Comparaison des répondants immigrants et canadiens de naissance au World Values Survey (Canada)

6. Associations bénévoles

Les niveaux de confiance généralement élevés et plutôt similaires des trois groupes correspondent-ils, comme le prédit la théorie du capital social, à des taux de participation à des associations bénévoles élevés? Le WVS de 2006 comprend diverses questions qui permettent d'étudier cette hypothèse directement.

Le WVS demande aux répondants : « Pourriez-vous me dire si vous en êtes un membre actif, un membre inactif ou que vous n'êtes pas membre de ce type d'organisation? ». Les répondants doivent alors indiquer leur niveau d'engagement auprès d'associations de types variés, dont les associations religieuses ou paroissiales, les organisations sportives ou de loisirs, les organisations vouées aux arts, à la musique ou à l'éducation, les syndicats, les partis politiques, les organisations environnementales, les associations professionnelles, les organisations humanitaires ou caritatives, les organisations de consommateurs et les associations ethniques. Les résultats à cette question sont présentés au tableau 6-1.

Question : Pourriez-vous me dire si vous en êtes un membre actif, un membre inactif ou que vous n'êtes pas membre de ce type d'organisation? Le tableau présente les pourcentages de membres actifs.

Tableau 6-1 : Participation active à des organisations et à des associations
  Canadiens de naissance Immigrants de longue date Immigrants récents
Organisation religieuse ou paroissiale 27,3 % 37,6 % 23,7 %
Organisation sportive ou de loisirs 25,6 % 24,6 % 18,2 %
Organisation artistique, musicale ou éducative 19,9 % 21,8 % 20,5 %
Syndicat 13,7 % 8,8 % 5,7 %
Parti politique 4,9 % 5,4 % 2,1 %
Organisation environnementale 5,5 % 7,4 % 6,2 %
Association professionnelle 16,7 % 19,3 % 17,0 %
Organisation humanitaire ou caritative 20,6 % 26,2 % 13,7 %
Association de consommateurs 3,8 % 4,8 % 3,9 %
Association ethnique 2,7 % 10,8 % 13,5 %

N = 2 638
Source : World Values Survey de 2006.

Le degré de participation à des associations bénévoles est simplement mesuré par le nombre d'associations bénévoles dont une personne est membre. En général, on présume qu'une personne membre de nombreuses associations est moins isolée qu'une personne ne participant à aucune association ou participant à quelques associations seulement.

Les données montrent, dans l'ensemble, que les immigrants récents sont membres d'associations bénévoles en moins grande proportion que les autres groupes (figure 6-1). Quelque 42,6 % des immigrants récents ne sont membres d'aucun des dix types d'associations bénévoles, comparativement à 28,0 % des immigrants de longue date et à 36,7 % des Canadiens de naissance (tableau 6-2). Par contre, on remarque que la tendance chez les immigrants récents connaît une exception : les membres d'associations ethniques y sont proportionnellement plus nombreux que chez les immigrants de longue date et les Canadiens de naissance.

Tableau 6-2 : Membres actifs dans des associations bénévoles
  Canadiens de naissance Immigrants de longue date Immigrants récents
Trois associations et plus 20,6 % 25,7 % 16,3 %
Deux associations 17,8 % 19,3 % 16,1 %
Une association 24,9 % 27,0 % 25,1 %
Aucune association 36,7 % 28,0 % 42,6 %
Total 100,0 % 100,0 % 100,0 %
  (n =  1 779) (n = 300) (n = 566)

N = 2 645
Source : World Values Survey de 2006.

Figure 6-1 : Membres actifs dans des associations bénévoles

Figure 6-1 : Membres actifs dans des associations bénévoles
Version texte : Membres actifs dans des associations bénévoles
  Canadiens de naissance Immigrants de longue date Immigrants récents
Religieuse ou
paroissiale
27,3 % 37,6 % 23,7 %
Sportive ou
de loisirs
25,6 % 24,6 % 18,2 %
Artistique, musicale
ou éducative
19,9 % 21,8 % 20,5 %
Syndicale 13,7 % 8,8 % 5,7 %
Politique 4,9 % 5,4 % 2,1 %
Environnementale 5,5 % 7,4 % 6,2 %
Professionnelle 16,7 % 19,3 % 17,0 %
Humanitaire
ou caritative
20,6 % 26,2 % 13,7 %
De consommateurs 3,8 % 4,8 % 3,9 %
Ethnique 2,7 % 10,8 % 13,5 %

Source: World Values Survey de 2006

Les immigrants récents ne sont pas tellement « grégaires » dans l'ensemble, mais leurs penchants associatifs tendent à se manifester dans des cadres prévisibles : ceux où les difficultés d'interaction sont à leur minimum. De fait, des études précédentes fondées sur les données du WVS ont déterminé que les nouveaux immigrants conservent leurs expériences « prémigratoires », ce qui inhibe leur adaptation initiale à leur nouveau pays (Bilodeau et Nevitte, 2007).

