Étude ethnographique sur l’expérience de Canadiens sans abri et en situation de logement précaire en matière de production de déclarations de revenus et d’accès aux prestations

1. Résumé

Le présent rapport fait état des conclusions d'une étude ethnographique menée par des chercheuses du Laboratoire de solutions d'entreprise accélérées (LSEA) à l'Agence du revenu du Canada (ARC). L'étude vise à comprendre les besoins et les expériences des Canadiens sans abri et en situation de logement précaire quant à la production de déclarations de revenus et à l'accès aux prestations, plus particulièrement dans le contexte du Programme communautaire des bénévoles en matière d'impôt (PCBMI). Cette étude n'est pas une évaluation du PCBMI ou autres programmes, et les résultats ne sont pas nécessairement représentatifs, car la taille de l'échantillon de l'étude est petite. Les conclusions du rapport sont fondées sur l'analyse qualitative des données recueillies sur le terrain au cours des mois de mars et avril 2017 à des organismes de services sociaux qui ont tenu des comptoirs du PCBMI à Ottawa. Dans le cadre de leur étude, menée auprès de 42 personnes sans abri ou en situation de logement précaire et de 8 personnes ayant pris part aux comptoirs du PCBMI en tant que bénévoles ou membres du personnel des organismes, deux chercheuses du LSEA ont utilisé des méthodes ethnographiques.

Les participants à l'étude ont des habitudes diverses en matière de production de déclarations de revenus. Certains produisent leurs déclarations chaque année sans exception, d'autres produisent leurs déclarations de façon intermittente et enfin, certains n'en produisent jamais. Ils ont également, dans leur vie quotidienne, des préoccupations diverses qui ont une incidence sur leur désir et leur capacité à produire des déclarations, y compris des problèmes de santé ou de logement, des problèmes financiers et des difficultés à gérer les relations interpersonnelles. Les participants se heurtent aussi à des obstacles inhérents à l'administration de l'impôt, lesquels obstacles ont également une incidence sur leur expérience en matière de production de déclarations. Le présent rapport cible quatre obstacles principaux : la difficulté de vérifier son identité auprès de l'ARC, l'obtention et la conservation de documents financiers, les modes de communication et le manque de connaissances en informatique.

Les comptoirs du PCBMI jouent un rôle important en servant d'intermédiaires entre les participants et l'ARC et, dans certains cas, en contribuant à atténuer certains des obstacles auxquels se heurtent les personnes sans abri et en situation de logement précaire au moment de produire leurs déclarations. Il a été déterminé que les capacités et les aptitudes des bénévoles de même que la structure et le fonctionnement des comptoirs ont une incidence importante sur l'expérience des clients ainsi que sur leur capacité à produire leurs déclarations et à obtenir des prestations.

Tous les participants à l'étude ont souligné l'importance du PCBMI pour les Canadiens à faible revenu qui, n'ayant pas les moyens de recourir à un service de préparation de déclarations de revenus, pourraient tout simplement choisir de ne pas en produire et, ce faisant, renoncer aux prestations auxquelles ils ont droit. Le PCBMI a une valeur inestimable pour les personnes qui ont besoin d'aide pour produire leurs déclarations, que ce soit en raison de préférences personnelles, d'un manque de connaissances, de problèmes de communication, de problèmes de dépendance, de troubles cognitifs ou de troubles anxieux liés aux questions fiscales et financières.

2. Introduction et objectifs de l'étude

La production de déclarations de revenus des particuliers offre aux Canadiens à faible revenu la possibilité d'améliorer leur situation financière en leur permettant d'accéder à un éventail de prestations fédérales et provinciales (comme le crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée, l'Allocation canadienne pour enfants et la prestation fiscale pour le revenu de travail), ainsi qu'à des diverses mesures propres aux provinces. Ces prestations peuvent contribuer à améliorer considérablement la situation des Canadiens vulnérables, notamment des personnes sans abri et en situation de logement précaire. Par exemple, les prestations constituent des sources de revenus qui peuvent aider les parents à faible revenu à subvenir aux besoins de leurs enfants et, dans certains cas, ces revenus peuvent faire la différence entre avoir ou non un logement. Malgré les avantages économiques de la production de déclarations de revenus pour ces populations, certaines personnes n'en produisent pas.

Une priorité essentielle de l'Agence du revenu du Canada (ARC) est de s'assurer que les Canadiens puissent avoir accès aux prestations auxquelles ils ont droit. Une initiative mise en œuvre à l'appui de cette priorité est le Programme communautaire des bénévoles en matière d'impôt (PCBMI), un partenariat établi entre l'ARC et des organismes communautaires afin d'offrir gratuitement des services de préparation de déclarations de revenus aux particuliers et aux familles qui ont un revenu modeste et une situation fiscale simple.Note de bas de page 1 Le PCBMI vise un large éventail de Canadiens, y compris les personnes âgées, les Autochtones, les jeunes, les nouveaux arrivants, les personnes handicapées et les bénéficiaires d'aide sociale. En 2016, plus de 700 000 déclarations de revenus ont été produites dans le cadre du PCBMI au nom de particuliers admissibles.

Dans le budget de 2018, le gouvernement propose de double la taille du programme, aidant ainsi des centaines de milliers d'autres particuliers à remplir leur déclaration de revenus et à accéder aux prestations auxquelles ils ont droit. Cette expansion comprendra le financement de cliniques de prestations permanentes supplémentaires et d'autres activités de sensibilisation à l'intention des segments vulnérables de la population, notamment les aînés, les nouveaux arrivants, les personnes handicapées, les jeunes et les communautés autochtones. Grâce à des investissements totaux annuels et permanentes de 13 millions de dollars dans le budget 2016 et le budget 2018, le gouvernement a quadruplé le financement destiné au Programme communautaires des bénévoles en matière d'impôt au cours des dernières années.Note de bas de page 2

Étant donné la diversité des populations qui font appel au PCBMI, il peut toutefois être difficile de comprendre les besoins des groupes de clients à l'égard desquels les connaissances de l'ARC sont limitées. Les personnes sans abri et en situation de logement précaire forment une telle population. Pour améliorer sa compréhension des besoins de ces populations, l'ARC a donc mis sur pied un projet novateur axé sur les besoins et les expériences des personnes sans abri et en situation de logement précaire qui sont admissibles au PCBMI. Plus précisément, l'étude visait les objectifs suivants :

Le projet, qui a été entrepris par des chercheuses du Laboratoire de solutions d'entreprise accélérées (LSEA) de l'ARC avec l'appui du secteur de programme du PCBMI. Le projet reposait sur l'utilisation de méthodes de recherche ethnographique, comme des entrevues et l'observation des participants. La recherche sur le terrain a été menée dans les comptoirs du PCBMI et auprès des organismes de services sociaux qui soutiennent les personnes sans abri et en situation de logement précaire à Ottawa au cours des mois de mars et avril 2017, soit durant la période de production des déclarations de revenus.

La première section du présent rapport présente des renseignements généraux sur l'itinérance et la précarité du logement au Canada, notamment une définition de l'itinérance et un aperçu des données démographiques concernant ces populations. Davantage de renseignements sont également fournis sur l'étendue de l'itinérance à Ottawa et sur le soutien au logement offert aux personnes sans abri et en situation de logement précaire de la ville.

La deuxième section explique la méthode de recherche ethnographique utilisée, y compris la façon dont les organismes de services sociaux participants ont été ciblés, la façon dont les participants ont été recrutés, la façon dont les entrevues ont été menées et la façon dont les préoccupations liées à la protection des renseignements personnels et au consentement ont été gérées.

La troisième section du rapport présente les quatre thèmes principaux de la recherche. Le premier thème, qui porte sur les participants à la recherche et sur leurs habitudes en matière de production de déclarations de revenus, décrit les participants à la recherche ainsi que leurs habitudes diverses en matière de production de déclarations. Il étudie également les raisons pour lesquelles les personnes sans abri et en situation de logement précaire produisent des déclarations de revenus.

Le deuxième thème, qui porte sur l'expérience des personnes sans abri et en situation de logement précaire, décrit l'éventail des préoccupations divergentes liées à la santé, aux finances et aux relations interpersonnelles qu'ont les personnes sans abri et en situation de logement précaire. Il est important d'explorer le quotidien des participants puisqu'il s'agit du contexte qui détermine leur capacité à produire des déclarations de revenus et à accéder aux prestations.

Le troisième thème, qui porte sur les obstacles à la production de déclarations, s'appuie sur les données ethnographiques pour traiter des aspects du régime d'administration de l'impôt qui constituent des obstacles pour les personnes sans abri et en situation de logement précaire. Ces obstacles comprennent notamment le manque de connaissances en informatique et les difficultés liées à vérifier son identité auprès de l'ARC, à la communication, ainsi qu'à l'obtention et la conservation de documents financiers.

