Chapitre 17 – Les groupes vulnérables

17.1 Introduction

Comme il a été mentionné au chapitre 7, l’efficacité, l’efficience et la légitimité du système de cours martiales sont compromises par la façon dont celui-ci tient compte des besoins des victimes, des contrevenants autochtones et des jeunes.

Le présent chapitre présente brièvement plusieurs initiatives visant à répondre aux besoins spéciaux de trois groupes susceptibles d’interagir avec le système de cours martiales : les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones. Contrairement aux chapitres précédents, le présent chapitre contient certaines propositions concernant ces groupes, qui pourraient être mises en œuvre dans le système de cours martiales en vue d’en accroître l’efficacité, l’efficience et la légitimité.

17.2 Des droits et des services comparables à ceux dont bénéficient les victimes dans le système civil

La LDN contient actuellement très peu de dispositions concernant les victimes. Plusieurs des procédures et processus destinés à aider et à protéger les victimes, lesquels existent depuis des années sous forme législative au sein du système de justice pénale civil, ne sont pas actuellement ainsi réglementés dans le système de cours martiales. Par exemple, le pouvoir de prononcer une ordonnance d’interdiction de publication peut être exercé, en vertu du Code criminel, dans maintes situations et à l’égard de nombreuses infractions,1 mais ce pouvoir n’est pas expressément prévu dans la LDN. La LDN ne leur conférant pas expressément ce pouvoir, les juges militaires s’appuient sur le paragraphe 179(1) de la LDN pour s’octroyer le pouvoir de common law de rendre des ordonnances d’interdiction de publication.2

De la même façon, il convient de traiter de questions telles que la « protection des victimes de viol » et la communication des documents des victimes détenus par des tiers en recourant aux principes de common law, étant donné que la LDN ne renferme aucune disposition semblable à l’article 276 (et suiv.) du Code criminel. En outre, l’article 278.1 (et suiv.) du Code criminel établit un processus détaillé pour la protection des dossiers de tiers (c.-à-d. les dossiers qui ne sont pas en la possession ou sous la responsabilité de la Couronne) qu’un accusé cherche à consulter, comme le dossier médical ou psychiatrique d’un plaignant dans une affaire d’agression sexuelle. Ce régime législatif, qui a été adopté en réponse à l’arrêt de la CSC R. c. O’Connor,3 prévoit un processus en deux étapes quelque peu différent de celui proposé par la CSC dans O’Connor. La LDN ne prévoit aucun régime équivalent, ce qui signifie qu’un juge militaire qui applique la common law (tel qu’il a été établi par la CSC dans O’Connor) en cour martiale suivra un processus différent de celui que le législateur a jugé qu’il convenait mieux au système de justice pénale civil, lorsqu’il a adopté l’article 278.1 (et suiv.) du Code criminel. Les différences entre ces processus – dont l’application vise généralement à aider et à protéger les victimes et les plaignants – pourraient donner l’impression que le système de cours martiales est moins équitable et moins intelligible que le système de justice pénale civil.

Lorsque le projet de loi C-15 entrera en vigueur, plusieurs de ses dispositions conféreront aux victimes d’infractions militaires des droits procéduraux particuliers. La déclaration de la victime permettra aux victimes d’infractions, en particulier celles qui ont subi un préjudice financier et émotionnel important, de s’exprimer dans le cadre du processus de détermination de la peine. La cour martiale aura le pouvoir de prononcer à l’encontre des contrevenants des ordonnances de dédommagement dans les cas où la victime a subi des dommages matériels, la perte de biens ou des blessures corporelles ou psychologiques. La disposition prévue à cet effet permettra aux victimes d’infractions d’ordre militaire d’obtenir un dédommagement sans avoir à intenter une action devant les tribunaux civils.

En dépit des changements positifs qu’apportera la mise en œuvre du projet de loi C-15 pour ce qui est d’aider et de protéger les victimes, les procédures et processus du système de cours martiales ne seront quand même pas aussi centrés sur les victimes que ceux du système de justice pénale civil.

