Psychologie Médico-Légale Partie 4 : Évaluation des délinquants : Chapitre 10

Chapitre 10

Le délinquant atteint d'un trouble mental grave : Évaluation des risques, prise en charge et traitement

Timothy A. Leis, docteur en psychologie cliniqueFootnote 1
Terry Nicholaichuk, docteur en psychologie cliniqueFootnote 2
et Robin Menzies, M.B., B.S., FRCP (C) Footnote 3

Objectifs

Consultation d'un spécialiste
Il sera question ici de l'évaluation des délinquants souffrant d'un trouble mental grave qui relève des catégories diagnostiques de l'Axe I. Nous ne traiterons pas des troubles de l'Axe II.

Une fois qu'il a établi qu'un délinquant présente des symptômes psychiatriques graves et débilitants ou a des antécédents de placement prolongé en établissement psychiatrique, la gestion des cas peut demander conseil au sujet du diagnostic, de la prise en charge et du traitement, ainsi que sur les éléments à prendre en considération dans la prise en charge future du délinquant. Dans ce contexte, certaines questions pourraient être posées au spécialiste, entre autres :

Le type de consultation et d'évaluation dépendra du cas particulier du délinquant et du temps qu'il lui reste à purger.

De manière générale, le dépistage des troubles mentaux permettra de reconnaître les sujets nécessitant une évaluation plus poussée pour déterminer s'ils présentent un risque de comportement autodestructeur ou de suicide, ou s'ils ont besoin de services spéciaux ou d'un placement spécial. Ce dépistage peut être fait par le personnel correctionnel, la gestion des cas ou le personnel des services de santé.

Des problèmes ou des crises psychologiques qui appellent une évaluation et une intervention peuvent surgir au moment de l'admission des délinquants et pendant leur incarcération. Là encore, le personnel correctionnel a un rôle important à jouer dans la détection du problème et dans le renvoi du sujet à un spécialiste.

Le système nerveux central, l'expérience humaine et les troubles mentaux
La première partie de ce chapitre donne un bref aperçu de la conception actuelle des troubles mentaux et plusieurs références qui pourraient s'avérer utiles aux praticiens. Les faits et les concepts présentés ici ne seront pas étrangers aux psychologues qui y ont été exposés dans le cadre de leurs études, de leur travail ou de leurs lectures; le but recherché est plutôt de les regrouper pour qu'ils soient utiles aux cliniciens travaillant en milieu correctionnel.

i) Observation de l'activité cérébrale
Le système nerveux régit la pensée, les émotions et le comportement, comme le montrent les appareils qu'utilisent les chercheurs pour surveiller l'activité cérébrale.

Ainsi, une tomographie par émission de positrons de l'activité cérébrale d'une personne qui tend la main gauche pour ramasser un objet mettra généralement en évidence une activation d'une partie du cerveau dans la région frontale droite avec une activité de fond normale des régions voisines. Si l'on demandait à la personne de ramasser l'objet après en avoir reçu l'ordre verbalement, on observerait également une activation de la partie du cerveau qui régit l'audition. Par contre, si l'on demandait à la personne de décider seule du moment où elle ramasserait l'objet, on constaterait que le geste de tendre la main pour saisir l'objet serait précédé d'une activation plus générale de tout le cerveau, à commencer par les lobes frontaux.

Ce petit scénario illustre le mécanisme par lequel le cerveau régit la pensée, les émotions et le comportement d'une seconde à l'autre. C'est un premier pas vers la compréhension des troubles mentaux et de leur gestion.

ii) Complexité du comportement, processus inné et acquis
Chacun sait par expérience que le comportement humain est extraordinairement complexe. Si l'on songe au développement de l'enfant, on se rend compte que cette complexité du comportement s'acquiert au prix d'un long processus de développement, lequel dépend aussi bien du bagage génétique de l'individu que de son apprentissage.

En d'autres termes, la personne doit exercer énormément son système nerveux et sa musculature pour acquérir la diversité des aptitudes complexes exigées de l'athlète professionnel. De même, si l'on pense à toutes les décisions que l'on prend, à toutes les conversations que l'on tient et à tous les rapports que l'on entretient dans le courant de la journée, on s'aperçoit que les comportements humains les plus élémentaires supposent l'acquisition d'un nombre étonnant d'aptitudes ainsi qu'une très grande souplesse et une très grande dextérité dans leur application. L'être humain, appelé à résoudre les problèmes pratiques de la vie et à comprendre ses semblables, doit faire preuve de sensibilité et d'équilibre, dans la mesure où un faible écart par rapport aux normes sociales est parfois lourd de conséquences. Par exemple, à première vue, le fait de saluer ou non son patron quand on le croise dans le couloir peut sembler insignifiant; or, dans l'esprit de la plupart des gens, il s'agit d'une question de savoir-vivre élémentaire.

On peut facilement concevoir que, dans une certaine mesure, les troubles mentaux nuisent aux aptitudes sociales et perturbent le jugement. Il est cependant possible d'acquérir ou de réapprendre bon nombre de ces aptitudes dans le cadre d'interventions relativement brèves et dirigées. Par ailleurs, lorsqu'on a affaire à un trouble mental grave, il faut prendre garde de ne pas sous-estimer la gravité de ses répercussions sur le comportement, de même que le temps et l'effort nécessaires à l'obtention de résultats appréciables.

Enfin, dans bien des cas, l'individu ne parviendra jamais à se débarrasser de tous les symptômes de trouble mental. Si ces distinctions ne sont pas inutiles dans l'encadrement clinique donné à un stagiaire en psychologie ou à un psychologue nouvellement diplômé, la tentation de sous-estimer l'ampleur des troubles mentaux est particulièrement grande chez les cliniciens qui côtoient régulièrement des personnes gravement perturbées. Il arrive en effet que ces derniers s'habituent aux manifestations fonctionnelles des troubles graves. C'est pourquoi, lorsque les exigences opérationnelles le permettent, il peut être utile d'exposer les psychologues à diverses catégories de clients.

iii) Les troubles mentaux vus comme des déficiences
À la lumière des observations faites au début de cet exposé au sujet du cerveau et de l'élaboration du comportement complexe, nous allons examiner de plus près le délinquant atteint de trouble mental.

Les troubles mentaux sont des dérèglements qui se manifestent par des anomalies de la pensée, des émotions et du comportement, ou par un dysfonctionnement biologique. En gros, ils portent atteinte à la diversité et à la souplesse du comportement humain dans un ou plusieurs domaines, qui sont plutôt insignifiants, dans certains cas, mais pas dans d'autres. Ainsi, certaines personnes n'éprouvent que de la tristesse et ne peuvent ressentir la gamme normale des sentiments; d'autres, peu sensibles aux besoins d'autrui, mijotent souvent des plans pour leur nuire. S'il est normal que l'humeur et le comportement fluctuent, lorsqu'il est assez prononcé, ce phénomène peut indiquer que le fonctionnement du sujet s'est écarté de la large gamme des comportements reconnus comme acceptables des points de vue pratique, fonctionnel ou social et est devenu anormal.

En raison de la diversité des comportements normaux et anormaux, il est utile, lorsqu'on interroge un délinquant, de considérer le trouble qu'il présente d'un point de vue pratique. Quelle est la nature précise du problème? Quels en sont les répercussions sur la vie de tous les jours? Comment influe-t-il sur les rapports du sujet avec son entourage? Parmi ces rapports quels sont ceux qui semblent les plus fragiles et les plus difficiles à établir, et quels sont les plus bénéfiques et utiles?