Le dernier thème, qui porte sur les comptoirs du PCBMI, étudie la façon dont les comptoirs de préparation de déclarations de revenus fonctionnent au sein des organismes de services sociaux participants. Plus particulièrement, il a été déterminé que la structure des comptoirs (avec ou sans rendez-vous, par exemple) de même que l'ensemble des habiletés des bénévoles ont des répercussions importantes sur la capacité des clients à produire des déclarations de revenus.

3. Renseignements généraux sur l'itinérance et la précarité du logement au Canada


3.1 Définition de l'itinérance et de la précarité du logement


La définition canadienne de l'itinérance, publiée en 2012 par l'Observatoire canadien sur l'itinérance, définit l'itinérance comme :

…la situation d'un individu ou d'une famille qui n'a pas de logement stable, permanent et adéquat, ou qui n'a pas de possibilité ou la capacité immédiate de s'en procurer un. C'est le résultat d'obstacles systémiques et sociétaux, d'un manque de logements abordables et adéquats, et/ou de défis financiers, mentaux, cognitifs, de comportement ou physiques qu'éprouvent l'individu ou la famille, et de racisme et de discrimination. La plupart des gens ne choisissent pas d'être un sans-abri et l'expérience est généralement négative, stressante et pénible.Note de bas de page 3

L'itinérance englobe une gamme de situations de vie diverses et comprend les personnes sans abri qui vivent dans la rue, les personnes qui utilisent les refuges d'urgence, les personnes logées provisoirement dans des logements de transition ou des institutions et les personnes à risque d'itinérance en raison de leur situation financière ou de la mauvaise qualité de leur logement.Note de bas de page 4

Le phénomène de l'itinérance au Canada, qui touchait autrefois principalement les hommes seuls et âgés, touche maintenant une population de plus en plus diversifiée de Canadiens, y compris des femmes, des familles, des jeunes et des personnes âgées.Note de bas de page 5 Selon l'Étude nationale sur les refuges publiée en 2016, les estimations actuelles indiquent que, chaque nuit, 35 000 Canadiens sont sans abri, et qu'au moins 235 000 Canadiens vivent une situation d'itinérance au cours d'une année donnée.Note de bas de page 6 Jusqu'à 50 000 autres Canadiens vivent une situation d'itinérance « cachée » au cours d'une nuit donnée, étant souvent logés temporairement chez des membres de la famille ou des amis parce qu'ils n'ont pas de logement et n'ont pas la possibilité immédiate de s'en procurer un.Note de bas de page 7

Bien que le nombre annuel d'utilisateurs des refuges ait diminué au cours de la période de 2005 à 2014, les tendances indiquent que la durée des séjours dans les refuges a augmenté pour toutes les populations, plus particulièrement pour les familles et les personnes âgées de 50 ans et plus. Les adultes âgés de 25 à 49 ans représentent un peu plus de la moitié des utilisateurs des refuges, les adultes âgés de 50 ans et plus arrivent au deuxième rang, suivi des jeunes non accompagnés d'un adulte.Note de bas de page 8 Les proportions d'hommes et de femmes dans les refuges sont demeurées stables au cours des 10 dernières années, les hommes représentant 72,4 % des clients et les femmes, 27,3 % .Note de bas de page 9 De plus, les Autochtones sont considérablement surreprésentés dans les refuges; ils comptent pour près d'un tiers des clients des refuges malgré le fait qu'ils ne représentent que 4,3 % de la population canadienne.Note de bas de page 10 Ces données démographiques suggèrent que l'expérience de l'itinérance n'est pas homogène, et que les causes et les conséquences de l'itinérance peuvent varier d'un groupe démographique à l'autre.

Bien que l'utilisation des refuges d'urgence soit un indicateur de l'ampleur actuelle de l'itinérance au Canada, il existe également un segment de plus en plus important de Canadiens qui sont logés de façon précaire et qui sont, par conséquent, à risque d'itinérance. Environ 16% de tous les ménages canadiens sont considérés comme étant en logement précaire parce qu'ils consacrent plus de 30% de leur revenu au logement.Note de bas de page 11 De plus, 6% des ménages canadiens consacrent plus de 50% de leur revenu au loyer, ce qui les expose à un risque élevé d'itinérance.Note de bas de page 12

3.2 Itinérance et précarité du logement à Ottawa


L'Alliance pour mettre un terme à l'itinérance a rapporté que 7 170 personnes ont utilisé les refuges d'urgence dans la ville d'Ottawa en 2016, ce qui représente une hausse de 5,2 % par rapport à 2015 et une deuxième hausse annuelle consécutive de l'utilisation des refuges enregistrée par la ville.Note de bas de page 13 Ottawa compte deux refuges pour familles administrés par la Ville, huit refuges communautaires et de nombreuses installations en cas de débordement offrant du soutien aux personnes sans abri de la ville. Ces refuges offrent aux femmes, aux hommes, aux jeunes ainsi qu'aux familles l'accès à un endroit où dormir, à des repas et à des services de gestion de cas visant à évaluer leurs besoins en matière de services sociaux et de santé. De plus, les clients ont accès à un travailleur de soutien au logement pour les aider à trouver un logement abordable dans la ville.Note de bas de page 14 Les ressources en matière de logement abordable à Ottawa comprennent une combinaison de logements subventionnés et de subventions au logement (comme des suppléments de loyer et des allocations de logement) offerts aux personnes vivant dans des logements sans but lucratif, des coopératives d'habitation ou des logements privés.Note de bas de page 15

Pour les personnes qui sont dans l'incapacité d'accéder à un logement subventionné et pour qui les tarifs locatifs du marché sont hors de portée, les 1 328 maisons de chambres que compte la ville constituent une possibilité de logement.Note de bas de page 16 Une maison de chambres est un édifice doté de multiples chambres qui sont louées individuellement, et les locataires partagent une salle de bain et une cuisine. Il n'y a pas de données officielles sur les tarifs locatifs, mais selon un récent rapport et selon les participants à l'étude, il semble que les tarifs locatifs des maisons de chambres vont de 400 $ à 600 $ par mois à Ottawa.Note de bas de page 17

3.3 Répercussions de l'itinérance et de la précarité du logement

La Commission de la santé mentale du Canada a conclu que le fait de perdre son logement et de devoir vivre dans la rue, dans des refuges ou dans un logement précaire ne satisfaisant pas aux normes de santé et de sécurité entraîne des conséquences néfastes sur les plans social et de la santé.Note de bas de page 18 La vie dans la rue ou dans les refuges d'urgence se limite souvent aux activités de survie de base, soit trouver de la nourriture, un refuge et des endroits où se reposer et passer la journée, éviter le harcèlement et, pour certains, consommer diverses substances en guise de mécanisme d'adaptation.Note de bas de page 19 Par conséquent, la capacité des sans-abris à gérer les problèmes de santé chroniques, y compris les problèmes de santé physique et mentale ou de dépendance, peut être compromise dans ces environnements sociaux et physiques instables. De même, les personnes qui vivent dans des logements précaires, comme des maisons de chambres, sont souvent exposées à un environnement néfaste et stressant pouvant nuire à leur bien-être.

De plus, la recherche indique que, dans certaines régions, les taux locatifs du marché sont de moins en moins à la portée des Canadiens qui reçoivent de l'aide sociale, une pension, un autre revenu fixe, et même de ceux qui touchent le salaire minimum.Note de bas de page 20 Le fait de devoir consacrer au loyer une part importante du revenu signifie qu'il ne reste aux particuliers et aux familles que peu d'argent pour combler leurs besoins de base, comme la nourriture, les vêtements, le transport, les médicaments et les autres éléments nécessaires à la santé et au bien-être. Lorsqu'elles sont prises en compte ensemble, ces conclusions révèlent que l'accès difficile à un logement sûr et abordable a des répercussions sur la qualité de vie.

3.4 Itinérance, précarité du logement et production de déclarations de revenus

Le facteur commun à tous les Canadiens qui vivent dans des refuges d'urgence, des logements subventionnés ou des maisons de chambres ou qui sont à risque d'itinérance est leur revenu limité. L'accès à des aides financières revêt donc une grande importance pour les personnes vulnérables. Il existe diverses prestations fédérales et provinciales auxquelles les personnes sans abri et en situation de logement précaire ont droit en Ontario. Ces prestations comprennent le crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH), l'Allocation canadienne pour enfants (ACE), la prestation fiscale pour le revenu de travail et la prestation trillium de l'Ontario. Elles visent à aider les particuliers et les familles à revenu faible ou modeste. Les initiatives qui visent à encourager la production de déclarations de revenus par les bénéficiaires d'aide sociale sont essentielles puisque cela leur permet d'accéder à un éventail de prestations fédérales et provinciales. Pour les Canadiens sans abri ou en situation de logement précaire qui ne reçoivent pas d'aide sociale actuellement, l'accès à des prestations est encore plus urgent puisqu'une sécurité financière accrue peut avoir des répercussions importantes sur leur bien-être et leur qualité de vie. La recherche visant à explorer les besoins et les expériences des Canadiens vulnérables relativement à la production de déclarations de revenus est donc destinée à mettre en lumière certains des obstacles qui peuvent empêcher ces personnes d'avoir accès aux prestations auxquelles elles ont droit. Les méthodes de recherche qualitative, comme l'ethnographie, sont particulièrement bien adaptées à la recherche auprès des personnes marginalisées. Elles s'appuient sur l'expérience directe des participants et permettent ainsi d'obtenir une perspective nouvelle sur des problèmes sociaux complexes comme l'itinérance et la précarité du logement.