L’ERGCM estime que l’efficacité et la légitimité du système de cours martiales seraient renforcées si les victimes d’infractions militaires avaient, à tout le moins, les mêmes droits que ceux dont bénéficient les victimes au sein du système de justice pénale civil du Canada et si elles avaient accès à des ressources jugées, pour le moins, aussi profitables que celles qui y sont offertes.4

L’ERGCM constate que les droits des victimes relevant du système de cours martiales refléteraient ceux conférés aux victimes dans le système de justice pénale civil si une mesure législative semblable au projet de loi C-71 (voir l’hypothèse no 1 au chapitre 1) était adoptée. Un tel projet de loi permettrait la création d’une « Déclaration des droits des victimes », qui accorderait aux victimes d’infractions militaires relevant du système de cours martiales le droit à l’information, le droit de participation, le droit à la protection et le droit au dédommagement. Ce projet de loi conférerait également aux juges militaires le pouvoir de rendre des ordonnances de protection des droits des victimes, comme des ordonnances de non-communication, de ordonnances de non-publication, des ordonnances autorisant la présence de personnes de confiance lors du procès et des ordonnances interdisant à l’accusé de procéder lui-même au contre-interrogatoire d’un témoin, qui ressemblent aux droits fondamentaux que garantit aux victimes de certaines infractions criminelles le système de justice civil. L’ERGCM estime qu’il serait possible d’accroître l’équité perçue du système de cours martiales en conférant aux victimes, au sein de ce dernier, des droits semblables à ceux qui leur auraient été conférés grâce à l’adoption du projet de loi C-71.

De plus, la mise en œuvre de deux autres aspects du projet de loi C-71 (ou de toute initiative semblable) pourrait accroître l’efficacité, et renforcer la perception d’équité et de transparence du système de cours martiales à l’égard des victimes. En premier lieu, pour que les victimes soient correctement informées de leurs droits et qu’elles puissent être en mesure de les exercer, le projet de loi permettrait aux victimes de demander les services d’un ALV pour les aider à comprendre comment les auteurs d’infractions militaires sont accusés, poursuivis et jugés sous le régime du CDM. L’ALV aiderait également les victimes à obtenir les renseignements qu’elles demandent et auxquels elles ont droit. Ce rôle propre au système de cours martiales pourrait avoir une incidence positive sur la perception des victimes quant au niveau d’équité et de transparence du système.

En deuxième lieu, le projet de loi permettrait la présentation d’une déclaration sur les répercussions militaires lors de la détermination de la peine d’un contrevenant, de sorte que les membres de la chaîne de commandement des FAC puissent décrire le préjudice que l’infraction a causé en ce qui a trait à la discipline, à l’efficacité ou au moral des troupes des FAC. La déclaration sur les répercussions militaires serait une déclaration distincte de celle faite au nom d’une collectivité, qui pourrait également être présentée, mais qui porterait plutôt sur la perte ou le préjudice subi par une collectivité à la suite d’une infraction. Cette déclaration aurait donc une incidence négligeable sur la production de résultats en temps opportun, tout en procurant des avantages marqués sur le plan de l’efficacité et de la légitimité.

Il est possible que l’introduction de la déclaration de la victime, de la déclaration sur les répercussions militaires, de la déclaration au nom d’une collectivité et de diverses ordonnances entraîne, au départ, une diminution de la production de résultats en temps opportun. Toutefois, on estime qu’à long terme, ces déclarations et ces ordonnances pourraient devenir une pratique courante et familière pour les intervenants du système de cours martiales.

En outre, l’ERGCM estime que l’introduction de ces outils pourrait accroître la production de résultats justes et appropriés et permettre au système de cours martiales de démontrer convenablement que la collectivité condamne les inconduites commises par les militaires puisqu’un plus grand éventail de points de vue seraient présentés au juge lors de la détermination de la peine. De plus, le soutien supplémentaire offert aux victimes (par l’entremise de l’ALV) permettrait de préparer plus efficacement ces dernières au défi souvent de taille que témoigner dans le cadre d’un procès criminel représente, ce qui aiderait les juges à prendre des décisions éclairées.

