Recherche originale par méthodes mixtes – « Je vois de la beauté, je vois de l’art, je vois de l’intention, je vois de l’amour. » Résultats d’un programme de jardinage de conception collaborative à l’intention des résidents d’un établissement de soins de longue durée

Revue PSPMC

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Shannon Freeman, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Davina Banner, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Meg Labron, M. Sc. soc.Note de rattachement des auteurs 2; Georgia Betkus, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 3; Tim Wood, M. Sc. inf.Note de rattachement des auteurs 1; Erin Branco, R.D., B. Sc. (avec spécialisation)Note de rattachement des auteurs 4; Kelly Skinner, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 5

https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.7.03f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Shannon Freeman, École des sciences infirmières, Université du Nord de la Colombie-Britannique, 3333, University Way, Prince George (Colombie‑Britannique)  V2N 4Z9; tél. : 250-960-5154; courriel : shannon.freeman@unbc.ca

Citation proposée

Freeman S, Banner D, Labron M, Betkus G, Wood T, Branco E, Skinner K. « Je vois de la beauté, je vois de l’art, je vois de l’intention, je vois de l’amour. » Résultats d’un programme de jardinage de conception collaborative à l’intention des résidents d’un établissement de soins de longue durée. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2022;42(7):325-339. https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.7.03f

Résumé

Introduction. Être en harmonie avec la nature constitue pour beaucoup de monde une occupation enrichissante. Or les résidents d’établissements de soins de longue durée ont souvent à surmonter des obstacles s’ils désirent aller dehors et participer à des activités en nature. En réponse aux besoins exprimés par nos partenaires résidents d’établissements de soins de longue durée, nous avons étudié la faisabilité et les bienfaits d’un programme de culture hydroponique et de jardinage en jardins surélevés conçu de façon collaborative.

Méthodologie. En 2019, notre équipe composée de chercheurs ainsi que de résidents et de membres du personnel d’un établissement de soins de longue durée a conçu et mis en œuvre un programme pilote de culture hydroponique et de jardinage en jardins surélevés d’une durée de quatre mois, qui comportait en outre un volet éducatif et des activités. Les rétroactions des résidents et du personnel de l’établissement de soins de longue durée ont été recueillies au moyen de sondages (N = 23 participants au début de l’étude; N = 23 lors du suivi), de cinq groupes de discussion (N = 19 participants, soit n = 10 membres du personnel et n = 9 résidents) et de la méthode photovoix (N = 5 participants). L’équipe de recherche s’est servie d’une méthode descriptive qualitative pour analyser les transcriptions des groupes de discussion et obtenir ainsi un compte rendu riche des expériences des participants en contexte réel. L’équipe a également produit des statistiques descriptives.

Résultats. Même si la plupart des résidents ont indiqué préférer aller dehors (91 %), peu d’entre eux ont déclaré le faire tous les jours (30 %). Les participants au programme ont exprimé leur joie à pouvoir interagir avec la nature et regarder les plantes croître. Les analyses des données obtenues des groupes de discussion ont permis de dégager les thèmes suivants : découverte de sens; formation de liens avec les autres par un apprentissage constant; répercussions sur la santé mentale et le bien-être; occasions de se remémorer des souvenirs; reflet de sa vie dans les activités de jardinage; bienfaits pour le personnel et enfin désir que le programme se poursuive.

Conclusion. La participation aux activités de jardinage, qu’elle ait été active ou passive, a eu des répercussions bénéfiques chez des résidents ayant des capacités diverses. Le programme a favorisé les discussions et l’établissement de liens et a permis d’accroître les interactions, ce qui est susceptible de contribuer à réduire l’isolement social. Les programmes de jardinage devraient être considérés comme une option efficace et réalisable pour favoriser la socialisation, la santé et le bien-être.

Mots-clés : isolement social, solitude, aînés, vieillesse, photovoix, qualitatif, création collaborative, participation, jardinage

Points saillants

  • L’intégration d’interventions axées sur la nature, comme la culture hydroponique ou le jardinage en jardins surélevés, est tout à fait envisageable dans les établissements de soins de longue durée et peut favoriser à la fois la participation active et inclusive des résidents et des échanges intéressants entre les résidents et le personnel de l’établissement.
  • La participation aux activités de jardinage a augmenté les occasions d’implication sociale et de création de liens et a favorisé la réduction de l’isolement social.
  • L’installation de jardins surélevés et de jardins hydroponiques dans une zone de fort passage, disposant de places assises et accessible aux personnes qui se déplacent en fauteuil roulant ou avec un dispositif d’aide à la mobilité, a favorisé l’inclusion, tous les résidents pouvant participer aux activités.
  • La mise en œuvre et la viabilité du programme et des activités de jardinage nécessitent la collaboration de nombreux intervenants.

Introduction

L’isolement social et la solitude dans les établissements de soins de longue durée au Canada ont atteint une dimension épidémiqueNote de bas de page 1. Les personnes qui souffrent d’isolement social (c’est-à-dire qui sont déconnectées socialement, ayant seulement de rares et courtes interactions avec les autres) et de solitude (c’est-à-dire qui ont la perception subjective d’une insuffisance de relations sociales) forment l’un des groupes sociaux les plus vulnérables de la société canadienneNote de bas de page 2Note de bas de page 3Note de bas de page 4. Environ 12 % des Canadiens de 65 ans et plus déclarent souffrir d’isolement social et 24 % disent participer à peu d’activités sociales, qu’elles relèvent des loisirs, du sport, du bénévolat ou de rencontres entre amisNote de bas de page 5. Même si l’isolement social et la solitude sont deux notions distinctes, il importe de les prendre en compte simultanément lorsqu’on veut comprendre le contexte social des aînésNote de bas de page 3, car les personnes qui vivent à la fois de l’isolement social et de la solitude sont plus susceptibles d’éprouver de la détresse psychologique et d’avoir un réseau de soutien social insuffisantNote de bas de page 4.

En raison de l’amélioration des services de soins de santé et de l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de Canadiens qui vivent plus longtemps tout en souffrant de plusieurs maladies continue de croîtreNote de bas de page 6Note de bas de page 7. Même si la plupart des gens, y compris ceux ayant besoin de soins complexes, préfèrent vivre de façon autonome au sein de la collectivité, l’admission dans un établissement de soins de longue durée peut s’avérer indispensable si le niveau de soins dont une personne a besoin dépasse les capacités du réseau de soutien personnel et communautaire dont elle disposeNote de bas de page 8. De plus en plus, les établissements de soins de longue durée deviennent ainsi des lieux où les personnes atteintes de déficiences physiques et cognitives sévères reçoivent des soins jusqu’à leur décèsNote de bas de page 8.

Le déménagement dans un établissement de soins de longue durée peut avoir comme effet de séparer une personne de ses amis, de sa famille et de son entourage, et le fait de se retrouver dans un contexte peu familier peut nuire considérablement aux capacités de la personne à former de nouvelles amitiés et à participer à des activités. Dans les établissements de soins de longue durée, les facteurs de risque d’isolement social sont d’ordres individuel (entraves à la communication, déficience cognitive, etc.), systémique (lieu où est situé l’établissement de soins de longue durée, disponibilité du personnel, type de services offerts, etc.) et structurel (caractéristiques sociales et physiques et conception de l’établissement de soins de longue durée, espaces privés ou communs, etc.)Note de bas de page 9. Dans ce contexte, l’isolement social et la solitude peuvent contribuer à altérer la santé et le bien-être des aînésNote de bas de page 2Note de bas de page 4Note de bas de page 10Note de bas de page 11, l’absence de réseaux sociaux étant associée à un déclin cognitif et à une hausse du risque de dépression, d’anxiété et de décèsNote de bas de page 2Note de bas de page 12Note de bas de page 13. Les résidents des établissements de soins de longue durée sont en outre susceptibles de ressentir de la solitude ou de l’isolement même s’ils côtoient quotidiennement d’autres personnes et qu’ils ont des contacts réguliers avec le personnel et les autres usagers lors des repas.

De plus en plus, on s’attend à ce que non seulement les établissements de soins de longue durée fournissent des services de soutien personnel et de soutien en matière de soins de santé, mais également qu’ils offrent des soins axés sur la personne et organisent des activités favorisant la participation constructive et la qualité de vie des populations résidentes, le tout à l’aide de ressources limitées. Le fait de devoir répondre aux besoins individuels de résidents ayant des capacités et des besoins très variés (résidents autonomes qui nécessitent des soins minimes à résidents atteints de déficiences sévères, très peu autonomes) apporte son lot de défis spécifiques. La mise en œuvre d’une approche universelle pour la planification des activités physiques, sociales et récréatives dans les établissements de soins de longue duréeNote de bas de page 14 n’est pas la solution idéale puisque la perception de ce qui constitue une activité enrichissante diffère considérablement d’une personne à l’autre. Organiser les activités en fonction des préférences personnelles des résidents peut leur apporter un sentiment de contrôle, de responsabilisation et d’autonomie et améliorer leur qualité de vieNote de bas de page 15. Une démarche axée sur la personne permet d’aider les gens à participer à des activités qu’ils considèrent comme enrichissantes et utiles, ce qui améliore leur santé, leur bien-être et leur réseau de soutienNote de bas de page 16.

