui ne touche pas d'indemnités de vacances.

Si le travailleur se situe au milieu du continuum, sa classification comme employé ou comme entrepreneur indépendant devient compliquée et peut générer un niveau élevé d'incertitude. Il est donc possible que des employés classés à tort comme étant des entrepreneurs indépendants se voient refuser des protections en vertu de la partie III.

Au cours de nos activités de mobilisation, nous avons appris que le manque de clarté quant à la portée de la partie III (qu'est-ce qui constitue une relation d'emploi?) favorise l'adoption de nouvelles pratiques qui obscurcissent davantage la distinction entre les employés et les entrepreneurs indépendants et la relation employé-employeur. Cela concorde avec la conclusion de la chercheuse Deepa Das Acevedo (2018) sur la réglementation de l'économie des plateformes, selon laquelle la confusion entourant la situation d'emploi des travailleurs des plateformes découle d'une dépendance excessive à l'égard d'un des nombreux facteurs à prendre en considération, soit le degré de contrôle exercé sur le travailleur par l'entreprise.

La plupart des juridictions nord-américaines utilisent un critère multifactoriel pour déterminer si un travailleur est un employé. Ce critère vise à éclairer la réalité économique de la relation, que les modalités écrites du contrat ne représentent pas nécessairement avec exactitude. Toutefois, comme c'est le cas pour tout critère multifactoriel, sa mise en application peut donner lieu à des interprétations plus ou moins restrictives du terme « employé ». Par conséquent, diverses tentatives ont été faites pour guider l'interprétation et l'application du critère afin d'influer sur la portée des emplois visés. Récemment, dans l'affaire Dynamex, la Cour suprême de Californie a établi le « critère ABC », qui oblige l'entité recruteuse à établir chacun des trois facteurs suivants :

  1. que le travailleur n'est ni contrôlé ni dirigé par l'entité recruteuse dans l'exécution du travail, tant aux termes du contrat que dans les faits;
  2. que le travailleur exécute un travail qui ne s'inscrit pas dans le cours normal des activités de l'entité recruteuse;
  3. que le travailleur exerce habituellement de façon indépendante un métier, une profession ou une activité de même nature que le travail effectuéNote de bas de page 42.

La présomption du statut d'employé et le critère ABC sont utilisés depuis longtemps dans 17 États américains pour déterminer qui est un employé protégé par les droits du travail, comme l'indemnisation des travailleurs et les mesures de protection prévues par les normes du travail. La Californie et l'État de Washington examinent actuellement la législation afin de créer une présomption de statut d'employé avec des critères à respecter pour déterminer qu'un travailleur n'est pas un employéNote de bas de page 43, Note de bas de page 44.

Un problème connexe est celui de l'entrepreneur dépendant. La common law reconnaît depuis longtemps qu'il existe une catégorie de travailleurs qui ne sont ni des employés au sens classique du terme ni des entrepreneurs indépendantsNote de bas de page 45. Comme il est mentionné plus haut, la partie I du Code reconnaît que les entrepreneurs dépendants sont des employés aux fins de la négociation collective, au motif qu'ils occupent la même place sur le marché du travail que les employés. Il importe toutefois de souligner que la Cour fédérale a récemment statué que le Code doit être interprété dans son ensemble et qu'importer la définition d'« employé » dans la partie III afin de déterminer si un soi-disant « entrepreneur indépendant » peut intenter une poursuite pour congédiement injuste ne constitue pas une erreur de droitNote de bas de page 46.

Certaines juridictions provinciales et territoriales ont défini le concept d'« entrepreneur dépendant ». Au Québec, le paragraphe 1(10) de la Loi sur les normes du travail inclut, dans la définition d'« employé », les travailleurs qui sont parties à un contrat et qui exécutent « un travail déterminé dans le cadre et selon les méthodes et les moyens que cette personne détermine »Note de bas de page 47. La Loi sur les normes d'emploi du Yukon inclut les « travailleurs à contrat » dans la définition d'« employé »Note de bas de page 48. Aux termes du paragraphe 1(1) de cette loi, un travailleur à contrat est un travailleur, qu'il soit engagé en vertu d'un contrat de travail ou non, qui est en position de dépendance économique et qui doit accomplir des tâches pour une autre personne.

Bien que d'autres provinces et territoires n'aient pas intégré de définition dans leurs lois, la jurisprudence indique que les critères utilisés pour déterminer si un travailleur est un entrepreneur indépendant ou un employé peuvent aussi être utilisés pour déterminer si le travailleur est un entrepreneur dépendantNote de bas de page 49,Note de bas de page 50. Par conséquent, les facteurs les plus importants à prendre en compte sont la dépendance économique du travailleur envers son employeur ou client et le niveau d'exclusivité qu'il est tenu d'accorderNote de bas de page 51. D'autres indicateurs pertinents sont la durée de la relation de travail, l'absence d'attente de profits de la part du travailleur, l'obligation de porter l'uniforme de la société et l'identité du propriétaire de l'infrastructure utilisée par le travailleurNote de bas de page 52 Note de bas de page 53 Note de bas de page 54.

Un travailleur qui est considéré comme un entrepreneur dépendant bénéficie des mêmes avantages qu'un employé. L'indicateur distinctif d'une relation d'entrepreneur dépendant est l'exclusivité du travailleur vis-à-vis de l'employeur. L'exclusivité n'est pas déterminée sur une base ponctuelle, car elle est intégralement liée à la question de la dépendance économique.

Par conséquent, la détermination de l'exclusivité doit tenir compte de l'historique complet de la relation.

Recommandation 6 : Le Comité recommande que le concept d'« employé » soit défini dans la partie III.

Cette recommandation comporte trois volets. Tout d'abord, la partie III doit inclure une définition claire du terme « employé » qui englobe toute personne qui exécute des travaux ou fournit des services contre rémunération monétaire, ainsi qu'une présomption du statut d'employé, à moins que l'entité recruteuse puisse établir que la personne n'est pas un employé de la façon expliquée ci-dessous.

Deuxièmement, et conformément au critère ABC établi par la Cour suprême de Californie, la partie III de la loi doit inclure une définition claire du terme « entrepreneur indépendant », qui serait structurée autour de quatre conditions cumulatives :

  • La personne n'est ni contrôlée ni dirigée par l'entité recruteuse dans l'exécution du travail, tant aux termes du contrat que dans les faits;
  • La personne exécute un travail qui ne s'inscrit pas dans le cours normal des activités de l'entité recruteuse;
  • La personne exerce habituellement de façon indépendante un métier, une profession ou une activité de même nature que le travail effectué;
  • La personne assume les risques associés aux bénéfices et aux pertes.

Enfin, la partie III doit inclure une définition claire du terme « entrepreneur dépendant ». Les entrepreneurs dépendants doivent également être considérés comme des employés pour qu'il soit clair qu'ils n'appartiennent pas à la catégorie des entrepreneurs indépendants et que les employés possédant certaines caractéristiques des entrepreneurs dépendants sont des employés.

Procéder à une révision complète des règlements qui prévoient des exceptions, des exemptions et des règles spéciales

Bien que la partie III du Code vise à établir des conditions d'emploi fondamentales qui s'appliquent à l'ensemble des employeurs et des employés du SPRF, un certain nombre de règlements prévoient des exemptions, des exceptions et des règles spéciales qui excluent certains travailleurs de certaines normes. Ces règlements s'appliquent à certains types d'employés (gestionnaires, superviseurs et certains professionnels) et à certains secteurs de travail (employés des services roulants dans les chemins de fer, personnel d'exploitation ferroviaire, conducteurs de véhicules automobiles, vendeurs à commission dans l'industrie de la radiodiffusion, personnel de l'industrie du transport maritime et personnel maritime). Dans le cas des gestionnaires et des superviseurs, la plupart des exemptions ont trait aux heures de travail et au congédiement injuste. Certains secteurs sont exemptés des limites applicables aux heures supplémentaires et aux heures de travail, ainsi que des exigences relatives aux périodes de repos. De nombreux secteurs ayant des règles spéciales concernant les heures de travail sont également régis par les règles spéciales de Transports Canada sur les heures de travail. Au cours de nos activités de mobilisation, tant les employeurs que les employés ont souligné la confusion créée lorsque les heures de travail sont régies par deux ensembles de règles.

Le Comité n'a pas eu l'occasion d'entreprendre des recherches afin d'évaluer les répercussions des exemptions et des règles spéciales sur les employeurs et les employés. Cependant, une étude des exemptions menée par Vosko, Noack et Thomas (2016) démontre que certains groupes d'employés sont touchés de façon disproportionnée par les exemptions et les règles spéciales de la Loi sur les normes d'emploi (LNE) de l'Ontario. Les exemptions font en sorte que les employés non syndiqués, les jeunes employés, les femmes et les employés à faible salaire sont moins susceptibles de jouir de la pleine protection de la LNE que l'ensemble des employés.

La partie III prévoit des normes de base essentielles pour garantir la décence du travail. Les exemptions sont, du moins en théorie, incompatibles avec les principes de l'universalité des normes minimales, des normes sociales minimales et de l'équité sur lesquelles reposent les normes du travail. Par conséquent, les exemptions et les règles spéciales qui abaissent ces normes de base doivent être limitées et justifiables.

Il se peut que certains règlements accordant des exceptions à l'industrie soient maintenant désuets et injustifiés. Certains ont été introduits dans les années 1980 ou avant (par exemple, les règlements relatifs à la marine marchande), et d'autres l'ont été dans les années 2000. Étant donné que les pratiques commerciales ont évolué, tout comme d'autres aspects des milieux de travail d'aujourd'hui, ces exemptions devraient être examinées. Il importe également de veiller à ce que les exemptions des protections prévues dans la partie III demeurent justifiables.

À la suite des récentes modifications apportées à la partie III, le gouverneur en conseil a maintenant le pouvoir de prendre des règlements : a) qui modifient la façon dont les dispositions de la section 1 de la partie III relatives aux heures de travail et à l'établissement des horaires s'appliquent à certaines catégories d'employés (par exemple, les conducteurs de véhicules automobiles et les employés du transport maritime de la côte Ouest); b) qui établissent que ces types de dispositions ne s'appliquent pas à certaines catégories d'employésNote de bas de page 55. Surtout dans ce contexte, il est important que les exemptions et les règles spéciales existantes soient examinées selon une approche fondée sur des principes au moyen d'un processus qui assure la transparence de la prise des décisions, tout en examinant les intentions et les répercussions stratégiques sous-jacentes pour les employeurs et les travailleurs.

Recommandation 7 : Le Comité recommande qu'un processus soit établi pour examiner les règlements existants en vertu de la partie III qui prévoient des exemptions, des exceptions et des règles spéciales.

L'examen doit reposer sur les principes selon lesquels : a) la partie III doit s'appliquer au plus grand nombre d'employés possible; b) les dérogations à une norme au moyen d'une exemption, d'une exception ou d'une règle spéciale doivent être limitées et justifiables. Nous proposons également que les critères suivants soient pris en compte pour justifier le maintien d'une exemption, d'une exception ou d'une règle spéciale :

  • La nature du travail est telle qu'il n'est pas pratique d'y appliquer une norme minimale. La mise en application de la norme empêcherait complètement l'exécution d'un certain type de travail, ou en modifierait considérablement le résultat de sorte que le travail ne pourrait pas continuer d'exister dans une forme se rapprochant de sa forme actuelleNote de bas de page 56;
  • Le travail représente une contribution à la société, au marché du travail ou à l'économie qui justifie son existence dans sa forme actuelle, même si une ou plusieurs des normes minimales ne s'y appliquent pas;
  • Le groupe d'employés auquel l'exemption ou la règle spéciale doit s'appliquer est facilement identifiable, afin d'éviter toute confusion et application erronée de l'exemption ou de la règle spéciale;
  • Les employés auxquels l'exemption ou la règle spéciale s'applique ne sont pas historiquement désavantagés ou dans une situation précaire sur le marché du travail.

Les participants à ce processus de révision devraient inclure des représentants des employés et des employeurs, des experts, des membres du grand public, d'autres parties intéressées ainsi que des représentants du Programme du travail. L'examen devrait être présidé par une partie neutre.

Plus grand bénéfice

L'article 168 du Code stipule que les dispositions de la partie III relatives au salaire minimum, aux congés annuels, aux jours fériés et aux congés de deuil ne s'appliquent pas à un employeur ni à des employés parties à une convention collective qui confère aux employés des droits et avantages « au moins aussi favorables » que ceux conférés par les dispositions concernant la durée des congés, les taux de rémunération et les périodes d'admissibilité.

Au cours de nos activités de mobilisation, de nombreux syndicats ont reconnu que les conventions collectives offrent généralement des avantages plus grands que ce qui est prévu dans la partie III et que les employés syndiqués ne sont donc pas touchés par tous les changements apportés au Code. Certains employeurs ont également suggéré que leurs conventions collectives, prises dans leur ensemble, accordent plus de droits ou d'avantages que la partie III. Cela ouvre la porte à un employeur qui considère une convention collective comme un « ensemble » et affirme qu'elle offre un avantage équivalent ou supérieur à celui de la partie III.

La jurisprudence actuelle relative à l'article 168 favorise une approche globale où la convention collective est examinée dans son intégralité. Les arbitres utiliseront l'« échelle métaphorique » et mettront en balance, par exemple les droits et avantages sociaux des employés liés aux congés et aux taux de rémunération prévus à la partie III avec les droits et avantages des employés en ces matières conférés par la convention collectiveNote de bas de page 57.

Toutefois, même si toutes les dispositions de la partie III et de la convention collective relatives aux jours fériés en ce qui concerne la durée des congés, les taux de rémunération et les périodes d'admissibilité entrent dans la catégorie pertinente, elles n'ont pas toutes le même poids. Nous croyons que cette approche contredit le principe de base selon lequel les normes du travail devraient s'appliquer universellement à tous les employés admissibles aux droits et protections qu'elles offrent.

Recommandation 8 : Le Comité recommande que l'article 168 de la partie III du Code soit clarifié pour qu'un employeur ne puisse pas invoquer un avantage supérieur à l'égard d'une norme pour compenser un avantage inférieur à l'égard d'une autre norme.

En d'autres termes, un employeur ne devrait pas être autorisé à établir une moyenne des dispositions d'une convention collective pour déterminer si, en moyenne ou au total, elles sont équivalentes ou supérieures aux normes de la partie III.

Veiller à ce que les travailleurs atypiques jouissent d'un accès efficace aux normes du travail fédérales

Responsabilité solidaire et questions de compétence

La fissuration du travail se matérialise souvent dans les chaînes de sous-traitance et les relations de travail tripartites, où les caractéristiques d'un employeur peuvent être partagées par deux entités distinctes. Le Programme du travail (EDSC, 2017) dispose d'IPG sur les relations de travail tripartites. Les IPG reconnaissent que les caractéristiques de l'employeur peuvent être partagées entre des entités distinctes. Pour déterminer qui est responsable des obligations de l'employeur dans les ententes tripartites, il faut tenir compte de facteurs comme la partie qui exerce le plus de contrôle, la subordination juridique et le degré d'intégration dans l'entreprise. Une décision doit être prise en fonction des faits de l'affaire suivant une approche globale (EDSC, 2017).

À l'heure actuelle, la partie III ne traite pas du partage des responsabilités entre les entités. Par exemple, certaines entreprises ont recours à des agences de placement temporaire, passent des marchés de services pour l'entreprise et sous-traitent des activités commerciales. Dans ces arrangements, il faut déterminer qui est le « véritable employeur ». En général, dans le cas des agences de placement temporaire et de la sous-traitance, il s'agit de l'agence ou du sous-traitant. Au cours de nos activités de mobilisation, un employeur du secteur du camionnage a observé que certains employeurs de son secteur ont recours à des agences expressément pour éviter leurs responsabilités.

La partie III ne définit pas non plus la « relation d'emploi ». La pratique consiste à caractériser la relation employeur-employé de façon binaire et unique. Toutefois, la partie III contient une disposition qui s'applique au travail au service de plusieurs employeurs. L'article 203 du Code stipule que le travail au service de plusieurs employeurs « s'entend de l'emploi dans un secteur d'activité où il est d'usage que les employés, ou certains d'entre eux, travaillent au cours du même mois pour plusieurs employeurs » (c'est nous qui soulignons).

Dans les situations de ce genre, la responsabilité pour les salaires et les indemnités pour jours fériés est partagée entre les employeurs. La disposition a été appliquée à l'emploi des débardeurs en vertu des pouvoirs réglementaires conférés à la gouverneure en conseil par le paragraphe 203(2)Note de bas de page 58. Alors que d'autres professions ou métiers peuvent être désignés comme constituant un « travail au service de plusieurs employeurs » par règlement, la définition d'un tel travail signifie, en pratique, que la possibilité d'élargir l'application de la disposition est limitée.

Il faut envisager d'attribuer clairement les obligations dans les situations de travail au service de plusieurs employeurs afin que les travailleurs au bas de l'échelle ne courent pas le risque de ne pas recevoir leur salaire et de ne pas bénéficier des autres droits prévus (OIT, 2016). Une approche pour régler le problème de la responsabilité partagée consiste à traiter deux ou plusieurs entités comme étant solidairement responsables des obligations de l'employeur. Étant donné que les petites entreprises sont plus susceptibles de ne pas se conformer aux normes du travail (Vosko et coll., 2016), l'élargissement de la responsabilité de l'employeur peut protéger les travailleurs qui exercent diverses formes d'emploi de nature contractuelle ou temporaire. Selon un nombre croissant d'études, les salaires impayés et les autres violations des normes du travail sont plus susceptibles d'être réglés lorsque toutes les personnes qui organisent ou dirigent le travail sont tenues conjointement responsables (Rawling, 2006; Hardy et Howe, 2015; Hyde, 2012; Weil, 2010, 2014).

Les lois de la Saskatchewan contiennent une disposition qui étend la responsabilité des salaires impayés au-delà des employeurs directs et des employeurs liés dans certaines circonstances où les employeurs externalisent le travailNote de bas de page 59. Au Québec, un employeur qui conclut un contrat avec un sous-traitant, directement ou par l'entremise d'un intermédiaire, est solidairement responsable avec ce sous-traitant et cet intermédiaire des obligations pécuniaires en vertu de la LoiNote de bas de page 60. L'Ontario rend les agences de placement temporaire et le client solidairement responsables des normes d'emploi (salaire, heures supplémentaires, rémunération des jours fériés et représailles)Note de bas de page 61. Les lois de la Colombie-Britannique contiennent des dispositions qui élargissent la responsabilité des salaires non payés au-delà des employeurs directs et des employeurs liés lorsque les employeurs externalisent le travailNote de bas de page 62. Bien que bon nombre de ces dispositions soient rarement utilisées, elles sont en place depuis des décennies et fournissent des outils en lien avec le travail atypique.

Recommandation 9 : Le Comité recommande qu'une disposition sur la responsabilité solidaire soit ajoutée à la partie III.

Les entreprises sous réglementation fédérale assujetties à la partie III qui concluent des contrats avec des sous-traitants ou d'autres intermédiaires du SPRF, directement ou indirectement, doivent être considérées comme solidairement responsables des salaires dus et des droits en vertu de la partie III.

Comme il est mentionné plus haut, lorsqu'il y a fissuration dans le SPRF, les travailleurs peuvent passer de la compétence fédérale à la compétence provinciale ou territoriale. Par exemple, lorsqu'une entreprise sous réglementation fédérale sous-traite les tâches associées à l'entretien ménager, les employés sont susceptibles de passer de la protection des normes du travail fédérales aux règles provinciales. La sous-traitance peut entraîner une réduction de la rémunération et des avantages sociaux des travailleurs contractuels. Certains travailleurs qui deviennent assujettis à la réglementation d'une province ou d'un territoire, particulièrement les fournisseurs de services, travaillent pour des employeurs qui ne se conforment pas aux normes du travail pertinentes. De plus, des employés qui travaillent côte à côte peuvent être assujettis à deux régimes législatifs différents. À titre d'exemple, les travailleurs d'agences de placement temporaire qui sont assujettis aux normes du travail provinciales et qui travaillent dans une entreprise sous réglementation fédérale comme une banque ne sont pas visés par la partie III, tandis que les employés permanents de la banque le sont. Cela peut se produire même s'ils travaillent pendant un an ou plus à la banque par l'entremise de l'agence de placement temporaire.

Sur le plan constitutionnel, le Code ne peut réglementer la relation entre un sous-traitant et ses employés si ces entités sont couvertes par les normes du travail provinciales ou territoriales. Nous croyons toutefois que les employeurs du SPRF devraient être tenus de faire preuve de diligence raisonnable pour s'assurer qu'un sous-traitant ou un autre intermédiaire sous réglementation provinciale ou territoriale respecte les normes du travail de la province ou du territoire en question.

Recommandation 10 : Le Comité recommande d'ajouter une obligation positive de se conformer aux normes du travail applicables lorsqu'un contrat est conclu entre une entreprise sous réglementation fédérale et des entités sous réglementation provinciale ou territoriale.

Les employeurs du SPRF devraient avoir une obligation positive de faire preuve de diligence raisonnable pour exiger que leurs sous-traitants, que ceux-ci soient régis par les législation provinciales ou territoriales, se conforment aux normes du travail qui s'appliquent à eux. Si les normes du travail de nature pécuniaire sont enfreintes par le sous-traitant et que ce dernier ne paie pas les sommes d'argent que l'organisme ayant le pouvoir de rendre l'ordonnance lui a ordonné de verser, l'employeur qui n'a pas fait preuve de diligence raisonnable devrait être passible d'une sanction administrative pécuniaire, comme le prévoit la nouvelle partie IV qui a été ajoutée au Code en 2017 et qui devrait entrer en vigueur d'ici le milieu ou la fin de 2020Note de bas de page 63.

Il faudrait envisager la possibilité de rendre la société sous réglementation fédérale responsable de toute dette monétaire non recouvrée par le travailleur dans le cadre d'un processus provincial ou territorial. L'attribution de la responsabilité à l'entité de niveau supérieur sur la base d'une obligation de diligence raisonnable pourrait améliorer les taux de conformité le long de la chaîne de sous-traitance.

Comme il est mentionné plus haut, la détermination de la compétence est devenue un défi de taille. Tant les employeurs que les employés nous ont dit qu'il n'est pas toujours clair si un employeur est assujetti à la réglementation fédérale, provinciale ou territoriale. Par exemple, un entrepreneur en bâtiment chargé de la construction des pistes d'un aéroport n'était pas considéré par la Cour suprême comme étant assujetti aux lois fédérales. La Cour a conclu que la construction de pistes « est une question si éloignée de la navigation aérienne ou de l'exploitation d'un aéroport »Note de bas de page 64.

Toutefois, lorsqu'une entreprise de transport maritime s'appuie exclusivement sur une entreprise offrant des services de débardage (chargement et déchargement de navires à un quai), les débardeurs sont réglementés par la législation fédérale, car leur travail fait partie intégrante de celui d'une société maritime (qui est une entreprise fédérale)Note de bas de page 65. Dans le cas des agences de placement temporaire, cela peut parfois signifier que les employés qui travaillent côte à côte sont assujettis à deux régimes législatifs différents.

De plus, l'observation et la mise en application de la partie III reposent sur le fait que les employeurs savent quel ensemble de règles ils doivent respecter. La confusion entourant la compétence peut mener à une non-conformité involontaire. Les employés doivent également savoir sous l'autorité de quel régime applicable (fédéral, provincial ou territorial) ils relèvent afin de connaître leurs droits et de savoir où déposer leurs plaintesNote de bas de page 66.

Recommandation 11 : Le Comité recommande que le Programme du travail collabore avec les programmes provinciaux et territoriaux correspondants pour élaborer des lignes directrices claires qui aideront à déterminer correctement la juridiction applicable en matière de normes du travail.

Nous reconnaissons que la détermination de la compétence est généralement une détermination individuelle fondée sur les faits. Il reste que le Programme du travail, de concert avec les programmes provinciaux et territoriaux analogues, devrait s'efforcer d'élaborer un critère fonctionnel pour fournir des orientations. Un outil en ligne comme celui conçu pour calculer la rémunération des jours fériés pourrait aider les employeurs et les employés à faire ces déterminations.

Emploi continu

Plusieurs protections prévues par la partie III dépendent d'une condition liée à l'« emploi continu » des employés. La continuité d'emploi est nécessaire pour établir et conserver les droits aux protections et aux avantages qui ne sont accordés qu'après une période d'emploi continu auprès du même employeur (par exemple, congédiement injuste, congé de maladie, congé de deuil, congé parental et indemnité de cessation d'emploi). Comme il est mentionné plus haut, en conséquence des modifications apportées à l'article 189 par l'entremise de la LEB 2, la continuité de l'emploi est maintenant protégée lorsqu'un contrat fait l'objet d'un nouvel appel d'offres et que le deuxième employeur devient responsable de l'exécution d'une entreprise fédérale ou d'une partie de celle-ci.

Néanmoins, la notion d'« emploi continu » n'est pas définie dans la partie III. Certains employés peuvent travailler sous contrat ou d'une saison à l'autre auprès du même employeur et n'accumulent jamais la durée de service requis pour accéder aux normes minimales en vertu de la partie III (par exemple, la protection contre un congédiement injustifié ou les indemnités de cessation d'emploi). Comment calcule-t-on la continuité du service pour les employés occupant des formes d'emploi atypiques comme les contrats à durée déterminée et les contrats saisonniers dans le SPRF?

Dans certains cas, les tribunaux ont déterminé que l'interruption annuelle causée par la nature saisonnière du travail devrait être considérée comme une mise à pied annuelle, qui n'interrompt pas nécessairement la continuité d'une relation d'emploi entre un employé et un employeurNote de bas de page 67.

Dans d'autres cas, les arbitres ont déterminé qu'il y a un certain nombre de facteurs à prendre en considération pour déterminer s'il y a eu une véritable rupture dans la continuité de l'emploi. Ainsi, la durée globale du service auprès de l'employeur ainsi que les coutumes, les pratiques du secteur et les pratiques de l'employeur sont prises en compte par les arbitresNote de bas de page 68. De plus, l'hypothèse commune selon laquelle l'employé poursuivra ses activités auprès de l'employeur a amené les arbitres à déterminer la continuité de l'emploi malgré le fait que l'employé n'a pas travaillé pendant plusieurs moisNote de bas de page 69. Toutefois, la Cour fédérale a confirmé que les périodes de chômage entre les contrats avaient rompu la continuité de l'emploiNote de bas de page 70.

Cette situation peut créer de la confusion et de l'incertitude. Au niveau provincial, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et le Québec ont des définitions générales de ce qui constitue un emploi continuNote de bas de page 71 Note de bas de page 72 Note de bas de page 73. Le Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse définit la période d'emploi d'un travailleur comme étant [traduction] « la période allant de la dernière embauche d'un employé par un employeur jusqu'à la date de cessation de son emploi et comprend toute période de mise à pied ou de suspension de moins de 12 mois consécutifs ». Une définition similaire se trouve dans la Loi sur les normes d'emploi du Nouveau-Brunswick. La Loi sur les normes du travail du Québec définit le « service continu » comme étant « la durée ininterrompue pendant laquelle le salarié est lié à l'employeur par un contrat de travail, même si l'exécution du travail a été interrompue sans qu'il y ait résiliation du contrat, et la période pendant laquelle se succèdent des contrats à durée déterminée sans une interruption qui, dans les circonstances, permette de conclure à un non-renouvellement de contrat ».

En ce qui concerne Terre-Neuve, l'Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l'Alberta, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, leurs définitions de l'emploi continu sont incluses dans des articles portant sur des droits spécifiquesNote de bas de page 74 Note de bas de page 75 Note de bas de page 76 Note de bas de page 77 Note de bas de page 78 Note de bas de page 79 Note de bas de page 80.

Recommandation 12 : Le Comité recommande d'inclure dans la partie III une définition d'« emploi continu » qui comprend les périodes de mise à pied ou d'interruption de service de moins de 12 mois.

Enjeux sectoriels : le secteur du camionnage

Lorsque nous avons discuté avec des agents du Programme du travail de partout au pays, ils ont déclaré recevoir un nombre important et disproportionné de plaintes de la part de travailleurs du secteur du camionnage qui se rapportent au non-paiement de salaires et à des infractions liées aux heures supplémentaires et aux heures de travail. Cette assertion est confirmée par le nombre de plaintes déposées relativement à des infractions aux normes du travail. Selon les données internes du Programme du travail, 67 % des plaintes de nature pécuniaire relatives aux normes du travail déposées entre 2015 à 2016 et 2017 à 2018 provenaient de camionneurs, alors que ceux-ci ne représentent que 16 % des employés du SPRFNote de bas de page 81.

Au cours de nos activités de mobilisation, nous avons appris que les modalités de versement des salaires dans l'industrie étaient très variées. La rémunération est souvent versée en fonction du nombre de kilomètres parcourus, du déplacement global (un taux d'affrètement au voyage), du nombre d'heures travaillées, d'un pourcentage de la valeur de la charge ou d'une combinaison de différents facteurs. Plusieurs employeurs du secteur du camionnage ont laissé entendre que de nombreux petits employeurs de ce secteur ne connaissent pas bien les normes du travail. Cela crée en soi une concurrence inégale entre les employeurs qui se conforment aux normes du travail et ceux qui ne s'y conforment pas.

L'analyse des données tirées de l'Enquête sur la population active (EPA) de 1998 à 2017 révèle que les travailleurs autonomes constitués en société sont de plus en plus répandus dans le SPRF, tout particulièrement ceux qui n'ont pas d'employés rémunérés (EDSC, 2019b). D'après l'EPA, le pourcentage de travailleurs autonomes sans employés dans l'industrie du camionnage s'est accru, passant de 26 % entre 1998 et 2002 à 30 % entre 2013 et 2017 (EDSC, 2019b). Les représentants du Programme du travail à qui nous avons parlé ont également constaté qu'un plus grand nombre d'employeurs du secteur classent incorrectement les employés en tant qu'entrepreneurs indépendants afin de contourner leurs obligations en vertu du Code.

Il existe différents régimes d'emploi dans le secteur du camionnage. Certaines entreprises embauchent directement des chauffeurs, tandis que d'autres en embauchent indirectement par l'entremise d'agences. Dans le cadre de nos activités de mobilisation, nous avons appris que certaines entreprises obligent leurs chauffeurs à se constituer en société (le modèle de Driver Inc.), alors que d'autres les forcent à conclure une entente de location avec option d'achat pour le véhicule. La nature et la fréquence de ces divers modèles pourraient indiquer un problème de classification dans le secteur. Un agent a signalé que, selon son expérience, 8 plaintes sur 10 provenant de chauffeurs de camion ont été confirmées comme étant des cas de classification inappropriée.

L'industrie du camionnage a fait face à des pénuries de main-d'œuvre, en partie en raison des longues heures de travail à l'extérieur de la famille et de la collectivité. Par conséquent, nous avons appris que certains employeurs ont modifié leurs pratiques de recrutement afin de pouvoir embaucher des chauffeurs dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Des représentants de l'industrie nous ont dit que dans les provinces de l'Atlantique, environ 30 % des chauffeurs sont embauchés dans le cadre du PTET.

Le PTET permet aux chauffeurs d'entrer au Canada de façon temporaire et exige qu'ils travaillent uniquement pour l'employeur dont le nom figure sur leur permis de travail. Les travailleurs migrants sont vulnérables parce qu'ils sont liés à leur employeur aux termes de leur permis de travail (Nakache et Kinoshita, 2010; Goldring et Landolt, 2013; Fudge, 2012). Des travailleurs et des organisations de travailleurs nous ont dit que cette vulnérabilité peut être exacerbée par une méconnaissance du droit canadien et par des barrières linguistiques qui les tiennent dans l'ignorance des droits prévus dans la partie III.

Ce que nous avons entendu soulève des préoccupations quant à la mesure dans laquelle les travailleurs de cette industrie sont mal classés, sont tenus de respecter les modèles dictés par l'employeur s'ils souhaitent travailler dans l'industrie et pourraient être payés moins que le salaire minimum compte tenu de leurs heures de travail réelles. Nous sommes particulièrement préoccupés par l'absence possible de tenue de dossiers, qui est nécessaire afin d'assurer une mise en application efficace de la loi et de pouvoir mener des enquêtes sur les plaintes.

Recommandation 13 : Le Comité recommande qu'un projet pilote soit lancé afin d'explorer les modifications qui pourraient être apportées à la partie III et aux règlements pris en vertu de celle-ci pour régler les problèmes liés à la mauvaise classification, aux pratiques de rémunération et de tenue de dossiers et à d'autres questions pertinentes dans l'industrie du camionnage sous réglementation fédérale.

La loi de mise en œuvre du budget de décembre 2018 a ajouté au Code une disposition qui permet à la gouverneure en conseil d'établir et d'exécuter des projets pilotes pour mettre à l'essai d'éventuelles modifications législatives et réglementaires qui amélioreraient et protégeraient mieux les droits des employés en vertu de la partie III. Ce nouveau pouvoir devrait être utilisé pour lancer un projet pilote visant à examiner et à explorer les changements possibles aux règles concernant la classification inappropriée, la rémunération, la tenue de dossiers et les questions connexes dans le secteur du camionnage en réponse aux préoccupations que nous avons relevées.

L'adoption d'une telle approche sectorielle reconnaîtrait que les dispositions législatives et les règlements d'application générale pourraient ne pas être aussi efficaces dans les industries présentant des caractéristiques structurelles uniques. Une participation appropriée au projet pilote devrait être assurée. Les parties intéressées comprendraient les entreprises et les associations de camionneurs, les syndicats représentant des membres de l'industrie, les associations de camionneurs non syndiqués, les camionneurs autonomes, y compris les propriétaires-exploitants, ainsi que les universitaires et d'autres experts.

Un des résultats du projet pilote pourrait être des règles proposées pour le calcul de la rémunération des congés annuels et des jours fériés, de la rémunération des heures supplémentaires et des salaires équivalents payés sur une base autre que le temps, ce qui aiderait à promouvoir la conformité et à mieux protéger les droits des travailleurs de l'industrie. Le projet pilote pourrait également être conçu pour servir de banc d'essai permettant d'examiner les répercussions sur l'industrie des récentes modifications apportées à la partie III sur l'industrie. Une fois en vigueur, ces modifications établiront une présomption en faveur du statut d'employé, qui est de l'avis du Comité limitée de façon importante à certains égards, comme il est mentionné plus haut dans le présent chapitre.

