Psychologie Médico-Légale Partie 4 : Personnel-de-soutien : Chapitre 14
Chapitre 14
Lignes directrices pour les évaluations psychologiques au sein des services correctionnels en milieu communautaire
Lynn Stewart, docteure en psychologie clinique Note de bas de page 1
Résumé des règles de pratique au sein de la communauté
- Dans la communauté, la mesure des risques statistiques permet d'identifier les délinquants qui requièrent un surcroît d'attention, alors que la mesure des risques dynamiques fait ressortir les problèmes liés à un éventuel échec après la remise en liberté, et qui devraient sous-tendre une stratégie d'intervention.
- Les évaluations en milieu communautaire doivent porter sur les problèmes précis qui influencent la rechute chez divers types de délinquants (Quinsey et Walker, 1992).
- Les évaluations des facteurs de risques dynamiques démontrent que l'intensité des besoins évolue avec le temps. Les résultats des réévaluations faites en milieu communautaire sont plus révélateurs des chances de réussite que les évaluations initiales. De ce fait, les évaluations psychologiques axées sur la communauté doivent représenter un processus continu, et prendre en considération la situation changeante et la capacité d'adaptation du délinquant.
- Il importe que les évaluations faites en milieu communautaire s'inscrivent dans une stratégie systématique d'examen et d'intervention. Ces évaluations psychologiques doivent tenir compte des traitements antérieurs et de la conduite au cours de l'incarcération, en plus d'être liées clairement avec la planification des traitements et de la surveillance dans la communauté.
- La gestion du risque en milieu communautaire s'avère en principe plus efficace lorsqu'une surveillance intensive des cas les plus dangereux est jumelée à des services cliniques. Les résultats d'études récentes portant sur des opérations de surveillance intensive démontrent qu'une telle surveillance ne suffit pas, à elle seule, pour réduire les tendances à récidiver (Petersilia et Turner, 1993).
- Les évaluations effectuées en milieu communautaire doivent comprendre une appréciation du risque ainsi que des recommandations en vue d'une gestion efficace du risque. Il faut présenter ces analyses du risque en appliquant correctement les règles de pratique professionnelle exposées dans ce guide.
- Les cliniciens doivent décrire une façon systématique d'évaluer les traitements cas par cas. Il importe d'analyser les effets des traitements en fonction d'objectifs concrets et mesurables, puis de les réexaminer régulièrement.
- Les psychologues correctionnels oeuvrant en milieu communautaire doivent être disposés à mettre en pratique les règles d'éthique prescrites pour une clientèle correctionnelle ou à risque élevé. Il s'agit, entre autres choses, d'exposer clairement au délinquant les limites de confidentialité avant d'entreprendre les évaluations et le traitement. Dans le cadre d'une démarche visant à prévenir la rechute, les échanges d'information ne portent pas uniquement sur l'estimation du danger imminent par rapport à un individu donné. Cela comprend la diffusion de tout renseignement nécessaire à une gestion efficace du risque.
- Ces lignes directrices s'appliquent tant aux psychologues employés par le Service correctionnel du Canada (SCC) qu'aux psychologues travaillant à contrat. Dans le libellé des appels d'offres pour les tâches à contrat, les gestionnaires de contrats du SCC doivent stipuler ces exigences et règles de pratique professionnelle.
Ce n'est que depuis peu ( 1990) que le Service correctionnel du Canada a des psychologues correctionnels œuvrant en milieu communautaire. Leur rôle varie en fonction des exigences du district de libération conditionnelle où ils travaillent. Par exemple, dans certains districts denses, le psychologue peut offrir des services directs (évaluation et traitement) aux délinquants en liberté conditionnelle. Dans des régions plus étendues où il y a davantage de délinquants qui sont plus éparpillés, les psychologues offrent des services plus larges. Ils agissent à titre de consultants, s'occupant surtout de concevoir, appliquer et coordonner les programmes, d'évaluer les interventions aux fins de traitement et de former le personnel.
La formation peut comprendre des cours pratiques sur des points touchant à la supervision efficace, par exemple, les initiatives de gestion des délinquants sexuels du SCC, une formation intensive en matière de violence familiale, ou la formation spécifique de spécialistes en gestion de cas, qui sont parfois appelés à appliquer des programmes sous la supervision clinique de psychologues.
Quelle que soit la formule de prestation des services qu'appliquent les psychologues correctionnels oeuvrant en milieu communautaire, tous les services offerts s'inscrivent dans l'une ou plusieurs des catégories suivantes : 1) analyse et évaluation des besoins de la clientèle; 2) travail clinique en vue d'atténuer la psychopathologie et les symptômes de troubles mentaux graves; 3) travail clinique pour mieux atteindre les objectifs de réhabilitation en aidant les délinquants à augmenter leur contrôle de soi; 4) travail clinique dans le sens des objectifs humanitaires liés aux interventions en phase de crise; 5) consultation et formation des employés pour une meilleure gestion des délinquants; 6) planification, élaboration et évaluation des programmes. Des services psychologiques sont fournis dans chacun des domaines susmentionnés afin d'atteindre le but ultime, qui est d'accroître la sécurité de la population.
L'objectif primordial de toute intervention psychologique correctionnelle consiste à prévenir ou à réduire les préjudices pour la communauté, les délinquants et les membres de leur famille (voir Shah, 1993; Hargreaves et Shumway, 1989). Blackburn (1993b) laisse entendre que de façon générale, le traitement correctionnel équivaut à une forme d'éducation curative plutôt qu'à un traitement dans le sens de la psychologie clinique traditionnelle. On aide les délinquants à apprendre d'autres façons de gérer leurs problèmes sans retomber dans la délinquance.
Bien que les psychologues correctionnels employés dans les établissements ou œuvrant dans la communauté visent essentiellement des objectifs semblables, les problèmes qu'ils affrontent, et donc l'orientation de leurs efforts, peuvent être très différents. Nombre de problèmes auxquels les praticiens sont confrontés lorsqu'ils dispensent leurs services dépendent intrinsèquement du cadre de traitement.