4. Méthodologie

4.1 La méthode ethnographique

L'ethnographie est une méthodologie de recherche qualitative utilisée en sciences sociales, particulièrement par les anthropologues, pour étudier les aspects sociaux et culturels de certaines communautés. Les chercheurs s'immergent, durant une longue période, dans la communauté faisant l'objet de la recherche observant les sujets et interagissant avec eux dans leur propre environnement dans le but de s'approcher le plus possible de leurs perspectives et de leurs expériences réelles. Cette forme d'immersion est appelée observation participante parce que les chercheurs s'immergent dans la communauté dans deux buts : participer aux activités et à la routine quotidienne de la communauté et consigner des observations et des notes détaillées. Les méthodes de recherche ethnographique peuvent aussi comprendre des entrevues semi-structurées, des enregistrements audio, la photographie, la vidéographie, l'analyse de documents et d'autres techniques. Les notes de recherche et les transcriptions des entrevues sont analysées qualitativement au moyen d'un processus appelé codage. Ce processus consiste à repérer les schémas dans les portions les plus pertinentes de l'ensemble de données et à en tirer des thèmes pouvant être utilisés pour répondre aux questions de l'étude.

Pendant leur immersion dans la communauté, les chercheurs accordent une attention particulière à la façon dont leur présence en tant que chercheurs et leurs perspectives en tant qu'étrangers influencent les événements qui se produisent et les relations qui se tissent. Pour ce faire, les ethnographes essaient de connaître leur propre position subjective et l'effet que celle-ci peut avoir sur le lieu de recherche et sur sa dynamique sociale existante. Bien qu'il leur soit impossible de se mettre réellement dans la peau des participants, les ethnographes essaient tout de même de comprendre le mieux possible la vie des participants d'un point de vue intérieur.

Ces méthodes aident les ethnographes à découvrir la signification et l'importance des modes de comportement, et à obtenir un aperçu réel des perceptions et des pratiques des sujets. Bien qu'elles possèdent aussi des atouts, les autres méthodes qualitatives, comme les études et les groupes de consultation, permettent rarement de recueillir des renseignements naturalistes plus précis comme le permet la méthodologie ethnographique. La méthodologie ethnographique est maintenant utilisée dans d'autres disciplines universitaires et est de plus en plus utilisée au sein du gouvernement et du secteur privé comme une méthode pour découvrir des renseignements détaillés qui tiennent compte du contexte.

L'ARC a utilisé les méthodes ethnographiques pour la première fois en 2016 lorsqu'elle a mené, en collaboration avec des chercheurs de l'Université de Toronto, un projet pilote visant à explorer les obstacles à l'observation fiscale auprès des propriétaires de petites entreprises du marché de Kensington en Toronto. Le projet a permis de déterminer que l'ethnographie constituait un nouvel outil prometteur axé sur les clients que l'ARC pourra utiliser pour mieux comprendre les comportements des contribuables et ainsi favoriser la réalisation de ses priorités stratégiques, soit contribuer à l'innovation, améliorer les services et accroître l'observation des règles fiscales.

4.2 Recrutement et méthodologie

Les chercheuses, qui travaillent pour le Laboratoire de solutions d'entreprise accélérées (LSEA) de l'ARC, ont mené l'étude. Dans le cadre de l'étude, deux méthodes de recherche ont été utilisées, soit l'observation des participants et les entrevues. Les entrevues ont pris diverses formes, de brefs échanges à de longues entrevues approfondies, et ont duré de cinq minutes à une heure, voire plus. Le style d'entrevue a été souple et conversationnel : une liste de questions axées sur les objectifs de l'étude a été suivie, mais les questions ont été adaptées aux circonstances particulières des entrevues et les chercheuses se sont permis de s'éloigner du sujet pour suivre des pistes intéressantes et spontanées. Certaines des entrevues ont été enregistrées, avec l'accord des participants, et d'autres n'ont fait l'objet que de notes manuscrites. Les chercheuses ont également observé les participants dans les comptoirs du Programme communautaire des bénévoles en matière d'impôt (PCBMI) ainsi qu'auprès des refuges et des programmes qui offrent des services aux populations cibles. Elles ont interagi de façon décontractée avec les clients des comptoirs et des refuges, tout en observant la dynamique sociale et les pratiques quotidiennes dans ces lieux, et elles ont pris des notes détaillées.

Les entrevues étaient, dans une certaine mesure, limitées par les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, en vertu de laquelle le gouvernement fédéral ne peut recueillir des renseignements personnels concernant un individu identifiable que si ces renseignements sont nécessaires à la prestation des services. Les chercheuses se sont donc assurées, durant le processus d'entrevue, de ne pas recueillir de renseignements pouvant permettre d'identifier des participants et d'orienter nos questions essentiellement sur les expériences des participants relativement à l'administration de l'impôt. Cela a limité la capacité à recueillir certains renseignements contextuels pouvant ajouter de la profondeur à une étude ethnographique.

Le recrutement en vue de l'étude a commencé en décembre 2016, au moment où l'équipe de projet du LSEA a rencontré le groupe de travail sur la recherche et l'évaluation de l'Alliance pour mettre un terme à l'itinérance, laquelle regroupe de multiples organismes de services sociaux qui viennent en aide aux sans-abris à Ottawa. L'objectif était de solliciter l'aide de ces organismes pour repérer des sites de recherche éventuels et pour déterminer la meilleure façon de mener la recherche auprès de ces populations. Par l'intermédiaire de l'Alliance, les chercheuses ont pris contact avec plusieurs organismes qui tiennent des comptoirs du PCBMI et qui souhaitaient participer à l'étude. À la suite de ces contacts initiaux, les chercheuses ont commencé à discuter avec d'autres organismes. Les chercheuses ont finalement pu conclure des ententes avec quatre organismes.

La recherche a été menée auprès de trois organismes tenant des comptoirs du PCBMI et d'un refuge ne tenant pas de comptoir, tous établis dans le centre-ville d'Ottawa ou près de celui-ci. De plus, les chercheuses ont réalisé des entrevues avec des membres du personnel d'un quatrième organisme tenant des comptoirs du PCBMI ainsi qu'avec un bénévole tenant des comptoirs dans plusieurs refuges pour femmes et auprès d'organismes autochtones d'Ottawa.

Les trois endroits où les chercheuses ont observé les comptoirs du PCBMI et discuté avec des utilisateurs, des bénévoles et des membres du personnel sont les suivants :

  1. Un important organisme communautaire multiservices qui offre des services aux familles, aux nouveaux arrivants, aux sans-abris et autres. Le comptoir du PCBMI était situé dans le centre d'accueil des immigrants de l'installation et se tenait une fois par semaine et les clients étaient accueillis sur rendez-vous. Les participants éventuels ont été ciblés à l'avance par les membres du personnel en fonction de leur situation de logement, et les entrevues se sont déroulées dans une petite salle de conférence.
  2. Un centre de ressources et de santé communautaire qui héberge une clinique médicale et offre une variété de services destinés à la collectivité locale. Cet organisme a tenu un comptoir d'une journée; 11 bénévoles ont travaillé simultanément durant la journée. Les entrevues ont été menées dans un petit bureau situé près des salles où les déclarations de revenus étaient préparées, ainsi que dans le coin cuisine des membres du personnel. Des recherches supplémentaires ont été menées à cet endroit auprès de personnes qui n'utilisaient pas le comptoir de préparation de déclarations de revenus, mais qui utilisaient les services de réduction des méfaits offerts par l'organisme.Note de bas de page 21 Cet organisme a aussi tenu un comptoir satellite d'une journée dans un centre alimentaire communautaire affilié. Dans les deux endroits, les membres du personnel de l'organisme ont contribué à l'identification et à la présentation des participants éventuels à la recherche en se fondant sur ce qu'ils savaient d'eux.
  3. Un organisme de refuges qui offre aux hommes et aux femmes des services d'hébergement temporaire, ainsi que des services de logement supervisé à plus long terme et d'autres programmes de soutien destinés aux personnes sans abri, en situation de logement précaire et aux prises avec des problèmes de dépendance et de santé mentale. Une bénévole principale, Liz, a organisé le comptoir de préparation de déclarations de revenus en collaboration avec le personnel de l'organisme et elle a préparé les déclarations de revenus avec l'aide de deux bénévoles supplémentaires.Note de bas de page 22 Les comptoirs se sont tenus deux soirs par semaine, sans rendez-vous, et plusieurs autres comptoirs se sont tenus le jour dans les locaux du refuge et des programmes spécialisés de l'organisme. Les chercheuses ont mené les entrevues dans plusieurs endroits, y compris dans le bureau d'un travailleur en service social individualisé, dans la cuisine du refuge et dans une salle utilisée pour le programme de vêtements. Une fois les déclarations de revenus préparées, les bénévoles des comptoirs présentaient les clients pour les entrevues. Dans le cas de cet organisme, pratiquement tous les clients étaient des candidats appropriés pour l'étude.