Chapitre 4 : Déconnexion des communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail

Dans le monde du travail d'aujourd'hui, les technologies mobiles ainsi que d'autres facteurs, comme les régimes de travail non conventionnels, l'économie qui tourne continuellement, le travail à la demande et différentes cultures organisationnelles ont pour effet de brouiller les frontières entre les heures de travail et les heures « hors travail ». Dans ce contexte, devrait-on limiter les communications électroniques liées au travail après les heures de travail dans le secteur privé sous réglementation fédérale? Dans l'affirmative, comment devrait-on procéder et pourquoi?

Le « droit à la déconnexion » et la nature changeante du travail : schématisation de l'enjeu

L'une des principales fonctions des normes du travail prescrites par la loi a été l'établissement de limites entre le temps de travail et le temps non consacré au travail. Historiquement, de telles normes étaient perçues comme nécessaires pour limiter les heures pendant lesquelles les activités d'un travailleur n'étaient pas soumises au contrôle de l'employeur (OIT, 2011; Berg et coll., 2014; Berg et coll., 2004). Cette recherche d'équilibre comprenait la protection des employés contre les heures de travail excessives et le maintien de leur besoin de repos et de rétablissement, ainsi que le temps pour s'acquitter de responsabilités personnelles (Paulin, 2008).

Ces normes du travail ont été établies dans un contexte propre à la société industrielle, souvent associé à la forme d'emploi « traditionnelle ». Toutefois, compte tenu de la mondialisation et de la financiarisation de l'économie, de la transition d'une société industrielle à une société axée sur les services, ainsi que de l'accessibilité accrue des outils des technologies de l'information et des communications, le travail n'est plus toujours lié à un emplacement physique, et de nombreuses entreprises ont adopté des pratiques diversifiées en matière de temps de travail (Berg et coll., 2004; Berg et coll., 2014).

Bien des employeurs ont besoin d'une main-d'œuvre souple et disponible en tout temps pour répondre à la demande et demeurer concurrentiels dans l'économie mondiale actuelle. Dans certains milieux de travail, la disponibilité et la connectivité constantes font simplement partie de la culture organisationnelle. Lors de nos activités de mobilisation, les employeurs nous ont dit que la souplesse est essentielle pour tenir compte des différents fuseaux horaires, des activités menées en permanence et du contrôle exercé par les employés sur leurs heures de travail. Les attentes implicites ou explicites en milieu de travail incitent les employés à demeurer connectés au travail par courriel ou au moyen d'applications de messagerie, et à envoyer des messages liés au travail ou à y répondre en tout temps (Vallée, 2010).

Les appareils mobiles comme les téléphones cellulaires et les téléphones intelligents, les tablettes, les ordinateurs portables, le courriel, la messagerie instantanée et les applications de communication permettent aux employés d'effectuer leur travail en sus des heures normales de travail ou en dehors du lieu de travail habituel. Certains employeurs fournissent aux employés des appareils mobiles à leurs frais et permettent leur utilisation pour des appels et des messages personnels au travail et après les heures de travail. Dans d'autres cas, les employés utilisent leurs appareils personnels à des fins professionnelles. En 2017, les réseaux mobiles couvraient environ le quart de la masse terrestre géographique du Canada et étaient accessibles par 99 % des Canadiens, tandis que le taux de pénétration des services mobiles atteignait 85,7 % (CRTC, 2018)Note de bas de page 82.

La disponibilité accrue des technologies mobiles a également mené à l'émergence du « troisième temps » (également appelé temps « en disponibilité » ou « sur appel »), durant lequel les employeurs exigent que les employés demeurent connectés et disponibles au-delà des heures de travail habituelles ou en dehors du lieu de travail habituel en cas de besoin (Vallée, 2010; Vallée et Gesualdi-Fecteau, 2016; Coiquaud, 2016).

Les effets de l'omniprésence des outils de technologies de l'information et des communications dans un contexte professionnel sont variés. D'une part, les travailleurs utilisent de plus en plus la technologie pour mettre en place un régime de travail souple afin d'assurer un équilibre travail-vie personnelle plus satisfaisant (EuroFound et OIT, 2017). Les régimes de travail flexibles permettent aux employés de modifier de façon permanente ou temporaire leur horaire de travail, le nombre d'heures qu'ils travaillent ou l'endroit où ils exécutent leur travail, ou de s'absenter du travail pour s'acquitter de responsabilités personnelles. Le télétravail, qui consiste généralement à travailler ailleurs que dans les installations de l'employeur, semble contribuer à accroître le maintien en poste du personnel, à améliorer le rendement des employés (en raison de la réduction des interruptions) et à accroître la productivité (en partie parce que les employés travaillent plus d'heures non rémunérées)Note de bas de page 83.

Par ailleurs, l'utilisation des communications électroniques à des fins professionnelles en dehors des heures de travail a été associée à un plus faible rétablissement des employés et à une ingérence accrue du travail dans leur vie personnelle, à des niveaux supérieurs d'épuisement professionnel et à un plus grand nombre de problèmes de santé (Derks et Bakker, 2014; Fenner et Renn, 2010; Arlinghaus et Nachreiner, 2014; Barber et Santuzzi, 2014; Dembe, 2005)Note de bas de page 84. De plus, lorsque les employés ont l'impression qu'ils ne peuvent pas « se débrancher », cela nuit à leur capacité de récupération après leur journée de travail. Des recherches indiquent également que la « télépression au travail » prolongée peut nuire à la vie familiale parce que le travail effectué à l'extérieur du lieu de travail s'ajoute au travail effectué dans les locaux de l'employeur (Ojala et coll., 2014).

Ainsi, les appareils mobiles et la technologie brouillent les limites entre le temps de travail et le temps personnel. Les résultats de notre analyse de l'ACS+ sur cet enjeu révèlent que même si les deux sexes sont susceptibles de subir les répercussions d'un tel flou, son effet sera probablement plus prononcé sur les femmes (EuroFound et OIT, 2017; Sullivan et Lewis, 2001; Hilbrecht et Lero, 2014). En 2015, les femmes au Canada ont consacré 33 % plus de temps que les hommes à des activités de travail non rémunérées, et elles sont susceptibles de ne pas être disponibles pour du travail en dehors des heures normales, ce qui peut avoir une incidence sur l'accès à des promotions ou à de meilleurs emplois (Working Families and Bright Horizons, 2019; Hilbrecht et coll., 2008)Note de bas de page 85.

Garantir des limites efficaces au temps de travail à l'ère numérique

La nature et la portée du droit à la déconnexion ne peuvent être envisagées sans tenir compte des normes du travail législatives sur la durée du travailNote de bas de page 86. Or, les recherches suggèrent que les normes du travail existantes sont probablement insuffisantes pour assurer des limites efficaces entre le temps de travail et le temps personnel. À l'heure actuelle, toutes les lois fédérales, provinciales et territoriales sur les normes du travail stipulent que les heures travaillées en sus des heures normales doivent être rémunérées au taux des heures supplémentaires, et elles prévoient des règles sur les périodes de repos et le nombre maximal d'heures. Certaines juridictions (Alberta, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut) imposent également une limite au nombre d'heures qu'un employé peut accepter de travailler ou être tenu de travailler par son employeur au cours d'une journée.

Dispositions existantes de la partie III du Code

La partie III du Code canadien du travail (le Code) précise que la durée normale du travail est de 8 heures par jour (sur une période de 24 heures) et de 40 heures par semaine (de minuit le samedi jusqu'à minuit le samedi suivant)Note de bas de page 87. Le Code établit également que les heures supplémentaires effectuées par l'employé donnent lieu à une majoration de salaire d'au moins 50 %Note de bas de page 88. Toutefois, la réglementation prévoit différentes heures normales de travail pour certaines industries ou certains types de travailNote de bas de page 89.

Selon l'analyse des données de l'Enquête sur la population active (EPA) de 2017 pour les industries associées à la juridiction fédérale, qui a été effectuée par le Programme du travail, environ 110 000 des 910 000 employés de l'époque (12 %) du SPRF ont effectué des heures supplémentaires non rémunérées en 2017. On ne sait toutefois pas si ces heures supplémentaires ont été consacrées aux communications électroniques ou à d'autres formes de travail. La grande majorité (93 %) des employés qui ont effectué des heures supplémentaires non rémunérées n'étaient pas régis par une convention collective. Environ 42 % travaillaient dans le secteur bancaire, 14 % dans les télécommunications, 14 % dans le transport routier, 6 % dans le transport aérien, et 6 % dans les services postaux et les pipelines. Chez les femmes, 14 % effectuaient des heures supplémentaires non rémunérées tandis que 11 % des hommes en effectuaient. Un peu plus de la moitié (55 %) des employés qui ont fait des heures supplémentaires non rémunérées étaient dans les domaines de la gestion, des affaires, des finances et de l'administration. Les données administratives montrent que les heures de travail non rémunérées sont la cause la plus fréquente de plaintes en vertu de la partie III du Code.

Le Code stipule que le nombre d'heures que peut travailler un employé au cours d'une semaine ne doit pas dépasser 48 heuresNote de bas de page 90 et prévoit que l'horaire de travail est établi de manière à ce que chaque employé ait au moins un jour complet de repos par semaine, si possible le dimancheNote de bas de page 91. Toutefois, le Code exempte de nombreuses catégories d'employés de ces règles. Ainsi, les règles sur les heures de travail ne s'appliquent pas aux directeurs, aux chefs ni aux personnes qui exercent des fonctions de directionNote de bas de page 92, ainsi qu'à certains professionnels comme les médecins, les avocats, les dentistes, les architectes et les ingénieursNote de bas de page 93. Dans certains secteurs, comme le transport ferroviaire, aérien, maritime et routier, Transports Canada peut établir d'autres règles concernant les heures maximales de travailNote de bas de page 94.

Les modifications apportées au Code à la fin de 2017 donnent aux employés le droit de demander un régime de travail soupleNote de bas de page 95. De plus, les modifications ont instauré un mécanisme officiel permettant aux employés et aux employeurs de discuter des modalités sur le moment, l'endroit et le mode d'exécution du travail en fonction de leurs besoins respectifs. L'employé qui compte six mois d'emploi continu auprès d'un employeur pourra demander une modification de ses conditions d'emploi en fonction du nombre d'heures de travail, de son horaire et du lieu de travail.

Toutefois, les modifications ne créent pas un droit à un régime de travail souple. Les modifications exigent que l'employeur accède à la demande, offre une solution de rechange ou refuse. Les modifications accordent également aux employés le droit de refuser de faire des heures supplémentaires dans certaines circonstances afin de s'acquitter de leurs responsabilités familiales sans crainte de représailles.

De plus, des modifications au Code apportées en 2018 ont établi des règles sur la planification des horaires. Un droit additionnel de refus de travailler est accordé aux employés relativement à tout quart de travail prévu à l'horaire qui commence moins de 96 heures après qu'ils ont reçu leur horaire. De nouvelles pauses, comme les pauses-repas et les périodes de repos entre les quarts de travail, ont également été instauréesNote de bas de page 96. Ces modifications ont reçu la sanction royale et entreront en vigueur une fois que les règlements nécessaires auront été mis en placeNote de bas de page 97.

Toutefois, la partie III du Code ne prévoit pas de protection législative pour les employés qui doivent demeurer disponibles pour répondre à d'éventuelles demandes de travail de leur employeur. Selon les Interprétations, politiques et guides (IPG) du Programme du travail, le temps « en disponibilité » ou « sur appel » n'est pas considéré comme du travail (Emploi et Développement social Canada, s.d.)Note de bas de page 98.

Le Règlement du Canada sur les normes du travail oblige l'employeur à verser une « indemnité de rentrée au travail » à un employé qui se présente au travail à sa demandeNote de bas de page 99. Cette indemnité correspond à au moins trois heures de salaire, selon son taux régulier. À l'inverse, un employé qui n'est pas tenu d'exercer des fonctions alors qu'il doit demeurer disponible n'a pas droit à une rémunération.

La France a instauré le droit à la rémunération des travailleurs qui doivent demeurer disponibles pour répondre à d'éventuelles demandes de travail de leur employeur. La notion d'astreinte est prévue dans le Code du travailNote de bas de page 100 et se définit comme suit : « Une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise »Note de bas de page 101. L'astreinte constitue l'obligation pour l'employé d'être disponible à l'extérieur du lieu de travail, par opposition à un employé « en service » qui attend du travail à son lieu de travail pendant les heures normales de travail.

Un employé qui doit être joignable par téléphone et prêt à répondre en tout temps peut être considéré comme étant en période d'astreinteNote de bas de page 102. Celle-ci fait l'objet d'une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de reposNote de bas de page 103. En 2016, le Code du travail a été modifié pour préciser que l'employé, sans être sur son lieu de travail, doit être en mesure d'accomplir du travail pour l'employeurNote de bas de page 104.

Enfin, contrairement à la partie III du Code, les lois sur les normes du travail du Manitoba, du Québec et de la Saskatchewan comprennent toutes des définitions explicites de ce qui constitue un « travailleur réputé être au travail ». Par exemple, au Québec, un employé est réputé être au travail « lorsqu'il est à la disposition de son employeur sur les lieux de travail et qu'il est obligé d'attendre qu'on lui donne du travail; durant le temps consacré aux pauses accordées par l'employeur; durant le temps d'un déplacement exigé par l'employeur; et durant toute période d'essai ou de formation exigée par l'employeur »Note de bas de page 105.

Au Manitoba, on entend par « heures de travail » les heures ou les fractions d'heure pendant lesquelles un employé travaille pour un employeur. La définition vise également les heures au cours desquelles l'employé est tenu, à la demande de l'employeur, d'être présent et prêt à effectuer son travailNote de bas de page 106. En Saskatchewan, « les employés ont droit à une rémunération pour chaque heure ou portion d'heure travaillée. Le temps rémunéré comprend les heures durant lesquelles un employé doit travailler (selon l'horaire), a été autorisé à travailler, ou doit demeurer à la disposition de l'employeur » Note de bas de page 107.

Approches à la déconnexion dans d'autres juridictions

Le concept de « droit à la déconnexion » et de protection correspondante contre les représailles est apparu récemment comme moyen de contrer les effets négatifs des communications électroniques à des fins professionnelles effectuées en dehors des heures de travail. L'instauration d'un droit à la déconnexion pourrait mieux faire connaître aux employeurs et aux employés les répercussions de ce phénomène, et donner aux employés l'appui nécessaire pour dire « non » à la vérification des courriels après les heures normales (Moulton, 2017).

À l'heure actuelle, la partie III du Code n'aborde pas directement la question de la limitation des communications électroniques liées au travail en dehors des heures normales de travail de cette façon, et aucune province ni aucun territoire n'accorde un tel droit légal. En mars 2018, un projet de loi d'initiative parlementaire a été déposé à l'Assemblée nationale du Québec. Il proposait d'obliger les employeurs assujettis à la réglementation provinciale à mettre en place des politiques de déconnexion après les heures normales de travail pour assurer le respect des périodes de repos des employésNote de bas de page 108. Les employeurs auraient également été tenus de réévaluer annuellement leur politique. Le projet de loi prévoyait aussi des amendes allant de 1 000 $ à 30 000 $ en cas de non-conformité. Le projet de loi est mort au feuilleton après l'ajournement de l'Assemblée nationale en juin 2018.

La Belgique et l'Italie étudient actuellement des façons de s'assurer que l'utilisation des outils numériques respecte le temps de repos et les congés, ainsi que l'équilibre entre la vie personnelle et professionnelle des employésNote de bas de page 109. En France, un « droit à la déconnexion » légiféré – c'est-à-dire le droit des employés de ne pas vérifier les courriels ou autres communications liés au travail ou de ne pas y répondre lorsqu'ils ne sont pas au travail – est entré en vigueur le 1er janvier 2017, en réponse aux recommandations formulées par M. Mettling dans son rapport sur la numérisation de l'économieNote de bas de page 110.

En vertu du Code du travail français, les entreprises comptant plus de 50 employés sont tenues de négocier avec leur personnel une politique qui limite les communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail. Si cette entente ne peut être conclue, l'entreprise doit, après consultation des représentants des employés, publier une charte qui décrit le droit à la déconnexion dans l'entreprise. Les politiques et les chartes doivent chercher à protéger le temps de repos des travailleurs. Le Code du travail exige également des employeurs qu'ils prévoient des activités de formation et de sensibilisation des employés à l'utilisation raisonnable de la technologie.

Le droit à la déconnexion prévu par la loi française a fait l'objet de critiques. Comme le Code du travail ne fournit aucune définition juridique du « droit à la déconnexion », la signification de celui-ci n'est pas claire. Le droit à la déconnexion entraîne-t-il « une trêve de courriels » ou « l'interruption de l'alimentation du serveur » pendant certaines périodes?

Ce droit à la déconnexion devrait être négocié collectivement. Le défaut de s'entendre sur cette question aura pour effet de transférer à l'employeur le pouvoir de définir la nature et la portée de ce droit en mettant en œuvre la « charte ». Comme l'a souligné Ray (2016) et d'autres auteurs, une convention collective a un effet normatif et est exécutoire devant les tribunaux, ce qui n'est pas le cas d'une « charte » (Gratton, 2016; Fontaine, 2017). En ce qui concerne la mise en œuvre, aucune sanction n'est prévue dans les cas où cette question n'est pas négociée ou lorsque l'employeur omet d'établir une « charte ».

Un modèle d'autoréglementation a été adopté en Allemagne, dans le cadre duquel les partenaires sociaux (organisations du travail, associations d'employeurs et gouvernement) collaborent pour trouver des solutions adaptées à leurs besoins (Secunda, 2018; EuroFound et OIT, 2017). Plusieurs employeurs ont conclu avec leur comité d'entreprise des ententes sur le télétravail, qui comprennent souvent des règles sur la déconnexion des communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail. Par exemple, le ministère du Travail d'Allemagne a conclu une entente avec son comité d'entreprise pour interdire la communication avec le personnel en dehors des heures de travail, sauf en cas d'urgence, et pour protéger les employés contre les représailles s'ils ne répondent pas à de telles communications (Vasagar, 2013).

En mars 2018, un conseiller de la ville de New York a déposé un projet de loi qui rendrait illégale l'obligation pour les employés de vérifier les courriels et autres communications électroniques et d'y répondre en dehors des heures normales de travailNote de bas de page 111. Tout employeur comptant 10 employés ou plus serait tenu d'avoir une politique définissant les « heures habituelles de travail » pour chaque catégorie d'employés. Les congés payés auxquels les employés ont droit, comme les congés annuels, les congés personnels payés et les congés de maladie, seraient exclus des heures habituelles de travail. Le projet de loi comporte également une disposition visant à protéger les employés contre les représailles s'ils revendiquent le droit de se déconnecter. Une infraction à ce droit à la déconnexion pourrait entraîner l'imposition d'une amende de 250 $ US à l'employeur.

Certains employeurs, dont un bon nombre en Allemagne et en France, ont lancé leurs propres initiatives pour limiter l'utilisation du courrier électronique et d'autres communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail, comme des politiques qui restreignent l'envoi de courriels pendant certaines périodes et des ententes avec les conseils d'entreprise sur les heures auxquelles les communications avec les employés sont autorisées.

Par exemple en Allemagne, la société Volkswagen a mis en œuvre une politique qui empêche les serveurs BlackBerry d'envoyer des courriels au personnel pendant une période allant d'une demi-heure après la fin des heures normales de travail jusqu'à une demi-heure avant le début de la journée suivante (pour les employés visés par une convention collective), dans le cadre d'une entente entre l'entreprise et son comité d'entreprise. Dans la pratique, cela signifie que la réception de courriels se fait uniquement entre 7 h et 18 h 15 (BBC, 2012). Certains commentateurs déplorent ce type de solution, car elle ne « tient pas compte des préférences des personnes à l'égard de l'utilisation du courriel » (Stich et coll., 2019).

En France, en vertu de la convention collective visant le secteur des télécommunications, les contrats de travail doivent préciser les heures pendant lesquelles il est possible de communiquer avec un télétravailleur (Eurofund et OIT, 2017). Toutefois, il n'y a pas de détails « concernant la dimension technique ou l'incidence réelle et le bon fonctionnement de [ces] ententes de travail » (Krause, 2018).

Ce que nous avons entendu

Au cours de nos activités de mobilisation, nous avons entendu des opinions divergentes sur trois thèmes généraux : la souplesse, la rémunération et la gestion.

Régimes de travail souples

Bon nombre d'employeurs estiment que la journée de travail de 9 h à 17 h est chose du passé et que la plupart des employeurs et des employés utilisent des appareils mobiles comme outil pour effectuer des tâches quotidiennes. Dans l'ensemble, la plupart des employeurs et des organisations d'employeurs ont dit que tout nouveau règlement nuirait à la souplesse des entreprises, et rendrait la compétitivité plus difficile. Les employeurs nous ont dit que dans de nombreux secteurs, la réalisation d'activités 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 nécessite une certaine souplesse de la part de l'effectif, ce qui signifie qu'il n'est peut-être pas possible d'offrir des mesures de déconnexion.

Une organisation d'employeurs a fait remarquer que les appareils mobiles donnent plus d'autonomie et de souplesse à leurs travailleurs, dont beaucoup font le choix de vérifier leurs courriels durant la fin de semaine. D'autres employeurs nous ont dit que dans le secteur du camionnage, qui est une industrie active en tout temps, la déconnexion n'est pas un problème parce que les entreprises ne gèrent pas le temps des conducteurs. En fait, la déconnexion pourrait causer des problèmes de sécurité si les conducteurs ne sont pas en mesure d'obtenir des renseignements importants sur les changements d'itinéraires ou les dangers routiers. Plusieurs employeurs ont souligné que les récentes modifications apportées au Code concernant les avis de changement d'horaire et de changement de quart, ainsi que les régimes de travail flexibles, sont incompatibles avec le concept de déconnexion.

Les organismes représentant les travailleurs nous ont dit que les entreprises de nombreux secteurs veulent offrir des services 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et s'attendent à ce que les employés soient sur appel pendant les heures de pointe. Ils nous ont également dit que les employeurs devraient reconnaître qu'il y a une différence entre les travailleurs qui veulent vérifier leurs courriels après les heures normales et ceux qui sont tenus de le faire. Certains travailleurs ont fait remarquer qu'il y avait des considérations liées à la protection des renseignements personnels lorsque les employeurs peuvent joindre les travailleurs en tout temps ou suivre leurs allées et venues.

Les syndicats nous ont dit que les communications électroniques en dehors du travail touchent tous les types de travailleurs et d'entreprises et qu'elles sont pertinentes dans le contexte des questions liées au télétravail, aux horaires flexibles et à la conciliation travail-vie personnelle. Certains syndicats ont mentionné que diverses industries du secteur privé sous réglementation fédérale (SPRF) exigent de la souplesse en ce qui concerne le droit à la déconnexion. Ils ont souligné qu'une solution uniforme serait inappropriée. Les régimes de travail à distance et le régime de travail flexible de certains travailleurs, comme les pigistes dans le secteur de la radiodiffusion et les camionneurs, qui travaillent seuls et reçoivent des messages de répartition du travail à toute heure de la journée, font en sorte qu'il est pratiquement impossible de se déconnecter.

Dans l'ensemble, plusieurs travailleurs et organisations représentant les travailleurs ont affirmé que les attentes de l'employeur en matière de disponibilité en dehors des heures de travail devraient être clairement énoncées dès le départ, qu'elles soient définies dans un contrat d'emploi, une convention collective ou dans le cadre de discussions en milieu de travail sur les attentes des employeurs en vertu de la loi et sur l'obligation correspondante de l'employé de répondre et sa capacité de se déconnecter.

Régimes de rémunération

Dans l'ensemble, les employeurs et les employés ont convenu que le travail en dehors des heures normales devrait être rémunéré adéquatement. À cet égard, diverses dispositions sont en place dans le SPRF. Selon des employeurs, dans le secteur bancaire, les heures de travail qui dépassent le nombre maximal sont correctement consignées et payées en heures supplémentaires. D'autres employeurs ont affirmé qu'ils se sont dotés de politiques sur la disponibilité et que les employés sont rémunérés en cas de rappel au travail. Dans certains secteurs du transport, les travailleurs sont tenus de ne pas consommer d'alcool et de demeurer à proximité du lieu de travail lorsqu'ils sont en disponibilité, mais ne sont pas indemnisés pour cela.

Plusieurs conventions collectives prévoient que les employés doivent demeurer disponibles pour répondre à une éventuelle demande de leur employeur. Certaines dispositions sur la disponibilité précisent le montant de la rémunération versée aux employés pendant cette période. D'autres employeurs nous ont dit que leurs employés savaient, au moment de l'embauche, qu'ils seraient parfois tenus d'être en disponibilité et de travailler pendant une telle période, mais qu'ils ne seraient pas rémunérés; toutefois, la compensation à cet égard était considérée comme étant intégrée à leur salaire.

Pour de nombreux syndicats, la question des heures supplémentaires englobe à la fois la rémunération et la protection. Une organisation syndicale a suggéré que les travailleurs soient rémunérés en tranches plus courtes (par exemple, cinq minutes au taux des heures supplémentaires) et qu'on leur accorde le droit protégé par l'emploi de refuser de répondre aux communications après les heures afin de pouvoir vraiment se déconnecter sans crainte de représailles.

Certains syndicats ont fait remarquer que le besoin de telles protections s'accroît en raison de l'utilisation accrue de la technologie. Ils ont suggéré que même le fait de répondre à des courriels en dehors des heures de travail devrait être rémunéré en heures supplémentaires. Un syndicat nous a dit que les travailleurs se sentiraient plus à l'aise de se déconnecter si le Code énonçait clairement les principes pour le faire. Certains préconisent la création d'un cadre rigoureux pour définir ce qu'est le travail, ainsi que le temps de travail. Plusieurs syndicats ont approuvé un « droit à la déconnexion » législatif.

Certains travailleurs et syndicats nous ont dit que la question de la déconnexion devrait être réglée par d'autres moyens, comme une définition de ce qui constitue « être réputé au travail ». Selon eux, la déconnexion consiste en fait à déterminer ce qui est considéré comme du travail et à assurer le paiement des heures travaillées.

Certains travailleurs estiment que, dans les secteurs du transport aérien, de la diffusion et des services bancaires, les employeurs refilent le coût des activités à leurs employés. Nous avons entendu dire que les travailleurs effectuent souvent des heures non rémunérées avant et après le début de leur quart de travail officiel et pendant la formation en ligne obligatoire. Certaines organisations représentant les travailleurs ont dit que les termes « sur appel » ou « en disponibilité » devraient être mieux définis et mieux rémunérés. Les syndicats et les travailleurs ont également déclaré que le droit au repos décrit dans la partie III du Code devrait être significatif et que l'absence d'une définition claire du concept de « travailleur réputé être au travail » suscite de l'incertitude.

Les employeurs et les syndicats ont souligné qu'il existe des différences entre les limites énoncées dans la partie III et celles établies par d'autres autorités, comme Transports Canada. Ces différences ont des répercussions et peuvent notamment causer de la confusion et des problèmes de conformité.

Gestion par l'employeur

Une organisation d'employeurs a fait remarquer que toute approche en matière de déconnexion devrait commencer par la sensibilisation, de sorte que les problèmes puissent être réglés en milieu de travail avant que des modifications législatives soient apportées. L'organisation a suggéré que la responsabilité incombe aux employeurs de veiller à ce qu'aucune exigence inutile ne soit imposée aux travailleurs après les heures de travail. Certains employeurs et certaines organisations d'employeurs ont dit que les gestionnaires devraient veiller à ce que les heures supplémentaires soient attribuées aux employés et non assumées par ceux-ci.

Selon plusieurs employeurs, il existe dans bon nombre de milieux de travail un système informel où une certaine utilisation personnelle des appareils mobiles est permise pendant les heures de travail en échange d'une acceptation des obligations professionnelles pendant les heures en dehors du travail, en partie parce que les employés reçoivent souvent ces appareils mobiles pour leur travail et leur usage personnel. Les employeurs nous ont dit que, dans le secteur bancaire, des politiques sont en place pour empêcher les gestionnaires de certains bureaux d'envoyer des courriels au personnel après 19 h.

D'autres employeurs ont mentionné que certains milieux de travail ont mis en place des politiques sur l'utilisation de la technologie. De nombreux employeurs ont fait valoir que, dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre, la gestion responsable des communications après les heures de travail s'avère un élément crucial du maintien en poste du personnel et de la satisfaction des employés. Une association d'employeurs a affirmé que des abus du système informel avaient bel et bien eu lieu, mais qu'il était peu probable qu'ils soient résolus par l'adoption d'un règlement universel. Une organisation représentant les gestionnaires a fait valoir que les employeurs devraient être encouragés à promouvoir la sensibilisation et la formation, la bonne gestion et les politiques organisationnelles concernant l'utilisation de la technologie.

Les travailleurs perçoivent différemment ce système informel. Certains nous ont dit être incertains au sujet de ce que représente être réputé au travail. Ils ont également affirmé que la capacité et la volonté de travailler en dehors des heures normales donnaient un avantage concurrentiel aux employés sans responsabilités familiales ni problèmes de santé. Ils ont ajouté que la culture organisationnelle qui encourage la connexion constante – grâce à des promotions ou à des primes – fait partie du problème. On nous a également dit que, pour certains employés des Premières Nations, la déconnexion des communications électroniques liées au travail a moins d'incidence sur leur travail que l'incapacité de se connecter en raison d'un mauvais accès Internet dans les régions éloignées.

Les experts et les travailleurs ont également déclaré que le droit à la déconnexion devrait être considéré comme une question d'équité. Les employés qui prolongent leur disponibilité au-delà de leurs heures normales de travail sont plus susceptibles d'obtenir des primes au rendement et des promotions. Le fait que les employeurs puissent récompenser la disponibilité prolongée peut nuire aux employés qui prennent soin d'enfants ou d'autres membres de leur famille. D'après des intervenants, cela peut susciter une concurrence malsaine entre employés et encourager certains employés à effectuer un nombre excessif d'heures de travail. Un syndicat a qualifié ces conséquences de « représailles indirectes ».

Conclusions et recommandations

Un meilleur accès aux appareils mobiles et à la technologie a contribué au brouillage des limites du temps consacré au travail et à la vie personnelle. Ces limites sont devenues de plus en plus floues, car les employés travaillent souvent à l'extérieur du lieu de travail après leurs heures normales, ou alors doivent rester disponibles ou modifier leur mode de vie et leurs activités pour répondre à une éventuelle demande de travail de leur employeur. Un tel flou peut porter atteinte à l'autonomie des travailleurs, à leur capacité de profiter de leur vie personnelle et familiale, de même qu'accroître le stress et d'autres risques pour la santé causés par l'augmentation des exigences de travail. Par ailleurs, la recherche montre que non seulement les femmes travaillent plus d'heures non rémunérées que les hommes, mais qu'elles consacrent plus de temps à des activités de soins non rémunérées, ce qui peut limiter leur capacité d'obtenir de la reconnaissance et de l'avancement professionnel. Du point de vue de l'ACS+, nos recommandations s'appliquent à tous les travailleurs, mais les travailleuses pourraient tout particulièrement tirer avantage d'une démarcation plus claire entre le temps au travail et le temps personnel.

Recommandation 14 : Le Comité ne recommande pas qu'un droit légiféré à la déconnexion soit accordé à l'heure actuelle.

Le Comité d'experts estime qu'il serait difficile à l'heure actuelle de mettre en œuvre et de faire appliquer un droit à la déconnexion législatif. La partie III du Code prévoit déjà le droit à des heures supplémentaires pour les services dont l'employeur a besoin au-delà de certaines heures de travail, ainsi que des limites à la durée du travail. Ces dispositions contribuent en partie à établir un cadre permettant de régler les éléments négatifs liés à cet enjeu. Néanmoins, le Code ne définit pas le concept ce que constitue être réputé au travail. Compte tenu des limites floues décrites ci-dessus, l'absence d'une telle définition crée de l'ambiguïté au sujet du travail pour les employeurs, les employés et les agents chargés de la mise en application des normes du travail.

Recommandation 15 : Le Comité recommande que les employeurs assujettis à la partie III du Code consultent leurs employés ou les représentants de ceux-ci et publient un énoncé de politique sur la question de la déconnexion.

Ces politiques doivent être adaptées au contexte propre à chaque milieu de travail. L'objectif est cependant de s'assurer que les normes du travail relatives au temps de travail sont interprétées et mises en œuvre correctement. Nous croyons qu'il serait utile pour les employeurs et les employés d'avoir une définition normalisée de « travailleur réputé être au travail » dans le Code, aux fins de l'élaboration de ces politiques. La politique doit définir clairement les limites entre le temps de travail et le temps personnel et expliquer de quelle façon les mesures de protection prévues par les normes du travail sont respectées.

Compte tenu de l'existence de divers types d'entreprises dans le SPRF et de différentes exigences en matière de service (par exemple, des entreprises actives 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, dans 6 fuseaux horaires), chaque politique sera probablement différente. Chaque politique doit préciser les attentes à l'égard d'éléments comme les urgences, la gestion des incidents, la protection des activités 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les problèmes liés à la sécurité (y compris les enquêtes), l'établissement des horaires de travail et la mise aux enchères des heures de travail, les activités de répartition (en particulier dans le domaine du camionnage), la formation en ligne après les heures de travail, l'attribution des tâches générales aux travailleurs contractuels et d'autres enjeux sectoriels particuliers pour lesquels les obligations professionnelles exigent la vérification des courriels avec l'appareil mobile. La politique devrait également traiter des courriels non essentiels qui sont envoyés après les heures de travail et des attentes concernant les délais de réponse à ces courriels.

Il est dans l'intérêt des employeurs d'avoir des politiques bien élaborées sur la communication électronique et de définir les attentes connexes en milieu de travail. Nous avons entendu à maintes reprises que la façon dont les employeurs abordent ce problème constitue un nouvel enjeu de mobilisation en milieu de travail et de maintien en poste des employés.