Il ne faut pas perdre de vue que les personnes atteintes de troubles mentaux ne deviennent pas généralement des délinquants. En d'autres termes, le simple fait qu'une personne souffre d'un trouble mental ne veut pas nécessairement dire qu'elle aura des démêlés avec la justice. Il s'agit de partir du principe que le délinquant atteint d'un trouble mental subit essentiellement les mêmes influences et éprouve les mêmes problèmes que les autres délinquants. Le trouble mental ne représente qu'un aspect de son comportement, et on se doit de faire un effort pour comprendre ses autres facettes, comme on le ferait avec n'importe quel autre délinquant.

Dans certains cas, un acte criminel peut être directement lié à un trouble mental qui empêche la personne de distinguer le mal du bien. La loi prévoit alors la possibilité de désigner la personne comme non criminellement responsable. Ces cas sont relativement rares et ne retiendront pas notre attention ici. La majorité des délinquants atteints de troubles mentaux auxquels nous avons affaire ont été reconnus criminellement responsables de leurs actes et purgent des peines de plus de deux ans dans un établissement fédéral.

iv) Les liens entre les causes de troubles mentaux
Bien qu'il puisse être difficile d'entrer dans les détails, il est important de comprendre que divers facteurs peuvent être à l'origine d'un trouble mental. Par exemple, il est couramment admis que si un individu peut avoir une prédisposition à un certain nombre de maladies, dont les maladies mentales, divers facteurs peuvent avoir un effet de déclenchement. Il s'agit, entre autres, des habitudes de vie, des événements de la vie ou du stress et de l'existence d'un réseau de soutien.

Pour des raisons de commodité, nous envisagerons les troubles mentaux par rapport à deux ensembles de facteurs : le fonctionnement du système nerveux central et l'environnement social. Il est important de se rappeler que ces facteurs peuvent se chevaucher. Autrement dit, un facteur n'exclut pas l'autre; en fait, on peut observer une interaction entre eux.

D'abord, le système nerveux central régit le fonctionnement de l'organisme. Or, on sait aussi que la maladie physique, les anomalies biologiques et génétiques, les carences nutritionnelles et les toxines présentes dans l'environnement peuvent se répercuter sur le système nerveux central. Ainsi, dans certaines familles, la présence de troubles psychiatriques majeurs comme la schizophrénie n'est pas un phénomène purement aléatoire, ce qui donne à penser que l'hérédité entre en jeu, du moins dans une certaine mesure.

Ensuite, en plus de l'interaction entre le cerveau et les structures internes de l'organisme, le système nerveux central sous-tend des processus mnésiques comme l'apprentissage par l'expérience. Par conséquent, les relations interpersonnelles et les événements de la vie laissent des impressions dans le système nerveux et influent continuellement sur le fonctionnement du cerveau.

À ce stade-ci, il importe de souligner que non seulement on « garde en mémoire » des rapports interpersonnels, mais aussi que des émotions y sont associées. Les chercheurs laissent maintenant entendre que ce sont ces émotions qui peuvent modifier le mode de fonctionnement du cerveau à la suite d'une expérience telle qu'un traumatisme. C'est dire que les expériences traumatisantes peuvent perturber le traitement normal de l'information de même que le processus normal de développement évoqué plus haut. À cet égard, il suffit de songer à la réaction de certains individus à un événement grave et traumatisant, comme d'avoir été victime de violence ou d'une agression sexuelle. Il arrive, dans de tels cas, que le traumatisme soit revécu rétrospectivement, ou encore qu'il accroisse l'anxiété, engendre des troubles du sommeil, des sentiments intenses de culpabilité et de colère, des émotions déplacés et une foule de difficultés interpersonnelles.

Pour illustrer comment un trouble donné peut à la fois être causé par les composantes biologique et interpersonnelle/expérientielle du système nerveux central et se répercuter sur celles-ci, prenons le cas de la schizophrénie. Si une anomalie biochimique peut nettement être mise en cause dans la schizophrénie, le mode de pensée déréglé du patient et le contenu de ses pensées sont essentiellement des phénomènes acquis et dépendent du contexte social de l'intéressé.

Cet apprentissage peut avoir des répercussions sur la manifestation de la maladie. Comme nous l'avons déjà signalé, les malades mentaux ne deviennent pas tous des criminels, et leurs troubles ne se manifestent pas nécessairement par un comportement antisocial violent. On peut supposer que la différence tient au contexte social et à l'apprentissage.

Il est important de souligner que le milieu social du patient, entre autres la somme de stress ou de soutien qu'il apporte, peut influer sur l'évolution de sa maladie. On ne comprend pas parfaitement les mécanismes en jeu. Par contre, il faut se rappeler que le stress entraîne certainement une modification du fonctionnement biologique de l'organisme (par exemple, un changement du niveau hormonal), qui rejaillit sur le fonctionnement du système nerveux central. Ces changements peuvent rendre l'organisme plus vulnérable à une détérioration physique ou mentale, ou aux deux. Par ailleurs, on a des raisons de croire que la présence d'un réseau de soutien social contribue à protéger l'individu contre des événements stressants et perturbants et à atténuer les effets de la maladie.

v) Le traitement des troubles mentaux
Les études sur le cerveau montrent clairement qu'il est possible de modifier le fonctionnement cérébral, par des agents chimiques et par des interventions environnementales intenses ou prolongées.

La psychopharmacologie consiste à traiter les troubles mentaux par des médicaments. Hormis un produit bien connu qui n'entre vraiment dans aucune des grandes catégories, on dénombre trois catégories de médicaments à visée thérapeutique : les anxiolytiques, les antipsychotiques et les antidépresseurs. Le lithium, utilisé dans le traitement des troubles de l'humeur bipolaires, ne fait partie d'aucune de ces trois catégories.

Les anxiolytiques servent à soulager la tension, l'appréhension et la nervosité. Les antipsychotiques sont utilisés pour atténuer progressivement les symptômes psychotiques comme l'hyperactivité, la confusion mentale, les hallucinations et les idées délirantes. Quant aux antidépresseurs, ils permettent de remonter le moral et de combattre la dépression.

La psychothérapie est la deuxième grande approche utilisée pour le traitement des troubles mentaux. Par la psychothérapie et le counseling, le thérapeute cherche à établir un lien avec le patient et à supprimer ou à modifier ses symptômes; à modifier ses modes de comportement inappropriés; et, à susciter des changements positifs de sa personnalité.

Ces dernières années, bon nombre d'analyses approfondies d'études sur les résultats de la psychothérapie réalisées en milieu communautaire semblent indiquer que les gens qui se soumettent à une psychothérapie pour divers troubles fonctionnent mieux, en moyenne, que 80 % de ceux qui ne suivent aucun traitement (Lambert et al., 1986). Des études sur les résultats des traitements montrent que l'efficacité de la psychothérapie et des médicaments (selon le cas) est cumulative et à peu près comparable (Smith et Glass, 1980). Plus récemment, des évaluations des résultats ont mis l'accent sur les formules les plus efficaces auprès de divers types de clients – une approche qui présente un plus grand intérêt pratique tant en santé mentale qu'en milieu correctionnel.

vi) Le contexte global de la santé mentale
La définition de la santé mentale que donne actuellement Santé et Bien-être social Canada (1990), souligne l'importance de l'adaptation de l'individu à son milieu et de la qualité de ses interactions sociales. Cette définition rend compte du type de dysfonctionnement pratique, à multiples facettes, auquel nous avons fait allusion dans notre description des personnes atteintes de troubles mentaux.

« La santé mentale est la capacité de l'individu, du groupe et de l'environnement d'avoir des interactions qui contribuent au bien-être subjectif, au développement et à l'emploi optimaux des capacités mentales (cognitives, affectives et relationnelles), à la réalisation de buts individuels et collectifs justes et à la création de conditions d'égalité fondamentale ».