De plus, les chercheuses ont mené des recherches dans un refuge qui ne tenait pas de comptoir de préparation de déclarations de revenus afin de discuter avec des personnes faisant partie de nos populations cibles qui n'avaient pas produit de déclarations par l'intermédiaire du programme.

  1. Un refuge important qui offre une variété de programmes destinés aux populations les plus vulnérables de la collectivité, y compris des services de lutte contre les dépendances, des logements de transition, des services de rue et des services de soutien juridique. L'observation et les entrevues ont été réalisées à partir d'une petite table dans la salle commune achalandée située près de l'entrée du refuge, là où les résidents passaient du temps, regardaient la télévision et utilisaient le téléphone.

En plus des organismes visités, les chercheuses ont réalisé des entrevues avec deux membres du personnel d'un organisme d'éducation financière qui tenait un comptoir du PCBMI. Cet organisme reçoit de nombreuses personnes envoyées par des refuges et d'autres organismes venant en aide aux populations vulnérables. Il produit des déclarations de revenus toute l'année, contrairement aux trois autres organismes mentionnés précédemment, lesquels ne tiennent des comptoirs que durant la période de production des déclarations de revenus. Elles ont également réalisé une entrevue avec un bénévole du PCBMI qui collabore avec de nombreux organismes, essentiellement des refuges pour femmes et des organismes autochtones, afin d'offrir à leurs clients des services de préparation de déclarations de revenus.

4.3 Protection des renseignements personnels et consentement

Au début de chaque entrevue, les chercheuses ont expliqué aux participants le but de la recherche et la façon dont leurs renseignements personnels seraient protégés. Elles leur ont ensuite demandé leur consentement afin de pouvoir inclure dans le présent rapport les renseignements fournis lors des entrevues. Les participants se sont vu demander de lire et de signer un formulaire de consentement pour signifier qu'ils avaient compris le but de l'entrevue et qu'ils consentaient à faire partie de l'étude. Les participants ont été informés que leur identité demeurerait confidentielle et qu'aucun renseignement permettant de les identifier ne serait recueilli, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les chercheuses les ont également informés qu'ils avaient la possibilité, jusqu'à la fin de la période de collecte de renseignements, de se retirer de l'étude s'ils le souhaitaient. Dans le présent rapport, des pseudonymes ont été utilisés pour tous les participants afin de protéger leur vie privée, et quelques détails personnels ont été retenus.

5. Résultats de recherche

5.1 Les participants à la recherche et leurs habitudes en matière de production de déclarations de revenus

5.1.1 Données démographiques

Pour l'étude, des entrevues ont été réalisées avec un total de 50 personnes : 4 étaient des bénévoles du PCBMI, 4 étaient des membres du personnel des organismes tenant des comptoirs du PCBMI et les 42 personnes restantes étaient des personnes sans abri ou en situation de logement précaire. Comme l'illustre la figure 1, 20 des participants vivaient dans un refuge au moment de la recherche. Sept personnes étaient logées dans le cadre de programmes spécialisés, soit un programme de gestion des dépendances pour les personnes sans abri ou un programme de logement supervisé pour les femmes. Sept autres personnes vivaient dans des maisons de chambres et six vivaient dans des logements locatifs, que ce soit des logements sociaux subventionnés par la Ville d'Ottawa ou des logements locatifs privés. Tous les participants qui vivaient dans des logements extérieurs au réseau des refuges (comme des maisons de chambres, des logements subventionnés et des logements locatifs privés) au moment des entrevues avaient déjà été sans abri auparavant ou étaient à risque de le devenir puisqu'ils consacraient une part importante de leurs revenus au loyer et étaient vulnérables à la hausse des loyers et des prix des services publics. Deux personnes n'ont pas dévoilé leur situation de logement, mais les chercheuses les ont rencontrés et interrogé à titre de clients de services offerts aux sans-abris, comme un service d'aide en matière de dépendance offert sans rendez-vous aux personnes de la rue. Aucune personne n'entretenant aucun lien avec des refuges ou des organismes de services sociaux n'a fait partie de l'étude, puisque nous avons recruté les participants par l'intermédiaire des refuges et d'autres fournisseurs de services.

Tableau décrit dans le corps du texte

Des 42 participants sans abri et en situation de logement précaire, environ 75 % étaient des hommes et 75 % étaient caucasiens. Huit participants étaient des minorités visibles et trois se sont identifiés comme Autochtones. En raison de la nature intime des entrevues ethnographiques, il était important de s'assurer que les participants seraient à l'aise de discuter avec nous de sujets personnels et possiblement délicats. Les chercheuses n'ont donc pas systématiquement posé de questions sur l'origine ethnique des participants et les chercheuses se sont plutôt fondées sur leurs propres observations, lesquelles pourraient ne pas refléter de façon exacte l'identité des participants. Par exemple, il est possible que d'autres participants à l'étude aient été d'origine autochtone, mais qu'ils ne se soient pas identifiés comme tel.

Les participants, dont la majorité (57 %) était âgée entre 40 et 64 ans, provenaient de divers groupes d’âge, comme suit : 7 dans la vingtaine, 6 dans la trentaine, 9 dans la quarantaine, 10 dans la cinquantaine, 5 dans la soixantaine et 5 de plus de soixante-cinq ans. Les femmes étaient, en moyenne, plus jeunes que les hommes; une seule était âgée de plus de 60 ans.

Tableau décrit dans le corps du texte

Six participants ont indiqué qu'ils avaient des enfants, mais quatre d'entre eux n'en avaient pas la garde au moment de l'étude. D'autres participants ont indiqué qu'ils avaient des enfants adultes qui n'étaient plus à leur charge.

Sur le plan des revenus, aucun des participants n'a déclaré occuper un emploi stable. Deux ont indiqué qu'ils obtenaient des emplois à la journée par l'intermédiaire d'une agence de placement, tandis que d'autres ont mentionné qu'ils mendiaient. Un homme a indiqué qu'il touchait un revenu d'une assurance médicale privée; il ne travaillait pas au moment de l'étude en raison d'un problème de santé. Des participants à l'étude, 15 touchaient de l'aide sociale (12 par l'intermédiaire du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) et 3 par l'intermédiaire du programme Ontario au travail).

Les prestations représentent une source importante de revenus pour bon nombre des participants. Des 30 participants qui ont produit leur déclaration de revenus pour 2016, tous ont reçu le crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) et la prestation trillium de l'Ontario (PTO), 3 participants ont aussi touché des paiements du Régime de pensions du Canada (RPC), de la Sécurité de la vieillesse et du supplément de revenu garanti, et 2 autres participants ont reçu l'Allocation canadienne pour enfants (ACE). Aucun des participants n'a indiqué avoir reçu la prestation fiscale pour le revenu de travail.

5.1.2 Habitudes des participants en matière de production de déclarations de revenus

La plupart des participants produisaient leurs déclarations de revenus et recevaient des prestations, y compris plusieurs participants vivant des situations très difficiles. Quelques participants n'avaient pas produit de déclarations ou ne l'avaient pas fait depuis de nombreuses années; certains ont indiqué qu'ils avaient produit des déclarations pour certaines années, mais pas pour d'autres; enfin, d'autres participants ont mentionné qu'ils recommençaient à produire des déclarations après ne pas l'avoir fait durant une certaine période. Des personnes interrogées, 26 avaient produit leurs déclarations pour l'année d'imposition courante par l'intermédiaire du PCBMI et 4 l'avaient fait au moyen d'autres services. Des participants restants, neuf ont révélé qu'ils n'avaient pas produit de déclarations pour l'année d'imposition courante. Le statut de déclarant des trois derniers participants est inconnu; les entrevues réalisées avec ces personnes ont été brèves et portaient sur d'autres sujets.

