Recherche originale par méthodes mixtes – Expériences, besoins en services et répercussions des processus de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (WSIB) chez les travailleurs blessés et malades : données probantes de la ville et du district de Thunder Bay (Ontario, Canada)

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Chelsea Noël, B. Sc., Grad. Dip.Note de rattachement des auteurs 1; Deborah Scharf, Ph. D., CPsychNote de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Joshua Hawkins, B.A., Grad. Dip.Note de rattachement des auteurs 1; Jessie Lund, M.A.Note de rattachement des auteurs 1; Jewel Kozik, B. Sc.Note de rattachement des auteurs 3; Anna Péfoyo Koné, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2

https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.7.02f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Deborah Scharf, Braun Building, BB-1007E, 955 Oliver Road, Thunder Bay (Ontario) P7B 5E1; tél. : 807-343-8773; courriel : dscharf1@lakeheadu.ca.

Citation proposée

Noël C, Scharf D, Hawkins J, Lund J, Kozik J, Péfoyo Koné A. Expériences, besoins en services et répercussions des processus de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (WSIB) chez les travailleurs blessés et malades : données probantes de la ville et du district de Thunder Bay (Ontario, Canada). Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2022;42(7):307-324. https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.7.02f

Résumé

Introduction. Les accidents du travail et les maladies professionnelles ont des répercussions physiques, sociales et psychologiques négatives sur les personnes qui en sont victimes. Bien que la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (WSIB) de l’Ontario ait pour mandat d’atténuer ces effets, son processus de fonctionnement peut conduire à des difficultés. Les soutiens qui sont offerts aux travailleurs blessés peuvent être fragmentés et rares, notamment dans les régions qui sont mal desservies. Nous décrivons les expériences vécues par des travailleurs blessés ou malades du Nord-Ouest de l’Ontario dans le cadre de leurs démarches auprès de la WSIB, de même que les besoins en santé mentale de ces travailleurs, dans le but de promouvoir l’amélioration du système en place. 

Méthodologie. Des travailleurs blessés et malades (n = 40) recrutés dans la collectivité de Thunder Bay et son district ont répondu à un sondage en ligne sur leurs besoins en matière de santé mentale, de services sociaux et de services juridiques lors de leurs démarches auprès de la WSIB. Des entrevues portant sur des thèmes similaires ont aussi été réalisées avec 16 autres travailleurs blessés et malades ailleurs dans le Nord-Ouest de l’Ontario ainsi qu’avec 8 fournisseurs de services communautaires connaissant bien le fonctionnement de la WSIB.

Résultats. Les travailleurs du Nord-Ouest de l’Ontario ont décrit les répercussions que leur accident du travail ou leur maladie professionnelle avait eues sur leur situation professionnelle, familiale, financière et sociale, ainsi que sur leur santé physique et mentale. Beaucoup ont aussi souligné les effets négatifs accrus attribuables aux processus mêmes de la WSIB, notamment les problèmes locaux liés à la protection de la vie privée dans les « petites villes » et le fardeau financier associé aux déplacements exigés par la WSIB, en particulier durant la pandémie de COVID-19. Les travailleurs et les fournisseurs de services ont proposé de rationaliser et de clarifier les processus de la WSIB, d’améliorer la continuité des soins offerts par la WSIB et de mettre en place des mesures spécifiques à la région, telles que l’amélioration de l’accès aux services de soutien régionaux par l’intermédiaire d’intervenants-pivots indépendants.

Conclusion. Les travailleurs du Nord-Ouest de l’Ontario subissent des effets négatifs dus à la fois aux blessures ou maladies professionnelles et au fonctionnement de la WSIB. Les intervenants pourront utiliser les constatations de cette recherche afin d’améliorer les démarches et la situation des travailleurs blessés et malades, en tenant compte plus particulièrement de la région du Nord.

Mots-clés : accidents du travail, stress professionnel, santé mentale, services de santé en région rurale, indemnisation des accidents du travail, WSIB

Points saillants

  • Les travailleurs du Nord-Ouest de l’Ontario qui ont été victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ont fait état d’effets négatifs sur leur bien-être physique, financier, social et psychologique, dont certains effets causés ou exacerbés par les processus de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (WSIB). Ces résultats concordent avec ceux de recherches menées ailleurs dans la province.
  • Les travailleurs blessés et malades du Nord-Ouest de l’Ontario sont susceptibles de faire face à des difficultés locales supplémentaires qui les empêchent d’obtenir des soins appropriés et de se rétablir adéquatement, qu’il s’agisse de possibilités d’emploi limitées, de préoccupations relatives à la protection de la vie privée dans les « petites villes » ou de coûts et de fardeau associés aux déplacements, en particulier durant une crise de santé publique comme la pandémie de COVID‑19.
  • Les suggestions formulées par les travailleurs blessés et les fournisseurs de services du Nord-Ouest de l’Ontario en vue d’améliorer les processus de la WSIB ont porté sur des améliorations visant le système dans son ensemble (comme l’harmonisation et la clarification des processus de la WSIB, l’amélioration de la continuité des soins offerts par la WSIB, la désignation d’un intervenant-pivot indépendant) ainsi que sur des améliorations visant plus spécifiquement le contexte du Nord.

Introduction

Les accidents du travail et les maladies professionnelles enclenchent une cascade d’effets négatifs sur le bien-être physique, financier, social et psychologique des travailleurs qui en sont victimes (« travailleurs blessés » dans la suite du texte)Note de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3. La Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (WSIB) de l’Ontario, auparavant connue sous le nom de Commission des accidents du travail, a pour mission d’aider ces travailleurs. Créée en 1914, cette commission versait des indemnités aux travailleurs blessés sous la forme d’un remplacement du salaire et de prestations pour soins de santé, sans égard à la responsabilité, dans le but d’atténuer les relations antagonistes entre travailleurs et employeurs lorsque survenait un accident du travail ou une maladie professionnelleNote de bas de page 4. La WSIB actuelle, qui a subi plusieurs changements d’importance au fil des ans, est aujourd’hui un organisme fiduciaire indépendant, qui a pour mandat de concilier les intérêts des employeurs et des travailleurs blessésNote de bas de page 5. La WSIB décrit son rôle comme étant de percevoir des primes appropriées auprès des employeurs afin de pouvoir verser, en temps opportun, des indemnités justes aux travailleurs qui sont blessés ou qui contractent des maladies au travail, tout en soutenant les travailleurs durant leur rétablissement et leur retour au travailNote de bas de page 5.

Alors que la plupart des demandes d’indemnisation traitées par la WSIB sont réglées rapidement et sans problème, et que la plupart des travailleurs blessés retournent au travail après n’avoir vécu que peu de perturbations sur le plan personnel et professionnelNote de bas de page 6, des données indiquent qu’environ 20 % des demandes sont longues, complexes et litigieuses et que ces demandes représentent environ 80 % du coût total des demandes d’indemnisationNote de bas de page 3. De plus, lorsque la WSIB rejette la demande d’indemnisation d’un travailleur et que ce dernier conteste la décision rendue, le travailleur peut être privé pendant des années d’un revenu et du soutien dont il a besoin sur le plan social et sur le plan de la santé, tant que le règlement de la contestation n’a pas eu lieu. De telles situations ont inévitablement des conséquences désastreuses pour les travailleurs et leur familleNote de bas de page 1Note de bas de page 7 et elles font souvent l’objet de reportages dans les médiasNote de bas de page 8Note de bas de page 9 pour illustrer la vulnérabilité des travailleurs blessés et le pouvoir qu’a la WSIB d’appuyer ou de rejeter les demandes de travailleurs dans le besoin.

Les recours et les ressources dont disposent les personnes qui souhaitent contester les décisions de la WSIB sont fragmentés et limités. En Ontario, les travailleurs blessés de l’ensemble de la province peuvent obtenir l’aide de services juridiques communautaires spécialisés situés à Toronto. De plus petits organismes juridiques communautaires existent également dans d’autres régions, mais bon nombre de ces organismes, dont ceux situés dans le Nord-Ouest de l’Ontario, ne sont pas pleinement pourvus en personnel et, souvent, ils n’emploient aucun avocat et n’ont pas les ressources nécessaires pour aider les travailleurs dans leurs démarches d’indemnisation. De plus, bien que le Bureau des conseillers des travailleurs du ministère du Travail offre des services de représentation gratuits aux travailleurs blessés non syndiqués, la liste d’attente pour y avoir accès est de plusieurs années, de sorte que les personnes se retrouvent sans recours et sans moyens financiers pour payer l’assistance juridique. Dans l’ensemble, les personnes qui s’engagent dans les processus de demande d’indemnisation et de contestation auprès de la WSIB vivent donc souvent des expériences difficiles sur le plan de leurs finances, de leur vie familiale et de leur santé mentaleNote de bas de page 7.

Le risque que des troubles psychologiques se manifestent ou s’aggravent durant les processus de demande et de contestation auprès de la WSIB est élevé. D’après certaines données récentes, près de la moitié des personnes qui se blessent ou qui contractent une maladie au travail manifestent des symptômes de dépression dans l’année qui suit la blessure ou la maladieNote de bas de page 10Note de bas de page 11. Ces problèmes subséquents de santé mentale nuisent au rétablissement à long terme des travailleurs et à leur retour potentiel au travailNote de bas de page 12Note de bas de page 13. De nombreux travailleurs perdent également l’accès à des services et à du soutien en santé mentale lorsqu’ils se blessent ou tombent malades, car ils ne bénéficient plus du régime d’assurance de l’employeur et n’ont plus le revenu nécessaire pour payer eux-mêmes des services de santé mentale. En Ontario, il faut souvent attendre six mois ou plus avant d’obtenir des services de santé mentale publics gratuitsNote de bas de page 14.

Dans les régions nordiques, rurales ou éloignées de l’Ontario, au moins deux autres difficultés peuvent entraver encore davantage le rétablissement et le retour au travail. D’abord, le processus de la WSIB y est généralement plus long, car les travailleurs doivent souvent se déplacer pour obtenir les évaluations de spécialistes qui confirmeront l’admissibilité aux prestations de la WSIB. Ensuite, l’accès à des soins appropriés peut être difficile une fois les prestations en place. Par exemple, dans la ville et le district de Thunder BayNote de bas de page 15 (une région plus vaste que des pays comme l’Allemagne et l’Espagne), où l’on compte à peine 11 psychologues agréés par la WSIB, les travailleurs qui reçoivent des prestations doivent parfois attendre des mois avant de commencer à recevoir des services, puis ils doivent parfois voyager plusieurs heures en voiture ou en avion pour recevoir des soins lorsque ces services doivent être dispensés en personne.

Afin d’améliorer les services offerts aux travailleurs blessés du Nord-Ouest de l’Ontario ainsi que la situation de ces travailleurs, la WSIB, les décideurs et les intervenants communautaires doivent pouvoir disposer de recherches qui décrivent à la fois les besoins des travailleurs tout au long des processus de demande d’indemnisation et de contestation auprès de la WSIB, les paramètres permettant de prévoir l’expérience des travailleurs qui ont recours à la WSIB et enfin les soutiens offerts dans la région. Ils doivent également connaître les besoins en matière de santé mentale et de services sociaux des travailleurs blessés qui ont recours à la WSIB dans les secteurs nordiques, ruraux et éloignés (comme la ville et le district de Thunder Bay) afin de cerner les lacunes des services, les problèmes relatifs à la qualité des services et les améliorations à apporter dans cette région mal desservie, où les besoins sont grands. Dans cette optique, notre étude décrit les expériences vécues par des travailleurs blessés du Nord-Ouest de l’Ontario qui ont eu recours à la WSIB ainsi que les effets de ces expériences et les facteurs systémiques qui les ont influencées. Des suggestions en vue d’améliorer le système sont également présentées.

