Examen des risques avant renvoi (ERAR) : Procédures et lignes directrices de traitement
Cette section contient des politiques, des procédures et des instructions destinées au personnel d’IRCC. Elle est publiée sur le site Web du Ministère par courtoisie pour les intervenants.
Lorsqu’ils évaluent une demande, les décideurs doivent tenir compte de tous les motifs de protection applicables. Ils doivent justifier tous les motifs lorsqu’ils rejettent une demande d’ERAR. Si les décideurs accueillent la demande pour l’un des motifs, il n’est pas nécessaire d’étudier les autres motifs.
Sur cette page
- Évaluer les éléments de preuve
- Recenser les enjeux
- Prise en compte des observations
- Accepter de nouveaux éléments de preuve
- Faire la recherche
- Comment juger si la recherche effectuée est suffisante?
- Prise en considération des éléments de preuve
- Norme de preuve
- Critère juridique à respecter
- Preuve intéressée
- Le risque ne doit pas être général – oppression généralisée et crises
- Protection de l’État
- Possibilité de refuge intérieur (PRI)
- Raisons impérieuses
- Facteurs pouvant entraîner le rejet d’une demande
- Pays à l’égard duquel le risque est évalué
- Réfugié « sur place »
Évaluer les éléments de preuve
Les décideurs de l’ERAR doivent analyser les éléments de preuve liés à la demande d’ERAR conformément aux principes d’équité procédurale, à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) en tenant compte de la norme de preuve applicable.
Dès le départ, dans leur examen et leur analyse, les décideurs doivent tenir compte des éléments de preuve dans leur ensemble et non dans des silos distincts. Il incombe aux demandeurs de convaincre le décideur qu’ils satisfont aux exigences de l'article 96 ou l'article 97 de la LIPR.
Recenser les enjeux
L’identification des enjeux est essentielle à une bonne analyse et à un bon processus décisionnel. Les décideurs doivent examiner l’ensemble de la demande et des observations pour recenser les enjeux déterminants du cas en vertu des dispositions pertinentes de la LIPR et du RIPR. La recherche et l’analyse du décideur doivent porter sur ces enjeux et les éléments de preuve présentés. Le fait de ne pas s’attaquer de façon significative aux enjeux clés et aux éléments de preuve présentés peut remettre en question le caractère approfondi de l’évaluation effectuée par le décideur dans le cadre du contrôle judiciaire.
Pour en savoir plus sur le processus décisionnel de qualité et les normes de contrôle, veuillez consulter la section Processus décisionnel : Norme de contrôle et marche à suivre pour prendre une décision raisonnable.
Prise en compte des observations
Le demandeur doit préciser clairement dans ses observations les risques auxquels il fait face dans le pays de renvoi. Le demandeur doit expliquer comment le risque allégué pourrait constituer une menace personnalisée pour sa vie ou entraîner un risque de traitements ou peines cruels et inusités, un risque de torture ou une possibilité raisonnable de persécution, et il doit souligner les dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés qui s’appliquent.
Les observations doivent aborder :
- tous les risques craints par le demandeur;
- les raisons pour lesquelles le demandeur ne peut ou ne veut pas se prévaloir de la protection du pays de renvoi;
- si le risque est présent dans toutes les régions de ce pays, ou si d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent sont généralement exposées au même risque;
- si le risque auquel il est exposé est inhérent ou occasionné par des sanctions légitimes et si les sanctions sont imposées au mépris des normes internationales;
- si le risque résulte de l’incapacité du pays à fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
Accepter de nouveaux éléments de preuve
L’alinéa L113a) prévoit que les personnes dont la demande de protection a été rejetée peuvent seulement présenter de nouveaux éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable dans les circonstances de s’attendre à ce qu’elles les aient présentés au moment du rejet.
Cette règle du « nouvel élément de preuve » ne s’applique pas dans les cas où le décideur précédent n’a pas tenu compte des allégations de risque ou n’a pas procédé à une analyse du bien-fondé. Cette situation peut survenir si le tribunal ou le décideur précédent ont exclu un demandeur d’asile ou un demandeur d’ERAR sans se demander si sa crainte de persécution était fondée ou non.
Par exemple, si le décideur précédent n’avait pas accepté l’identité du demandeur comme citoyen du pays A et n’avait donc pas effectué une analyse des risques du pays concerné. Toutefois, si le décideur accepte maintenant l’identité du demandeur telle qu’elle a été soumise, il doit tenir compte de la preuve de son identité et du risque qui en découle dans le pays concerné.
En général, si le demandeur allègue un risque particulier dans le pays de renvoi et que ce risque n’avait pas été pris en compte dans une décision antérieure, le décideur ne doit pas appliquer la règle du « nouvel élément de preuve » à cette preuve de risque. Dans de tels cas, l’ERAR est la première occasion d’évaluation de ces risques, qui doivent donc être examinés.
Lorsqu’un risque a déjà été évalué par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), un décideur de l’ERAR peut se fonder sur les conclusions antérieures de la CISR. Un ERAR n’est pas censé être une deuxième occasion de présenter la même demande d’asile ni un appel d’une décision défavorable de la CISR. Toutefois, la retenue dont il faut faire preuve à l’égard des décisions antérieures défavorables de la CISR n’est pas absolue. Les conclusions antérieures de la CISR peuvent être réfutées par de nouveaux éléments de preuve démontrant des changements importants à la situation du demandeur ou aux conditions dans le pays (Arsu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 471).
Dans le cas où l’asile a été annulé par la CISR, la demande d’asile est réputée rejetée [paragraphe L109(3)]. On peut donc en conclure que la date de la décision d’annuler l’asile est la date pertinente aux termes de l’alinéa L113a). Toutefois, ces situations doivent être examinées au cas par cas. Cependant, les éléments de preuve dont la date est ultérieure à la décision originale concernant la demande d’asile ne peuvent généralement pas être admis dans les procédures d’annulation, puisque ces procédures visent à déterminer si la protection a été obtenue par de fausses déclarations ou par la dissimulation de renseignements et, le cas échéant, si les commissaires saisis de l’affaire en premier disposaient d’un nombre suffisant d’autres éléments de preuve pour déterminer que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger. Si le demandeur n’a pas été autorisé à présenter des éléments de preuve à l’audience relative à l’annulation datant d’après la décision initiale, un agent peut conclure qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’ils aient été présentés à l’audience relative à l’annulation et, par conséquent, permettre au demandeur d’ERAR de présenter de tels éléments de preuve. Cela dit, la Cour a conclu que la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la CISR a un certain pouvoir discrétionnaire d’accueillir de nouveaux éléments de preuve aux fins de l’analyse en vertu du paragraphe L109(2), lorsque le dossier de la première décision était déficient. Pour obtenir une orientation, le gestionnaire doit envoyer une demande à la Direction générale de l’asile (DGA).