Recommandation 16 : Le Comité recommande que la partie III du Code définisse à quel moment les employés sont réputés être au travail.

Compte tenu de la façon dont les entreprises et les employés comptent sur les technologies mobiles, il est nécessaire de circonscrire durant quelles périodes les employés sont réputés être au travail afin que ceux-ci bénéficient des protections législatives visant la durée du travail. La détermination des circonstances dans lesquelles les employés sont réputés être au travail, peu importe le lieu de travail, permet à ceux-ci d'être rémunérés pour tout le temps passé au travail à la demande de l'employeur. Il faut également clarifier ce qui constitue être réputé au travail pour assurer le respect des périodes de repos.

La définition devrait reposer sur le principe selon lequel le travail comprend le moment où un employé travaille à la demande de l'employeur, que celui-ci soit à son lieu de travail ou à l'extérieur de celui-ci. Les employés doivent être réputés être au travail « lorsqu'ils fournissent des services exigés ou autorisés par l'employeur ». La formation suivie par l'employé et requise par l'employeur, que celle-ci soit suivie en milieu de travail ou à l'extérieur de celui-ci, doit également être considérée comme du temps de travail. Une définition législative de ce que constitue « être réputé au travail » est nécessaire pour s'assurer que les travailleurs puissent réellement bénéficier des mesures de protection prévues dans les normes du travail liées à la durée du travail. Le Comité d'experts estime que la mise en application des normes du travail serait facilitée par la présence d'une telle définition.

Recommandation 17 : Le Comité recommande que la partie III du Code accorde le droit à une rémunération ou à des congés compensatoires aux employés tenus d'être en disponibilité pour répondre aux possibles demandes de leur employeur.

À l'heure actuelle, la partie III ne traite pas de ces périodes de « disponibilité », sauf lorsque l'employé est effectivement rappelé au travail et qu'il est tenu de se présenter au travail. Dans de tels cas, l'employé a droit à un minimum de trois heures de salaire, au taux régulier. Le Code n'exige aucune rémunération pour les autres obligations professionnelles en dehors des heures de travail « reconnues ». Cette recommandation s'inspire de l'idée d'astreinte établie dans la loi française.

Il convient de souligner que l'obligation d'être disponible pour répondre aux demandes éventuelles de l'employeur exige rarement que l'employé soit à son lieu de travail. Toutefois, l'obligation de demeurer disponible et d'être immédiatement en mesure de travailler compromet le droit des employés à une vie privée. Souvent, l'obligation obligera les employés à demeurer dans un lieu géographique précis et à proximité du lieu de travail. En règle générale, le fait d'être en disponibilité pour travailler dans le SPRF comprendra l'obligation de ne pas avoir les facultés affaiblies par l'alcool ou les drogues. De telles obligations ont des répercussions sur l'autonomie des travailleurs et leur droit à des interruptions de leurs obligations professionnelles.

Les périodes pendant lesquelles les employés sont tenus de demeurer disponibles pour travailler, ou d'être en disponibilité, ne devraient pas être considérées comme des périodes de repos aux fins de la partie III. Nous reconnaissons cependant qu'il pourrait être nécessaire de déroger à cette recommandation dans les cas où la santé ou la sécurité du public en pâtirait.

Recommandation 18 : Le Comité recommande que soient menées d'autres recherches pour évaluer les répercussions d'une intensification accrue du travail découlant des communications électroniques et des exigences connexes en matière de productivité dans le SPRF.

Des travaux de recherche montrent que l'intensification du travail, y compris le fait de travailler, et d'être en disponibilité ou sur appel pour effectuer du travail en dehors des heures normales de travail, est susceptible d'avoir une incidence sur la conciliation travail-vie personnelle et sur la santé des employés, en particulier la santé mentale. La recherche que nous recommandons serait utile pour évaluer les répercussions sur la santé des travailleurs et la capacité de ceux-ci de bénéficier réellement des mesures de protection prévues par les normes du travail, ainsi que l'efficacité de ces normes pour protéger la santé des travailleurs.

Les travaux de recherche doivent également évaluer l'efficacité des mesures d'intervention volontaires et fondées sur les politiques que nous recommandons, afin d'établir des paramètres raisonnables pour le droit à la déconnexion dans les milieux de travail privés sous réglementation fédérale. Ces recherches devraient également viser à évaluer les groupes démographiques, les catégories de travailleurs ou les secteurs qui sont particulièrement touchés par l'intensification du travail.

Chapitre 5 : Avantages sociaux - accès et transférabilité

Le Comité a été mandaté pour examiner deux questions liées aux avantages sociaux.

  • Le gouvernement fédéral devrait-il prendre des mesures afin d'étendre l'accès aux avantages sociaux fournis par l'employeur dans le secteur privé sous réglementation fédérale (SPRF) ou d'en améliorer la transférabilité?
  • Si tel est le cas, quelles autres mesures devrait-on envisager?

Quel est l'enjeu?

Les avantages sociaux, y compris les normes minimales englobant les congés annuels, et les avantages offerts par les employeurs, comme les régimes de soins médicaux et d'épargne-retraite (notamment les pensions), sont essentiels à la sécurité financière et personnelle des travailleurs canadiens. Traditionnellement, seuls les employés à temps plein ayant occupé un emploi pendant une longue période avec le même employeur pouvaient bénéficier de ce type d'avantages sociaux.

À mesure que la nature du travail continue d'évoluer et que les travailleurs changent plus fréquemment d'employeur et occupent des formes d'emploi atypiques (par exemple, l'emploi à temps partiel et temporaire et le travail contractuel ou autonome), l'accès aux avantages sociaux peut devenir plus difficile et, dans certains cas, impossible.

Au cours des dernières années, on constate que les lacunes dans la prestation publique d'avantages sociaux s'accroissent au Canada. Par exemple, le Régime de pensions du Canada (RPC) verserait un montant mensuel maximal de 1 134,17 $ à une personne de 65 ans en 2018, mais peu de travailleurs à faible salaire ou à temps partiel pourraient réellement recevoir ce montant. En fait, le montant mensuel moyen pour les nouveaux bénéficiaires du RPC n'est que de 673 $.

Même si l'on combine le paiement de la Sécurité de la vieillesse (SV) et le Supplément de revenu garanti (SRG) pour les aînés à faible salaire (1 500 $ à l'heure actuelle), ce montant sera insuffisant pour couvrir les dépenses mensuelles moyennes (2 611 $) des retraités au Canada (Press, 2016). L'incidence de la récupération du SRG sur le revenu du RPC et les difficultés pour les personnes qui n'ont pas vécu au Canada pendant la plus grande partie de leur vie et ne seront pas admissibles au montant maximal de la SV entraîneront encore plus de difficultés pour les Canadiens qui planifient leur retraite (Milligan et Schirle, 2016; Busby et Muthukumaran, 2016).

Une étude réalisée en 2015 par le Wellesley Institute a révélé que le tiers des travailleurs canadiens n'ont pas droit à une couverture d'un régime d'assurance maladie offert par leur employeur, et les taux de couverture sont particulièrement faibles pour les femmes et les employés à temps partiel (Barnes et Anderson, 2015). Le Canada est le seul pays qui offre des soins de santé universels sans également offrir un régime d'assurance médicaments universel. Il existe plutôt un ensemble disparate de régimes provinciaux limités (Morgan et Daw, 2012).

Les problèmes de santé mentale coûtent plus de 50 milliards de dollars par année à l'économie canadienne, mais peu de services sont couverts par le régime d'assurance maladie (CAMH, s.d.). Seulement 6,2 % des dépenses dentaires au Canada sont couvertes par les gouvernements (ACD, 2017), et six millions de Canadiens n'ont pas d'examen dentaire annuel en raison des coûts et des problèmes d'accès particuliers auxquels font face les groupes vulnérables (ACSS, 2014).

Les répercussions de la répartition des avantages sociaux inadéquats constituent également des enjeux majeurs. Par exemple, les femmes sont plus susceptibles de vivre dans des ménages à faible salaire que les hommes, bien que cet écart se soit amenuisé au cours des dernières décennies (Fox et Moyser, 2018). En outre, les femmes font face à des défis particuliers en matière d'épargne -retraite, comme l'écart salarial entre les sexes, moins d'années sur le marché du travail et une espérance de vie moyenne plus longue que celle des hommes (Garnick, 2016). Les immigrants récents font également face à des problèmes particuliers en matière d'épargne-retraite, comme les exigences de résidence pour la SV et une rémunération inférieure à celle de leurs homologues nés au Canada (Marier et Skinner, 2015).

La situation du secteur privé sous réglementation fédérale

Compte tenu de ces lacunes dans le système public de soins de santé, les avantages sociaux offerts par les employeurs jouent un rôle de plus en plus essentiel pour de nombreux travailleurs, car ils répondent à leurs besoins et les aident à surmonter des défis imprévus. Quelle est la situation des travailleurs du SPRF?

La plus récente Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale (2015) brosse le tableau suivant :

  • 88 % des employés ont travaillé pour le même employeur pendant plus d'un an et 38 % pendant 10 ans ou plus;
  • 32 % des employeurs offrent des régimes de retraite à leurs employés (83 % des grands employeurs et 28 % des petits employeurs);
  • 47 % des employeurs offrent des avantages liés à l'emploi à leurs employés; ceux qui emploient 5 employés ou moins étant environ 3 fois moins susceptibles d'offrir des avantages que ceux qui emploient 100 employés ou plus (35 % contre 99 %).

Une analyse de 231 conventions collectives faite par le Programme du travail pour le Comité d'experts à l'aide de la base de données Négothèque révèle ce qui suitNote de bas de page 112 :

  • les employés à temps partiel bénéficient généralement d'avantages au prorata de leurs heures de travail, et un nombre restreint de conventions n'offrent aucun avantage social aux employés à temps partiel;
  • les employés occasionnels et temporaires ne reçoivent habituellement pas d'avantages comme un régime d'épargne-retraite, des assurances médicales et collectives, et des congés;
  • en général, les employés saisonniers ont droit à des prestations uniquement pendant leur période de service. Ils peuvent toutefois opter pour une protection pendant leur période de mise en disponibilité saisonnière s'ils continuent de payer les coûts connexes.

Selon l'Étude longitudinale et internationale des adultes (ELIA) de 2014Note de bas de page 113, la participation à un régime de retraite offert par l'employeur est plus fréquente dans le SPRF que dans l'ensemble du Canada. Environ 33 % des travailleurs du SPRF participaient à un régime enregistré d'épargne-retraite (REER) offert par l'employeur, 21 % à un régime de participation différée aux bénéfices (RPDB) et 53 % à un régime de retraite établi par l'employeurNote de bas de page 114. Au Canada, environ 20 % des employés cotisaient à un REER, 5 % à un RPDB et 37 % à un régime de retraite offert par l'employeur.

Enfin, selon l'enquête comparative de 2015 du Conference Board du Canada, 29 % de tous les employeurs (non seulement ceux du SPRF) offrent des avantages aux employés permanents à temps partiel, à condition que l'employé atteigne un seuil d'heures de travail.

Dans un sondage public en ligne mené par le Programme du travail dans le cadre des consultations de 2017 à 2018 sur les normes du travail fédérales modernes, 95 % des répondants ont affirmé que le maintien des avantages sociaux serait très important ou plutôt important s'ils changeaient d'emploi, et 37 % ont dit que les employés devraient pouvoir conserver leurs avantages sociaux lorsqu'ils changent d'emploi.

Il importe également de noter que dans le cadre de la Loi no 2 d'exécution du budget de 2018 qui a reçu la sanction royale en décembre 2018, les périodes d'admissibilité à un certain nombre de congés seront éliminées, et la période d'admissibilité à une troisième semaine de congé annuel sera ramenée de six à cinq ans. Ces changements auront une incidence positive sur les employés qui changent souvent d'emploi.

De façon générale, nous constatons que les grands employeurs du SPRF offrent des avantages sociaux à leurs employés permanents à temps plein, et que de nombreux employeurs dont la main-d'œuvre est syndiquée en offrent également à leurs employés à temps partiel. Toutefois, peu d'employés occasionnels ou contractuels ont droit à des avantages sociaux. La composition du SPRF, qui compte plus d'employés permanents à temps plein et de milieux de travail syndiqués que l'ensemble du Canada, signifie que les travailleurs du SPRF sont mieux pourvus en avantages sociaux que leurs homologues des secteurs sous réglementation provinciale et territoriale.

Cette situation pourrait cependant changer, en raison des tendances générales de croissance du travail atypique. Par ailleurs, les données et les moyennes globales ne sont pas plus favorables pour les travailleurs du SPRF qui ont actuellement un accès limité ou inexistant aux avantages sociaux. Cela comprend les quelque 60 000 travailleurs autonomes du SPRF qui n'ont pas d'employés et n'ont pas accès aux avantages sociaux du tout, à moins de les acheter de façon indépendante s'ils en ont les moyens.

Dans un tel contexte, le gouvernement fédéral devrait-il prendre des mesures afin d'étendre l'accès aux avantages sociaux fournis dans le SPRF ou améliorer la transférabilité de ces avantages sociaux? Si tel est le cas, quelles autres mesures devrait-on envisager? Dans la négative, pourquoi?

Ce que les recherches révèlent

Traditionnellement, la notion d'avantages sociaux est rattachée à une relation d'emploi. Si une personne change d'employeur, elle bénéficie des avantages sociaux (s'il y en a) offerts par son nouvel employeur et n'a aucun lien avec le régime de son emploi antérieur. Certaines juridictions et certains chercheurs commencent à explorer une nouvelle approche en matière d'avantages sociaux, qui tient compte des changements de plus en plus rapides et fréquents entre les employeurs et les emplois. Cette approche, souvent appelée « avantages sociaux transférables », mettrait fin à la relation entre les avantages sociaux et l'employeur et créerait une nouvelle relation entre les avantages sociaux et l'employé.

Bien que l'enjeu des avantages sociaux « transférables » soit relativement nouveau et qu'il est apparu dans la foulée de la croissance du travail atypique, il existe certains antécédents historiques. Comme il est mentionné ci-dessous, cela fait plusieurs décennies que les travailleurs de certains secteurs, comme les arts ou le débardage, occupent des postes temporaires, contractuels et à temps partiel et changent fréquemment d'employeur. Les approches en matière d'avantages sociaux qui tiennent compte de ce type de travail se sont perfectionnées et ont évolué en fonction des besoins de ces travailleurs.

Peu de recherches ont été effectuées au sujet des minimums législatifs. En Australie, les congés pour longs états de service (un droit à des congés annuels supplémentaires accordé après une certaine période chez un employeur) sont transférables dans certaines industries. Dans un rapport de 2017 du McKell Institute, Markey et coll. plaident en faveur d'un congé national transférable pour longs états de service partout en Australie, en faisant notamment valoir que de plus en plus de travailleurs demeurent dans la population active à un âge plus avancé. Il est donc plus important pour les travailleurs d'avoir une période de rétablissement (congé pour longs états de service) à un moment donné de leur vie professionnelle.

Parallèlement, les auteurs constatent que les travailleurs sont très mobiles et que les trois quarts demeurent au service d'un employeur moins de 10 ans, ce qui signifie que seulement une petite partie des travailleurs peuvent bénéficier du congé. Ils soulignent également que les femmes sont moins nombreuses à avoir accès au congé parce qu'elles sont moins susceptibles de travailler pour un même employeur pendant 10 ans ou plus. Les auteurs décrivent un certain nombre d'avantages possibles de l'élargissement des congés pour longs états de service transférables à tous les travailleurs, y compris le maintien en poste, l'équité, la mobilité, la flexibilité et la productivité des travailleurs. Le coût pour les employeurs constitue le principal inconvénient potentiel de cette approche.

Au Canada, peu de recherches ont été menées à ce jour sur la question de la transférabilité des avantages sociaux. Le Mowat Centre (Thirgood, 2017) a proposé un scénario d'avenir dans lequel tous les travailleurs auraient accès à des congés payés (p. ex., congé annuel ou de maladie) et à d'autres avantages (soins médicaux et régime de retraite) au moyen d'un compte de prestations transférables financé par les cotisations patronales au prorata des heures travaillées par l'employé. Les auteurs soulignent que la réalisation de cette idée exigerait la coopération des gouvernements fédéral et provinciaux. Un rapport de 2019 publié conjointement par l'Aspen Institute et Common Wealth du Canada (Mazer et coll., 2019) explore la faisabilité de la transférabilité des prestations de retraite non patronales à titre de complément aux modèles existants de régimes d'employeur unique et de l'État-providence.

Dans un rapport publié en 2016 pour l'Aspen Institute, Rolf, Clark et Watterson Bryant soutiennent que le filet de sécurité sociale actuellement en place aux États-Unis est insuffisant pour les travailleurs du XXIe siècle en ce qui concerne la transférabilité des avantages sociaux. En guise de solution, les auteurs préconisent un régime d'avantages sociaux transférables qui pourrait prendre différentes formes, mais qui serait fondé sur trois éléments : la transférabilité, la proportionnalité et l'universalité. Hanauer et Rolf (2015) ont proposé un modèle de « caisses communes de sécurité » qui offrirait aux travailleurs américains un système universel d'avantages sociaux financés par une cotisation des employeurs et des plateformes en ligne équivalant à 25 % de la rémunération des travailleurs.

Une recommandation similaire a été formulée dans un rapport de Strom et Schmitt (2016). Leur modèle est administré au moyen de retenues salariales et probablement au prorata selon le nombre d'heures de travail effectuées pour un employeur. Ces études proposent des suggestions différentes à l'égard de la participation volontaire ou obligatoire, de l'ampleur de la transférabilité (au sein d'un effectif, de l'industrie ou de tous les employeurs), des cotisants et des montants.

Au Canada, Johal et Thirgood (2016) affirment que la transférabilité des avantages sociaux constitue un changement transformationnel que les décideurs publics canadiens pourraient envisager dans notre marché du travail en évolution. Johal et Cukier (2019) ont également énoncé un ensemble de considérations en matière de politiques et de programmes qui doivent être prises en compte lorsque des organisations ou des gouvernements envisagent d'établir un modèle de prestations transférables.

Un sondage mené auprès des travailleurs autonomes américains en 2017 a révélé un solide appui à l'égard des avantages sociaux transférables : 81 % des répondants estimaient qu'une telle approche était valable et seulement 7 % affirmaient le contraire. Toutefois, le sondage ne précisait pas qui paierait les avantages sociaux, ce qui pourrait accroître les appuis dans une certaine mesure (Krueger, 2017).

Ce que nous avons entendu

Lors de nos activités de mobilisation, les syndicats, les travailleurs et les organisations représentant les travailleurs nous ont dit que l'accès aux avantages sociaux et leur transférabilité devraient être considérés comme deux sujets de préoccupation distincts. Nous avons également appris que même si l'accès aux avantages sociaux représente un sérieux problème pour les travailleurs atypiques, la transférabilité des avantages sociaux offre la possibilité de pratiques plus équitables en milieu de travail.

Des travailleurs et des organisations représentant les travailleurs nous ont dit qu'un bon nombre de catégories de travailleurs atypiques n'ont pas accès aux avantages sociaux, en particulier les employés occasionnels et les travailleurs « des petits boulots », ainsi que les employés temporaires, à temps partiel et contractuels, même dans certains milieux syndiqués. Ils ont également affirmé que l'élaboration de régimes d'avantages sociaux transférables qui sont liés au travailleur et qui le suivent d'un emploi à l'autre serait utile aux employés dans les secteurs à roulement élevé de personnel qui occupent des postes précaires, aux travailleurs âgés qui risquent de perdre leur emploi et leurs avantages sociaux à un stade plus avancé de leur vie, ainsi qu'aux travailleurs marginalisés et à ceux qui occupent de multiples emplois.

Certains syndicats et certaines organisations de travailleurs nous ont dit qu'ils croient qu'un salaire égal pour un travail égal, peu importe le statut d'emploi, devrait s'appliquer aussi aux avantages sociaux; ceux-ci pourraient cependant être accordés au prorata pour les travailleurs atypiques. Certains défenseurs des travailleurs ont suggéré que les prestations transférables pourraient être normalisées, de sorte que les cotisations de l'employeur seraient les mêmes. Un groupe a proposé un modèle d'avantages sociaux réglementé par la loi comportant différents niveaux de couverture, offrant ainsi une certaine cohérence et prévisibilité aux travailleurs et aux employeurs; un autre a suggéré des avantages sectoriels.

Quelques organisations ont souligné que des syndicats ont des régimes d'avantages sociaux transférables, auxquels se rattachent des cotisations qui s'ajoutent aux cotisations syndicales des employés. Bien que la plupart des organisations et des travailleurs à qui nous avons parlé aient convenu que des avantages sociaux transférables aideraient de nombreux travailleurs, plusieurs syndicats et organisations de travailleurs ont souligné que cette transférabilité serait complexe sur le plan administratif, coûteuse et difficile à mettre en œuvre auprès d'employeurs distincts.

Quelques syndicats et organisations de travailleurs ont fait remarquer que les avantages sociaux universels (par exemple, un régime d'assurance médicaments) élimineraient certains des risques auxquels font face les travailleurs qui perdent leurs avantages sociaux ou n'y ont pas accès, et réduiraient certains coûts liés aux régimes privés pour les employeurs. Nous avons également appris que de nombreux régimes de retraite sont, par nature, transférables. Le RPC a été mentionné comme exemple de régime universel et transférable auquel tous les employés et employeurs versent des cotisations. Et ce régime demeure lié au travailleur plutôt qu'à l'employeur.

Les experts ont fait remarquer que les régimes d'assurance avec participation volontaire peuvent être prohibitifs pour de nombreux travailleurs, ce qui explique leur faible taux de participation. Les experts nous ont également dit qu'ils pensaient qu'il était nécessaire de créer un nouveau régime universel de protection sociale qui ne dépendrait pas de la relation d'emploi conventionnelle, qui n'est plus une réalité pour de nombreux travailleurs. Selon les experts, le modèle de pension du RPC pourrait être appliqué aux avantages sociaux.

Les organisations autochtones nous ont dit que des travailleurs dans les collectivités autochtones, en particulier les plus jeunes qui ont des contrats de durée limitée, n'ont pas de régime de retraite ni d'avantages sociaux. Nous avons également appris que bon nombre d'entre eux font partie de la première génération de travailleurs hautement qualifiés dans leur famille et qu'ils n'ont pas accès à des sources de conseils ni à d'autres ressources qui les aideraient à planifier leur retraite. Pour remédier à cette situation, il a été recommandé d'offrir aux jeunes, dès l'école secondaire, davantage de possibilités de formation sur l'importance des régimes de retraite et d'avantages sociaux pour eux, leur famille et leur collectivité.

De leur côté, les employeurs et les organisations d'employeurs nous ont dit qu'ils appuyaient dans une certaine mesure une nouvelle approche en matière d'avantages sociaux, mais qu'ils avaient des préoccupations au sujet des coûts potentiels et de la mise en œuvre concrète de telles mesures.

Les employeurs nous ont dit que l'accès aux avantages sociaux varie selon le milieu de travail. Un employeur a dit qu'il offrait une gamme complète d'avantages sociaux à ses travailleurs à temps partiel, mais qu'il allait passer à un système de participation proportionnelle. Certains nous ont dit que les employés temporaires bénéficient de certains des avantages sociaux, que les employés occasionnels peuvent cotiser volontairement au régime général des employés, mais que la participation est faible. Un employeur a affirmé que ses employés à temps partiel ne reçoivent pas d'avantages sociaux, mais que leur salaire initial est généreux. Certains employeurs ont dit qu'ils n'offrent pas d'avantages aux employés s'ils ne s'attendent pas à avoir une relation d'emploi à long terme. Un autre nous a dit que s'il y avait une obligation d'offrir des avantages sociaux à tous les employés, les employeurs pourraient cesser d'en offrir en raison de la hausse des coûts.

Nous avons appris que l'accès aux avantages sociaux varie d'un secteur à l'autre. Dans le domaine du camionnage, certains employeurs nous ont dit que la majorité des conducteurs ont des régimes d'avantages sociaux standards et que les propriétaires-exploitants peuvent participer à un régime distinct. Dans le secteur bancaire, on nous a dit que les avantages sociaux sont considérés comme un atout concurrentiel aux fins du recrutement, mais ils ne sont pas offerts à tous les employés. Certains transporteurs aériens ont dit qu'ils offraient des avantages sociaux aux employés à temps partiel et d'autres non. Une association d'employeurs nous a dit que les avantages sociaux sont négociés dans le cadre des négociations collectives, tandis qu'une autre a dit que pour demeurer concurrentielles, les petites et moyennes entreprises doivent avoir la marge de manœuvre nécessaire pour négocier les conditions de travail comme les avantages sociaux.

Des organisations autochtones nous ont dit que certains grands conseils de bande offrent des régimes d'avantages sociaux collectifs, mais qu'ils ne peuvent parfois payer qu'une petite part de ces régimes. Ils nous ont dit que les plus petits conseils n'ont souvent pas les fonds nécessaires pour offrir des avantages sociaux. En outre, ils ont fait remarquer que les lois sur les assurances et les régimes de retraite gouvernementaux varient selon les régions, ce qui ajoute à la complexité.

Dans l'ensemble, les employeurs nous ont dit que les régimes de retraite et d'avantages sociaux devraient demeurer distincts, en raison de leur structure. Une importante organisation d'employeurs nous a dit que la transférabilité des avantages sociaux entre employeurs serait difficile sur le plan administratif et que les employés devraient cotiser à un régime distinct non lié à leur employeur. Certains employeurs nous ont également dit que les fournisseurs de régimes d'avantages sociaux peuvent imposer des restrictions supplémentaires sur les personnes admissibles à la couverture du régime. D'autres nous ont dit qu'ils avaient reçu des avis d'actuaires selon lesquels les régimes interentreprises n'étaient pas réalisables.

Une autre organisation d'employeurs a dit que la transférabilité entre employeurs ferait augmenter les coûts pour les employeurs qui pourraient ne pas être en mesure de les payer, et que cela créerait des problèmes d'embauche. Un employeur a fait remarquer que les régimes d'avantages sociaux ne sont pas uniformes d'un employeur à l'autre, ce qui complique la transférabilité, et qu'un ensemble normalisé d'avantages sociaux nuirait à la concurrence sur le marché du travail. Un autre a mentionné que le fait d'avoir différentes gammes d'avantages sociaux parmi les employés d'une même entreprise entraîne des iniquités en milieu de travail.

Plusieurs employeurs ont dit qu'ils appuieraient les régimes d'avantages sociaux avec participation volontaire, payés par les employés. Ces régimes ne seraient pas liés aux employeurs et ceux-ci ne seraient pas tenus d'y cotiser. Le représentant d'un employeur a suggéré la création d'un crédit d'impôt à l'intention des travailleurs atypiques afin de compenser leurs coûts. Toutefois, d'autres employeurs ont fait remarquer que les régimes d'avantages sociaux transférables sont économiquement réalisables uniquement s'ils sont obligatoires.

Les experts conviennent que les régimes d'assurance complémentaires coûtent cher et qu'ils font l'objet d'une antisélection. En outre, pour offrir à grande échelle les avantages sociaux aux travailleurs atypiques, le régime devrait probablement être obligatoire. Les universitaires nous ont également présenté des modèles novateurs à prendre en considération ainsi que des exemples de régimes pilotes actuellement envisagés. Ils ont également suggéré d'élargir le RPC ou de créer un régime d'avantages sociaux inspiré du RPC.

Pratiques exemplaires et concepts novateurs

Dans d'autres juridictions et dans l'ensemble du milieu de travail canadien, des pratiques exemplaires viables et des concepts novateurs en matière de prestation d'avantages sociaux ont été recensés. Le Comité d'experts en a identifié un certain nombre lors de ses recherches et activités de mobilisation. Il décrit ci-dessous les avantages de certains d'entre eux aux fins d'examen lors de l'élaboration de cadres de gestion d'avantages sociaux, que ce soit globalement ou pour des secteurs particuliers.

De façon générale, l'éventail des avantages sociaux offerts comporte deux extrêmes, selon le niveau de participation de l'employeur et du gouvernement. À une extrémité se trouve la prestation complémentaire d'avantages sociaux par les employeurs, où ceux-ci déterminent la portée et la couverture en fonction de l'abordabilité et d'une foule d'autres critères, comme l'importance de ces avantages pour recruter ou maintenir en poste du personnel. À l'autre extrémité se trouvent les régimes universels et administrés par l'État, comme le RPC et le régime d'assurance maladie. Pour les motifs exposés plus loin dans la présente section, le Comité n'a formulé aucune recommandation relativement à l'une ou l'autre de ces approches.

C'est la zone « intermédiaire » plus complexe qui est au cœur des initiatives décrites ci-dessous, car le Comité estime qu'aux fins d'examen pour le présent rapport, ces modèles sont les plus pratiques et réalisables. Ces modèles représentent diverses combinaisons de cotisations des employés ou des employeurs, ou d'autres modèles administratifs qui tiennent compte des problèmes des travailleurs qui passent d'un employeur à l'autre au cours de leur vie professionnelle ou qui travaillent sur de nouvelles plateformes technologiques (par exemple, l'économie des petits boulots).

L'initiative « Common Good »

Conçu pour le secteur des organismes sans but lucratif et de bienfaisance, ce modèle vise à créer un régime de retraite collectif de grande qualité, transférable à l'échelle nationale, qui combine les principes fondamentaux de régimes de retraite exemplaires et une conception plus souple. Comme l'explique le document de consultation de l'initiative (Common Good, 2018), les principales caractéristiques du régime sont les suivantes :

  • conseil d'administration ayant l'obligation légale de donner la priorité aux intérêts des participants;
  • régime hybride de compte d'épargne libre d'impôt (CELI)/régime enregistré d'épargne-retraite (REER) collectif;
  • participation obligatoire ou volontaire et ouverte aux employés du secteur, aux pigistes et aux conjoints;
  • taux de cotisations souples pour les employés et cotisations optionnelles pour l'employeur;
  • options de placement sélectionnées par des professionnels;
  • options d'après-retraite qui optimisent l'épargne pour en faire une source de revenus, grâce à l'administration simple du régime.

Régimes de retraite d'employeurs exempts d'impôt

Dans son étude de 2019, Bonnie-Jeanne MacDonald propose un type de régimes de retraite d'employeur qui aiderait les travailleurs à faible salaire, et qui serait structuré comme les REER actuels. Une différence majeure par rapport aux REER : l'épargne serait accumulée dans un mécanisme libre d'impôt. De plus, comme ce régime ne serait pas considéré comme un « revenu », il ne serait pas non plus un critère pour déterminer l'admissibilité aux prestations fédérales ou provinciales fondées sur le revenu.

Régime de retraite financé par les participants

Il s'agit d'un modèle de prestations garanties à vie, avec cotisations fixes de l'employeur et d'une réserve indexée. Ce modèle existe au Québec depuis 2008 et prévoit des cotisations fixes de l'employeur (Lizée, 2018). La viabilité de ce régime repose sur une réserve indexée équivalant à environ la moitié du passif financé par des cotisations supplémentaires des employeurs et des employés. L'indexation est promise, mais elle ne sera accordée que si le régime est en bonne situation financière. La réserve substantielle protège le régime contre le risque de déficit tout en permettant la pleine indexation périodique au coût de la vie. Jusqu'à présent, tous les régimes de retraite de ce type au Québec indexent pleinement les prestations au coût de la vie, et ce depuis leur création.

Ce modèle a gagné en popularité dans le secteur public, par exemple avec le régime des employés de la fonction publique de l'Ontario (OPTrust) et le Régime de retraite des collèges d'arts appliqués et de technologie (CAAT) mis en place en 2018 pour les employés des secteurs public et sans but lucratif. En outre, le Régime PD Plus des CAAT (CAAT, s.d.) peut accepter des employeurs du secteur privé canadien. Ce modèle offre un revenu garanti aux travailleurs à la retraite au moyen de cotisations fixes de l'employeur et de rentes viagères garanties, ce qui protège les retraités contre l'épuisement de leur épargne-retraite, tandis que l'indexation conditionnelle vise à protéger leur pouvoir d'achat jusqu'à leur décès.

Régimes d'avantages sociaux et de retraite interentreprises

Les travailleurs de l'industrie du débardage du SPRF travaillent souvent pour un certain nombre d'employeurs à divers moments de leur carrière. Afin d'assurer la continuité dans les négociations et la gestion de la paie et des avantages sociaux pour ces travailleurs, la British Columbia Maritime Employers Association négocie collectivement au nom des employeurs avec l'International Longshore Workers Association (BCMEA, s.d.) et offre aux employés des régimes d'avantages sociaux et de retraite cohérents, malgré les changements d'emploi entre les différents employeurs.

Associations d'artistes et de producteurs

Au QuébecNote de bas de page 115 et dans le SPRFNote de bas de page 116, les travailleurs de ce secteur peuvent conclure des ententes qui énoncent clairement les conditions minimales d'emploi, dont les avantages sociaux. Ceux-ci sont financés par les cotisations versées par les producteurs et les artistes à une caisse commune de sécurité. De même, des syndicats et des associations de travailleurs comme le Syndicat canadien des pigistes (une section communautaire d'Unifor) offrent des avantages sociaux et des mesures de protection aux pigistes et aux travailleurs autonomes (UNIFOR, s.d.), tant qu'ils sont membres de l'association.

Régimes REER collectifs, régimes de rentes différées et rentes viagères à paiement variable

Il s'agit d'autres types de modèles qui sont couramment offerts sur le marché. Des régimes d'assurance offrent des régimes personnalisés d'avantages sociaux, mais les primes sont fixées en fonction des circonstances individuelles et ne procurent pas nécessairement les avantages financiers que procurent les régimes collectifs.