En 2018, une résidente d’un établissement de soins de longue durée a confié à une chercheuse de notre équipe son besoin de renouer avec la nature et sa grande envie de participer à des activités de jardinage. Cette personne avait un lien fort avec la nature : elle avait passé sa vie dans une propriété rurale où elle pouvait jardiner et cultiver ses propres aliments. Elle a dit se sentir déconnectée de la nature depuis son arrivée dans l’établissement de soins de longue durée et elle a expliqué à quel point cela avait eu un effet négatif sur sa santé mentale et son bien-être. Aucun programme de jardinage n’était offert dans l’établissement de soins de longue durée à ce moment-là et les occasions de passer du temps à l’extérieur étaient limitées, surtout lors des hivers longs et rudes.

Les rapports de recherche qualitative contemporains indiquent que les aînés éprouvent du plaisir et de la satisfaction lorsqu’ils se retrouvent dans un environnement naturelNote de bas de page 17. Il a été prouvé qu’une augmentation de l’exposition à un environnement naturel est associée à une diminution des problèmes psychologiques chez les aînésNote de bas de page 18 et que le jardinage favorise la qualité de vie et la santé globale (en particulier la condition physique et la force, la prévention des chutes, les aptitudes cognitives, la socialisation, la réduction de la douleur et du stress) et améliore l’estime de soi et de la satisfaction à l’égard de la vieNote de bas de page 19Note de bas de page 20Note de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 23. Jusqu’à présent, le contact sensoriel des aînés avec la nature a pourtant fait l’objet de peu de recherchesNote de bas de page 17.

Dans l’optique de répondre au besoin intense et pressant relatif au bien-être mental et psychosocial exprimé par la résidente de l’établissement de soins de longue durée, notre équipe composée de résidents de cet établissement, de diététistes, de chercheurs et de membres du personnel a collaboré pour concevoir un programme pilote de jardinage destiné à offrir aux aînés la possibilité de s’investir de façon significative dans un projet et, potentiellement, leur permettre de réduire leur sentiment d’isolement social et de solitude.

Méthodologie

Lieu de l’étude

Cette étude a eu lieu en 2019 dans un établissement d’aide à la vie autonome et de soins de longue durée de taille intermédiaire (plus de 100 lits) situé dans une ville de taille moyenne (population de moins de 100 000 habitants) assez géographiquement isolée au nord du pays, dans une province de l’Ouest du Canada. Cet établissement comprenait plusieurs cours extérieures et jardins protégés, mais ces espaces n’étaient pas très utilisés avant le début du programme.

Conception du projet et recherche

Ce projet a été créé de façon collaborative par sept résidents de l’établissement de soins de longue durée, dont quatre avaient lancé un petit club de jardinage, et par des chercheurs, des fournisseurs de soins paramédicaux, la direction des soins infirmiers et des stagiaires.

Avec l’aide d’une assistante de recherche, les membres du club de jardinage ont recueilli de l’information à partir de ressources en ligne, de publications universitaires et d’autres établissements de soins pour savoir si un établissement de soins de longue durée était en mesure d’offrir un programme d’horticulture et de jardinage et, dans l’affirmative, sous quelle forme. D’après leurs recherches, peu de programmes d’horticulture et de jardinage sont offerts dans les établissements de soins de longue durée canadiens : seule une poignée d’établissements offrait un programme de jardinage tout au long de l’année et déclarait disposer de membres du personnel ayant une formation en horticulture thérapeutique. Ils proposaient le plus souvent des activités de jardinage ou en nature plutôt passives, comme des promenades dans la nature et des visites de serres et de jardins en plein air ou encore l’installation de plantes intérieures dans les espaces communs et dans les chambres des résidents.

Planification et conception

Lors de la phase de planification, les résidents ont relevé les difficultés, attribuables à l’altération de leur état de santé et de leurs aptitudes fonctionnelles, qui nuisaient à leur capacité à jardiner. Parmi ces difficultés, des limitations d’ordre physique (incapacité à soulever ou à tenir les outils de jardinage) et des déficiences visuelles et motrices les empêchaient d’aller dehors et de profiter de l’environnement naturel. Les résidents ont notamment indiqué que les troubles de la mobilité et de la marche causés par une mauvaise santé physique constituaient un obstacle à la possibilité de profiter de la natureNote de bas de page 24. Les résidents ont précisé que l’accès à des outils adaptés était nécessaire pour qu’ils puissent participer aux activités de jardinage.

Au terme des premières étapes de planification, quatre jardins surélevés en bois ont été placés dans une cour extérieure de l’établissement de soins de longue durée (figures 1A à 1D) et un jardin hydroponique vertical intérieur a été placé à l’entrée de l’établissement (figure 1E).

Figures 1A à 1E. Jardins surélevés en bois extérieurs et jardin hydroponique à l’établissement de soins de longue durée
Figure 1. La version textuelle suit.
Figure 1 - Équivalent textuel

Les figures 1A à 1E présentent des photos des jardins surélevés extérieurs et du jardin hydroponique.
Figure 1A : Jardins surélevés vides dans la cour extérieure avant l’ensemencement.
Figure 1B : Vue rapprochée des jardins surélevés dans la cour extérieure au moment de l’ensemencement, où l’on peut voir les différentes tailles des jardins surélevés adaptées pour les personnes debout (à gauche) et les personnes en fauteuil roulant (à droite).
Figure 1C : Fête d’ensemencement des jardins surélevés.
Figure 1D : Vue rapprochée d’un jardin surélevé ensemencé.
Figure 1E : Vue rapprochée du jardin hydroponique vertical.

Outre les activités pratiques de jardinage, un programme éducatif et des activités complémentaires sur quatre mois ont été offerts aux résidents (voir le tableau 1 pour le calendrier et la liste des activités). Ces activités ont été choisies par les membres du club de jardinage.

Tableau 1. Description du programme éducatif et des activités de jardinage
Saison No de semaine Activité Description
Printemps 1 Ensemencement initial Les semis pour le jardin hydroponique vertical ont été préparés.
Le jardin hydroponique vertical a été installé.
2 Événement d’ouverture – fête d’ensemencement des jardins Les résidents, le personnel et les membres de l’équipe de recherche se sont réunis pour ensemencer les jardins surélevés extérieurs.
Les participants ont planté des graines dans de petits pots pour leur chambre.
Les participants ont mangé des desserts glacés.
3 Présentation sur l’entretien du jardin hydroponique vertical Des maîtres jardiniers d’un organisme de botanique local sont venus donner une présentation éducative sur le jardinage hydroponique et sur l’entretien du jardin vertical.
Les résidents et l’équipe de recherche ont planté les semis dans le jardin hydroponique vertical.
Été 7 Confection de salades Il y a eu récolte de légumes verts et de fleurs comestibles de la tour hydroponique.
Il y a eu récolte de légumes et de germes des jardins surélevés extérieurs.
Les membres du club de jardinage ont préparé, partagé et mangé des salades.
8 Séchage de feuilles et plantes Les résidents ont récolté des plantes et les ont préparées pour le séchage en prévision de la dégustation de tisanes à l’automne.
9 Présentation sur l’entretien des plantes d’intérieur Des maîtres jardiniers d’un organisme de botanique local sont venus donner une présentation éducative sur l’entretien des plantes d’intérieur.
10 Atelier de confection de jardins de fées Des jardiniers de la collectivité ont organisé un atelier interactif au cours duquel les résidents ont pu créer de petits jardins de fées pour leur chambre.
11 Préparation de smoothies Les participants ont préparé et dégusté des smoothies faits de fruits et de légumes récoltés du jardin hydroponique vertical et des jardins surélevés extérieurs.
L’activité était dirigée par une diététiste et par le personnel responsable des loisirs.
12 Pique-nique estival au jardin Les membres du club de jardinage ont préparé et dégusté des salades faites à partir de légumes récoltés du jardin hydroponique vertical et des jardins surélevés extérieurs.
13 Croissance de micropousses Des maîtres jardiniers d’un organisme de botanique local sont venus donner une présentation éducative sur la croissance des micropousses.
14 Préparation des jardins pour l’hiver Les participants et l’équipe de recherche ont fait la récolte des fleurs et des plantes restantes.
Les jardins surélevés ont été préparés pour l’entreposage hivernal.
Automne 17 Dégustation de tisanes de fin de saison Les participants au club de jardinage ont présenté le résultat de leur activité photovoix.
Les participants ont dégusté une gamme de tisanes faites de feuilles, de fleurs et de plantes séchées récoltées dans le jardin hydroponique vertical et les jardins surélevés extérieurs.