Lorsqu’un ERAR est renvoyé par la Cour fédérale (CF) ou qu’un consentement est donné pour la prise d’une nouvelle décision par un autre décideur, de nouvelles observations sont généralement sollicitées. Le nouveau décideur doit alors tenir compte de toutes les observations reçues : celles présentées à l’appui de l’ERAR initial ainsi que les nouveaux renseignements.
Faire la recherche
Le décideur effectue une recherche indépendamment des enjeux recensés dans la demande. Les sources consultées aux fins de la recherche varient selon chaque cas, mais certaines sources se trouvent sur la page Renseignements sur le pays d’origine. Le décideur doit s’assurer de consulter les versions les plus récentes et à jour des rapports sur les pays pour s’assurer qu’aucun changement des conditions du pays n’est survenu, qui pourrait influer sur la décision.
En ce qui concerne les renseignements tirés de recherches sur Internet
Outre les sources désignées ci-dessus comme renseignements de recherche « conventionnels », des copies de tous les documents obtenus sur Internet et utilisés dans le processus décisionnel doivent être conservées dans le dossier du cas. Cette pratique garantit non seulement que le document est accessible à la Cour aux fins d’examen, mais également que la « version » du document mise à la disposition de la Cour est la même que celle consultée par le décideur.
Sous réserve des paragraphes suivants, les décideurs conservent leur pouvoir discrétionnaire de décider si un document doit être partagé avec le demandeur avant de rendre une décision.
S’il est possible de démontrer que le document est « accessible au public », il n’est pas nécessaire de le partager avec le demandeur. Les documents « accessibles au public » doivent provenir de sources fiables qui ne requièrent pas de privilège spécial ou de compte pour y accéder, et doivent être accessibles sur des sites directement liés à la source.
Toutefois, certains documents accessibles au public peuvent devoir faire l’objet d’une divulgation. La Cour d’appel fédérale a souligné dans l’arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [1998] 3 CF 461, que chaque cas doit être tranché en fonction des faits qui lui sont propres. Il est possible pour un demandeur d’établir un manquement à l’équité procédurale si un document accessible au public ne lui est pas divulgué avant qu’une décision soit rendue. Par conséquent, les décideurs doivent se demander si les renseignements contenus dans le document sont des renseignements qui pourraient être connus par le demandeur, à la lumière de la nature des observations présentées et des antécédents du demandeur.
Points à retenir :
- Lorsqu’un document est postérieur aux observations, avant de rendre une décision d’ERAR, les décideurs doivent divulguer tout document qui montre des changements dans les conditions du pays qui pourraient avoir une incidence sur la décision.
- En vertu de l’article 167 du RIPR, les décideurs conservent le pouvoir de déterminer si une audience est requise, à moins que l’article L113.01 ne s’applique et que l’audience soit obligatoire.
- Les décideurs peuvent poser des questions aux demandeurs sur tout document pertinent découvert et sur lequel ils ont l’intention de s’appuyer pour rendre une décision défavorable.
- Cela peut se faire au moyen d’une lettre relative à l’équité procédurale ou lors d’une audience, le cas échéant.
- Dans les cas où une audience est obligatoire, les décideurs peuvent communiquer le document comme mentionné ci-dessus, conformément aux principes d’équité procédurale.
- Cependant, si le document est déterminant à la décision, il doit être désigné dans l’avis d’audience et partagé avant l’audience.
- Le demandeur doit se voir accorder la possibilité d’aborder la question du document pendant l’audience ou par écrit.
Pour en savoir plus sur les audiences, consultez la section Audiences.
Comment juger si la recherche effectuée est suffisante?
L’une des hypothèses implicites de l’ERAR est que les décideurs acquièrent au fil du temps une connaissance approfondie de nombreux pays. Cette expérience doit leur permettre de trancher sans devoir effectuer des recherches supplémentaires approfondies dans les cas simples. Une fois que le décideur a traité tous les enjeux soulevés ou présentés, la recherche est terminée. Vous trouverez ci-dessous de plus amples renseignements sur la manière de prendre en considération et d’évaluer les éléments de preuve.
Prise en considération des éléments de preuve
Après avoir obtenu des renseignements sur les faits de l’affaire, le décideur doit évaluer la crédibilité et la valeur probante des éléments de preuve, leur attribuer un poids et déterminer s’ils sont suffisants.
Points à retenir :
- La crédibilité fait référence au mérite d’être cru.
- La valeur probante fait référence à la capacité de l’élément de preuve à établir le fait qu’il est censé prouver.
- Le poids dépend de la crédibilité et de la valeur probante (poids = crédibilité x valeur probante).
- Le poids à accorder à un élément de preuve peut dépendre de la crédibilité de cette preuve, de sa valeur probante ou d’une combinaison des deux.
- Pour en savoir plus sur ces concepts, consulter L’appréciation de la preuve – Chapitre 2 : Principes généraux sur le site web de la CISR.
- La suffisance fait référence à la quantité d’éléments de preuve requis pour établir un fait ou s’acquitter du fardeau de la preuve ou du fardeau juridique.
Il n’est pas toujours facile de décider quel fait ou ensemble de faits est le plus raisonnable ou le plus probable dans une affaire. Les décideurs de l’ERAR doivent être justes, sensibles et judicieux dans leur démarche pour évaluer la valeur des éléments de preuve examinés.