Par exemple, dans la communauté, les psychologues et les gestionnaires de cas n'ont pas habituellement à s'occuper de questions propres aux établissements comme le maintien de l'ordre et la sécurité. Cependant, ils font face à un problème troublant, le fait que les délinquants peuvent avoir des contacts immédiats avec des victimes potentielles. Plusieurs raisons font que des délinquants, qui semblaient résolus à s'attaquer aux facteurs criminogènes durant leur incarcération, ne se conforment plus à leur plan de traitement correctionnel une fois libérés. Certains estiment que leurs obligations prennent fin après leur réintégration dans la société. Dans d'autres cas, parce qu'ils n'ont plus à prouver qu'ils méritent d'être relâchés auprès d'une équipe de gestion de cas ou d'une commission des libérations conditionnelles, ils se soucient plutôt de régler des problèmes pratiques immédiats associés à leur réadaptation sociale, comme la réintégration familiale ou l'emploi, qui leur paraissent plus urgents que le programme. L'absence de moyens de transport et le manque d'argent leur fournissent d'autres motifs ou prétextes pour ne pas s'y conformer. L'éclatement de la famille, le chômage ou la privation d'un logement décent concourent aussi à créer des tensions directes auxquels les détenus échappaient peut-être provisoirement en établissement. L'incidence de ces efforts de réadaptation sociale est peut-être plus importante dans le cas des détenus qui ont purgé une longue peine d'emprisonnement.
Au cours des dernières années, la population a pris davantage conscience du travail correctionnel, de sorte que la politique en la matière est devenue une question plus sensible politiquement (Ekstedt et Griffiths, 1988). Les membres du personnel correctionnel qui travaillent dans la communauté sont particulièrement vulnérables aux réactions du public à des incidents sensationnels, qui exercent sur eux un impact souvent direct et immédiat. Certaines communautés reçoivent plus d'attention que d'autres, ce qui influence les gestionnaires de cas, qui sont peut-être moins enclins alors à accorder beaucoup de latitude aux délinquants placés sous leur responsabilité. Cela accentue aussi les tensions sur les criminels notoires, dont la libération fait les manchettes.
Malgré les défis supplémentaires que pose le travail dans la collectivité, il appert que les programmes offerts dans un tel contexte, où les nouvelles compétences acquises peuvent trouver des applications plus utiles, sont plus adéquats et, en moyenne, plus efficaces que les programmes dispensés durant l'incarcération. Shah (1993) souligne que les recherches n'ont révélé, en général, que des concordances minimes au niveau du comportement entre les milieux de réhabilitation, tandis que d'autres ont constaté que l'on ne peut guère généraliser les effets du traitement (Braukmann et Wolff, 1987; Rice, Quinsey et Houghton, 1990). Des études récentes indiquent que les programmes communautaires donnent de meilleurs résultats que ceux suivis dans un établissement (Andrews, Zinger, Hoge, Gendreau, Cullen, 1990; Izzo et Ross, 1990; Lipsey, 1990). Toutefois, les décideurs sont réticents à relâcher les criminels à risque élevé à moins qu'ils n'aient suivi un programme dans l'établissement. Ces programmes aident les délinquants à développer leurs capacités d'adaptation et sont une préparation utile en vue des programmes dans la collectivité. A tout le moins, un suivi dans la collectivité augmente les chances de réussite des programmes suivis en établissement (Zigler et Hall, 1987). Des études sur le traitement des toxicomanes (Marlatt et Gordon, 1985) et le traitement des délinquants sexuels (Pithers, 1990) font ressortir le rôle clé que jouent le développement des compétences et des connaissances et le suivi dans la réduction des risques de rechute.
Les évaluations psychologiques au sein de la communauté n'ont pas la même visée que celles dont on a traditionnellement besoin dans les établissements. Alors que ces dernières nécessitent surtout de l'exactitude à des fins de prévision, c'est-à-dire qu'elles doivent fournir des indices sur les risques relatifs de rechute pour permettre aux décideurs de mieux juger s'il y a lieu de libérer des délinquants, les évaluations faites dans la collectivité visent principalement à guider la gestion des cas de manière à diminuer ou à prévenir la récidive. Les facteurs qui déterminent le mieux la prévision du risque sont statiques et, par définition, immuables (Harris, Rice et Quinsey, 1993). Par exemple, on peut certainement associer les données de base que sont l'âge du délinquant au moment de sa libération, son âge lors de la première infraction ainsi que l'ampleur et la diversité de ses antécédents criminels avec les risques de rechute. Bien que les psychologues œuvrant en milieu communautaire se servent de ces variables pour identifier les délinquants à risque élevé réclamant les services les plus poussés, ils cherchent surtout à cerner les facteurs de risques dynamiques que l'on peut modifier grâce à des interventions cliniques ou à une surveillance.
L'évaluation du degré de risque est le premier parmi plusieurs éléments de la gestion du risque en milieu communautaire. Une bonne évaluation du risque doit se faire en établissant un lien entre l'évaluation du risque et les interventions qui s'imposent, en partageant l'information avec le personnel clinique et les responsables de la gestion des cas, et en surveillant étroitement les activités des délinquants dans la société. La principale différence entre la psychologie correctionnelle en milieu communautaire et la psychologie correctionnelle en établissement semble être le degré de travail multidisciplinaire requis pour des interventions cliniques et une gestion des cas efficaces.
Dans la collectivité, tout comme en établissement, le type d'évaluation psychologique effectuée et le choix des méthodes d'évaluation dépendent de la nature de la question d'aiguillage. Toutefois, à notre avis, le fait de prendre le modèle de prévention de la rechute (PR) comme cadre de référence, en plus de respecter les principes relatifs aux risques, aux besoins et à la réceptivité permettant un traitement correctionnel efficace, tels que décrits et prônés par Andrews (1989), procure un fondement théorique solide pour l'évaluation et le traitement des délinquants remis en liberté.