Autres exemples provinciaux

Au Québec, les résidents permanents qui ne sont pas admissibles à un régime privé d'assurance maladie avec couverture des médicaments d'ordonnance doivent être inscrits auprès de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ). Ce régime public d'assurance médicaments couvre environ 8 000 médicaments différents, et chaque participant verse une franchise mensuelle et une partie de la coassurance (RAMQ, s.d.). En outre, des employeurs d'un secteur donné ou d'une région géographique peuvent se regrouper pour créer des régimes interentreprisesNote de bas de page 117 afin d'offrir aux employés des options en matière d'avantages sociaux. On trouve ces régimes principalement dans des secteurs syndiqués.

Le Fair PharmaCare Plan (Province de la Colombie-Britannique, 2019) en Colombie-Britannique aide les familles à payer les médicaments d'ordonnance, les frais d'ordonnance et certaines fournitures médicales selon un taux fondé sur le revenu; par conséquent, les familles à faible salaire reçoivent un soutien provincial plus important. La couverture est établie en fonction du revenu, une franchise annuelle et des plafonds familiaux. Le régime peut payer entre 70 % et 100 % du coût des médicaments d'ordonnance, selon la franchise et les plafonds établis. Le Family Pharmacare Program de la Nouvelle-Écosse offre un régime similaire d'assurance médicaments fondé sur le revenu familial.

En Alberta, un programme de la Croix-Bleu parrainé par le gouvernement offre une vaste couverture médicale avec une foule d'éléments, y compris l'assurance médicaments. Le programme assure l'administration de régimes semblables au nom du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (Province de l'Alberta, 2018). Le programme offre une couverture pour certains services non couverts par l'Alberta Health Care Insurance Plan (AHCIP), y compris la couverture individuelle, la couverture pour les aînés et la couverture des soins palliatifs. Les coûts comprennent une franchise annuelle et une prime mensuelle avec subvention pour les personnes à faible salaire.

En Ontario, le ministère des Services à l'enfance et des Services sociaux et communautaires administre la Prestation de santé transitoire qui assure aux bénéficiaires du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) le maintien de la couverture pour les médicaments, les soins dentaires, les soins de la vue et les fournitures médicales s'ils quittent le POSPH à des fins d'emploi ou si leur employeur ne leur verse pas de prestations comparablesNote de bas de page 118.

Les employeurs de la Saskatchewan qui comptent au moins 10 employés à temps plein doivent offrir la moitié des avantages sociaux offerts aux employés à temps plein à tous les employés à temps partiel qui travaillent entre 15 et 30 heures par semaine, tandis que ceux qui travaillent plus de 30 heures par semaine bénéficient de la gamme complète d'avantages sociaux.

Juridictions internationales

Aux États-Unis, des progrès ont été réalisés dans la création de programmes qui aident des entreprises de l'économie des petits boulots (comme Uber, Etsy et TaskRabbit) à offrir à leurs travailleurs des régimes d'avantages sociaux abordables et accessibles. En vertu des « Essential Health Benefits » de l'Affordable Care Act, Stride Health (une entreprise privée en démarrage établie en Californie) offre ainsi aux travailleurs divers régimes avec cotisations et franchises variables.

On recense également aux États-Unis des régimes interentreprises comme le Family Medical Care Plan (FMCP) à l'intention des membres de la National Electrical Contractors Association (NECA) et de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (FIOE). Le PCMP repose sur un cadre d'admissibilité selon le nombre d'heures de travail et comprend également un compte spécial dans lequel l'employeur peut verser des cotisations au nom d'un employé pour des frais non couverts par le régime (NECA, 2019).

Il existe également des approches novatrices en matière de transférabilité des avantages sociaux adoptées par des États, notamment le Secure Choice Retirement Saving Plan (Illinois, 2019), le CalSavers Secure Choice Retirement Savings Plan (Californie, 2019) et la loi récemment adoptée par l'État de Washington qui établirait un fonds d'avantages sociaux transférables pour couvrir toute entreprise qui fait appel à des entrepreneurs indépendants pour la prestation de services.

Au Royaume-Uni, l'ouvrage Good Work: The Taylor Review of Modern Working Practices (Taylor et coll., 2017) recommande l'élaboration de projets de transférabilité des avantages sociaux en collaboration avec des tiers afin de répondre aux besoins des personnes qui passent d'un emploi à l'autre.

En France, les contrats à durée déterminée sont reconnus comme une caractéristique du travail précaire, et les travailleurs sont rémunérés en vertu du Code du travail lorsqu'un contrat à durée déterminée ne se transforme pas en une relation d'emploi à durée indéterminée. Dans une telle situation, le travailleur reçoit une indemnité de fin de contrat de 10 % à la fin de son contrat pour compenser la précarité de sa situationNote de bas de page 119. Il existe des exceptions à cette approche dans un certain nombre de situations, comme les emplois saisonniers et les contrats pour les jeunes. Dans un rapport publié en 2012, la Commission du droit de l'Ontario a recommandé que la province explore un modèle semblable pour les travailleurs à temps partiel et les travailleurs temporaires.

En 2018, le Conseil européen a entamé des négociations avec le Parlement européen pour établir un régime de retraite volontaire transférable, appelé le « produit paneuropéen d'épargne-retraite individuelle » qui pourrait être offert aux travailleurs de tout le continent.

Reconnaissant que seulement 27 % des Européens âgés de 25 à 59 ans participent à un régime de retraite, le Parlement et le Conseil de l'UE ont convenu en 2019 d'un nouveau régime de retraite volontaire transférable. L'intention est de fournir un régime d'épargne à l'échelle de l'UE qui serait un complément aux régimes de retraite offerts par les employeurs et l'État, avec possibilité de transfert au-delà des frontières nationales et entre les régimes (Conseil européen, 2019).

Conclusions et recommandations

Accès aux avantages sociaux

L'accès aux avantages sociaux représente un problème de taille pour de nombreux travailleurs au Canada, en particulier ceux qui occupent un emploi atypique. Il convient de souligner que les femmes, les personnes racialisées, les immigrants et les personnes en situation de handicap sont surreprésentés dans les emplois atypiquesNote de bas de page 120.

En 2011, moins du quart des travailleurs de l'Ontario (non seulement ceux du secteur privé sous réglementation fédérale) qui exerçaient un travail atypique avaient accès à des avantages sociaux complémentaires pour les soins de santé, les soins dentaires et une assurance, comparativement à plus de 75 % des travailleurs qui avaient un emploi conventionnel. On constate un fossé semblable au chapitre de l'accès à un régime de retraite d'employeur. En effet, un peu moins de 17 % des travailleurs occupant une forme d'emploi atypique avaient un tel régime, tandis que plus de la moitié des travailleurs occupant un emploi conventionnel en avaient un (Mitchell et Murray, 2017).

Il est fort possible que se concrétise la perspective d'une augmentation continue des formes d'emploi atypiques en raison de l'évolution de la nature du travail et du « fractionnement » des emplois traditionnels à temps plein causé par les progrès technologiques. Depuis le milieu des années 1990, les formes d'emploi atypiques représentent 60 % de la croissance de l'emploi dans les économies avancées (OCDE, 2015). Ces tendances pourraient se concrétiser à une cadence accélérée dans le SPRF, qui, comme nous l'avons mentionné précédemment, offre à la plupart de ses travailleurs une couverture des avantages sociaux relativement meilleure que celle offerte à l'ensemble des travailleurs au Canada.

En raison du manque de données, il est difficile de saisir l'ampleur du travail atypique, des genres d'avantages sociaux, ainsi que de la portée de la couverture pour les travailleurs ayant de tels régimes de travail dans le SPRF. Il ne fait toutefois aucun doute que de nombreux travailleurs atypiques occupent des postes vulnérables, avec peu de sécurité d'emploi et un faible salaire. Du point de vue de l'équité et de la dignité, ces travailleurs ont des arguments convaincants pour demander un accès aux avantages sociaux aux travailleurs qui occupent des emplois conventionnels mieux rémunérés.

De récentes modifications apportées au Code en décembre 2018 ont eu pour effet de réduire ou d'éliminer les périodes d'admissibilité (voir le tableau 8) afin de faciliter l'accès aux prestations minimales prévues par la loi (par exemple, les congés annuels et divers types de congés). Une fois en vigueur, ces modifications profiteront aux travailleurs qui changent fréquemment d'emploi en leur donnant immédiatement ou plus rapidement droit à un congé de maternité ou à un congé personnel, par exemple.

Tableau 8 : Changements récemment apportés aux exigences en matière de service continu pour les avantages sociaux en vertu de la partie III du Code canadien du travail
Avantage social Exigence de service continu
Avant les changements de décembre 2018 Après l’entrée en vigueur (des changements de 2018)
Indemnité de jour férié 30 jours Aucune
Congé de maladie Trois mois Aucune
Congé de maternité Six mois Aucune
Congé parental Six mois Aucune
Congé pour maladie grave Six mois Aucune
Congé lié au décès ou à la disparition d’un enfant Six mois Aucune
Congé annuel payé (trois semaines) Six ans Cinq ans

L'accès accru aux avantages sociaux offerts par les employeurs constitue par ailleurs un enjeu plus litigieux, et les répercussions sur les coûts pour les employeurs sont évidentes. Par exemple, accroître la portée du concept de « salaire égal pour un travail égal » pour passer à « prestations égales pour un travail égal » pourrait faire en sorte que les travailleurs à temps partiel aient droit à des prestations proportionnelles ou intégrales, selon des seuils minimums potentiels d'heures travaillées.

L'Examen portant sur l'évolution des milieux de travail de l'Ontario (2017) a conclu que l'élargissement de la portée des régimes d'avantages sociaux et de retraite selon le principe « des prestations égales pour un travail égal » pour englober les travailleurs à temps partiel, temporaires, contractuels, occasionnels et saisonniers était impossible en raison de sérieuses préoccupations à l'égard des conséquences imprévues pour les travailleurs à temps plein et d'autres considérations pratiques (Mitchell et Murray, 2017). En particulier, l'examen a soulevé les obstacles suivants à l'élargissement de l'accessibilité aux régimes d'avantages sociaux et de retraite pour les travailleurs atypiques :

  • problèmes de coûts, qui empêchent de nombreux employeurs d'offrir des régimes d'avantages sociaux même aux employés à temps plein (en particulier les coûts des régimes d'assurance médicaments);
  • les défis que pose la tarification proportionnelle des régimes d'avantages sociaux d'un point de vue administratif : cela mènerait probablement à l'obligation de créer un deuxième régime pour les employés à temps partiel, ce qui ferait augmenter encore plus les coûts;
  • certains employés à temps partiel peuvent bénéficier de la protection offerte par un autre membre de leur famille, ce qui rend la couverture obligatoire peu attrayante pour eux, même si cela pourrait rendre le régime globalement plus abordable;
  • un sondage mené auprès d'experts a révélé que de nombreuses entreprises (en particulier les petites entreprises) pourraient alors cesser de verser des avantages sociaux à l'ensemble de leur effectif.

Le Comité reconnaît ces préoccupations; bon nombre d'entre elles ont été prises en compte lors de ses consultations auprès des employeurs. En outre, l'élargissement obligatoire des avantages sociaux aux employés à temps partiel et temporaires pourrait certainement entraîner une réduction concomitante des salaires de ces travailleurs (Gruber, 1994; Summers, 1989). Bien qu'il soit attrayant du point de vue de l'équité et de la justice, l'élargissement de l'accès aux régimes d'avantages sociaux et de retraite à un plus large éventail de travailleurs pourrait entraîner une foule de conséquences imprévues qui pourraient faire en sorte que les travailleurs, y compris ceux à temps plein, s'en tirent moins bien qu'à l'heure actuelle. Présentement, tous ces problèmes démontrent de façon convaincante que l'élargissement de la portée des régimes d'avantages sociaux à un ensemble élargi de travailleurs serait plus efficacement réalisé par la prestation des avantages sociaux par l'État, plutôt que par l'obligation pour les employeurs de le faire.

Dans une perspective de politique publique, l'approche la plus efficace et la plus logique pour étendre les régimes d'avantages sociaux et de retraite aux travailleurs du SPRF, et en fait à tous les autres travailleurs, consisterait à élargir la portée des régimes publics existants comme l'assurance maladie (par exemple, pour couvrir les soins dentaires, les médicaments et davantage de services de santé mentale) et le RPC. La récente publication du Conseil consultatif sur la mise en œuvre du régime national d'assurance médicaments présente notamment de solides arguments en faveur d'un régime universel d'assurance médicaments, qui constituerait une meilleure approche que l'actuelle protection disparate offerte au Canada (Santé Canada, 2019). Cela dit, il s'agit de décisions politiques ayant des répercussions majeures sur les coûts (et les avantages) qui dépassent le cadre du présent rapport.

Compte tenu du fait que le Code canadien du travail ne fait pas de distinction entre les formes d'emploi en ce qui concerne l'admissibilité aux avantages sociaux, la recommandation que nous pouvons formuler sur l'élargissement de l'accès aux avantages sociaux pour les travailleurs du SPRF est la suivante :

Recommandation 19 : Le Comité recommande l'ajout d'une définition claire du terme « employé » dans la partie III du Code (comme il est indiqué dans le chapitre sur le travail atypique).

Cela permettrait de s'assurer que les travailleurs qui devraient avoir droit à divers minimums prévus par la loi y ont effectivement accès et ne sont pas déclarés à tort comme travailleurs autonomes.

Il convient également de souligner que l'article 15 de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pensionNote de bas de page 121 prévoit l'admissibilité des employés à temps partiel aux régimes de retraite du SPRF après 24 mois de service. On ignore dans quelle mesure cette disposition est connue et le nombre d'employés à temps partiel qui pourraient participer à des régimes en vertu de cette disposition, mais ne le font pas.

Recommandation 20 : Le Comité recommande la tenue de consultations et d'activités de sensibilisation pour s'assurer que les employés à temps partiel du SPRF participent à des régimes de retraite parrainés par l'employeur, le cas échéant.

Enfin, nous avons également entendu parler de la question des « pensions perdues » au cours de nos consultations. Dans certains cas, les participants à un régime qui quittent un organisme peuvent (habituellement par inadvertance) perdre leurs cotisations au régime de retraite et celles de leur employeur. Bien qu'il n'existe pas de données fiables sur cet enjeu dans le SPRF, nous pouvons nous attendre à ce qu'il prenne davantage d'importance au fil du temps, avec la multiplication des emplois occupés par les travailleurs. À titre d'exemple de l'ampleur potentielle de ce problème, notons que le Régime de retraite des enseignantes et enseignants de l'Ontario compte environ 30 500 participants qu'il ne peut localiser, et il y a plus de 680 millions de dollars en rentes non réclamées au Royaume-Uni (Bickis, 2019).

Bien qu'il incombe au régime de trouver le participant, ce n'est pas chose facile.

Recommandation 21 : Le Comité recommande que le gouvernement fédéral, sous la direction de l'Agence du revenu du Canada, examine ce qu'il peut faire pour aider les Canadiens qui travaillent dans le SPRF et, de façon plus générale, pour ce qui est du problème des pensions perdus.

Un modèle comme le site Web « Soldes non réclamés » de la Banque du Canada, où les Canadiens peuvent trouver d'anciens comptes bancaires, pourrait être une approche conviviale à explorer.

Transférabilité des avantages sociaux

La notion de transférabilité va au-delà de la question de l'accès aux avantages sociaux et est distincte de celle-ci. Les travailleurs devraient-ils avoir la possibilité de transférer leurs avantages sociaux d'un emploi à l'autre, plutôt que de voir ces avantages liés à l'employeur et perdre de leur valeur pour l'employé lorsque celui-ci change d'emploi? Dans un monde du travail en rapide évolution où les travailleurs changeront probablement plus fréquemment d'emploi, l'idée de dissocier les avantages de la relation d'emploi n'est pas mauvaise. La récente création par le gouvernement fédéral de l'Allocation canadienne pour la formation est un type d'avantage social « transportable » qui ne repose pas sur une période continue de travail avec un employeur. De même, certains régimes de retraite peuvent faciliter le transfert des droits à pension accumulés au moyen d'ententes de transfert réciproques négociées.

Pour les travailleurs occupant des formes d'emploi atypiques, en particulier ceux qui sont également dans des milieux de travail précaires, la valeur des régimes d'avantages sociaux transférables tient à la possibilité d'avoir une certaine couverture pour les médicaments, les soins de santé et la retraite à un coût moindre grâce à des économies d'échelle (c'est-à-dire le regroupement des travailleurs plutôt que la participation de chacun d'entre eux à un régime privé). D'un point de vue politique et financier, cette approche permet également d'éviter un investissement public majeur lié à un plus grand élargissement de l'accès au régime d'assurance maladie, au RPC et à d'autres programmes. Enfin, les régimes d'avantages sociaux transférables pourraient prévoir des cotisations facultatives plutôt qu'obligatoires des employeurs.

Le Comité juge également avantageuse la capacité d'un modèle de régime d'avantages sociaux transférables d'offrir certains types d'avantages sociaux et de pensions de retraite aux travailleurs, sans égard à leur situation d'emploi. Compte tenu du fait que les travailleurs qui occupent des emplois précaires ou des formes d'emploi atypiques ont tendance à avoir beaucoup moins facilement accès à ces types d'avantages sociaux, on peut également soutenir que sur le plan économique, le fait de payer maintenant pour une couverture quelconque réduira les coûts sociétaux à long terme, notamment ceux liés aux soins médicaux et aux services sociaux.

Dans le contexte de la transférabilité des régimes, il faut se pencher sur la question majeure suivante : le régime doit-il être obligatoire ou facultatif? La première option pourrait être perçue comme une ingérence injuste dans les décisions de dépenses des personnes ayant des moyens limités, alors que la seconde est connue comme n'étant pas aussi efficace pour favoriser la participation (Service, 2015). Cette question nécessite d'autres études et consultations afin d'évaluer les préférences des travailleurs qui pourraient bénéficier du régime, ainsi que les avantages des taux de participation potentiellement plus faibles par rapport à une expansion moindre et à des coûts plus élevés.

Il convient également de rappeler qu'en 2006, Harry Arthurs a recommandé ce qui suit dans son rapport intitulé Équité au travail : des normes du travail fédérales pour le XXIe siècle :

« Il arrive souvent que les travailleurs vulnérables – en particulier les travailleurs à temps partiel, temporaires, autonomes ou fournis par des agences – ne soient pas admissibles aux avantages sociaux (assurance médicaments, assurance dentaire ou assurance-invalidité et pensions) que les employeurs offrent au personnel permanent à temps plein. De même, il est rare que les travailleurs de tous genres employés par des petites entreprises, tout comme les propriétaires de ces entreprises, aient accès à de tels avantages. Le gouvernement fédéral devrait étudier la faisabilité d'établir une “ banque d'avantages ” du secteur public ou privé pour aider les travailleurs vulnérables et les petits entrepreneurs à bénéficier de cette couverture. »

Compte tenu du fort sentiment exprimé par les employeurs lors des consultations selon lequel les nouvelles approches obligatoires en matière d'avantages sociaux seraient inabordables, des possibles conséquences imprévues de l'imposition d'un meilleur accès aux avantages sociaux, et de la position relativement meilleure du SPRF que celle de l'ensemble du Canada en matière de prestation d'avantages sociaux, le Comité estime qu'une « banque d'avantages sociaux » ou des « avantages sociaux transférables » constitue la meilleure mesure à court terme à explorer qui serait valable pour les travailleurs du SPRF qui ne bénéficient pas, ou peu, d'avantages sociaux à l'heure actuelle.

Recommandation 22 : Le Comité recommande que le gouvernement fédéral étudie, au moyen de consultations et de recherches auprès des parties prenantes, la possibilité d'élaborer un modèle d'avantages sociaux transférables pour les travailleurs du SPRF.

Le gouvernement devrait tenir compte des éléments clés suivants dans ses recherches et ses consultations sur un modèle d'avantages sociaux transférables :

  • Convoquer un groupe de travailleurs, d'organisations d'appui aux travailleurs et de syndicats, d'experts (régimes de retraite et avantages sociaux) et d'employeurs pour examiner les principaux facteurs stratégiques qui sous-tendent l'élaboration d'un régime d'avantages sociaux transférables pour le SPRF, ou qui pourrait faire partie d'un régime national plus vaste d'avantages sociaux transférables (par exemple, la collaboration avec le modèle du secteur sans but lucratif en cours d'élaboration).
  • Prendre une décision distincte concernant la stratégie sur les options d'avantages sociaux et la stratégie sur les régimes d'épargne-retraite. Cela comprendrait un examen des avantages sociaux qui seraient couverts et du modèle de régime de retraite pertinent.
  • Tenir compte des risques de chevauchements et de double emploi avec d'autres régimes semblables (par exemple, le régime de retraite de la Saskatchewan, qui est un régime à cotisations déterminées ouvert à tout Canadien, ou la vaste gamme de régimes privés), et déterminer s'il est possible d'offrir de meilleures possibilités de cotisation au RPC.

Les principales questions suivantes doivent être prises en compte au cours de l'examen :

  • Les cotisations des employés devraient-elles être obligatoires ou facultatives? Si elles sont facultatives, l'hypothèse par défaut devrait-elle être « inscription » afin d'accroître le taux de participation? Quelles seraient les répercussions des problèmes liés à l'antisélection sur les régimes avec inscription automatique?
  • Comment favoriser la participation des employeurs?
  • Comment un régime transférable s'intégrerait-il dans les milieux de travail où des conventions collectives sont en vigueur?
  • Qui serait admissible? Comment les droits sont-ils accumulés et tenus à jour?
  • Qui gérerait le système? Un organisme tiers indépendant semble être la meilleure approche, mais il existe une foule d'options.
  • Comment peut-on tirer parti de la technologie pour appuyer ces programmes?
  • Quels sont les obstacles à la mise en œuvre et quelles pourraient être les conséquences imprévues de cette proposition?

À titre de mesure provisoire, les travailleurs, les syndicats et d'autres organisations de travailleurs, les employeurs et les organisations d'employeurs et le gouvernement fédéral pourraient envisager des discussions avec les responsables d'autres régimes d'avantages sociaux transférables envisagés et établis au Canada, comme celui axé sur le bien commun pour les travailleurs du secteur sans but lucratif. Cela pourrait éviter les étapes administratives complexes liées à la mise sur pied d'un régime et serait une option qui pourrait rapidement être offerte aux travailleurs qui cherchent à améliorer leur accès aux avantages sociaux.

Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de chef de file en menant d'autres recherches sur ces questions et possiblement en investissant dans les coûts de démarrage associés à la création de régimes d'avantages sociaux transférables, qu'ils soient propres au SPRF ou à des régimes de portée plus vaste. Ces coûts seraient prohibitifs pour les catégories de travailleurs qui ne sont habituellement pas couvertes par les régimes d'avantages sociaux existants. Il serait tout à fait justifié de définir le financement public comme un investissement pour prévenir ou éviter les coûts en aval des gouvernements dans des domaines comme les services sociaux et les soins de santé.

L'élaboration de solutions qui combleraient les principales lacunes pour les travailleurs du SPRF constituerait un point de départ; cela dit, la conception de solutions qui conviennent à tous les Canadiens devrait être l'objectif ultime des incursions stratégiques fédérales dans ce domaine.

Chapitre 6 : Voix collective des travailleurs non syndiqués

Des décisions judiciaires, le déclin constant de la syndicalisation, les formes d'emploi atypiques, les efforts déployés par les employeurs pour accroître le maintien en poste et le rendement, de même que les nouvelles méthodes en matière de conformité et de mise en application, imposent que l'on s'intéresse à la capacité des travailleurs de se regrouper pour exprimer leurs points de vue et avoir leur mot à dire dans les décisions touchant leurs conditions de travail. C'est dans ce contexte que nous devions examiner la mesure dans laquelle il existe des lacunes quant aux possibilités de voix collective des travailleurs non syndiqués du secteur privé sous réglementation fédérale (SPRF) en ce qui touche les enjeux des normes du travail ainsi que la façon dont ces lacunes pourraient être comblées.

Quel est l'enjeu?

Dans un livre phare paru en 1970, Albert O. Hirschman fait valoir que les personnes disposent de trois choix face à une situation indésirable : partir, se plaindre ou rester. La « défection », la « prise de parole » et la « loyauté », sont interreliés. La prise de parole est une posture visant à changer la situation et se démarque ainsi de la posture de la défection, qui se matérialise par la décision de quitter. Freeman (1980) de même que Freeman et Medoff (1984) ont ultérieurement appliqué les concepts de défection et de prise de parole au marché du travail, mettant en contraste la défection individuelle (c'est-à-dire démissionner pour trouver ailleurs des conditions davantage satisfaisantes) avec la prise de parole collective visant à modifier des conditions de travail indésirables.

Freeman et Medoff (1984) ont avancé que les syndicats ont pour rôle fondamental au sein du marché du travail de donner aux employés qu'ils représentent une voix collective relativement aux conditions de travail. La voix collective est de plus en plus perçue comme un moyen essentiel pour les travailleurs de corriger ce que la Cour suprême du Canada a énoncé comme étant « […] l'inégalité présumée entre le pouvoir économique de l'employeur et la vulnérabilité relative du travailleur »Note de bas de page 122.

La justification fondamentale en faveur d'une voix collective veut que de nombreuses caractéristiques du milieu de travail présentent des caractéristiques de « biens publics ». Dans le contexte du milieu de travail, le concept de biens publics peut s'étendre de la santé et de la sécurité au travail jusqu'aux niveaux appropriés de chauffage ou de climatisation dans l'établissement, en passant par la qualité de vie au travail se reflétant par un milieu convivial et coopératif, ou le fait de pouvoir porter plainte sans crainte de représailles à propos du traitement arbitraire ou inapproprié que fait subir un superviseur.

Dans l'attribution des ressources, la nécessité d'une prise de décisions collective plutôt qu'individuelle afin de tendre vers un accès optimal au bien public constitue un principe généralement accepté (Olson, 1965). Autrement dit, si nous nous en remettons aux choix effectués individuellement par les employeurs et les employés (à titre d'exemple, au moyen de la défection), trop peu de ressources seront consacrées à la promotion de conditions de travail optimalesNote de bas de page 123.

Les mécanismes de voix collective peuvent se révéler avantageux, tant pour les employeurs que pour les travailleurs. À titre d'exemple, l'accès aux mécanismes de voix collective compte parmi les principaux facteurs qui favorisent le maintien en poste des employés, tout comme les bons salaires et l'accès à la formation (Spencer, 2017; Batt et coll., 2002). Il a été démontré que cet accès contribue à rehausser la qualité de l'emploi (Piasna et coll., 2013) et à réduire les comportements de défection, y compris les taux de démission (Freeman et Medoff, 1984). Diverses études semblent indiquer qu'il peut en résulter une conformité améliorée aux lois du travail (Vosko, 2013; Fine, 2013). D'autres soulignent son caractère intrinsèquement favorable parce qu'il promeut un engagement envers la démocratie en milieu de travail (Bryson et coll., 2013).

Au cours de nos activités de mobilisation, presque tous les participants ont signalé un lien direct entre la voix collective à propos des normes du travail et les relations harmonieuses en milieu de travail. Plusieurs employeurs et certains experts ont rappelé l'importance de fournir des mécanismes de voix collective dans le contexte actuel de pénurie de main-d'œuvre afin d'attirer les meilleurs talents et de les maintenir en poste. Certains intervenants ont souligné le lien entre le fait d'exercer la voix collective et la nécessité, pour ce faire, que les travailleurs soient informés de leurs droits, tout particulièrement s'ils occupent des formes d'emploi atypiques. D'autres ont mis en relief le rôle important que peut jouer la voix collective (et parfois individuelle) en matière de conformité et de mise en application des normes du travail.

Le concept de « voix des employés » est un concept protéiforme (Dundon et coll., 2004; Budd, 2014). McCabe et Lewin (1992) ont défini la « voix des employés » comme résultant de la combinaison de deux éléments : d'une part, la possibilité pour les employés d'exprimer leurs plaintes et griefs et, d'autre part, la participation de ceux-ci aux processus décisionnels de l'organisation ayant des répercussions sur les conditions de travail. Pour leur part, Lewin et Mitchell (1992) établissent une distinction entre les mécanismes obligatoires (par exemple, imposés par des lois) et les mécanismes volontaires (par exemple, via la syndicalisation ou des pratiques des employeurs en matière de ressources humaines). Budd (2014) préconise une définition « inclusive » dans laquelle la voix est perçue comme [traduction] « l'expression d'opinions et le fait d'avoir un apport significatif dans la prise de décisions ayant trait au travail » (consulter également Budd, 2004, Befort et Budd, 2009). Néanmoins, cet auteur affirme que la voix des employés doit aboutir à des changements concrets, sans quoi [traduction] « on peut sérieusement se demander s'il s'agit d'une voix authentique » (Budd, 2004)Note de bas de page 124.

Le Comité perçoit le concept de voix collective comme la combinaison de deux facettes complémentaires, à savoir d'une part, la capacité des travailleurs d'exprimer collectivement leurs points de vue et, d'autre part, celle de participer aux décisions qui touchent leurs conditions de travail, comme les salaires, le droit aux congés, les horaires ainsi que la santé et la sécurité, et ce, sans risque de représailles. Il convient également de concevoir la voix collective comme un processus d'identification et d'apprentissage en vue de promotion d'objectifs communsNote de bas de page 125. Du point de vue des politiques du travail, ce processus suppose que les employés y contribuent de façon significative et non factice.

La voix collective dans le secteur privé sous réglementation fédérale

La syndicalisation est le mécanisme classique de voix collective. La partie I du Code est donc intrinsèquement liée à la voix collective parce qu'elle détermine le cadre juridique de la syndicalisation. Inspirée du modèle de relations industrielles de la Loi WagnerNote de bas de page 126, elle décrit les éléments clés du régime de négociation collective des employés et employeurs du SPRF, y compris les dispositions relatives au droit de former des syndicats et d'y adhérer, à l'accréditation syndicale, aux conventions collectives, au règlement des différends, aux grèves et aux lock-outs.

Le Figure 15 révèle le déclin continu du pourcentage d'employés dans le SPRF qui sont régis par une convention collective, d'après les données de l'Enquête sur la population active (EPA)Note de bas de page 127. Le taux de syndicalisation a chuté, passant de plus de 40 % à la fin des années 1990 et au début des années 2000 à 34 % en 2018. Néanmoins, la représentation syndicale dans le SPRF est considérablement supérieure – de plus du double – à celle du secteur privé du Canada, où, globalement, le taux de syndicalisation a régressé pour se fixer à environ 16 % en 2018 (Statistique Canada, 2018). Le taux de déclin dans le SPRF est également moins prononcé que celui du secteur privé, où, globalement, le taux de syndicalisation a chuté d'environ 25 % comparativement à 17 % dans le SPRF.

Figure 15 : Taux de syndicalisation dans le SPRF, 1997 à 2018
Figure 15 : Taux de syndicalisation dans le SPRF, 1997 à 2018
Figure 15 – Version textuelle
Année % de couverture
1997 41 %
1998 42 %
1999 41 %
2000 41 %
2001 40 %
2002 39 %
2003 40 %
2004 39 %
2005 38 %
2006 37 %
2007 37 %
2008 37 %
2009 36 %
2010 36 %
2011 36 %
2012 36 %
2013 36 %
2014 34 %
2015 33 %
2016 33 %
2017 35 %
2018 34 %
  • Source : Estimations du Comité d'après les microdonnées de l'Enquête sur la population active, 1997 à 2018.

D'après l'Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale (EMTCF) de 2015, le pourcentage d'employés régis par une convention collective dans le SPRF varie passablement d'un secteur à l'autre (voir le graphique 2). Il s'étend d'un plafond d'environ 77 % d'employés dans le secteur du transport ferroviaire à un plancher de 1 % d'employés dans le secteur bancaire.

Figure 16 : Taux de couverture par une convention collective par industrie dans le SPRF, 2015
Figure 16 : Taux de couverture par une convention collective par industrie dans le SPRF, 2015
Figure 16 – Version textuelle
Industrie %
Transport aérien 51 %
Transport ferroviaire 77 %
Transport routier 19 %
Transport par eau 40 %
Services postaux et transport par pipeline 74 %
Banques 1 %
Farine, semences, aliments pour animaux et céréales 12 %
Télécommunications et radiodiffusion 42 %
Autres 35 %
Total, SPRF 34 %
  • Source : Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale de 2015

Les données de l'EPS de 2017 semblent indiquer que, comme le montre le graphique 3, les taux de syndicalisation sont nettement moindres chez les employés temporaires du SPRF (à peu près 24 %), de même que chez ceux qui touchent moins de 15 $ l'heure (à peu près 21 %) ou qui touchent exactement le salaire minimum (à peu près 17 %). De plus, les taux de syndicalisation dans le secteur privé sous réglementation provinciale ou territoriale au Canada sont nettement moindres chez ces types de travailleurs. Dans le SPRF, les taux de syndicalisation des femmes (à peu près 27 %) sont inférieurs à ceux des hommes (à peu près 38 %), contrairement au Canada dans l'ensemble, où les taux de syndicalisation des femmes surpassent ceux des hommes, essentiellement en raison de la représentation substantielle des femmes dans le secteur public, fortement syndiqué (Card et coll., 2018).

Figure 17 : Taux de couverture ou de non-couverture par une convention collective dans le SPRF, 2017
Figure 17 : Taux de couverture ou de non-couverture par une convention collective dans le SPRF, 2017
Figure 17 – Version textuelle
Groupe Adhèrent à une convention collective N'adhèrent pas à une convention collective
Employés temporaires 24 % 76 %
Employés à temps partiel 32 % 68 %
Touchent moins de 15 $/h 21 % 79 %
Touchent le salaire minimum provincial 17 % 83 %
Hommes 38 % 62 %
Femmes 27 % 73 %
Total, SPRF 34 % 66 %
  • Source : Enquête sur la population active de 2017.

Il existe un vaste corpus de recherches permettant de saisir dans quelle mesure la demande en représentation syndicale, au Canada et ailleurs, est insatisfaite (Riddell, 1993; Freeman et Rogers, 1999; Bryson et coll., 2005). Selon plusieurs enquêtes, entre le tiers et plus de 40 % des travailleurs non syndiqués au Canada aimeraient adhérer à un syndicat s'ils en avaient l'occasion (Campolieti et coll., 2011; Gomez, 2016). Cette réalité est davantage marquée dans les secteurs où les taux de syndicalisation sont bas, comme le commerce de détail et les services financiers. Les données révélant un « déficit de représentation »ont largement influencé l'appel au « renouveau syndical » par la « syndicalisation des non-syndiqués » (Kumar, 2008; Rose, 2008).