Par exemple, un décideur doit être convaincu des faits sous-jacents selon la prépondérance des probabilités. Les faits allégués doivent être raisonnables et logiques par rapport aux conditions qui existent dans le pays. Cela dit, les demandeurs d’ERAR ne sont pas tenus de présenter des éléments de preuve à l’appui de chaque aspect de leur demande et ils doivent se voir accorder le bénéfice du doute en l’absence de préoccupations relatives à la crédibilité. Par ailleurs, même si le témoignage et les éléments de preuve déposés par le demandeur sont réputés véridiques, cette présomption peut être réfutée. Si le poids que le décideur accorde à un élément de preuve ne suffit pas à établir les faits allégués par le demandeur, le décideur doit en expliquer les raisons.
Lorsqu’ils examinent un document à l’appui, les décideurs doivent tenir compte des éléments suivants :
- la date du document;
- l’identité de l’auteur;
- la source de l’information;
- les qualifications/connaissances de l’auteur;
- les raisons pour lesquelles le document a été rédigé;
- si le document recèle des traces de parti pris;
- si le document semble inventé;
- si le contenu du document correspond à celui d’autres éléments de preuve fiables;
- si son contenu est conforme aux déclarations présentées par le demandeur aux autorités de l’immigration dans d’autres contextes (par exemple, formulaire Fondement de la demande d’asile, déclarations effectuées au point d’entrée et devant la CISR, preuve en réponse à une lettre relative à l’équité procédurale, etc.);
- le nombre d’éléments de preuve crédibles corroborant le contenu du document;
- si l’auteur a été témoin des événements décrits ou s’il se base sur des ouï-dire (terme juridique décrivant les éléments de preuve basés sur des rapports produits par d’autres personnes que celles ayant assisté en personne aux événements).
Les documents à l’appui, comme les cartes d’identité, doivent être examinés à la lumière du risque individualisé du demandeur dans le pays de renvoi. Par exemple, certaines cartes d’identité, comme la carte de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA), sont traitées différemment par les autorités locales en fonction de la nationalité du demandeur et de son statut dans le pays. Les décideurs doivent consulter les renseignements accessibles au public les plus récents sur les documents proposés sur la page Renseignements sur le pays d’origine.
Les décideurs peuvent évaluer les tiers conformément à l’alinéa R168d) pour vérifier les preuves fournies. La crédibilité des tiers et leur témoignage ne doivent pas être confondus avec la crédibilité du demandeur. Seule la preuve soulevant des questions quant à la crédibilité du demandeur peut justifier la tenue d’une audience en application de l’article R167 (Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 au paragraphe 47).
Pour en savoir plus sur les audiences, consulter la section Audiences.
Les décideurs doivent évaluer la preuve de manière juste et impartiale, en tenant compte judicieusement des éléments positifs et négatifs. Ils doivent expliquer clairement pourquoi un élément de preuve a été préféré à un autre dans la décision écrite. Il n’est pas nécessaire de mentionner chaque élément de preuve présenté. Toutefois, les décideurs doivent mentionner les éléments de preuve directement applicables (par exemple, qui mentionnent le demandeur par son nom) ou les éléments de preuve qui contredisent carrément la conclusion de fait du décideur.
Les décideurs de l’ERAR doivent prendre soin d’éviter les conclusions voilées en matière de crédibilité. Le terme « conclusions voilées en matière de crédibilité » renvoie aux situations où les décideurs semblent rejeter la preuve en ne lui accordant aucun poids, alors qu’en réalité ils remettent en question la crédibilité de la preuve fournie. Par exemple, si un décideur attribue « un poids nul » à un élément de preuve, cela signifie que cet élément n’est pas crédible ou qu’il n’a aucune valeur probante, ou les deux. Par conséquent, lorsque la cour examine le dossier et conclut que la preuve avait une valeur probante, le demandeur peut faire valoir avec succès que le décideur contestait en réalité la crédibilité de la preuve et qu’il aurait dû convoquer une audience. Dans Balogh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447, la Cour fédérale offre une explication utile sur la distinction entre la crédibilité et le caractère suffisant de la preuve.
Pour en savoir plus sur les audiences, consulter la section Audiences.
Remarque : Bien que la SPR n’est pas tenue d’évaluer le risque d’un demandeur d’asile si son identité n’est pas établie, ce n’est pas le cas dans le cadre d’un ERAR. Les décideurs doivent évaluer le risque lié au renvoi imminent du demandeur. Dans l’affaire Ladipo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 408, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit : « Que l’identité du demandeur soit établie à la satisfaction de l’agent chargé de l’ERAR ou non, cet agent doit évaluer le risque en fonction du pays où le demandeur serait renvoyé ».
Norme de preuve
Établir les faits – prépondérance des probabilités
Une fois que le décideur a évalué la preuve et lui a accordé un poids, il doit décider quels faits ont été établis selon la prépondérance des probabilités [c’est-à-dire qu’il est plus susceptible que non d’être vrai]. Pour obtenir des renseignements sur la manière d’appliquer la norme de preuve appropriée, consulter les instructions sur l’exécution des programmes sur la page Processus décisionnel : Norme de contrôle et marche à suivre pour prendre une décision raisonnable.
Critère juridique à respecter
Article L96 – sérieuse possibilité ou possibilité raisonnable
Pour répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article L96, le demandeur doit établir qu’il éprouve une crainte subjective de persécution et que cette crainte est objectivement fondée.
Le critère juridique objectif exige que le demandeur d’asile démontre une « possibilité raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » de persécution pour les motifs énoncés dans la Convention : crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. En d’autres termes, les demandeurs d’asile doivent établir leur cause selon la prépondérance des probabilités, sans toutefois devoir prouver que la persécution serait plus probable qu’improbable.
Alinéas L97(1)a) et b)– prépondérance des probabilités
Le même critère juridique s’applique aux alinéas L97(1)a) et L97(1)b). Dans les deux cas, il doit être plus probable qu’improbable que le risque survienne, ce qui implique que le risque devrait se produire selon la prépondérance des probabilités.
Cela signifie que le degré de risque de torture requis, comme l’entend l’expression « motifs sérieux de le croire » à l’alinéa L97(1)a), est que le risque doit être plus probable qu’improbable.