En outre, l’ERGCM constate que l’EISF-IS, le responsable de l’examen externe et le CIIS des FAC ont proposé des changements pertinents concernant la mise sur pied d’un Programme de liaison d’aide aux victimes qui permettrait à celles-ci de bénéficier du soutien constant d’un personnel ayant suivi une formation spécifique, au fur et à mesure que leur cas évolue dans le système de soins de santé civil ou militaire ou de la police militaire, ainsi que dans le processus judiciaire.5 Advenant la mise sur pied d’un Programme de liaison d’aide aux victimes, l’intégration du rôle de l’ALV à ce programme pourrait favoriser une utilisation efficiente des ressources humaines, aider les victimes à mieux comprendre le système de cours martiales et optimiser leur interaction avec ce dernier, ce qui améliorerait la transparence et l’intelligibilité perçues du système. En outre, l’intégration à ce programme du rôle de l’ALV pourrait faciliter la communication entre les procureurs et les victimes, ce qui devrait améliorer la perception d’équité à l’égard des victimes et permettre la production de résultats plus justes et plus appropriés.6

L’ERGCM constate également que, même si le signalement et l’examen des plaintes dépassent le cadre de la présente révision, l’ajout d’options de signalement pour les victimes – afin d’intégrer des concepts comme « le signalement restreint et non restreint »,”7 – pourrait accroître l’intelligibilité du système de justice militaire dans son ensemble. Cela pourrait s’expliquer par le fait que le « signalement restreint et non restreint » permettrait aux victimes que des éléments de preuve soient recueillis sous couvert de l’anonymat, sans qu’une enquête policière soit nécessairement tenue, tout en leur réservant le droit de déposer une plainte officielle. En dernier lieu, l’ERGCM estime que l’établissement d’un réseau de soutien par les pairs, tel qu’il a été proposé par les groupes d’intervenants susmentionnés, qui offrirait aux victimes un environnement sécuritaire, au sein duquel ces dernières pourraient obtenir le soutien d’autres personnes qui ont vécu des expériences similaires au sein des FAC,8 permettrait de fournir des services semblables à ceux offerts dans le système de justice pénale civil, ce qui rendrait le système de cours martiales plus familier et plus compréhensible.

Il convient de noter qu’en vertu de la réglementation actuelle, les membres des FAC sont tenus de signaler toute violation de la loi commise par une personne assujettie au CDM.9 Cette réglementation est susceptible de faire obstacle à la mise en œuvre de l’option de signalement « restreint » et « non restreint ». Pour contrer cet obstacle et respecter la confidentialité des victimes, une règle législative en matière de privilège pourrait être adoptée afin que les « pairs » qui offrent un soutien aux victimes ne soient pas tenues de dénoncer la situation, de témoigner ou de fournir des renseignements concernant leurs communications avec les victimes, à moins que cela ne soit dans l’intérêt supérieur du public.

La plupart des initiatives ci-dessus permettraient également d’encourager le signalement; les mesures nécessaires pourraient ainsi être prises au sein du système de cours martiales pour mettre fin aux actes de violence et aux actes criminels. Comme l’a indiqué l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels :

Si l’expérience des victimes au sein du système de justice militaire est telle que celles-ci se sentent marginalisées ou moins protégées que le Canadien moyen, elles peuvent hésiter à dénoncer. Une telle hésitation peut contribuer à instaurer une culture de non-dénonciation d’actes criminels et risque de continuer de faire un grand nombre de victimes. Un système équitable et respectueux des besoins et des préoccupations des victimes peut les inciter à dénoncer : les FAC peuvent ainsi être informées des actes de violence et des actes criminels perpétrés au sein de leurs rangs, et avoir la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin.10

La plupart de ces initiatives pourraient améliorer la transparence et l’intelligibilité du système de cours martiales, car des règles claires régiraient le soutien offert aux victimes, au lieu des tentatives ponctuelles faites par les juges qui usent de leurs pouvoirs implicites. Le système de cours martiales pourrait ainsi être perçu par le grand public et les membres des FAC comme étant plus familier et plus compréhensible et être plus défendable auprès d’eux.