Parallèlement, il existe une forte volonté d'en arriver à des modèles alternatifs et non syndicaux de représentation collective. En recourant à des données de 2014, Gomez (2016) a évalué que 73 % des travailleurs canadiens sont certainement ou probablement disposés à faire partie d'une association d'employés autre qu'un syndicat conventionnel afin de discuter avec la direction des enjeux du milieu de travail. À titre de comparaison, un peu moins de 40 % préféreraient adhérer à un syndicat. De plus, il existe des raisons de croire que l'appui aux mécanismes non syndicaux de voix collective est supérieur chez certains groupes, comme les travailleurs milléniaux qui forment désormais la cohorte la plus importante de l'effectif canadien, et qui ont des attentes élevées en ce qui concerne la participation au milieu de travail. Cette cohorte semble davantage encline à opter pour la « défection » lorsqu'ils sont malheureux au travail (Hawkins et coll., 2014).

Il est également important d'examiner le Code dans son ensemble lorsque les occasions pour améliorer la voix collective sont considérées. Il convient de souligner que le Code prévoit d'ores et déjà des mécanismes de voix collective, notamment dans la partie II (Santé et sécurité au travail) et la partie III du Code.

Historiquement, la partie II exige des employeurs du SPRF (et de la fonction publique fédérale) ayant 20 employés ou plus qu'ils mettent en place des comités mixtes de santé et de sécurité au travail pour instaurer des programmes de prévention des risques et en faire le suivi, composent avec les plaintes et les enquêtes, et prennent part à la prise de décisions sur les changements pouvant avoir des retombées sur la santé et la sécurité. Si l'employeur compte 300 employés ou plus, les comités doivent également créer des politiques et programmes de santé et de sécurité. Au moins deux employés doivent siéger à chaque comité, et les employés doivent constituer au moins la moitié des membres. Au sein des organisations où les employés ne sont pas représentés par un syndicat, les membres du comité des employés doivent être choisis par les autres employés. Quant aux employeurs ayant moins de 20 employés, ils doivent avoir un représentant de la santé et de la sécurité (plutôt qu'un comité).

Historiquement, la partie III du Code a fourni des mécanismes de base aux travailleurs afin que ceux-ci puissent exprimer collectivement leurs points de vue sur les conditions de travail : les employeurs sont tenus de consulter les travailleurs lors de l'élaboration des politiques contre le harcèlement sexuel; et des comités mixtes de planification doivent être constitués pour composer avec les licenciements collectifs. Bien que la partie III prévoie que les employeurs sont également tenus de consulter les travailleurs à propos de l'élaboration de politiques contre le harcèlement sexuel, ces dispositions seront déplacées à la partie II lorsque les modifications au Code qui font partie du projet de loi C-65, lequel a reçu la sanction royale en octobre 2018, entreront en vigueur.

Ce que nous avons entendu

Les participants aux activités de mobilisation du Comité ont présenté des points de vue divergents quant à la mesure dans laquelle il y a des lacunes dans les possibilités de voix collective des travailleurs non syndiqués en ce qui touche les enjeux des normes du travail dans le SPRF et, si de telles lacunes sont constatées, quant à la façon dont elles pourraient être comblées. Fait également à souligner, si l'importance vitale de la voix collective était généralement convenue, différents motifs étaient évoqués quant aux raisons pour justifier de leur importance.

Nous avons entendu le point de vue de certains syndicats et travailleurs, en particulier, comme quoi le fait de pouvoir soulever des préoccupations liées aux enjeux des normes du travail en milieu de travail ne suffit pas. À leur sens, qui dit voix collective significative dit également écoute active par l'employeur et prise de mesures pour donner suite aux préoccupations soulevées. Nous avons également entendu le point de vue de divers intervenants selon lesquels nous devrions, dans les conseils que nous prodiguons, prendre soin d'examiner les types d'enjeux où s'exerce ou devrait s'exercer la voix collective, comme en ce qui touche strictement les normes légales du travail ou, de façon générale, les conditions de travail.

Il y avait deux écoles de pensée plutôt polarisées quant à la nécessité ou non de combler les lacunes dans les possibilités de voix collective des travailleurs non syndiqués. Certains participants, essentiellement des employeurs, nous ont dit que ce point ne pose pas problème, que des mécanismes suffisants de voix collective sont déjà en place. Ils ont attiré l'attention sur des mécanismes tels que les politiques de « porte ouverte », les sondages auprès des employés de même que les groupes d'affinités ou de ressources comme bons exemples, outre la syndicalisation. Quelques-uns ont souligné que, dans les milieux de travail syndiqués, les syndicats s'expriment souvent au nom de tous les travailleurs, y compris ceux qui ne sont pas membres d'un syndicat. Dans les milieux de travail non syndiqués, plusieurs employeurs ont indiqué qu'il faudrait laisser à l'employeur et aux travailleurs le soin de convenir du meilleur moyen de régler les préoccupations collectivement.

Par contre, presque tous les syndicats et travailleurs ainsi que de nombreux experts nous ont mentionné que l'élargissement des possibilités de voix collective des employés non syndiqués et, dans une moindre mesure, des travailleurs en général devrait constituer un objectif urgent. Selon eux, toutes formes de représentation collective, autres que celle proposée par un syndicat ne disposent pas du monopole de représentation et de négociation. Certains estiment qu'il serait important d'adresser les obstacles à la syndicalisation et, de ce fait, à élargir l'accès des travailleurs non syndiqués à la négociation et à la représentation collectives. Plusieurs syndicats et experts ont préconisé le fait de donner aux travailleurs qui occupent une forme d'emploi atypique l'accès à la négociation collective, par exemple au niveau sectoriel.

D'autres nous ont affirmé qu'en plus des obstacles à la syndicalisation ou en l'absence d'un changement au cadre législatif actuel encadrant la syndicalisation et la négociation collective, il est nécessaire de se pencher sérieusement sur les mécanismes de voix collective complémentaires à la syndicalisation. Nous avons souvent entendu qu'il serait opportun de donner tout particulièrement aux travailleurs qui occupent une forme d'emploi atypique (et donc moins susceptibles d'être syndiqués) le droit d'agir collectivement afin d'améliorer leurs conditions d'emploi sans crainte de représailles.

Les comités mixtes employeur-travailleurs qui agiraient au sein d'un cadre législatif prescrit et veilleraient à la représentation collective quant aux enjeux de mise en œuvre des normes du travail ont recueilli un certain appui. Toutefois, nous avons entendu divers intervenants affirmer que les normes du travail constituent un terreau plus litigieux que la santé et de sécurité au travail. Les représentants syndicaux et des travailleurs envisageaient avec scepticisme l'efficacité des comités mixtes au sein des milieux de travail non syndiqués. Certains ont également mentionné que de tels comités sont souvent « dominés par l'employeur » et ne peuvent convenablement corriger le déséquilibre des forces.

D'autres nous ont fortement suggéré de réfléchir aux mécanismes comme les démarches sectorielles dans les secteurs où les taux de syndicalisation sont faibles. Nous avons également été appelés à envisager différents moyens par lesquels les travailleurs et les organismes de défense des droits des salariés pourraient être « incités » à exprimer leurs préoccupations eu égard aux normes du travail et à participer activement dans la recherche de solutions.

Des représentants autochtones nous ont parlé de l'importance des mécanismes de voix collective adaptés aux différences culturelles. Plusieurs ont souligné que des employés non syndiqués issus de bandes peuvent exprimer des préoccupations relatives au milieu de travail dans les médias sociaux, aux assemblées de bande ou en portant plainte à propos des droits de la personne ou des normes du travail, mais que des griefs ont également été traités tout récemment à l'échelle communautaire par des comités de mesures de réparation.

Conclusions et recommandations

Plusieurs autres mécanismes de voix collective non syndicaux font maintenant l'objet de discussions, principalement sous l'impulsion de la recherche portant sur les avantages liés à la voix collective, des débats entourant l'avenir des syndicats et des difficultés auxquelles font face les travailleurs atypiques qui cherchent à exercer leur voix collective. Cet examen de la voix collective chez les travailleurs non syndiqués arrive à point, car la Cour suprême souligna dans un récent jugement qui touche l'Association de la police montée de l'Ontario que la liberté d'association, protégée par la constitution en vertu de l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés « […] constitue un droit distinct doté d'un contenu autre, un droit essentiel au développement et au maintien de la société civile dynamique sur laquelle repose notre démocratie »Note de bas de page 128.

Au moyen des activités de recherche et de mobilisation, le Comité a répertorié plusieurs modèles et cadres qui permettraient aux travailleurs d'exercer une voix collective. Certains d'entre eux consistent en des propositions, tandis que d'autres ont été mis en œuvre au Canada ou dans d'autres juridictions. Lorsque vient le temps de les évaluer, il importe d'examiner si les mécanismes sont statutaires ou non statutaires, s'ils agissent dans le périmètre du milieu de travail ou à l'extérieur de celui-ci et s'ils s'appliquent globalement ou de façon spécifique, c'est-à-dire à certains secteurs ou milieux de travail.

Il y a également lieu d'examiner le degré d'indépendance de ces mécanismes vis-à-vis de l'employeur et dans quelle mesure ils garantissent un niveau de protection contre les représailles aux travailleurs les mobilisant. De plus, la capacité des travailleurs à effectivement recourir aux mécanismes de voix collective ainsi que les liens que ces mécanismes entretiennent avec la syndicalisation doivent être analysés. Enfin, il faut examiner si ces mécanismes sont réellement efficaces, c'est-à-dire analyse dans quelle mesure ces mécanismes permettent aux travailleurs d'être entendus et assurent un traitement de leurs griefs.

Une minorité non négligeable d'entreprises non syndiquées ont instauré des formes de voix collective : elles ont décelé leur utilité potentielle quant à leur rendement global. Lipset et Meltz (2000) ont sondé des adultes aux États-Unis et au Canada à propos des composantes de leur milieu de travail pour constater qu'à peu près 20 % des employés non syndiqués dans chaque pays œuvraient au sein d'une entreprise ayant une certaine forme de représentation collective autre qu'un syndicat autonome accrédité, comme des équipes de travail autogérées ainsi que d'autres initiatives où les employés s'investissent dans des discussions à propos de la rémunération et des avantages, ou de la santé et de la sécurité.

De tels formes de représentation collective diffèrent substantiellement en ce qui touche de la forme, de la fonction, du mode et de l'objet de la représentation proposée, ainsi de leur maintien dans le temps et du pouvoir effectif dont les travailleurs disposent (Taras et Kaufman, 2006). Un engagement réel de l'employeur envers l'apport des employés dans les prises de décisions constitue également une composante habituelle des [traduction] « milieux de travail à rendement élevé » (Kochan et Osterman, 994).

Dans nos activités de mobilisation, nous avons également appris que certains employeurs déploient des moyens comme les sondages annuels, les lignes téléphoniques de dénonciation et les cercles de qualité qui permettent aux employés d'exprimer leurs points de vue et de formuler des plaintes ou des suggestions, tout particulièrement dans les grandes organisations. Un grand nombre de ces moyens procurent une voix individuelle plutôt qu'une voix collective. Bien qu'ils puissent être utiles, tout particulièrement s'il n'y a pas de crainte de représailles et si les suggestions et plaintes font l'objet de suivis, nous porterons une attention particulière aux initiatives qui procureront plutôt une voix collective à une gamme élargie de travailleurs et de milieux de travail.

Aborder les obstacles juridiques à la syndicalisation

De nombreuses caractéristiques liées aux travailleurs, aux formes d'emploi qu'ils occupent et aux employeurs influent sur le taux de syndicalisation. Par exemple, les travailleurs à temps partiel ont moins tendance à être syndiqués que leurs homologues à temps plein. Il existe des différences semblables entre les employés temporaires et les employés permanents, les employés de petites entreprises et ceux de grandes entreprises, de même que les jeunes travailleurs et les travailleurs plus âgésNote de bas de page 129. Ces liens entre le taux de syndicalisation et les caractéristiques des travailleurs et des employeurs sont constatés dans de nombreux pays développés ainsi qu'au Canada. Parallèlement aux changements à la structure de l'économie et à la main-d'œuvre, les perspectives de représentation syndicale se sont également transformées.

Par exemple, le recul de l'emploi dans le secteur manufacturier (lequel était souvent constitué de vastes milieux de travail) et la montée du secteur des services (ayant composé de nombreux petits milieux de travail) est l'un des facteurs qui ont occasionné une baisse de la syndicalisation. Bien que plusieurs entreprises du secteur des services soient de taille imposante et comptent globalement de nombreux employés, à l'échelle du milieu de travail elles ne comptent souvent que quelques employés, et de tels milieux de travail montrent une propension nettement inférieure à se syndiquer.

Si les caractéristiques structurelles de l'économie et de la main-d'œuvre influent sur la syndicalisation, le régime de relations de travail d'un pays, ainsi que les lois et règlements qui y régissent la représentation syndicale et la négociation collective, jouent également un rôle. Dans la présente section, nous discutons des obstacles juridiques éventuels à la syndicalisation dans le SPRF, et qui risquent d'empêcher ou de compliquer la représentation syndicale des travailleurs qui souhaitent l'obtenir.

À partir de publications antérieures, Legree, Schirle et Skuterud (2017) ont répertorié différentes règles juridiques qui influent sur la probabilité que les travailleurs obtiennent la représentation syndicale ou sur le pouvoir de négociation des syndicats une fois ceux-ci accrédités. Les auteurs font ressortir que certaines règles juridiques sont davantage favorables aux syndicats, comme celles qui imposent l'arbitrage de la première convention collective, interdisent le remplacement temporaire des travailleurs, bannissent le remplacement permanent, garantissent les droits de rétablissement et bannissent les briseurs de grève professionnelsNote de bas de page 130 Note de bas de page 131. D'autres règles juridiques sont moins favorables aux syndicats, comme celles qui imposent le scrutin secret, la conciliation obligatoire, les périodes de réflexion, les votes de grève obligatoires et les votes de grève déclenchés par l'employeurNote de bas de page 132 Note de bas de page 133.

D'après nos activités de recherche et de mobilisation, certaines dispositions de la partie I répertoriées par Legree, Schirle et Skuterud (2017) appuient la représentation syndicale. L'une qui est particulièrement importante consiste en la transition en 2017 marquant le retour à un système d'accréditation par « vérification des cartes » par rapport à celui fondé sur le vote au scrutin secret. Des études réalisées par Johnson (2002) et Riddell (2004) démontrent que le passage d'un système de vérification des cartes à un système de vote obligatoire réduit passablement le taux de réussite des demandes d'accréditation dans les provinces canadiennes où ce changement a été apporté aux lois sur les relations de travail. L'inverse s'est aussi avéré en ce qui touche les transitions allant du vote au scrutin secret à la vérification des cartes.

Toutefois, il existe d'autres dispositions du Code qui risquent d'être moins favorables à la représentation syndicale. Par exemple, dans une étude d'un ensemble de grandes réformes en Ontario, il appert que l'arbitrage de la première convention collective accroît la syndicalisation (Riddell, 2013). L'ajout à la partie I d'une disposition exigeant l'arbitrage de la première convention collective si les négociations se retrouvent dans une impasse permettrait d'augmenter la probabilité que l'accréditation nouvellement obtenue soit maintenue. Bien que l'arbitrage serve rarement en vue de la première convention collective, la mise en place de cette disposition rehausserait le pouvoir de négociation du syndicat pour en arriver à une première convention.

Recommandation 23 : Le Comité recommande l'étude approfondie des obstacles juridiques dans la partie I du Code à la représentation syndicale dans le SPRF.

À notre sens, et compte tenu des recherches actuelles et de ce que nous avons entendu dans certaines de nos consultations, il importe de se pencher attentivement sur les obstacles à la négociation et à la représentation collectives présents dans la partie I. Nous soulignons également que le cadre juridique actuel restreint l'accès aux employées à la syndicalisation et, de ce fait, accroît le besoin en mécanismes de voix collective chez les travailleurs qui occupent une forme d'emploi atypique ou encore qui ne sont ne sont pas considérés comme des employés. À cet égard, le Comité d'experts recommande l'étude approfondie des obstacles juridiques dans la partie I du Code à la représentation syndicale dans le SPRF. Il convient que le déroulement de cette étude fasse intervenir une vaste mobilisation des intervenants.

Organismes de défense des droits des travailleurs

Il est possible de canaliser la voix des employés au moyen d'initiatives participatives, lesquelles font intervenir de tierces parties, comme les organismes de défense des droits des travailleurs. Ces organismes consistent en des [traduction] « institutions de médiation » communautaires (Fine, 2013) qui procurent une voix collective aux travailleurs par la prestation de ressources et par l'action et la représentation collectives (Fine et Gordon, 2010; Vosko et coll., à venir; Choudry et coll., 2009). Ces organismes présentent le potentiel [traduction] « de donner un accès élargi à de l'information au sujet des infractions en milieu de travail, de relever les dimensions collectives et systémiques de la non-conformité des employeurs, de favoriser le réseautage, de contribuer à contrer la dynamique de pouvoir du lien employé-employeur et, à l'occasion, de fonctionner en vue d'une mobilisation collective des travailleurs » (Vosko et coll., à venir). De telles organismes existent partout au Canada : certaines permettent de rassembler des groupes particuliers de travailleurs, comme les migrants, et elles bénéficient parfois de l'appui financier des syndicats. Conformément à ce que nous avons entendu au cours de nos activités de mobilisation, ces organismes disposent souvent de ressources limitées quant à leur fonctionnement, ce qui risque de miner la portée de leurs activités et de restreindre leurs moyens d'interventionNote de bas de page 134.

Différents syndicats ont également établi un contact avec des travailleurs non membres qui occupent des emplois où la syndicalisation s'avère plus difficile. Ces travailleurs sont souvent dispersés géographiquement ou travaillent dans une multiplicité de lieux de travail. En 2013, Unifor a lancé l'initiative des « sections communautaires ». Ces sections procurent certains avantages en lien avec une voix et un pouvoir collectifs à des travailleurs qui ont moins tendance à pouvoir accréditer des unités de négociation ordinaires dans leurs milieux de travail. Les sections doivent souscrire à la constitution d'Unifor et être associées à l'une de ses sections locales. Les membres versent des cotisations minimales et peuvent choisir de bénéficier d'avantages médicaux. Les deux premières sections communautaires étaient de portée nationale : le Syndicat canadien des pigistes, lequel défend les intérêts des travailleurs autonomes dans les médias et les communications, et la section communautaire Unifaith, qui défend les intérêts des ministres du culte et des autres travailleurs de l'Église Unie du Canada. Des sections communautaires locales ont également été créées, comme la section communautaire d'East Danforth, à Toronto.

Par ailleurs, certaines juridictions canadiennes ont mis en place des bureaux ayant pour mission de conseiller les travailleurs ou de défendre leurs intérêts en vertu des lois sur la santé et la sécurité au travail. Ils conseillent les travailleurs et défendent leurs intérêts dans les cas de blessures en milieu de travail et quant aux enjeux de santé et de sécurité au travail en général, dont ceux ayant trait aux représailles. En Ontario, par exemple, le Bureau des conseillers des travailleurs, un organisme indépendant rattaché au ministère du Travail de l'Ontario, conseille les travailleurs non syndiqués, leur fournit des services et défend leurs intérêts en ce qui concerne l'assurance contre les accidents du travail et les cas de représailles ayant trait à la santé et la sécurité au travail. Créé en 1985, le Bureau compte 16 bureaux régionaux de district partout en Ontario et, de concert avec des organismes locaux, il assure la prestation de services d'information dans les petites collectivités.

Au Manitoba, le Bureau des conseillers des travailleurs, au sein des Services du travail et de la réglementation du ministère de la Croissance, de l'Entreprise et du Commerce, appuie les travailleurs blessés et défend leurs intérêts, qu'ils soient syndiqués ou non, une fois que ces derniers ont déposé une demande d'indemnité auprès de la Commission des accidents du travail du Manitoba.

Au Québec, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) constitue une institution fort exceptionnelle dans le paysage canadien. Cet organisme est notamment chargé de mettre en œuvre la Loi sur les normes du travail du Québec et a le pouvoir d'entamer des procédures judiciaires, en son propre nom et pour le compte d'un employé, afin de réclamer des salaires impayés. La CNESST défend également les intérêts des employés qui portent plainte relativement à des représailles, à du harcèlement psychologique et à des congédiements faits sans motifs justes et suffisants devant le Tribunal administratif du travail. Contrairement à l'aide juridique, la représentation juridique fournie par la CNESST ne fait pas l'objet d'une grille tarifaire et la prestation des services juridiques est assurée par des avocats au service de la CNESST (Vallée et Gesualdi-Fecteau, 2016).

Recommandation 24 : Le Comité recommande l'octroi d'un financement aux organismes communautaires qui procurent une voix collective aux travailleurs à l'extérieur du milieu de travail.

Un tel financement permettrait à ces organismes de fournir un plus grand appui aux travailleurs qui souhaitent porter plainte auprès du Programme du travail. Un tel financement aurait également pour effet d'accroître la capacité de ces organismes d'appuyer les travailleurs souhaitant s'inscrire dans une démarche de représentation collective. En règle générale, de telles initiatives participatives se déroulent à l'extérieur du milieu de travail et ne dépendent aucunement des employeurs. De concert avec notre recommandation visant à accorder aux travailleurs une protection relative aux activités concertées (voir ci-dessous), les travailleurs pourraient s'investir librement dans ces organismes sans crainte de représailles par leur employeur.

Protection anti-représailles pour les activités concertées

Des études révèlent que de nombreux travailleurs n'ont pas tendance à s'exprimer sur les problèmes vécus en milieu de travail s'ils n'ont pas accès à des mécanismes de voix collective, parce qu'ils craignent les représailles. Cette situation est tout particulièrement vraie chez les travailleurs non syndiqués, ceux qui occupent une forme d'emploi atypique, de même que chez les femmes. Par exemple, au moyen des données d'enquête recueillies en 2005, Lewchuk (2013) en conclut que [traduction] « les travailleurs précaires avaient six à sept fois plus tendance à affirmer que le signalement de problèmes de santé et de sécurité aurait des conséquences négatives sur leur emploi ».

Aux États-Unis, l'article 7 du National Labor Relations Act (NLRA) procure aux employés n'occupant pas un poste de direction, qu'ils soient syndiqués ou non, une protection lorsqu'ils souhaitent prendre part à [traduction] « une activité concertée en vue d'une négociation collective ou d'une autre forme d'entraide ou de protection ». Suivant la définition de la Cour suprême des États-Unis, le concept d'« entraide et protection » englobe les efforts déployés par les employés pour [traduction] « améliorer leurs conditions d'emploi actuelles ou, sinon, améliorer leur sort à titre d'employés par le truchement de canaux extérieurs à la relation immédiate entre l'employé et l'employeur »Note de bas de page 135.

La loi ne limite ni la façon, ni le temps, ni le lieu de la participation des employés à l'« activité concertée ». L'article 7 répertorie les droits protégés des travailleurs, et l'article 8 rend illégal pour un employeur de [traduction] « faire obstacle aux employés, les restreindre ou les contraindre dans l'exercice des droits garantis à l'article 7 ». La conduite de l'employeur sera assimilée à des représailles si elle tend à faire obstacle au libre exercice des droits des employés en vertu du NLRA, de sorte que [traduction] « faire la preuve du mobil ou de la contrainte réellement exercée n'est donc pas habituellement requis » (Rogers et Archer, 2016). Les articles 7 et 8 ont été instaurés lorsque le NLRA a été promulgué en 1935.

L'article 7 du NLRA protège les travailleurs syndiqués et non syndiqués qui souhaitent agir de façon concertée, et ce, qu'ils cherchent à se syndiquer ou non (Rogers et Archer, 2016). La gamme d'activités concertées qui sont protégées est vaste et englobe les plaintes ou griefs concertés et exposés aux employeurs relativement à la rémunération, aux avantages ou aux conditions de travail, de même que les discussions à bâtons rompus entre employés à propos de leurs conditions de travail (Fullerton et Millman, 2008). Les activités protégées doivent habituellement être menées par deux employés ou plus qui cherchent à améliorer leurs conditions d'emploi.

C'est donc dire que deux employés ou plus qui s'adressent à leur employeur à propos d'une augmentation de salaire exerceront leur droit protégé à participer à une activité concertée. Cela étant, la protection peut également s'étendre aux mesures prises par un seul employé, pour autant que de telles mesures [traduction] « aient pour objet d'amorcer, de déclencher ou de préparer un recours collectif ou qu'elles se rapportent à un recours collectif dans l'intérêt des employés »Note de bas de page 136,Note de bas de page 137. L'article 7 s'appliquera lorsqu'un employé s'entretient avec son employeur pour le compte d'un collègue (ou plus) à propos de l'amélioration des conditions de travail (NLRB, s.d.). Les arrêts de travail et les débrayages des travailleurs non syndiqués sont habituellement protégésNote de bas de page 138 sauf s'ils sont [traduction] « illégaux, violents, en contravention au contrat ou irresponsables parce qu'ils constituent une menace de dégâts matériels » (Rogers et Archer, 2016). L'article 7 a été interprété comme venant élargir la portée des droits conférés par l'arrêt Weingarten, en vertu duquel il a été reconnue qu'un syndiqué peut demander la présence d'un représentant syndical au cours d'un entretien avec l'employeur pour lequel l'employé a des motifs raisonnables de croire qu'il peut en résulter des mesures disciplinairesNote de bas de page 139. L'article 7 a permis l'élargissement de ce principe aux lieux de travail non syndiqués.

Le recours aux médias sociaux est, dans une certaine mesure, protégé en vertu de l'article 7. Il a été décidé que cette dispose protège les employés qui échangent de l'information à propos de la paie, des avantages et des conditions de travail avec leurs collègues de travail par le biais des médias sociaux, dont Facebook et YouTube. Pour que le recours aux médias sociaux soit considéré comme une activité protégé, il doit y avoir un certain lien avec la volonté de revendiquer collectivement ou de déposer une plainte collective auprès de la direction (Neylon O'Brien, 2011; Bemberg, 2018).

À titre d'exemple, la décision d'un employeur de congédier un employé qui avait affiché dans Facebook un commentaire dans lequel il invitait un collègue licencié à retenir les services d'un avocat pour poursuivre l'entreprise a été infirmée par le NLRB. Il a été constaté que le commentaire dans Facebook constituait une activité concertée protégée qui n'entravait pas les activités de l'employeurNote de bas de page 140.

Toutefois, les plaintes formulées publiquement et qui sont à la fois fausses et malveillantes ne seront pas protégéesNote de bas de page 141. De nombreux employeurs ont instauré des politiques relatives aux médias sociaux dont l'objet consiste à limiter ce que leurs employés peuvent publier. Lorsqu'il appert que ces politiques sont d'une portée trop vaste (c'est-à-dire lorsqu'elles interdisent des activités légales soit de façon explicite, soit par un libellé trop flou), le NLRB peut ordonner à l'employeur d'abroger les politiques en question ou de les modifierNote de bas de page 142.

Les activités concertées protégées procurent une protection statutaire contre les représailles aux employés qui souhaitent exprimer collectivement leurs préoccupations. Cette forme de voix collective ne dépend pas de l'employeur, lequel est tenu de ne pas s'y immiscer. L'expérience vécue aux États-Unis donne à penser qu'elle peut se révéler utile en des cas où les employés font face à des conditions de travail particulièrement inacceptables et sans que s'opèrent des changements ou des améliorations.

Par exemple, dans un arrêt de 1962 qui fait autorité (Washington Aluminum), les travailleurs s'étaient plaints du froid dans les installations au cours de l'hiverNote de bas de page 143. Lors d'une journée particulièrement froide, les travailleurs se sont présentés à l'usine pour constater que celle-ci n'était aucunement chauffée, après quoi sept travailleurs décidèrent de quitter immédiatement les lieux. La Cour suprême des États-Unis a maintenu la décision du NLRB, comme quoi décrétant que le licenciement de ces travailleurs par l'entreprise était illégal. De même, dans une affaire récente, un groupe d'employés en restauration qui avaient été licenciés après avoir protesté contre leurs conditions de travail ont fait appel au NLRB, lequel a ordonné leur réintégration (Greenhouse, 2015).

Une recherche dans la base de données Lexis Advance US effectuée en mars 2019 a généré 8 993 décisions du NLRB relatives à l'article 7, qui remontent jusqu'à 1935. Ce nombre est minime sur une période de plus de 80 ans, mais le nombre de causes par année a augmenté substantiellement ces dernières années, parallèlement à une dégringolade du taux de syndicalisation dans le secteur privé. La Figure 18 montre le tracé du nombre de causes par année de 1935 à 2019. Ce nombre a grimpé en flèche au cours des deux dernières décennies.

Figure 18 : Nombre de causes devant le NLRB (en vertu de l'article 7 du NLRA), 1935 à 2019
Figure 18 : Nombre de causes devant le NLRB (en vertu de l'article 7 du NLRA), 1935 à 2019
Figure 18 – Version textuelle
Dates Nombre de cas
1935–1939 396
1940–1944 487
1945–1949 24
1950–1954 42
1955–1959 45
1960–1964 102
1965–1969 187
1970–1974 430
1975-1979 916
1980–1984 854
1985–1989 445
1990–1994 443
1995–1999 329
2000–2004 335
2005-2009 753
2010–2014 1806
2015–2019 1565
  • Source : Analyse par le Comité des décisions du NLRB répertoriées dans Lexis Advance US.

Il importe cependant de souligner que le nombre limité de décisions relatives à l'article 7 ne permet pas de mesurer l'effet dissuasif que peut avoir cette disposition: les employeurs qui sont au fait de la loi et des interprétations rendues au préalable par les tribunaux seront susceptibles de rajuster leur comportement afin de se conformer et d'éviter une poursuite coûteuse.

Contrairement à certains autres mécanismes, la protection des activités concertées en vertu du NLRA présente l'avantage d'avoir été offerte et utilisée aux États-Unis, pays qui présente de nombreux points communs avec le régime des relations de travail en place au Canada. On ne saurait toutefois établir avec certitude dans quelle mesure l'établissement d'une telle protection conduirait à une représentation collective plus structurée, par le biais, par exemple, de la syndicalisation. Néanmoins, l'adoption d'une protection des activités concertées pourrait se révéler utile aux travailleurs du SPRF dont les conditions de travail sont particulièrement inacceptables.

Recommandation 25 : Le Comité recommande la mise en place d'une protection des activités concertées dans la partie III du Code.

Notre recommandation relative à cette protection comporte deux volets. D'une part, il y a lieu d'énoncer dans la partie III que les employés ont le droit de participer à des activités concertées. D'autre part, les employés qui ont été licenciés, suspendus, mi à pied, rétrogradés ou qui ont subi d'autres mesures disciplinaires parce qu'ils ont exercé leur droit aux activités concertées, doivent être protégés contre de telles représaillesNote de bas de page 144. De plus, l'ajout à la partie III d'une protection des activités concertées rehausserait vraisemblablement la volonté des travailleurs à adhérer à des initiatives participatives canalisées par des organisations communautaires. Le Comité perçoit ce droit comme un changement progressif et potentiellement utile au régime des relations de travail du Canada dans le SPRF, et qui permettrait de rendre le Code davantage conforme aux récentes interprétations de la Cour suprême quant à la garantie de la liberté d'association en vertu de l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Comités mixtes en milieu de travail

Les comités mixtes en milieu de travail, également appelés comités d'entreprise, comptent habituellement des membres élus par le personnel et se réunissent avec la direction à propos de diverses questions qui affectent les employés. Ils peuvent prendre part, dans une certaine mesure, aux décisions de la direction. Dans les entreprises non syndiquées, ils peuvent être constitués sur une base volontaire; dans les entreprises syndiquées, ils peuvent être créés aux termes de la convention collective. De tels comités peuvent également être prescrits en vertu de la loi, comme c'est désormais le cas des comités mixtes de santé et sécurité au travail au sein de nombreuses juridictions canadiennesNote de bas de page 145.

Les comités mixtes de santé et de sécurité ont d'abord été instaurés en Saskatchewan en 1972, puis ont été par la suite adoptés ailleurs. Dans plusieurs cas, ces comités sont obligatoires car leur mise en place est prescrite par la législation. Comme l'a énoncé Bernard (1995), [traduction] « bien que ces comités mixtes prescrits de santé et sécurité soient bien loin des conseils exhaustifs d'entreprise à l'européenne, ils constituent néanmoins un progrès considérable dans les relations industrielles nord-américaines en permettant de faire un pas de géant au moyen d'une participation des travailleurs prévue par la loi à l'extérieur du cadre des négociations collectives habituelles et au-delà de celui-ci ». Des comités mixtes ont également été prescrits à l'égard d'autres enjeux d'importance, tels que les licenciements massifs, le travail partagé et les régimes de pension (Adams, 1986)Note de bas de page 146.

En revanche, plusieurs pays européens prescrivent des comités mixtes, souvent qualifiés de comités d'entreprise, qui procurent aux travailleurs une forme importante de voix collective au sein du milieu de travail. Les états membres de l'Union européenne (UE) sont tenus, aux termes d'une directive du Conseil européen (CE), d'accorder le droit de mettre en place des comités d'entreprise européens au sein de multinationales ou de groupes d'entreprises ayant au moins 1 000 employés au sein de l'UE ou de l'Espace économique européenNote de bas de page 147.

Par l'entremise des comités d'entreprise, les travailleurs sont informés et consultés par la direction à propos de la situation de l'entreprise et des décisions prises à l'échelle de l'Europe qui peuvent influer sur les conditions d'emploi et de travail. Le comité d'entreprise peut se composer uniquement de représentants des employés, comme dans le modèle allemand, ou de représentants des employés et des employeurs, comme dans le modèle français. Ce dernier modèle est le plus répandu.