À la fête d’ensemencement des jardins qui a eu lieu au début du projet, les résidents, les assistants de recherche et le personnel ont planté des légumes variés (chou frisé, concombre, pois mange-tout, etc.), des fines herbes (aneth, origan, coriandre, etc.) et des fleurs (pensées, violettes, etc.). Ces plants ont été choisis par les membres du club de jardinage.

Les activités de préparation de smoothies et de dégustation de tisanes, dirigées par la diététiste de l’établissement de soins de longue durée (EB) en collaboration avec le personnel responsable des loisirs, ont été organisées de façon à ce que les personnes ayant des problèmes de déglutition (comme la dysphagie) ou des problèmes dentaires puissent participer en toute sécurité.

Outre ces événements officiels, les résidents, les assistants de recherche, les bénévoles et les membres du personnel ont passé de nombreuses heures dans le jardin.

Considérations d’ordre éthique

L’étude a fait l’objet d’une évaluation éthique harmonisée de la recherche (no H19‑01250‑A002). Tous les résidents et les membres du personnel de l’établissement de soins de longue durée ont été invités à se servir des espaces de jardinage et à participer aux activités de jardinage, mais ceux qui désiraient participer aux sondages et aux groupes de discussion devaient fournir un consentement éclairé sous forme écrite ou verbale. Le personnel responsable des loisirs a déterminé quels résidents étaient en mesure de fournir ce consentement. De ce fait, le nombre de résidents ayant participé aux activités est plus élevé que le nombre de résidents ayant fourni une rétroaction.

Collecte et analyse des données

Cette étude pilote a été réalisée au moyen d’un modèle de recherche participative à méthodes multiples constitué de sondages descriptifs, de groupes de discussion et utilisant la méthode photovoix. L’équipe a ainsi pu obtenir de l’information sur un problème de santé complexe grâce à une combinaison de méthodes quantitatives et qualitatives participatives. Chaque méthode a permis d’analyser la participation aux activités de jardinage axées sur la nature d’un point de vue spécifique. Conformément à l’approche multiméthode, les résultats ont été intégrés plus tard dans le processus analytiqueNote de bas de page 25. De plus, les membres de l’équipe, fréquemment présents sur place pour que les résidents puissent leur transmettre leurs observations et fournir une rétroaction sur le processus et les résultats de la recherche, ont pris des notes sur tout ce qui leur était communiqué.

Sondages descriptifs

Au début et à la fin de l’étude, les participants ont rempli de façon anonyme un sondage descriptif qui a permis de recueillir des renseignements généraux (âge, sexe, temps écoulé depuis l’admission dans l’établissement) ainsi que des renseignements sur leur expérience et sur leur intérêt en matière de jardinage. L’équipe s’est servie de l’échelle de dépression gériatrique (EDG-5) pour dépister la dépression chez les participantsNote de bas de page 26. Un score de deux ou plus sur l’échelle à cinq points est l’indice d’un état dépressif potentiel.

Les données du sondage ont été utiles pour comprendre les caractéristiques et les points de vue des participants à propos de la dépression et de la solitude. La capacité de l’équipe de recherche à mesurer les variations individuelles du score au fil du temps a été limitée par la petite taille de l’échantillon, ce qui fait que seules des statistiques descriptives relatives aux scores agrégés sont fournies. De plus, comme certains participants n’ont pas répondu à toutes les questions, le pourcentage associé à une question donnée a été calculé en fonction des participants ayant répondu à cette question. L’équipe s’est servie de Microsoft Excel 2016 (Microsoft Corp., Redmond, Washington, États-Unis) pour le calcul des statistiques descriptives (pourcentages de l’échantillon).

Groupes de discussion

Au total, 19 personnes (10 membres du personnel et 9 résidents de l’établissement de soins de longue durée) ont participé aux groupes de discussion (3 groupes pour le personnel et 2 groupes pour les résidents). Les groupes de discussion ont compté entre 4 et 7 participants. Les discussions ont eu lieu sous forme de séances ouvertes qui avaient pour but de recueillir l’opinion des participants et leurs expériences par rapport au projet de jardinage.

L’équipe a eu recours à la méthode de description qualitative développée par SandelowskiNote de bas de page 27Note de bas de page 28 pour analyser les transcriptions des groupes de discussion. La description qualitative est une méthode souple et pragmatique qui permet de réaliser une étude approfondie des expériences des participants en contexte réel. Elle vise à comprendre un phénomène du point de vue des participants et à produire des descriptions claires du phénomène en demeurant le plus proche possible des formulations des participants.

Les chercheurs ont opté pour une méthode thématique inductive. Ils ont fait un nettoyage des transcriptions (en les modifiant légèrement pour en faciliter la lecture) et en ont vérifié l’exactitude. Par la suite, ils les ont lues attentivement pour se familiariser avec les données, puis ont codé et organisé les mots et les phrases en un guide de codes des thèmes. L’équipe a effectué le codage manuellement. Elle a surligné et codé les segments de texte à l’aide de Microsoft Word 2016 (Microsoft Corp., Redmond, Washington, États-Unis). Au fur et à mesure de l’analyse, les codes ont été regroupés selon les thèmes et des citations les illustrant ont été organisées en fonction du guide de codes. Tout au long du processus d’analyse, l’équipe s’est réunie pour discuter des nouveaux codes et thèmes qui apparaissaient, en vue de les clarifier et de les peaufiner. Cette stratégie a permis de produire un compte rendu riche des expériences des participants, dans des formulations proches de celles qu’ils avaient employéesNote de bas de page 27Note de bas de page 29.

Méthode photovoix

Outre la création des groupes de discussion, l’équipe de recherche a opté pour la méthode photovoix afin d’approfondir les échanges avec les membres du club de jardinage, de créer l’étude en collaboration avec eux et de mettre de l’avant les opinions et les points de vue de ces derniers tout au long du processusNote de bas de page 30. Les images ont un rôle important à jouer : elles encouragent les discussions au sein d’un groupe sur des sujets cruciaux et on peut les montrer aux décideursNote de bas de page 31. La méthode photovoix est un processus social qui favorise la participation citoyenne et dont la capacité à autonomiser les individus [« empower »] a été démontréeNote de bas de page 30. Le recours à la photographie comme moyen d’expression peut s’avérer à la fois formateur et libérateur, particulièrement pour les personnes qui souffrent de problèmes cognitifs.

L’équipe a recruté cinq résidents pour les activités de photovoix. Les participants ont utilisé leur appareil (ou un appareil qui leur a été fourni) pour prendre des photos et documenter leur expérience dans le cadre du projet de jardinage. La plupart des résidents ont été en mesure de prendre des photos de façon autonome et, pour les autres, par souci d’inclusivité et afin que tous puissent participer indépendamment de leurs capacités physiques, un membre de l’équipe de recherche pouvait prendre des photos pour eux s’ils le désiraient.

Les participants ont tous présenté trois ou quatre photos lors de chacun des groupes de discussion. Ils en ont discuté en utilisant le procédé mnémotechnique « SHOWED »Note de bas de page 32. Ce procédé repose sur six questionsNote de bas de page * : S (« See ») : « Que voyez-vous sur cette photo? »; H (« Happening ») : « Qu’est-ce qui se passe vraiment sur cette photo? »; O (« Our »)  : « Comment est-ce lié à notre vie? »; W (« Why ») : « Pourquoi ce problème existe-t-il? »; E (« Empowered ») : Comment pouvons-nous augmenter notre pouvoir d’agir grâce à cela? »; D (« Do ») : « Que pouvons-nous faire à ce sujet? ». Les participants ont fait part de leurs commentaires collectivement, et l’équipe a pris des notes détaillées puis effectué une analyse descriptive.

Résultats

Résultats des sondages descriptifs

Lors de l’événement d’ensemencement des jardins surélevés organisé au début de l’étude, 23 résidents (19 femmes; âge moyen : 83,2 ans; intervalle d’âge : 59 à 99 ans) ont répondu au sondage mené. Leur temps écoulé depuis l’admission dans l’établissement variait entre moins d’un an et quatorze ans et, en moyenne, les participants vivaient dans l’établissement depuis trois ans et trois mois. Près des trois quarts des répondants (17 sur 23) ont dit se sentir heureux la plupart du temps et être satisfaits de leur vie. Environ le tiers d’entre eux (8 sur 23) ont déclaré se sentir confiants et indépendants la plupart du temps. Une proportion équivalente de résidents (8 sur 23) ont indiqué se sentir seuls de temps à autre (figure 2).