Cette définition insiste, entre autres choses, sur l'importance des facteurs interpersonnels et environnementaux pour le bien-être. Dans notre analyse des causes de troubles mentaux, nous avons fait ressortir l'importance de l'expérience personnelle et de la qualité de l'environnement dans l'état de santé mentale et leur lien possible avec le fonctionnement neurobiologique.

Ainsi, en ce qui a trait aux recommandations concernant les conditions spéciales de mise en liberté conditionnelle et l'importance d'un type d'encadrement ou de réseau de soutien social particulier, il faut se rappeler que si une intervention médicale ou psychologique s'impose dans bien des cas, les conditions générales de vie peuvent intervenir dans la réussite de la réintégration du délinquant atteint de trouble mental.

Avant de nous pencher sur les facteurs de risque et sur les stratégies de gestion des risques, il serait bon de passer en revue les données de base sur les systèmes de classification des troubles mentaux. Nous tenterons plus précisément d'aider les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles à saisir l'importance réelle de ce genre d'information, qui est abondamment utilisée dans certains rapports psychiatriques et psychologiques.

Comprendre la classification des troubles mentaux

i) Raison d'être des systèmes de classification
La classification consiste à regrouper des choses ou des événements qui présentent des analogies. Un système de classification permet premièrement de désigner des phénomènes qui semblent s'apparenter et d'en parler. Il s'agit dans ce cas d'une nomenclature des troubles mentaux.

Deuxièmement, un tel système permet aux professionnels d'accumuler les connaissances cliniques acquises au fil du temps sur des groupes de patients précis. Autrement dit, il joue un rôle dans la collecte de données tirées de recherches.

Troisièmement, il fait le bilan des résultats d'observations et de recherches méticuleuses, ce qui aide les professionnels de la santé mentale à décrire les principales différences et similitudes entre les patients.

Quatrièmement, il aide les cliniciens à faire des pronostics à la lumière des symptômes et des signes cliniques observés. En d'autres termes, dans une certaine mesure, il permet de prévoir l'évolution de troubles distincts. En outre, les stratégies de traitement et de gestion les plus efficaces pour certains types de troubles suscitent un intérêt croissant, de sorte que l'on s'entend de plus en plus sur la façon de traiter et de prendre en charge les patients.

Cinquièmement, les systèmes de classification et les connaissances qui se dégagent de recherches fondées sur eux servent de points de référence pour les théories relatives aux troubles mentaux ou à la psychopathologie (Phares, 1992).

Enfin, les systèmes de classification servent à des fins administratives, entre autres au remboursement dans le cadre de régimes publics ou privés d'assurance et à la planification des services cliniques et de la recherche. L'organisation et la planification des services s'en voient grandement facilitées lorsqu'on peut déterminer le nombre d'individus qui souffrent d'un trouble précis dans une population donnée.

ii) Les problèmes posés par les systèmes de classification
Si les systèmes de classification ont leur utilité, ils présentent aussi des limites et des inconvénients. Un certain nombre de problèmes graves ont été cernés (Phares, 1992).

Premièrement, il faut éviter de confondre catégorisation et explication ou compréhension. Ainsi, lorsqu'on dit qu'une personne est psychotique parce qu'elle souffre de schizophrénie, on tient un raisonnement circulaire qui n'a guère de valeur explicative. Le simple fait de nommer une maladie n'en explique nullement la cause.

Deuxièmement, l'emploi d'un terme diagnostique risque de nous faire perdre de vue les traits de caractère propres à la personne et les déterminants contextuels de son comportement, et peut nous amener à supposer que les troubles sont plus chroniques et plus enracinés qu'ils ne le sont en réalité. Il ne faut jamais oublier que les cas réels sont rarement conformes aux descriptions qu'en donnent les livres.

Troisièmement, il arrive que les systèmes de classification diagnostique estompent les valeurs sociales qui les sous-tendent. Ainsi, pendant des années, l'homosexualité a figuré dans les manuels de classification des troubles mentaux. Or, avec l'évolution des normes sociales, l'homosexualité se vit plus ouvertement et est maintenant considérée non plus comme un trouble mental, mais simplement comme un autre choix de vie.

Quatrièmement, on s'interroge sérieusement sur la fiabilité et la validité des catégories diagnostiques établies par les systèmes de classification des troubles mentaux. Autrement dit, les catégories diagnostiques ne sont pas toutes faciles à utiliser de manière uniforme. Elles n'établissent pas toujours de distinction très nette entre des phénomènes réellement distincts. En outre, les critères diagnostiques ne présentent souvent pas beaucoup d'intérêt sur le plan pratique, dans la mesure où ils ne nous apprennent pas grand-chose sur la façon dont une personne pourra fonctionner dans la vie quotidienne, pendant ou après son incarcération.

Enfin, il faut se garder d'une trop grande assurance à l'égard du diagnostic proprement dit. Le diagnostic doit être considéré comme un instrument à utiliser dans l'intérêt du patient en ce sens qu'il s'inscrit dans le cadre du traitement ou de la gestion des symptômes. L'acte même du diagnostic ne contribue en rien au bien-être du patient.

Compte tenu des réserves susmentionnées, il y a lieu d'utiliser parcimonieusement les renseignements diagnostiques dans les rapports. On s'en servira surtout dans l'élaboration de stratégies thérapeutiques. Comme nous le ferons remarquer, certains diagnostics peuvent être utiles pour l'anticipation et la gestion des risques; cependant, il ne faut pas en conclure que tel est généralement le cas. Dans l'ensemble, compte tenu des torts qu'il peut causer, le diagnostic doit toujours être posé avec prudence et sérieux, et il est assujetti aux dispositions législatives actuelles en matière de santé mentale.

iii) Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux IV (DSM-IV)
Le DSM-IV, publié en 1994, est le fruit du travail d'une équipe créée par l'American Psychiatric Association. Il repose en grande partie sur des critères comportementaux et d'autres mesures objectives. Le but recherché était de mettre au point un système de classification fiable et efficace à cause des critiques exprimées à l'égard des systèmes précédents. Les auteurs du DSM-IV ont aussi admis que les causes de beaucoup de troubles, autrement dit leur étiologie, n'étaient pas assez clairement établies pour justifier leur inclusion dans une catégorie diagnostique. Par exemple, ils ont choisi d'exclure le terme «névrose» du manuel en raison de son lien étroit avec la théorie psychanalytique. En privilégiant l'objectivité, ils ont considérablement amélioré la fiabilité du manuel, autrement dit, la possibilité que différents cliniciens parviennent au même diagnostic.

Lorsque des renseignements diagnostiques sont sollicités, il convient en principe de faire un compte rendu complet du diagnostic. Dans cette optique, il est généralement conseillé d'utiliser tous les axes définis dans le DSM-II si l'on veut tenir compte de la complexité du comportement déjà évoquée ainsi que des facteurs environnementaux, interpersonnels et médicaux.

Le trouble mental et le trouble de la personnalité

i) Troubles de la personnalité
Pour les besoins de cet article, nous distinguerons les troubles de la personnalité des autres types de troubles mentaux comme la schizophrénie. Le sujet qui présente des troubles de la personnalité est porté à « passer à l'acte » plutôt que de vivre des conflits intrapsychiques. Autrement dit, il a un comportement contraire aux attitudes sociales dominantes ou aux attentes des autres, au lieu de réprimer ce comportement et d'éprouver de l'angoisse. Souvent ces modes de comportement sont identifiables dès l'adolescence et se prolongent pendant la vie adulte.