Méthodologie

Plan de l’étude et participants

Il s’agit d’une étude fondée sur des méthodes mixtes à modèle convergent et parallèleNote de bas de page 16, qui repose sur un sondage quantitatif en ligne auprès de travailleurs blessés (n = 40) et des entrevues qualitatives semi-structurées auprès de travailleurs blessés (n = 16) et de fournisseurs de services (n = 8) qui connaissent bien les processus de la WSIB, et ce, dans la ville et le district de Thunder Bay (Ontario). Le comité d’éthique de la recherche de l’Université Lakehead a approuvé les procédures de l’étude (numéro de référence 1467879).

Critères d’admissibilité

Les travailleurs blessés admissibles 1) étaient âgés d’au moins 18 ans, 2) pouvaient lire et écrire en anglais, 3) vivaient dans la ville ou le district de Thunder Bay, 4) avaient été victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et 5) avaient présenté une demande d’indemnisation à la WSIB ou avaient entrepris une démarche auprès de la WSIB (comme une contestation) au cours des cinq dernières années. Les travailleurs blessés pouvaient choisir de répondre au sondage en ligne ou à l’entrevue semi-structurée.

Les fournisseurs de services admissibles 1) étaient âgés d’au moins 18 ans, 2) pouvaient lire et écrire en anglais et 3) avaient offert des services à au moins huit travailleurs blessés ou malades de la ville et du district de Thunder Bay au cours des deux dernières années.

Recrutement

Notre équipe a recruté des travailleurs blessés par l’intermédiaire de réseaux sociaux (Facebook, Kijiji, Reddit, etc.) et de médias imprimés (journaux locaux et dépliants papier). Les fournisseurs de services ont quant à eux été recrutés au moyen de courriels envoyés à des listes de diffusion et à des organismes de services, de réseaux professionnels et d’un échantillonnage « boule de neige », notre objectif étant d’interviewer des fournisseurs offrant des services dans divers domaines (juridiques, sociaux et psychologiques).

Instruments

Nous avons conçu et utilisé trois outils de collecte de données pour l’étude, dont des outils différents pour les travailleurs et les fournisseurs de services. Le sondage auprès des travailleurs visait principalement à recueillir des données quantitatives, alors que les deux guides d’entrevue ont été conçus afin de recueillir exclusivement des données qualitatives.

Sondage en ligne et guide d’entrevue des travailleurs

Nous avons élaboré un sondage en ligne et un guide d’entrevue des travailleurs comportant des questions sur 1) les caractéristiques personnelles et 2) la blessure ou la maladie des travailleurs, 3) les expériences des travailleurs dans le cadre de la présentation d’une demande d’indemnisation à la WSIB et (séparément) de la démarche de contestation auprès de la WSIB, 4) l’utilisation par les travailleurs de tout service communautaire ou service supplémentaire durant les processus de demande et de contestation (comme une banque alimentaire, des services juridiques ou des services communautaires de santé mentale) et enfin 5) les suggestions des travailleurs sur les moyens d’améliorer les processus de demande d’indemnisation et de contestation de la WSIB. Les travailleurs ont été invités à évaluer les effets que les processus de demande d’indemnisation et (séparément) de contestation de la WSIB avaient eus sur eux. Dans le sondage en ligne, les travailleurs devaient répondre à la question « Dans quelle mesure le processus de demande d’indemnisation (ou de contestation) a-t-il été stressant? » au moyen d’une échelle de Likert en 5 points allant de « pas du tout » à « extrêmement » stressant.

Guide d’entrevue des fournisseurs de services

Les fournisseurs de services ont été invités à exposer leurs points de vue sur des thèmes similaires : ils ont été interrogés sur 1) leurs caractéristiques personnelles et leur expérience professionnelle auprès de travailleurs blessés, 2) leur perception des effets qu’ont les processus de demande d’indemnisation et de contestation de la WSIB sur les travailleurs, 3) le soutien qu’ils ont apporté à des travailleurs au cours du processus de contestation, 4) l’utilisation par les travailleurs de services supplémentaires durant les processus de demande d’indemnisation ou de contestation de la WSIB, 5) les difficultés que pose le soutien aux travailleurs durant les processus de demande d’indemnisation ou de contestation de la WSIB et enfin 6) leurs suggestions pour améliorer les processus de demande d’indemnisation et de contestation de la WSIB.

Tous les outils de collecte de données sont disponibles sur demande.

Collecte des données

Les données ont été collectées entre novembre 2020 et mars 2021. Les données provenant des deux sources (sondage et entrevues) ont été recueillies simultanément.

Sondage en ligne

Après avoir confirmé l’admissibilité des participants et obtenu leur consentement éclairé écrit, les assistants à la recherche leur ont envoyé un courriel contenant un lien menant au sondage en ligne hébergé sur la plateforme SurveyMonkey. Le sondage comprenait 70 questions et il a fallu environ 14 minutes aux participants pour y répondre.

Entrevues qualitatives

Des étudiants diplômés en psychologie clinique (JH, JL et CN) ont reçu une formation et ont interviewé, sous la supervision d’une psychologue clinicienne autorisée (DS), des travailleurs blessés ou malades et des fournisseurs de services ayant l’expérience des processus de la WSIB, et ce, par Zoom ou par téléphone (au choix du répondant). Comme la collecte des données s’est faite durant la pandémie de COVID-19, nous n’avons pas offert aux participants l’option d’une entrevue en personne. Lors de chaque entrevue, les intervieweurs ont rappelé l’objectif de l’étude, ont recueilli le consentement éclairé verbal des participants et ont posé des questions pour orienter la discussion. Ils ont encouragé les participants à décrire en détail leurs expériences, à les préciser et à en discuter. Les entrevues ont été enregistrées et transcrites.

Analyse des données

Les données qualitatives et quantitatives ont été analysées séparément, selon des approches différentes mais complémentaires.

Analyse quantitative

Notre équipe a utilisé des méthodes statistiques descriptives pour caractériser l’échantillon, notamment les blessures, les besoins et les expériences des travailleurs ainsi que leur utilisation connexe des services sociaux et de santé. Nous avons également effectué des analyses univariées à l’aide de modèles linéaires généralisés, au caractère expérimental et très préliminaire, pour dégager les facteurs susceptibles d’être associés au stress déclaré par les travailleurs (selon une échelle de Likert à 5 points) pendant le processus de demande d’indemnisation et pendant celui de contestation. En raison de la petite taille de notre échantillon, nous avons limité ces analyses à une courte liste de caractéristiques personnelles et de facteurs liés aux blessures, tirés de la littérature et de l’expérience clinique des auteurs. Ces facteurs étaient l’âge et le sexe des participants, leur secteur d’emploi au moment de l’accident (agriculture, fabrication, transport et entreposage; construction et exploitation minière; éducation, soins de santé et assistance sociale; services d’urgence; hôtellerie, restauration, vente au détail, arts, divertissement et loisirs; autres secteurs) et la permanence de leur incapacité (permanente, incertaine, non permanente). Toutes les analyses ont été effectuées à l’aide du logiciel SAS, version 9.4 (SAS Institute, Cary, Caroline du Nord, États-Unis).

Analyse qualitative

Nous (DS, CN, JH et JL) avons procédé à une analyse de contenu thématiqueNote de bas de page 17Note de bas de page 18, en premier lieu en relisant les transcriptions et en en dégageant les thèmes pertinents liés aux expériences et aux besoins des travailleurs. Nous avons ensuite relevé les thèmes convergents et divergents à l’aide d’une grille d’analyse mixteNote de bas de page 18. Nous avons plus spécifiquement défini un cadre de codage initial pour les analyses déductives, en nous basant sur les thèmes préliminaires utilisés pour structurer le guide d’entrevue (expériences et répercussions des processus de la WSIB, facteurs systémiques ayant une incidence sur l’expérience avec la WSIB et améliorations proposées). Comme peu de recherches ont été menées sur les expériences vécues par les travailleurs ayant présenté une demande d’indemnisation dans les régions rurales, éloignées ou nordiques de l’Ontario et du Canada en général, nous avons fait en sorte que les thèmes du cadre de codage initial demeurent généraux et que leur nombre soit réduit au minimum, afin de pouvoir générer un maximum de nouveaux thèmes et de nouvelles catégories aptes à refléter les expériences vécues par les travailleurs blessésNote de bas de page 19. Nous avons donc également mené une analyse inductive dans ce but, ce qui a donné lieu à l’établissement d’un grand nombre de nouveaux thèmes (comme les facteurs de risque propres à la WSIB par rapport aux facteurs de risque plus généraux influant sur l’expérience relative à la WSIB et diverses suggestions en vue d’améliorer les processus) et de nouvelles catégories (comme les diverses répercussions des demandes d’indemnisation à la WSIB), qui ont été inclus dans la catégorisation définitive.

Pour réaliser cet objectif, nous nous sommes d’abord familiarisés avec les données recueillies lors du sondage en ligne et des entrevues qualitatives. Nous avons ensuite synthétisé les données en unités d’information plus petites, d’abord descriptives (paraphrases), puis interprétatives (mots représentant des concepts sous-jacents, choisis comme « codes » par les responsables du codage). Nous avons regroupé en catégories les codes ayant une signification similaire, puis nous avons regroupé les catégories en thèmes, toujours dans le cadre du codageNote de bas de page 18. Nous avons analysé les données en continu jusqu’à saturation (jusqu’à ce qu’aucun nouveau thème ne ressorte). Nous avons forgé la version finale du cadre de codage, du schéma et de la catégorisation définitive par co-codage et par discussion, en résolvant les divergences d’opinions par consensus.

Résultats

Participants

Les caractéristiques des travailleurs blessés sont présentées dans le tableau 1. Les travailleurs blessés avaient pour la plupart entre 35 et 54 ans, étaient de sexe masculin, non légalement mariés (c.-à-d. célibataires ou en union de fait) et sans personne à charge. Les participants se sont principalement identifiés comme d’origine blanche. La presque totalité des participants étaient nés au Canada, vivaient à Thunder Bay même (Ontario) et avaient l’anglais comme langue maternelle. Le sexe et l’ethnicité des participants se sont révélés représentatifs des caractéristiques des travailleurs de la région, mais les travailleurs de l’échantillon étaient légèrement plus âgés que les autres travailleurs de la régionNote de bas de page 20.