De même, le degré de la menace à la vie ou du risque de traitements ou peines cruels et inusités comme il est énoncé à l’alinéa L97(1)b) doit être prouvé comme étant plus probable qu’improbable.
Bien que les mots utilisés pour décrire la norme de preuve – prépondérance des probabilités – sont les mêmes que ceux utilisés pour décrire le critère juridique à respecter, il s’agit toujours de deux étapes distinctes. L’agent doit évaluer la preuve et déterminer si un fait a été prouvé selon la prépondérance des probabilités. L’agent doit également déterminer si le critère juridique prévu aux alinéas L97(1)a) ou L97(1)b) a été respecté en évaluant s’il est plus probable qu’improbable que le risque se produise.
Preuve intéressée
Le terme « preuve intéressée » décrit généralement les éléments de preuve qui semblent avoir été créés ou fabriqués dans le but de donner du poids au dossier. Dans un sens plus large, tous les témoignages et documents présentés par une partie dans le cadre d’une procédure sont intéressés dans la mesure où ils sont créés par ou pour la partie et peuvent servir sa cause. La conclusion selon laquelle la preuve est intéressée peut avoir une incidence sur la crédibilité de l’auteur ou sur le poids attribué à la preuve.
Même si les agents sont autorisés à tenir compte des intérêts personnels lorsqu’ils évaluent les preuves documentaires d’un demandeur, les tribunaux ont statué que le fait de rejeter des éléments de preuve pour la seule raison qu’ils sont intéressés ou qu’ils proviennent de parents ou d’amis d’un demandeur constituait une erreur. Les éléments de preuve provenant de sources proches du demandeur et leur crédibilité doivent être évalués comme toute autre preuve documentaire. Les considérations énumérées au paragraphe 28 de l’arrêt Rahman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 941 présentées ci-dessous constituent une liste non exhaustive de facteurs qui peuvent être pris en compte dans l’évaluation du poids à accorder à la preuve pouvant être considérée comme intéressée :
- le rôle joué par l’auteur dans les incidents mentionnés (l’auteur était-il un témoin ou le demandeur a-t-il simplement raconté ce qui s’est passé à l’auteur?);
- la relation de l’auteur et du demandeur (si l’auteur est proche parent, est-il tout de même en mesure de relater les incidents de manière indépendante?);
- le contenu de la déclaration du témoin (s’agit-il simplement d’une reproduction de la preuve du demandeur ou s’agit-il du point de vue de l’auteur et quel est ce point de vue?);
- toute incohérence entre leurs déclarations et les autres preuves objectives liées à l’affaire.
Le risque ne doit pas être général – oppression généralisée et crises
La LIPR prévoit une protection en cas d’oppression généralisée ou de crise au moyen de 2 programmes de sursis d’exécution du renvoi. Un sursis administratif au renvoi (SAR) est une mesure temporaire mise en place lorsque des mesures doivent être prises sur-le-champ pour reporter des renvois dans des cas de crise humanitaire. Le programme de suspension temporaire des renvois (STR) interrompt les renvois vers un pays ou un endroit lorsque des conditions dangereuses posent un risque pour l'ensemble de la population civile. Par exemple, un conflit armé fait rage dans un pays ou dans une région, ou une catastrophe environnementale entraîne une importante perturbation temporaire des conditions de vie. Dans les deux programmes, l’ASFC peut renvoyer les personnes déclarées interdites de territoire au Canada pour des motifs liés à la criminalité, à l’atteinte aux droits humains ou internationaux, à la criminalité organisée ou à la sécurité conformément au paragraphe R230(3) malgré l’imposition d’un SAR ou d’une STR. Les programmes et la liste actuelle des pays ou régions visés par une suspension sont indiqués sur le site web de l’ASFC : Arrestations, détentions et renvois – Renvoi du Canada.
La demande de protection, en revanche, vise à traiter une allégation de risque personnel ou de risque auquel font face des personnes se trouvant dans la même situation que le demandeur.
L’exigence voulant que le risque soit personnel est intégrée à la définition d’une personne à protéger à l’article L97. Ce n’est pas le cas à l’article L96. Toutefois, une demande de protection fondée sur une situation d’oppression généralisée peut satisfaire aux exigences de l’article L96 si le risque encouru par le demandeur est un risque de préjudice suffisamment grave et est lié à un motif énoncé dans la Convention plutôt qu’aux conditions générales dans le pays.
La Cour d’appel fédérale a rejeté l’approche comparative (qui consiste à se demander si le demandeur est plus désavantagé que d’autres), pour privilégier plutôt une approche non comparative, qui amène à se demander s’il y a une possibilité raisonnable de préjudices graves sur la base de l’un des 5 motifs énoncés dans la Convention. À ce sujet, voir les paragraphes 17 à 19 de l’arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1990] 3 CF 250.
Dans l’arrêt Fodor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 218, au paragraphe 19, la Cour fédérale a noté que la Cour d’appel fédérale
- Une personne qui demande l’asile à titre de réfugié au sens de la Convention :
- n’a pas besoin de démontrer qu’elle a été persécutée personnellement dans le passé;
- peut démontrer qu’elle craint d’être persécutée au moyen d’éléments de preuve sur le traitement réservé aux personnes se trouvant dans une situation similaire à la sienne dans son pays d’origine;
- n’a pas besoin de démontrer qu’elle s’expose à un risque plus grand par rapport aux autres personnes dans son pays ou aux autres membres de son groupe.
La Cour d’appel fédérale a examiné la question de la persécution indirecte, dans l’arrêt Olobor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1150, au paragraphe 39. La Cour d’appel fédérale a conclu que la persécution indirecte ne constitue pas de la persécution au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés des Nations Unis (Convention sur les réfugiés). Par conséquent, le fait que des membres de la famille soient persécutés ne fait pas d’un demandeur un réfugié au sens de la Convention à moins qu’il ne réponde personnellement à la définition.
Protection de l’État
Lorsque le demandeur est exposé à un risque de persécution, de torture, de menace à sa vie ou de peines ou traitements cruels et inusités, il faut déterminer dans tous les cas si le demandeur peut se réclamer de la protection de l’État. Il ne suffit pas d’affirmer une conviction subjective selon laquelle la protection n’est pas offerte. Il incombe au demandeur de réfuter la présomption de protection adéquate de l’État au moyen d’éléments de preuve pertinents, dignes de foi et convaincants du fait que, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État est inadéquate ou inexistante (Cervenakova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 477 au paragraphe 25).
