Examen des risques avant renvoi (ERAR) : Interprétation de l’article L96
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- Article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR)
- Crainte fondée
- Persécution
- Race
- Religion
- Nationalité
- Appartenance à un groupe social
- Opinions politiques
Article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR)
La LIPR définit l’article 96 comme suit :
Réfugié au sens de la Convention
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
- a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
- b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
Crainte fondée
On trouve au cœur même de la définition de « réfugié au sens de la Convention » l’exigence que le demandeur démontre une crainte de persécution fondée dans son pays d’origine. L’interprétation du terme « crainte fondée » a révélé 2 composantes :
- la crainte de persécution, ressentie de façon subjective, et
- le fondement de la crainte, vérifié de manière objective.
Crainte objective et subjective
La composante subjective se rattache à la perception de persécution par le demandeur dans le pays de référence. Même si la crainte est un phénomène intériorisé, les actions du demandeur devraient être conformes et refléter cette peur subjective. Voici certains facteurs pertinents liés à la question de la peur subjective :
- temps écoulé avant de quitter le pays où il allègue être exposé à des risques;
- défaut d’avoir demandé une protection à la première occasion raisonnable;
- défaut d’avoir demandé une protection dans d’autres pays;
- temps écoulé avant de demander l’asile après son arrivée au Canada;
- que le demandeur se réclame à nouveau de la protection de l’État;
- la réinstallation dans le pays où il allègue être exposé à des risques.
Si le demandeur ne manifeste pas par des actes sa crainte subjective (ou si, après une audience, le demandeur n’est pas jugé crédible sur cette question), il pourrait être statué que la demande ne comporte aucun fondement subjectif. La demande pourrait être rejetée même s’il est démontré qu’il existe de multiples atteintes aux droits humains dans le pays concerné.
L’accent devrait être porté sur le fondement objectif de la crainte de persécution. Une fois ce fondement établi, il est concevable que le demandeur éprouve aussi une crainte subjective. Les éléments de preuve requis pour correspondre au fondement objectif de la crainte de persécution peuvent comprendre le témoignage du demandeur ainsi que la preuve documentaire liée aux conditions dans le pays.
Norme de preuve
Les demandeurs doivent établir les éléments factuels de leur demande selon la prépondérance des probabilités.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur la norme de preuve, consulter les procédures et lignes directrices de traitement.
Critère juridique pour établir un risque de persécution
Malgré le fait que les demandeurs doivent établir les éléments factuels de leurs allégations de risque selon la prépondérance des probabilités, ils n’ont pas à prouver que la persécution est plus probable que le contraire.
La détermination du bien-fondé d’une crainte de persécution est objective et elle est axée sur des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays du risque présumé, particulièrement en ce qui a trait au dossier des droits humains. La nature du test applicable à une crainte fondée de persécution est décrite en utilisant les termes « possibilité raisonnable » ou « possibilité sérieuse » : existe-t-il une possibilité raisonnable, qui soit plus qu’une simple possibilité, de persécution si le demandeur retourne dans ce pays?
Persécution passée et future
Le demandeur n’est pas tenu de démontrer qu’il a été persécuté dans le passé pour établir une crainte fondée de persécution. Cependant, les faits passés relatés par le demandeur, ainsi que toute autre preuve soumise, incluant les conditions dans le pays lors de la décision, peuvent démontrer que le demandeur serait objectivement exposé à un risque s’il était renvoyé. Ainsi, le critère est de nature prospective, sauf dans les cas où il existe des motifs déterminants de persécution passée pour accorder la protection. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés des Nations Unies (Convention sur les réfugiés), complétée par son Protocole de 1967 énonce au paragraphe C (6) de l’Article 1 :
Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de retourner dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures.
Le demandeur pourrait ne pas être en mesure de présenter une preuve de persécution passée. Toutefois, le demandeur pourrait présenter une preuve de persécution de personnes se trouvant dans des situations semblables, dans le pays de référence cité, comme fondement à une crainte de persécution future. Il peut s’agir de membres de la famille, d’associés politiques et de membres de la même classe sociale, race, religion ou du même groupe ethnique.
Persécution
La persécution est l’un des éléments clés de la définition de « réfugié au sens de la Convention ». Le mot « persécution » n’est pas défini dans la Convention relative au statut des réfugiés, ni dans la Loi. La Cour a défini « persécuter » comme « [h]arceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit » Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1984), 55 N.R. 129 (CAF).
Il faudra évaluer si le harcèlement ou les sanctions que le demandeur craint sont suffisamment graves pour constituer de la persécution. Les menaces de mort et les atteintes à la liberté d’une personne pour l’une des raisons énoncées dans la définition constituent des actes de persécution, tout comme les violations d’autres droits humains fondamentaux. D’autres sanctions infligées à une personne peuvent ou non être considérées comme des actes de persécution. Il n’est pas nécessaire que ces sanctions soient infligées à la personne elle-même; elles peuvent également avoir été imposées aux membres de sa famille ou à une personne se trouvant dans une situation semblable. Il est possible que des actes de harcèlement de moindre gravité, comme la discrimination en milieu de travail, ne constituent pas un motif suffisant pour conclure à la persécution.