Tableau 1. Caractéristiques des travailleurs blessés et malades ayant répondu au sondage et aux entrevues sur leurs expériences relatives à la WSIB, ville et district de Thunder Bay (Ontario, Canada), novembre 2020 à mars 2021
Caractéristiques Sondage (n = 40)
n (%)
Entrevues (n = 16)
n (%)
Âge
18 à 34 ans 11 (27,5) Note de bas de page *
35 à 54 ans 20 (50,0) 7 (43,8)
55 ans et plus 9 (22,5) 5 (31,2)
Sexe
Femme 17 (42,5) 7 (43,8)
Homme 23 (57,5) 9 (56,2)
État matrimonial
Légalement marié 15 (37,5) 8 (50,0)
Non légalement marié 25 (62,5) 8 (50,0)
Ethnicité
Blanc 34 (85,0) 12 (75,0)
Autre 6 (15,0) Note de bas de page *
Nombre de personnes à charge
0 19 (47,5) 8 (50,0)
1 7 (17,5) 5 (31,3)
2 9 (22,5) Note de bas de page *
3 et plus 5 (12,5) Note de bas de page *
Ville d’origine
Thunder Bay 38 (95,0) 15 (93,8)
Autre Note de bas de page * Note de bas de page *

Abréviation : WSIB, Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail.

Note de bas de page *

Indique que les données ont été supprimées en raison des faibles effectifs.

Retour à la référence de la note de bas de page *

Les fournisseurs de services (n = 8) étaient pour la plupart des femmes et avaient en moyenne 12,9 années d’expérience (écart-type [É.-T.] = 14,25) en prestation de services à des travailleurs blessés. Ils offraient des services dans les domaines de la santé mentale, du droit et de la réadaptation physique. Leur zone géographique de pratique était Kenora, Thunder Bay, la totalité du Nord-Ouest de l’Ontario ou même la totalité de l’Ontario incluant le Nord.

Accidents du travail, incapacité et mesures d’adaptation requises

Les travailleurs blessés ont décrit, dans le sondage en ligne et les entrevues semi-structurées, leurs accidents du travail, la présence d’incapacités ainsi que leurs besoins en matière de mesures d’adaptation.

Sondage

La majorité (n = 28; 70 %) des répondants au sondage ont indiqué avoir subi leur blessure au cours des cinq années précédentes. Il s’agissait de blessures physiques pour la plupart des répondants (n = 32; 80 %) plutôt que d’un trouble psychologique ou d’une maladie professionnelle. Les répondants ayant présenté des demandes d’indemnisation travaillaient dans les secteurs suivants : éducation, soins de santé et assistance sociale (n = 8; 20 %); agriculture, fabrication, transport et entreposage (n = 10; 25 %); hôtellerie, restauration, vente au détail, arts, divertissement et loisirs (n = 8; 20 %); construction et exploitation minière (n = 6; 15 %); services d’urgence (n = 5; 12,5 %) et « autres » (les données ne sont pas dévoilées en raison des faibles effectifs).

La moitié (n = 20; 50 %) des répondants au sondage ont indiqué qu’ils travaillaient à temps plein (n = 15; 75 %) ou à temps partiel (n = 5; 25 %) depuis qu’ils avaient présenté une demande d’indemnisation à la WSIB. Parmi les 20 répondants ayant déclaré travailler, 8 (40 %) ont indiqué avoir bénéficié de mesures d’adaptation au travail, notamment une modification de leurs tâches, de leur rôle ou de leur milieu de travail, une réduction de leurs heures de travail ou le report de leur retour au travail. La majorité (n = 25; 62,5 %) des répondants ont indiqué que leur accident du travail avait « beaucoup » ou « complètement » changé leur vie. Près de la moitié (n = 19; 47,5 %) de l’ensemble des répondants ont indiqué que leur accident du travail avait provoqué une incapacité permanente.

Entrevues

La majorité (n = 12; 75 %) des personnes interviewées ont aussi déclaré que leur blessure était survenue au cours des cinq dernières années. Cela signifie donc que, pour le quart des personnes interviewées, les blessures s’étaient produites plus de cinq ans auparavant, mais qu’elles étaient pourtant toujours engagées dans une démarche auprès de la WSIB au moment de l’entrevue. Les blessures étaient pour la plupart physiques (n = 12; 75 %), les troubles psychologiques et les maladies professionnelles étant beaucoup moins nombreux (n = 4; 25 %). Une grande partie des personnes interrogées avaient présenté une demande d’indemnisation alors qu’elles travaillaient dans les secteurs de l’éducation, des soins de santé et de l’assistance sociale (n = 8; 50 %). Les autres (n = 8; 50 %) travaillaient dans les secteurs de la construction et de l’exploitation minière, de l’agriculture, de la fabrication, du transport et de l’entreposage ou des services d’urgence (pourcentages supprimés en raison des faibles effectifs). Moins de la moitié de tous les travailleurs interviewés ont déclaré travailler à temps plein au moment de l’entrevue (n = 7; 43,8 %).

Expérience et répercussions des processus d’indemnisation et de contestation de la WSIB

Les travailleurs blessés et les fournisseurs de services ont également décrit par l’intermédiaire du sondage en ligne et des entrevues semi-structurées les expériences vécues dans le cadre des processus de demandes d’indemnisation et de contestation de la WSIB ainsi que les répercussions de ces démarches sur les travailleurs blessés.

Sondage

Bien que la plupart (n = 32; 80,0 %) des répondants aient déclaré que leur demande d’indemnisation initiale avait été acceptée, la majorité d’entre eux ont néanmoins qualifié le processus de demande d’« extrêmement » (n = 13; 32,5 %) ou de « très » (n = 9; 22,5 %) stressant. De même, parmi les répondants (n = 18; 45,0 %) ayant déclaré avoir contesté une décision de la WSIB, moins de la moitié de ces contestations (n = 8; 44,4 %) avaient été accueillies, et près du quart (n = 4; 22,2 %) étaient toujours en traitement. La presque totalité des répondants ont décrit le processus de contestation comme étant « extrêmement » (n = 10; 55,6 %) ou « très » (n = 4; 22,2 %) stressant. Les répondants ayant présenté une demande d’indemnisation seulement ou bien une demande d’indemnisation suivie d’une contestation ont indiqué que ces démarches avaient eu une incidence négative sur leur santé psychologique, leur santé mentale, les relations avec leur famille, les relations avec leurs amis, leurs loisirs, leur engagement communautaire, leur sécurité financière et leur carrière (figure 1).

Figure 1. Incidence des processus de demande d’indemnisation et de contestation de la WSIB sur diverses sphères de la vie des répondants à un sondage mené auprès de travailleurs blessés, ville et district de Thunder Bay (Ontario, Canada), entre novembre 2020 et mars 2021
Figure 1. La version textuelle suit.
Figure 1 - Équivalent textuel
Figure 1. Incidence des processus de demande d’indemnisation et de contestation de la WSIB sur diverses sphères de la vie des répondants à un sondage mené auprès de travailleurs blessés, ville et district de Thunder Bay (Ontario, Canada), entre novembre 2020 et mars 2021
Processus Sphère d’incidence Très négative Plutôt négative Aucune incidence Plutôt positive Très positive
D Santé psychologique 32,5% 37,5% 22,5% 5,0% 2,5%
C 66,7% 22,2% 5,6% 0,0% 5,6%
D Santé physique 21,1% 47,4% 28,9% 0,0% 2,6%
C 35,3% 47,1% 11,8% 0,0% 5,9%
D Relations avec la famille 5,1% 46,2% 38,5% 5,1% 5,1%
C 22,2% 44,4% 22,2% 0,0% 11,1%
D Relations avec les amis 2,6% 43,6% 48,7% 2,6% 2,6%
C 11,1% 38,9% 38,9% 5,6% 5,6%
D Loisirs 38,5% 30,8% 25,6% 2,6% 2,6%
C 44,4% 11,1% 38,9% 5,6% 0,0%
D Engagement communautaire 17,9% 35,9% 46,2% 0,0% 0,0%
C 35,3% 17,6% 47,1% 0,0% 0,0%
D Sécurité financière 37,5% 40,0% 22,5% 0,0% 0,0%
C 38,9% 22,2% 33,3% 0,0% 5,6%
D Carrière 33,3% 41,0% 23,1% 0,0% 2,6%
C 41,2% 29,4% 23,5% 0,0% 5,9%

Abréviations : C, fréquences correspondant au processus de contestation; D, fréquences correspondant au processus de demande d’indemnisation; WSIB, Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail.
Remarque : Les pourcentages (%) représentent la fréquence des réponses pour les 40 travailleurs blessés ayant parlé de leur expérience de présentation d’une demande d’indemnisation et pour un sous-ensemble de 18 travailleurs blessés qui ont contesté la décision concernant leur demande d’indemnisation.

Tout en tenant pleinement compte de la petite taille de notre échantillon (40 répondants au sondage), nous avons effectué des analyses de régression linéaire univariées très préliminaires visant à déterminer les caractéristiques des travailleurs et des blessures susceptibles d’être associées à des niveaux élevés de stress lié aux demandes d’indemnisation et aux contestations, dans le but principalement de proposer des pistes de recherche. Les variables prédictives incluses dans l’analyse univariée étaient l’âge, le sexe, le type de blessure, le secteur d’activité et la permanence de l’incapacité. La variable de résultat était le stress lié aux demandes d’indemnisation, mesuré par les répondants selon une échelle de Likert en cinq points. Le niveau de stress moyen déclaré par les travailleurs a été respectivement de 3,4 (É.-T. = 1,5) pour les demandes d’indemnisation et de 4,1 (É.-T. = 1,3) pour les contestations. Seule la présence d’une incapacité permanente a été associée au stress lié aux demandes d’indemnisation (RNote de bas de page 2 = 0,17, F2,47 = 3,78, p = 0,03). En termes plus précis, cela signifie que les travailleurs ayant fait état d’une incapacité permanente (Β = 1,49, p = 0,01) ont ressenti un stress lié aux demandes d’indemnisation qui a dépassé de façon statistiquement significative le stress indiqué par les travailleurs sans incapacité permanente (groupe de référence). Aucune des variables que nous avons étudiées n’a été associée de manière significative à un stress lié au processus de contestation.

Entrevues

Nous avons utilisé les entrevues réalisées auprès de travailleurs blessés et de fournisseurs de services du Nord-Ouest de l’Ontario pour décrire également la manière dont les processus de demande d’indemnisation et de contestation de la WSIB ont eu une influence sur la santé mentale des travailleurs. Les réponses des travailleurs et des fournisseurs de services relèvent de neuf thèmes communs : 1) instabilité du rôle familial et conflits familiaux (par exemple partenaires et enfants devant assurer la subsistance de la famille; perte du respect ou de l’autorité du travailleur blessé, avec une capacité réduite de subvenir aux besoins des autres), 2) anxiété et insécurité financières (par exemple des inquiétudes quant au début, à la durée et au montant des prestations de remplacement du salaire versées par la WSIB), 3) frustration et colère (par exemple en raison des formalités administratives de la WSIB, de la difficulté à avoir accès aux gestionnaires de cas et du fait que la validité des demandes de prestations est constamment remise en question), 4) impuissance et désespoir (en particulier contre la lenteur des processus, le report ou le rejet des demandes d’aide pour favoriser le retour au travail), 5) insécurité d’emploi (en particulier une impossibilité de réintégrer les mêmes fonctions après le rétablissement ou d’obtenir un travail adapté ou un autre travail approprié), 6) perte d’identité professionnelle (avec la déception du fait d’être incapable de travailler dans le domaine dans lequel le travailleur a été formé et a fait carrière), 7) répétition du traumatisme (comme devoir relater les détails traumatisants de l’accident à de nombreux employés de la WSIB et réaffirmer la validité de la demande de prestations), 8) sentiment de culpabilité et de honte (par exemple du fait d’être incapable de travailler et de subvenir aux besoins de sa famille) et 9) isolement social (avec perte de contact avec ses collègues, repli sur soi en raison d’une dépression engendrée par l’accident du travail, etc.). Des témoignages sont fournis en exemple dans le tableau 2.