Par exemple, la Loi sur les comités d'entreprises des Pays-Bas oblige les employeurs ayant plus de 50 employés à mettre en place un comité d'entreprise composé d'employés élus et lequel rencontre l'employeur deux fois l'an pour discuter des normes du travail, de la santé et de la sécurité au travail et de l'équité en matière d'emploiNote de bas de page 148.

Le rôle du comité d'entreprise consiste à défendre et à protéger les intérêts des employés face à l'employeur. Les comités d'entreprise ont des droits, notamment celui d'être consultés avant la prise de décisions et de mesures d'envergure et celui de consentir à certaines modifications des conditions d'emploi. Cependant, les comités d'entreprise ne s'investissent habituellement pas dans la négociation collective à propos des salaires et ne disposent pas du droit de grève. Ces composantes des rapports entre un employeur et les employés relèvent des syndicats (European Trade Union Institute, 2016).

L'Allemagne figure constamment parmi les économies les plus prospères d'Europe et possède une longue tradition de comités d'entreprise. L'adoption de comités d'entreprise à l'allemande a donc souvent été recommandée au Canada et aux États-Unis (par exemple, Adams, 1986, 2008; Beatty, 1987; Weiler, 1990). Toutefois, aucune province ni aucun territoire canadien n'a opté pour ce modèle, peut-être en raison de la réticence de certaines parties prenantes et de l'incertitude quant à son bon fonctionnement en contexte canadien.

En outre, il importe de reconnaître que l'importance du rôle assumé par les comités d'entreprise a régressé passablement dans le secteur privé en Allemagne au cours des dernières années, bien que ces comités demeurent très importants dans le secteur public (Oberfichtner et Schnabel, 2017). Il semble que les mêmes forces qui ont occasionné le déclin des syndicats dans le secteur privé en Amérique du Nord et ailleurs ont également entraîné une baisse de l'utilisation et de l'influence des comités d'entreprise en Allemagne.

Dans son rapport paru en 2006, Arthurs recommandait d'utiliser le Code pour approuver la création de comités consultatifs en milieu de travail (CCMT), ce qui favoriserait la consultation entre employeurs et travailleurs à propos des normes du travail dans les milieux de travail non syndiqués. Il affirmait que les CCMT pourraient être formés [traduction] « de personnes nommées, élues ou choisies par tirage, qui se sont portées volontaires ou qui ont été choisies de quelque autre façon, pourvu que l'employeur ne tente pas de contrôler l'issu de la consultation en choisissant lui-même les membres du CCMT ».

Des recherches ont permis d'abondamment documenter les conditions requises afin que ces comités soient performantsNote de bas de page 149. Les cadres supérieurs doivent avoir fortement à cœur leur réussite. Il faut calmer la crainte de représailles chez les travailleurs qui expriment leur opinion par la mise en place d'une protection statutaire. La procédure de règlement des griefs doit être indépendante, acceptable de part et d'autre et contraignante. Elle doit également être efficace, anonyme et confidentielle, et autoriser les plaintes formulées par des tiers. Les membres des comités doivent être convenablement formés et avoir accès aux renseignements nécessaires, et des réunions et des inspections doivent être prévues de façon fréquente. De plus, les recherches révèlent que la taille de l'entreprise ainsi que la présence d'un syndicat sont des facteurs clés assurant l'efficacité des CCMT.

L'une des démarches possibles pour rehausser la voix collective dans le SPRF consisterait à élargir les tâches des comités mixtes de santé et de sécurité au travail requis en vertu de la partie II du Code pour traiter des enjeux tels que l'instauration de nouvelles technologies en milieu de travail, les horaires flexibles, les exigences en matière d'heures supplémentaires et les politiques relatives à la déconnexion. De nombreux aspects du milieu de travail comportent des effets éventuels sur la santé des employés au sens large. Ces types d'enjeux « transversaux » concernent autant les normes du travail que la santé et la sécurité au travail. À ce titre, ils exemplifient de quelle façon la démarcation claire entre les différents cadres législatifs devient de plus en plus brouillée.

Cette démarche pourrait se révéler potentiellement prometteuse, mais le Comité estime qu'il serait prématuré de formuler une recommandation en cette matière. Si les comités de santé et de sécurité qui sont actuellement prescrits semblent bien fonctionner au sein d'organisations syndiquées, elles se révèlent nettement moins efficaces dans les entreprises qui ne le sont pas. Compte tenu des mises en garde que nous avons entendues à propos de l'efficacité de ces comités au sein des milieux de travail non syndiqués, ainsi que des recherches qui tendent à confirmer cette conclusion, il convient en guise de première étape, de bonifier notre compréhension des obstacles au rendement efficace des comités de santé et sécurité dans les entreprises non syndiquées du SPRF ainsi que la meilleure façon de surmonter ces obstacles.

Recommandation 26 : Le Comité recommande que le Programme du travail amorce la recherche sur les obstacles au rendement efficace des comités de santé et de sécurité dans les entreprises non syndiquées du SPRF et la façon dont ces obstacles pourraient être optimalement surmontés.

En règle générale, on sait peu de choses sur l'incidence et la nature des comités mixtes en milieu de travail et des autres mécanismes connexes de voix collective au sein des milieux non syndiqués du SPRF. Au cours de nos activités de mobilisation, nous avons entendu parler de divers mécanismes de consultation en milieu de travail dans le secteur bancaire, où le taux de syndicalisation est le plus faible, ainsi que dans les grandes entreprises de messagerie non syndiquées. Par exemple, une grande banque organise deux fois l'an un sondage sur la mobilisation des employés qui permet à ces derniers de donner de la rétroaction sur plus de 30 aspects de leur expérience professionnelle actuelle et cherche à obtenir leur point de vue sur la façon par laquelle l'employeur peut favoriser un milieu de travail amélioré. Le taux de participation est élevé – quelque 90 % des employés y ont participé en 2017 – et le sondage est géré par un tiers indépendant. Toutefois, nous ne saurions établir avec certitude que ces types de mécanismes procurent aux travailleurs des possibilités efficaces d'exprimer leur point de vue collectivement, comparativement aux comités mixtes en milieu de travail qui sont davantage institutionnalisés.

Cet exercice d'analyse comparative pourrait s'amorcer au sein des grandes organisations, lesquelles semblent les plus susceptibles de comporter de tels mécanismes de voix collective. Il y a lieu de procéder en consultation avec les intervenants, ou par l'intégration de questions pertinentes à la prochaine EMCTF.

Recommandation 27 : Le Comité recommande que le Programme du travail mène un exercice d'analyse comparative en vue d'obtenir une information systématique sur la fréquence des comités mixtes en milieu de travail et des mécanismes connexes de voix, sur les plans individuel et collectif, chez les entreprises non syndiquées du SPRF, de savoir si et comment les représentants des travailleurs sont choisis pour participer, et de connaître le mode d'évaluation de l'efficacité de ces mécanismes.

Modèles progressifs de représentation collective prévus à la loi

Certains experts soutiennent que le modèle des relations de travail fondé sur la Loi Wagner et adopté au Canada et aux États-Unis n'a pas permis de fournir une représentation significative à une majorité d'employés du secteur privé et qu'il est temps de se détourner de ce modèle. L'une des critiques particulières de ce modèle se rapporte à son approche du « tout ou rien » : le syndicat sera accrédité et les travailleurs pourront bénéficier d'un mécanisme de voix collective leur permettant de s'investir significativement dans les décisions en milieu de travail seulement si une majorité de travailleurs dans l'unité de négociation expriment leur volonté de se syndiquer.

Thompson (1995) et Doorey (2013) ont proposé des formes de modèles progressifs de représentation collective prévus à la loi. De telles propositions sont motivées en grande partie par l'existence de données à propos de la demande insatisfaite en représentation collective au sein de nombreux milieux de travail non syndiqués au Canada. Elles sont également motivées par les recherches qui en viennent à la conclusion que de nombreux employés au sein d'entreprises non syndiquées seraient intéressés à participer à une association d'employés autre qu'un syndicat conventionnel afin de discuter des enjeux en milieu de travail avec la direction (par exemple, Gomez, 2016; Hawkins et coll., 2014).

Le modèle de représentation gradué proposé par Thompson (1995) comporte trois niveaux. Le niveau le plus élémentaire se rapporterait au droit d'être informé des mesures de l'employeur à propos de certains sujets, comme l'embauche, les mises à pied et les horaires de travail, sans exigence quant à une consultation de l'employeur à propos de ces sujets. Le niveau suivant de représentation viserait la consultation auprès des employés ou de leurs représentants à propos de sujets tels que les licenciements et les mises à pied, le changement technologique, la formation, les promotions et les mutations. De plus, la rémunération ferait l'objet d'une consultation. Les employeurs conserveraient le droit d'agir unilatéralement, mais seraient tenus de discuter de ces questions avec un comité d'employés. Le troisième niveau de représentation engloberait les deux niveaux précédents et ajouterait des exigences quant à l'assentiment des comités mis en place à certaines mesures de la direction, comme les congédiements pour cause, les changements d'envergure aux horaires de travail et les questions économiques avant toute mesure prise par l'employeur.

Les employés pourraient accéder à l'un de ces niveaux de représentation au moyen d'un vote libre comme par exemple une minorité du tiers pour le premier niveau, 40 % pour le deuxième niveau et 50 % plus un pour le troisième niveau. Le droit des employés de choisir parmi ces modèles serait garanti par la loi. Les choix seraient valides pendant une période déterminée.

La démarche proposée par Doorey (2013) fait également intervenir trois niveaux, qu'il qualifie de droits « minces », « élargis » ou « encore plus élargis » qui sont déjà établis par les tribunaux au Canada. Les droits les plus élargis sont ceux en lien avec l'accréditation syndicale. Ils engloberaient l'ensemble des droits et obligations habituellement connexes aux modèles de la Loi de Wagner, comme le droit de prendre part à la négociation collective avec l'employeur, l'obligation des deux parties en cause de négocier de bonne foi, ainsi que le droit de grève dans l'éventualité d'une impasse.

Les droits dits « minces » ou « élargis » s'appliquent dans des situations où la représentation syndicale n'est pas atteinte. Les droits dits « minces » sont : i) la liberté de créer des associations d'employés, d'y adhérer et de les maintenir; alors que les droits dits « élargis » englobent également : ii) la protection contre les représailles dans l'exercice des droits dits « minces » (c.-à-d. le droit de n'être ni puni, ni licencié, ni bloqué par l'employeur dans l'exercice du droit d'association); iii) le droit de présenter des revendications collectives à l'employeur par l'entremise de l'association d'employés; iv) l'obligation de la part de l'employeur d'accueillir les représentations collectives des employés, de nouer un dialogue significatif et de tenir compte, de bonne foi, des revendications.

Ces deux modèles de voix collective sont généralement semblables. La différence fondamentale entre les deux propositions est que celle de Thompson fait intervenir plusieurs niveaux de représentation, selon le degré manifesté de soutien en faveur de la représentation collective chez les employés, tandis que celle de Doorey légiférerait le même ensemble de droits et d'obligations dans l'ensemble des organisations sans syndicat accrédité, mais les droits prévus par la loi pourraient être restreints aux droits dits « minces » ou s'étendre pour englober les droits « élargis ».

Recommandation 28 : Le Comité recommande de procéder à une analyse et un examen approfondis des modèles progressifs de représentation collective prévus à la loi.

Il convient d'exécuter cet examen en étroite collaboration avec les parties prenantes. Cet examen devrait englober une analyse de la fréquence de différents droits exercés chez les entreprises non syndiquées du SPRF, comme la liberté de créer des associations d'employés, d'y adhérer et de les maintenir, le droit de n'être ni puni, ni licencié, ni bloqué par l'employeur dans l'exercice du droit d'association, le droit de présenter des revendications collectives à l'employeur par l'entremise de l'association d'employés ainsi que l'obligation de la part de l'employeur d'accueillir les revendications effectives des employés, de nouer un dialogue significatif et de tenir compte, de bonne foi, des revendications. Dans le cadre de cet examen, il y a lieu également que le Programme du travail amorce la recherche sur la mesure dans laquelle la demande en représentation collective est insatisfaite au sein du SPRF.

Démarches sectorielles

Au cours de nos activités de mobilisation, nous avons entendu que les travailleurs de certains secteurs, comme les camionneurs et les pigistes de l'industrie de la radiodiffusion, font face à certaines difficultés lorsqu'il est question de voix collective. Les travailleurs qui souhaitent se syndiquer doivent être considérés comme des « employés », ce qui n'est pas toujours le cas. Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a par ailleurs exclu des employés occasionnels de la possibilité de faire partie d'une unité de négociation parce qu'ils n'avaient pas suffisamment d'intérêts en commun. De plus, ceux qui travaillent à des lieux géographiquement dispersés ont davantage peine à s'unir pour exprimer collectivement leurs préoccupations. Voilà pourquoi, entre autres, certains intervenants ont appuyé une démarche sectorielle pour les secteurs où le déséquilibre de pouvoir est difficile à corriger.

D'après nos activités de recherche et de mobilisation, il existe deux démarches prometteuses. Ces démarches ont également comme avantage supplémentaire de tendre vers la mise en place de normes du travail sectorielles.

Modèle de la Loi sur le statut de l'artiste

La Loi sur le statut de l'artiste du gouvernement fédéral a pour objet d'améliorer la situation économique, sociale et politique des artistes professionnelsNote de bas de page 150. Aux termes de cette loi en vigueur depuis 1992, un groupe d'artistes du SPRF qui sont des entrepreneurs indépendants peut être reconnu et accrédité par le CCRI en tant qu'association d'artistes ayant le droit exclusif de défendre les intérêts de ses membres aux fins de la négociation collective avec les producteurs.

Les artistes s'entendent des auteurs, des directeurs et des autres professionnels qui contribuent à la création d'une production. Une association d'artistes se définit comme un « groupement – y compris toute division ou section locale de celui-ci ayant parmi ses objets la promotion ou la gestion des intérêts professionnels et socioéconomiques des artistes qui en sont membres ». Une « association d'artistes » se définit comme un « groupement […] ayant parmi ses objet la promotion ou la gestion des intérêts professionnels et socio-économiques des artistes qui en sont membres; la présente définition vise également les regroupements d'associations »Note de bas de page 151.

Le « producteur » est défini comme « une institution fédérale ou une entreprise de radiodiffusion […] qui retient les services d'un ou de plusieurs artistes en vue d'obtenir une prestation ». Les producteurs visés sont les entreprises de radiodiffusion relevant de la compétence du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, les ministères fédéraux et la plupart des organismes du gouvernement fédéral et des sociétés d'État qui retiennent les services d'un ou de plusieurs artistes en vue d'obtenir une prestation. Plusieurs producteurs peuvent également se regrouper en association afin de négocierNote de bas de page 152. La Loi ne s'applique ni aux artistes qui se trouvent dans une relation employeur-employé, ni à ceux qui sont visés par d'autres lois comme le Code s'ils travaillent dans le SPRF ou la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique s'ils travaillent dans certaines parties du secteur public fédéral.

En vertu de la Loi sur le statut de l'artiste, un groupe d'artistes autonomes qui travaillent dans le secteur des arts sous réglementation fédérale, y compris le Musée des beaux-arts du Canada, l'Office national du film, le Centre national des Arts, la Société Radio-Canada et Patrimoine canadien, peut être reconnu et accrédité par le CCRI en tant qu'association d'artistes ayant le droit exclusif de négocier avec les producteurs en vue de conclure ou de modifier des accords-cadres.

Le CCRI a la responsabilité de définir les secteurs de l'activité culturelle visés par la négociation collective, puis de définir la procédure d'accréditation des associations d'artistes et de producteurs en vue des accords-cadres de la négociation collectiveNote de bas de page 153. Le CCRI règle également les conflits de travail, reçoit les plaintes relatives aux moyens de pression illégaux et aux pratiques déloyales et impose des sanctions, notamment des amendesNote de bas de page 154.

La Loi autorise les accords-cadres entre un producteur et une association d'artistes qui préparent le terrain relativement aux conditions des services des artistes, dont une rémunération, ce qui permet la négociation de conditions de travail davantage favorables à titre individuelNote de bas de page 155. Les accords-cadres englobent un grand nombre des dispositions qui figurent généralement dans les conventions collectives, dont celles ayant trait aux heures de travail, aux horaires et à la procédure de négociation collective. Ils peuvent également englober des dispositions propres aux métiers d'art en particulier et celles se rapportant aux droits de licence, aux redevances ou au droit d'auteur, qui sont des aspects importants de la rémunération de nombreux artistes.

Les accords-cadres sont en vigueur pendant la durée du mandat précisé sauf lorsque le CCRI y met finNote de bas de page 156. Les accords lient tous les membres de l'association au moment où ils sont signés et doivent comporter des dispositions prévoyant le mode de règlement définitif — notamment par arbitrage, mais sans recours aux moyens de pression — des conflits qui pourraient survenir, entre les parties. La Loi comporte un avis de négociation des exigences et stipule que l'autre partie en cause doit négocier de bonne foi et faire tous les efforts raisonnables pour conclure un accord-cadreNote de bas de page 157. En vertu de la Loi, le ralentissement du travail, l'arrêt du travail ou le lock-out sont interditsNote de bas de page 158, sauf dans des circonstances limitées.

Environ 25 associations d'artistes sont actuellement accréditées par le CCRI. Dans le cadre de l'évaluation de la Loi menée par Patrimoine canadien en 2002, des associations d'artistes accréditées ont révélé en entrevue que, selon elles, l'accréditation leur avait permis d'obtenir une légitimité et une crédibilité qu'elles n'auraient pas eues autrementNote de bas de page 159. Elles ont également affirmé qu'elles accordaient de l'importance à la Loi pour leur avoir donné la possibilité de [traduction] « s'exprimer d'une seule voix » auprès des employeurs et d'avoir fait ressortir la question des pressions économiques. Un grand nombre estimaient que, sans cette loi, leur capacité à défendre les intérêts de leurs membres s'en trouverait compromise. Des lois du même ordre sur le statut de l'artiste ont été adoptées au Québec (1987), en Saskatchewan (2002) et en Ontario (2007)Note de bas de page 160 Note de bas de page 161 Note de bas de page 162.

Au cours de nos activités de mobilisation, nous avons entendu parler de pigistes dans l'industrie de la radiodiffusion ainsi que de camionneurs qui sont souvent considérés comme des entrepreneurs indépendants. Ces travailleurs sont dispersés dans divers endroits physiques et les possibilités d'interagir entre eux sont limitées. Quelques associations et syndicats interviennent dans ces secteurs, mais la mise en place de moyens concrets pour permettre aux travailleurs d'exprimer leurs points de vue collectivement est souvent perçue comme étant hors de portée. La prestation à ces travailleurs d'un cadre similaire à celui de la Loi sur le statut de l'artiste pourrait procurer une voie d'accès significative pour en arriver à une voix collective davantage fructueuse.

Recommandation 29 : Le Comité recommande d'étudier la faisabilité de la mise en place d'un cadre juridique indépendant qui permettrait aux pigistes au service de radiodiffuseurs de réglementation fédérale et aux camionneurs considérés comme entrepreneurs indépendants de s'organiser collectivement.

Ce cadre juridique pourrait s'apparenter à ce qui est prévu aux termes de la Loi sur le statut de l'artiste. Il y a lieu d'effectuer l'examen en étroite collaboration avec les parties prenantes.

Décrets

Le système de décrets mis en place au Québec constitue une autre démarche sectorielle. La Loi sur les décrets de convention collective a été promulguée en 1934. Son objectif était – et demeure – à deux volets : d'une part, moduler la concurrence entre entreprises qui œuvrent dans le même secteur de façon à ce que celle-ci ne se fasse pas sur la base des conditions de travail ou au détriment des employés et, d'autre part, faire en sorte que les travailleurs visés par décret disposent d'un accès rehaussé à de meilleures conditions de travail que celles énoncées dans la Loi sur les normes du travail.

Dans le régime des décrets, toute partie prenante à une convention collective peut demander au ministre du Travail d'étendre cette convention aux entreprises et aux travailleurs dans un secteur donné et un territoire en particulier. Le ministre en question évaluera les conditions énoncées dans la convention collective afin que les conditions du décret n'aient pour effet de compromettre ni le maintien en poste des employés, ni la croissance de l'emploi. Il peut ensuite consentir à étendre la convention collective au moyen d'un décret.

Les entreprises visées par décret doivent en respecter la teneur, que leurs travailleurs soient syndiqués ou non, et que les employeurs non syndiqués y souscrivent ou non. Le décret se rapportera en particulier à un métier, à une industrie, à un commerce ou à une profession; il sera valide dans un certain territoire; il comportera une durée préciséeNote de bas de page 163. Le décret comportera des dispositions relatives aux salaires et aux autres conditions de travail, et il peut interdire les grèves, les lock-out, le ralentissement du travail et le piquetageNote de bas de page 164. L'employeur régi par le décret peut accorder des conditions et des salaires supérieurs à ce qui est établi dans le décret, sauf si le décret l'interdit de façon expliciteNote de bas de page 165. Fait intéressant, la Loi prévoit la responsabilité solidaire entre l'entreprise principale et ses sous-traitants en ce qui touche les réclamations salarialesNote de bas de page 166. Il est également stipulé dans la Loi que l'employeur et son ayant cause sont liés solidairement à l'égard des salaires versésNote de bas de page 167.

Une fois le décret rendu, les parties prenantes à la convention collective d'origine constitueront un comité pour en superviser la conformité. Le Comité paritaire, comme il est appelé, est également chargé d'examiner les plaintesNote de bas de page 168. De plus, si le décret prévoit des bénéfices aux employés, le Comité paritaire devra en assumer la gestionNote de bas de page 169. Le ministre supervise les activités du Comité paritaireNote de bas de page 170 et peut y nommer des membres supplémentairesNote de bas de page 171.

Globalement, les syndicats et certaines associations d'employeurs du Québec perçoivent le système de décret comme bénéfique pour toutes les parties en cause, bien que plusieurs aient souligné le besoin de réformer certains aspects du régime. Parmi ceux-ci, certains estiment qu'il importe de se pencher sur le manque de transparence et de responsabilisation des comités paritaires de même que leurs conflits d'intérêts réels ou éventuels, ainsi que sur la représentativité des parties signataires des conventions collectives d'origine. En outre, d'après Bernier (2018), lorsque vient le temps de considérer s'il faut accepter une demande d'extension d'une convention collective, le ministre devrait examiner si le syndicat est en mesure de manifester une activité et une présence syndicale considérable dans le secteur.

Récemment, l'Assemblée nationale s'est penchée sur le projet de loi 53 qui avait fait l'objet d'un vaste consensus. Ce projet de loi avait pour objet de moderniser le système de décrets et, tout particulièrement, de traiter les préoccupations soulevées en matière de transparence, de responsabilisation et de conflits d'intérêts. Bien que le projet de loi soit mort au feuilleton, plusieurs mémoires ont été déposés, lesquels démontrent que la plupart des intervenants – des employeurs et des syndicats – ont appuyé les changements proposés (Assemblée nationale du Québec, 2016). À titre d'exemple, le Conseil du patronat du Québec a avancé qu'un grand nombre d'employeurs perçoivent un plus grand nombre d'avantages que d'inconvénients dans le régime de décrets (Conseil du patronat du Québec, 2016). En 2015, il y avait au Québec 14 décrets en vigueur qui visaient 75 000 travailleurs (à titre d'exemple, dans les services de l'automobile, le personnel d'entretien d'édifices publics et l'industrie des matériaux de construction).

Jusqu'en 2000, la Loi sur les relations industrielles de l'Ontario fournissait un mécanisme semblable de mise en place d'une grille de rémunération et de conditions de travail liant l'ensemble des employeurs et des employés d'un secteur particulier dans une zone géographique donnée (Klee, 2000). Cette Loi a été conçue pour rassembler travailleurs et employeurs sous les auspices de l'État pour déterminer le salaire minimum et les normes de travail. Elle a été abrogée en 2000. Cette loi était essentiellement tombée en désuétude. Son champ d'application était devenu étroit : il ne touchait essentiellement que l'industrie du vêtement.

De l'avis de plusieurs observateurs, les mécanismes sectoriels d'établissement des normes, comme le système de décrets, constituent une étape vers l'établissement de normes de façon indépendante (Slinn, 2019; Bernier, 2018). Au cours de nos activités de mobilisation, nous avons entendu dire que plusieurs syndicats appuieraient un système comparable à celui mis en place au Québec. Un tel cadre juridique permettrait aux travailleurs des secteurs où les taux de syndicalisation sont faibles d'avoir accès à une démarche de voix collective qui serait adaptée à leur réalité. La voix des travailleurs serait canalisée par des comités paritaires ou des « conférences » permettant la tenue d'un dialogue social tripartite sectoriel. Grâce à ces comités, les travailleurs pourraient se faire entendre et présenter leurs plaintes.

Recommandation 30 : Le Comité recommande la tenue d'études approfondies sur les avantages et les inconvénients de l'instauration d'un cadre juridique permettant l'extension des conventions collectives à certaines industries du SPRF où les taux de syndicalisation sont très faibles.

Il convient que cette étude se fasse en étroite collaboration avec les parties prenantes.

Chapitre 7 : Enjeux transversaux

Outre les cinq enjeux que nous avons approfondis dans le présent rapport, notre mandat exigeait de nous ce qui suit : « Présenter à la ministre un rapport renfermant des conseils et des recommandations éclaires par des données probantes concernant ces enjeux et toute question connexe d'ici ». Au cours de notre travail, il est devenu manifeste que d'autres enjeux, en réalité, méritaient une prise en compte et des recommandations poussées. Ces trois enjeux sont : la mise en application de la loi et la conformité; les données; de même que la surveillance et monitoring.

Une prise en compte directe ou indirecte de ces trois enjeux contribuera à faire en sorte que nos recommandations relatives aux cinq enjeux initiaux, de même que d'autres modifications apportées au Code canadien du travail (le Code) et ses règlements, soient instaurées, monitorées et rajustées efficacement. De façon globale, la démarche que nous recommandons permettrait également de voir à ce que le Programme du travail puisse exécuter son mandat en s'assurant que la partie III demeure à jour et pertinente au sein de notre économie et de notre marché du travail en perpétuelle évolution.

Mise en application de la loi et conformité

Quel est l'enjeu?

Il est fondamental de veiller à la conformité aux lois pour protéger l'intérêt public et concrétiser certains objectifs visés par les politiques publiques, notamment dans les domaines des normes du travail, de la santé et de la sécurité, ou de l'environnement. Les règles les plus réfléchies et les mieux conçues ne seront jamais utiles si la collectivité réglementée ne les observe pas et si la mise en application de la loi est inconstante.

Dans le domaine des normes du travail, la conformité aux règles et aux règlements peut être minée ou contrainte par plusieurs facteurs, y compris la désobéissance délibérée ou la transgression des règles pour obtenir un avantage concurrentiel ou épargner sur les coûts. L'incompréhension, voire le manque de sensibilisation à la nature des règles ou à leur mise en application convenable, risque également d'occasionner des problèmes de conformité chez les employeurs, tout particulièrement les petites entreprises (Banks, 2015; Ontario, 2015). La mise en application de la loi peut également se révéler difficile en raison des questions de champs de compétence. La confusion quant à savoir si l'employeur est régi par la législation fédérale ou provinciale peut causer des difficultés aux employés qui cherchent à porter plainte, alors que certains employeurs pourront tenter de se constituer dans la juridiction qui leur est la plus favorable (Arthurs, 2006).

Par conséquent, les démarches de vérification de la conformité peuvent être orientées par la non-conformité : là où la formation et la sensibilisation peuvent aider les entreprises à concevoir la nature des règles, la conformité augmentera vraisemblablement. De même, les employés ont besoin de savoir en quoi consistent leurs droits et prérogatives aux termes de la partie III pour faire en sorte qu'ils en bénéficient concrètement. La connaissance et la compréhension des droits et obligations, par l'employeur et par les employés, faciliteront l'atteinte de niveaux supérieurs de conformité (Banks, 2015).

Dans les cas où la non-conformité est ancrée dans une inconduite délibérée, la mise en application de la loi au moyen de sanctions (par exemple, de nature pécuniaire) aura un effet dissuasif sur une telle conduite, tant en ce qui concerne l'employeur en lui-même que d'autres qui pourraient songer à contrevenir aux règles.

La partie IIII comporte deux objectifs fondamentaux : fournir un socle de normes minimales pour tous les employés, de même qu'empêcher les employeurs qui n'observent pas les normes du travail d'en tirer des avantages injustes. Toutefois, les démarches ordinaires de surveillance de la conformité, dont celles mises de l'avant par le Programme du travail, reposent sur les plaintes d'employés quant aux contraventions éventuelles au Code, et ce qui peut être perçu comme une démarche routinière et de réaction aux inspections. Une telle démarche comporte d'importants défauts.

Les recherches révèlent que les secteurs réputés pour leurs infractions aux normes du travail ne présentent globalement qu'un nombre restreint de plaintes (Noack et coll., 2015; Weil, 2008; Weil et Pyles, 2005). Là où les employés ne sont pas représentés par des syndicats, il est également juste de présumer qu'un grand nombre ne se sentent pas à l'aise de porter plainte au sujet d'une violation des normes du travail par crainte de représailles (Vosko et coll., 2017). Par conséquent, et peut-être manifestement, ce sont les plus vulnérables (comme les travailleurs étrangers temporaires ou les travailleurs temporaires) qui sont les plus touchés par la non-conformité et les initiatives infructueuses d'application de la loi.

Les employés font face à une gamme d'obstacles quant à la mise en œuvre de leurs droits au moyen des plaintes individuelles. Par exemple, les employés qui portent plainte doivent révéler leur identité, laquelle est communiquée à leur employeur au cours du processus de plainte. Des études montrent que dans la plupart des cas, en raison de la crainte de représailles, les plaintes sont déposées par des employés qui ne sont plus au service de l'employeur en cause (Gesualdi-Fecteau et Vallée, 2016; Vosko et coll., 2012; Vosko et coll., 2017).

Selon les données internes du Programme du travail à propos des plaintes, 16 % des plaintes relatives aux normes du travail qui ont été déposées auprès du Programme du travail au cours des trois dernières années ont été retirées. Cette situation peut être attribuable au processus d'enquête, dans lequel l'employé doit démontrer le bien-fondé de sa cause, avec pièces justificatives à l'appui. Or, certains employés ne reçoivent pas de relevés d'emploi en bonne et due forme de leur employeur, et certains ont peine à démontrer le bien-fondé de la cause dans un processus quasi judiciaire sans une représentation ou un appui convenables. D'autres employés peuvent se heurter à des obstacles dans l'accès à l'information sur la façon de porter plainte et de prendre part à des enquêtes, ou encore sur les plans de la langue et de l'alphabétisation.

La démarche fondée sur des plaintes se traduit par [traduction] « des taux de conformité relativement faibles à coût relativement élevé » (Vosko et coll., 2017). En outre, un tel modèle se révèle moins efficace dans le monde actuel du travail, lequel est mû par de nombreux facteurs tels que des chaînes d'approvisionnement complexes, une croissance de l'emploi atypique de même que la classification inappropriée d'employés à titre de travailleurs indépendants (OIT, 2017). Le déclin de la syndicalisation signifie également qu'on insiste davantage sur les inspecteurs des normes du travail pour discerner les problèmes et y donner suite, faute d'initiatives coordonnées à l'échelle du milieu de travail pour garantir la conformité aux diverses normes du travail.

Il est toutefois vital de souligner qu'il se trouve également des entreprises qui s'intéressent vivement à la conformité et aux initiatives efficaces d'application de la loi. La grande majorité des entreprises observent les lois sur les normes du travail : à ce titre, elles ont tout intérêt à ce que les entreprises non conformes soient traitées efficacement puis sanctionnées ou mises en conformité. Nous avons entendu parler de certains employeurs dans le secteur du camionnage, par exemple, qui feraient bon accueil à des initiatives plus rigoureuses de mise en application de la loi, axées tout particulièrement sur certaines petites entreprises de ce même secteur.

Ainsi, tant les entreprises que les employés ont fortement intérêt à voir à ce que les normes du travail soient mises en application rigoureusement et à ce que la conformité fasse l'objet d'une promotion massive : tel est le message que nous avons entendu récemment au cours de nos consultations auprès d'une vaste gamme de parties prenantes.

Étant donné les difficultés décrites au préalable et l'importance de garantir une conformité efficace, il y a lieu d'adopter une méthode proactive afin d'orienter les initiatives et les organisations chargées de veiller à la conformité aux normes du travail.

Il n'y a que 79 inspecteurs du Programme du travail au pays, et on s'attend à ce que ces derniers demeurent aux aguets des opérations de plus de 36 800 milieux de travail connus. Le Programme du travail accueille environ 4 177 plaintes par année au sujet de questions liées aux normes du travail. Nous avons entendu constamment les travailleurs, les groupes de la société civile et les associations de travailleurs dire que les initiatives actuelles en matière de conformité et de mise en application de la loi se révèlent inappropriées – l'un d'eux a affirmé que la mise en application de la loi était « inexistante » – et qu'il faut en faire davantage pour mettre en application les normes du travail fondamentales. Certains travailleurs ont relevé n'avoir jamais vu dans leur milieu de travail un inspecteur du Programme du travail fédéral.

Les employeurs et les organisations d'employeurs nous ont affirmé que la non-conformité est souvent attribuable à un manque de sensibilisation. Ils ont précisé que la majorité des grands employeurs sont au courant de leurs obligations, mais que tel n'est peut-être pas le cas des petits employeurs.

À la lumière de telles difficultés, un système qui demeure fondé sur les plaintes et en mode réactif, assorti de ressources relativement limitées, ne saurait cibler suffisamment les délinquants à risque élevé et les contrevenants récidivistes graves en ce qui touche les normes du travail.

Nous convenons du fait que le Programme du travail recevra des ressources et des pouvoirs nouveaux au cours des prochaines années (consulter le Tableau 9). Il s'agit d'un pas important, tout particulièrement en ce qui concerne les pénalités monétaires qui pourraient constituer, aux yeux des employeurs, un élément dissuasif considérable par rapport à la non-conformité.