La catégorie des troubles de la personnalité est vaste et englobe des problèmes de comportement de nature et de gravité très variables. À une extrémité, on trouve les cas légers, autrement dit les sujets qui fonctionnent généralement bien, mais que leurs amis ou leur famille décriraient comme des gens excentriques ou difficiles. Ils ont des façons bien particulières d'aborder les situations et les gens, ce qui les rend difficiles à vivre; pourtant, il arrive qu'ils fonctionnent très bien dans leur vie professionnelle. À l'autre extrémité, on trouve les sujets au comportement plus extrême et souvent contraire à l'éthique de la société, qui sont de ce fait moins capables de fonctionner dans un cadre normal; beaucoup sont détenus en prison ou dans un hôpital à sécurité maximale, mais d'autres réussissent à échapper à la justice en raison de leur capacité de manipulation.

ii) Caractéristiques cliniques des troubles de la personnalité

Les modes de comportement associés aux troubles de la personnalité sont très imperméables au changement. De manière générale, les personnes qui présentent ce genre de troubles ne cherchent à changer de comportement ni de leur propre initiative ni à la demande de l'entourage. Elles consultent rarement d'elles-mêmes et ne sont pas souvent motivées à tirer profit d'une thérapie.

iii) Troubles mentaux
Nous nous intéresserons ici à deux formes graves de troubles mentaux : la schizophrénie et le trouble affectif bipolaire (ou psychose maniaco-dépressive). Dans ce dernier cas, nous insisterons sur la phase maniaque.

Schizophrénie

A. Symptômes caractéristiques. Présence d'au moins deux des symptômes suivants pendant une durée significative au cours d'un mois (sauf quand ils répondent favorablement au traitement) :

  1. idées délirantes,
  2. hallucinations,
  3. discours désorganisé (p. ex., fréquents déraillements ou incohérences),
  4. comportement grossièrement désorganisé ou catatonique,
  5. symptômes négatifs, p. ex., indifférence affective, alogique ou avolition.

Un seul symptôme du critère A suffit lorsque les idées délirantes sont bizarres ou que les hallucinations consistent en une voix commentant en permanence le comportement ou les pensées du sujet, ou en deux ou plusieurs voix conversant entre elles.

B. Dysfonctionnement social ou professionnel. Pendant une période relativement longue suivant la survenue de la perturbation, le fonctionnement dans un ou plusieurs domaines, tels que le travail, les relations interpersonnelles ou les soins personnels, est nettement inférieur au niveau atteint auparavant (ou, en cas de survenue dans l'enfance ou l'adolescence, incapacité à atteindre le niveau de développement social, scolaire ou professionnel auquel on aurait pu s'attendre).

C. Durée. Les signes continus de la perturbation persistent pendant au moins six mois. Pendant cette période, des symptômes répondant au critère A (c'est-à-dire des symptômes en phase active) doivent être présents pendant au moins un mois (ou moins quand ils répondent favorablement au traitement); la période peut inclure des épisodes de symptômes prodromiques ou résiduels. Pendant ces épisodes, les signes de la perturbation peuvent se manifester seulement par des symptômes négatifs ou par deux ou plusieurs des symptômes énumérés sous le critère A et présents sous une forme atténuée (p. ex., croyances bizarres, expériences perceptuelles inhabituelles).

D. Exclusion des troubles schizo-affectifs et des troubles de l'humeur. Les troubles schizo-affectifs et les troubles de l'humeur avec caractéristiques psychotiques ont été exclus soit parce que aucun épisode dépressif maniaque ou mixte important n'est survenu concurremment avec les symptômes en phase active, ou soit parce que, lorsque les épisodes de troubles de l'humeur sont survenus pendant la phase active des symptômes, leur durée totale a été brève comparativement à celle des épisodes actifs et de rechute.

E. Exclusion de l'abus de substances toxiques et des troubles somatiques généraux. La perturbation attribuable aux effets physiologiques directs d'une substance (p. ex., une drogue ou un médicament) ou à un trouble somatique général.

F. Rapport à un trouble profond du développement. En présence d'antécédents de trouble autistique ou d'un autre trouble profond du développement, un diagnostic additionnel de schizophrénie ne peut être posé que si des idées délirantes ou des hallucinations marquantes sont également présentes pendant au moins un mois (ou moins quand le sujet répond favorablement au traitement).

Épisode maniaque
Nous nous arrêterons maintenant à la phase maniaque du trouble affectif bipolaire. La personne qui vit un épisode maniaque est exceptionnellement exaltée, euphorique et expansive. Cet état d'esprit est souvent entrecoupé d'irascibilité voire de violence, surtout lorsque l'entourage refuse d'entrer dans le jeu de la personne. Le niveau d'activité physique et mental augmente. On observe aussi une surestimation de soi, qui peut parfois atteindre le délire mégalomaniaque, où le sujet est habité par des idées de grandeur et de puissance.

Les symptômes de la phase maniaque exposés suivants sont tirés du DSM-IV :

A. Une période nettement délimitée d'humeur exaltée, expansive ou irritable, anormale et persistante, durant au moins une semaine (ou de durée indéfinie si l'hospitalisation se révèle nécessaire).

B. Au cours de cette période de perturbation de l'humeur, au moins trois des symptômes suivants ont persisté (quatre, si l'humeur est seulement irritable) avec une intensité suffisante :

  1. surestimation de soi ou idées de grandeur;
  2. diminution du besoin de sommeil (p. ex., le sujet se sent reposé après seulement trois heures de sommeil);
  3. plus grande communicabilité que d'habitude ou désir de parler constamment;
  4. fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées défilent;
  5. distractivité (l'attention du sujet est trop facilement attirée par des stimuli extérieurs sans importance ou insignifiants);
  6. augmentation de l'activité orientée vers un but (social, professionnel, scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice;
  7. implication excessive dans des activités agréables mais qui pourraient être très lourdes de conséquences (p. ex. la personne se lance dans des achats inconsidérés, des activités sexuelles compromettantes ou des investissements commerciaux déraisonnables).

C. Les symptômes ne satisfont pas aux critères de l'épisode mixte.

D. La perturbation de l'humeur est suffisamment sévère pour entraîner une perturbation marquée du fonctionnement professionnel, des activités sociales ou des relations interpersonnelles habituelles, ou pour justifier que le sujet soit hospitalisé pour l'empêcher de se faire du mal ou d'en faire aux autres; ou présence de caractéristiques psychotiques.

E. Les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d'une substance (p. ex., une drogue, un médicament ou un autre traitement) ou à un trouble somatique général (p. ex., hyperthyroïdie).

Les épisodes pseudomaniaques clairement causés par un traitement antidépressif somatique (p. ex., médication, électrochocs, photothérapie) ne devraient pas faire pencher en faveur d'un diagnostic de trouble bipolaire de l'Axe I).

La prévalence des troubles mentaux chez les délinquants sous responsabilité fédérale au Canada
Jusqu'au début des années 1960, les délinquants atteints d'un trouble mental étaient rarement considérés comme posant un problème particulier ou comme devant faire l'objet d'une activité ou d'une responsabilité spéciale par les autorités des systèmes correctionnels en Amérique du Nord. Au début des années 1970 toutefois, une série de changements s'amorçaient parallèlement dans les systèmes de santé mentale, de droit et de justice pénale. Le plus important de ces changements fut certes la désinstitutionalisation progressive des personnes souffrants de troubles mentaux, qui donna lieu à l'entrée de celles-ci en nombre croissant dans le système de justice pénale. C'est ainsi, par exemple, que le nombre des patients recensés en Saskatchewan est tombé de 2 200 à 200.

Dans leur enquête sur les études portant sur les taux de prévalence des troubles mentaux, Steadman, McCarty et Morrissey (1989) ont noté que le taux de prévalence intrinsèque des troubles mentaux (c'est -à-dire les psychoses) dans les prisons locales se situait entre 3 % et 11 % et que la fréquence des formes moins sévères de maladie mentale (p. ex., les troubles non psychotiques et les troubles de la personnalité) se situait entre 15 et 20 %.