Bien qu’il ait été proposé à l’ERGCM d’offrir du soutien aux victimes par l’entremise d’un avocat,11 et même si l’ERGCM constate qu’une telle initiative a été mise en œuvre au sein du système de cours martiales américain,12 elle estime que cette initiative, qui serait nouvelle et unique en droit canadien et qui pourrait effectivement changer la nature même du procès criminel, freinerait potentiellement la production de résultats en temps opportun et pourrait nuire à l’équité et à la légitimité des procédures judiciaires accusatoires.13

17.3 Introduire une considération en matière de détermination de la peine applicable aux contrevenants autochtones équivalente à celle énoncée dans le Code criminel

Actuellement, aucune disposition de la LDN ne concerne spécifiquement les contrevenants autochtones. Bien que le projet de loi C-15 énonce les objectifs essentiels de la détermination de la peine,14 de même que les buts et les principes qui sous-tendent cette dernière et qui rejoignent à bien des égards les dispositions équivalentes du Code criminel, il n’intègre pas le libellé de l’alinéa 718.2e) du Code criminel, qui exige du tribunal qu’il examine, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances.15

L’ERGCM estime que l’introduction, dans le système de cours martiales, d’une considération en matière de détermination de la peine applicable aux contrevenants autochtones qui équivaudrait, à tout le moins, à celle prévue dans le système de justice pénale civil du Canada,16 permettrait d’accroître l’efficacité et la légitimité du système de cours martiales.

L’alinéa 718.2e) vient modifier la méthode d’analyse que les juges doivent utiliser pour déterminer la peine appropriée dans le cas d’un délinquant autochtone. L’alinéa 708.2e) invite les juges à aborder la détermination de la peine à infliger à de tels délinquants d’une façon individualisée, mais différente parce que la situation des Autochtones est particulière. En déterminant la peine à infliger à un délinquant autochtone, le juge doit examiner : a) les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux; b) les types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées à l’égard du délinquant en raison de son héritage ou attaches autochtones.17

Pour l’application du paragraphe 179(1) de la LDN, les principes qui sous-tendent l’alinéa 718.2e) ont été invoqués en cour martiale. Dans la décision R. c. Levi-Gould, le juge militaire, qui a ordonné le dépôt d’un rapport présentenciel de type « Gladue », a affirmé que [traduction] « refuser l’examen du statut autochtone reviendrait à refuser ce que les tribunaux ont reconnu comme étant une exigence essentielle pour l’imposition de sanctions justes non discriminatoires ».18

L’ERGCM estime que l’introduction, dans le système de cours martiales, d’une considération semblable à celle de l’alinéa 718.2e) du Code criminel permettrait d’améliorer la production de résultats justes et appropriés en matière de détermination de la peine du fait qu’au moment de déterminer la peine à imposer à un militaire autochtone, le juge serait obligé de tenir compte de la situation particulière des contrevenants autochtones.

Dans l’arrêt Gladue, la CSC a souligné l’importance de l’alinéa 718.2e) du Code criminel dans le processus de détermination de la peine :

La détermination de la peine exige la sensibilisation aux difficultés auxquelles les autochtones ont fait face dans le système de justice pénale et dans la société en général. Procédant à l’examen de ces circonstances au regard des buts et des principes de détermination de la peine énoncés à la partie XXIII du Code criminel et reconnus par la jurisprudence, le juge doit s’efforcer d’en arriver à une peine juste et appropriée dans les circonstances. Sous le régime de l’al. 718.2e) , les juges ont la latitude et le pouvoir discrétionnaire voulus pour examiner, dans les circonstances qui s’y prêtent, les peines substitutives appropriées pour le délinquant autochtone et la communauté, tout en respectant l’objectif et les principes énoncés de détermination de la peine.19

En outre, l’ERGCM estime également que l’introduction d’une considération semblable à celle de l’alinéa 718.2e) permettrait d’accroître les possibilités de réadaptation des militaires qui commettent des inconduites. Comme l’a indiqué la CSC dans l’arrêt Gladue, la disposition met l’accent sur « les objectifs correctifs que sont la réparation des torts subis par les victimes individuelles et l’ensemble de la collectivité, l’éveil de la conscience des responsabilités, la reconnaissance du tort causé et les efforts de réinsertion sociale ou de guérison du délinquant ».20

L’ERGCM estime également que l’introduction d’une telle considération permettrait une meilleure harmonisation du système de cours martiales avec le système de justice pénale civil, ce qui permettrait d’accroître l’équité et l’intelligibilité perçues du système de cours martiales. Étant donné que les contrevenants militaires d’origine autochtone bénéficieraient une considération à tout le moins équivalente à celle accordée dans le système de justice pénale civil, cette modification permettrait probablement d’accroître l’équité réelle et perçue du système. Qui plus est, s’il reprenait le modèle familier et compréhensible du système de justice pénale civil, le système de cours martiales serait également plus facilement défendable, ce qui pourrait ultimement aider à en accroître l’intelligibilité.