Bien que 71 % des participants aient confirmé avoir produit leurs déclarations de revenus pour 2016, ce chiffre ne traduit probablement pas les habitudes générales des personnes sans abri et en situation de logement précaire en matière de production de déclarations de revenus. Certains des participants qui n'avaient pas produit de déclaration pour l'année courante l'avaient faut au cours des années précédentes, tandis que d'autres qui avaient produit une déclaration pour l'année courante ne le faisaient pas nécessairement chaque année. Bon nombre des participants à l'étude ont été recrutés par l'intermédiaire des comptoirs du PCBMI où ils avaient déjà produit leurs déclarations, ce qui signifie que la proportion des participants à l'étude ayant produit leurs déclarations est probablement plus élevée que la moyenne pour ces populations. Toute tentative de quantifier la proportion de personnes sans abri et en situation de logement précaire qui produisent des déclarations de revenus ne s'inscrit pas dans la portée de la présente étude.

Les participants qui produisent leurs déclarations de façon régulière ont mentionné le faire pour diverses raisons. Les participants à l'étude n'ayant qu'un revenu faible, voire nul, bon nombre d'entre eux ont indiqué qu'ils produisent leurs déclarations de revenus parce qu'ils dépendent des prestations comme le crédit pour la TPS/TVH et la PTO. Essentiellement, ces participants disposaient d'un système pour conserver leurs documents et avaient l'habitude de produire leurs déclarations de la même façon, souvent au moyen d'un service de préparation de déclarations de revenus. Certains participants ont expliqué qu'ils produisent leurs déclarations parce qu'ils ont le sentiment que cela fait partie de leurs responsabilités en tant que citoyens canadiens. Lina, une femme dans la mi-soixantaine logée dans le cadre d'un programme d'aide à la vie autonome, a expliqué qu'elle produit ses déclarations pour ces deux raisons :

Je produis mes déclarations de revenus pour obtenir les prestations auxquelles j'ai droit. Je considère aussi que produire ses déclarations de revenus est un devoir de citoyen… Je crois qu'il est important de payer de l'impôt pour pouvoir recevoir des services… En ce qui me concerne, lorsque j'ai eu besoin de services, j'ai pu y avoir accès. Si les citoyens ne payaient pas d'impôt, ou si nous vivions dans un régime sans aucune imposition, chacun serait laissé à lui-même. Il s'agit donc d'un filet de sécurité.

Lina a travaillé durant de nombreuses années plus tôt dans sa vie et durant cette période, elle a développé une forte volonté de contribuer au filet de sécurité sociale en payant ses impôts. Plus tard, elle a eu besoin de ce filet de sécurité et elle a conservé l'habitude de produire ses déclarations de revenus chaque année.

En ce qui concerne les participants qui ont déclaré ne jamais produire de déclarations ou le faire pour certaines années, mais pas pour d'autres, ils ont fourni de nombreuses explications pour justifier leur comportement. Les facteurs contributifs mentionnés comprenaient les suivants : peur ou stress à l'égard de la situation financière et crainte que la production d'une déclaration donne lieu à une dette; évitement d'une dette existante auprès de l'ARC; perception négative du régime fiscal, de l'ARC ou du gouvernement en général; difficultés à respecter les échéances et à conserver les documents financiers; absence des pièces d'identité requises. Deux facteurs principaux sont ressortis des entrevues : d'abord, certains participants n'avaient pas réalisé qu'ils se privaient des prestations en ne produisant pas de déclarations; deuxièmement, pour certains participants, les préoccupations immédiates de la vie quotidienne sont si urgentes que les tâches nécessitant de la planification et de l'organisation, comme produire une déclaration de revenus, ne sont pas prioritaires.

Souvent, les personnes sans abri et en situation de logement précaire ne produisent pas de déclarations de revenus en raison d'une combinaison complexe de ces facteurs, en plus d'un ensemble de circonstances personnelles et d'obstacles institutionnels. Par exemple, Samuel, un homme dans la mi-vingtaine vivant dans un refuge, n'a pour seul revenu que ce qu'il récolte en mendiant et en occupant des emplois à la journée trouvés auprès d'une agence de placement. Il n'a pas produit de déclarations de revenus depuis son adolescence et il n'a aucunement l'intention de le faire. Samuel a expliqué qu'il ne voyait pas l'utilité de produire des déclarations de revenus étant donné la faiblesse de son revenu, et que ce n'était pas une priorité pour lui parce qu'il n'arrivait à penser qu'au moment présent en raison de sa situation difficile. De plus, il a mentionné que son portefeuille contenant toutes ses pièces d'identité et ses documents lui avait été volé au refuge.

Pour les participants qui n'ont pas produit de déclarations depuis de nombreuses années en raison de difficultés personnelles ou pour n'importe laquelle des raisons mentionnées précédemment, recommencer à en produire peut être difficile, mais peut également les aider à reprendre leur vie en main. Par exemple, Susan, une ancienne toxicomane dans la cinquantaine, vit des épisodes d'itinérance par intermittence depuis qu'elle a souffert de graves problèmes de santé mentale il y a 15 ans. Elle n'avait pas produit de déclarations de revenus depuis huit ans et il était difficile pour elle de recommencer à le faire parce qu'elle craignait de devoir de l'argent ou d'avoir des problèmes. Lorsqu'elle a recommencé à produire des déclarations chaque année, elle l'a fait par l'intermédiaire d'un comptoir gratuit de préparation de déclarations de revenus , Note de bas de page 23 et sa démarche était étroitement liée à son engagement à devenir sobre et à prendre ses responsabilités. Elle a dit qu'elle s'était sentie comme un paria durant des années, mais qu'elle voulait dorénavant se sentir comme un membre de la société à part entière, et que le fait de recommencer à produire ses déclarations de revenus faisait partie d'un nouveau départ.

Les chercheuses ont observé qu'il existe de multiples facteurs complexes qui influencent les perceptions et les pratiques en matière de production de déclarations de revenus. De façon à dresser un portrait plus juste des expériences des personnes sans abri et en situation de logement précaire, les sections qui suivent portent sur les expériences vécues par ces populations ainsi que sur les obstacles relativement à la production de déclarations de revenus.

5.2 Expériences des personnes sans abri et en situation de logement précaire

Les participants à l'étude avaient non seulement des habitudes différentes en matière de production de déclarations de revenus et des raisons différentes d'en produire ou non, mais ils avaient également des expériences de vie différentes. Les parcours qui ont conduit chacun des participants à l'étude vers l'itinérance ou une situation de logement précaire ont été marqués par un ensemble complexe d'expériences, y compris des événements traumatisants (comme l'incendie d'une maison, une activité criminelle ou la guerre), des problèmes de santé (comme une dépendance, une maladie chronique ou un handicap) ou une instabilité d'emploi. Prenons par exemple Paul, un homme de 60 ans qui a pris sa retraite l'an dernier après avoir travaillé pour la Ville d'Ottawa durant 30 ans. Il touche maintenant une pension insuffisante pour payer le loyer de l'appartement qu'il occupait depuis des années. Il est récemment déménagé dans une maison de chambres où il envisage de vivre temporairement, le temps de présenter une demande de pension du RPC qui lui permettra de retrouver une certaine stabilité financière. Maria, quant à elle, est une mère dans la mi-vingtaine qui a immigré au Canada en 2015 après avoir vécu dans un camp de réfugiés durant des années avec ses deux enfants. En raison du fardeau financier de l'immigration et des coûts élevés des loyers et des services publics, elle se trouve dans l'obligation de vivre dans un refuge pour les familles en attendant d'avoir accès à un logement subventionné. Enfin, Ian, un homme dans la cinquantaine avancée, a vu sa vie voler en éclats lorsqu'il a développé une dépendance à la suite du décès soudain de son fils 10 ans plus tôt. Grâce au soutien de la collectivité, Ian a retrouvé le chemin de la sobriété et il vit dans une maison de chambres en attendant d'avoir accès à un logement subventionné, ce qu'il qualifie d'essentiel.

Les expériences de vie de Paul, Maria et Ian ne pourraient être plus différentes, mais ces participants sont le reflet de la diversité de plus en plus grande des Canadiens qui se retrouvent sans abri ou sont à risque de le devenir. Du fait de leurs ressources financières limitées, les participants à l'étude interagissent de façon régulière avec un ensemble commun de services et d'organismes communautaires (par exemple, les programmes d'aide sociale, les refuges, les cliniques de santé et les programmes accessibles sans rendez-vous) qui ont une incidence sur leur vie quotidienne et sur leurs efforts pour se reprendre en main. De plus, la capacité des participants à accéder à ces programmes d'aide sociale de même que la qualité des interactions avec les membres du personnel, les bénévoles et les autres clients sont en partie déterminées par leur histoire personnelle et leur état de santé. Cette section traite de chacun de ces aspects afin de permettre une meilleure compréhension des dimensions personnelle, sociale et financière de la vie quotidienne des participants qui influent sur leur capacité à produire des déclarations et à accéder aux prestations.