Prévention de la rechute
Pithers a émis la crainte de voir la prévention de la rechute devenir un concept passe-partout, dont l'adoption, sans l'application scrupuleuse des méthodes correspondantes, menace d'en diluer la rigueur et l'efficacité. Contrairement à Marlaat, il ne laisse pas entendre que ce concept devrait être considéré comme un simple aspect d'un programme de traitement à multiples facettes. Il préconise plutôt le traitement des délinquants sexuels, avec lesquels il travaille, à l'intérieur d'un cadre de référence PR, autrement dit en examinant comment les facteurs de risque peuvent contribuer à la rechute. Bien que la prévention de la rechute tire son origine du traitement des toxicomanes (Marlatt et Gordon, 1985), et que Pithers (1990) et Marques (1988) l'aient par la suite adapté au traitement des délinquants sexuels, nous affirmons que ce concept peut s'appliquer utilement en guise de cadre de référence unifié afin d'élaborer des stratégies d'intervention correctionnelle pour les délinquants en général réintégrés dans la société, et qu'il n'est pas nécessaire de le limiter à un suivi structuré d'un programme de traitement intensif spécialisé.
Le volet interne du modèle PR, soit le traitement, consiste à identifier les facteurs idiosyncratiques qui provoquent la délinquance et à former le délinquant pour qu'il surmonte ces facteurs dangereux grâce à diverses techniques de contrôle de soi. Les praticiens qui traitaient des individus à risque élevé selon le modèle PR ont bientôt constaté qu'on ne pouvait pas miser adéquatement sur leur motivation et sur leur respect du programme de contrôle de soi pour réduire les risques pour la collectivité. Par conséquent.
Pithers et al. ont mis au point le volet de surveillance externe du modèle PR afin de compléter l'élément interne du contrôle de soi. Bien que les techniques de contrôle de soi puissent s'enseigner dans le cadre d'un programme en établissement, le volet de surveillance externe ne s'applique bien que dans le contexte d'une collectivité. Il fait appel à plusieurs stratégies de surveillance qui consistent notamment à créer un réseau de personnes que le délinquant connaît, qui désirent favoriser chez lui un changement social positif et l'aider à reconnaître les situations très dangereuses ainsi que les écarts ou la rechute dans le cycle de délinquance; il prévoit aussi un contrôle et des interventions par les gestionnaires de cas quand se manifestent des signes de rechute imminente, de même qu'une collaboration étroite entre les spécialistes du traitement et les responsables de la surveillance.
Dans certains milieux de traitement dans la collectivité, on a pu recourir efficacement à d'autres moyens tels que les brigades de police spécialisées, particulièrement la brigade des agressions sexuelles et les brigades d'intervention familiale, qui ont apparemment contribué au programme en fournissant un surcroît de surveillance et d'information sur les délinquants, sans nuire à l'adhésion de ces derniers au programme (par exemple, dans le district de libérations conditionnelles de Regina, des représentants de la brigade des agressions sexuelles participent aux réunions mensuelles dans le cadre du programme pour les délinquants sexuels dans la collectivité). On a appliqué au traitement des délinquants sexuels les techniques de contrôle de soi et les stratégies de surveillance mises au point par Pithers et ses collaborateurs. Cependant, une telle démarche peut aussi s'appliquer au traitement des délinquants qui ont d'autres types de comportements dangereux ou compulsifs comme la violence physique, la pyromanie ou la toxicomanie.
Les principes de traitement efficace relatifs au risque, aux besoins et à la réceptivité concordent avec le modèle PR. En résumé, le principe relatif au risque prescrit de réserver les services les plus intensifs aux individus les plus prédisposés à retomber dans la délinquance, et de dispenser un minimum de services moyennant des interventions peu poussées ou sans aucune intervention dans les cas les moins dangereux. Comme l'a exprimé Andrews, toute surveillance ou toute intervention vise à « ramener les délinquants présentant un fort risque de récidive à une catégorie de risque moindre et à maintenir les cas présentant peu de risque dans la catégorie de risque minime ». Une documentation suffisante amène à croire que cette façon de faire représente non seulement une stratégie efficace par rapport aux coûts, mais aussi une très bonne façon de réduire les taux de récidive.
Les résultats de plusieurs études ont démontré que des interventions intensives auprès des délinquants à faible risque peuvent non seulement être inefficaces, mais aussi, chose plus inquiétante, avoir pour effet d'accroître les taux de récidive (Andrews, Bonta et Hoge, 1990). Malheureusement, vu que les délinquants à faible risque sont souvent plus dociles et d'un contact plus facile lors d'un traitement que ceux à risque élevé, ils sont parfois surreprésentés dans le cadre des programmes de traitement. Nous avons récemment élaboré un processus d'aiguillage plus formel pour les services psychologiques dans la région de l'Ontario, après avoir constaté qu'une part excessive du budget était consacrée au traitement à long terme des délinquants à faible risque.
Bien que les taux de récidive consécutifs au traitement puissent être plus élevés chez les délinquants à risque élevé que parmi les groupes à moindre risque, ce taux a plus de chances de connaître une amélioration relative notable dans le premier cas.
Les délinquants à très haut risque constituent peut-être une exception au principe de risque. Les effets du traitement sur ces individus ne sont guère encourageants, ce qui laisse supposer que même des programmes poussés ne suffiraient pas à réduire leur niveau de risque. Néanmoins, pour ce groupe, Andrews conseille d'adhérer encore plus scrupuleusement aux principes de risque/besoins lors de la planification suivant la remise en liberté, ce qui suppose une surveillance aussi étroite que possible et une communication franche entre toutes les personnes concernées par le plan de libération.
Le principe relatif aux besoins stipule que les interventions doivent, normalement, être orientées uniquement en fonction des besoins criminogènes identifiés, ceux qui semblent pertinents d'après l'analyse de l'infraction ou des infractions. Andrews recommande que toutes les évaluations portent au moins sur les quatre grands facteurs qui sont habituellement associés à une conduite criminelle : attitudes antisociales, pairs antisociaux, personnalité antisociale et antécédents antisociaux. Des groupes de délinquants particuliers peuvent présenter des traits communs plus spécifiques.