Il est aussi parfaitement possible que des facteurs structurels entravent la participation à des associations. L'analyse des expériences d'intégration des immigrants au processus politique en Europe montre que certains facteurs structurels constituent des obstacles majeurs à la participation sociale et politique des immigrants, donc à leur participation à des associations bénévoles (Bäck et Soininen, 1998). Ces obstacles comprennent les différences culturelles et linguistiques : les immigrants risquent plus que les autres d'éprouver des problèmes de langue nuisant à leur participation. De plus, ils se trouvent souvent au bas de l'échelle socioéconomique (Schmitter, 1980). Les nouveaux immigrants doivent composer avec une plus grande insécurité économique que les autres groupes et ces préoccupations prennent le pas sur la participation à des associations bénévoles, du moins à court terme.

Une analyse multivariée permet de déterminer quels facteurs structurels font obstacle à la participation à des associations bénévoles. Le degré de participation active à des associations bénévoles, dans ce calcul, tient lieu de variable dépendante. Six indicateurs, dont quatre de nature socioéconomique, sont pris en compte comme variables indépendantes. La confiance est représentée au moyen de l'indice de confiance interpersonnelle et de l'indice de confiance généralisée. La scolarité et le revenu peuvent être des obstacles importants à la participation à des associations bénévoles et sont donc inclus. La connaissance de la langue de la majorité (le français au Québec et l'anglais dans le reste du Canada) est aussi importante, car les personnes qui ne parlent pas la langue de la majorité sont moins actives dans des associations bénévoles. L'âge pourrait logiquement jouer un rôle, comme les personnes les plus âgées auront eu plus de temps pour s'engager dans des activités associatives que les personnes les plus jeunes (Knoke et Thomson, 1977).

Tableau 6-3 : Facteurs déterminants de la participation à des associations bénévoles
  Canadiens de naissance Immigrants de longue date Immigrants récents
  B ET B ET B ET
Confiance interpersonnelle 0,381 0,229 -0,325 0,680 0,928 0,529
Confiance généralisée 0,573 à p < 0,01 0,189 0,121 0,518 0,017 0,409
Âge 0,077 0,107 -0,061 0,268 -0,044 0,313
Revenu 0,527 à p < 0,01 0,085 0,651 à p < 0,01 0,205 0,073 0,168
Connaissance de la langue officielle -0,158 0,129 0,210 0,181 0,208 0,134
Scolarité 0,470 à p < 0,01 0,080 0,453 à p < 0,05 0,205 -0,997 à p < 0,01 0,303
Constante 0,260 à p < 0,01 0,072 0,253 0,190 0,072 0,140
R2 ajusté 0,015   0,018   0,044  
N 1 410   233   477  

Source : World Values Survey de 2006.

Les facteurs qui déterminent ou qui entravent la participation à des associations bénévoles varient selon le groupe, comme le montre le tableau 6-3. Chez les Canadiens de naissance et les immigrants de longue date, le niveau de scolarité et le revenu constituent les principaux facteurs prédictifs de la participation à des associations. Plus le niveau de scolarité et le revenu sont élevés, plus grand est le nombre d'associations dont la personne est membre. De plus, les effets sont répartis selon le modèle supposé, puisque le coût relatif de la participation est plus bas pour ceux qui ont davantage de ressources. Le niveau de confiance généralisée est corrélé à la participation chez les Canadiens de naissance, mais pas chez les immigrants de longue date. En vérité, aucun des facteurs n'est significativement relié à la participation de ces derniers.

Les résultats les plus révélateurs, cependant, concernent les immigrants récents. Le principal facteur (parmi ceux dont il était tenu compte) prédisant la participation à des associations bénévoles des immigrants récents est le niveau de scolarité. Étonnamment, le niveau de scolarité a un effet contraire aux prévisions : plus le niveau d'éducation est élevé, moins les immigrants récents participent à des associations bénévoles, à l'inverse des Canadiens de naissance et des immigrants de longue date.

Certains supposent que ces résultats contre-intuitifs pourraient s'expliquer par le problème de la reconnaissance des diplômes qui frappe les nouveaux immigrants, soit les obstacles à la mobilité de la main-d'œuvre (Bauder, 2003). Les immigrants dont les diplômes ne sont pas reconnus ont moins de chances d'occuper des postes de gestion, ou même d'être employés dans leur domaine d'études (Boyd et Thomas, 2001). Cette interprétation reste spéculative. On remarque toutefois que seulement 27,9 % des immigrants récents occupent un rôle de supervision au travail, comparativement à 39,1 % des Canadiens de naissance et à 50,8 % des immigrants de longue date. De plus, seulement 34,7 % des immigrants récents qui ont fait des études universitaires déclarent qu'ils ont été en mesure d'économiser de l'argent au cours de la dernière année, comparativement à 40,9 % des Canadiens de naissance et à 42,9 % des immigrants de longue date. Les tendances en matière de participation aux associations sont essentiellement les mêmes chez les immigrants de longue date et les Canadiens de naissance.