La norme à appliquer est que la protection de l’État doit être et efficace sur le plan opérationnel, ce que les tribunaux appellent souvent le critère du « caractère adéquat ».
Critère du caractère adéquat
Pour conclure à l’existence d’une protection de l’État, un État doit être en mesure de protéger adéquatement le demandeur à un niveau opérationnel.
Pour établir si la présomption de la protection de l’État a été réfutée, il faut tenir compte des facteurs suivants :
- les efforts que le demandeur a déployés pour obtenir de la protection, y compris :
- les signalements qu’il a faits aux autorités;
- la quantité de détails qu’il a fournis;
- les efforts qu’il a déployés pour faire un suivi;
- les organismes autres que la police auxquels il s’est adressé.
- les mesures prises par l’État et l’efficacité de ces mesures, y compris :
- les lois applicables en place;
- les mécanismes de protection (police, autres organismes);
- les efforts d’application de la loi dont, par exemple, les initiatives de lutte contre la criminalité;
- des résultats tangibles dont, par exemple, les arrestations découlant d’initiatives de lutte contre la criminalité et l’incidence sur les taux de criminalité;
- les difficultés opérationnelles rencontrées par les autorités de l’État;
- la preuve que d’autres personnes se trouvent dans une situation similaire
- la situation particulière du demandeur.
L’évaluation du caractère adéquat ne peut être de nature anecdotique et se baser sur un incident isolé. La preuve doit démontrer que le manque de protection de l’État dont le demandeur peut avoir fait l’expérience par le passé et/ou dont il pourrait craindre de faire l’expérience à son retour dans le futur s’inscrit dans une tendance plus large qui s’applique à la région ou à l’État plutôt qu’à une défaillance locale.
Principaux points à retenir :
- Le refus d’agir de certains policiers n’est pas suffisant pour démontrer qu’un État n’est pas en mesure d’assurer une protection ou ne le souhaite pas.
- Le refus de répondre doit être de nature institutionnelle ou doit constituer un refus plus général des forces de police d’offrir la protection conférée par les institutions politiques et judiciaires du pays.
- Une norme de protection « efficace » à laquelle aspirent les forces de police canadiennes ne doit pas être imposée aux autres États.
- Aucun gouvernement ne peut garantir la protection de tous ses citoyens en tout temps.
- Il ne suffit pas, pour le demandeur, de démontrer que l’État n’a pas toujours réussi à protéger les personnes se trouvant dans une même situation.
- Il peut être difficile, même pour les forces de police les plus efficaces et les mieux outillées, d’assurer une « protection efficace » lorsque les assaillants ne sont pas connus.
La réponse à la norme de caractère adéquat varie selon le pays et la situation du demandeur. Il est impératif que les motifs de la décision démontrent clairement que le décideur a tenu compte de l’efficacité opérationnelle de la protection de l’État au regard de la situation particulière du demandeur. Les décisions doivent toujours présenter l’analyse du caractère adéquat de manière claire et transparente.
Incapacité ou réticence à recourir à la protection de l’État
Les alinéa L96a) et b) précisent que pour répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention, une personne qui est exposée à un risque de persécution ne doit pas pouvoir se réclamer de la protection de l’État ou, en raison de sa crainte de persécution, ne doit pas vouloir s’en réclamer; ou si elle n’a pas de nationalité, ne doit pas pouvoir ou vouloir retourner dans son pays de résidence habituelle du fait de cette crainte.
Dans les cas de double nationalité, le demandeur doit démontrer qu’il éprouve une crainte fondée de persécution dans chaque pays dont il a la nationalité. Pour en savoir plus, consultez la section ci-dessous sur le Pays à l’égard duquel le risque est évalué.
Les mots « ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » font l’objet d’explications dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié et principes directeurs sur la protection internationale (PDF, 2,7 Mo). Le manuel définit les termes comme suit :
98. Lorsqu’il ne peut se réclamer de cette protection, cela tient à des circonstances indépendantes de sa volonté. Il peut y avoir, par exemple, un état de guerre, une guerre civile ou d’autres troubles graves qui empêchent le pays dont l’intéressé a la nationalité de lui accorder sa protection ou qui rendent cette protection inefficace. La protection du pays dont l’intéressé a la nationalité peut également lui avoir été refusée. Ce refus de protection peut confirmer ou accroître la crainte qu’a l’intéressé d’être persécuté et peut même constituer en soi un élément de persécution.
99. Ce qu’il faut entendre par refus de protection doit être déterminé selon les circonstances de l’affaire. S’il apparaît que l’intéressé s’est vu refuser le bénéfice de certains droits ou prestations (par exemple la délivrance d’un passeport national ou la prorogation de ce passeport ou l’admission sur le territoire national) qui sont normalement accordés à ses compatriotes, cela peut constituer un refus de protection au sens de la définition.
100. Les mots « ne veut » s’appliquent au réfugié qui refuse d’accepter la protection du gouvernement du pays dont il a la nationalité. Ils sont explicités par les mots « du fait de cette crainte ». Lorsqu’une personne accepte de se réclamer de la protection de son pays, cette acceptation est normalement incompatible avec le fait de se trouver hors de son pays « par crainte fondée de persécution ». Chaque fois qu’il est admis à bénéficier de la protection du pays dont il a la nationalité, et qu’il n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale et n’est pas un réfugié.
Le guide précise également les mots « ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » comme suit :
101. Ce membre de phrase, qui intéresse les apatrides, fait pendant au membre de phrase précédent, concernant les réfugiés qui ont une nationalité. Dans le cas d’une personne qui est apatride, le « pays de la nationalité » est remplacé par le « pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle » et les mots « ne veut se réclamer de la protection de ce pays » sont remplacés par « ne veut y retourner ». Un réfugié apatride ne peut évidemment pas « se réclamer de la protection » du pays dans lequel il avait précédemment sa résidence habituelle. En outre, lorsqu’un apatride a quitté le pays où il avait sa résidence habituelle pour les raisons indiquées dans la définition, il n’est généralement pas en mesure d’y retourner.