Lors d'une étude réalisée par Pithers, Kashima, Cumming, Beal et Buells (1988), 94 % des violeurs ont indiqué qu'ils avaient éprouvé de la colère et de la frustration juste avant de commettre leurs crimes. Un module visant à enseigner des manières appropriées d'exprimer sa colère constitue donc un élément essentiel d'un programme de traitement des violeurs. Mais ceci n'est pas vrai pour les agresseurs d'enfants.
Si les psychologues correctionnels adhèrent au principe relatif aux besoins, ils ne doivent pas alors traiter les sujets qui se plaignent d'émotions vagues, sauf s'il apparaît évident que ces troubles émotionnels sont liés à leur comportement criminel. (Une exception à cette règle consisterait à fournir au délinquant des consultations en phase de crise dans une optique humanitaire.) En fait, il semblerait que la « détresse névrotique» puisse inhiber les pulsions criminelles, le délinquant malheureux étant ainsi poussé à régler les problèmes associés à ses tendances criminelles.
Récemment, à notre bureau, nous avons examiné un cas d'aiguillage pour lequel les recommandations de traitement ne correspondaient pas à un besoin criminogène. Un délinquant condamné à une peine de trois ans pour trafic avait été relâché, sous la condition de participer à une thérapie conjugale ou relationnelle parce qu'il était le père de six enfants conçus avec six femmes différentes. Une brève entrevue a révélé que ces relations n'avaient pas donné lieu à des agressions. Il ne versait aucune pension pour les femmes et les enfants, de sorte qu'il ne faisait pas le trafic pour les aider financièrement. En fait, bien que non conformiste, son attitude envers la paternité n'avait rien de criminel. À la suite de son évaluation, le psychologue a recommandé de supprimer l'obligation de suivre une thérapie conjugale.
Soulignons que, pour respecter le principe relatif aux besoins, il faut orienter les interventions en fonction d'aspects précis du champ de besoins criminogènes, les aspects liés au risque de rechute. Pour illustrer ce point, Andrews explique que si le facteur criminogène implique l'incapacité de garder un emploi, on doit alors viser la conservation de l'emploi (et les aspects de fiabilité, d'attitude envers l'autorité, etc.) plutôt que l'obtention d'un emploi (et la formation professionnelle, le réapprentissage de l'écriture, etc.). Dans l'évaluation, il importe donc de fournir une analyse suffisamment détaillée pour faire ressortir les aspects essentiels du besoin. En outre, il faut que l'identification du besoin précis et le recours à des interventions judicieuses correspondent à un plan correctionnel à long terme. Faute de continuité dans la mise en oeuvre du programme, celui-ci risque de devenir moins efficace, ou même pire.
Selon une étude de Glaser (1964) concernant l'efficacité des programmes didactiques en milieu carcéral, les délinquants au dossier chargé qui avaient suivi en prison des programmes didactiques à court terme affichaient après leur libération des taux d'échec supérieurs à la moyenne. L'auteur attribuait ce résultat en partie à la frustration des délinquants provoquée par des attentes irréalistes au moment de leur libération. Il faut pourvoir aux besoins du délinquant tout en assurant parallèlement des services continus ainsi que des évaluations et des réexamens systématiques du genre de ceux qu'exige la stratégie correctionnelle tout au long de sa peine.
La difficulté de cerner les facteurs de tensions situationnelles que les délinquants auront à affronter une fois libérés complique la tâche de prévoir leur potentiel de conduite criminelle. Selon la définition de l'analyse fonctionnelle, un comportement antisocial résulte de l'interaction entre les variables relativement stables d'une personnalité, le contexte changeant dans lequel se manifeste le comportement, et la façon dont l'individu interprète son contexte de vie. Jusqu'à tout récemment, on ne disposait d'aucun moyen établi pour évaluer et réévaluer les changements continus dans la vie du délinquant qui ont un lien avec son adaptation sociale et sa propension à récidiver.
L'application des principes relatifs au risque et aux besoins exposés précédemment comprend l'analyse des facteurs de risque dynamiques (parfois appelés « besoins » ou facteurs criminogènes), parallèlement à l'analyse des facteurs de risque statiques, qui sous-tendent les mesures de risque statique, afin d'évaluer l'état du risque actuel qui est influencé par les changements dans le contexte de vie du délinquant.
Des instruments bien validés comme l'Inventaire du niveau de supervision et, pour les programmes correctionnels fédéraux, l'Échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité (Motiuk et Porporino, 1989), ont permis d'identifier des signes précurseurs généraux de conduite criminelle. Il s'agit des partenaires criminels, d'une attitude antisociale, de compétences professionnelles médiocres, des problèmes familiaux/conjugaux, des problèmes comportementaux ou émotionnels, de la toxicomanie et des problèmes de fonctionnement en société.
L'Échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité, appliquée au plan national dans les collectivités en 1989, a de toute évidence amélioré l'information prédictive quant à la réussite des libérations conditionnelles en comparaison avec des instruments tels que l'Information statistique générale sur la récidive (Nuffield, 1982) pris isolément.
L'essai original sur le terrain de cette mesure a démontré que les délinquants relâchés affichant un niveau de besoins élevé selon l'évaluation de leur agent de liberté conditionnelle risquaient davantage d'échouer que ceux dont le niveau de besoins était jugé faible, même si leurs antécédents judiciaires ne laissaient pas entrevoir de risque marqué. Par ailleurs, on a constaté que les réévaluations des besoins permettaient de mieux prévoir l'issue future que les analyses faites à l'admission. Cela représente une information cruciale pour les personnes qui s'occupent des délinquants dans la collectivité, car le fait de disposer d'un moyen valide pour identifier et évaluer les besoins criminogènes leur permet de cibler les aspects les plus déterminants aux fins d'intervention clinique et de gestion de cas, ce que la connaissance des facteurs de risques statiques ne saurait faire.
La dernière version de l'Échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité, appliquée actuellement à titre expérimental dans la région de l'Ontario [Système de gestion des délinquants dans la collectivité (SGDC)], n'exige pas seulement que le gestionnaire de cas établisse le niveau de besoin par rapport à un champ de besoin général; cet instrument comprend aussi des questions qui font ressortir les comportements spécifiques à cibler dans un champ de besoins donné.