Tableau 2. Répercussions sur la santé mentale des processus de demande d’indemnisation et de contestation de la WSIB : neuf thèmes communs se dégageant des descriptions fournies par les travailleurs et les fournisseurs de services, ville et district de Thunder Bay (Ontario, Canada), novembre 2020 à mars 2021
Thème Exemples de citations
Instabilité du rôle familial et conflits familiaux

« Les processus de la WSIB ont causé beaucoup de problèmes; je suis davantage contrarié et cela se répercute sur mes relations avec ma femme. » – TB 9

« J’ai vu des mariages se briser à cause de ce qui est arrivé à des travailleurs blessés. Leur vie part en vrille et ça entraîne des effets visibles sur leurs relations et sur leur couple. Comme je l’ai dit, des gens ont perdu leur maison. Je n’ai pas besoin de passer beaucoup de temps avec des travailleurs blessés pour constater les changements importants qui se sont produits, même chez ceux qui n’ont pas subi de lésions cérébrales. J’ai aussi vu d’autres types de blessures et j’ai pu constater les effets que ces accidents du travail ont eus sur les travailleurs et sur le reste de leur vie. » – FS 5

Anxiété et insécurité financières

« Je suis une mère seule et mes enfants vivent avec moi à temps plein; j’en ai la pleine responsabilité et voilà qu’on appelle pour me dire que mon véhicule a été saisi. Et ensuite, je ne peux plus faire mes paiements hypothécaires. Vous savez, toutes ces choses s’additionnent, alors que vous êtes dans une situation déjà difficile sur le plan mental. » – TB 4

« J’essaie de ne pas trop penser à mon cas personnel, parce que ça m’enrage. Il n’y a rien eu de bon dans ce qui m’est arrivé, puisque j’ai pratiquement tout perdu. Je suis passé de cent quelques mille dollars par année à je ne sais même pas combien maintenant. Pas beaucoup en tout cas. J’ai dû vendre ma maison. Vendre mon camp. Je ne suis pas pauvre, mais je ne suis certainement pas à l’aise comme auparavant. » – TB 3

« Souvent, la fierté entre en jeu; les gens ne veulent pas toucher des prestations d’assistance sociale, mais ils sont souvent obligés de le faire, parce qu’ils n’ont pas d’autre revenu. On voit des gens vendre des biens qui sont très importants dans notre région, par exemple leurs bateaux, leurs motoneiges ou leurs remorques. Ils sont obligés de les vendre, en partie pour être admissibles à l’assistance sociale, et en partie pour avoir l’argent dont ils ont besoin pour vivre. » – FS 2

Frustration/colère

« Chaque appel que je fais à la WSIB ravive ma colère. » – TB 13

« Avoir quelqu’un qui vous appelle, vous appelle encore, puis vous envoie des lettres et vous appelle à nouveau pour avoir des mises à jour, et qui veut ensuite parler à vos médecins, prendre des notes, c’est exaspérant, d’autant plus que ce n’est jamais la même personne. » – TB 10

Impuissance/désespoir

« Vous entrez dans un processus qui, si vous n’obtenez pas d’aide, est épuisant; le système est fait… pour encourager les gens à abandonner. » – TB 3

« Le processus de contestation ajoute un volet d’affrontement qui, selon moi, accroît le sentiment d’être menacé, ce qui ne fait qu’exacerber les sentiments d’impuissance ou de désespoir que l’on peut ressentir. » – FS 1

Insécurité d’emploi

« [À la suite de ma blessure physique], j’ai eu beaucoup de difficulté à maintenir le rythme de production, mais je devais y arriver, parce que je risquais de perdre mon emploi, et cela a eu des répercussions sur ma santé mentale. C’est devenu un véritable problème, mentalement… Les deux aspects sont interreliés. De la santé physique à la santé mentale. » – TB 11

Perte d’identité professionnelle

« Auparavant, on chantait mes louanges au travail; chaque fois qu’ils avaient besoin de quelqu’un, j’étais là, je travaillais sur tous les cas difficiles. Je me donnais toujours à fond. Après ma blessure, je n’avais plus aucune valeur. » – TB 5

« Ils ne peuvent pas travailler en vue d’atteindre leurs objectifs de carrière. Or, c’est le propre de la nature humaine, n’est-ce pas, que d’avoir des aspirations et de vouloir avancer sur le plan professionnel. Et je pense que c’est réellement une honte, parce que c’est un effet du traumatisme dont on n’a vraiment pas besoin. Lorsque le travailleur est suffisamment bien sur le plan psychologique, il devrait obtenir du soutien et pouvoir effectuer un travail lucratif et significatif, sans avoir à assumer d’autres types de coûts financiers, si nous voulons vraiment être fidèles à l’esprit de la WSIB. » – FS 4

Répétition du traumatisme

« Vous vous engagez dans le processus et vous devez raconter de nouveau votre histoire à toutes les personnes que vous rencontrez, ce qui ne fait que raviver le traumatisme encore et encore. Et vous en arrivez au point où vous leur racontez votre histoire et vous tentez de faire passer votre message pour que, non seulement, ils vous comprennent, mais aussi qu’ils vous croient, parce que vous l’avez répété tellement de fois que, lorsque vous le répétez pour la dixième fois, vous vous dites que les deux dernières personnes ne vous ont manifestement pas cru. » – TB 4

Honte et culpabilité

« Tous les sentiments de honte qui viennent avec – vous savez, je suis habituellement une femme forte et confiante, mais je ne peux plus faire les choses que je ferais normalement. L’effet cumulatif se fait sentir sur toute votre vie. » – TB 4

« Vous culpabilisez parce que vous êtes incapable de faire la seule chose que vous vouliez faire. » – TB 10

Isolement social

« Cela a eu un impact énorme sur ma santé mentale. Il m’a fallu beaucoup de temps pour l’admettre. Je suis une personne très forte et têtue. C’est d’abord mon mari qui a remarqué que je ne sortais plus. Je suis une personne très, très active, vous savez : randonnée, canot, chasse, mais maintenant je reste beaucoup plus à l’intérieur. » – TB 1

« Et, bien sûr, cela les affecte socialement. Parce qu’ils n’ont plus ces endroits où aller et ces choses à faire. Ils perdent leurs amis et les liens qu’ils avaient créés avec eux. Ils n’ont pas d’argent pour sortir et voir des gens. Alors, ils s’isolent. » – FS 2

« Ils commencent à s’isoler socialement de leurs amis et des membres de leur famille, parce qu’ils ne peuvent plus faire certaines choses physiquement, vous savez, même plus soulever une tasse de café. Lorsque vous ressentez une douleur chronique, vous êtes très déprimé et vous abandonnez. N’est-ce pas? » – FS 4

Abréviations : FS, fournisseur de services; TB, travailleur blessé ou malade; WSIB, Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail.

Facteurs systémiques influant sur les expériences des travailleurs avec la WSIB

Les travailleurs blessés et les fournisseurs de services ont aussi décrit, lors du sondage en ligne et des entrevues semi-structurées, les facteurs systémiques qui ont une influence sur les expériences des travailleurs dans leurs démarches auprès de la WSIB.

Sondage

Les répondants devaient choisir (à partir d’une liste) les volets des processus de la WSIB qui se sont bien déroulés et ceux qui ont été difficiles dans le cadre du processus de demande d’indemnisation (n = 40) et, à part, du processus de contestation (n = 18) (figure 2).

Figure 2. Volets des processus de la WSIB qui se sont déroulés sans heurt et de ceux qui ont été difficiles, selon les travailleurs blessés et malades, ville et district de Thunder Bay (Ontario, Canada), novembre 2020 à mars 2021
Figure 2. La version textuelle suit.
Figure 2 - Équivalent textuel
Figure 2. Volets des processus de la WSIB qui se sont déroulés sans heurt et de ceux qui ont été difficiles, selon les travailleurs blessés et malades, ville et district de Thunder Bay (Ontario, Canada), novembre 2020 à mars 2021
Volet Processus de demande d'indemnisation difficile Déroulement sans heurt du processus de demande d'indemnisation Processus de contestation difficile Déroulement sans heurt du processus de contestation
Réalisation du processus alors qu'on est encore blessé ou malade 45,0% 17,5% 72,2% 0,0%
Situation financière durant l'arrêt de travail 55,0% 15,0% 44,4% 5,6%
Interactions avec les collègues 12,5% 25,0% 11,1% 22,2%
Interactions avec les employeurs 22,5% 15,0% 27,8% 11,1%
Présence aux rencontres ou rendez-vous 30,0% 12,5% 33,3% 22,2%
Planification des rencontres ou rendez-vous 15,0% 27,5% 5,6% 33,3%
Évaluation par un expert médical/consultation 47,5% 37,5% 38,9% 27,8%
Communication avec les employeurs 42,5% 20,0% 27,8% 11,1%
Communication avec la WSIB 72,5% 20,0% 77,8% 0,0%
Formalités administratives 55,0% 7,5% 50,0% 5,6%

Abréviation : WSIB, Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail.
Remarque : Les pourcentages (%) représentent la fréquence des réponses pour les 40 travailleurs blessés ayant parlé de leur expérience de présentation d’une demande d’indemnisation et pour un sous-ensemble de 18 travailleurs blessés qui ont contesté la décision concernant leur demande d’indemnisation.

Les travailleurs blessés ont cité plusieurs volets des processus de demande d’indemnisation et de contestation qui se sont déroulés sans heurt (n = 34; 85,0 %), mentionnant notamment l’évaluation par un expert médical et la consultation d’un expert médical (respectivement n = 15 [37,5 %] pour l’indemnisation et n = 5 [27,8 %] pour la contestation), les interactions avec les collègues de travail (n = 10 [25,0 %] pour l’indemnisation; données supprimées en raison des faibles effectifs pour la contestation) ainsi que la planification des rencontres et des rendez-vous (respectivement n = 11 [27,5 %] et n = 6 [33,3 %]).

Tous les travailleurs participants ont aussi mentionné des volets du processus de demande d’indemnisation qui ont posé des problèmes. Il s’agit notamment des communications avec la WSIB (n = 29; 72,5 %), des formalités administratives (n = 22; 55,0 %), de la situation financière durant l’arrêt de travail (n = 22; 55,0 %), de l’évaluation par un expert médical et la consultation d’un expert médical (n = 19; 47,5 %) ainsi que de la réalisation du processus de demande d’indemnisation alors que la personne était blessée ou malade (n = 18; 45,0 %). Les résultats se sont révélés similaires en matière de processus de contestation, les répondants ayant mentionné des difficultés dans les domaines suivants : communications avec la WSIB (n = 14; 77,8 %), formalités administratives (n = 9; 50,0 %), évaluation par un expert médical et consultation d’un expert médical (n = 7; 38,9 %) et réalisation du processus de contestation alors qu’ils étaient malades ou blessés (n = 13; 72,2 %). Les entrevues réalisées avec les travailleurs (voir la section suivante) ont permis de recueillir davantage d’information sur la nature de ces difficultés.