À la lumière de ces données, il est apparu de plus en plus, au cours des deux dernières décennies, que les personnes souffrant de troubles mentaux représentent une proportion importante de la population carcérale, tant aux États-Unis qu'au Canada. On a également observé que, dans certains échantillons, la grande majorité des personnes souffrant de troubles mentaux graves étaient susceptibles d'être atteintes de deux ou de trois troubles au lieu d'un seul (Abram et Teplin, 1991). Notons que nombre de ces personnes ont également divers problèmes de toxicomanie. Comme nous le verrons, ce profil du délinquant à problèmes multiples, dit « délinquant à diagnostic Mixte », pourrait être aussi révélateur de risque qu'un diagnostic de trouble mental grave.

En 1988, le Service correctionnel du Canada a effectué une importante étude sur la prévalence des troubles mentaux chez les délinquants sous responsabilité fédérale (Motiuk et Porporino, 1992). À l'aide des estimations établies dans le cadre de cette étude, les pourcentages suivants ont été calculés à des fins de planification :

En gardant ces chiffres à l'esprit, examinons maintenant comment se fait l'évaluation clinique des risques que peuvent poser ces personnes atteintes de troubles mentaux.

Évaluation du risque chez les personnes atteintes de troubles mentaux

i) Remarques préliminaires
Les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles et le personnel correctionnel se sont toujours préoccupés des risques accrus de violence que pourraient présenter les personnes atteintes de troubles mentaux. Pourtant, il faut savoir que, dans les faits, on commence tout juste à étudier le rapport entre trouble mental et comportement violent. Nous essaierons quand même de présenter certaines des principales conclusions et des concepts les plus pertinents à ce sujet.

Les recherches récentes donnent généralement à penser que la présence d'un trouble mental grave est un facteur de risque significatif, mais modéré, de comportement violent (Monahan, 1992). Plus précisément, il semble que la présence de symptômes psychotiques actifs figure parmi les principaux indicateurs d'alerte de comportement violent. Les troubles de la personnalité et les troubles liés à l'abus de substances toxiques peuvent également être fort pertinents pour prévoir les récidives violentes.

ii) Deux façons d'aborder l'étude du rapport entre troubles mentaux et violence
Il y a deux façons d'étudier le rapport entre les troubles mentaux et le comportement violent (Monahan, 1992).

La première consiste à comparer la fréquence des comportements violents chez les personnes souffrant de troubles mentaux et chez les autres :

La seconde consiste à étudier la fréquence des troubles mentaux chez les personnes ayant des comportements violents :

Ces deux types d'étude sont valables. Il est toutefois important de noter que chacune a ses limites lorsqu'il s'agit de déterminer le rapport entre trouble mental et violence.

iii) Violence chez les personnes atteintes de troubles mentaux
Échantillons pris dans la collectivité
En 1990, Swanson, Holzer, Ganju et Jono ont publié une étude intitulée «Violence and psychiatric disorder in the community : Evidence for the Epidemiologic Catchment Area Surveys». À partir des données épidémiologiques du National Institute of Mental Health, ces chercheurs ont groupé des échantillons pondérés représentatifs de résidents adultes de ménages de Baltimore, de Durham et de Los Angeles de façon à constituer une base de données d'environ 10 000 personnes, puis ils se sont servi du DIS pour établir les troubles mentaux conformément au DSM III.

Cinq questions du DIS ont été utilisées pour déterminer les comportements violents :

Les personnes ayant répondu par l'affirmative à l'une de ces questions pour l'année précédant l'entrevue ont été comptées parmi les violents. L'étude ne tenait compte ni de la fréquence, ni de la gravité des actes violents.

Les chercheurs ont ainsi trouvé que les comportements violents étaient sept fois plus fréquents chez les jeunes que chez les personnes âgées, deux fois plus chez les hommes que chez les femmes, et trois fois plus dans les classes défavorisées que dans les classes aisées. Dans le calcul des données cliniques, les personnes qui répondaient aux critères de plus d'un diagnostic ont été incluses dans chaque catégorie.

Pourcentage de comportements violents au cours de l'année écoulée par diagnostic
diagnostic % de la violence
Pas de diagnostique 2.1%
Schizophrénie 12.7%
Dépression majeure 11.7%
Trouble maniaque ou bipolaire 11.0%
Abus/dépendance (alcool) 24.6%
Abus/dépendance (drogu) 34.7%

N'oublions pas que ces résultats sont ceux d'un échantillon de personnes non identifiées comme atteintes d'un trouble mental choisies dans la collectivité. On peut d'emblée en tirer trois conclusion : les comportements violents étaient plus de cinq fois plus fréquents chez les personnes ayant fait l'objet d'un diagnostic de l'Axe I du DSM III que chez celles n'ayant fait l'objet d'aucun diagnostic; les comportements violents étaient aussi fréquents chez les personnes répondant aux critères diagnostiques de la schizophrénie, de la dépression majeure ou du trouble bipolaire; et, les comportements violents étaient 12 fois plus fréquents chez les personnes répondant aux critères diagnostiques de l'alcoolisme et 16 fois plus fréquents chez les autres toxicomanes que chez ceux n'ayant fait l'objet d'aucun diagnostic.

Prenons maintenant l'article de 1992 de B. Link, E Cullen et H. Andrews intitulé « Violent and illegal behaviour of current and former mental patients compared to community controls ». Ces chercheurs ont comparé 400 adultes du quartier Washington Heights de la ville de New York à plusieurs échantillons d'anciens patients soignés pour troubles mentaux provenant de la même région.

Les travaux des auteurs sur les «symptômes courants», effectués à l'aide de l'échelle des idées et perceptions fausses de la Psychiatric Epidemiology Research Interview (PERI), présentent un intérêt tout particulier.

Cette échelle mesure les symptômes psychotiques de fond au moyen de questions comme :

Il est à noter qu'une corrélation significative a été établie entre les mesures des symptômes psychotiques courants et la plupart des indices de comportement violent récent. En d'autres mots, les malades mentaux risquaient beaucoup plus d'être violents que les personnes «normales» lorsque leurs symptômes psychotiques (délire ou hallucinations, par exemple) étaient actifs. Par contre, lorsque leurs symptômes étaient inactifs, ils ne posaient pas vraiment plus de risque que les autres membres non traités de leur collectivité d'origine appartenant à des catégories démographiques semblables. Lorsqu'on les rapproche de l'étude de Swanson et al. (1990), ces données laissent croire que, bien que les personnes identifiées comme atteintes de troubles mentaux soient plus violentes que les autres, leurs épisodes de comportement violent se limitent en grande partie aux périodes où leurs symptômes sont mal maîtrisés.

Échantillons pris dans les établissements carcéraux

D'après une étude récente de Porporino et Motiuk (1993), les détenus atteints de troubles mentaux sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada seraient plus susceptibles de voir leur mise en liberté sous surveillance révoquée (sans qu'ils aient commis de nouvelle infraction) et obtiendraient moins facilement leur mise en liberté anticipée que les autres. Pourtant, les chercheurs notent que, dans leur échantillon, le trouble mental ne permettait pas à lui seul de prédire la récidive. Seuls le nombre de condamnations antérieures et le nombre total de condamnations avaient un lien significatif avec la réincarcération. Comparativement aux autres délinquants, ceux qui souffraient de troubles mentaux risquaient moins de commettre d'autres crimes graves, même s'ils présentaient d'autre part un risque relativement plus élevé de commettre des infractions mineures de type « nuisances ». Apparemment, les premiers risquaient davantage que les seconds de commettre un délit violent lors de leur mise en liberté sous surveillance.