Figure 2. Autoévaluation de l’humeur et indicateurs de l’échelle de dépression gériatrique au début de l’étude (N = 21) et lors du suivi (N = 19) chez les résidents (en pourcentage)
Figure 2. La version textuelle suit.
Figure 2 - Équivalent textuel
Figure 2. Autoévaluation de l’humeur et indicateurs de l’échelle de dépression gériatrique au début de l’étude (N = 21) et lors du suivi (N = 19) chez les résidents (en pourcentage)
Indicateurs Suivi Début de l'étude
Indicateurs de l’échelle de dépression gériatrique Ne sont pas satisfaits de leur vie 15 19,1
S'ennuient souvent 25 22,7
Se sentent souvent impuissants 45 33,3
Se sentent inutiles dans leur situation actuelle 36,8 9,5
Préfèrent rester à la maison plutôt que de sortir et de faire de nouvelles activités 35 56,5
Autoévaluation de l’humeur Se sentent seuls de temps à autre 25 34,8
Se sentent confiants et indépendants la plupart du temps 50 34,8
Se sentent heureux la plupart du temps et satisfaits de leur vie 75 73,9

Plus de la moitié des répondants (11 sur 21) présentaient des signes de dépression (score égal ou supérieur à 2 sur l’échelle de dépression gériatrique) (figure 2). La plupart des répondants (21 sur 23) ont indiqué préférer aller dehors, mais moins du tiers d’entre eux (7 sur 22) ont dit le faire tous les jours (figure 3). Quatre répondants sur cinq (17 sur 21) ont déclaré aimer jardiner. Lorsqu’on leur a demandé quels volets du jardinage ils aimaient le plus, les répondants ont dit qu’ils aimaient voir les plantes passer de petites graines à des plants prêts à être récoltés et qu’ils aimaient pouvoir manger ce qu’ils cultivaient. Ils ont également décrit les bienfaits de l’environnement lors du jardinage, comme le fait d’être à l’extérieur, de profiter de l’air frais et de pouvoir « se salir les mains dans la terre ». Les répondants ont exprimé leur intérêt à participer activement aux activités de jardinage prévues. Ils espéraient travailler la terre, désherber, s’asseoir dans le jardin, observer les plantes pousser et récolter les légumes.

Figure 3. Fréquence autodéclarée à laquelle les résidents sortent de l’établissement (en pourcentage) (n = 22)
Figure 3. La version textuelle suit.
Figure 3 - Équivalent textuel
Figure 3. Fréquence autodéclarée à laquelle les résidents sortent de l’établissement (en pourcentage) (n = 22)
Fréquence Pourcentage de residents (n = 22)
Tous les jours 32
Deux ou trois fois par semaine 36
Une fois par semaine 18
Une fois par mois 9
Seulement lorsqu'il fait beau 5

Lors de la dégustation de tisanes de fin de saison, 23 résidents (21 femmes; âge moyen 83,2 ans; intervalle d’âge : 58 à 99 ans) ont rempli le sondage de suivi. Les trois quarts (15 sur 20) ont indiqué se sentir heureux la plupart du temps et être satisfaits de leur vie. La moitié d’entre eux (10 sur 20) ont déclaré se sentir confiants et indépendants la plupart du temps. Le quart des répondants (5 sur 20) ont dit se sentir seuls de temps à autre. Plus de la moitié des répondants (10 sur 19) présentaient des signes de dépression (score égal ou supérieur à 2 sur l’échelle de dépression gériatrique) (figure 2), près de la moitié ont déclaré se sentir impuissants (9 sur 20) et plus du tiers ont dit avoir le sentiment d’être inutiles dans leur situation actuelle (7 sur 19) (figure 2).

Les répondants ont ressenti de la joie et ont trouvé un sens grâce au fait de « se salir les mains », de regarder les plantes pousser, de sortir à l’extérieur, de socialiser et tisser des liens avec les autres et de se remémorer les activités qu’ils faisaient en plein air lorsqu’ils étaient plus jeunes, comme jardiner. Environ la moitié des répondants ont dit avoir discuté des activités du programme de jardinage avec d’autres résidents (11 sur 20) et avec leur famille et amis (10 sur 20). Presque tous les répondants (15 sur 17) espéraient que le programme se poursuive.

Exposition des résultats du projet de photovoix

Lors de la dégustation de tisanes de fin de saison, les participants au projet photovoix ont exposé leurs photos, accompagnées de phrases et de mots associés à ces photos. Le tableau 2 présente des exemples de photos fournis par les participants et leur sens associé.

Tableau 2. Exemples de photos prises par les membres du club de jardinage et description
P8, femme, résidente
Process from seed to vegetable Planting alfalfa microgreens Hydroponic tower gardening Butterfly landed on the plate

La P8 a dit que cette photo évoquait pour elle la croissance, le processus de passer d’une graine à un légume, et l’atteinte d’un but. Voir « mère Nature à l’œuvre », même pour une courte période, a amené la participante à se sentir reconnaissante : « Nous ne faisions pas n’importe quoi, nous essayions de faire pousser quelque chose de comestible! »

La P8 a pris cette photo deux jours après avoir planté des micropousses de luzerne. Elle a pu remarquer une évolution entre le matin et l’après-midi d’une même journée. Elle nous a fait part de la joie qu’elle a ressentie lorsqu’elle a pris une photo de son projet : « Je la regardais chaque jour, et je savais à quelle vitesse elle poussait. »

La P8 a partagé cette photo d’une nouvelle pousse et d’une ancienne pousse, croissant côte à côte. Être en mesure de faire pousser des plantes extérieures à l’intérieur lui a procuré de la joie et de la fierté. La P8 a souligné que le jardin hydroponique vertical était propre, que c’était un projet auquel tout le monde pouvait participer et permettant de faire pousser des plantes tout au long de l’hiver.

La P8 a pris cette photo d’un papillon qui s’est posé sur son assiette pendant une activité de jardinage extérieur. Alors qu’elle réfléchissait sur la beauté de la photo, la P8 a fait remarquer la similitude entre les légumes et le papillon : « Normalement, nous n’invitons pas les papillons dans notre assiette, mais dans ce cas-ci, c’était très plaisant. » Elle a dit ressentir un grand sentiment de reconnaissance et de stupéfaction à regarder et montrer la photo : « Nous devrions manger plus souvent à l’extérieur et faire davantage de pique-niques! »

P1, homme, résident
Cucumber Hydroponic tower garden Gardening Plant bed

Le concombre sur cette photo inspire au P1 un sentiment d’accomplissement et de vitalité. La boîte de mouchoirs a été placée à côté du concombre pour montrer sa taille. Le P1 a abordé l’importance pour lui d’observer une graine devenir une plante qui est parvenue à produire un gros concombre comestible : « Ça m’a rendu fier de moi. » Ce projet a également constitué pour lui une raison de sortir de sa chambre. Par ailleurs, le P1 a dit que le concombre était un bon moyen d’engager la conversation : « Ça me gardait occupé. Tout le monde me demandait si mon concombre poussait bien. »

Le P1 a décrit la fascination qu’il a ressentie en regardant les plantes grandir, surtout en voyant ce qui peut pousser dans l’eau. Le P1 a expliqué que regarder le jardin hydroponique vertical lui a permis de relaxer et lui a donné une raison de sortir de sa chambre. Le P1 a également mentionné que le fait d’aller regarder le jardin vertical pour constater les changements survenus au cours de la nuit lui donnait un but : « C’est important pour moi ». Le jardin vertical s’est avéré un sujet de conversation intéressant.

Le P1 a expliqué que le jardinage l’a fait se sentir « utile et investi dans la vie ». Il a ajouté que regarder quelque chose pousser lui procurait un sentiment d’importance et que, grâce à ce projet, il sentait qu’il accomplissait quelque chose. Il a mentionné qu’aller voir les plantes était pour lui une activité importante qui « illuminait sa journée ».

En regardant cette photo, le P1 a décrit la force qu’il ressentait lorsqu’il observait le cycle de vie et de croissance des plantes. Il a ajouté avoir eu un sentiment d’accomplissement en tant que responsable de l’arrosage du jardin et a mentionné être fier du succès du projet des jardins surélevés. Le P1 a expliqué que cette photo était la preuve des bienfaits du jardinage et que cette activité lui a permis de « [s]’activer et de faire quelque chose au lieu de procrastiner ».