Les travailleurs devaient indiquer s’ils avaient eu recours à des services de soutien communautaire autres que ceux offerts par la WSIB lors des processus de demande et de contestation auprès de la WSIB. Certains travailleurs (n = 16; 40,0 %) ont indiqué avoir eu recours à des services de soutien durant leurs démarches, notamment à des services psychologiques et juridiques, des programmes de gestion de la douleur chronique, des services d’emploi, des groupes de travailleurs blessés, des programmes d’aide aux employés, des banques alimentaires, des lignes d’écoute téléphonique, des services de transport, des services de supplément du revenu et le Bureau des conseillers des travailleurs (les nombres et les pourcentages ne sont pas indiqués en raison des faibles effectifs). Parmi les travailleurs (n = 16) qui ont eu accès à des services de soutien, la majorité (n = 14; 87,5 %) les a décrits comme ayant été « très » ou « extrêmement » utiles.

Entrevues

Les travailleurs et les fournisseurs de services du Nord-Ouest de l’Ontario ont mentionné quels facteurs systémiques ont eu une incidence positive et quels facteurs une incidence négative sur leur demande d’indemnisation présentée à la WSIB et leur contestation auprès de la WSIB, certains de ces facteurs étant spécifiques à la WSIB et d’autres s’appliquant au système dans son ensemble. Des citations illustrant les divers thèmes et catégories abordés sont présentées dans le tableau 3.

Tableau 3. Description des difficultés et des facteurs de protection associés aux processus de la WSIB, selon les travailleurs blessés et malades et les fournisseurs de services, ville et district de Thunder Bay (Ontario, Canada), novembre 2020 à mars 2021
Thème Catégorie Exemples de témoignages
Facteurs de protection

Accès à des services adéquats (par ex. en psychologie)

« J’ai eu la chance que mon psychologue continue de m’offrir son aide sur une base pro bono. Je dirais que ce sont mon infirmière praticienne et mon psychologue qui m’ont été les plus utiles. » – TB 4

« Je dois reconnaître le financement accordé pour des services de psychologue. Je ne pourrai jamais les remercier assez pour cela. » – TB 12

Introduction d’un portail en ligne

« J’ai vraiment aimé pouvoir utiliser le service en ligne pour soumettre des questions. Le système permet d’indiquer l’heure à laquelle vous préférez qu’on vous appelle. Je trouve ce système génial, parce que j’ai trois emplois. Parfois, c’est bien de pouvoir indiquer, par exemple, de ne pas m’appeler avant 17 heures, parce que je suis au travail et que je ne peux pas répondre au téléphone. Je crois aussi que c’est très utile d’avoir ce genre de renseignements par écrit, parce que, comme je viens du milieu syndical… On peut soumettre des documents et en avoir une copie, ainsi qu’une copie de la réponse, si quelque chose devait se produire. » – TB 10

« Eh bien, certainement les changements apportés qui permettent de transmettre les demandes d’indemnisation par voie électronique; auparavant, les demandes pouvaient seulement être envoyées par courrier ou par télécopieur. Ils ont maintenant mis en place un système de déclaration électronique. Et, vous savez, ils offrent aussi un système de courriel sécurisé. Ils n’avaient jamais offert cela auparavant. Une des premières fois où j’ai parlé à cette collègue, je lui ai dit, vous savez, plutôt que vous m’appeliez, ou que je vous appelle – parce que nous nous étions parlé par répondeur interposé pendant un certain temps. Et en mai dernier, j’ai dit ce serait bien, vous savez, si je pouvais simplement vous envoyer un courriel à la place… Elle m’a dit, justement, oui, nous travaillons là-dessus. Puis elle a ajouté qu’ils devaient s’assurer d’avoir un système sécurisé. Je le lui ai demandé probablement en avril. Et puis, finalement, ils ont mis en place ce système. C’était une très, très bonne chose. » – TB 16

Transparence de la WSIB

« J’ai trouvé que la spécialiste du retour au travail de la WSIB était, comment dire, je l’ai trouvée géniale. Elle m’a beaucoup aidé. Ses interventions étaient pertinentes, elle m’a fourni des renseignements, entre autres. » – TB 4

Facteurs de risque spécifiques au système de la WSIB

Coordination des soins et planification du traitement

« Beaucoup de fournisseurs de services ne comprennent pas la WSIB et beaucoup d’entre eux ne veulent pas faire affaire avec la WSIB, parce que la WSIB a, dans certains cas, de grands objectifs généraux qu’elle impose aux médecins. » – TB 7

« Un travailleur m’a dit, alors que je n’étais pas prêt à reprendre le travail parce que je n’avais même pas encore vu mon spécialiste, il m’a dit que mes prestations seraient coupées si je ne retournais pas au travail tout de suite. Je me suis donc senti forcé de retourner, même si je n’étais pas prêt, ce qui a aggravé ma situation. » – TB 1

« Je n’ai pas encore consulté un neurologue ou mon médecin de famille, mais la WSIB a déjà établi un plan. J’ai réagi en me disant un instant. Comment pouvez-vous prendre toutes ces décisions sans parler à des médecins? » – TB 9

Communications

« C’est toujours le même processus. Vous appelez, on vous met en attente, vous parlez au service à la clientèle, qui vous transfère à votre gestionnaire de cas, qui ne répond pas; vous laissez un message sur sa boîte vocale, mais votre gestionnaire ne vous rappelle jamais; vous le rappelez le lendemain, le surlendemain et les jours suivants et devez recommencer le processus du début. Vous demandez ensuite à parler au directeur pour savoir pourquoi votre gestionnaire de cas ne vous rappelle pas dans le délai qu’on vous avait donné. » – TB 13

« Je dirais que c’est surtout un problème de communication. Je pense que la plupart des travailleurs, même ceux dont la demande d’indemnisation a été approuvée, ont vraiment beaucoup de difficulté à parler à quelqu’un au téléphone; je ne cherche pas à dénigrer les gestionnaires de cas ni à dire du mal d’eux, car ils sont eux aussi membres du syndicat, ils font partie du Syndicat canadien de la fonction publique et ils sont surchargés de travail. » – FS 4

Formalités administratives

« Je ne sais pas comment les gens réussissent à suivre le rythme et à satisfaire à certaines exigences, comme les exigences administratives, le courrier. Bien souvent, c’est comme avoir un troisième emploi; votre dossier devient de plus en plus épais à mesure que l’année avance. Et vous devez le tenir à jour, parce que sinon, c’est vous qui, au bout du compte, en paierez le prix. Vous devez être proactif pour que le système fonctionne. Si vous ne faites pas votre travail, vous vous ferez avoir » – TB 7

« C’est à vous de leur prouver que vous avez besoin de ces services et que vous avez besoin que les choses bougent. Il y a eu des mois où j’ai vraiment eu l’impression que c’était, en quelque sorte, comme un travail à plein temps; je devais rester bien au fait de la situation, faire les appels téléphoniques, assurer le suivi, prendre des notes; j’ai créé un carnet qui est rempli d’onglets. Ce carnet, c’est comme ma Bible. » – TB 4

« Si la personne a une lésion cérébrale, des troubles cognitifs, de la difficulté à traiter l’information ou des troubles de mémoire, elle recevra peut-être une lettre ou elle ne comprendra peut-être pas ce que lui demande la WSIB. Elle ne pensera pas à demander de l’aide pour remplir les formulaires, ou bien les formulaires finiront au fond d’un tiroir ou tomberont derrière le réfrigérateur, et la Commission pénalisera la personne pour non-respect des exigences, parce qu’elle n’a pas rempli certains formulaires, sans penser aux difficultés que cela présente pour le travailleur blessé, s’il éprouve de la fatigue, qu’il a une perte cognitive ou a fait une crise épileptique, et que sa mémoire en est d’autant plus compromise, qu’il lui faudra quelques semaines pour se remettre, et qu’une demande peut survenir durant cette période. Et si le travailleur ne se conforme pas, ses prestations [de la WSIB] sont coupées. » – FS 5

Roulement du personnel et continuité des soins

« Je vais vous le dire franchement : je n’ai jamais parlé à la même personne. Dans mon cas particulier, chaque fois que j’ai reçu un appel, c’était d’une personne différente et c’était presque comme s’ils étaient débordés, ce que je peux comprendre. Et ils ne faisaient que transférer mon cas; je dirais que j’ai parlé à environ six personnes différentes. Et personne ne savait vraiment quelle était ma blessure. Par conséquent, chaque fois qu’une personne m’appelait, je devais lui répéter toute mon histoire, avant que la personne passe à l’objet initial de son appel. C’est frustrant, car vous vous retrouvez dans une position où ce n’est pas nécessairement que la personne ne se soucie pas de vous, car ce n’est pas vraiment son travail, mais la personne ne sait pas qui vous êtes. C’est son travail de s’assurer que j’obtiens le soutien dont j’ai besoin. » – TB 10

« L’autre chose, c’est que la WSIB change assez souvent les gestionnaires de cas ou les infirmières-conseils. Donc, si une personne figure sur leur liste depuis longtemps et que la WSIB veut la déplacer, elle commence par changer le gestionnaire de cas ou l’infirmière-conseil, je dirais (mais je ne veux pas qu’on me cite là-dessus) tous les trois ou six mois, afin que le cas soit évalué par quelqu’un qui l’examinera avec un regard neuf, mais aussi quelqu’un qui ne connaîtra pas le contexte puisqu’il n’aura pas lu tout le dossier. » – FS 1

Transparence

« Le principal facteur, c’était de connaître en partie seulement, par exemple, quels sont les taux, mais aussi ce que la WSIB peut vous offrir. Parce que la WSIB n’est pas très ouverte et ne dit pas, nous pouvons faire ceci et cela pour vous; elle ne vous offrira des services que si vous consultez un médecin ou un spécialiste qui sait ce que la WSIB peut offrir et qui, vous savez, vous donnera un papier et vous inscrira dans le programme. Mais oui, c’est difficile de savoir comment avancer dans ce processus et ce que la WSIB devrait et ne devrait pas faire. Car vous ne faites que suivre ce que la WSIB vous dit de faire. » – TB 13

« Vous avancez à tâtons, parce que vous ne savez rien. Du jour au lendemain, vous êtes blessé, vous ne pouvez plus travailler et vous ne savez pas à quoi vous attendre; vous savez ce que je veux dire? Cela ajoute au stress causé par tout le reste. Et voilà que la WSIB vous appelle tous les jours. Et vous ne comprenez pas pourquoi. On ne vous dit rien à ce sujet. » – TB 10

« La WSIB n’informe pas ses cliniciens sur ses processus, ce qui nous aiderait à renseigner nos clients, parce qu’ils sont un peu dans le noir… et cela alimente leur sentiment d’incertitude et d’insécurité et, encore une fois, nuit à leur progrès psychologique, n’est-ce pas? » – FS 1

Facteurs de risque s’appliquant au système dans son ensemble

Problèmes d’accès et emplacement

« C’était incroyablement frustrant, parce qu’il y a des limites à ce que vous pouvez faire quand vous vivez dans une ville du Nord qui ne compte qu’un nombre limité de professionnels de la santé. Par exemple, si vous devez aller à la clinique pour une fracture ou chez un chiropraticien, ou si vous devez aller en physiothérapie, vous savez, ces choses-là prennent du temps. Ce n’est pas seulement, vous m’avez appelé hier et vous appelez encore aujourd’hui. Rien n’a changé en 18 heures. » – TB 10