Tableau 9 : Nouveaux pouvoirs d'inspection
Pouvoir Date d’entrée en vigueur
Création d’une nouvelle partie IV qui prévoit, entre autres choses, la mise en place d’un régime de pénalités monétaires administratives, y compris ce qui constitue une infraction, les règles relatives aux infractions, les processus d’examen et d’appel en lien avec les infractions de même que de nombreux pouvoirs de réglementation. Prévu pour 2020 ou plus tard
Élargissement des pouvoirs des inspecteurs du Programme du travail quant à la délivrance d’ordres de paiement. Prévu pour 2019
Création d’un nouveau chef de la conformité et de l’application dans le Programme du travail, investi de fonctions, de tâches et de pouvoirs consolidés. Prévu pour 2020 ou plus tard

Nous avons énoncé quelques recommandations qui pourraient contribuer à l'atteinte d'une conformité rehaussée aux normes du travail ainsi qu'à la protection efficace des travailleurs, tout particulièrement ceux qui sont les plus vulnérables.

Démarches de mise en application de la loi dans d'autres juridictions

Organisation internationale du Travail

L'Organisation internationale du Travail (OIT) a recommandé plusieurs stratégies de mise en application de la loi et d'inspection afin de rehausser la conformité entre secteurs. Dans un rapport de 2017 conçu en vue de l'inspection du travail, un modèle à six étapes est énoncé pour faciliter la transition allant des modèles ordinaires de mise en application de la loi à un modèle de conformité stratégique. Le modèle épouse une démarche fondée sur l'inspection du travail qui est à la fois proactive et ciblée, et dont l'objectif consiste à en arriver à la mise en application de la loi et à la conformité (OIT, 2017). Les six étapes se rapportent à l'approfondissement et à l'évaluation de ce qui suit :

  • l'inspection du travail axée sur trois domaines clés : son mandat, ses ressources et ses données relatives à la mise en application de la loi et à la conformité ;
  • les enjeux et cibles prioritaires au sein d'un secteur donné, quel qu'il soit;
  • les raisons expliquant la conformité et la non-conformité à la loi;
  • l'influence exercée par les intervenants en ce qui touche l'instauration d'une conformité soutenue;
  • une approche créative relativement aux stratégies d'intervention, y compris des campagnes ciblées et de formation;
  • l'instauration d'un plan de conformité stratégique adapté à une démarche ancrée dans le diagnostic des causes de la non-conformité et qui fait appel à une vaste gamme d'outils d'intervention, notamment la participation de parties et d'intervenants externes.
Royaume-Uni

En 2017, le gouvernement du Royaume-Uni a publié un rapport indépendant intitulé Good Work: The Taylor review of modern working practices (Taylor et coll., 2017), dans lequel sont évaluées et formulées des recommandations à propos de plusieurs pratiques modernes de travail, y compris les nouvelles formes d'emploi, les plateformes numériques, ainsi que les droits et les responsabilités en matière d'emploi. Au sein de ce rapport, on insiste sur la nécessité pour l'Employment Agency Standards Inspectorate (EAS) au Royaume-Uni (EAS) de protéger les travailleurs des agences, notamment se pencher sur l'efficacité des ententes « de rémunération entre affectations ». Il est également recommandé dans le rapport d'accorder à l'EAS le pouvoir d'imposer directement des pénalités aux employeurs non conformes sans nécessairement recourir aux poursuites.

L'initiative SAFERjobs, lancée en 2008, a pour objet de protéger la sécurité et de promouvoir les droits des travailleurs; il s'agit d'une initiative mixte d'associations industrielles et d'organismes gouvernementaux et d'application de la loi. Les partenaires de l'initiative SAFERjobs fondent leurs stratégies d'intervention sur les renseignements fournis par les travailleurs contribuant ainsi à une mise en application proactive des lois.

Australie

En Australie, le Fair Work Ombudsman (FWO) est un organisme réglementaire indépendant qui donne de la formation, apporte de l'aide, veille à la conformité au Fair Work Act et procède aux inspections ainsi qu'à la mise en application de la loi. Le modèle de conformité du FWO englobe un agencement d'enquêtes sur les plaintes combinées à des campagnes de formation du public, tout en favorisant la collaboration et la consultation constantes auprès des organisations d'employeurs et d'employés.

Récemment, le FWO s'est investi dans une gamme d'activités exploratoires, conçues pour comprendre et traiter les causes systémiques sous-jacentes à la non-conformité, dans l'optique de mettre en place à long terme « une culture de conformité » en milieu de travail (Gouvernement de l'Australie, 2017). Parmi les méthodes employées, il y avait la mise au point de campagnes ciblées et d'une aide aux intervenants afin de cibler les travailleurs vulnérables susceptibles de se faire exploiter en milieu de travail; des systèmes de déclaration anonyme, ainsi que des campagnes fondées sur les renseignements et les enquêtes détaillées ayant pour objet de traiter la non-conformité dans les secteurs à risque élevé.

Ce que nous avons entendu

Les enjeux relatifs à la conformité et à la mise en application de la loi ont été soulevés à plusieurs reprises au cours des activités de mobilisation.

Un syndicat nous a révélé qu'une mise en application de la loi qui repose sur les plaintes présentées individuellement par les employés ne fonctionnent pas efficacement sans l'appui syndicale. Selon cet intervenant, l'application proactive de la loi devrait constituer un point de mire. L'efficacité de ce mode d'intervention dépend toutefois en grande partie de la volonté gouvernementale d'y consacrer des ressources suffisantes. Selon ce que nous avons entendu, il est difficile de trouver des renseignements sur le Code dans le site Web du gouvernement du Canada. Nous avons également appris que les travailleurs qui tentent d'avoir accès aux fonctionnaires du Programme du travail, qui peuvent répondre à leurs questions ou les aider à porter plainte, se butent à des obstacles d'accès. Des organisations autochtones nous ont révélé que leurs communautés ne disposent pas des ressources pour donner aux travailleurs une formation à propos des normes du travail.

De plus, un bon nombre de représentants des travailleurs nous ont confié que les renseignements relatifs aux normes du travail fédérales ainsi que le processus de dépôt des plaintes sont opaques et difficiles d'accès.

Nous avons entendu des divers points de vue des membres du personnel de la conformité et de mise en application de la loi œuvrant au sein du Programme du travail. Ces rencontres nous ont permis de guider plusieurs de nos recommandations à partir du point de vue de ceux qui travaillent sur le terrain, puis de constater dans quelle mesure le bât blesse au chapitre de l'interprétation des enjeux complexes, de la perception et de l'interprétation des normes par les entreprises et les travailleurs.

Des membres du personnel de l'application de la loi nous ont révélé que les relations d'emploi tripartites entre l'employeur et les employés font parfois l'objet d'une médiation par des sociétés fictives qui ne détiennent aucun actif, mais qui embauchent et paient l'employé pendant que le contrôle exercé quotidiennement sur le travail de l'employé est effectué par la véritable sociétéNote de bas de page 172. Le concept d'« employeurs liés » pourrait favoriser le recouvrement des paiements dans ces types de cas. Une telle démarche n'a été typiquement mise en œuvre que dans l'industrie du débardage, laquelle a compté par le passé de nombreux employeurs en raison de la nature du travail (quoique peu de plaintes soient déposées, étant donné le caractère fortement syndiqué du secteur).

Outre l'enjeu du manque de sensibilisation chez les petits employeurs, le fardeau réglementaire a également suscité des préoccupations chez les employeurs. Un groupe d'employeurs nous ont mentionné que tous les niveaux de gouvernement adoptent régulièrement de nouvelles règles et que les entreprises doivent incidemment s'acquitter de formalités supplémentaires. Ces employeurs ont servi la mise en garde suivante : si le fardeau devient trop lourd, les employeurs cesseront d'embaucher directement du personnel afin d'exécuter certains types de travaux pour plutôt recourir à un fournisseur de services.

Certaines idées nous ont été transmises quant à la façon de traiter les enjeux relatifs à la conformité et à la mise en application de la loi. Un syndicat a recommandé l'élaboration de programmes stratégiques de mise en application de la loi et d'une cartographie des secteurs. Une organisation d'employeurs a recommandé l'adoption d'une démarche axée sur la « sensibilisation avant la mise en application formelle de la loi ». Une association de travailleurs a recommandé l'élaboration d'un guide sur les normes du travail fédérales présenté dans un vocabulaire accessible. Nous avons également reçu la suggestion de rendre les renseignements en ligne davantage accessibles et faciles à comprendre et de retirer les obstacles qui nuisent à l'accès aux fonctionnaires (par exemple, le prolongement des heures de service, de façon à ce que les travailleurs puissent joindre le Programme du travail à l'extérieur des heures de travail habituelles). Pour soulager le fardeau réglementaire, un groupe d'employeurs a recommandé une démarche « intelligente » de réglementation qui permettrait de corriger les incohérences entre les ministères fédéraux et d'autres juridictions provinciales ou territoriales, entre autres choses.

Plusieurs ont convenu du fait que les « lacunes informationnelles » de même que le manque de clarté dans le vocabulaire législatif et règlementaire ont suscité des problèmes de prise de conscience qui risquent d'occasionner des infractions systémiques. Ainsi, la clarification du vocabulaire de même que l'élaboration de ressources et de lignes directrices à l'intention des employeurs et des travailleurs pourraient contribuer à résoudre cette difficulté.

Conclusions et recommandations

Le Comité signale que le Programme du travail doit disposer de ressources appropriées afin de mettre en application les normes du travail : les récents investissements à cet égard sont prometteurs, mais il faut les maintenir et peut-être les accroître afin que le Programme puisse composer convenablement avec les plaintes et mener davantage d'activités proactives au sujet de la conformité à la loi et sa mise en application.

Recommandation 31 : Le Comité recommande que le Programme du travail, plus particulièrement la Direction générale de la Conformité, des Opérations et du Développement du programme, adopte les mesures suivantes pour renforcer la conformité, l'application de la loi et les opérations :

  1. accroître la capacité de recouvrer les ordres de paiement, notamment au moyen d'un partenariat avec l'Agence du revenu du Canada (ARC) pour cibler la poursuite des personnes morales plutôt que des comptes ou succursales bancaires, en particulier;
  2. reconnaître le concept d'« employeurs liés » aux fins du recouvrement des ordres de paiement;
  3. fournir des lignes directrices et des tests exhaustifs d'interprétation aux employeurs et aux employés, tout particulièrement en ce qui concerne l'employeur, l'employé, la relation de travail et la détermination de la compétence législative;
  4. concevoir des outils en ligne permettant aux employeurs et aux employés de déterminer la compétence législative et la nature du travailleur (employé ou entrepreneur indépendant) aux fins des normes du travail, inspirés du calculateur du salaire pour jour férié;
  5. voir à ce que la prestation des services aux clients soit simplifiée, conviviale et accessible pour les employés chez qui le processus de plainte risque de prêter à confusion ou de sembler bureaucratique à outrance; par exemple, se pencher sur les façons par lesquelles les inspecteurs peuvent joindre les travailleurs et les employeurs par courriel plutôt que strictement par la poste (comme c'est actuellement le cas), de façon à accélérer les périodes de traitement des cas et à augmenter le temps consacré aux enquêtes sur les plaintes;
  6. faciliter la navigation et la compréhension du contenu en ligne relatif au Programme du travail;
  7. insister de nouveau sur le besoin en campagnes proactives de formation et d'information à propos des normes du travail dans les milieux de travail, partout au Canada, axées sur les secteurs à risque élevé et les travailleurs vulnérables;
  8. mettre en priorité l'accroissement des échanges de renseignements entre les organismes fédéraux (comme l'ARC ou d'autres parties d'EDSC) ainsi que les gouvernements provinciaux, de façon à déceler les employeurs et milieux de travail à risque élevé en vue d'un déploiement judicieux des ressources d'application de la loi;
  9. appuyer financièrement les organismes de défense tiers, comme les cliniques juridiques communautaires et les organisations de défense des travailleurs sans but lucratif.

Données

La recherche et l'analyse des politiques – de même que l'élaboration de futures politiques – relativement aux cinq enjeux examinés se butent à des difficultés considérables au chapitre des données. Dans l'exécution de notre mandat, notre capacité à évaluer avec exactitude la nature du SPRF et des changements au fil du temps a été restreinte. Il en va de même pour ce qui est des retombées des mesures politiques potentielles sur les employeurs, les travailleurs et l'économie du Canada. Le Programme du travail est également restreint dans sa capacité à analyser et à monitorer les principaux enjeux actuels et naissants en matière de normes fédérales du travail; il en va de même pour ce qui est des suivis des modifications récentes et nombreuses à la partie III du Code.

Enquêtes de Statistique Canada

Il existe deux enquêtes de Statistique Canada qui se révèlent particulièrement utiles en ce qui touche les renseignements sur l'univers des employeurs et employés visés par la partie III du Code : l'Enquête sur la population active (EPA) et l'Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale (EMTCF).

Enquête sur la population active

L'EPA, l'une des enquêtes phares de Statistique Canada sur les ménages, est à la base des estimations qui font autorité en matière d'emploi par industrie et par profession à l'échelle régionale et nationale. L'EPA fournit des renseignements détaillés sur des facteurs démographiques tels que l'âge, le sexe, le niveau de scolarité, le statut d'immigrant et le statut d'Autochtone, de même que les salaires, les heures de travail, l'emploi à temps plein ou à temps partiel, les taux de syndicalisation, la taille de l'employeur ainsi que diverses dimensions des modalités de l'emploi atypique comme l'emploi occasionnel, contractuel, temporaire et saisonnier. De plus, la taille de son échantillon est vaste et est menée chaque mois : une fois l'EPA exécutée, les fichiers de microdonnées paraissent presque immédiatement, de sorte qu'elle procure en temps voulu des renseignements de grande qualité. La portée des questions de l'EPA s'est élargie considérablement depuis 1945, année où elle a eu lieu pour la première fois; depuis le milieu des années 1990, des améliorations substantielles y ont été apportées par l'ajout de questions à propos de certaines formes d'emploi atypique, du statut d'immigrant et des Autochtones.

L'EPA permet de brosser le meilleur tableau de la main-d'œuvre du Canada dans son ensemble, tout particulièrement sur le plan démographique. Malheureusement, à certains égards, l'EPA n'est pas demeurée à jour quant aux réalités actuelles du marché du travail et ne tient pas compte, comme nous l'avons appris au fil de notre travail, de certains enjeux qui intéressent prospectivement les décideurs, les chercheurs et les parties prenantes. En ce qui touche tout particulièrement la partie III, d'importantes lacunes sont constatées.

En effet, l'EPA ne permet pas de discerner si les répondants employés œuvrent au sein des milieux de travail visés par la partie III. Par conséquent, le SPRF fait nécessairement l'objet d'approximations par des recours au système de classification des industries de l'EPA afin de discerner les industries qui sont vraisemblablement sous réglementation fédérale. Cette facette pose tout particulièrement problème lorsqu'une industrie, comme celle du camionnage, est à la fois sous réglementation fédérale et provinciale, parce que les données dérivées de cette méthode ne se rapportent pas toujours exclusivement au SPRF.

L'EPA procure bel et bien certains renseignements à propos des travailleurs autonomes, mais elle ne permet pas d'établir une distinction entre travailleurs autonomes dépendants et entrepreneurs indépendants, un problème fondamental relativement au champ d'application de la partie III.

Recommandation 32 : Le Comité recommande que le Programme du travail collabore avec Statistique Canada à l'ajout d'un « facteur d'identification du SPRF » à l'EPA mensuelle. Cette mesure ne nécessiterait pas l'ajout d'une question au questionnaire de l'EPA, lequel est déjà exhaustif. Ce facteur d'identification pourrait consister en une variable dérivée.

Parmi les exemples de variables dérivées, il y a Secteur d'activité et Catégorie de travailleur; on peut ainsi déterminer si les répondants employés se trouvent dans le secteur public ou privé. Les répondants employés doivent répondre à la question « pour qui (le répondant) a-t-il travaillé? », après quoi Statistique Canada détermine le secteur approprié au moyen de son Registre des entreprises, une liste fréquemment actualisée de tous les employeurs au Canada, ainsi que des protocoles internes de classification des industries.

Le facteur d'identification du SPRF proposé s'ajouterait à la variable Catégorie de travailleur, après quoi le facteur d'identification du secteur privé serait scindé en deux : le SPRF et le secteur privé sous réglementation provinciale. Cette façon de faire occasionnerait une difficulté : les employés des sociétés d'État fédérales sont visés par la partie III du Code, mais Statistique Canada les classe dans le secteur public. Il faudrait mettre au point un mécanisme permettant de traiter de telles différences.

Le facteur d'identification du SPRF serait propice à des recherches empiriques rapides et de grande qualité sur le SPRF, de même que sur les conséquences des politiques sur la main-d'œuvre et le marché du travail. Les universitaires de même que les autres chercheurs, les parties prenantes et le Programme du travail y trouveraient leur compte.

Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale

L'EMTCF fournit une réponse partielle aux limites de l'EPA. Il s'agit d'une enquête occasionnelle à propos des employeurs du SPRF menée par Statistique Canada pour le compte du Programme du travail. L'EMTCF, qui s'est d'abord déroulée en 2004, puis en 2008 et 2015, permet de recueillir des données sur le milieu de travail et les caractéristiques de la main-d'œuvre des employeurs du SPRF, à l'exclusion des employeurs de gouvernance dans les réserves des Premières Nations.

L'EMTCF est une enquête sur les employeurs du SPRF : elle ne s'applique ni aux travailleurs ni aux employés. Les questions posées portent habituellement sur le secteur industriel, le nombre et les types d'employés, les salaires et avantages offerts aux employés et la couverture que procure la convention collective, quoique les questions de cette enquête aient varié au fil des trois cycles.

L'EMTCF s'est traduite par une collecte de données améliorées relativement au SPRF. Toutefois, elle comporte également des lacunes importantes.

Étant donné que la population cible est composée d'employeurs du SPRF, l'EMTCF permet de recueillir des renseignements sociodémographiques restreints à propos des employés, dont ceux qui occupent une forme d'emploi atypique. En outre, il est difficile de ventiler les renseignements obtenus en raison des exigences de confidentialité ayant trait à la taille de la population sondée, ce qui pose d'importantes difficultés quant à l'analyse comparative entres les sexes plus (ACS+) du SPRF. Les renseignements sur les employés et les employeurs autochtones sont tout particulièrement manquants.

En raison de sa nature occasionnelle, l'EMTCF ne permet pas facilement d'établir des comparaisons au fil du temps ni de procéder à une analyse longitudinale; de plus, sa démarche n'est pas toujours constante. À titre d'exemple, l'EMTCF la plus récente menée en 2015 ne présente pas de ventilation par province ou territoire, et l'EMTCF réalisée en 2008 combine les données des territoires avec celles des provinces de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. De plus, l'EMTCF ne permet pas de recueillir de renseignements tirés des réserves des Premières Nations, quoique certaines activités de gouvernance soient assujetties à la partie III du Code. À ce chapitre, le Comité était restreint dans sa capacité à tenir compte avec exactitude du SPRF, relativement aux collectivités des Premières Nations et aux trois territoires du Canada.

Sauf quelques exceptions, l'EMTCF ne prend en considération que les employés directement au service des entreprises sous réglementation fédéraleNote de bas de page 173. À l'exemple de l'EPA, l'EMTCF permet de recueillir des renseignements restreints sur les travailleurs atypiques qui ne se trouvent pas dans une relation directe employé-employeur. Bien que l'enquête recoupe bel et bien le travail autonome en général, elle ne permet pas d'en saisir les diverses formes, lesquelles constituent un aspect important de l'emploi atypique, de sorte qu'elle ne peut fournir des données précises en lien avec les petits boulots ou le travail sur les plateformes, les entrepreneurs indépendants ou dépendants et les pigistes.

L'EMTCF permet de recueillir des renseignements restreints sur la prédominance des agences de placement temporaire dans le SPRF.

Recommandation 33 : Le Comité recommande que l'EMTCF ait lieu de façon soutenue et régulière (par exemple, tous les deux à quatre ans), afin de permettre la tenue d'analyses longitudinales de qualité supérieure.

Recommandation 34 : Le Comité recommande que la portée de l'EMTCF soit élargie afin d'englober les travailleurs de même que les employés du SPRF.

L'élargissement de la portée de l'EMTCF donnerait un important aperçu de l'optique sous-examinée des conditions de travail dans le SPRF, de même que des données enrichies aux fins d'analyse grâce à la possibilité de relier entre elles les réponses aux questions individuelles. Voilà qui permettrait d'englober la capacité de faire concorder les renseignements démographiques avec les conditions de travail, de façon à bien appuyer l'ACS+ propre au SPRF. Bien que la mise en lien des données des employeurs et des employés soit coûteuse et suscite inévitablement des préoccupations sur lesquelles il faudrait se pencher quant à la taille de l'échantillon et à la confidentialité, Statistique Canada possède une expérience à ce chapitre (comme l'Enquête sur le milieu de travail et les employés) sur laquelle il serait possible de s'appuyer.

Recommandation 35 : Le Comité recommande qu'un supplément spécial à l'EPA soit commandé chaque année pour fournir un éclairage détaillé à propos des enjeux clés relatifs aux réalités actuelles sur le marché du travail du SPRF et du Canada dans son ensemble.

Ce supplément spécial permettrait d'examiner les enjeux tels que les différents types de régimes de travail, la dissociation entre le travail et le milieu de travail physique et, suivant la suggestion formulée dans un chapitre précédent, les mécanismes de voix collective au sein des milieux de travail non syndiqués. Le supplément se révélerait tout particulièrement bénéfique pour les travaux de politique et de recherche axés sur l'avenir s'il permettait de traiter des enjeux comme la déconnexion des communications électroniques après les heures de travail où, comme le Comité l'a constaté, se manifestent des signes d'un enjeu politique naissant. Une base de données raffermie contribuerait à la surveillance de ce fait nouveau.

Données administratives

Le Comité a grandement profité de l'accès aux données administratives découlant des activités du Programme du travail sur la conformité et de la mise en application de la loi. L'accès à ces données et la possibilité de discuter à plusieurs occasions avec les fonctionnaires du Programme du travail nous ont procuré d'importants aperçus de ce qui se passe « sur le terrain » quant aux cinq enjeux.

Recommandation 36 : Le Comité recommande que le Programme du travail envisage comment un accès élargi aux données administratives pourrait être fourni, comme par le Portail de données ouvertes du gouvernement du Canada, afin que les parties qui s'intéressent aux normes du travail fédérales, comme les chercheurs et les parties prenantes, puissent y recourir dans les limites des règles de confidentialité.

Le fait de rendre les données administratives accessibles à un groupe élargi pourrait également avoir comme avantage indirect de contribuer à bonifier la capacité du Programme du travail dans l'exécution de ses responsabilités politiques et opérationnelles, tout particulièrement si cette démarche est combinée à de fructueuses stratégies d'application des connaissances.

Données qualitatives

Si les données quantitatives constituent de solides indicateurs de certains aspects du marché du travail et du milieu du travail, il n'y a pas lieu pour autant de faire abstraction des données qualitatives. Les récits des travailleurs peuvent et devraient être perçus comme de puissants aspects de la recherche et de l'analyse des politiques du travail, tout particulièrement lorsque sont pris en compte des aspects sous-examinés ou naissants des politiques du travail ainsi que des travailleurs difficiles à joindre ou vulnérables, comme le Comité l'a constaté tout au long de ses propres activités de mobilisation. La recherche qualitative doit également comporter l'échange de recherches et de pratiques exemplaires parmi ou entre les ministères et les organisations externes. Voilà un élément tout particulièrement important dans le contexte de la recherche qualitative se penche sur les travailleurs vulnérables, notamment ceux qui ne sont pas syndiqués, dans un contexte où la mise en lien de ces travailleurs avec des chercheurs peut s'avérer complexe et soulever des enjeux de nature éthique.

Recommandation 37 : Le Comité recommande que le Programme du travail joue un rôle de chef de file en mettant au point des méthodes de collecte et d'analyse de données qualitatives sur les enjeux liés aux normes du travail, notamment auprès des travailleurs non syndiqués et vulnérables; en ayant recours à ces méthodes pour appuyer les travaux relatifs aux politiques et aux programmes; en déterminant les pratiques exemplaires et en les communiquant à d'autres parties à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement.

ACS+

Dans le cadre de son mandat, le Comité devait mettre en application une perspective d'ACS+ tout au long de son travail. L'évaluation des différentes façons par lesquelles divers groupes de personnes vivent la mise en application des normes du travail fédérales et sont touchés par les changements constitue une partie cruciale de l'exécution d'un bon travail sur les politiques factuelles et de la promotion de l'égalité des genres. Pour le Comité, il s'agissait d'une tâche éprouvante, compte tenu des moyens limités par lesquels les données existantes relatives aux cinq enjeux peuvent être désagrégées (par exemple, en raison de la taille de l'échantillon, ou de l'outil ayant servi à recueillir les renseignements).

Recommandation 38 : Le Comité recommande que la nécessité de mener une ACS+ soit considérée comme une priorité lors des futures étapes que le gouvernement fédéral suivra pour combler les lacunes des données cernées par le Comité.

Nous formulons également l'observation selon laquelle le besoin de disposer de données en nombre accru et de qualité supérieure relativement aux Premières Nations et, de façon générale, aux Autochtones à l'échelle du Canada, est tout particulièrement pressant. Ce besoin est pressant, non seulement en ce qui touche les conseils relatifs aux politiques actuelles, mais pour les Autochtones, leurs organisations et leurs communautés qui sont visés par la partie III.

Surveillance et examen

Le gouvernement fédéral est passé par d'importantes étapes en 2018 afin de moderniser la partie III du Code, de façon à bien refléter les réalités du milieu du travail au XXIe siècle et à traiter les enjeux auxquels font face les travailleurs et les employeurs. Nous espérons que le présent rapport de même que les recommandations du Comité pourront également contribuer à traiter les cinq enjeux que nous devions approfondir. Toutefois, il importe que de tels examens aient lieu fréquemment et que les résultats servent à éclairer l'élaboration des politiques et des lois à intervalles réguliers.

Comme ces examens ponctuels se déroulent rarement et entre lesquels il s'écoule de longues périodes de temps, on court le risque de voir le Code devenir passablement déphasé par rapport aux réalités du marché du travail. Le Code risque alors de ne plus être en adéquation face aux types d'enjeux auxquels sont confrontés les employeurs et les travailleurs. Alors que se profile la perspective d'un changement technologique mû par l'intelligence artificielle et une automatisation poussée, la probabilité que la cadence du changement au sein de l'économie et du marché du travail du Canada continue de s'accélérer à l'avenir est forte. Voilà qui ne fait que souligner la nature cruciale d'examens fréquents et périodiques du Code afin que ses dispositions soient mises à jour. De plus, les examens fréquents seraient bénéfiques aux parties prenantes, tant les employeurs que les travailleurs, qui auraient alors moins tendance à faire face à des mutations radicales dans les lois et règlements, caractérisées par de longues périodes entre les examens, ou à composer avec de très longues phases au cours desquelles les enjeux clés ne sont pas traités.

Le Comité est d'avis qu'il est crucial de mettre en place un processus d'examen fréquent et indépendant pour faire en sorte que les normes nouvellement instaurées – dont celles qui émanerons du présent rapport – satisfassent aux objectifs des politiques, qu'elles soient convenablement interprétées, et qu'elles soient observées puis mises en application de façon fructueuse.

Recommandation 39 : Le Comité recommande que le gouvernement fédéral examine à intervalles réguliers l'évolution de la modernisation des normes du travail fédérales et la protection de ceux qui occupent des formes précaires d'emploi, tout en maintenant l'égalité des chances pour les employeurs. Un tel examen devrait avoir lieu tous les cinq ans.

Annexe A : Liste des recommandations

Recommandation 1 : Le Comité recommande qu'un salaire minimum fédéral indépendant soit établi et qu'il soit rajusté annuellement.

Recommandation 2 : Le Comité propose deux options pour établir un salaire minimum fédéral :

  1. Un salaire minimum fédéral commun dans toutes les provinces et tous les territoires qui représenterait 60 % du salaire horaire médian de l'ensemble des personnes qui travaillent à temps plein au Canada;
  2. Un salaire minimum variable dans chaque province et chaque territoire et qui représenterait 60 % du salaire horaire médian.

Recommandation 3 : Le Comité recommande que le salaire minimum fédéral soit rajusté annuellement en fonction des données de l'Enquête sur la population active (EPA), quelle que soit la démarche retenue pour établir le salaire minimum fédéral.

Recommandation 4 : Le Comité recommande que si, en raison de la conjoncture économique, un salaire minimum à 60 % du salaire horaire médian est inférieur à la hausse du coût de la vie, le salaire minimum soit rajusté en fonction de l'IPC.

Recommandation 5 : Le Comité recommande la mise sur pied d'une commission de recherche sur les faibles salaires chargée de faire des recherches sur une politique des salaires minimums et ses répercussions sur les employeurs, les employés et l'économie du Canada.

Recommandation 6 : Le Comité recommande que le concept d'« employé » soit défini dans la partie III.

Recommandation 7 : Le Comité recommande qu'un processus soit établi pour examiner les règlements existants en vertu de la partie III qui prévoient des exemptions, des exceptions et des règles spéciales.

Recommandation 8 : Le Comité recommande que l'article 168 de la partie III du Code soit clarifié pour qu'un employeur ne puisse pas invoquer un avantage supérieur à l'égard d'une norme pour compenser un avantage inférieur à l'égard d'une autre norme.

Recommandation 9 : Le Comité recommande qu'une disposition sur la responsabilité solidaire soit ajoutée à la partie III.

Recommandation 10 : Le Comité recommande d'ajouter une obligation positive de se conformer aux normes du travail applicables lorsqu'un contrat est conclu entre une entreprise sous réglementation fédérale et des entités sous réglementation provinciale ou territoriale.

Recommandation 11 : Le Comité recommande que le Programme du travail collabore avec les programmes provinciaux et territoriaux correspondants pour élaborer des lignes directrices claires qui aideront à déterminer correctement la juridiction applicable en matière de normes du travail.

Recommandation 12 : Le Comité recommande d'inclure dans la partie III une définition d'« emploi continu » qui comprend les périodes de mise à pied ou d'interruption de service de moins de 12 mois.

Recommandation 13 : Le Comité recommande qu'un projet pilote soit lancé afin d'explorer les modifications qui pourraient être apportées à la partie III et aux règlements pris en vertu de celle-ci pour régler les problèmes liés à la mauvaise classification, aux pratiques de rémunération et de tenue de dossiers et à d'autres questions pertinentes dans l'industrie du camionnage sous réglementation fédérale.

Recommandation 14 : Le Comité ne recommande pas qu'un droit légiféré à la déconnexion soit accordé à l'heure actuelle.

Recommandation 15 : Le Comité recommande que les employeurs assujettis à la partie III du Code consultent leurs employés ou les représentants de ceux-ci et publient un énoncé de politique sur la question de la déconnexion.

Recommandation 16 : Le Comité recommande que la partie III du Code définisse à quel moment les employés sont réputés être au travail.

Recommandation 17 : Le Comité recommande que la partie III du Code accorde le droit à une rémunération ou à des congés compensatoires aux employés tenus d'être en disponibilité pour répondre aux possibles demandes de leur employeur.

Recommandation 18 : Le Comité recommande que soient menées d'autres recherches pour évaluer les répercussions d'une intensification accrue du travail découlant des communications électroniques et des exigences connexes en matière de productivité dans le SPRF.

Recommandation 19 : Le Comité recommande l'ajout d'une définition claire du terme « employé » dans la partie III du Code (comme il est indiqué dans le chapitre sur le travail atypique).

Recommandation 20 : Le Comité recommande la tenue de consultations et d'activités de sensibilisation pour s'assurer que les employés à temps partiel du SPRF participent à des régimes de retraite parrainés par l'employeur, le cas échéant.

Recommandation 21 : Le Comité recommande que le gouvernement fédéral, sous la direction de l'Agence du revenu du Canada, examine ce qu'il peut faire pour aider les Canadiens qui travaillent dans le SPRF et, de façon plus générale, pour ce qui est du problème des pensions perdus.

Recommandation 22 : Le Comité recommande que le gouvernement fédéral étudie, au moyen de consultations et de recherches auprès des parties prenantes, la possibilité d'élaborer un modèle d'avantages sociaux transférables pour les travailleurs du SPRF.

Recommandation 23 : Le Comité recommande l'étude approfondie des obstacles juridiques dans la partie I du Code à la représentation syndicale dans le SPRF.

Recommandation 24 : Le Comité recommande l'octroi d'un financement aux organismes communautaires qui procurent une voix collective aux travailleurs à l'extérieur du milieu de travail.

Recommandation 25 : Le Comité recommande la mise en place d'une protection des activités concertées dans la partie III du Code.

Recommandation 26 : Le Comité recommande que le Programme du travail amorce la recherche sur les obstacles au rendement efficace des comités de santé et de sécurité dans les entreprises non syndiquées du SPRF et la façon dont ces obstacles pourraient être optimalement surmontés.

Recommandation 27 : Le Comité recommande que le Programme du travail mène un exercice d'analyse comparative en vue d'obtenir une information systématique sur la fréquence des comités mixtes en milieu de travail et des mécanismes connexes de voix, sur les plans individuel et collectif, chez les entreprises non syndiquées du SPRF, de savoir si et comment les représentants des travailleurs sont choisis pour participer, et de connaître le mode d'évaluation de l'efficacité de ces mécanismes.

Recommandation 28 : Le Comité recommande de procéder à une analyse et un examen approfondis des modèles progressifs de représentation collective prévus à la loi.

Recommandation 29 : Le Comité recommande d'étudier la faisabilité de la mise en place d'un cadre juridique indépendant qui permettrait aux pigistes au service de radiodiffuseurs sous réglementation fédérale et aux camionneurs considérés comme entrepreneurs indépendants de s'organiser collectivement.

Recommandation 30 : Le Comité recommande la tenue d'études approfondies sur les avantages et les inconvénients de l'instauration d'un cadre juridique permettant l'extension des conventions collectives à certaines industries du SPRF où les taux de syndicalisation sont très faibles.