P4, femme, résidente
Earth and nutrients Plant The dew makes the leaves shimmer Hydroponic tower
La P4 s’est concentrée sur le sens qu’elle a retiré du fait de « se salir les mains ». La participante a expliqué que la terre et les nutriments représentaient le point de départ pour tout le jardin, qu’ils agissaient comme fondation pour la vie et la croissance. Elle a parlé de ses expériences et des sentiments de plaisir, de joie, de bonheur et d’accomplissement qu’elle a ressentis. La P4 a décrit la beauté et la satisfaction qu’elle a retirées en dépassant ses propres limites, tant par le jardinage que par la prise de photos. En décrivant cette photo, la P4 a fait part d’une de ses réflexions sur la dévastation à laquelle les plantes doivent parfois faire face et sur le fait que « la plante est toujours en vie et est heureuse ». Elle s’intéressait aux formes que les insectes créent sur les feuilles, et elle a fait un lien entre ces formes et les déceptions et événements stressants qui font partie de la vie. Même si la plante a « traversé beaucoup d’épreuves », la P4 a souligné qu’elle « continue de grandir et d’en sortir gagnante […] et elle garde le sourire ». Pour elle, cette situation est représentative d’une vie qui tire à sa fin et lui inspire un sentiment de gratitude pour cette vie.

La P4 a décrit avec vivacité la beauté et le charme de voir « la rosée qui fait scintiller les feuilles ». Elle a ajouté que les feuilles sont « heureuses », car la rosée leur rend visite si longtemps. Elle a dit trouver cela fascinant et excitant : « C’est attrayant pour moi. »

La P4 a trouvé intéressant de voir le grand système de racines des plantes du jardin hydroponique vertical. Pour elle, les racines symbolisaient la mort, mais pas la tristesse : « Nous suivons le même chemin que celui de la plante; notre vie tire à sa fin. » Elle a parlé de la complexité de la vie des résidents de l’établissement de soins de longue durée et l’a comparée aux longues racines et aux plantes incroyables, chacune arborant des motifs et des formes uniques.

Remarque : Toutes les citations sont des traductions.

Analyses des groupes de discussion

Les analyses des données des cinq groupes de discussion (trois avec 10 membres du personnel de l’établissement de soins de longue durée et deux avec 9 résidents) ont permis de dégager sept thèmes : découverte de sens; formation de liens avec les autres par un apprentissage constant; répercussions sur la santé mentale et le bien-être; occasions de se remémorer des souvenirs; reflet de sa vie dans les activités de jardinage; bienfaits pour le personnel et enfin désir que le programme se poursuive.

Découverte de sens

Les résidents ont décrit l’incidence profonde que leur participation au projet de jardinage a eue sur leur vie quotidienne, leur fournissant une raison de se lever le matin et leur offrant la possibilité d’apporter une aide significative aux autres résidents et à la communauté de l’établissement, le tout dans la joie de cultiver et d’entretenir quelque chose qui a grandi et évolué au fil du temps. Les résidents ont dit s’être sentis valorisés par leur participation active aux activités de jardinage. L’un d’entre eux a affirmé : « Ça me donne l’impression d’être utile, de faire quelque chose, d’aider quelqu’un […] ça m’a permis de m’activer et de faire quelque chose au lieu de procrastiner. […] Je sortais tous les jours et je regardais le concombre, ce qui me faisait sortir et me permettait de bien commencer ma journée. » [P1, homme, résident]

Les résidents ont parlé du lien physique créé avec la nature par le jardinage, ce qui leur a donné un sentiment de satisfaction lorsqu’ils se salissaient les mains en travaillant avec la terre. Ils ont également décrit avoir ressenti une sensation de chaleur en voyant leurs graines se transformer en légumes et en fleurs.

Elles sont si jolies et elles sentent si bon. Vraiment. Tout le monde complimentait mes belles-de-jour, c’était plaisant. Ça rend les autres heureux aussi. C’est tellement agréable de sentir la terre dans ses mains. On se sent bien juste à mettre ses mains dans la terre et la sentir. [P4, femme, résidente]

Les membres du personnel de l’établissement de soins de longue durée ont abondé dans le même sens. Ils disent avoir observé une diminution de l’ennui, une hausse de la motivation et une augmentation du sentiment de connexion, de joie, de fierté et d’appartenance chez les résidents qui ont participé aux activités de jardinage. Le personnel a également affirmé que regarder les plantes croître a procuré aux résidents la joie d’être réellement en contact avec les jardins. Le fait de savoir qu’il y avait des jardins à l’extérieur a incité certains résidents à sortir.

Je trouve ce programme important pour les résidents, oui. C’est, à mon avis, une bonne occasion pour eux d’être dehors, de participer à des activités […] pensez au nombre de mois dans une année où ils restent à l’intérieur ou qu’ils font des choses sans importance. Je crois que pour plusieurs d’entre nous, vous savez, sortir et faire quelque chose dans la cour ou dans le jardin permet de rompre la monotonie. [P5, homme, membre du personnel]

Le programme de jardinage à l’établissement de soins de longue durée a également cultivé un sentiment de connexion interpersonnelle et de cohésion. Les répondants ont vu la valeur que les jardins ont eue sur la création de liens significatifs entre résidents, entre les résidents et le personnel ainsi qu’entre les résidents et leur famille et amis en visite. De nombreuses personnes ont affirmé que le fait de participer au programme leur a permis de tisser de nouveaux liens et de renforcer les relations déjà existantes.

C’était une expérience très positive, même juste le fait de les voir dans le jardin avec leur chapeau, en train de regarder les fines herbes. […] Je travaille dans le bureau principal, et je voyais les familles jeter un coup d’œil dehors. Quand le temps était beau et ensoleillé, les familles allaient chercher leur être cher, juste pour marcher ou pour pousser leur fauteuil roulant dans le jardin. Pour moi, c’était, comme vous dites, satisfaisant, et c’était une activité différente pour eux. Ils avaient quelque chose à aller voir, il ne s’agissait pas seulement de regarder une fleur. Ils allaient voir « oh, la laitue a-t-elle poussé? oh, regardez » […] même les discussions entre eux étaient très positives, de ce que j’ai pu observer. [P6, femme, membre du personnel]

Les jardins ont permis des conversations qui n’auraient sans doute pas eu lieu autrement, rapprochant les résidents grâce à un intérêt commun.

Je sais que les jardins sont déjà la source de beaucoup de conversations. Plusieurs personnes me demandent ce qui se passe. Je connais plusieurs personnes et elles me voient dans le jardin constamment. […] Elles me posent des questions et m’appellent « Monsieur le jardinier ». Ça me donne le sentiment d’avoir accompli quelque chose. Je me sens chez moi. [P1, homme, résident]

Les membres du personnel de l’établissement de soins de longue durée ont expliqué à quel point il était important pour les résidents de sentir qu’ils font partie d’un groupe qui a un but commun et de participer à des conversations et à des activités de groupe : « Ils ressentent un sentiment d’appartenance et d’engagement. Ils sentent qu’ils font partie d’une communauté. Ils se sentent valorisés parce qu’ils peuvent contribuer à quelque chose, même si c’est une petite contribution, à leur manière. » [P5, homme, membre du personnel]

Je crois qu’ils se disent « Je fais partie de quelque chose », parce que, soyons honnêtes, dans un établissement de soins de longue durée, il ne se passe pas grand-chose, vous savez. Mis à part certains programmes de loisirs. Un grand nombre d’entre eux n’ont pas de famille pour les amener à l’extérieur, alors je crois que, pour eux, participer à un projet de ce genre leur permet de réaliser qu’ils valent plus que ce qu’ils croient. Parce qu’ils font partie de quelque chose. [P6, femme, membre du personnel]

Les résidents participant activement au club de jardinage ont mis des autocollants sur leur porte pour indiquer aux autres qu’ils dirigeaient les activités de jardinage. Ces autocollants ont enclenché des dialogues : « Les autocollants sur leur porte leur donnent une petite dose de fierté, comme s’ils disaient “Je suis membre du club de jardinage!” Quand j’ai demandé à l’une des résidentes ce que l’autocollant signifiait, elle était très fière de me répondre. » [P7, femme, membre du personnel]

Par ailleurs, les résidents ont trouvé que les photos qu’ils avaient prises au cours des activités photovoix étaient utiles pour montrer aux autres résidents, à leur famille et à leurs amis leurs réalisations dans le cadre des activités de jardinage. Prendre des photos et participer aux activités photovoix s’est révélé une expérience nouvelle, qui a constitué un défi.

[…] j’ai beaucoup de bien à dire de ça [du groupe de discussion sur les activités photovoix]. Et prendre des photos. Je ne croyais pas que nous allions faire cela. Nous sommes en train d’apprendre, et tout à coup nous devons prendre des photos. [Nom d’un résident] prend de magnifiques photos, vous savez. Nous repoussons nos limites, et c’est une bonne chose pour nous. À notre âge, nous devons nous forcer à être actifs et à savourer ce que nous avons, ce que nous sommes encore en mesure de faire. En tout cas, c’est important pour moi. [P4, femme, résidente]

Formation de liens avec les autres par un apprentissage constant

Tous les répondants se sont considérés comme en apprentissage toute leur vie durant. Dans le cadre du processus de conception collaborative du programme, les membres du club de jardinage ont manifesté un vif désir de continuer à apprendre sur le jardinage, même si bon nombre d’entre eux avaient jardiné toute leur vie. Ils étaient très enthousiastes à l’idée de discuter avec des maîtres jardiniers de l’extérieur de l’établissement et d’en apprendre davantage sur les particularités du jardinage dans leur région, certains résidents ayant grandi dans d’autres zones géographiques et ayant déménagé dans la ville uniquement pour vivre dans l’établissement. Cela leur a permis d’avoir des conversations intéressantes sur un sujet d’intérêt commun avec de nouvelles personnes.