Dans l’affaire Retnem c.Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1991) 132 N.R. 53 (CAF), la Cour d’appel fédérale a établi que le fait de ne pas tenir compte de l’effet cumulatif des actes de discrimination ou de harcèlement pour déterminer s’il s’agit de persécution est une erreur susceptible de révision. Dans certains cas, l’effet cumulatif d’actes de discrimination ou une série d’incidents constitue un acte de persécution. Cela dit, la discrimination ne constitue généralement pas un motif suffisant pour conclure à la persécution. Le guide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) (PDF, 2,7 Mo) souligne qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles l’effet cumulatif des actes de discrimination peut atteindre le niveau de gravité nécessaire pour conclure à la persécution, même si l’acte de discrimination n’atteindrait pas ce seuil s’il était examiné de manière indépendante. Dans Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 450, la cour a confirmé que l’effet cumulatif de la discrimination et du harcèlement peut satisfaire aux exigence de la définition de la persécution dans certaines situations et que la question de savoir ce qui constitue la persécution donne lieu à une analyse de nombreux facteurs, y compris la répétition, la gravité et la nature des incidents reprochés.
La protection n’est pas accordée dans tous les cas de préjudice infligé à un individu. Dans certains cas, le préjudice peut être si superficiel qu’il ne justifie pas une protection. Dans d’autres cas, le préjudice peut résulter de mesures de sécurité de nature non discriminatoire imposées à une population entière. Cependant, dans certains cas, une loi imposée à une population entière peut constituer de la persécution. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur cette question dans le contexte du service militaire, dans les affaires Zolfagharkhani c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1993) 155 N.R.311 (CAF) et Al-Maisri c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1995) 183 N.R. 234, ainsi que dans le contexte des lois régissant la sortie, dans l’affaire Valentin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 390.
L’État lui-même n’a pas besoin d’être l’agresseur direct. L’enjeu clé consiste à évaluer l’efficacité de la protection de l’État sur le terrain.
Évaluation des cas de persécution impliquant des poursuites judiciaires
Dans le cas d’une poursuite judiciaire, il faut examiner les circonstances particulières. La poursuite judiciaire doit être suffisamment grave pour être qualifiée de persécution. Si la preuve démontre que la poursuite judiciaire est liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un groupement social ou à l’opinion politique du demandeur, il pourrait être pertinent d’examiner les éléments suivants :
- la nature de la loi que le demandeur a violée (si le respect de la loi constitue une violation d’une norme internationale juridique, la poursuite peut constituer une forme de persécution);
- la nature de la loi en vertu de laquelle la personne sera poursuivie (sanctionner arbitrairement un comportement acceptable peut constituer une forme de persécution);
- si la peine infligée pour l’infraction est disproportionnée par rapport à l’infraction en elle-même;
- le dossier en matière de droits humains du pays qui a intenté la poursuite;
- le statut du système judiciaire du pays;
- les motifs pour lesquels le gouvernement veut intenter des poursuites;
- les motifs du demandeur au moment où l’infraction a été commise.
Étude du motif de la persécution – lien
Selon la définition d’un « réfugié au sens de la Convention », il est nécessaire de déterminer si le préjudice est infligé pour l’une des raisons énoncées à la définition. Le préjudice qui est craint par le demandeur doit être lié à :
- sa race;
- sa religion;
- sa nationalité;
- son appartenance à un groupe social;
- ses opinions politiques.
S’il n’existe aucun lien évident, le demandeur ne répond pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention ». Dans certains cas survenant dans le cadre d’une guerre civile, il se peut que la crainte constitue simplement une crainte d’oppression généralisée et qu’elle n’ait aucun lien direct avec la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou les opinions politiques de la personne ou du groupe.
Race
Dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, la persécution raciale est définie comme suit :
68. Dans le présent contexte, la notion de race doit être prise dans son sens le plus large et inclure l'appartenance aux différents types de groupes ethniques qui, dans le langage courant, sont qualifiés de « race ». Souvent cette notion comprendra également l'appartenance à un groupe social déterminé d'origine commune, formant une minorité au sein d'une population plus importante. La discrimination fondée sur la race est universellement condamnée comme l'une des violations les plus flagrantes des droits de l'homme. La discrimination raciale est donc un élément important à prendre en considération pour déterminer l'existence de persécutions.
69. La discrimination fondée sur la race équivaudra souvent à une persécution au sens de la Convention de 1951. Ce sera le cas lorsque, du fait de la discrimination raciale, une personne subit des atteintes à sa dignité qui vont à l’encontre des droits de l’homme les plus élémentaires et inaliénables ou lorsque le fait de passer outre aux barrières raciales entraîne des conséquences graves.