Recommandation 31 : Le Comité recommande que le Programme du travail, plus particulièrement la Direction générale de la Conformité, des Opérations et du Développement du programme, adopte les mesures suivantes pour renforcer la conformité, l'application de la loi et les opérations :

  1. accroître la capacité de recouvrer les ordres de paiement, notamment au moyen d'un partenariat avec l'Agence du revenu du Canada (ARC) pour cibler la poursuite des personnes morales plutôt que des comptes ou succursales bancaires, en particulier;
  2. reconnaître le concept d'« employeurs liés » aux fins du recouvrement des ordres de paiement;
  3. fournir des lignes directrices et des tests exhaustifs d'interprétation aux employeurs et aux employés, tout particulièrement en ce qui concerne l'employeur, l'employé, la relation de travail et la détermination de la compétence législative;
  4. concevoir des outils en ligne permettant aux employeurs et aux employés de déterminer la compétence législative et la nature du travailleur (employé ou entrepreneur indépendant) aux fins des normes du travail, inspirés du calculateur du salaire pour jour férié;
  5. voir à ce que la prestation des services aux clients soit simplifiée, conviviale et accessible pour les employés chez qui le processus de plainte risque de prêter à confusion ou de sembler bureaucratique à outrance; par exemple, se pencher sur les façons par lesquelles les inspecteurs peuvent joindre les travailleurs et les employeurs par courriel plutôt que strictement par la poste (comme c'est actuellement le cas), de façon à accélérer les périodes de traitement des cas et à augmenter le temps consacré aux enquêtes sur les plaintes;
  6. faciliter la navigation et la compréhension du contenu en ligne relatif au Programme du travail;
  7. insister de nouveau sur le besoin en campagnes proactives de formation et d'information à propos des normes du travail dans les milieux de travail, partout au Canada, axées sur les secteurs à risque élevé et les travailleurs vulnérables;
  8. mettre en priorité l'accroissement des échanges de renseignements entre les organismes fédéraux (comme l'ARC ou d'autres parties d'EDSC) ainsi que les gouvernements provinciaux, de façon à déceler les employeurs et milieux de travail à risque élevé en vue d'un déploiement judicieux des ressources d'application de la loi;
  9. appuyer financièrement les organismes de défense tiers, comme les cliniques juridiques communautaires et les organisations de défense des travailleurs sans but lucratif.

Recommandation 32 : Le Comité recommande que le Programme du travail collabore avec Statistique Canada à l'ajout d'un « facteur d'identification du SPRF » à l'EPA mensuelle. Cette mesure ne nécessiterait pas l'ajout d'une question au questionnaire de l'EPA, lequel est déjà exhaustif. Ce facteur d'identification pourrait plutôt consister en une variable dérivée.

Recommandation 33 : Le Comité recommande que l'EMTCF ait lieu de façon soutenue et régulière (par exemple, tous les deux à quatre ans), afin de permettre la tenue d'analyses longitudinales de qualité supérieure.

Recommandation 34 : Le Comité recommande que la portée de l'EMTCF soit élargie afin d'englober les travailleurs de même que les employés du SPRF.

Recommandation 35 : Le Comité recommande qu'un supplément spécial à l'EPA soit commandé chaque année pour fournir un éclairage détaillé à propos des enjeux clés relatifs aux réalités actuelles sur le marché du travail du SPRF et du Canada dans son ensemble.

Recommandation 36 : Le Comité recommande que le Programme du travail envisage comment un accès élargi aux données administratives pourrait être fourni, comme par le Portail de données ouvertes du gouvernement du Canada, afin que les parties qui s'intéressent aux normes de travail fédérales, comme les chercheurs et les parties prenantes, puissent y recourir dans les limites des règles de confidentialité.

Recommandation 37 : Le Comité recommande que le Programme du travail joue un rôle de chef de file en mettant au point des méthodes de collecte et d'analyse de données qualitatives sur les enjeux liés aux normes du travail, notamment auprès des travailleurs non syndiqués et vulnérables; en ayant recours à ces méthodes pour appuyer les travaux relatifs aux politiques et aux programmes; en déterminant les pratiques exemplaires et en les communiquant à d'autres parties à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement.

Recommandation 38 : Le Comité recommande que la nécessité de mener une ACS+ soit considérée comme une priorité lors des futures étapes que le gouvernement fédéral suivra pour combler les lacunes des données cernées par le Comité.

Recommandation 39 : Le Comité recommande que le gouvernement fédéral examine à intervalles réguliers l'évolution dans la modernisation des normes du travail fédérales et la protection de ceux qui occupent des formes précaires d'emploi, tout en maintenant l'égalité des chances pour les employeurs. Un tel examen devrait avoir lieu tous les cinq ans.

Annexe B : Mandat du Comité

Contexte

Les normes du travail fédérales ont été établies dans les années 1960, à une époque où les travailleurs pouvaient s'attendre généralement à occuper un emploi stable, à temps plein et à obtenir des avantages sociaux et un salaire décent. Plus de 50 ans plus tard, la concurrence mondiale sans cesse croissante, l'évolution rapide de la technologie et les transformations sociodémographiques ont grandement bouleversé le fonctionnement des entreprises et la façon dont les Canadiens travaillent. Les normes du travail fédérales n'ont pas suivi le rythme.

Aujourd'hui, de nombreux Canadiens peinent à subvenir aux besoins de leur famille parce qu'ils occupent des emplois à temps partiel, temporaires et mal rémunérés; ils doivent souvent occuper plusieurs emplois pour joindre les deux bouts et continuellement jongler avec leurs responsabilités professionnelles et personnelles. De plus, ils peuvent ne pas avoir accès à la protection des normes du travail et à des avantages sociaux, ont des revenus irréguliers, et craignent de perdre leur emploi et de ne pas pouvoir en trouver un autre. Bien que les employés du secteur privé sous réglementation fédérale aient plus de chance d'être couverts par une convention collective et d'avoir un emploi permanent à temps plein que ceux qui travaillent dans des secteurs qui sont réglementés par les provinces et les territoires, environ les deux tiers (soit 610 500) des employés sont non syndiqués et comptent sur les normes du travail fédérales pour obtenir des protections de base et environ 160 000 employés occupent un emploi temporaire ou une autre forme d'emploi dont les conditions sont atypiques.

Le gouvernement du Canada s'est engagé à moderniser les normes du travail fédérales pour qu'elles tiennent compte des réalités des milieux de travail du XXIe siècle et protègent tous les Canadiens vulnérables du pays qui travaillent dans le secteur privé sous réglementation fédérale. En premier lieu, la partie III du Code canadien du travail a été modifiée en 2017 afin de prévoir un droit de demander des conditions de travail souples, de créer de nouveaux congés non payés, d'imposer des limites pour les stages non rémunérés et de renforcer la conformité et l'application du Code. Ces modifications entreront en vigueur dès que les règlements nécessaires auront été pris.

Ensuite, la ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail (ci-après la ministre) a tenu des consultations de mai 2017 à mars 2018 sur ce que devraient inclure un ensemble de normes du travail fédérales rigoureuses et modernes. Comme le souligne le rapport Ce que nous avons entendu d'août 2018, les consultations ont identifié un certain nombre de domaines, tels que les horaires, les périodes d'admissibilité, le congé personnel, l'égalité de traitement, la classification erronée et le licenciement, pour lequel il existe un consensus et suffisamment d'éléments probants pour que le gouvernement procède avec des modifications législatives. Ces modifications ont été introduites dans la Loi no 2 d'exécution du budget de 2018 qui a été déposée à la Chambre des communes le 29 octobre 2018 et qui a reçu la sanction royale le 13 décembre 2018.

Parallèlement, les consultations ont révélé qu'il était justifié de faire une étude plus approfondie de cinq enjeux importants ayant trait à la nature changeante du travail et à l'avenir des travailleurs du secteur privé sous réglementation fédérale :

  • les communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail;
  • les protections offertes par les normes du travail aux travailleurs qui occupent des emplois atypiques;
  • l'accès aux avantages sociaux et la transférabilité de ceux-ci pour les employés qui changent souvent d'emploi ou qui passent une partie de leur vie professionnelle dans des emplois atypiques;
  • la possibilité pour les travailleurs non syndiqués de se regrouper pour faire entendre leur voix et participer aux décisions qui les concernent (« voix collective »);
  • le salaire minimum fédéral.

Ces enjeux méritent d'être étudiés plus à fond puisqu'il existe moins de données probantes à leur sujet et qu'il y a des points de vue divergents sur les réponses stratégiques possibles. Ceux-ci soulèvent également des questions fondamentales en ce qui a trait aux principes qui sous-tendent les normes du travail fédérales.

Mandat

La ministre a mis sur pied un comité d'experts indépendant dont le mandat est le suivant :

  • examiner les cinq enjeux soulevés lors des consultations de 2017 à 2018 comme méritant d'être étudiés plus à fond;
  • tenir des consultations notamment auprès des intervenants, des experts et du public sur ces enjeux;
  • présenter à la ministre un rapport renfermant des conseils et des recommandations éclairés par des données probantes concernant ces enjeux et toute question connexe d'ici le 30 juin 2019.

Le Comité d'experts exercera ses activités sans lien de dépendance avec le gouvernement et fournira des conseils indépendants. Il agira de façon transparente et d'une manière qui reflète la politique du gouvernement ouvert du gouvernement du Canada.

Composition

Le Comité d'experts est composé de sept membres, y compris un président, nommés par la ministre. Les membres assumeront les responsabilités suivantes :

  • apporter leur expertise et leurs connaissances personnelles aux travaux du Comité d'experts et participer à celui-ci à titre personnel et non en tant que représentant d'une organisation à laquelle ils sont associés;
  • travailler en collaboration et, dans la mesure du possible, tenter d'en arriver à un consensus.

Le président est responsable de la gestion globale du Comité d'experts et :

  • préside les réunions du Comité et aide les membres à en arriver à un consensus dans leur processus décisionnel;
  • dirige le développement et la rédaction du rapport du Comité;
  • agit à titre de porte-parole du Comité;
  • agit à titre d'agent de liaison principal du Comité auprès du Secrétariat qui l'appuie et fournit au Secrétariat des mises à jour régulières des travaux du Comité.

Si un membre du Comité d'experts démissionne ou est incapable de continuer d'y siéger, les autres membres composeront le Comité d'experts, à moins que la ministre décide de remplacer le membre.

Enjeux

Le Comité d'experts examinera les cinq enjeux suivants :

Salaire minimum fédéral

Depuis plus de 20 ans, le salaire minimum fédéral établi dans le Code canadien du travail est fixé au taux de salaire minimum de la province ou du territoire où l'employé exerce habituellement ses fonctions. Devrait-on maintenir cette approche ou ré-établir un salaire minimum fédéral indépendant? Advenant l'adoption d'un taux indépendant, comment devrait-il être établi, à quel niveau et qui devrait y avoir droit?

Mesures de protection prévues dans les normes du travail pour les travailleurs qui occupent des emplois atypiques

En général, les normes du travail s'appliquent aux travailleurs se trouvant dans une relation de travail traditionnelle. De nos jours, cependant, de nombreux travailleurs occupent un emploi atypique et peuvent ne pas avoir accès à ces mesures de protection. Dans ce contexte, quels travailleurs devraient être protégés par les normes du travail fédérales? Quelles protections devraient s'appliquer aux travailleurs occupant un emploi atypique dans le secteur privé sous réglementation fédérale?

Déconnexion des communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail

Dans le monde du travail d'aujourd'hui, les technologies mobiles ainsi que d'autres facteurs, comme les régimes de travail non conventionnels, l'économie qui tourne continuellement, le travail à la demande et les différentes cultures organisationnelles ont pour effet de brouiller les frontières entre le moment où les gens sont « au travail » et où ils ne sont plus « au travail ». Dans ce contexte, devrait-on limiter les communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail dans le secteur privé sous réglementation fédérale? Si tel est le cas, comment devrait-on procéder et pourquoi?

Avantages sociaux : accès et transférabilité

Les avantages sociaux que procurent les normes minimales, comme les congés annuels et les congés, ainsi que les avantages offerts par les employeurs, comme les régimes de soins médicaux et d'épargne-retraite, sont essentiels à la sécurité financière et personnelle des travailleurs canadiens. Traditionnellement, seuls les employés à temps plein ayant occupé un emploi pendant une longue période avec le même employeur pouvaient bénéficier des avantages sociaux fournis par l'employeur. Les employés qui changent souvent d'emploi ou qui passent une partie de leur vie professionnelle dans des emplois atypiques peuvent ne pas avoir accès à ces avantages. Le gouvernement fédéral devrait-il prendre des mesures afin d'étendre l'accès aux avantages sociaux fournis par l'employeur dans le secteur privé sous réglementation fédérale ou en améliorer la transférabilité? Si tel est le cas, quelles autres mesures devrait-on envisager?

Voix collective des travailleurs non syndiqués

Des décisions judiciaires, le déclin constant de la syndicalisation, les nouveaux types de régimes de travail et les efforts déployés par les employeurs pour accroître la productivité mettent en lumière la capacité des travailleurs de se regrouper pour exprimer leur point de vue et participer aux décisions qui touchent leurs conditions de travail. Dans quelle mesure existe-t-il des lacunes quant aux possibilités qui sont offertes aux employés non syndiqués du secteur privé sous réglementation fédérale de parler d'une seule voix sur les questions de normes du travail? Comment pourraient-elles être comblées?

Dans le cadre de l'examen de ces enjeux, le Comité d'experts :

  • examinera les résultats de travaux de recherche et d'analyses provenant de sources multiples, notamment les projets de recherches et les analyses qu'il mène lui-même ou qui sont menés pour son compte;
  • recensera et examinera les approches pertinentes qui existent au Canada et dans d'autres administrations, notamment les pratiques novatrices et prometteuses;
  • appliquera l'analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) tout au long de ses travaux.

Consultations

Le Comité d'experts consultera et mobilisera des travailleurs (employés et non-employés), des employeurs, des experts, des membres de groupes de la société civile et des Canadiens, en particulier ceux qui ont une expérience dans le secteur privé sous réglementation fédérale, afin d'approfondir sa compréhension des cinq enjeux et de recueillir des commentaires sur d'éventuelles recommandations, ainsi que d'élargir le dialogue et de renforcer la base de données probantes en vue de l'élaboration de politiques.

Il veillera également à offrir à différents groupes la possibilité de participer à des consultations constructives, notamment ceux qui représentent les personnes handicapées, les peuples autochtones et les travailleurs à faible salaire.

Rapport

Le Comité d'experts présentera un rapport à la ministre d'ici le 30 juin 2019 afin d'éclairer la réflexion du gouvernement sur les prochaines étapes de la modernisation des normes du travail fédérales en ce qui concerne les cinq enjeux examinés.

Le rapport devrait donner un aperçu des travaux menés par le Comité d'experts (y compris la façon dont il a appliqué l'ACS+), faire état de ses principales constatations et formuler ses conseils et recommandations à la ministre.

Les conseils et les recommandations du Comité d'experts devraient porter sur la mesure dans laquelle chacun des cinq enjeux préoccupe le secteur privé sous réglementation fédérale, les mesures législatives et/ou non législatives devant être prises et les principaux facteurs à prendre en compte du point de vue de la mise en œuvre, et fournir des justifications. Le Comité d'experts peut aussi offrir des conseils et des recommandations à l'égard de domaines pouvant faire l'objet de recherches, d'analyses et de développement de politiques supplémentaires, des lacunes dans les données et des approches visant à les combler, de la mesure des résultats et de toute autre question relative aux cinq enjeux.

Si les membres du Comité d'experts ne peuvent pas en arriver à un consensus sur ses conseils et ses recommandations, il doit le souligner dans son rapport et en expliquer les raisons.

Secrétariat

Le Comité d'experts sera appuyé par un secrétariat faisant partie du Programme du travail d'Emploi et Développement social Canada. Le Secrétariat fournira au Comité d'experts de l'aide en ce qui a trait aux activités opérationnelles, aux travaux de recherche et aux consultations.

Annexe C : Biographies des membres du Comité

Sunil Johal (président)

Sunil Johal est directeur des politiques au Mowat Centre, un groupe de réflexion sur les politiques publiques à la University of Toronto. Il dirige les activités de recherche du centre, gère l'équipe des politiques et donne divers cours de formation pour les cadres. Il est souvent invité à conseiller des gouvernements et des organismes internationaux au sujet des technologies perturbatrices et des enjeux liés à la réglementation et aux politiques.

M. Johal a fourni des commentaires et des conseils spécialisés sur des enjeux de politique à divers organismes et médias, dont le G20, le Forum économique mondial, la Brookings Institution, le Globe and Mail, le Toronto Star, la SRC, le Washington Post, le Guardian, la National Governors Association, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), des élus et de hauts fonctionnaires des trois ordres de gouvernement du Canada et de nombreuses entreprises privées nationales et internationales.

M. Johal est membre du Comité consultatif sur les services de Service Canada, du Comité consultatif scientifique sur l'avenir du travail de la Global South Initiative et du Comité consultatif sur les plans pour le climat de la Metcalf Foundation. Il a également joué un rôle consultatif sur des projets pour des organismes comme le Forum des politiques publiques du Canada et le Brookfield Institute. Il est membre du conseil d'administration du Toronto Region Immigrant Employment Council depuis 2015.

Avant de se joindre à la University of Toronto en 2012, M. Johal a été directeur au ministère du Développement économique et de l'Innovation de l'Ontario, où il a dirigé les efforts du gouvernement pour moderniser les services aux entreprises et le cadre réglementaire. Il a également occupé des postes de cadre supérieur et de directeur des politiques au Bureau du Conseil des ministres de l'Ontario, au ministère des Finances et au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

M. Johal est chargé de cours au Département de politique et d'administration publique de la Ryerson University depuis 2009 et membre du corps professoral de la Maytree Policy School. Il est titulaire de diplômes de la London School of Economics, du Osgoode Hall Law School et de la University of Western Ontario.

Richard Dixon

Richard Dixon est un cadre supérieur retraité des ressources humaines et des relations de travail qui compte plus de 35 ans d'expérience. Il a occupé des postes de vice-président à Nav Canada, à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et à Unisource Canada, ainsi que des postes de direction à la société Abitibi-Price.

Il est titulaire d'un baccalauréat spécialisé du King's University College de la University of Western et une maîtrise en relations industrielles de la University of Toronto. Il a également obtenu le titre IAS.A de l'Institut des administrateurs de sociétés. Il a œuvré dans une multitude de groupes, notamment à titre de président de l'Association des employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF), ancien président du conseil d'administration du Ashbury College, et administrateur de la Teachers Pension Plan Corporation de Terre-Neuve-et-Labrador. Il a également été professeur auxiliaire au programme de maîtrise en relations industrielles de la Queen’s University.

L'expérience de M. Dixon porte sur les enjeux généraux liés aux ressources humaines, l'innovation dans les programmes d'avantages sociaux, la conception créative de régimes de retraite, les initiatives efficaces de formation et de perfectionnement et l'établissement de relations patronales-syndicales progressistes et respectueuses.

Au fil des ans, l'intérêt de M. Dixon pour la santé mentale en milieu de travail a mené à la création de programmes primés. Il a acquis ses connaissances dans ce domaine lorsqu'il siégeait au Comité consultatif sur la main-d'œuvre de la Commission de la santé mentale du Canada et au conseil d'administration de l'organisme Accréditation et certification du soutien par les pairs (Canada).

Mary Gellatly

Mary Gellatly est conseillère juridique communautaire à la Division des droits des travailleurs de l'organisme Parkdale Community Legal Services (PCLS) à Toronto. Elle est professeure en pratique professionnelle du droit de l'emploi pour le programme intensif de formation en droit du PCLS, donné en partenariat avec la Osgoode Hall Law School. Mme Gellatly possède plus de 25 ans d'expérience dans le domaine des droits des travailleurs et des travailleurs migrants. Elle a cofondé le Workers' Action Centre.

En collaboration avec ce Centre, elle mène des recherches sur l'action communautaire et élabore des politiques sur le travail. Elle a également publié plusieurs articles et rapports stratégiques, dont « Still Working on the Edge: Building Decent Jobs from the Ground Up » (Workers' Action Centre, 2015), « Unpaid Wages, Unprotected Workers: A Survey of Employment Standards Violations » (Workers' Action Centre, 2011) et « Working on the Edge » (Workers' Action Centre, 2007). Elle a également corédigé des rapports de recherche sur les normes du travail, dont « New Approaches to Enforcement and Compliance with Labour Regulatory Standards », pour la Commission du droit de l'Ontario, en 2011.

Mme Gellatly est coresponsable de Closing the Employment Standards Enforcement Gap: Improving Protections for People in Precarious Jobs, une initiative de recherche concertée de 16 organismes partenaires intersectoriels, dont des chercheurs de 7 universités ontariennes. Financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, ce projet quinquennal vise à orienter des politiques efficaces sur les normes d'emploi en Ontario.

Dalia Gesualdi-Fecteau

Dalia Gesualdi-Fecteau est membre du Barreau du Québec, professeure à la Faculté de science politique et de droit de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et chercheuse au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT). Lauréate du prix de la meilleure thèse doctorale décerné par la section québécoise de l'Association Henri Capitant et du prix de la meilleure thèse en sciences sociales de l'Université de Montréal, Mme Gesualdi-Fecteau étudie les enjeux des politiques du travail et de l'accès à la justice sous l'angle sociojuridique. Elle a amorcé sa carrière en tant qu'avocate à la Direction générale des affaires juridiques de la Commission des normes du travail (aujourd'hui la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail). De 2005 à 2012, elle a représenté des employés non syndiqués et plaidé des causes historiques devant la Cour d'appel du Québec et la Cour suprême du Canada.

Les recherches actuelles de Mme Gesualdi-Fecteau portent sur l'architecture des lois et des institutions du travail ainsi que l'application des normes ayant trait à l'emploi atypique. Elle dirige également un chantier portant sur les coûts humains et financiers de la justice dans le cadre du consortium de recherche Accès au droit et à la justice (ADAJ). Ses récentes publications portent sur l'inspection du travail, le lien entre les politiques d'immigration et les conditions de travail, de même que l'encadrement du temps de travail.

Kathryn A. Raymond, c.r.

Kathryn Raymond c.r. est partenaire principale du cabinet d'avocats BOYNECLARKE LLP à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Mme Raymond possède plus de 30 ans d'expérience en pratique du droit administratif et du droit du travail, où elle représente les intérêts des employeurs et des employés. Elle a obtenu le titre de conseillère de la reine dans la pratique du droit.

Mme Raymond a également à son actif une pratique considérable en tant qu'arbitre des différends en milieu de travail, arbitre ou médiatrice en relations de travail, enquêteuse en milieu de travail et dans le cadre des fonctions arbitrales auxquelles elle a été nommée, dans le respect de la neutralité. Elle a notamment été nommée au répertoire des arbitres du ministre du Travail de la Nouvelle-Écosse en ce qui touche les dossiers relatifs aux relations de travail et à la Commission d'enquête sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse pour instruire les plaintes liées aux droits de la personne. À titre de vice-présidente de la Commission du travail de la Nouvelle-Écosse, elle a acquis une vaste expérience pratique de l'application et de l'interprétation des lois sur les normes du travail.

Mme Raymond est éveillée aux différents points de vue que les intervenants doivent prendre en compte lors de l'élaboration de lois et de politiques, ayant participé à l'élaboration de lois et de règlements en Nouvelle-Écosse et à la formulation de politiques avec les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et de l'Ontario. Fait à souligner, au cours des années 1990, Mme Raymond a œuvré pendant un certain temps dans le secteur public à titre d'avocate au ministère de la Santé de l'Ontario et pendant plus de 25 ans dans le secteur public des soins de santé en Nouvelle-Écosse. Championne de la résolution fructueuse des différends en milieu de travail, Mme Raymond a été invitée à prendre la parole à plus de 90 conférences. Elle est actuellement présidente de la Section du droit administratif de la Nouvelle-Écosse de l'Association du Barreau canadien et membre du Comité consultatif régional de la Advocates' Society. Elle a été présidente du groupe de travail sur le code de conduite de la Nova Scotia Barristers' Society et conseillère en sa qualité de présidente du comité consultatif sur la déontologie et la responsabilité professionnelle de la Société.

W. Craig Riddell

W. Craig Riddell est professeur émérite à la Vancouver School of Economics de la University of British Columbia (UBC). Il a obtenu son diplôme du Collège militaire royal du Canada en 1968, sa maîtrise de la Queen’s University en 1972 et son doctorat de la même université en 1977. Il a été professeur adjoint d'économie à la University of Alberta de 1975 à 1979. Avant sa retraite, il a été professeur d'économie (chaire Banque Royale) à la UBC de 1979 à 2016. Il a également occupé des postes de professeur invité à la University of California à Berkeley, à la University of California à Santa Barbara, à la Australian National University, à la University of Sydney et à la University of New South Wales.

M. Riddell siège actuellement au Comité consultatif sur la statistique du travail et revenu de Statistique Canada et au conseil d'administration du Centre d'étude des niveaux de vie. Il est également chercheur affilié à l'Institut de recherche en politiques publiques de Montréal, au Centre for Research and Analysis of Migration de Londres et au Institute of Labour Economics à (IZA) de Bonn, en Allemagne.

De plus, M. Riddell a publié de nombreux articles sur l'économie du travail, les relations de travail et les politiques publiques, y compris l'inégalité des revenus, l'éducation, l'acquisition de compétences, le chômage, les programmes sociaux, l'immigration et la syndicalisation. Il a corédigé la huitième édition de l'ouvrage Labour Market Economics: Theory, Evidence and Policy in Canada,le principal manuel de cours sur l'économie du travail au Canada.

M. Riddell a occupé les fonctions suivantes : directeur de la Faculté d'économie de la UBC, président de l'Association canadienne d'économique et directeur du Réseau canadien de chercheurs sur le marché du travail et les compétences. Titulaire de nombreux prix, il a reçu récemment le prix du doyen des arts de la University of British Columbia 2016, le prix commémoratif Doug Purvis 2016 pour le livre Income Inequality: The Canadian Story (publication dirigée avec David Green et France St-Hilaire) et le prix Mike McCracken 2012 pour sa contribution aux données sur le marché du travail.

Au gouvernement, M. Riddell a œuvré comme conseiller pour le Comité d'experts sur les travailleurs âgés du gouvernement du Canada de 2007 à 2008 et le Comité de travail de la Colombie-Britannique sur l'emploi et la formation de 1989 à 1991, ainsi que coordonnateur de la recherche sur les marchés du travail et les relations de travail pour la Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, de 1983 à 1985.

Rosa B. Walker

Rosa B. Walker est membre de la Première Nation Peguis du Manitoba. Elle est la fondatrice, présidente et chef de la direction du Indigenous Leadership Development Institute Inc. au Manitoba et a été directrice générale de Taking Charge! Inc., une initiative fédérale et provinciale qui aide les chefs de famille monoparentale bénéficiaires de l'aide sociale à intégrer le marché du travail. Elle a également travaillé à la Assembly of Manitoba Chiefs à titre de directrice générale de la diversité en milieu de travail. Mme Walker a travaillé à la Banque de Montréal à titre de gestionnaire, Égalité au travail, au Manitoba et en Saskatchewan.

Mme Walker et titulaire d'un baccalauréat ès arts de la University of Winnipeg et d'un diplôme en travail social du Confederation College de Thunder Bay (Ontario).

Elle a été membre du Conseil national de développement économique des Autochtones, de l'organisme Aboriginal Training and Employment Services, de la National Aboriginal Youth Association, Inc. et d'Agrément Canada. Elle siège actuellement au conseil d'administration du First Peoples Economic Growth Fund Inc. et de l'organisme Empowering Indigenous Youth in Governance and Leadership.

Mme Walker est membre du Comité des anciens de la Faculté des études commerciales et économiques, et du Conseil consultatif du Global Collège de la University of Winnipeg. Elle a reçu un prix Femmes de mérite du YM-YWCA en 1999 et a été nommée parmi les 100 femmes les plus influentes du Canada en 2014.

Annexe D : Organismes et experts consultés

Le Comité d'experts a dialogué avec des employeurs et des associations d'employeurs, des syndicats, des associations de travailleurs, des groupes de la société civile, des associations autochtones, des sociétés d'État fédérales, des experts et des travailleurs individuels. Outre les 88 organisations recensées ci-après, une trentaine de travailleurs individuels (dont de jeunes travailleurs) et un groupe de petites entreprises ont pris part à des tables rondes avec le Comité à Montréal, à Toronto, à Halifax, à Vancouver, à Ottawa et à Winnipeg ou par téléconférence. Le Comité a également reçu 14 exposés par écrit. Il a tenu des réunions en personne et par téléconférence avec quelque 24 experts partout au pays.

Tables rondes et téléconférences

Employeurs et associations d'employeurs

  • Administration de l'aéroport international d'Halifax
  • Administration de pilotage des Laurentides
  • Administration portuaire de Montréal
  • Administration portuaire Vancouver-Fraser
  • Air Canada
  • Air Transat
  • Alliance canadienne du camionnage
  • Armour Transportation Systems
  • Association canadienne des avocats d'employeurs
  • Association des banquiers canadiens
  • Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF)
  • Association des employeurs maritimes
  • Atlantic Provinces Trucking Association
  • Banque canadienne impériale de commerce
  • Banque Capital One
  • Banque de Montréal
  • Banque Scotia
  • Fifth Third Bank
  • Banque Nationale
  • Banque Royale du Canada
  • Banque Toronto-Dominion
  • BC Maritimes Employers Association
  • BC Trucking Association
  • Bell Canada
  • Brink's Canada
  • Canadian Western Bank
  • Canadien National
  • Chambre de commerce d'Halifax
  • Chambre de commerce du Canada
  • Chemin de fer Canadien Pacifique
  • Conseil du patronat du Québec
  • Eassons Transport
  • Fédération canadienne de l'entreprise indépendante
  • FedEx Canada
  • Halifax Employers Association
  • IMP Group Limited – Division de l'aéronautique
  • Jazz Aviation S.E.C.
  • JD Irving
  • Laboratoires Nucléaires Canadiens
  • Logistec Corporation
  • NAV CANADA
  • Port d'Halifax
  • Postes Canada
  • Purolator
  • Seaboard Transport Group
  • Secunda Canada LP
  • Shaw Communications
  • Société canadienne d'hypothèques et de logement
  • Société Radio-Canada/CBC
  • Swissport Canada Inc.
  • TELUS
  • UPS Canada
  • VIA Rail
  • Western Grain Elevators Association
  • WestJet

Syndicats

  • Alliance de la Fonction publique du Canada
  • Association internationale des travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale
  • Confédération des syndicats nationaux
  • Congrès du travail du Canada
  • Guilde canadienne des médias
  • Guilde canadienne des médias – Sous-section des pigistes
  • ILWU (syndicat international du débardage et de l'entreposage)
  • Syndicat canadien de la fonction publique
  • Syndicat des Métallos
  • Teamsters Canada
  • Unifor
  • Unifor-Québec
  • Unite Here!

Associations de travailleurs et groupes de la société civile

  • Atkinson Foundation
  • Au bas de l'échelle
  • BC Employment Standards Coalition
  • Centraide du Grand Toronto
  • Centre des travailleurs et travailleuses immigrants/Immigrant Workers Centre
  • CivicAction
  • Conseil atlantique pour la coopération internationale
  • Fierté au travail
  • Force Jeunesse
  • Women's Economic Security
  • Worker's Action Centre - Halifax
  • Worker's Action Centre - Toronto
  • YWCA Halifax

Associations autochtones

  • Centre d'amitié autochtone des Micmacs
  • Fédération métisse du Manitoba
  • First Nations Health and Social Secretariat of Manitoba
  • First Peoples Development Inc.
  • First Peoples Economic Growth Fund Inc.
  • Nation crie de Norway House
  • Première Nation Peguis, formation et emploi

Exposés par écrit

Employeurs et associations d'employeurs

  • Association des banquiers canadiens
  • Chambre de commerce du Canada
  • Conseillers en ressources humaines agréés Canada
  • Fédération canadienne de l'entreprise indépendante
  • Northumberland Ferries & Bay Ferries
  • Ontario Agri Business Association

Syndicats

  • Alliance de la Fonction publique du Canada
  • Congrès du travail du Canada
  • Guilde canadienne des médias
  • Guilde canadienne des réalisateurs
  • ILWU (syndicat international du débardage et de l'entreposage)
  • Syndicat des Métallos
  • Unifor
  • Unifor-Québec

Experts

  • Alex Mazer, Common Wealth
  • Bruce Archibald, Dalhousie University
  • David Walters, Cardiff University
  • Elizabeth Mulholland, Prospérité Canada
  • Eric Tucker, Osgoode Hall Law School
  • Frank J. Reid, University of Toronto
  • Gilles Trudeau, Université de Montréal
  • Guylaine Vallée, Université de Montréal
  • Harry Arthurs, Osgoode Hall Law School
  • Iglika Ivanova, Centre canadien de politiques alternatives
  • Jean Bernier, Université Laval
  • Judy Fudge, McMaster University
  • Keith Ambachtsheer, University of Toronto
  • Leah Vosko, York University
  • Mark Thompson, University of British Columbia
  • Michel Lizée, Options politiques
  • Rafael Gomez, University of Toronto
  • Richard P. Chaykowski, Queen's University
  • Sara Slinn, Osgoode Hall Law School
  • Stéphanie Bernstein, Université du Québec à Montréal
  • Stephanie Ross, McMaster University
  • Timothy Bartkiw, Ryerson University
  • Thomas Lemieux, University of British Columbia
  • Urwana Coiquaud, HEC Montréal

Annexe E : Membres du Secrétariat du Comité d'experts sur les normes du travail fédérales modernes

Margaret M. Hill, directrice exécutive

Jacinthe Bergeron, spécialiste principale de la gestion de projet

Meagan Curran, analyste des politiques

Nadia Demers, agente administrative

Pablo Gutiérrez, adjoint de recherche

Allison Hunwicks, adjointe de recherche

Marie Kwan, analyste subalterne des politiques

Zoe McKnight, agente des politiques

Geneviève Richard, adjointe de recherche

Références

Chapitre 1

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Chapitre 2

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