6.1. Discussion

L'analyse effectuée ici révèle que les immigrants et les Canadiens de naissance présentent des différences sur plusieurs aspects. Ces différences peuvent être résumées comme suit :

Situation socioéconomique

  • Les immigrants récents sont plus jeunes et proportionnellement plus nombreux à avoir fait des études postsecondaires que les immigrants de longue date et les Canadiens de naissance.
  • Les immigrants récents ont une plus faible probabilité d'avoir un revenu élevé et de se situer dans la classe moyenne ou supérieure.
  • Les immigrants récents sont plus nombreux à être mariés et ont généralement moins d'enfants que les autres Canadiens.

Religion

  • Les immigrants récents se disent moins souvent « religieux » que les immigrants de longue date et les Canadiens de naissance.
  • Les immigrants originaires d'Asie de l'Est et les immigrants ayant le moins d'enfants sont ceux qui se déclarent religieux en moins grande proportion.
  • Les immigrants récents sont ceux qui s'adonnent le plus à des pratiques religieuses et spirituelles non institutionnelles, mais cette spiritualité ne se traduit pas en participation accrue aux offices religieux institutionnels.

Immigration et citoyenneté

  • Une proportion nettement plus importante de Canadiens de naissance que d'immigrants récents prône des exigences strictes en matière d'immigration. Les Canadiens de naissance sont aussi proportionnellement moins nombreux à considérer favorablement la diversité culturelle. Ce sujet devrait faire l'objet d'analyses plus poussées.
  • Les Canadiens de naissance les plus instruits et les plus satisfaits de leur vie appuient la diversité culturelle en plus grande proportion que les autres.
  • La proportion des immigrants récents qui soutient la diversité culturelle augmente avec l'âge et avec le niveau de scolarité.
  • La proportion des Canadiens de naissance qui pensent que les immigrants sont mieux traités que les autres Canadiens est dix fois celle des immigrants récents et deux fois celle des immigrants de longue date. Cette question également devrait faire l'objet d'analyses approfondies.

Identité

  • Les immigrants récents s'identifient fortement à toute collectivité en moins grande proportion que les autres groupes. Par contre, ils sont proportionnellement plus nombreux à se voir comme des « citoyens du monde ».

Confiance

  • Les immigrants récents affichent un niveau de confiance interpersonnelle inférieur à celui des immigrants de longue date et des Canadiens de naissance. Il n'existe aucun écart significatif entre les trois groupes en matière de confiance généralisée.
  • Les immigrants récents font sensiblement plus confiance à leur propre groupe ethnique (« entièrement confiance » ou « un peu confiance » = 75,1 %) qu'aux autres groupes ethniques (« entièrement confiance » ou « un peu confiance » = 66,9 %).

Associations bénévoles

  • La proportion des immigrants récents qui sont membres d'une association bénévole est nettement inférieure à celle des autres groupes.
  • Les immigrants récents participent activement à des associations ethniques en proportion considérablement supérieure aux autres groupes.
  • Contrairement aux attentes, la corrélation entre le niveau de scolarité atteint et la participation à des associations chez les immigrants récents est négative. Chez les Canadiens de naissance et les immigrants de longue date, le niveau de scolarité atteint et le revenu sont positivement corrélés à la participation à des associations.

La situation socioéconomique des immigrants récents diffère sensiblement de celle du reste de la population. Ils sont jeunes, très instruits et partagent bon nombre des valeurs du reste de la société. Le présent rapport s'est surtout concentré sur les facteurs structurels, qui semblent bel et bien expliquer en partie beaucoup de différences et de similarités observées entre les immigrants et les Canadiens de naissance.

Les résultats montrent que la durée d'exposition a une influence. Plus les immigrants vivent longtemps au Canada, plus ils deviennent « intégrés », c'est-à-dire que leurs perspectives se rapprochent de celles des Canadiens de naissance. De fait, dans l'ensemble de l'étude, les caractéristiques des immigrants de longue date se situent entre celles des Canadiens de naissance et celles des immigrants récents. D'autres analyses menées sur les données du WVS appuient cette conclusion : Bilodeau, White et Nevitte (2005) révèlent que l'effet de clivage social créé par l'immigration est limité et passager. Ces tendances s'appliquent à l'engagement dans des associations bénévoles et à des mesures plus formelles de la participation, comme les habitudes de vote (voir White et coll., 2008).

L'analyse soulève des questions dans au moins deux domaines où les immigrants et les Canadiens de naissance sont significativement différents. D'abord, quelles sont les causes et les conséquences précises des divergences de point de vue sur la diversité culturelle entre immigrants et Canadiens de naissance? Les Canadiens de naissance sont-ils de plus en plus opposés à l'immigration? Ensuite, pourquoi les immigrants récents, même les plus instruits, sont ils moins « grégaires »? Également, pourquoi la scolarité est-elle associée à une participation associative accrue chez les Canadiens de naissance et les immigrants de longue date, alors que c'est le contraire chez les immigrants? Ces questions pourraient avoir des répercussions importantes sur les politiques d'immigration du Canada, aussi méritent-elles d'être étudiées davantage.

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