« Il faut souvent une recommandation pour obtenir les services que j’ai quand même reçus. Et si vous ne pouvez pas consulter votre propre médecin pour obtenir cette recommandation, vous êtes laissé à vous-même. Vous savez, j’ai essayé de lire beaucoup et de me renseigner, pour en apprendre davantage sur ce à quoi je devais faire face. En un sens, cela a été une véritable expérience en soi. » – TB 16

« [Quand] j’ai expliqué ma condition préexistante, et que mon spécialiste était à Toronto, alors tout est devenu très compliqué. Il devenait évident qu’il y aurait beaucoup de frais de voyage pour les allers-retours à Toronto, les séjours à l’hôtel, les absences du travail, etc. Ils sont devenus très impolis, très rapidement. » – TB 1

« Ouais, c’était très, très intense. Et ils m’ont obligé à retourner à la salle d’urgence quatre fois pour obtenir d’autres documents du même médecin, parce que mon médecin de famille, ce n’était pas suffisant pour eux. » – TB 10

« Une chose importante que j’ai constatée et sur laquelle je n’ai pas assez insisté, c’est à quel point c’est différent dans le Nord. Pour moi, par exemple, qui suis dans le nord de Kenora, ce qui n’est pas très au nord, mais où l’on est déconnecté du type d’accès aux services centralisés que l’on trouve dans la région urbaine de Toronto. Vous savez, il est toujours important d’expliquer les différences et d’expliquer en quoi les services sont différents, les gens et l’accès sont différents. Le même type de différences s’applique toujours à la WSIB. » – FS 2

Accès à des experts médicaux pour évaluation, consultation ou services

« Ce serait bien si le gouvernement en avait [des experts médicaux], surtout dans le Nord de l’Ontario, où l’accès est assez limité. À Toronto et à Ottawa, et d’autres endroits comme ça, je suis sûr que vous n’avez qu’à sortir de chez vous pour trouver quelqu’un qui connaît le fonctionnement. Mais dans le Nord de l’Ontario, bien des gens sont laissés à eux-mêmes. Il y a une génération plus âgée et une génération plus jeune. Vous savez, [les fournisseurs de services] ne veulent pas vraiment traiter avec la WSIB; je suis sûr que vous avez quelques avocats du travail qui s’occupent de ce genre de questions. » – TB 7

« Quelque chose arrive; ils refusent votre demande, parce qu’il n’y a pas de continuité – c’est le mot important ici – au sein de la WSIB. Ils demandent à voir les examens d’imagerie par résonance magnétique, les comptes rendus des rendez-vous avec le médecin. Ils veulent entendre les transcriptions des médecins, mais la plupart des gens ne le font pas, parce qu’ils n’ont pas le temps, surtout s’ils ont une famille. » – TB 7

Relations entre employeur et syndicat

« J’ai fini par être renvoyé de mon travail dans les deux semaines qui ont suivi [mon appel à la commission du travail pour l’informer que mon lieu de travail n’était pas sécuritaire], ou je soupçonne qu’il s’agissait de représailles, parce que j’ai appelé la commission du travail ou d’autres raisons du genre. Dans le contexte où j’étais déjà blessé… Disons que ça n’a pas aidé. » – TB 6

« Malheureusement, je n’ai pas pu avoir accès à du soutien juridique, parce que mon organisme est syndiqué. Une représentante syndicale m’a aidé au début, mais j’ai ensuite appris, par des courriels privés, que l’organisme l’avait essentiellement forcée d’abandonner mon cas. Ils ont dit que, si elle continuait de m’aider, elle serait congédiée; je n’ai donc pas obtenu, et je n’obtiens toujours pas, d’aide de leur part. Ils n’ont désigné personne pour me représenter. » – TB 1

« Ce qui est pire, c’est que les responsables de mon lieu de travail ont dit à la commission des accidents du travail que je devais sans doute faire semblant, ou que je ne méritais pas un programme sérieux de réadaptation et qu’ils ne voulaient pas en avoir la responsabilité. Ça a été pénible de constater que mon lieu de travail ne me soutenait pas. » – TB 8

Réalisation du processus alors qu’on est encore blessé ou malade

« Chaque jour, lorsque je réussis à parler à quelqu’un, je dois prendre des notes parce que ma mémoire n’est plus ce qu’elle était; je dois le faire parce que je ne garde plus l’information en mémoire comme avant. Il y a eu de longues périodes pendant lesquelles j’étais mentalement incapable de défendre mes droits. Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de membres de ma famille et d’amis formidables, qui m’ont aidé à m’en sortir, et aussi sur mes enfants, bien sûr. Mais j’y repense aujourd’hui et je me demande où j’en serais aujourd’hui si je ne les avais pas eus. » – TB 4

« Je n’ai plus la capacité mentale requise pour essayer de me rappeler quand les choses doivent être faites, comment elles doivent être organisées, le groupe avec lequel je travaille, toutes sortes de gens m’aident à m’organiser. Ma femme n’a tout simplement pas le temps, parce qu’elle me conduit à mes rendez-vous chez le médecin. » – TB 3

Abréviations : FS, fournisseur de services; TB, travailleur blessé ou malade; WSIB, Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail.

Les travailleurs ont mentionné comme facteurs de protection (facteurs positifs ou qui améliorent l’expérience) principalement 1) un accès à des services adéquats (par exemple, en psychologie), 2) l’introduction récente du portail en ligne de la WSIB pour la coordination et le dépôt des demandes d’indemnisation et des contestations et 3) la transparence de la WSIB (cas où les travailleurs savaient exactement ce à quoi s’attendre de la WSIB et quelles procédures suivre).

Les travailleurs ont mentionné comme facteurs de risque (facteurs négatifs ou qui nuisent à l’expérience) spécifiques à la WSIB : 1) problèmes liés à la coordination des soins et à la planification du traitement (dont l’accès aux services et harmonisation des services entre les divers fournisseurs), 2) problèmes de communication (en particulier une difficulté à joindre des représentants de la WSIB), 3) formalités administratives (quantité totale, complexité des documents), 4) roulement du personnel et continuité des soins (devoir répéter des renseignements de base sur la blessure ou la maladie à de nombreux nouveaux intervenants) et 5) transparence (en particulier l’incertitude quant aux étapes du processus et aux exigences à respecter). En outre, ils ont cité des facteurs de risque s’appliquant au système dans son ensemble, dont 6) l’emplacement et la capacité d’accès à des experts médicaux pour les évaluations, les consultations ou les services, 7) les relations entre employeur et syndicat (par exemple des pressions exercées par les employeurs pour que le travailleur retourne au travail alors que ce travail nuisait au rétablissement, ou tensions entre les syndicats et les employeurs) et 8) le fait d’avoir à passer au travers des processus de la WSIB alors qu’on est blessé ou malade (en raison de la complexité des processus et des multiples actions qu’ils requièrent, ce qui prend du temps qui aurait pu être consacré au repos et au rétablissement).

Suggestions d’améliorations

Les travailleurs et les fournisseurs de services ont formulé un certain nombre de suggestions sur les moyens d’améliorer le système de la WSIB et son fonctionnement, à la fois dans son ensemble et dans le contexte plus précis du Nord-Ouest de l’Ontario.

Sondage

Les suggestions formulées par les répondants au sondage sur les moyens d’améliorer les processus de la WSIB visaient notamment à accroître l’accès à des services supplémentaires (n = 15; 35,0 %) tels que des services de counseling ou de psychologie (n = 7; 17,5 %). Les répondants ont aussi mentionné l’accès à des services d’aide juridique, à des spécialistes du traitement de la douleur ou de la réadaptation ainsi qu’à des indemnités d’incapacité (n < 5) comme moyens d’améliorer les services offerts aux travailleurs blessés du Nord-Ouest de l’Ontario.

Sondage et entrevues

Comme les répondants au sondage ont formulé ouvertement des suggestions sur les moyens d’améliorer les processus de la WSIB, nous avons analysé conjointement la transcription des entrevues et les réponses aux questions ouvertes du sondage. Les suggestions des travailleurs blessés et celles des fournisseurs de services sur les moyens d’améliorer les processus de la WSIB étaient étroitement liées et portaient notamment sur les thèmes suivants : 1) ajout d’un intervenant-pivot, indépendant ou intégré au système, pour aider les travailleurs à comprendre les processus de la WSIB et à les utiliser efficacement, 2) une plus grande compassion de la part des employés de la WSIB, 3) de la continuité dans les soins (dont davantage d’occasions de parler à des représentants de la WSIB qui connaissent bien le cas du travailleur), 4) un accès amélioré à des services de soutien – dans le cadre ou non des soins financés par la WSIB – et une meilleure connaissance de ces services, 5) une communication mieux adaptée de la part de la WSIB, 6) certains éléments particuliers à prendre en considération à propos des fournisseurs de services du Nord et de la planification de la relève et (7) de la transparence (renseignements fournis sur les cheminements et les options qui s’offrent aux travailleurs, dont les services disponibles). Le tableau 4 présente des citations qui illustrent ces différents thèmes.

Tableau 4. Exemples de suggestions formulées par des travailleurs blessés et malades et des fournisseurs de services de la ville et du district de Thunder Bay en vue d’améliorer l’expérience de la WSIB, par thème, novembre 2020 à mars 2021
Thème Exemples de citations
Ajout d’un intervenant-pivot indépendant ou intégré au système

« Je crois qu’il devrait y avoir quelqu’un, je ne sais pas comment cela fonctionnerait, mais quelqu’un à qui vous pourriez parler pour toute question concernant le processus, par exemple un gestionnaire des services au personnel, qui connaît tous les aspects des processus de demande d’indemnisation et de contestation de la WSIB. Cette personne pourrait vous aider ou vous conseiller pour remplir les formulaires, vous indiquer quels formulaires sont exigés, vous accompagner dans ces démarches et tout simplement prendre de vos nouvelles. Hum… cela ferait une énorme différence. » – TB 4

« J’aimerais que l’on mette en place, je ne sais même pas comment ça s’appellerait, je suis ici depuis peu de temps, une sorte de lieu où ils pourraient aller pour discuter, pour consulter quelqu’un qui expliquerait le fonctionnement du système. Quelqu’un qui les mettrait en contact avec les ressources dont vous parlez, qui leur présenterait des attentes réalistes sur ce qu’ils peuvent attendre de la WSIB, sur leurs droits, et qui les informerait à ce sujet. Juste quelqu’un qui pourrait, par exemple, leur fournir une sorte de feuille de route leur indiquant ce à quoi ce chapitre de leur vie ressemblera, ou à peu près. » – FS 1

Compassion

« J’aimerais juste que la WSIB fasse preuve d’un peu plus de compassion envers les gens. Ces gens traversent une période très stressante. Je sais que chaque cas est différent – certains sont mineurs, d’autres non; parfois la vie du patient est en danger, parfois elle ne l’est pas. Heureusement, dans mon cas, ma vie n’était pas en danger, même s’il y aura des répercussions permanentes sur ma vie, et le fait d’être appelé par un numéro, plutôt que par mon nom, m’a donné l’impression qu’on m’ignorait et que mon cas n’était pas important. » – TB 1

« Aussi qu’on vous traite, vous savez, avec un minimum de respect et de dignité humaine. » – TB 16

« Je crois que toute mesure qui peut aider les gens à avoir davantage l’impression qu’ils sont vus, entendus et pris en compte sera bénéfique pour leur santé mentale. » – FS 1