70. Normalement, le simple fait d’appartenir à un certain groupe racial ne suffira pas à établir le bien-fondé d’une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutefois, il peut y avoir des cas ou, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles se trouve le groupe en question, cette appartenance justifiera, en elle-même, la crainte d’être persécuté.
Religion
Dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, la persécution religieuse est définie comme suit :
71. La Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte relatif aux droits civils et politiques proclament le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ce droit impliquant la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.
72. La persécution « du fait de la religion » peut prendre diverses formes, telles que l’interdiction de faire partie d’une communauté religieuse, de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou également la mise en œuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion ou appartiennent à une communauté religieuse donnée.
73. Normalement, la simple appartenance à telle ou telle communauté religieuse ne suffira pas à établir le bien-fondé d’une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Il peut cependant y avoir des circonstances particulières dans lesquelles cette simple appartenance sera une justification suffisante.
Nationalité
Dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, la persécution en raison de la nationalité est définie comme suit :
74. Dans le présent membre de phrase, le terme « nationalité » ne doit pas s’entendre seulement au sens de « nationalité juridique », « citoyenneté », du lien qui unit un individu à un état. Il désigne également l’appartenance à un groupe ethnique ou linguistique et peut parfois recouvrir certains aspects de la notion de « race ». La persécution du fait de la nationalité peut consister en des attitudes hostiles et des mesures préjudiciables dirigées contre une minorité nationale (ethnique, linguistique) et, dans certaines circonstances, on peut craindre avec raison d’être persécuté du fait même d’appartenir à cette minorité.
75. La coexistence à l’intérieur des frontières d’un état de deux ou plusieurs groupes nationaux (ethniques, linguistiques) peut créer des situations de conflit et également des situations où des persécutions ont lieu ou sont à craindre. Il ne sera pas toujours facile de distinguer entre la persécution du fait de la nationalité et la persécution du fait des opinions politiques lorsqu’à un conflit entre des groupes nationaux se superpose l’action de mouvements politiques, et notamment lorsqu’un mouvement politique est identifié avec une « nationalité » particulière.
76. Si dans la plupart des cas ce sont les personnes appartenant à une minorité nationale qui redoutent les persécutions du fait de leur nationalité, il y a eu cependant, dans diverses parties du monde, de nombreux cas où une personne appartenant à un groupe majoritaire peut craindre d’être persécutée par une minorité dominante.
Appartenance à un groupe social
La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (Ward), indique que pour dégager le contenu de l’expression « groupe social », il y a lieu de tenir compte des thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et à la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés. Il y a 3 catégories possibles :
- les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;
- les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association;
- les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.
Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême a clairement affirmé que la persécution fondée sur le genre d’une personne peut suffire à justifier une demande d’asile. Cependant, la Cour n’a pas affirmé que le genre en soi était suffisant pour définir un groupe social. Elle a établi que des sous-catégories particulières de femmes, comme les femmes battues et les femmes victimes de violence familiale, constituaient un groupe social. La Cour a également énoncé que les femmes contraintes de subir la stérilisation constituaient un groupe social. La reconnaissance du genre comme motif de protection à titre de réfugié ne s’est pas limitée aux demandes présentées par des femmes. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a élaboré des directives sur les considérations liées au genre, que les décideurs de l’ERAR doivent consulter pour obtenir des conseils supplémentaires dans leur prise de décision.
Opinions politiques
La Cour suprême du Canada a défini la notion d’« opinions politiques » dans l’arrêt Ward. Elle a adopté la définition du professeur Goodwin-Gill, à savoir « toute opinion sur une question dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé ». La Cour a ajouté 2 précisions : premièrement, il n’est pas nécessaire que les opinions politiques aient été carrément exprimées. Elles peuvent être imputées au demandeur en raison de ses actes; ensuite, les opinions politiques imputées au demandeur n’ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes.
L’évaluation devrait reposer sur une approche du point de vue de l’agent de la persécution. Bien que les victimes de crime n’entrent généralement pas dans la définition de « groupe social » dont la portée a été établie dans Ward, il existe certaines situations dans lesquelles la définition des opinions politiques peut s’appliquer. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur cette question dans l’affaire Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 327, concluant que la dénonciation d’inconduite par des fonctionnaires peut être considérée comme une opinion politique, du fait que l’appareil étatique, gouvernemental et politique « peut être engagé ».
Cependant, les risques attribuables à une vendetta privée ou à une vengeance personnelle de la part d’un représentant du gouvernement peuvent relever d’activités criminelles, mais pas de la persécution. Le site Web de la CISR renvoie à La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger. Le chapitre 4, intitulé Motifs de persécution – Lien, décrit de nombreux cas et donne des références pour aider à déterminer si une activité se rapporte au niveau de persécution.
Pour obtenir des renseignements sur la protection de l’État et la possibilité de refuge intérieur, consulter les procédures et lignes directrices de traitement.