Ces constations donnent à penser qu'il ne faut peut-être pas présumer d'emblée que les personnes atteintes de troubles mentaux présentent un risque de récidive plus élevé, ce qui serait tout à fait compatible avec la recherche susmentionnée.

Un certain nombre de facteurs pourraient faire en sorte que les délinquants souffrant de troubles mentaux ne sont généralement pas libérés aussi tôt que les autres et risquent davantage, le cas échéant, de voir leur mise en liberté sous condition suspendue. Il se pourrait que l'existence d'un diagnostic antérieur incite les autorités de surveillance à être plus attentives aux écarts de comportement. Il se pourrait aussi que la surveillance postlibératoire assurée par les services communautaires de santé mentale soit différente de celle à laquelle sont soumis les autres délinquants. De surcroît, les délinquants atteints de troubles mentaux pourraient moins bien contrôler leur comportement que les autres et donner ainsi des signes plus évidents de rechute dès qu'ils ont du mal à s'adapter. Vu l'instabilité de leur comportement au moment où leurs symptômes sont actifs, il se pourrait d'ailleurs qu'ils soient moins en mesure d'adopter le type de comportement structuré que demande un crime violent prémédité. Cette interprétation est étayée par les conclusions de l'étude de Porporino et Motiuk, selon lesquelles ni la personnalité antisociale, ni la toxicomanie n'étaient des facteurs prédictifs de récidive accrue, alors qu'ils l'étaient chez les personnes exemptes de ce genre de troubles. De toute évidence, les facteurs de risque établis par les recherches lors de l'examen de tout cas particulier doivent être scrutés minutieusement.

iv) Les troubles mentaux chez les personnes violentes
La deuxième façon d'aborder le rapport entre comportement violent et trouble mental consiste à mettre l'accent sur la prévalence des troubles mentaux chez les auteurs de crimes violents. Il peut s'agir de personnes qui se font traiter en établissement pour leur comportement violent ou encore de personnes violentes vivant dans la collectivité.

Nous nous sommes déjà attardés au taux de prévalence des troubles mentaux dans la population carcérale; nous n'en traiterons donc pas de nouveau ici. Qu'il suffise de dire que le taux relativement élevé noté chez les détenus dans les prisons et les pénitenciers ne peut servir à étudier le rapport entre violence et trouble mental : cela poserait un problème d'ordre méthodologique attribuable à une distorsion de la sélection. Il se pourrait en effet que les personnes souffrant de troubles mentaux soient plus ou moins susceptibles que les autres d'être arrêtées et incarcérées pour des raisons autres que la perpétration d'un acte criminel. Il est donc préférable de recueillir des données sur la prévalence de ces troubles dans des échantillons aléatoires d'auteurs d'actes violents dans la collectivité. Ici, encore une fois, les données recueillies par Swanson et al. (1990) se révèlent utiles.

Il ressortait en effet de cette étude que la schizophrénie était environ quatre fois plus fréquente chez les personnes ayant répondu par l'affirmative à au moins une des cinq questions indicatrices de comportement violent au cours de l'année précédente. De même, les troubles affectifs étaient trois fois plus fréquents, et la toxicomanie, huit fois. En tenant compte de tous les diagnostics du DIS, la prévalence des troubles mentaux était trois fois plus élevée chez ces personnes que chez celles ayant répondu par la négative.

v) Facteurs de risque et évaluation du risque
Dans l'ensemble, s'il y a un rapport indéniable entre trouble mental et récidive violente, il n'en est pas moins clair que d'autres facteurs, comme la jeunesse, l'appartenance au sexe masculin et le statut socio-économique, jouent à ce chapitre un rôle plus important.

On a tenté plusieurs fois d'évaluer avec plus de précision le risque attribuable au trouble mental et de faciliter l'évaluation du risque posé par les gens atteints de troubles mentaux. Harris, Rice et Quinsey (sous presse) ont mis au point un instrument actuariel pour l'évaluation du risque chez les délinquants atteints d'un trouble mental grave. Si leur méthode a été élaborée pour la population des patients du Penetanguishene Mental Health Centre, les résultats obtenus peuvent néanmoins être généralisés et appliqués, jusqu'à un certain point, aux détenus des établissement fédéraux souffrant de troubles mentaux.

Les 12 facteurs suivants se sont révélés prédictifs de récidive violente :

  1. Le sujet obtient un score élevé sur l'Echelle de psychopathie révisée.
  2. Il a été séparé de ses parents avant l'âge de 16 ans.
  3. Il a blessé la victime lors de l'infraction. *
  4. Il a fait l'objet d'un diagnostic de schizophrénie selon le DSM-III. *
  5. Il n'a jamais été marié.
  6. Il était mésadapté à l'école élémentaire.
  7. Il a commis l'infraction contre une femme. *
  8. Il a connu un échec lors d'une mise en liberté sous condition antérieure.
  9. Il a déjà commis des infractions contre les biens.
  10. Il est relativement jeune lors de l'infraction. *
  11. Il a des antécédents d'abus d'alcool.
  12. Il a fait l'objet d'un diagnostic de trouble de la personnalité selon le DSM-III.

*= corrélation négative avec le résultat.

Comme on ne possède pas toujours des renseignements détaillés sur tous les points qui figurent ci-dessus, une liste abrégée des données normalement disponibles a été dressée à partir de la liste originale. Cette nouvelle liste ressemble beaucoup aux systèmes utilisés pour évaluer les risques dans les populations ne soufflant pas de trouble mental (p. ex., Andrews et Bonta). Si elle ne permet pas de prévoir la récidive violente de façon aussi précise, ses résultats demeurent quand même significatifs.

Voici cette nouvelle liste abrégée de facteurs prédictifs :

  1. La victime a été blessée lors de l'infraction.
  2. Le fait de ne jamais avoir été marié.
  3. L'infraction a été commise contre une femme. *
  4. L'échec d'une mise en liberté sous condition antérieure.
  5. Il a déjà commis des infractions contre les biens.
  6. L'âge relativement peu élevé lors de l'infraction. *
  7. 7. Les antécédents d'abus d'alcool.

* = Corrélation négative avec le résultat.

Dans une autre tentative d'évaluation des facteurs pris en considération par les spécialistes lorsqu'ils font des recommandations relatives à la mise en liberté sous condition, Brown et O'Brian (1990) ont recensé un certain nombre de variables permettant de prévoir la réussite de l'adaptation des délinquants atteints de troubles mentaux lors d'une libération conditionnelle. Ces variables ont été divisées en deux catégories : facteurs démographiques et facteurs cliniques.

Facteurs démographiques

  1. Il reste au délinquant moins des deux tiers de sa peine à purger avant la date prévue pour sa mise en liberté surveillée.
  2. Le délinquant a subi de lourdes conséquences pour son comportement criminel (p. ex., divorce, perte d'emploi, sentence supérieure d'un an à la sentence minimale prévue pour l'infraction).
  3. Le délinquant a commis par le passé moins de quatre actes ou séries d'actes criminels (n'ayant pas nécessairement donné lieu à une condamnation) passibles d'une incarcération dans un établissement fédéral.