102. On notera que tous les apatrides ne sont pas des réfugiés. Pour être réfugiés, ils doivent se trouver hors du pays dans lequel ils avaient leur résidence habituelle, pour les raisons indiquées dans la définition. Lorsque ces raisons n’existent pas, l’apatride n’est pas un réfugié.
103. Ces raisons doivent être examinées par rapport au pays « dans lequel [l’apatride] avait sa résidence habituelle » et à l’égard duquel il prétend éprouver des craintes. Ce pays a été défini par les rédacteurs de la Convention de 1951 comme étant « le pays où le réfugié avait sa résidence et où il a été victime de persécutions ou craint de l’être s’il y retourne ».
104. Pour un apatride, il peut y avoir plusieurs pays dans lesquels il a eu sa résidence habituelle et il peut craindre des persécutions sur le territoire de plusieurs d’entre eux. La définition n’exige pas que le réfugié apatride satisfasse aux conditions qu’elle pose vis-à-vis de tous ces pays.
105. Lorsqu’un apatride a été reconnu comme réfugié dans ses rapports avec le « pays dans lequel [il] avait sa résidence habituelle », aucun changement ultérieur du pays de résidence habituelle ne remet en question son statut de réfugié.
Pays de référence possible
Il se peut qu’une personne ne soit pas obligée d’être un citoyen d’un pays de référence possible, mais qu’elle ait le droit d’acquérir la citoyenneté au moyen d’une demande. Le fait de ne pas avoir de nationalité ne doit pas relever du contrôle du demandeur d’asile.
Pays de référence pour les personnes apatrides
- Si le demandeur est apatride, le pays de référence est le pays de résidence habituelle antérieure.
- En présence de plusieurs pays de résidence habituelle antérieure, le demandeur doit encourir un risque dans au moins un de ces pays (mais pas nécessairement tous)
- Capacité de retour légal non requise
- Le demandeur ne peut ou ne veut pas retourner dans aucun pays de résidence habituelle antérieure.
- Si le demandeur peut retourner en toute sécurité dans un pays de résidence habituelle antérieure, il n’a pas besoin de protection.
Pour en savoir plus sur l’évaluation du risque pour une personne apatride, consulter la section ci-dessous sur le Pays à l’égard duquel le risque est évalué.
Possibilité de refuge intérieur
Lors de l’examen d’une demande de protection, le décideur doit être au fait de la possibilité que le demandeur, bien qu’exposé à des risques dans 1 partie du pays, puisse raisonnablement s’attendre à obtenir une protection dans une autre région du pays. Dans un tel cas, le demandeur peut se voir refuser la protection, car il peut se prévaloir de la « possibilité de refuge intérieur (PRI) ». Une PRI doit constituer une option réaliste et réalisable, qui soit accessible sans risque important de préjudice physique ou de souffrance indue. Elle doit offrir une protection stable contre le risque, avec une autorité établie vers laquelle la personne peut se tourner pour exercer un recours.
Le critère à appliquer pour déterminer s’il existe une PRI comporte 2 volets. Premièrement, le décideur doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans le lieu de la PRI. Deuxièmement, les conditions dans le lieu de la PRI doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur.
Il incombe au demandeur d’établir qu’une PRI n’est pas une option viable. Pendant l’examen du caractère raisonnable d’une PRI, le décideur doit examiner les circonstances particulières de la personne et du pays concerné afin de déterminer s’il serait déraisonnable d’exiger que la personne retourne dans une autre région de l’État. Des éléments tels que le caractère pratique ou la préférence du demandeur pour vivre dans un lieu particulier du pays ne devrait pas permettre de conclure que la PRI est déraisonnable.
Bien qu’il puisse y avoir des similitudes entre les facteurs pris en compte dans le cadre du critère de la PRI et les facteurs de difficultés pris en compte dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il s’agit de 2 procédures régies par des considérations et des objectifs différents. Par exemple, la séparation de la famille peut être pertinente dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais dans le cadre d’une évaluation de la PRI, les difficultés découlant de la séparation des proches ne rendraient une PRI déraisonnable que si la vie ou la sécurité d’un demandeur était menacée. La norme pour démontrer qu’une PRI est déraisonnable est élevée. Le demandeur doit présenter une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient en péril sa vie ou sa sécurité s’il devait déménager dans le lieu de la PRI.
Lorsqu’un décideur examine une PRI relativement à un lieu nouveau ou qui n’avait jamais été considéré jusque là (c’est-à-dire que la PRI n’a pas été prise en compte dans une décision antérieure de la SPR, de la SAR ou de l’ERAR), dans l’esprit de la justice naturelle, le décideur doit en aviser raisonnablement le demandeur en lui indiquant que la PRI dans une ville ou une région particulière est envisagée de manière à lui offrir la possibilité de la réfuter. Voir la décision de la Cour fédérale Moreno c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1224 pour obtenir de plus amples renseignements.
Pour en savoir plus sur les possibilités de refuge intérieur, veuillez consulter la ressource en ligne de la CISR : La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger Chapitre 8 – Possibilité de refuge intérieur.
Raisons impérieuses
Le concept de « raisons impérieuses » est énoncé au paragraphe L108(4). Cette disposition permet d’accorder l’asile pour des motifs d’ordre humanitaire à la catégorie spéciale et limitée des personnes « qui ont souffert d’une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu’ils n’auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution » (Ortiz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1365 au paragraphe 60).
Le paragraphe L108(1) stipule ce qui suit :
- 108 (1) - Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :
- a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;
- b) il recouvre volontairement sa nationalité;
- c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;
- d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;
- e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent zplus.
Parallèlement, le paragraphe L108(4) prévoit ce qui suit :
108(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.
La Convention de 1951 relative au statut de réfugié contenait des dispositions sur la perte du statut de réfugié, qui ont été adoptées par la législation fédérale dans le cadre de la Loi sur l’immigration de 1976 et de la LIPR. En général, une personne qui a obtenu le statut de réfugié dans un pays d’asile peut perdre ce statut si certaines conditions liées au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays d’origine, de s’y réinstaller ou d’acquérir de nouveau sa protection ont été remplies, conformément aux alinéas L108(1)a) à d).