5.2.1 État de santé et événements de la vie

Non seulement l'état de santé des participants, mais également leur histoire personnelle et les événements qui les ont conduits vers l'itinérance ou une situation de logement précaire ont une incidence sur leur capacité à composer avec le fait de vivre dans un refuge ou dans une maison de chambres, sur la complexité de leurs besoins quotidiens et sur leur capacité à faire appel aux services disponibles. Un peu plus de la moitié des 42 personnes sans-abri ou en situation de logement précaire avec lesquelles les chercheuses ont discuté ont révélé qu'elles avaient souffert de maladies chroniques (tant physiques que mentales), de problèmes de dépendance ou de traumatismes qui ont eu des répercussions diverses sur leur vie.

Un des prestataires du POSPH avec lequel nous avons discuté était Brian, un homme dans la cinquantaine avancée, qui avait récemment terminé un programme de gestion des dépendances administré par un refuge et qui se préparait à faire la transition vers un centre de soins de longue durée. Brian a expliqué qu'il souffrait de troubles de la mémoire invalidants découlant d'une blessure antérieure à la tête et d'un traumatisme émotionnel qu'il avait vécu. Par conséquent, il a de la difficulté à se souvenir de détails comme les noms, les adresses et les renseignements d'identification (comme son numéro d'assurance sociale (NAS) ou sa date de naissance), et même des événements marquants de sa vie. Brian trouve ces troubles de mémoire extrêmement frustrants; il a d'ailleurs senti le besoin de s'excuser d'avoir perdu le fil au cours de notre bref entretien. Concrètement, ces limites cognitives signifient que la difficulté qu'éprouve Brian à se souvenir des renseignements souvent requis pour accéder aux services nuit à sa capacité à naviguer dans le système de soutien social. Heureusement, grâce à un programme de gestion des dépendances, Brian a reçu du soutien à l'égard de ses autres problèmes de santé chroniques, atténuant ainsi certaines des difficultés entraînées par ses troubles de mémoire. L''histoire de Brian est importante parce qu'elle révèle les types de problèmes que les participants peuvent éprouver et qui, souvent, ont des conséquences profondes sur leur façon d'interagir avec les autres, sur leur perception d'eux-mêmes et sur le genre d'activités qu'ils se sentent à l'aise ou capables d'entreprendre. Il est toutefois important de noter que les expériences de Brian et des autres participants relativement à leur handicap ne sont aucunement uniformes et que chacun d'entre eux est touché par des facteurs différents comme l'environnement social et physique, les relations interpersonnelles et l'accessibilité à des soins de santé et à un soutien financier.

De plus, certains considéraient l'accent mis sur la gestion des dépendances dans le réseau des refuges comme une limite au soutien que reçoivent les résidents souffrant d'autres types de maladies chroniques ou de problèmes non liés à la santé. Sarah, une femme dans la trentaine souffrant d'un trouble anxieux, d'un léger trouble d'apprentissage et de douleurs chroniques, estimait que le soutien offert aux personnes comme elle était insuffisant. Elle vivait dans un refuge pour femmes depuis trois mois après avoir tout perdu à la suite de l'incendie de son logement. La perte du logement de Sarah signifiait qu'elle n'était plus admissible à l'allocation de logement du programme Ontario au travail; son versement mensuel avait donc été réduit, nuisant ainsi à sa capacité à économiser pour louer un nouveau logement.Note de bas de page 24 Sarah était profondément frustrée par sa situation. Elle craignait de se retrouver prise au piège dans le réseau des refuges. Pour Sarah, les circonstances comme la perte traumatisante de son logement, la réduction de son revenu et le manque d'intimité pour gérer ses problèmes de santé chroniques ont entraîné un stress qui nuisait à son bien-être. Le sentiment d'être seul pour faire face à ces problèmes sociaux, financiers et de santé complexes peut devenir écrasant et déroutant pour les personnes comme Sarah et pour beaucoup d'autres.

En outre, bien que certains participants n'aient pas parlé ouvertement de leur état de santé, ils ont parlé d'expériences diverses, y compris d'événements imprévus, de perte d'emploi, d'insécurité financière à long terme et de l'échec de relations intimes. Ces expériences stressantes ont des répercussions importantes sur la vie des participants et, pour certains d'entre eux, elles en viennent à mobiliser la majeure partie de leurs pensées au quotidien. Le traumatisme associé à ces types de pertes peut être paralysant. Lina, qui a été victime d'un crime et a tout perdu, a expliqué « …qu'après son arrivée au refuge, elle avait essentiellement passé six mois assise à fixer le mur ». Apprendre à composer avec des changements drastiques dans la vie est une tâche difficile, que la routine quotidienne et l'espace limité dans les refuges et les maisons de chambres peuvent rendre encore plus compliquée.

5.2.2 Espaces communs et conditions de logement

Pour décrire l'expérience de la vie dans un logement précaire, comme un refuge d'urgence ou une maison de chambres, la majorité des participants ont utilisé les termes « anxiété », « insécurité » et « absence d'intimité.» Les restrictions d'espace et l'environnement social commun de ces types de logements signifient que les résidents se retrouvent en contact étroit avec des personnes avec lesquelles ils n'ont rien en commun ou qui éprouvent des problèmes de santé dont ils ne connaissent à peu près rien. Enfin, le stress et l'anxiété qu'entraînent ces situations peuvent nuire au bien-être de ceux qui doivent héberger ces personnes en l'absence de solution de logement abordable et accessible.

Greg, un homme dans la quarantaine avancée, est un des participants auxquels ces types de logements causent des difficultés particulières. Greg a révélé qu'il recevait des prestations du POSPH en raison de sa schizophrénie, maladie qu'il arrive à contrôler grâce à des médicaments et au soutien d'un programme pour les malades externes offert dans la ville. Il a expliqué qu'il vivait dans un refuge pour hommes parce qu'il avait récemment perdu son logement subventionné après avoir été incapable de payer la totalité du loyer durant deux mois consécutifs. L'expérience de la vie dans ce type d'endroit était particulièrement stressante pour Greg parce qu'il estimait qu'il était dangereux pour les autres de vivre avec lui du fait de sa maladie. L'absence d'intimité et la nécessité constante de gérer les interactions avec les autres résidents sont une réalité pressante qui, pour certains participants, éclipse d'autres préoccupations moins immédiates au quotidien, comme produire des déclarations de revenus, remplir des documents et chercher les services offerts.

Outre les relations interpersonnelles, bon nombre de participants ont mentionné que la routine quotidienne dans les refuges d'urgence faisait naître en eux un sentiment d'anxiété et d'abandon. Ils faisaient notamment référence au fait que les clients doivent quitter le dortoir du refuge durant la journée pour se tourner vers les services offerts dans la collectivité (comme une bibliothèque, un centre de ressources en emploi, un programme offert sans rendez-vous ou une cuisine communautaire). Cette structure quotidienne était perçue, plus particulièrement par les participants qui se retrouvaient sans abri pour la toute première fois, comme un obstacle à leur reprise en main. Les participants ont également mentionné le fait de ne pouvoir conserver que le strict minimum et de ne pas être en mesure de personnaliser leur espace au refuge. Non seulement cette pratique renforce leur sentiment de n'avoir aucun contrôle sur leur vie, mais elle a également des répercussions importantes sur leur capacité à produire des déclarations de revenus (comme il sera expliqué à la section 5.3). Le fait de ne pas savoir ce que chaque journée leur apportera, de ne pas savoir où ni comment ils passeront le temps et de ne pas savoir avec qui ils entreront en contact peut être écrasant et nuire aux efforts déployés par certains participants pour obtenir le soutien dont ils ont besoin.Note de bas de page 25

De plus, les 7 participants vivant dans des maisons de chambres ont mentionné que ces bâtiments de propriété privée sont délabrés et posent un risque pour la santé publique en raison des infestations d'insectes et de rongeurs. Contrairement aux refuges, le ménage des aires communes des maisons de chambres (comme la salle de bain, la cuisine et les corridors) est la responsabilité des résidents, ce qui représente une source de tension dans les relations qu'entretiennent les participants avec les autres résidents, lesquels n'ont peut-être pas la capacité d'effectuer l'entretien nécessaire. Dans certains cas, les conditions insalubres de ces types de logements deviennent une source de stress et d'anxiété pour les participants comme Joe, qui a décrit ainsi son expérience :

Je vivais dans une maison de chambres sur la rue Magnolia et c'était incroyable. C'était dégoûtant, plein de bestioles, et toutes les maisons sont comme ça… Vous savez, même si je vis dans la misère, je suis tout de même propre et soigné et tout. Je veux dire, je respecte au moins des normes minimales pour moi-même. Ces endroits sont tout simplement horribles. Je viens tout juste d'utiliser quatre atomiseurs dans ma chambre; j'étais tellement incommodé que je n'arrivais pas à dormir la nuit.