Enfin, l’introduction d’une considération semblable à celle de l’alinéa 718.2e) pourrait améliorer la transparence du système de cours martiales du fait que des règles claires devraient y être respectées au lieu que le modèle établi à cet égard ne soit appliqué que de façon ponctuelle, comme cela a été le cas dans l’affaire Levi-Gould, où les principes Gladue ont été mis en application.

17.4 Infractions civiles de droit commun : les jeunes devraient être jugés par les tribunaux civils, en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents21

À l’heure actuelle, la LDN ne comporte aucune disposition précise sur les jeunes contrevenants. Le CDM s’applique aux jeunes dans les cas où ils y sont assujettis,22 ce qui signifie qu’ils peuvent être traduits devant une cour martiale comme tout autre accusé ou contrevenant adulte. Ce processus diffère de celui qui s’applique aux jeunes dans le système civil, où la LSJPA régit la façon dont sont traitées les infractions commises au Canada par des jeunes âgés de 12 à 17 ans.

Plus précisément, la LSJPA crée un système de justice distinct pour les jeunes contrevenants, étant entendu que « le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes, [et] être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée […] ».23

La LSJPA reconnaît que les jeunes et le système de justice pénale doivent faire l’objet de considérations particulières et que le Canada est partie à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies,24 laquelle prévoit des mesures spéciales de protection des droits et libertés des enfants25.Il est indiqué dans les dispositions de la LSJPA que cette dernière vise :

  1. [...] à prévenir le crime par la suppression des causes sous-jacentes à la criminalité chez les adolescents, à les réadapter et à les réinsérer dans la société et à assurer la prise de mesures leur offrant des perspectives positives en vue de favoriser la protection durable du public [...];26

Reconnaissant ces besoins particuliers, la LSJPA prévoit diverses mesures qui ne sont pas offertes dans le système de cours martiales. Par exemple, des mesures extrajudiciaires, comme des avertissements et des renvois, permettent de déjudiciariser certains types d’inconduite. De plus, si un jeune contrevenant est condamné en vertu de la LSJPA, il faut tenir compte des restrictions applicables au placement sous garde27 et envisager des solutions de rechange à la détention.28

Compte tenu des facteurs particuliers à considérer à l’égard des jeunes, l’ERGCM estime que le système de cours martiales s’en trouverait amélioré si le système de justice pénale civil avait compétence pour juger les infractions civiles commises par des jeunes, au Canada ou à l’étranger, à moins que des considérations opérationnelles urgentes exigent le recours au système de cours martiales. De cette façon, la LSJPA s’appliquerait aux jeunes contrevenants.

Permettre que les jeunes contrevenants soient jugés en vertu de la LSJPA pourrait favoriser la réadaptation des jeunes militaires qui commettent des inconduites et justifier raisonnablement la condamnation par la collectivité des inconduites commises par ces derniers, étant donné que certains types d’inconduites ne seraient pas jugés dans le système de cours martiales, que d’autres types de peines que celles actuellement prévues dans le CDM pourraient être imposées aux jeunes contrevenants et que les facteurs particuliers à considérer en ce qui a trait aux jeunes contrevenants et à la criminalité chez les jeunes seraient reconnus.

Pour les mêmes raisons, permettre au système de justice pénale civil d’avoir compétence favoriserait probablement la production de résultats justes et appropriés. De plus, comme la LSJPA a donné lieu à l’établissement de tribunaux spéciaux ayant compétence à l’égard des mineurs, qui ont développé une expertise dans l’application de la LSJPA et l’utilisation des programmes et des services connexes, permettre aux jeunes assujettis au CDM de bénéficier de cette expertise améliorerait la production de résultats justes et appropriés.