Par exemple, dans le domaine de l'emploi, un bilan d'instabilité d'emploi et le manque de fiabilité au travail coïncidaient avec une libération ratée après un suivi de six mois, ce qui n'était pas le cas pour des qualités interpersonnelles médiocres au travail ainsi qu'une déficience physique ou une incapacité d'apprentissage (Motiuk et Brown, 1993). Les indices à l'effet que le niveau de besoins au moment d'une réévaluation reflète mieux le risque réel confirment que ces besoins, ou facteurs de risque, sont en fait dynamiques. Cela devrait donner aux praticiens l'assurance que des interventions à des niveaux de besoins précis plus faibles peuvent en principe améliorer la gestion des risques. C'est d'ailleurs l'hypothèse de base sur laquelle repose la stratégie correctionnelle du SCC.
Résumé des lignes directrices sur la pratique professionnelle concernant les principes relatifs au risque et aux besoins
- Au sein de la collectivité, les mesures de risques statistiques servent à identifier les délinquants qui nécessitent une attention marquée, alors que les mesures de risques dynamiques font ressortir les problèmes associés à un échec après la libération, et qui doivent sous-tendre une stratégie d'intervention.
- Les évaluations en milieu communautaire doivent porter sur les problèmes précis qui déterminent la rechute chez divers types de délinquants (Quinsey et Walker, 1992).
- Les évaluations des facteurs de risques dynamiques montrent que les niveaux de besoins évoluent avec le temps. Les réévaluations en milieu communautaire permettent des prévisions plus justes des chances de succès. Ces considérations démontrent que les évaluations psychologiques en milieu communautaire doivent se faire de façon continue, en tenant compte de l'évolution du contexte de vie et de la capacité d'adaptation des délinquants.
- Il faut que les évaluations psychologiques faites en milieu communautaire s'insèrent dans une stratégie systématique d'évaluation et d'intervention. Elles doivent prendre en considération le traitement antérieur et le comportement durant l'incarcération, tout en étant reliées clairement à la planification du traitement et de la surveillance dans la collectivité.
- La gestion du risque dans la collectivité s'avère sans doute plus efficace si la surveillance des délinquants à risque très élevé de récidive est jumelée avec des services cliniques. Les études récentes sur les résultats d'opérations de surveillance intensive révèlent qu'une telle surveillance ne suffit pas, à elle seule, à diminuer les récidives (Petersilla et Turner, 1993).
L'apport des psychologues : Qu'entendons par « valeur ajoutée »?
Si les agents de gestion des cas peuvent bien évaluer à la fois les niveaux de risques statiques et dynamiques grâce aux plus récents instruments d'estimation du risque, quelle information supplémentaire les cliniciens peuvent-ils fournir dans leurs évaluations qui peuvent justifier les coûts additionnels pour un service correctionnel?
Récemment, Pithers a reformulé son analyse des signes précurseurs d'agression sexuelle. Cette analyse peut aussi expliquer le comportement criminel en général. Il aborde trois sortes de signes précurseurs de risques : facteurs qui prédisposent, facteurs qui incitent et facteurs qui perpétuent.
Avec leur connaissance de la psychologie génétique, les psychologues peuvent donner des éclaircissements sur les événements passés et les traits de personnalité qui prédisposent les délinquants à commettre des actes criminels. Ces facteurs de risque, comme les agressions subies durant l'enfance et un milieu familial perturbé, sont appelés ordinairement facteurs de prédisposition.
Grâce à leur formation clinique, les psychologues peuvent fournir une analyse des conditions dynamiques particulières qui précèdent la récidive, comme une émotivité mal contrôlée, un manque de contrôle sur les impulsions, une excitation sexuelle excessive en présence de stimuli déviants, la toxicomanie et l'échafaudage d'événements contextuels par le délinquant. On parle en l'occurrence de facteurs d'incitation.
Enfin, leurs connaissances sur les facteurs de risque qui prédisposent et incitent, combinées à leur connaissance des ressources communautaires et des possibilités d'aiguillage, ainsi qu'à leur familiarité avec la documentation portant sur ce que Andrews appelle « psychologie de la conduite criminelle », permettent aux psychologues d'aider les gestionnaires de cas dans la collectivité à planifier et à contrôler des stratégies d'intervention visant à diminuer les facteurs de perpétuation des risques, et donc, à accroître la sécurité de la société. Les facteurs de perpétuation sont les facteurs de risque qui entretiennent et favorisent les habitudes de vie antisociales et les comportements criminels comme les distorsions cognitives, les valeurs antisociales, l'inclusion dans des groupes de pairs antisociaux, de même qu'une surveillance médiocre ou inadéquate.
Le principe de réceptivité
Andrews évoque l'importance des principes supplémentaires de réceptivité et de discrétion professionnelle, qui impliquent tous deux un rôle pour les cliniciens. Le principe de discrétion professionnelle prend en considération de façon individuelle le bienfondé éthique et l'efficacité du traitement compte tenu des coûts, quand il s'agit de traiter un délinquant ou de l'aiguiller vers un traitement. Selon le principe de réceptivité, une intervention correctionnelle sera d'autant plus fructueuse qu'elle conviendra mieux à l'individu en cause. En choisissant le traitement le plus adapté au délinquant, le clinicien tient compte de facteurs comme le mode cognitif, la maturité interpersonnelle, le niveau intellectuel, le degré de psychopathologie, les niveaux de motivation et d'anxiété ainsi que les questions de sexe et de culture.