Continuité des soins

« La continuité avec la même personne; je pense que ce serait une bonne chose que d’avoir la possibilité de toujours parler à la même personne lorsque vous demandez de l’aide. » – TB 11

« J’aimerais avoir toujours le même gestionnaire de cas; on vous attribue un gestionnaire de cas dès le début, mais on transfère ensuite votre cas à un autre gestionnaire de cas, puis à un autre. Votre gestionnaire de cas change au fil du temps, et je ne sais pas pourquoi ils font ça. Je crois qu’ils ne veulent pas que vous établissiez des liens avec votre gestionnaire de cas. Je pense simplement qu’ils veulent que ça reste formel, mais lorsque vous êtes à l’aise de parler avec le gestionnaire de cas, c’est beaucoup plus facile d’être franc avec lui et de ne rien lui cacher, et vous n’avez pas peur de dire des choses que vous n’êtes pas censé dire ou vous êtes beaucoup plus clair et plus disposé à fournir les renseignements qu’on vous demande. Il n’y a pas d’intention cachée. » – TB 7

Accès amélioré à des services de soutien et meilleure connaissance de ces services

« Ça vous tue. Certaines personnes ont vraiment, vraiment, besoin d’aide pour surmonter leur dépression et elles ont besoin de savoir comment obtenir cette aide. » – TB 3

« J’ai l’impression qu’un programme de gestion du stress ou de l’anxiété aurait probablement été bon pour moi. » – TB 10

« Après la communication initiale, ils ne m’ont fourni aucune information sur les services psychologiques ou physiologiques disponibles. Je crois que mon organisme m’a indiqué que, si je voulais faire appel au programme d’aide aux employés et à leur famille, je pouvais le faire, mais je ne crois pas, et il n’y a aucune mention à ce sujet dans mes notes, que la WSIB m’ait proposé une forme ou une autre de soins supplémentaires. » – TB 12

Communications mieux adaptées

« Il ne fait aucun doute qu’ils doivent améliorer leur aptitude à communiquer. Je comprends parfaitement qu’ils ont une lourde charge de travail, et que mon cas n’est pas toujours une priorité. J’en suis très, très, conscient. Mais manquer des occasions de consulter un médecin et espérer que la douleur diminuera, parce qu’ils ne m’ont tout simplement pas rappelé en trois mois, c’est totalement inacceptable. » – TB 1

« Une meilleure communication. » – TB 13 et 16

« Je crois qu’ils pourraient simplifier un peu [les processus de la WSIB]. » – TB 7

« Je crois que de meilleures communications entre le gestionnaire de cas et le psychologue traitant seraient utiles. » – FS 1

Éléments particuliers à prendre en considération et planification de la relève pour les fournisseurs du Nord

« Les gens travaillent à la WSIB jusqu’à leur mort, simplement parce qu’il n’y a pas beaucoup de gens pour les remplacer et qu’ils deviennent de véritables experts dans leur domaine. Et les conséquences négatives de la perte de cette personne et de toutes ses connaissances se répercutent sur toute la province. » – FS 1

« Oui, il est certain que des personnes de l’extérieur de Thunder Bay ont été dirigées vers moi, mais j’ai cessé d’en prendre pendant un certain temps, parce que c’était beaucoup de travail. » – FS 2

Transparence

« Je crois qu’ils devraient établir très clairement dès le départ qu’ils ne travaillent pas pour moi, mais pour la Commission. Je ne le savais pas parce que, comme je l’ai dit, je n’avais jamais eu affaire à la WSIB auparavant. Je croyais que c’était mon assurance, qu’ils étaient là pour me couvrir et qu’ils étaient de mon côté, mais j’ai découvert très, très rapidement que ce n’était pas le cas. » – TB 1

« La WSIB se rendrait probablement un énorme service si elle entrait d’abord en contact avec le consommateur, c’est-à-dire le travailleur blessé. Si elle expliquait dès le départ aux gens que le processus pourrait prendre des mois et des mois de leur temps et de leur vie, et qu’ils vivront une situation très difficile. Mais pour une raison que j’ignore, il semble y avoir cette prédisposition de leur part à présumer que les gens savent ce qui se passe dans ce processus bureaucratique interne, qui se présente en fait comme un véritable rideau de fer. Vous n’avez aucune idée de ce qui se passe. Et ils ne vous expliquent rien. Alors, je crois que, dans un monde idéal, ma suggestion serait qu’ils offrent certains services de base à la clientèle et qu’ils guident les gens durant les premières étapes. » – TB 12

« En tant que travailleur blessé, vous ne savez vraiment pas ce que l’on attend de vous. » – TB 16

« Je pense qu’il faudrait améliorer la clarté et la cohérence des processus. Hum… au moins, établir un processus représentatif cohérent, afin que vous sachiez quand vous dérogez de la procédure et que vous puissiez expliquer pourquoi vous vous écartez de la procédure. Je pense qu’ils doivent aussi clarifier les rôles. Pour qu’il existe une certaine clarté quant au rôle que vous devez jouer lorsqu’on vous demande d’exprimer votre opinion, en fonction de votre petit domaine d’expertise; en réalité, votre opinion exerce une grande influence sur la décision qui est prise. Aussi, avoir une sorte de boucle de rétroaction afin que, dans le cas contraire, l’information soit communiquée, de préférence non pas par le client. Je me demande si ce que vous essayez de faire, c’est de tenter de donner du pouvoir au client et de l’amener à assumer la responsabilité. » – FS 3

Abréviations : FS, fournisseur de services; TB, travailleur blessé ou malade; WSIB, Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail.

Analyse

Bien que les systèmes d’indemnisation des accidents du travail, comme la WSIB, soient conçus pour réduire les préjudices financiers et favoriser le rétablissement et le retour au travailNote de bas de page 5, les recherches montrent que les travailleurs blessés affichent dans l’ensemble une santé physique et mentale médiocre et de piètres résultats professionnelsNote de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 23Note de bas de page 24Note de bas de page 25Note de bas de page 26. Dans le cadre de notre étude, des travailleurs blessés et des fournisseurs de services du Nord-Ouest de l’Ontario ont décrit l’éventail des répercussions que l’accident du travail avait eues, ainsi que la manière dont le système d’indemnisation des accidents du travail avait aussi joué un rôle sur la blessure, la maladie et le rétablissement. Ils ont également formulé des suggestions en vue d’améliorer le système destiné à soutenir les travailleurs.

Les travailleurs blessés du Nord-Ouest de l’Ontario qui ont participé à cette étude ont décrit le large éventail d’effets négatifs que leur blessure ou leur maladie a eus, notamment sur leur bien-être psychologique, physique, socialNote de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 23Note de bas de page 24Note de bas de page 25Note de bas de page 26Note de bas de page 27Note de bas de page 28Note de bas de page 29, financierNote de bas de page 30 et professionnelNote de bas de page 31 et leurs loisirsNote de bas de page 30. Ces résultats concordent avec des recherches antérieures menées chez des travailleurs ailleurs dans la province. Notre étude a notamment mis en évidence le taux élevé de détresse psychologique chez les travailleurs blessés, la plupart des répondants au sondage ayant déclaré que leur accident du travail avait « beaucoup » ou « complètement » changé leur vie.

L’une des principales conclusions de notre étude est que les travailleurs blessés du Nord-Ouest de l’Ontario ont clairement indiqué que leur participation aux processus d’indemnisation des travailleurs et de contestation avait accru ces effets négatifs. De fait, plus de la moitié des participants à notre étude ont qualifié les processus de demande d’indemnisation et de contestation d’extrêmement ou de très stressants. Ces résultats concordent avec ceux de recherches menées ailleurs dans la province, qui montrent que les travailleurs blessés qui ont recours aux systèmes d’indemnisation des accidents du travail font état de niveaux de stress considérables et risquent davantage de présenter des problèmes de santé mentale persistants que les travailleurs qui n’ont pas été blessés au travail et que la population généraleNote de bas de page 32Note de bas de page 33. Les travailleurs blessés et les fournisseurs de services ont mentionné plusieurs volets des processus de demande d’indemnisation ou de contestation susceptibles de contribuer à une expérience négative de ces processus. Nous les détaillons ci-dessous.

Les travailleurs blessés qui ont participé à cette étude ont décrit les effets précis que les processus de la WSIB avaient eus sur leur santé mentale, mentionnant notamment des sentiments d’impuissance, de désespoir, de honte, de culpabilité, de frustration et de colère, la répétition du traumatisme, l’anxiété et l’insécurité financières et professionnelles, la perte d’identité professionnelle, l’isolement social, l’instabilité des rôles familiaux et les conflits familiaux. Ces résultats corroborent ceux de recherches antérieures ayant souligné les écarts de pouvoir entre les demandeurs et le système d’indemnisation des accidents du travail, et cela renforce les déclarations d’autres travailleurs blessés concernant la délégitimation, la coercition et la stigmatisation exercées par certains intervenants du système d’indemnisationNote de bas de page 4Note de bas de page 34Note de bas de page 35 ailleurs au Canada. Ces effets sur la santé mentale décrits par les participants corroborent également les résultats d’études antérieures sur des travailleurs blessés ayant décrit les sentiments de frustration, d’impuissance et de désespoir résultant d’expériences de confrontation et d’un traitement injuste en matière d’indemnisation des travailleursNote de bas de page 3Note de bas de page 34Note de bas de page 35Note de bas de page 36Note de bas de page 37Note de bas de page 38, ainsi que les effets négatifs que ces processus et expériences ont eus sur les plans de carrière, les loisirs, l’engagement communautaire, la situation financière et la santé mentale des demandeursNote de bas de page 30Note de bas de page 31Note de bas de page 36Note de bas de page 38Note de bas de page 39Note de bas de page 40

Nous avons par ailleurs obtenu des données probantes très préliminaires indiquant que le stress causé par les demandes d’indemnisation et les contestations variait selon les groupes. Nous avons notamment constaté que le fait de présenter une incapacité permanente à la suite d’un accident du travail était un prédicteur significatif du stress lié aux demandes d’indemnisation. Cette conclusion vient corroborer des recherches antérieures indiquant que les travailleurs qui présentent une incapacité permanente à la suite d’un accident du travail affichent de moins bons résultats que les travailleurs blessés qui se rétablissent complètement et qui retournent au travail et que la population généraleNote de bas de page 10. D’autres recherches devront être menées auprès de plus vastes échantillons pour déterminer et confirmer d’autres sous-groupes de personnes du Nord-Ouest de l’Ontario et d’ailleurs (par exemple des personnes à plus faible revenu avant la blessure, des personnes apprenant l’anglais), sur qui les processus d’indemnisation et de contestation risquent d’avoir des effets négatifs en matière de santé mentale. Si les résultats peuvent être reproduits, la prise en compte d’éléments particuliers (dont un soutien accru pour la gestion du stress et des attentes différentes en matière de remplacement du revenu pour les travailleurs incapables de retourner dans leur milieu de travail en occupant les mêmes fonctions) pourrait être bénéfique pour les travailleurs qui ont recours à la WSIB.