Toutefois, il existe une exception notable à la conclusion de la perte de l’asile d’une personne si les raisons pour lesquelles la personne a demandé l’asile ont cessé d’exister et s’il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays d’origine, conformément à l’alinéa L108(1)e) et au paragraphe L108(4).
Dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj (C.A.), [1992] 2 CF 739 (CAF), la Cour d’appel fédérale a conclu que le législateur n’avait pas l’intention de restreindre le paragraphe relatif aux raisons impérieuses au seul contexte de la perte de l’asile de la Loi, mais à l’ensemble du système d’octroi de l’asile canadien. Par conséquent, une analyse des raisons impérieuses pourrait être réalisée dans le contexte des décisions d’ERAR lorsque certaines conditions sont remplies. Premièrement, le demandeur doit établir qu’il a répondu à un moment donné à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Deuxièmement, les circonstances doivent avoir changé de telle sorte que les raisons pour lesquelles la personne a demandé l’asile n’existent plus. Lorsque ces conditions sont remplies, le décideur doit déterminer s’il existe des raisons impérieuses d’accorder l’asile.
Dans l’arrêt Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000) 254 NR 388 (CAF), la Cour d’appel fédérale a statué qu’en cas de persécutions antérieures associées à un changement des conditions dans le pays, le décideur doit déterminer si les preuves établissent des raisons impérieuses de ne pas renvoyer la personne dans le pays d’origine. Cette obligation s’impose que le demandeur invoque ou non l’exception, bien qu’il lui incombe de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour bénéficier de cette disposition.
Les décideurs doivent donc se poser les questions suivantes :
- Le demandeur a-t-il été victime de persécution, de torture, de traitements ou peines à un moment donné dans le passé au point de répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger?
- Les conditions dans le pays ont-elles changé si bien que les raisons pour lesquelles la personne a subi des persécutions, de la torture ou des peines n’existent plus?
- Existe-t-il des raisons impérieuses fondées sur des persécutions ou de mauvais traitements antérieurs d’accorder l’asile?
Le présent extrait de la décision rendue en 2016 dans l’affaire Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 FC 315, aide à établir si les raisons soulevées par le demandeur sont des « raisons impérieuses ».
[121] En ce qui concerne le seuil, le cas échéant, qui s’applique pour déterminer si, dans les faits, l’existence de raisons impérieuses a été établie, le juge Crampton a reconnu l’interprétation faite dans l’arrêt Suleiman. Il a noté (au paragraphe 51) que les exigences du paragraphe 108(4) peuvent être satisfaites lorsqu’il n’est pas prouvé que la persécution passée était épouvantable ou atroce, mais a souligné que ces situations doivent être « véritablement exceptionnelles ou extraordinaires » par rapport à d’autres cas.
[122] Cela est cohérent avec le principe sous-jacent voulant que l’exception s’applique à une « petite minorité » de demandeurs d’asile. […]
[127] La SAR a d’abord déterminé que sa tâche consistait à « établir si la situation particulière de la demanderesse pouvait être distinguée des cas de persécution qui ne relèvent pas du paragraphe 108(4) », en soulignant que cela constituait une question de fait. La SAR a ensuite fait référence à l’orientation de la jurisprudence qui a établi que l’exception relative aux raisons impérieuses est applicable dans des circonstances exceptionnelles. Elle a également cité la jurisprudence qui fait référence à la persécution épouvantable et atroce. Cependant, la SAR n’a pas restreint l’examen des raisons impérieuses à la catégorie plus étroite des persécutions épouvantables et atroces; la SAR a examiné si la persécution passée décrite par la demanderesse, par rapport à d’autres cas, avait atteint le seuil lorsque l’exception avait et n’avait pas été prouvée. Si plusieurs de ces cas renvoient au critère des persécutions effroyables, le fait d’imposer un seuil élevé ne constitue pas une erreur étant donné que l’ensemble de la jurisprudence souligne systématiquement cette exigence.
Facteurs pouvant entraîner le rejet d’une demande
Tous les motifs de protection doivent être pris en considération et appliqués, et les raisons doivent être données concernant tous les motifs pour en arriver à une décision de rejet de la demande. Les facteurs définis ci-dessus et recensés ci-dessous ne constituent pas une liste exclusive, mais ils couvrent les raisons courantes pour rejeter les demandes en vertu de tous les motifs de protection :
- le préjudice craint n’est pas grave;
- le préjudice craint est la loi d’application générale, légitimement infligée, conforme aux normes internationales;
- le préjudice craint n’est appuyé par aucune preuve objective;
- l’État offre une protection efficace au niveau opérationnel;
- il existe une PRI raisonnable;
- le demandeur bénéficie d’un statut dans un autre pays où il peut être renvoyé;
- le risque vient de l’impossibilité pour le pays d’offrir des soins de santé et médicaux adéquats.
Pays à l’égard duquel le risque est évalué
Le décideur de l’ERAR doit examiner le risque lié au pays dans lequel le demandeur est renvoyé. L’agent des renvois de l’ASFC détermine le pays de renvoi conformément à l’article R241.
Si le décideur de l’ERAR n’est pas certain du pays de renvoi ou s’il se pose des questions concernant le pays de renvoi choisi (par exemple, la CISR a conclu que le demandeur était exclu en vertu de la section E de l’article premier de la Convention relative au statut de réfugié et que des éléments indiquent que son statut dans le pays visé à la section E de l’article premier est toujours valide), il doit discuter du cas avec son gestionnaire pour voir si ce dernier devrait demander des précisions à l’ASFC concernant le pays de renvoi et si le demandeur a été informé en conséquence du pays vers lequel il est renvoyé. Le décideur ne doit pas procéder à l’évaluation des risques avant d’en avoir discuté avec son gestionnaire.