Par exemple, des résultats préliminaires laissent entendre que le modèle PR réussit moins bien dans le cas des agresseurs sexuels qui sont des « criminels de carrière » (et, par extension, dans le cas des criminels de carrière en général) qu'avec les délinquants dont les habitudes criminelles sont moins enracinées. Chez les criminels de carrière, les attitudes antisociales et l'impulsivité nuisent grandement à l'apprentissage des moyens de contrôle de soi. À cause de la nature impulsive des habitudes criminelles, les cliniciens et les gestionnaires de cas ont de la difficulté à intervenir pour enrayer la propension au crime, la perpétration du crime suivant de près les signes précurseurs. Les attitudes et les partenaires criminels qui favorisent ce style de vie ont un caractère chronique et affaiblissent la volonté de changement. Dans de tels cas, le cadre de référence PR aide à identifier les problèmes d'impulsivité, les valeurs criminelles et les partenaires criminels qui constituent des facteurs de risques criminogènes; cependant, un clinicien compétent ne se fiera pas au volet contrôle de soi du modèle PR.
À la place, les psychologues peuvent préconiser un programme de traitement plus profitable qui consiste à enseigner comment résoudre des problèmes et qui s'attaque aux croyances antisociales (comme l'apprentissage de connaissances pratiques). En outre, il convient d'insister sur l'aspect de surveillance externe du modèle, soit instaurer des mesures pour assurer un contrôle vigilant (notamment par des vérifications du couvre-feu, des analyses d'urine, des rapports plus nombreux) et mettre en oeuvre des programmes très structurés.
Beaucoup de travaux ont porté sur la façon d'adapter le traitement au niveau conceptuel et à la maturité interpersonnelle du sujet (Andrews, Bonta et Hoge, 1990; Jesness, 1988). Les analyses de résultats tendent à démontrer que les délinquants affichant un niveau conceptuel et une maturité élevés d'après les évaluations peuvent tirer un meilleur profit de programmes moins structurés et plus souples, d'une supervision non directive. Inversement, les délinquants ayant un niveau conceptuel et une maturité interpersonnelle faibles réussissent mieux dans le cadre de programmes vraiment structurés avec un mode de traitement très directif. Normalement, la thérapie de groupe, surtout s'il y a des confrontations et de l'intensité dans le groupe ne convient pas aux sujets très anxieux (Annis, 1988). Les psychologues qui connaissent la documentation sur la réceptivité et les ouvrages connexes touchant la capacité de traitement sont bien placés pour conseiller les gestionnaires de cas sur les façons d'accroître le désir de se transformer chez les délinquants. Selon Blackburn (1993b), les conditions d'application du programme ont autant d'influence sur les résultats que les méthodes employées. Parmi les éléments communs aux programmes fructueux, mentionnons des responsables du traitement qui se montrent chaleureux mais directifs, et qui savent fixer des limites et contester les idées égocentriques et les valeurs antisociales. Andrews a également souligné le rôle crucial de la « chimie » relationnelle entre le délinquant et le thérapeute. En plus d'être valable au plan éthique, le fait d'amener le délinquant à contribuer à l'identification des priorités de traitement peut aussi renforcer son désir de se transformer. L'étude récente du SGDC a révélé que, d'après l'évaluation du gestionnaire de cas, le désir de changer du délinquant dans cinq des sept champs de besoins allait de pair avec une libération conditionnelle réussie (Motiuk et Brown, 1993). L'entrevue sur la motivation part de la prémisse qu'une interrogation attentive permet au clinicien d'aider le sujet à prendre conscience des comportements néfastes et mésadaptés qu'il devrait modifier (Proshasta et diClementi, 1986). Il appert également que dans le cas des jeunes délinquants, la participation d'un membre de la famille, même à une seule séance de thérapie, améliore l'adhésion et diminue la récidive. Enfin, dans toute évaluation psychologique, il faut vérifier s'il y a eu des indices de changement d'attitude et de valeurs ainsi qu'une amélioration des compétences et des capacités d'adaptation à la suite des traitements antérieur et actuel.
Questions relatives à l'aiguillage
Dans la société, on observe des pressions croissantes en vue de renoncer aux « évaluations psychologiques complètes » pour en venir à des rapports qui répondent à des questions plus précises sur le traitement dont les délinquants ont besoin, les progrès dans le traitement et l'estimation des risques, et qui donnent des recommandations au sujet des stratégies de surveillance permettant d'améliorer la gestion des risques. L'accent mis autrefois sur les « rapports autosuffisants » impliquait que, dans la société, les fonds pour les services psychologiques étaient consacrés en bonne partie aux évaluations plutôt qu'au traitement. Pour la plupart des groupes de délinquants, sauf peut-être les délinquants sexuels, cela coïncidait avec la façon dont les crédits des services psychologiques étaient répartis dans les établissements. Plusieurs raisons font que l'on ne demande plus systématiquement des évaluations complètes dans la collectivité : les évaluations psychologiques à contrat coûtent cher; la Commission nationale des libérations conditionnelles impose plus souvent des conditions additionnelles qui exigent un traitement; et, on a récemment amélioré l'ampleur et la qualité de l'information que renferment les dossiers des délinquants, de sorte que les analyses complètes deviennent superflues. L'analyse globale du comportement sexuel réalisée à l'Unité de réception Millhaven de Kingston, en Ontario, illustre très bien ce dernier point. Une fois mise en œuvre à l'échelle nationale, l'évaluation initiale accentuera davantage cette tendance vers une évaluation exhaustive s'appliquant aux délinquants en général.
Par rapport à l'aiguillage, la société s'interroge probablement surtout sur l'analyse des besoins de traitement, mais, dans certaines occasions, un gestionnaire de cas peut encore rechercher des conseils cliniques parce que l'état d'un sujet a changé. Par exemple, des rapports peuvent être demandés lorsqu'une demande de libération conditionnelle totale est soumise ou lorsqu'un délinquant a été suspendu et que son gestionnaire de cas sollicite l'avis d'un clinicien pour savoir si l'individu peut réintégrer sans danger la société (et, dans l'affirmative, à quelles conditions) à la suite d'une violation de ses conditions de libération ou malgré des indices que son comportement empire. De plus, le dossier de certains délinquants relâchés ne contient que très peu d'information contextuelle, si bien que l'on aurait besoin d'une évaluation plus élaborée. Le modèle suivant s'applique aux deux types de rapports les plus souvent demandés dans la collectivité : i) l'évaluation des besoins de traitement et des progrès; ii) l'évaluation psychologique complète.