Je trouve que c’est fantastique. Ça nous rassemble : la ville, la société botanique, nous avons pu parler au maire, nous sommes en contact avec tous les jardiniers de [nom de la ville], comme les jardiniers de cet organisme qui sont venus nous présenter toutes sortes de choses. N’est-ce pas merveilleux? [P4, femme, résidente]

Les résidents, en particulier ceux qui ont participé activement aux activités de jardinage, ont profité de l’occasion pour apprendre et essayer de nouvelles choses. Une résidente s’est dite très fière des réalisations de chacun : « Nous nous sommes tous sentis un peu mieux dans notre peau. » [P8, femme, résidente]

Je suis très fière du résultat. Je suis très fière de nos réalisations au cours de l’année. Je crois que nous avons accompli de grandes choses, et j’en suis très fière. […] Ça élargit nos horizons, c’est enrichissant, et c’est bon pour le cœur de toujours être en mesure de mettre la main à la pâte. [P4, femme, résidente]

Un résident a également affirmé que les photos l’ont aidé à surmonter sa timidité et à se mêler davantage aux autres, ce qui lui a permis de s’ouvrir et de participer aux discussions avec plus de confiance.

[Les photos] montrent ce que nous faisons, ce que nous réalisons. Elles nous permettent de partager nos accomplissements, je raconte aux autres ce que je fais. Je trouve que c’est plus facile si j’ai une photo à montrer. Je peux parler. Je peux expliquer ce que je fais. C’est plus facile pour moi. […] Oui, j’ai pu rencontrer de nouvelles personnes, car tout le monde me posait des questions. Tout le monde savait que j’étais le jardinier. À la pause-café, je m’assois et je bavarde, et il y a toujours une ou deux personnes qui me demandent comment se porte mon jardin. C’est un projet fantastique. [P1, homme, résident]

Le fait de discuter et d’interagir davantage avec les autres a fait naître chez les résidents un sentiment d’accomplissement, de confiance et de croissance personnelle : « On a le sentiment d’être en mesure de faire quelque chose. Ça fait du bien. Ce n’est vraiment… ce n’est vraiment pas facile de faire pousser des concombres. Ça me faisait tout simplement du bien. Wow. » [P1, homme, résident]

Les résidents se sont sentis motivés et encouragés à se renseigner et à participer concrètement dans le cadre des activités de jardinage, qu’il s’agisse de concevoir de façon collaborative le programme, de décider quoi planter et où dans les jardins surélevés, de faire des recherches en ligne en équipe ou de consulter des experts pour savoir comment éliminer les insectes. Les résidents ont pu réfléchir à l’effet sur leur confiance en eux qu’a eu le fait de trouver des solutions à leurs problèmes et de voir les plantes évoluer. « [Ça nous donne] beaucoup de confiance en nous, le fait que nous avions une idée, que nous l’avons concrétisée et que nous voyons que ça fonctionne, ça fonctionne réellement. » [P4, femme, résidente]

Répercussions sur la santé mentale et le bien-être

Les résidents ont employé toute une gamme d’expressions pour décrire les effets du programme de jardinage et les sentiments que celui-ci a suscités chez eux.

N’est-ce pas charmant? […] C’était tout simplement magique, vraiment. […] Je vois de la beauté, je vois de l’art, je vois de l’intention, je vois de l’enthousiasme, de l’intérêt. Je vois de l’amour, de la bienveillance. […] Ça m’apporte un sentiment de calme, je me sens bien, j’ai un sentiment de bien‑être quand je vais relaxer dans le jardin. Je pense au club de jardinage, je m’y rendais, j’oubliais tout le reste, et je me sentais calme. Simplement aller dans le jardin et regarder autour […], relaxer, tout simplement. [P4, femme, résidente]

Un nuage de mots-clés (figure 4) illustre les 75 termes descriptifs les plus utilisés par les participants. Pour les résidents, le jardin s’est révélé un lieu de bonheur et un endroit parfait pour briser la routine. Les membres du personnel de l’établissement de soins de longue durée ont abondé en ce sens. Ils ont décrit les changements qu’ils ont constatés chez les résidents : « Je crois que c’est un programme bénéfique pour eux, certainement. C’est un projet significatif, et c’est quelque chose qui, comme elle l’a dit, leur donne quelque chose d’excitant à faire tous les jours. » [P5, homme, membre du personnel]

Figure 4. Nuage de mots-clés illustrant les 75 mots les plus fréquemment utilisés par les résidents de l’établissement de soins de longue durée pour décrire le projet de jardinage
Figure 4. La version textuelle suit.
Figure 4 - Équivalent textuel

Les résidents ont utilisé une variété de mots pour décrire les effets du programme de jardinage et ce qu'il leur a fait ressentir :

à l'aise, accablant, accompli, accomplissement, actif, adorable, adoré, agréable, aimé, aimer, amitiés, anticipation, appartenir, apprécié, apprécier, apprécier, apprendre, appris, art, attentionné, autonomie, bases de la vie, beau, beaucoup de travail, beauté, bien, bon, bon bouleversant, but, calme, cela m'égaye, chaleureux, changement, charmant, cœur, communiquer, complexe, concentration, confiance, connecté, connexion, content, cool, couleur, couper le souffle, courage, croissance, curieux, cycle de la vie, défi, délicieux, déployer nos ailes, développement, différent, donner, éclairer une salle, effort, émerveillement, en sécurité, énergique, engagé, engagement, enrichir, enrichir, ensoleillé, épris, essayé, excitant, expérience, expliquer, extraordinaire, facile, familiarité, fantastique, fascinant, fertile, fier, fierté, fin de la vie, frais, frappant, génial, gentil, gratifiant, heureux, impliqué, important, inattendu, incertitude, incroyable, indépendance, instruit, intention, intéressant, intéressé, intérêt, investi, joie, joli, journée égayée, joyeux, magie, magique, merveilleux, mieux, mon cœur, mort, motivant, motivation, mystère, nous dépasser, nouveau, occasion, paisible, parler, partager, passion, phénoménal, plaisant, plaisir, positif, précieux, productif, profiter, propre, raison d'être, rayonner, réalisation, réalité, reconnaissant, relaxer, repousser nos limites, ressentir, réticent, réussite, rêve, santé mentale, satisfaisant, sens, sensible, sentir sa valeur, significatif, signifie beaucoup, soins mentaux, souriant, soutien, souvenirs, splendide, spontané, super, surpris, suspense, terre, travail d'équipe, triste, unique, utile, variation, vie, vie égayée, wow.

La figure 4 contient un nuage de mots-clés illustrant les 75 termes descriptifs les plus utilisés par les participants. Les mots les plus proéminents sont :  bien, agréable, passion, intéressant, plaisir, accompli, heureux, fier, croissance, merveilleux, positif, vie, amusement.

Remarque : La taille des mots correspond à leur fréquence d’utilisation : plus la taille de la police d’un mot est grande, plus le mot a été employé.

Les résidents participant au club de jardinage ont décrit le programme de jardinage comme une activité « mature » qui les stimulait sur le plan intellectuel, physique et social. Grâce au volet éducatif du programme et aux rapports créés avec les responsables de jardins communautaires, les résidents n’ont pas simplement participé à une activité ou à un programme : ils ont joué un rôle actif en concevant le programme de façon collaborative, en établissant les priorités et en sélectionnant les composantes du programme d’éducation et d’activités. Les résidents qui ont participé au projet de jardinage étaient très fiers de pouvoir partager leurs expériences et de pouvoir discuter d’égal à égal de leur participation au programme. Par le fait même, la dynamique de pouvoir a changé à mesure que les résidents se sont approprié le projet. Les membres du personnel de l’établissement de soins de longue durée l’ont d’ailleurs remarqué dans leurs interactions avec les résidents :

[Nom de la résidente], au [numéro de l’étage], elle a vraiment adoré le programme. Elle trouvait que c’était vraiment bien qu’il y ait quelque chose, un programme mature sans être infantilisant. C’était une chose qui était nécessaire et qui, en effet, constitue une activité plus mature. [P7, femme, membre du personnel]

Occasions de se remémorer des souvenirs

Les conversations qui ont eu lieu pendant les activités de jardinage ont poussé les résidents à parler de leur passé. Les résidents ont fait part aux autres de souvenirs de jeunesse positifs liés au jardinage, ainsi qu’à leur famille et à leurs amis. Une participante a raconté de bons souvenirs avec sa mère, du temps où elles jardinaient ensemble. Une autre participante a décrit son ancienne maison et son ancien jardin comme si nous y étions :

Ça fait ressurgir des souvenirs, une tonne de souvenirs du passé. Ça me rappelle la première maison que nous avons eue, nous avions des voisins, et il y avait des bâtiments, aussi. C’était une vieille maison, une ancienne ferme. J’ai demandé qu’on rénove complètement la maison, elle était magnifique. […] Oui, de beaux souvenirs. Je crois que [c’est le cas] pour les autres aussi. [P4, femme, résidente]

Le personnel de l’établissement a également mentionné que les jardins faisaient remonter des souvenirs chez de nombreux résidents qui ont grandi dans des régions rurales, sur le fait de passer du temps à l’extérieur et de cultiver des plantes.