Facteurs cliniques

  1. Le délinquant assume la responsabilité de son comportement.
  2. Il comprend la signification du comportement criminel.
  3. Il ne se pose pas en victime du crime, de la société ou du système de justice pénale.
  4. Il a pu mesurer les conséquences agréables ou désagréables de son comportement (autres que la peine purgée).
  5. Il fait preuve de souplesse et de tolérance à l'égard du processus judiciaire et institutionnel (autre que son comportement en établissement).
  6. Il n'est pas particulièrement égocentrique.
  7. Il a compris en partie quels traits de sa personnalité l'ont conduit à un comportement criminel.
  8. Il a dressé, pour sa période postlibératoire, des projets réalistes ou réalisables, compte tenu de ses aptitudes et de ses ressources.
  9. Il possède les connaissances, les aptitudes et la volonté nécessaires pour apporter des changements positifs à son mode de vie (il est conscient que son mode de vie antérieur ne fonctionnait pas).
  10. Il ne peut plus tirer profit du traitement ou du counseling, ou peut recevoir le traitement ou le counseling nécessaire dans un service externe.
  11. Il n'a plus rien à tirer d'une incarcération prolongée (qui ne peut être qu'improductive ou nuisible).
  12. Il a fourni assez de renseignements pour permettre au clinicien de comprendre pourquoi (et pour quelles raisons cliniques) il a commis les infractions passées et présentes.

Grâce à notre travail auprès des délinquants sexuels au CPR (Prairies) de Clearwater, nous avons isolé plusieurs autres facteurs pouvant servir à prévoir le risque chez les délinquants sexuels atteints de trouble mental. Les données d'évaluation du programme révèlent que les délinquants ayant déjà été condamnés pour infractions sexuelles, de même que les pédophiles homosexuels et hétérosexuels risquent davantage de récidiver. Par ailleurs, les personnes qui ne terminent pas le programme récidivent environ deux fois plus souvent que celles qui l'ont mené à terme (24 % contre 13 %).

Les délinquants qui ont agressé des adultes et des enfants récidivent plutôt au même rythme que ceux de notre échantillon de violeurs (c'est-à-dire moins souvent), alors que les auteurs d'actes incestueux affichent le taux de récidive le plus faible.

Vu les parallèles établis ailleurs entre les facteurs de risque chez les délinquants atteints d'un trouble mental et chez les autres, nos observations au sujet des délinquants sexuels libérés pourraient sans doute s'appliquer aussi aux délinquants sexuels atteints de troubles mentaux. Chez ceux qui affichent des comportements criminels généralisés et des comportements violents ou sexuels compulsifs, le risque est plus grand, qu'ils soient atteints ou non de troubles mentaux.

En guise de conclusion, nous examinerons deux cas ayant des antécédents de maladies psychotiques. Ces cas illustrent en quoi la présence de symptômes psychotiques actifs peut constituer un risque imminent de récidive et en quoi ces symptômes se mêlent à d'autres facteurs de risque. Ils servent aussi d'illustration des stratégies appropriées de gestion du risque.

Études de cas
Pour aborder un cas particulier, il peut être utile de répartir les troubles mentaux en fonction des grandes catégories suivantes : troubles de l'Axe I et troubles de l'Axe II.

Troubles de l'Axe I:

Troubles de l'Axe II:

Comme nous l'avons mentionné, ces troubles peuvent exister seuls ou simultanément chez une personne. L'abus et la dépendance (substances toxiques) sont fréquents chez les personnalités antisociales. Les personnes souffrant d'un trouble grave, comme la schizophrénie, peuvent aussi souffrir d'autres troubles, comme des troubles de la personnalité (p. ex., personnalité antisociale). Ces personnes répondent aux critères des deux troubles.

Le rapport entre trouble mental et comportement antisocial ou criminel est complexe et dépend de plusieurs facteurs. Les personnes ayant un trouble de la personnalité ou des antécédents de toxicomanie adoptent souvent des comportements antisociaux pour des raisons évidentes.

Chez les cas psychotiques, le rapport est souvent moins évident. Toutefois, certains symptômes psychotiques, comme les idées délirantes de persécution (paranoïa), d'infidélité (axées en général sur le conjoint) et les hallucinations de commandement et les formes extrêmes de manie, sont plus susceptibles de se traduire par des comportements antisociaux et parfois dangereux que d'autres genres de symptôme. Les personnes présentant des symptômes psychotiques prétendent parfois devoir se défendre contre des forces maléfiques, redresser un tort épouvantable, se venger d'un conjoint infidèle ou obéir à un ordre impérieux dicté par des hallucinations auditives leur enjoignant de punir ou de détruire.

Ce genre de pensées psychotiques peut s'exprimer d'emblée en entrevue, mais peut aussi demeurer secret ou « latent ». Par exemple, les patients psychoparanoïdes peuvent cacher à leurs interviewers leurs idées délirantes, qui ne finiront par émerger qu'après plusieurs entrevues ou lors d'un test de projection.

Les symptômes d'un trouble psychotique sont parfois directement reliés à un comportement antisocial. Habituellement, un sujet atteint d'un tel trouble est aiguillé vers le réseau de santé mentale après avoir été jugé non responsable sur le plan criminel. Les choses ne se passent cependant pas toujours ainsi, comme en témoigne le cas n° 1 un peu plus loin.

Lorsqu'une personne est atteinte d'un trouble psychotique, comme le trouble schizo-affectif (état combinant des caractéristiques de la schizophrénie et du trouble affectif bipolaire ou maladie maniaco-dépressive associée à un trouble de la personnalité antisociale, son comportement criminel peut dépendre du trouble dominant. On en trouvera un exemple dans le cas n° 2.

Bien sûr, il est tout à fait possible qu'une personne atteinte d'une grave maladie mentale, comme la schizophrénie, commette un acte criminel qui ne soit relié d'aucune façon à un symptôme psychotique (p. ex., vol à la tire ou agression sexuelle).

Un trouble délirant rare a acquis une certaine notoriété à cause du risque grave qu'il est censé présenter pour autrui. L'érotomanie est un trouble psychotique caractérisé par l'illusion délirante d'être aimé par une personne (objet). Ce trouble illustre bien l'interaction de facteurs, en plus des idées délirantes, qui semblent jouer un rôle important dans le développement de comportements dangereux.

Selon de nombreuses autorités, dont la GRC, la seule présence de cette idée délirante est déjà un avertisseur de comportement dangereux éventuel. Ce comportement peut être dirigé soit vers l'objet du délire, soit vers une autre personne perçue comme un rival ou un obstacle. C'est pourquoi tous ceux qui sont atteints de ce genre de trouble sont d'emblée considérés comme dangereux.

Une étude récente (Menzies et al., 1994) portant sur 29 érotomanes de sexe masculin a révélé que seule une partie d'entre eux (44 %) adoptaient un comportement gravement antisocial (violence) par suite de leurs idées délirantes. Et même alors, ce n'est que dans 22 % des cas que de véritables blessures avaient été causées aux autres, sans qu'il y ait de mortalité. Les deux seuls facteurs significativement associés au comportement dangereux étaient l'existence de plus d'un objet du délire et la présence d'antécédents de comportement antisocial marqué non relié aux idées délirantes érotomanes. Ces deux facteurs ont permis de faire des prédictions justes pour tous les cas ayant adopté un comportement dangereux, sans aucun résultat faux négatif (c'est-à-dire des cas dangereux qui auraient par erreur été considérés comme inoffensifs).

Dans l'ensemble, s'ils peuvent être classés parmi les harceleurs, les hommes et les femmes atteints d'érotomanie semblent poser moins de risque que la majorité des harceleurs (conjoints ou amants éconduits) ne souffrant d'aucune maladie psychotique.

i) Étude de cas n° I
Monsieur A, un chauffeur de camion de 35 ans, a été condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité après avoir plaidé coupable pour le meurtre au deuxième degré de son épouse. Marié depuis quatre ans, le couple a vu sa relation se détériorer parce que M. A doutait sérieusement de la fidélité de sa femme. Bien que ses soupçons fussent dénués de fondement, M. A a décidé de tuer sa femme et de se suicider pour mettre un terme à ses souffrances. « Je voulais être sûr qu'elle n'irait plus jamais bambocher », a-t-il dit.