Après avoir travaillé dans le secteur des métiers durant plus de 30 ans, Joe a commencé, il y a cinq ans, à éprouver des problèmes de santé qui lui ont fait perdre son permis de conduire, sa certification et sa capacité à conserver un emploi stable. Il recevait des prestations du POSPH et il a souligné que le seul aspect attrayant de la vie dans une maison de chambres était le prix, qui représentait à peine plus de 40 % de son revenu mensuel. Comme il a été mentionné précédemment, le coût des loyers à Ottawa et la difficulté à obtenir un logement subventionné signifient que les maisons de chambres représentent l'une des seules solutions de logement viables pour les personnes touchant un revenu limité. Elles sont, en quelque sorte, la dernière solution à l'itinérance. Toutefois, la vie dans une maison de chambres est marquée par l'incertitude, en partie en raison de facteurs financiers, hygiéniques et interpersonnels, mais également parce qu'il s'agit d'immeubles de propriété privée qui risquent à tout moment d'être vendus ou détruits. Joe était dans cette situation. Il craignait de se retrouver sans abri avant la fin de 2017 parce que sa maison de chambres avait été mise en vente. Il avait peur de ne pas arriver à trouver un autre logement abordable dans ce secteur de la ville puisque la construction d'immeubles en copropriété excédait les investissements dans des logements abordables. Il semblait accepter cette éventualité avec résignation, déclarant : « Je vais me débarrasser de tous mes meubles et recommencer à neuf. Je vais aller au refuge et faire la queue ».

5.2.3 Restrictions des mesures de soutien social

Il est à noter que plus de 80 % des participants ont déclaré qu'il est difficile d'accéder à un logement subventionné à Ottawa et que la majorité des participants ont affirmé qu'ils étaient sur une liste d'attente depuis deux à cinq ans. Même Maria, la jeune mère de famille mentionnée précédemment, a révélé que bien que la priorité soit accordée aux familles, d'autres clients lui ont dit qu'il se pourrait qu'elle doive attendre jusqu'à un an avant de pouvoir quitter le refuge pour les familles. L'attente est longue et les personnes doivent vivre dans des logements précaires pendant ce temps. C'est pourquoi l'accès à un logement stable et sécuritaire demeure au centre des préoccupations des participants. En plus d'offrir intimité et sécurité, l'accès aux logements subventionnés est également considéré comme un élément clé pour parvenir à la stabilité financière et être en mesure de subvenir adéquatement à ses besoins et aux besoins des membres de sa famille.

Les participants étaient pleinement conscients que la frontière entre le risque de devenir sans-abri et une vie d'itinérance est mince, et ils devaient souvent tirer avantage de la diversité des services mis à leur disposition pour les aider à maintenir leur qualité de vie. Prenons les exemples de Joe, Paul et Ian qui utilisaient les services offerts par les banques alimentaires locales, les soupes populaires, les programmes d'aide sans rendez-vous et les églises pour subvenir tous les mois à leurs besoins en nourriture, en vêtements et en articles de toilette. En plus du soutien matériel dont ils bénéficiaient, ces participants étaient particulièrement reconnaissants du soutien interpersonnel et du sentiment d'appartenance collective que les bénévoles et les employés de ces organismes offrent à leurs clients. Cependant, la majorité des participants, dont Joe, Paul et Ian, ont exprimé leur inquiétude quant au fait que bien qu'il existe de nombreuses ressources pour aider les personnes vulnérables, il est parfois difficile de trouver de l'information à leur sujet. Pour de multiples raisons, notamment des problèmes de santé, le stress de la vie quotidienne et un manque de connaissances (comme des connaissances en informatique), il se peut que la capacité des participants à demander de l'aide et leur connaissance des personnes-ressources à qui s'adresser soient limitées. En outre, les personnes souffrant de troubles cognitifs ou de complications en raison d'une dépendance ont besoin du même type d'aide personnelle dont bénéficient les participants comme Brian, qui recevait l'aide de travailleurs sociaux, d'agents de traitement de cas et de professionnels de la santé. Ces spécialistes contrôlent l'accès aux ressources indispensables. Cependant, les personnes qui vivent dans des maisons de chambres privées ou les personnes sans abri sont peu susceptibles d'avoir immédiatement accès à ces personnes clés et risquent donc de ne pas accéder à la gamme complète de services dont elles pourraient bénéficier.

Cette description des expériences de vie des participants vise à illustrer les différentes préoccupations contradictoires que peuvent avoir les personnes sans abri ou en situation de logement précaire. Ces préoccupations comprennent les problèmes de santé (comme une maladie chronique, une dépendance, le rétablissement après une expérience traumatisante), les difficultés à gérer les relations avec les autres résidents, et les difficultés financières. Ces préoccupations quotidiennes peuvent restreindre les activités des participants et leur niveau d'autonomie. Comme il a été mentionné, certains des participants interrogés sont en mesure de s'adapter à l'incertitude de ces expériences, relations ou situations de logement tout en menant à bien des tâches abstraites comme produire leur déclaration de revenus. Toutefois, pour d'autres participants, il est difficile de penser à autre chose qu'à leurs besoins quotidiens immédiats dans le milieu en constante évolution dans lequel ils vivent, lequel peut parfois être chaotique. Cet élément est important étant donné que le contexte influe sur la volonté et la capacité des participants à interagir avec les représentants de l'administration de l'impôt afin de produire leur déclaration de revenus.

5.3 Obstacles à l'accès aux prestations

Selon le rapport américain intitulé Strategies for Improving Homeless People's Access to Mainstream Benefits and Services (2010), « les obstacles structurels sont des obstacles qui empêchent une personne admissible d'obtenir les prestations auxquelles elle a droit, notamment l'endroit où sont offerts les programmes, la façon dont les programmes sont organisés ou ce qui est exigé de la part des demandeurs. Les personnes et les familles sans abri se heurtent à des obstacles structurels uniques parce que, du fait des circonstances, elles n'ont pas accès aux moyens de communication et de transport, elles n'ont pas d'adresse fixe et elles n'ont pas les documents qui sont exigés par la plupart des programmes principaux. »Note de bas de page 26 Dans le contexte de l'accès aux prestations, les obstacles sont un aspect de l'administration et de la mise en œuvre du régime fiscal qui nuisent à la capacité d'une personne de produire facilement ses déclarations, d'accéder à ses renseignements fiscaux et de recevoir des prestations. La présente section cible quatre obstacles particuliers qui réduisent l'accessibilité des prestations pour les personnes sans abri et en situation de logement précaire : la vérification de l'identité dans le cadre des services téléphoniques de l'ARC; l'obtention et la conservation de documents; les obstacles à la communication; le manque de connaissances en informatique et l'accès limité à la technologie.

5.3.1 Vérification de l'identité auprès de l'ARC

Lorsqu'une personne doit accéder à ses renseignements auprès de l'ARC ou poser une question liée à l'impôt et qu'elle ne peut pas ou ne veut pas le faire en ligne, la seule possibilité est de communiquer avec le centre d'appels de l'ARC. Toutefois, la nécessité de confirmer son identité en répondant aux questions de sécurité posées par les agents des centres d'appels peut représenter un obstacle important pour les personnes qui sont sans abri ou en situation de logement précaire. Avant de pouvoir discuter de questions personnelles, les agents des centres d'appels doivent demander aux personnes qui appellent de confirmer leur identité en fournissant des détails personnels, détails que les agents doivent ensuite vérifier dans les dossiers de l'ARC.

Toutefois, dans de nombreux cas, les situations complexes des personnes qui appellent les empêchent de répondre facilement à ces questions d'identification. Comme il a été mentionné à la section 5.2, certaines personnes peuvent avoir de la difficulté à se souvenir de certains renseignements en raison de problèmes de santé, d'une blessure ou d'une dépendance. Une bénévole du PCBMI a souligné qu'elle ne savait pas de quelle façon certains clients auraient pu arriver à produire leurs déclarations ou à résoudre leurs problèmes liés à l'impôt sans aide puisque bon nombre d'entre eux souffraient d'un handicap ayant des répercussions sur leur mémoire, leurs capacités cognitives ou leur élocution. Pour ces personnes, l'aide d'un intermédiaire est essentielle.

Les personnes sans abri ou en situation de logement précaire peuvent également changer d'adresse plusieurs fois entre chacun de leurs contacts avec l'ARC – elles peuvent passer d'un refuge ou d'un programme de traitement des dépendances à un autre, ou déménager chez différents amis– et elles peuvent avoir de la difficulté à se rappeler la dernière adresse figurant dans les dossiers de l'ARC au moment de la vérification de leur identité. L'ARC peut également demander aux appelants de fournir des détails concernant leur dernière déclaration de revenus, comme le montant exact de leur dernier remboursement d'impôt. Il peut être difficile pour ces personnes de conserver les documents qui contiennent ces renseignements, plus particulièrement pour celles qui vivent dans la rue ou dans les refuges et qui n'ont pas accès aux services bancaires en ligne ni les documents reliés aux impôts.