Enfin, permettre aux jeunes assujettis au CDM d’être jugés en vertu de la LSJPA améliorerait probablement l’équité, la transparence et l’intelligibilité perçues du système de cours martiales. D’abord, la compétence ainsi conférée permettrait aux jeunes assujettis au CDM d’avoir accès aux mêmes procédures et ressources que celles auxquelles tous les jeunes ont droit en vertu de la LSJPA. Ensuite, prévoir explicitement une telle compétence pourrait accroître la transparence, car une règle claire et précise pourrait être appliquée, au lieu de procéder à une évaluation au cas par cas, afin de déterminer quel système, entre le système de cours martiales et le système de justice pénale civil, a compétence pour juger un jeune dans un cas donné. Enfin, veiller à ce que le cadre existant de la LSJPA, qui est plus familier et plus compréhensible, s’applique également aux jeunes assujettis au CDM rendrait ce dernier plus facilement défendable auprès du grand public et des membres des FAC que le maintien du statu quo au sein du système de cours martiales.


Notes de bas de page

1 Voir, par exemple, le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 486.4 et 486.5 (infractions d’ordre sexuel et bonne administration de la justice), art. 517 (audiences sur la mise en liberté provisoire par voie judiciaire), paragr. 631(6) [sélection des membres du jury] et art. 672.51 et 672.501 (troubles mentaux/audiences de la commission d’examen) [Code criminel].

2 Voir, par exemple, R. c. Rivas, 2011 CM 2012; voir également Société Radio-Canada c. Boland, [1995] 1 R.C.F. 323.

3 R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411..

4 Voir la section 4.3.1 (résumé des résultats) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus :

Plusieurs personnes ont fait des observations concernant les victimes d’infractions militaires et les droits de celles-ci au sein du système de justice militaire. Tous ces intervenants estimaient que dans un système de cours martiales, les victimes devraient avoir des droits équivalant, à tout le moins, à ceux conférés aux victimes dans le système de justice pénale civil au Canada et avoir accès à des ressources semblables à celles qui leur sont offertes. D’autres ont émis le souhait que dans le système des cours martiales les victimes bénéficient de ressources qui ne sont généralement pas offertes dans les systèmes civils – par exemple, une représentation légale gratuite dans certaines circonstances.

Voir la section 4.4.1 (ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus. La première recommandation de l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels est la suivante : « Harmoniser les droits des victimes prévus dans la Loi sur la défense nationale et dans la Charte canadienne des droits des victimes. » Voir également la section 4.5.4.2.2 (RHFC) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus : « [L]es victimes vulnérables [devraient avoir] droit aux protections prévues dans le Code criminel, notamment aux interdictions de publication, et [avoir] la possibilité d’obtenir de l’aide pour témoigner, par ex. en ayant accès à un système de télévision en circuit fermé au soutien de personnes de confiance. » Voir également la section 4.3.1 (résumé des résultats) du chapitre 4 (Consultations) : « Enfin, chaque fois que la question des besoins de groupes particuliers dans le système de cours martiales a été abordée, l’ERGCM n’a pas été étonnée que les intervenants indiquent à l’unanimité que le système de cours martiales doit, à tout le moins, accorder aux victimes les mêmes droits et les mêmes services que ceux offerts dans le système de justice pénale civil. »

5 Voir Canada, ministère de la Défense nationale, Forces armées canadiennes – Troisième rapport d’étape sur la lutte contre les comportements sexuels inappropriés, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 2017, p. 7. [CIIS] :