De mon côté, je crois que les résidents sortaient davantage de leur chambre, car ils avaient un but. Ils avaient un autre but, et les écouter parfois, par exemple lors des pauses, ravivait chez eux des souvenirs […] surtout pour ceux qui ont grandi sur une ferme, il y en a beaucoup ici, et ça les ramenait à cette époque-là, vous savez. Et je crois que mon souhait était que nous ayons une zone de jardinage, le jardin de légumes, tout ça. [P6, femme, membre du personnel]

Reflet de sa vie dans les activités de jardinage

Des photos montrant le système racinaire d’une plante et les ravages causés par un insecte qui a grugé les feuilles d’un plant ont déclenché des conversations qui ont suscité des réflexions sur les réalités de la vie, le cycle de la vie et les parallèles entre les résidents et les plantes qu’ils cultivent. Les résidents ont reconnu la beauté dans le fait de voir « mère Nature » à l’œuvre et dans le fait que le cycle de vie d’une plante mène inévitablement à sa mort.

C’est la réalité, et ça fait partie de la vie, non? Aussi longtemps que possible […] La plante a évidemment traversé beaucoup d’épreuves, mais elle continue de grandir et d’en sortir gagnante. Elle en sort gagnante. Ça a un grand sens, pour ceux qui sont capables de le percevoir. Et la plante a tout de même l’air plutôt heureuse [rires]. Elle garde le sourire, aussi. Bon, ce n’est pas vraiment quelque chose qu’on souhaite, mais si on ne garde pas un œil là-dessus, c’est ce qui arrive. La réalité. La réalité est toujours là. Ça fait partie de la vie. La vie finit par s’arrêter. [P4, femme, résidente]

La conversation qui suit démontre le parallèle commun que les résidents ont fait entre eux-mêmes et les plantes qu’ils ont cultivées, et la beauté qu’ils ont vue dans leur propre mortalité.

P8, femme, résidente : Cette plante est à la fin de sa vie, et pourtant ses racines sont en santé.

P4, femme, résidente : Nous sommes sur la même voie que la plante. Notre vie tire à sa fin, nous aussi, alors on peut s’identifier à elle. C’est juste ainsi que cela doit être.

Animatrice : Un cycle de vie.

P4, femme, résidente : C’est un peu triste, mais c’est positif, c’est comme ça. La vie… c’est très complexe, nos vies. En fait, la vie de tout le monde est très complexe.

Bienfaits pour le personnel

Les membres du personnel de l’établissement de soins de longue durée ont dit avoir retiré des bienfaits de leur participation aux activités de jardinage avec les résidents : prendre soin des plantes, faire une promenade avec les résidents et discuter des plantes, profiter des activités de jardinage. Selon eux, le fait d’encourager les résidents à sortir a créé un environnement plus chaleureux. Participer à ces activités leur a permis d’entamer des conversations qui ont mené à des discussions significatives : « [Nous] avons dégusté des feuilles de menthe du jardin, ce qui a mené à une conversation avec les résidents et les autres membres du personnel. » [P11, femme, membre du personnel]

L’entretien du jardin n’aurait pas été possible sans l’aide des membres de l’équipe de recherche, qui ont obtenu et entreposé en toute sécurité les produits chimiques (comme les engrais) nécessaires pour garder le jardin en bonne santé. S’il est vrai que les membres du personnel responsables des loisirs auraient pu être affectés à ces tâches, il n’en demeure pas moins que ceux-ci doivent avoir les capacités et la volonté d’assumer cette responsabilité et que les contraintes de temps peuvent être éprouvantes pour le personnel et entraver l’utilisation des espaces verts par les aînés.

Désir que le programme se poursuive

Les résidents et le personnel de l’établissement ont manifesté leur intérêt à ce que le programme se poursuive au terme de cette étude pilote : « J’aimerais que le groupe se réunisse pour discuter des plans pour l’an prochain. C’est mon objectif. » [P1, homme, résident]

Les participants ont reconnu et souligné la nécessité de mobiliser plus de gens pour que les activités se poursuivent, et ils étaient enthousiastes à l’idée de le faire.

Nous avons besoin d’un plus grand nombre de personnes impliquées dans le club de jardinage et nous devons en quelque sorte renforcer le club. […] Je pense que nous devrions inciter plus de gens à participer, nous ne sommes pas beaucoup. La plupart des gens que je connais aiment jardiner. Je crois qu’on peut convaincre les gens de participer. C’est ce que nous espérons. [P4, femme, résidente]

Le personnel de l’établissement était prêt à passer le mot à la famille, aux amis et aux bénévoles pour favoriser une plus grande participation :

Je crois qu’une fois que la nouvelle se répandra, vous savez, il y a beaucoup de familles, ou beaucoup de résidents […] qui ne reçoivent pas souvent de visite de leur famille, mais je crois qu’une fois que les gens seront au courant, que nous dirons « hé, nous avons ce projet à [nom de l’établissement] », ça va inciter les familles à venir. Je dis ça parce que j’ai vu la différence une fois les jardins aménagés. Quand nous avons mis sur pied le jardin, quelques nouveaux résidents sont arrivés, surtout au premier étage. Nous leur avons mentionné l’existence des jardins et ils ont répondu « Quoi? Vous faites ça? Est-ce que ma mère peut y participer? » On pouvait voir leur enthousiasme. Ils peuvent aller dehors et s’occuper des mauvaises herbes. [P6, femme, membre du personnel]

L’intérêt de continuer à soutenir la participation des résidents aux activités de jardinage s’explique par les bienfaits de ces activités sur la qualité de vie des résidents et sur l’atmosphère dans l’ensemble de l’établissement, ainsi que par le sens que le projet a apporté à la vie des résidents. Aucun membre du personnel de l’établissement n’a signalé que la présence de la tour hydroponique ou des jardins surélevés avait entraîné une augmentation de sa charge de travail.

Analyse

Il peut être difficile de créer un environnement où tout le monde se sente chez soi dans un établissement de soins de longue durée, surtout lorsque les résidents viennent de régions rurales ou éloignées. La dépression demeure au fil du temps un problème omniprésent dans les établissements de soins de longue durée, et il faut y prêter une attention particulière. Accroître les possibilités d’interagir avec la nature grâce à des activités de jardinage intérieur et extérieur ou à des activités axées sur la nature est profitable à de nombreux résidents.

Les activités de jardinage ont offert aux résidents de nouvelles occasions de réduire l’isolement social et la solitude, surtout pour ceux qui désiraient « se salir les mains » et jardiner dans le cadre des activités de groupe du club de jardinage. Les répondants ont expliqué que ces activités ont donné lieu à des interactions et à des discussions intéressantes avec les autres résidents et avec le personnel. De plus, les interactions passives avec la tour hydroponique et les jardins surélevés pourraient avoir contribué à réduire la solitude, car les résidents se sont sentis en lien avec la beauté et l’environnement par le simple fait de regarder des éléments naturels et d’être près d’eux. Ces observations corroborent les constatations d’une récente revue de la littérature, qui a conclu que les aînés éprouvent du plaisir à être dans la nature et à observer la nature, ce qui a un effet positif sur leur bien-être et leur qualité de vieNote de bas de page 17.

Certains établissements de soins de longue durée, à la fois dans les collectivités rurales et urbaines, n’ont pas d’espaces verts à proximité, ce qui accroît la prévalence de l’isolement social et de la solitude. Des résidents ont exprimé leur désir de nature, en particulier ceux qui venaient de la campagne, où ils étaient à proximité d’un environnement naturelNote de bas de page 33. Les possibilités pour les résidents de jardiner et de prendre part à des activités en nature importantes pour eux lorsqu’ils vivaient dans leur collectivité peuvent avoir été limitées, voire inexistantes. Les activités axées sur la nature peuvent donc constituer un moyen significatif et efficace de promouvoir la santé et le bien-être des aînés dans les établissements de soins de longue durée.