Aperçu du rapport
En guise de principe général, rappelons la recommandation de Weiner (1987) à l'effet que tous les rapports psychologiques judiciaires doivent être clairs (dénués de jargon), pertinents (porter sur le sujet) et informatifs (fournir des renseignements nouveaux).
Avant la première entrevue d'évaluation, il faut exposer au délinquant les limites de confidentialité, en lui faisant comprendre que le modèle de prévention de la rechute restreint le degré de confidentialité que l'on peut garantir. Bien que certains renseignements personnels ne puissent pas être évoqués avec le gestionnaire de cas, on doit aviser le délinquant que le clinicien et le gestionnaire de cas collaboreront très étroitement, et que les préposés aux libérations conditionnelles seront mis au courant de tout renseignement relatif aux risques pour la société. Pour que le délinquant comprenne bien la nature de la relation entre la gestion de cas et le traitement, il serait souhaitable, autant que possible, que l'entrevue initiale se déroule en présence de son agent de liberté conditionnelle.
Le modèle de prévention de la rechute procure un cadre de référence permettant une analyse fonctionnelle du cas. Si les résultats des tests fournis dans une évaluation ne sont pas complétés par une analyse des raisons pour lesquelles le délinquant a commis une infraction ainsi que par des recommandations en vue de réduire efficacement les risques, cette évaluation ne respecte pas les normes de pratique professionnelle.
i) Évaluation des besoins de traitement
Rice et al. (1990) ont élaboré une méthode structurée, à partir de l'ouvrage de Gottfredson (1984), pour établir des objectifs de traitement mesurables s'appliquant aux détenus dans un centre psychiatrique fermé. Avec leur « Évaluation de l'application du programme » (EAP), on mesure les résultats d'un programme en fonction des objectifs; lors des évaluations périodiques, perçues comme une phase de réflexion, on apporte des ajustements au mode de traitement pour corriger toute « erreur » relevée, c'est-à-dire la constatation qu'une stratégie particulière de traitement n'a pas permis d'atteindre un objectif donné. Afin de diagnostiquer les changements, ces auteurs ont conçu un sondage sur les problèmes des patients servant à évaluer leur adaptation dans l'établissement et dans la collectivité.
Dans la région de l'Ontario, les rapports d'évaluation exigés des psychologues œuvrant dans la communauté visent des fins comparables à celles de la méthode EAP appliquée à Penetang. Le formulaire d'évaluation psychologique des besoins de traitement dans la collectivité a été conçu pour deux raisons : permettre une meilleure répartition des fonds alloués aux programmes; et, fournir des moyens assez structurés pour évaluer l'incidence des consultations données à contrat sur les délinquants tenus de suivre un traitement.
Selon une analyse récente des conditions de libération dans la région de l'Ontario, la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) avait enjoint à près de la moitié des délinquants de suivre un traitement. Pour la plupart d'entre eux, les gestionnaires de cas avaient recouru à des services psychologiques contractuels. Pour contrôler les coûts et améliorer la pertinence de ces orientations, nous avons instauré un processus en vertu duquel le délinquant est d'abord référé à un psychologue pour une évaluation portant uniquement sur ses besoins de traitement si des soins psychologiques lui ont été expressément imposés. Le psychologue contractuel doit préciser les objectifs du traitement au cours des trois premières séances. S'il considère que des consultations psychologiques ne sont pas nécessaires ou que le délinquant n'en tirerait pas profit, il transmet une copie de sa décision à la CNLC. On prépare ensuite une justification de la suspension de la liberté conditionnelle, si le gestionnaire du cas estime que le risque est trop fort en l'absence de traitement, ou du maintien de la condition. Toutefois, si le psychologue évaluateur juge que cela vaut la peine d'entreprendre un traitement, il doit alors élaborer un plan de traitement et en faire part au gestionnaire de cas. Le gérant de contrat (habituellement le directeur de secteur) approuve ensuite un traitement étalé sur huit séances, après quoi il faut tenir une conférence de cas avant d'approuver de nouveaux crédits pour des consultations supplémentaires. À toutes les quatre séances, on doit produire une note sur l'évolution du cas, selon la même présentation que le plan de traitement.
En ce qui concerne les délinquants assujettis à la condition de libération plus générale de « bénéficier de conseils », nous incitons les gestionnaires de cas à leur faire suivre des programmes de base dispensés par un personnel non clinique (par exemple, un programme de prévention de la rechute pour les toxicomanes ou un des volets du programme sur les compétences psychosociales) avant d'envisager la poursuite d'un traitement avec des psychologues. En vertu de ces nouvelles dispositions, de manière générale, seuls les délinquants à risque élevé devraient suivre une thérapie continue avec un psychologue.
L'évaluation des besoins de traitement doit comprendre une analyse des facteurs de risque ainsi qu'un schéma de traitement et de surveillance dans la collectivité établie en fonction de ces facteurs. Il importe de remplir ou du moins d'examiner avec le délinquant le rapport exposant les besoins de traitement et les objectifs visés, à la fois pour renforcer son adhésion au plan de traitement et pour lui clarifier l'information clinique transmise au gestionnaire de cas.
Normalement, l'évaluation des besoins de traitement dans la collectivité peut s'effectuer au cours des trois premières séances. Il faut que le clinicien puisse justifier les objectifs du traitement en les faisant correspondre explicitement à la conduite criminelle du délinquant. L'évaluation doit concerner surtout les aspects criminogènes que l'on sait en rapport avec la récidive en général, et qui se prêtent à une intervention clinique, notamment l'emploi et l'instruction (évaluation et orientation professionnelles), les attitudes (valeurs et croyances de nature antisociale et prédisposant au crime), les domaines de la santé mentale, la toxicomanie, la dynamique de la vie, et la dynamique familiale/conjugale (surtout les questions liées à la violence en milieu familial).