Après une querelle avec son mari, Mme A est allée se coucher. Pendant qu'elle dormait, M. A est sorti acheter des cartouches pour son fusil. De retour à la maison, il tira à trois reprises sur sa femme endormie.

Pendant plusieurs heures, il envisagea ensuite de mettre fin à ses jours, mais il se livra à la police.

Avant son procès, M. A a subi une évaluation psychiatrique poussée qui a donné lieu à un diagnostic de jalousie morbide (idées délirantes de jalousie). Il a affirmé au psychiatre que sa femme avait des aventures avec plusieurs hommes, dont son oncle. À maintes reprises, il a tenté de la prendre en flagrant délit, en revenant du travail plus tôt que d'habitude, mais sans jamais y arriver. Il « savait » néanmoins que ses soupçons étaient fondés à cause de « l'expression de son visage » lorsqu'il arrivait à l'improviste à la maison. Il avait également trouvé « des traces de sperme dans ses sous-vêtements » et repéré « ses prétendants, qui tournaient en voiture autour de la maison ». Il savait qu'elle laissait entrer d'autres hommes dans la maison la nuit pour avoir des relations sexuelles avec eux, car il trouvait « leur sperme » sur sa moustache le lendemain à son réveil. Il ne voyait rien d'anormal à ses idées et ne croyait pas qu'elles puissent être le fruit d'une maladie mentale. Le psychiatre était prêt à témoigner que M. A n'était pas criminellement responsable de ses actes à cause de son trouble mental, mais M. A, estimant être parfaitement normal, a choisi, contre l'avis de ses avocats, de plaider coupable.

M. A avait toujours été auparavant un citoyen respectueux des lois et avait travaillé la majorité de sa vie d'adulte. Il avait bien quelques problèmes de personnalité, mais pas au point de donner lieu à un diagnostic de trouble de la personnalité. Il n'avait aucun antécédent de troubles psychiatriques, mais souffrait d'une dépression modérée après l'infraction.

Lorsque cet homme obtiendra sa mise en liberté conditionnelle, il posera un risque extrêmement élevé pour toute autre femme avec qui il pourrait avoir une relation affective. Ce risque pourrait être considérablement atténué s'il prenait des médicaments antipsychotiques, mais à ce stade, il n'est pas prêt à accepter de traitement, car il se croit normal. Le fait que le trouble dont il souffre soit reconnu pour résister au traitement vient compliquer encore la situation. En plus d'assurer un suivi psychiatrique, il serait donc extrêmement important de surveiller de très près toute relation affective qu'il pourrait avoir à l'avenir. Ses partenaires devraient être informées des circonstances de son crime, notamment du rôle que la jalousie y a joué. Si jamais M. A devait adopter de nouveau le même comportement dans le cadre d'une nouvelle relation (ce qui est fort probable), il faudrait qu'il soit immédiatement pris en charge par l'agent de probation et les autres personnes responsables de son cas. Les conditions fixées à toute libération conditionnelle devraient prévoir l'observance d'un traitement psychopharmacologique et la participation à des séances de counseling portant sur la maîtrise de la colère et la violence conjugale.

ii) Étude de cas n° 2
Monsieur B, un chômeur célibataire de 39 ans, a été condamné à quatre ans d'emprisonnement pour voies de fait avec lésions corporelles. Lors d'une soirée où il a consommé des quantités prodigieuses d'alcool et de drogue, il a attaqué un autre homme qui avait, selon lui, des visées sur sa petite amie.

Après son arrestation, M. B a subi un examen psychiatrique qui a donné lieu à un diagnostic de trouble maniaque. Hyperactif et agressif, d'humeur exaltée et irritable, il parlait sans arrêt, de façon incohérente; il affirmait détenir des pouvoirs spéciaux et être de lignée royale. Pour lui, l'agression était justifiée, car la victime avait «jeté sur sa femme un regard concupiscent». Pendant sa détention préventive, il a été traité d'office aux antipsychotiques et aux régulateurs de l'humeur; quatre semaines plus tard, il était jugé inoffensif. Remis en liberté, il a décidé de cesser de prendre ses médicaments parce qu'il estimait ne pas en avoir besoin.

Issu d'un foyer désuni, M. B avait dans sa famille des antécédents de maladie mentale du côté maternel. À l'école, il avait des problèmes de comportement; adolescent, il a eu des ennuis liés à diverses infractions contre les biens. Il a commencé tôt à abuser des drogues et de l'alcool et il n'a travaillé que de façon sporadique. À l'âge de 24 ans, après avoir agressé sa mère, il fut admis pour la première fois dans un service de psychiatrie, où il a fait l'objet d'un diagnostic de trouble schizo-affectif et subi un traitement d'office. Par la suite, patient externe, il a peu observé le traitement prescrit et a dû être admis de nouveau plusieurs fois en psychiatrie au cours des cinq années suivantes. En général, M. B était conduit à l'hôpital par des policiers après avoir proféré des menaces ou s'être battu. Au début de la trentaine, il a commencé à admettre qu'il était malade et s'est mis à prendre ses médicaments plus ou moins régulièrement. Son état mental s'est stabilisé, mais ses activités criminelles ont continué; plusieurs fois, il a été condamné à des peines d'emprisonnement au provincial pour infraction contre les biens. Puis, déprimé par suite d'une séparation conjugale, il a cessé de prendre ses médicaments. Un épisode maniaque s'en est suivi quelques mois plus tard et l'a conduit à la présente accusation.

Personnalité antisociale, M. B souffre aussi d'un trouble schizo-affectif. Si cette dernière affection réagit d'habitude passablement bien aux médicaments, ce n'est pas le cas du trouble de la personnalité, qui a jusqu'à présent plutôt résisté au traitement. Il est évident que le mode de vie criminel et non violent de M. B tient à sa personnalité anormale, alors que son comportement violent est directement relié aux épisodes de maladie mentale. Il serait donc important, pour réduire sa propension à la violence, qu'il prenne les médicaments appropriés, mais cela ne va certes pas de soi vu son attitude généralement irresponsable face à la vie.

Cet exemple met en lumière un certain nombre de facteurs de risque qui doivent être pris en considération. La maladie mentale de M. B nécessite un traitement et une surveillance psychiatriques prolongés; en l'absence d'un soutien communautaire suffisant, il faudra le placer dans un foyer agréé pour malades mentaux. Cela permettra en même temps de mieux le surveiller. M. B devra suivre des séances de counseling pour apprendre à maîtriser sa colère et suivre un traitement de réadaptation continue pour sa toxicomanie. Des contacts réguliers avec les agents de liberté conditionnelle pourraient sans doute atténuer son problème de personnalité et ses écarts de conduite grâce, entre autres choses, à des interventions en thérapie cognitive du comportement et à des directives et conditions cohérentes pour sa libération conditionnelle.

Collecte d'information

Comme l'évaluation des troubles mentaux est l'un des principaux sujets abordés dans la formation des diplômés et leur supervision, nous ne l'aborderons pas ici. Nous donnerons plutôt une bibliographie incluant plusieurs documents que les praticiens pourraient trouver utiles (p. ex., Gregory, 1992).

Résumé

  1. La présence d'un trouble mental grave chez un sujet est un facteur de prévision des risques; ce facteur ne joue qu'un rôle secondaire par rapport à d'autres, comme le milieu et les antécédents criminels.
  2. Les épisodes violents observés chez les personnes atteintes de troubles mentaux semblent en grande partie restreints aux périodes pendant lesquelles les symptômes sont les plus actifs.
  3. Le milieu est un facteur aussi important pour le délinquant atteint d'un trouble mental que pour tout autre délinquant.
  4. Plusieurs prédicteurs de risque devraient être utilisés dans les évaluations des risques, parallèlement aux jugements cliniques.

Chapitre 10 Annexe

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2024-01-09