Dans certaines circonstances, un agent peut devoir tenir compte du risque dans le pays de nationalité ou de résidence habituelle, même s’il ne s’agit pas du pays de renvoi, en plus de tenir compte du risque dans le pays de renvoi. Par exemple, cela peut être nécessaire dans les cas où le demandeur est apatride ou dans les cas où, conformément à l’article L98, un décideur doit évaluer si la section E de l’article premier de la Convention s’applique. Dans tous les cas, avant de procéder à l’évaluation du risque d’un pays qui n’est pas le pays de renvoi, le gestionnaire doit demander une orientation en envoyant une demande à la Direction générale de l’asile (DGA).
Pays de nationalité ou de citoyenneté ou de résidence habituelle
Les définitions de « réfugié au sens de la Convention » et de « personne à protéger » limitent l’octroi de l’asile aux personnes qui se trouvent à l’extérieur de leur pays d’origine. Ces définitions établissent des distinctions entre les personnes ayant une nationalité et les personnes qui n’en ont pas. Ces dernières peuvent demander une protection internationale lorsqu’elles se trouvent à l’extérieur du pays dans lequel elles avaient leur résidence habituelle. Dans le cas où le demandeur possède plusieurs nationalités, le décideur doit examiner la nécessité d’une protection relativement à tous les pays de nationalité pour que la demande puisse être approuvée. Si le demandeur n’encourt pas de risque dans l’un des pays dont il a la nationalité, la demande doit être rejetée conformément aux articles L96 et L97. Selon l’arrêt Martinez Cabrales c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1178 au paragraphe 53 :
[53] […] La Cour a déjà statué que dans le cas des personnes ayant la double nationalité, la SPR peut à juste titre refuser d’analyser un pays de référence secondaire lorsqu’elle ne constate aucun risque dans le premier de ces pays : Harris c. Canada (MCI), 1997 CanLII 5567.
Ce principe s’applique même si le demandeur n’est jamais entré ou n’a jamais vécu dans l’un de ses pays de nationalité.
Lorsque le demandeur peut se réclamer de la citoyenneté d’un autre pays, il doit entreprendre les démarches pour l’acquérir et on lui refusera l’asile s’il est démontré qu’il a le pouvoir d’acquérir cette autre citoyenneté. Si la multiplicité des nationalités est un enjeu et que cet enjeu n’a pas été soulevé lors de la décision sur la demande d’asile, le demandeur doit avoir la possibilité d’évoquer cet enjeu et d’obtenir des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés dans ses observations. Les décideurs doivent respecter l’équité procédurale tout au long du processus pour s’assurer que le demandeur a eu l’occasion de répondre.
L’expectative d’acquérir une citoyenneté possible correspond à la situation d’une personne qui doit renoncer à la citoyenneté dans le pays de persécution pour acquérir la citoyenneté dans un autre pays. Pour l’ERAR, la personne doit être réputée citoyen du pays dont lequel elle réclame la citoyenneté. Le principe opératoire consiste à déterminer s’il est du pouvoir du demandeur d’obtenir la citoyenneté de droit pour autant que les procédures établies sont suivies. Comme l’a statué la Cour fédérale dans l’arrêt Lobsang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 131 aux paragraphes 27 et 28:
[27] Le fardeau incombe au demandeur d’établir que l’accès à la citoyenneté échappe à son contrôle : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Williams, 2005 CAF 126, aux paragraphes 21, 22 et 27 [Williams]; Tretsetsang, aux paragraphes 6, 7 et 67.
[28] Lorsque la citoyenneté d’un autre pays est accessible, il est attendu que les demandeurs d’asile tentent de l’acquérir. Cette approche est conforme au principe selon lequel la protection internationale doit servir de protection auxiliaire et que le seul motif valable pour un réfugié potentiel de ne pas vouloir se prévaloir de la protection d’un pays dont il a la nationalité est fondée sur une crainte de persécution dans ce pays : Williams, au paragraphe 27; Tretsetsang, aux paragraphes 68 à 71.
En ce qui concerne les apatrides qui ont plusieurs pays de résidence habituelle antérieurs, la Cour fédérale, dans l’arrêt Alhaddad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 655 au paragraphe 22, statue comme suit :
[22] La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Thabet énonce l’approche à appliquer pour trancher les demandes d’asile fondées sur la Convention présentées par les personnes apatrides qui ont résidé de façon habituelle dans plus d’un (1) pays :
[…]
Pour se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, une personne apatride doit démontrer, selon la probabilité la plus forte, qu’elle serait persécutée dans l’un ou l’autre des pays où elle a eu sa résidence habituelle et qu’elle ne peut retourner dans aucun d’eux.(Thabet, au paragraphe 30.)
Dans tous les cas, avant de procéder à l’évaluation du risque dans un pays qui n’est pas le pays de renvoi, le gestionnaire doit demander une orientation en envoyant une demande à la Direction générale de l’asile (DGA).
Réfugiés « sur place »
Les paragraphes 94 à 96 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié et principes directeurs sur la protection internationale (PDF, 2,7 Mo), énoncent ce qui suit :
94. La condition selon laquelle une personne doit se trouver hors de son pays pour être réfugié ne signifie pas qu’elle doive nécessairement avoir quitté son pays illégalement ni même qu’elle doive l’avoir quitté parce qu’elle éprouvait des craintes justifiées. Elle peut n’avoir décidé de demander la reconnaissance de son statut de réfugié qu’après avoir résidé à l’étranger pendant un certain temps. Une personne qui n’était pas réfugié lorsqu’elle a quitté son pays, mais qui devient réfugié par la suite, est qualifiée de réfugié « sur place ».
95. Une personne devient réfugié « sur place » par suite d’événements qui surviennent dans son pays d’origine pendant son absence. Des diplomates et autres fonctionnaires en poste à l’étranger, des prisonniers de guerre, des étudiants, des travailleurs migrants et d’autres personnes ont demandé la reconnaissance de leur statut de réfugié alors qu’ils résidaient à l’étranger et le statut de réfugié a été reconnu.
96. Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu’elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu’elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d’un examen approfondi des circonstances. En particulier, il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d’origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles.
Le concept de réfugié « sur place » se rapporte à la crainte fondée de persécution de la personne et doit donc être examiné aux termes de l’article L96. Un exemple de réfugié « sur place » serait une personne qui s’est convertie à une autre religion pendant qu’elle était au Canada et dont les adeptes de cette religion sont persécutés dans leur pays d’origine.