L’intervention d’experts en la matière à toutes les étapes du soutien aux victimes, incluant la responsabilité des efforts de défense au nom des victimes dans le cadre des processus de plainte et d’enquête faisait partie des recommandations de la responsable de l’examen externe (REE). La mise sur pied d’un Programme de liaison d’aide aux victimes nous assurerait que les victimes d’inconduite sexuelle pourront bénéficier du soutien d’un personnel ayant suivi une formation spécifique au fur et à mesure que leur cas évolue dans le système de soins de santé civil ou militaire ou de la police militaire, ainsi que dans le processus judiciaire. À l’heure actuelle, les victimes d’agression sexuelle au sein des FAC doivent se débrouiller elles-mêmes dans le réseau médical et le système de justice complexes tout en apprenant à composer avec le traumatisme vécu, puisqu’il n’existe aucun programme unique et complet de défense et d’aide destiné aux victimes des FAC pouvant les aider à suivre ou à traverser les nombreuses étapes suivant le signalement. Un Programme de liaison d’aide aux victimes réalisé avec l’aide des FAC reposerait sur l’éventail actuel des services de soutien offerts aux victimes d’agression sexuelle par l’entremise du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) et du Directeur des poursuites militaires, ainsi que de Gestion intégrée des conflits et des plaintes (GICP). Ce type de programme a démontré qu’il produit un effet positif et considérable sur les résultats des victimes d’un comportement sexuel dommageable et inapproprié, améliorant ainsi davantage l’aide et le soutien aux victimes et répondant à l’une des recommandations de la responsable de l’examen externe.

Voir également la section 4.4.3 (CIIS) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus :

Le CIIS a présenté un mémoire détaillé concernant la défense des droits des victimes dans le système de cours martiales. Il a constaté qu’à la recommandation 9 du rapport de la responsable de l’examen externe, on propose de confier à un organisme externe aux FAC « la responsabilité d’agir comme défenseur des victimes engagées dans le processus de traitement d’une plainte ou d’enquête ». Selon le CIIS, les victimes d’une infraction de nature sexuelle sont désavantagées dans le système de cours martiales par rapport à la majorité des membres de la société canadienne, dans la mesure où au sein de cette dernière [traduction] « la plupart des victimes ont accès à des services de représentation fournis par les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle ». Le CIIS a fait référence aux réformes dont les systèmes de justice militaire de l’Australie et des États-Unis ont récemment fait l’objet et a décrit à l’intention de l’ERGCM les rôles et les fonctions que pourraient assumer les défenseurs des droits des victimes, ainsi que les avantages potentiels de tels services.

Les services de défense des droits peuvent contribuer à réduire les obstacles de plusieurs façons : ils aident les victimes à composer avec la complexité du système médical et du système de justice pénale, ils évitent aux victimes de subir de nouveaux traumatismes et d’être victimisées de nouveau, ils rassurent et réconfortent les victimes et leur fournissent de l’information. Les défenseurs des droits des victimes contribuent aussi grandement à réduire les stigmates et les obstacles associés à la divulgation, comme le sentiment de honte et de culpabilité.

Des recherches indiquent que la défense des droits peut accroître les niveaux de satisfaction à l’égard du système médical et du système de justice pénale. Il a également été démontré qu’elle pourrait diminuer les risques que les victimes subissent de nouveaux traumatismes, ce qui pourrait réduire la probabilité qu’elles aient recours, à long terme, à des services médicaux et à des services de santé mentale.

Les services de défense des droits offrent aux victimes d’agression sexuelle un large éventail de services de soutien. Renforcer le soutien offert aux victimes pourrait avoir une incidence importante sur les FAC, en aidant à accroître la confiance des gens dans la chaîne de commandement et dans le système de justice militaire et en diminuant les risques que les victimes subissent d’autres traumatismes, ce qui favoriserait le maintien en poste des victimes au sein des FAC et permettrait de rétablir l’efficacité opérationnelle plus rapidement.

6 Voir la section 5.2.2 (Australie) du chapitre 5 (Étude comparative) ci-dessus. En Australie, le SeMPRO travaille en étroite collaboration avec le service d’enquête de l’ADF et le DPM pour veiller à ce que les victimes reçoivent un soutien continu tout au long des procédures.