Il faut décrire les objectifs de traitement de manière à ce que l'on puisse ultérieurement réexaminer les réactions au traitement au moyen d'une note sur l'évolution du cas. Les moyens qui serviront à évaluer les progrès doivent être explicites, par exemple, mesures objectives, observation du comportement ou remarques des gestionnaires de cas. La section finale du rapport est réservée à l'évaluation des risques selon divers critères, qui vont dans le sens de ceux décrits par Webster et Eaves (1995) dans leur modèle HCR 20. Ce modèle combine des variables historiques (données statistiques sur la violence antérieure et information sur l'ampleur de la psychopathologie), cliniques (analyse actuelle des états cliniques pertinents comme le niveau de conscience, l'ampleur des attitudes antisociales, les symptômes manifestés, la stabilité émotionnelle et le degré de réceptivité du sujet au traitement) et relatives aux risques (le succès avec lequel l'individu peut contrôler les risques dans divers contextes, compte tenu d'un plan donné de libération conditionnelle). Sur notre formulaire, le clinicien doit indiquer sur quoi il s'est basé pour en arriver à son estimation actuelle des risques. En conclusion dans le rapport, on fait s'il y a lieu des recommandations aux gestionnaires de cas quant aux stratégies de surveillance susceptibles de diminuer les risques. Le psychologue recommandera également de poursuivre le traitement, d'y mettre fin ou de convoquer une conférence de cas. Des notes à intervalles réguliers sur l'évolution du cas feront suite au plan de traitement initial.
Nous avons aussi conçu une Liste de contrôle pour l'identification des problèmes (LCIP), projet expérimental, qui nous sert à évaluer le changement relativement à des aspects liés aux champs de besoins criminogènes exposés dans le SGDC, l'instrument de mesure utilisé par les gestionnaires de cas. Le clinicien remplit la LCIP (annexe C) en même temps qu'il rédige le plan de traitement initial, puis il en remplit une nouvelle au bout de huit séances ou à la fin du traitement, selon l'éventualité qui arrive la première.
ii) Évaluation psychologique complète
Au début, il faut préciser tous les éléments informatifs qui ont servi à l'élaboration du rapport, soit l'ensemble des renseignements au dossier, le nombre et la durée des entrevues et toute autre source d'information.
Dans le milieu correctionnel, on trouve actuellement quelques modèles d'entrevue qui prennent en considération les domaines fonctionnels associés à l'adaptation et au risque pour la collectivité. Il y a lieu de penser que la Liste de contrôle de la psychopathie est l'une des meilleures façons d'évaluer le niveau de danger. N'importe quelle évaluation exhaustive repose sur une entrevue psychosociale réalisée à la lumière du pointage accordé aux aspects de contenu de cette liste de contrôle et sur un exposé détaillé des infractions actuelles et antérieures [voir la description d'une entrevue psychosociale de Cormier (1992) ou l'entrevue type associée au modèle LCP-R].
Pour compléter l'information contextuelle tirée de l'entrevue indiquée ci-dessus, on peut recourir au rapport sur le profil criminel afin de structurer le volet de l'entrevue concernant les infractions actuelles et les antécédents criminels. Le clinicien devra extraire toute la somme de renseignements nécessaire pour donner un aperçu du cycle de délinquance (s'il est identifiable) ainsi que des aspects cognitifs, émotionnels et comportementaux de la conduite délinquante.
Des questions ayant trait aux champs de besoins criminogènes contribueront à enrichir l'information sur le passé de l'individu tirée de l'entrevue psychosociale et de la description des infractions. Cette partie de l'entrevue consiste à évaluer l'état actuel du délinquant, surtout en ce qui concerne son adaptation sociale présente, son attitude envers la surveillance et le traitement, l'ampleur du soutien de la collectivité de même que toute amélioration ou détérioration observée dans ses capacités d'adaptation ou son état émotif. Le clinicien s'efforcera d'analyser les types d'interactions potentielles entre la capacité d'adaptation actuelle du délinquant et son contexte de vie futur. Enfin, on doit, dans le rapport, estimer le niveau de risque, décrire les signes précurseurs d'infractions et recommander des moyens de contrôle qui, outre le traitement, pourraient être appliqués de manière à favoriser une libération profitable à la société.
Résumé des règles de pratique
- Dans leurs évaluations, les psychologues œuvrant dans la communauté doivent fournir une estimation du risque et des recommandations en vue d'une gestion efficace du risque. Ces évaluations se préparent en tenant compte des règles de pratique professionnelle exposées dans ce guide.
- Les cliniciens doivent indiquer une façon systématique d'évaluer le traitement cas par cas. Il importe de réexaminer régulièrement les effets du traitement en fonction d'objectifs concrets et mesurables.
- Les psychologues correctionnels dans la collectivité doivent être disposés à appliquer les règles éthiques prescrites pour une clientèle correctionnelle ou à risque élevé. Cela signifie exposer clairement au délinquant les limites de confidentialité avant d'entreprendre les évaluations et le traitement. Avec une méthode de prévention de la rechute, les échanges d'information ne se limitent pas à l'estimation du danger immédiat dans un cas précis. En fait, cela comprend la divulgation de tout renseignement important pour une gestion efficace du risque.
- Ces lignes directrices s'appliquent tant aux psychologues employés par le SCC ou contractuels. Dans les appels d'offres rédigés par les gérants de contrats du SCC, il faut préciser clairement ces exigences et les règles de pratique professionnelle.
Selon Quinsey et Walker (1993), la gestion du risque dans la collectivité peut s'améliorer si les psychologues possèdent de solides connaissances dans plusieurs domaines : la documentation sur la prévision des comportements violents; les études concernant les prises de décision et les jugements cliniques; la documentation sur les résultats des traitements et l'évaluation des programmes.
J'ajouterai aussi que, du point de vue d'une psychologue correctionnelle travaillant dans la collectivité, il importe que le praticien connaisse bien les ressources de traitement disponibles là où il exerce, leur efficacité et leur bilan pour ce qui est des bonnes relations de travail dans un cadre correctionnel (par exemple, les préposés au traitement et à la surveillance doivent bien comprendre en quoi consistent les échanges d'information). Les plus récentes études de résultats laissent place à l'optimisme pour ce qui est de l'efficacité potentielle des interventions correctionnelles, surtout quand on applique un plan global et intégré de traitement et de surveillance.
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