Dans les collectivités du Nord, où les hivers sont souvent rigoureux et les saisons de croissance courtes, le jardinage en plein air peut s’avérer difficile pour les jardiniers débutants et peu expérimentés. Par ailleurs, l’environnement bâti peut également empêcher bon nombre de résidents de sortir (portes verrouillées ou trop lourdes pour que les résidents puissent les pousser et les franchir seuls, espaces extérieurs inaccessibles en hiver en raison de fortes chutes de neige ou de présence de glace, etc.). La technologie hydroponique peut constituer un moyen concret et novateur d’interagir avec la nature et de réduire l’isolement tout au long de l’année, indépendamment du climat et des infrastructures.

Le jardin hydroponique vertical a ainsi permis aux résidents de tisser des liens avec d’autres personnes. Cette technologie a offert des possibilités d’échange de connaissances et a favorisé une interaction positive entre les individus. Elle a également souvent alimenté les discussions lors des visites d’amis et de membres de la famille. Certains résidents se sont sentis valorisés en raison de leur participation à l’ensemencement, à la culture et à l’entretien du jardin vertical. Ces observations concordent avec la littérature dont on dispose, selon laquelle l’accessibilité à des espaces verts permet de générer des occasions d’interaction sociales, améliorant ainsi la vie quotidienne des aînésNote de bas de page 34. La participation à des activités liées à la nature a contribué au maintien des liens sociaux et à la confiance en soi des résidentsNote de bas de page 35.

Dans l’ensemble, les résidents ont éprouvé un sentiment d’accomplissement et de fierté, car le jardin vertical leur a donné accès toute l’année à des fruits et légumes frais et à des fleurs. L’accès commun aux plantes et aux fleurs a également donné aux résidents l’occasion de s’impliquer socialement. La mise en place du jardin hydroponique vertical dans une zone de passage, à l’entrée de l’établissement, avec des sièges à proximité, a de plus permis aux résidents de profiter des plantes de façon passive. La croissance rapide des plantes a constitué un sujet permanent de conversation pour les personnes qui ont joué un rôle, actif ou passif, dans les activités de jardinage.

Ce projet pilote a permis de montrer qu’un programme de jardinage axé sur la nature comptant des jardins hydroponiques intérieurs et des jardins surélevés extérieurs est réalisable et s’avère bénéfique dans un établissement de soins de longue durée. Alors que le volet jardinage du programme a été assuré par les résidents, leurs familles et le personnel de l’établissement, la viabilité et l’exploitation sécuritaire des jardins, notamment du jardin hydroponique vertical, ont reposé en grande partie sur le personnel et la direction de l’établissement. Bien que les résidents et le personnel aient retiré différents bienfaits du programme, il reste que l’équipe des loisirs ou d’autres membres du personnel de l’établissement de soins de longue durée doivent avoir les capacités et la volonté d’assumer cette responsabilité. L’entretien des jardins est une tâche complexe qui exige du temps, ce qui peut être contraignant pour le personnel et entraver l’utilisation des espaces verts par les aînésNote de bas de page 36. L’engagement et le soutien du personnel sont essentiels pour que les aînés puissent participer avec succès aux activités liées à la nature, et le manque de soutien pouvant nuire à la poursuite du programmeNote de bas de page 17.

Points forts et limites

Cette recherche portait sur l’intégration d’un groupe diversifié de résidents d’un établissement de soins de longue durée à des activités axées sur la nature prévues et adaptées en conséquence de ce contexte. Pour assurer une participation significative, il est essentiel de faire des adaptations lorsqu’on travaille avec une population vieillissante, en permettant par exemple aux résidents de participer aux activités de création collaborative. Le processus de création collaborative a permis de cerner de nombreuses activités intéressantes et a mené à plusieurs révélations pour l’équipe de recherche. De plus, l’adoption de la méthode photovoix pour stimuler davantage la participation des membres du club de jardinage a constitué une façon efficace d’atténuer l’isolement social, car elle a permis aux participants de réfléchir aux bienfaits des activités de jardinage et de favoriser les discussions.

Cependant, malgré leur enthousiasme initial, deux participantes ont abandonné le programme en raison du déclin de leur santé, et quelques-uns ont ressenti une certaine frustration causée par l’utilisation des appareils-photo numériques. Bien que les téléphones cellulaires munis d’un appareil-photo soient courants, un seul participant à l’étude en possédait un.

La pandémie de COVID-19 a perturbé l’organisation d’autres cycles de recherche du projet de jardinage avec jardins surélevés et jardin hydroponique. L’équipe de recherche a dû ainsi interrompre dès le début du projet les activités liées au jardin hydroponique vertical. Les membres du club de jardinage ont pu continuer les activités liées aux jardins surélevés, mais dans une moindre mesure.

Enfin, la faible taille de l’échantillon et l’incapacité de l’équipe de recherche à établir des liens entre les réponses au sondage du début de l’étude et les réponses au sondage de suivi font partie des limites de l’étude. Les recherches ultérieures pourraient tirer profit de la participation d’un plus grand nombre de résidents d’établissements de soins de longue durée et d’une évaluation plus systématique de la dépression et de la qualité de vie des résidents. Elles gagneraient à obtenir des données quantitatives auprès d’un plus grand nombre de participants pour étudier les effets potentiels de la participation à des activités de jardinage.

Répercussions sur les établissements de soins de longue durée

L’intégration dans les établissements de soins de longue durée d’interventions axées sur la nature, comme la culture hydroponique ou le jardinage en jardins surélevés, est faisable et peut conduire à une participation active et inclusive des résidents ainsi qu’à des conversations significatives entre résidents et avec le personnel de l’établissement. Les principales leçons tirées de cette étude sont les suivantes :

  • La participation aux activités de jardinage a augmenté les occasions pour les résidents de s’impliquer socialement et d’établir des liens avec les membres du personnel et, ainsi, de réduire l’isolement social.
  • L’installation de jardins surélevés ou de jardins hydroponiques dans une zone de passage, disposant de places assises à proximité et accessible aux personnes qui se déplacent en fauteuil roulant ou avec un dispositif d’aide à la mobilité, a favorisé l’inclusivité, de sorte que tous les résidents qui le voulaient ont pu participer aux activités de jardinage.
  • La mise en œuvre et la viabilité du programme et des activités de jardinage demandent la collaboration de nombreux intervenants (résidents, personnel soignant, personnel responsable des loisirs et diététistes) qui doivent créer ensemble un programme de jardinage adapté à la réalité d’un établissement de soins de longue durée.
  • L’accès aux jardins surélevés extérieurs peut nécessiter le soutien du personnel de l’établissement et des familles.

Conclusion

La participation aux activités de jardinage s’est révélée significative pour les résidents de l’établissement de soins de longue durée et appréciée par eux, favorisant des occasions de créer des liens véritables avec les autres. Par leur participation active ou passive au jardinage hydroponique intérieur et au jardinage extérieur en jardins surélevés, les résidents ont bénéficié de davantage d’occasions de discuter, de former des liens et d’interagir avec les autres, ce qui a contribué à réduire l’isolement social. Dans le cadre de cette étude, les activités de jardinage ont aidé les participants à se sentir liés à la nature et à la terre, ce qui a contribué à atténuer les sentiments de déconnexion et d’isolement en milieu de soins de longue durée. Il convient de souligner que les rapports et les interactions entre les résidents et le personnel se sont améliorés, signe de l’importance de ces activités dans l’établissement et le maintien de liens solides. Lorsque vient le temps d’élaborer et de prioriser les programmes d’activités pour les établissements de soins de longue durée, il peut être intéressant d’envisager des programmes de jardinage, car ils ont le potentiel de favoriser la socialisation, la santé et le bien-être des résidents.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier tous les résidents, le personnel, les familles et les bénévoles ainsi que les dirigeants communautaires qui ont participé au projet. Ils tiennent également à remercier Emma Rossnagel pour son aide à la révision de la version finale du manuscrit.

Conflit d’intérêts

Kelly Skinner est rédactrice scientifique adjointe de la revue PSPMC, mais elle s’est retirée du processus d’évaluation de cet article. Les auteurs déclarent n’avoir aucun autre conflit d’intérêts.

Soutien financier

La présente étude a reçu des subventions du programme de subventions de démarrage qui rassemble Northern Health, la Provincial Health Services Authority et l’Université du Nord de la Colombie-Britannique ainsi que du programme de subventions de démarrage du Northern Centre de la BC SUPPORT Unit.

Contributions des auteurs et avis

Tous les auteurs ont contribué activement au projet. SF, DB et KS ont participé à tous les volets du projet, de la conception du projet à l’analyse pui à la rédaction et à la révision de l’article. EB a participé à la conception du projet et à l’obtention des données. ML a participé à l’obtention des données et à la rédaction de l’article. GB a participé à l’obtention des données et à leur nettoyage. TW a participé à l’analyse ainsi qu’à la rédaction et à la révision de l’article.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas à ceux du gouvernement du Canada.

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