Bien que notre échantillon ait été limité aux travailleurs et aux fournisseurs de services du Nord-Ouest de l’Ontario, de nombreux points du processus de demande d’indemnisation qui ont été qualifiés de difficiles par les demandeurs et les fournisseurs de services correspondaient à ceux mentionnés dans des recherches antérieures menées ailleurs dans la province. Parmi ces points, mentionnons les problèmes liés à la coordination des soins et à la planification du traitementNote de bas de page 38Note de bas de page 41Note de bas de page 42Note de bas de page 43Note de bas de page 44, les problèmes de communicationNote de bas de page 38Note de bas de page 45, les formalités administrativesNote de bas de page 34Note de bas de page 40, le roulement du personnel et le manque de continuité des soinsNote de bas de page 35Note de bas de page 38Note de bas de page 46 et le manque de transparenceNote de bas de page 34Note de bas de page 38Note de bas de page 47. Comme on pouvait s’y attendre, la participation au processus de contestation a eu des effets négatifs sur les rapports entre les travailleurs blessés et la WSIB : les personnes interviewées et les répondants au sondage ont déclaré que le caractère antagoniste de leurs contestations n’avait fait qu’accroître l’insatisfaction envers des volets déjà difficiles du processus de contestation de la WSIB. Bien que ces thèmes ne soient pas nouveaux pour les travailleurs qui ont recours à la WSIB, notre étude est la première, à notre connaissance, à prouver que ces problèmes sont structurels dans les petites communautés rurales de l’ensemble du Nord-Ouest de l’Ontario.

Par ailleurs, un point essentiel – qui montre l’importance de notre travail dans son ensemble – est le fait que nous avons pu expliciter quels facteurs de risque (facteurs négatifs ou qui nuisent à l’expérience) étaient spécifiques aux travailleurs du Nord-Ouest de l’Ontario qui demandent une indemnisation à la WSIB. Notamment, nous avons facilement établi un lien entre plusieurs problèmes spécifiques à la région et des problèmes anticipés d’accès aux services, notamment à des services juridiques, sociaux et de santé. Plus précisément, certains problèmes endémiques bien connus, liés à la prestation des services de santé dans le Nord, comme le nombre insuffisant de fournisseurs pour répondre aux besoins de la population, ont clairement eu une incidence sur les travailleurs blessés de notre étude. Il est important de noter que les problèmes liés à un accès insuffisant ou inexistant à des services de soins primaires ont eu des effets en cascade sur les travailleurs, car ce sont les prestataires de soins primaires qui évaluent le besoin pour le travailleur de consulter un spécialiste, qui le dirigent vers ce dernier et qui planifient et coordonnent les évaluations et les soins. L’accès limité à des spécialistes est un autre problème qui a été souligné, notamment les longues listes d’attente pour avoir accès à un spécialiste dans la région, ou encore les coûts, la logistique et le temps de déplacement requis pour obtenir une évaluation ou des soins, alors que le travailleur est malade et a des responsabilités familiales. Les déplacements de plusieurs travailleurs qui ont participé à cette étude ont également été restreints par la pandémie de COVID-19, ce qui a retardé encore plus leur accès à des évaluations et à des soins. Des problèmes liés aux infrastructures de communication ont été souvent mentionnés par les répondants de notre échantillon, dont un accès limité ou inexistant à des services Internet ou de téléphonie fiables, problèmes vraisemblablement moins fréquents dans les régions plus peuplées de la province. Ces problèmes concordent avec les résultats des recherches qui ont montré les effets négatifs disproportionnés des accidents du travail sur les travailleurs blessés vivant dans des communautés rurales et éloignées, et le manque connexe d’accès aux soinsNote de bas de page 44Note de bas de page 48Note de bas de page 49Note de bas de page 50Note de bas de page 51.

Nous avons également documenté les effets culturels régionaux des accidents du travail, dont la perte de matériel permettant de s’adonner à des activités récréatives dans la région. Par exemple, certains travailleurs ont dit avoir perdu le bateau ou la motoneige qui leur servait de moyen de transport et de lien avec leur entourage, parce que leurs prestations de remplacement du revenu étaient insuffisantes. Les politiques qui obligent les personnes à vendre tous leurs biens pour être admissibles à des prestations sont ainsi susceptibles d’avoir des effets négatifs non intentionnels sur le rétablissement global des personnes qui ont un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Enfin, les fournisseurs de services du Nord se sont dits très préoccupés par la planification de la relève, notant que, dans les petites communautés de praticiens, l’ensemble du système de services est touché (et, dans certains cas, peut cesser ses activités) lorsque des personnes, qui sont souvent les seuls fournisseurs de services à la population ou à la région, prennent leur retraite, déménagent ou meurent. Attirer et former des fournisseurs de services locaux pour offrir des services communautaires adaptés à la culture doit être une priorité de la WSIB pour assurer le bon fonctionnement du système dans le Nord.

Les facteurs associés à la manifestation d’une détresse psychologique causée par les processus de demande d’indemnisation et de contestation sont modifiablesNote de bas de page 52, dans la mesure où la réaction du milieu de travail aux accidents du travail ainsi qu’aux demandes d’indemnisation et aux contestations est modifiableNote de bas de page 53Note de bas de page 54. Certaines dimensions des processus de la WSIB qui ont été décrits comme des facteurs de protection pourraient être maintenus et améliorés pour des groupes potentiellement mal desservis, comme l’accès à des services de soutien adéquats (principalement des services juridiques ou psychologiques). Plusieurs travailleurs ont également fait l’apologie de l’introduction récente du portail en ligne de la WSIB pour coordonner le dépôt des demandes d’indemnisation et des contestations, ce qui fait que, en consultation avec les travailleurs et les fournisseurs, la WSIB pourrait tirer davantage parti de la technologie pour simplifier et améliorer les expériences des travailleurs vivant dans de petites communautés rurales, éloignées ou nordiques.

Les travailleurs et les fournisseurs de services ont également suggéré diverses améliorations :

  • désigner des intervenants-pivots indépendants pour aider les travailleurs à comprendre les processus de la WSIB et à les utiliser efficacement;
  • encourager les employés de la WSIB à faire preuve d’une plus grande compassion;
  • améliorer la continuité des soins (comme la possibilité de parler à des représentants de la WSIB qui connaissent bien le dossier du travailleur);
  • améliorer l’accès aux services de soutien et l’information sur les services offerts, qu’ils soient ou non financés par la WSIB;
  • faire en sorte que les communications de la WSIB soient mieux adaptées;
  • contribuer au perfectionnement de la main-d’œuvre ou à la planification de la relève, en prenant des dispositions particulières pour les fournisseurs de services du Nord et les populations particulières (par exemple par la formation améliorée des fournisseurs de services);
  • accroître la transparence au sujet du rôle de la WSIB et des processus de demande d’indemnisation et de contestation en général.

L’objectif principal de toutes ces améliorations est de contribuer à un plus grand bien-être des travailleurs blessés.

Points forts et limites

Bien que notre étude soit, à notre connaissance, la première à décrire les expériences, les répercussions et les besoins en matière de services sociaux dans les petites communautés rurales du Nord-Ouest de l’Ontario, nos résultats doivent être interprétés en tenant compte des limites du plan de recherche.

Il s’agit d’une étude transversale, ce qui signifie que les participants ont fourni simultanément les données sur les facteurs de risque portant sur les conséquences de leur blessure et sur les processus de la WSIB. Il est donc possible que certains de nos résultats présentent un biais de causalité inversée, si des travailleurs ayant subi les effets négatifs de leurs blessures ont par inadvertance attribué certaines expériences liées à leur blessure au système de la WSIB. Notre plan d’étude ne nous a pas non plus donné accès à des renseignements sur la santé mentale des travailleurs avant leur blessure, un facteur qui a pu avoir une influence sur la manière dont les travailleurs ont décrit les répercussions de leurs blessures et les facteurs de risque pendant leurs démarches auprès de la WSIB.

Nous sommes également conscients que la taille de notre échantillon est très petite, bien qu’elle soit conforme à d’autres études publiées et souvent citées sur la WSIB. Par conséquent, nos conclusions pourraient ne pas être représentatives des expériences vécues par l’ensemble des travailleurs et fournisseurs de services du Nord-Ouest de l’Ontario, même si le nombre total de fournisseurs de services dans la région est très restreintNote de bas de page 15. Nous sommes aussi conscients que la puissance de notre évaluation des facteurs de risque est faible : d’autres recherches devront être menées auprès d’un plus vaste échantillon (en utilisant les données existantes de la WSIB par exemple) pour reproduire et étendre nos analyses en matière de détresse ressentie par les travailleurs qui présentent des demandes d’indemnisation ou qui contestent une décision.

Outre sa petite taille, notre échantillon a été limité à des anglophones qui pouvaient communiquer avec les chercheurs par téléphone ou ordinateur. Les expériences des nouveaux immigrants ayant des compétences limitées en anglais, de même que celles de travailleurs très éloignés et de personnes totalement démunies, n’ont pas été pleinement prises en compte dans cette recherche.

Enfin, l’outil de mesure du sondage quantitatif utilisé pour évaluer les expériences des travailleurs blessés à l’égard de la WSIB a été conçu pour l’étude et ne constitue pas une mesure validée des expériences des travailleurs. D’autres recherches devront être menées pour valider nos conclusions et évaluer leur généralisabilité à des échantillons plus vastes de travailleurs et de fournisseurs de services du Nord-Ouest de l’Ontario.

Conclusion

Cette étude fondée sur des méthodes mixtes s’ajoute aux recherches antérieures ayant traité des difficultés des travailleurs blessés du Nord-Ouest de l’Ontario, une zone géographique vaste et à part, où les résultats observés à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle sont pires qu’ailleurs dans la province. Elle fournit des renseignements nouveaux sur les expériences vécues par les travailleurs blessés du Nord-Ouest de l’Ontario, sur les effets multiplicatifs de leurs blessures ainsi que sur les effets négatifs du système destiné à les soutenir. Ces travailleurs et plusieurs fournisseurs de services qui connaissent bien le système d’indemnisation des accidents du travail de l’Ontario ont proposé des améliorations formulées à partir de leurs perspectives. La WSIB, les décideurs, les chercheurs et d’autres intervenants pourront utiliser les résultats de cette étude pour améliorer les services de soutien qui sont offerts aux travailleurs blessés du Nord-Ouest de l’Ontario, afin de promouvoir une équité quant à la rapidité de leur rétablissement, à l’amélioration de leur bien-être et à leur retour à un travail viable.

Remerciements

Cette recherche a été financée grâce à une subvention accordée à DS et à AK par la Injured Workers Community Legal Clinic de Toronto (Ontario).

Conflits d’intérêts

Déclaration d’intérêt : Mme Scharf offre, dans le cadre de sa pratique en cabinet privé à temps partiel, des services de psychologie à des travailleurs blessés ou malades dont les soins sont payés par la WSIB.

Contributions des auteurs et avis

CN a dirigé la rédaction de l’article et a collaboré à l’analyse et à l’interprétation des données, ainsi qu’à la préparation des figures et du manuscrit. APK a conçu l’étude et collaboré à la rédaction de l’article ainsi qu’à la collecte, à l’analyse et à l’interprétation des données. JH et JL ont contribué à la conception de l’étude ainsi qu’à la collecte et à l’interprétation des données. JK a collaboré à la conception de l’étude, à l’interprétation des données et à la rédaction de l’article. DS a dirigé la conception de l’étude et collaboré à la rédaction de l’article ainsi qu’à l’analyse et à l’interprétation des données. Tous les auteurs ont collaboré à la version finale de l’article et l’ont approuvée.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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