7 Voir CIIS, précité, note 5. Voir également Canada, ministère de la Défense nationale, Examen externe sur l’inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes, par Marie Deschamps C.C., Ad.E, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 2015 : recommandation no 4, p. 34 : « Permettre aux militaires de signaler les incidents de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle au centre de responsabilisation en matière de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle ou de simplement demander des services de soutien sans être tenus de porter plainte officiellement. »

8 Voir CIIS, précité, note 5, p. 5-6.

9 Voir ORFC, art. 4.02 et 5.01.

10 Voir la section 4.4.1 (ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus.

11 Voir la section 4.4.4 (IJ 700) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus.

12 Voir la section 5.2.1 (États-Unis) du chapitre 5 (Étude comparative) ci-dessus.

13 Voir, par exemple, l’évaluation faite par le ministre de la Justice de l’époque, l’honorable Peter MacKay, au cours d’une entrevue réalisée en direct le 14 août 2013 (de 15 h 55 à 16 h 55), dans laquelle il indique qu’offrir les services d’un avocat aux victimes pourrait entraîner des retards menant à la suspension des procédures.

14 Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, art. 203.1 [LDN] : le maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, ainsi que d’une société juste, paisible et sûre.

15 LDN, ibid., art. 203.3 :

Le tribunal militaire détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :

  1. l’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant, étant notamment considérés comme des circonstances aggravantes les éléments de preuve établissant que l’infraction, selon le cas :
    1. comporte une utilisation abusive de son grade ou un autre abus de confiance ou d’autorité,
    2. est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique ou l’orientation sexuelle,
    3. comporte des mauvais traitements infligés par le contrevenant à son époux ou conjoint de fait,
    4. comporte des mauvais traitements infligés par le contrevenant à une personne âgée de moins de dix-huit ans,
    5. a eu un effet nuisible important sur la conduite d’une opération militaire,
    6. a été commise sur un théâtre d’hostilités,
    7. a été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle,
    8. est une infraction de terrorisme;
  2. l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;
  3. l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;
  4. l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral;
  5. la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

Voir également le Code criminel, précité, note 1, art. 718.2 :

Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants : […] e) l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité.

16 Voir la section 4.3.1 (résumé des résultats) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus :

Plusieurs personnes ont fait des observations concernant les victimes d’infractions militaires et les droits de celles-ci au sein du système de justice militaire. Tous ces intervenants estimaient que dans un système de cours martiales, les victimes devraient avoir des droits équivalant, à tout le moins, à ceux conférés aux victimes dans le système de justice pénale civil au Canada et avoir accès à des ressources semblables à celles qui leur sont offertes. D’autres ont ont émis le souhait que dans le système des cours martiales les victimes bénéficient de ressources qui ne sont généralement pas offertes dans les systèmes civils – par exemple, une représentation légale gratuite dans certaines circonstances.

Voir également la section 4.4.1 (ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels) du chapitre 4 (Consultations) : « La première recommandation est la suivante : “Harmoniser les droits des victimes prévus dans la [LDN] et dans la [CCDV].” » Voir également la section 4.5.4.2.2 (RHFC) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus : « [L]es victimes vulnérables [devraient avoir] droit aux protections prévues dans le Code criminel, notamment aux interdictions de publication, et [avoir] la possibilité d’obtenir de l’aide pour témoigner, par ex. en ayant accès à un système de télévision en circuit fermé au soutien de personnes de confiance. » Voir également la section 4.3.1 (résumé des résultats) du chapitre 4 (Consultations) : « Enfin, chaque fois que la question des besoins de groupes particuliers dans le système de cours martiales a été abordée, l’ERGCM n’a pas été étonnée que les intervenants indiquent à l’unanimité que le système de cours martiales doit, à tout le moins, accorder aux victimes les mêmes droits et les mêmes services que ceux offerts dans le système de justice pénale civil. »

17 R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, paragr. 75 et 93 [Gladue].

18 R. c. Levi-Gould, 2016 CM 4003, paragr. 12-14.

19 Gladue, précité, note 17, paragr. 81.

20 Ibid., paragr. 43.

21 L.C. 2002, ch. 1 [LSJPA].

22 Par exemple, les réservistes qui n’ont pas encore 18 ans seraient assujettis au CDM, tout comme les élèves-officiers du Collège militaire royal du Canada.

23 LSJPA, précitée, note 21, al. 3(1)b).

24 ONU, Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, 1577 RTNU 3 (entrée en vigueur le 2 septembre 1990).

25 LSJPA, précitée, note 21, Préambule.

26 Ibid., al. 3(1)a).

27 Ibid., art. 38.

28 Ibid., art. 39.

Détails de la page

Date de modification :