Sarah a expliqué qu'en raison de sa dyslexie, elle n'avait pas réussi à répondre aux questions de vérification de sécurité qui lui avaient été posées. Elle n'arrivait pas à se rappeler le montant exact du dernier chèque qu'elle avait reçu de l'ARC près de 10 ans auparavant. Elle ne se souvenait pas non plus du code postal de l'adresse qui figurait dans son dossier. Liz, une autre bénévole du PCBMI, s'est rappelé une situation semblable concernant un homme qui faisait partie d'un programme de traitement des dépendances et qui souffrait d'anxiété. Il avait produit sa déclaration un mois plus tôt, par l'intermédiaire d'un autre service, mais il n'avait pas encore reçu le remboursement ou le paiement de prestations qu'il attendait. La bénévole l'a aidé à appeler l'ARC pour savoir ce qu'il en était, mais l'homme n'a pas réussi la vérification de sécurité parce qu'il avait eu beaucoup d'adresses différentes au fil des années et il n'arrivait pas à déterminer laquelle figurait dans son dossier. Il a ensuite essayé de mettre à jour son adresse par téléphone, mais l'agent l'a informé qu'il lui fallait présenter sa demande par télécopieur. Cette façon de faire constituait un obstacle supplémentaire pour ce client puisque le télécopieur est une technologie désuète qui n'est pas facilement accessible aux personnes dans des circonstances ordinaires et l'est encore moins aux personnes vivant dans un refuge.

Les difficultés lors de la confirmation de l'identité au téléphone ont été soulevées au cours de huit desentrevues avec des clients et des bénévoles du PCBMI. Un autre bénévole de longue date a confirmé que cette étape avait représenté un obstacle suffisamment important pour amener certains clients à abandonner le processus :

…si les personnes ne peuvent pas répondre à chaque question concernant les adresses où elles ont vécu, y compris aux questions concernant les codes postaux, le processus devient très difficile. J'ai vécu quelques situations du genre cette année. Certaines personnes avaient suivi de nombreux programmes de traitement différents, dans de nombreux centres de traitement différents, et elles avaient changé d'adresse tellement souvent qu'elles n'arrivaient pas à se rappeler l'endroit où elles vivaient la dernière fois qu'elles avaient été en contact avec l'ARC. Lorsqu'elles se sont fait dire qu'il leur faudrait écrire une lettre et l'envoyer, elles ont décidé de ne pas produire leurs déclarations. Dans cette situation, les clients vont tout simplement abandonner, frustrés par le processus.

5.3.2 Obtention et conservation des documents

Un autre obstacle est la difficulté à obtenir et à conserver les documents requis pour la production d'une déclaration de revenus et la vérification de l'identité, tout en vivant dans un logement temporaire ou un refuge d'urgence. Dans une situation où l'adresse d'une personne n'est pas stable ou change fréquemment, cette personne peut éprouver de la difficulté à obtenir son avis de cotisation, ses feuillets d'emploi et d'aide sociale, et d'autres documents requis pour la production de déclarations de revenus. Bon nombre de participants ont expliqué qu'ils recevaient leur courrier par l'intermédiaire d'un service offert par le refuge, d'autres ont indiqué qu'ils passaient fréquemment d'un refuge à l'autre et certains ne savaient même pas quelle adresse figurait dans leur dossier auprès de l'ARC. Mettre une adresse à jour par téléphone peut également être difficile, comme il a été expliqué dans la section précédente.

Dans les refuges, la pratique veut que les clients quittent le dortoir durant la journée et qu'ils ne laissent aucun bien dans le dortoir. Cependant, certains refuges disposent de casiers où les biens peuvent être laissés. L'espace pour les biens personnels étant très limité, ceux-ci doivent être classés par ordre de priorité, et l'impossibilité de conserver des biens dans une chambre nuit à la capacité d'établir un système d'organisation pour les documents importants. June, une femme dans la mi-soixantaine logée dans le cadre d'un programme de logement supervisé, a mentionné ce qui suit :

Je crois que les gens ne conservent pas leurs documents notamment parce qu'ils vivent dans un environnement très instable. Si vous vivez dans un dortoir avec 30 autres personnes, il est impossible de conserver quoi que ce soit. Vous n'avez pas d'espace et vous devez constamment interagir avec d'autres personnes, d'autres personnes qui ne sont pas toujours... des personnes qui ont de nombreux problèmes. Il y a aussi de la violence dans les refuges. Vous devez surveiller vos arrières. Vous n'êtes donc pas… Vous savez, conserver vos reçus n'est pas votre principale priorité.

Les refuges ne sont pas des endroits propices à la conservation des documents financiers. De nombreux participants ont déclaré avoir perdu des documents et certains ont déclaré s'être fait voler leurs objets précieux. Pour ceux qui ont eu de nombreuses résidences temporaires ou qui ont dû fuir des environnements négatifs, il n'a peut-être pas été facile, ou même possible, de prendre leurs documents importants avec eux. Bon nombre de ces problèmes pourraient en principe être résolus par l'utilisation du portail Mon dossier de l'ARC, mais comme il sera expliqué dans la section suivante, les services en ligne peuvent ne pas être accessibles à tous.

5.3.3 Modes de communication

Les modes de communication de l'ARC (en ligne, au téléphone ou par la poste) peuvent représenter un obstacle pour certaines personnes sans abri et en situation de logement précaire, qui peuvent avoir de la difficulté à comprendre le style de communication de l'Agence, ou encore à écrire ou à parler de manière acceptable à l'ARC.

De plus, l'utilisation d'un langage technique ne constitue pas le seul obstacle. Les pratiques de communication de l'ARC fonctionnent selon des normes sociales qui peuvent être inhabituelles ou aliénantes pour certaines personnes, comme les sans-abris et les personnes sans antécédents de logement qui peuvent être socialisés dans des styles de communication incompatibles avec ceux de l'ARC. Même si l'ARC s'efforce d'utiliser un langage simple, ses communications sont rédigées dans un milieu où le professionnalisme, la précision et la politesse sont prioritaires. Pour certains participants, la simple idée de devoir interpréter les propos d'un agent de l'ARC et de communiquer avec un agent peut être intimidante en raison de leur milieu socio-économique, de leur état de santé mentale, d'un handicap, d'une dépendance ou d'autres facteurs.

Par exemple, les chercheuses ont rencontré Jacob, un jeune homme dans la vingtaine faisant partie d'un programme de réduction des méfaits qui rendait visite à des amis et à des membres du personnel en compagnie de son jeune enfant. Ancien sans-abri et toxicomane, Jacob a expliqué qu'il a craint d'avoir des problèmes avec l'ARC lorsqu'il a obtenu la garde complète de son enfant. Il a mentionné que sa dernière déclaration de revenus remontait à il y a trois ans et qu'il avait alors reçu un avis de cotisation indiquant qu'il devait des centaines de dollars. Selon lui, cela était impossible et il n'aurait pas pu payer cette dette. Il craignait que cette dette soit déduite de son ACE lorsqu'il est devenu admissible à cette prestation. Or, il ignorait que, contrairement à d'autres prestations, l'ACE est protégée et ne peut pas être appliquée au remboursement d'une dette en souffrance. Pendant la conversation, son ton était agressif et provocateur. Il se montrait indifférent d'une part en expliquant qu'il ne se souciait pas vraiment d'appeler ou de remplir un formulaire pour régler le problème, mais, d'autre part, il exprimait sa colère contre le régime fiscal et le gouvernement en général. Lorsque nous lui avons demandé s'il avait communiqué avec l'ARC au sujet de son avis de cotisation, il a répondu qu'il ne l'avait pas fait et qu'il n'y tenait pas. Il a cependant affirmé que si l'ARC ne lui versait pas son ACE, il l'appellerait pour lui dire de « lui donner son maudit argent », comme si cette démonstration de sa force de caractère forcerait l'ARC à se plier à sa demande. Il a ensuite ajouté que le Canada n'investit pas assez d'argent pour aider les personnes pauvres, un problème qui, selon lui, est attribuable à la politique d'immigration du gouvernement. La conversation était tendue. Jacob est devenu inflexible et parlait fort pour faire valoir ses arguments, et les chercheuses pouvaient voir que les employés se trouvant à proximité étaient mal à l'aise. Si Jacob venait à essayer de communiquer avec l'Agence pour résoudre ses problèmes, son attitude de confrontation pourrait poser problème dans ses interactions avec les agents de l'ARC et pourrait l'empêcher d'avoir accès aux renseignements dont il a besoin et de résoudre son problème.

Par ailleurs, bon nombre des participants souffrent d'un handicap ou de problèmes de santé mentale qui peuvent façonner leur façon de penser et de parler, ainsi que leur compréhension et leur réaction aux propos tenus, ce qui complique également les échanges. Ces problèmes peuvent comprendre un trouble de la mémoire à court ou à long terme, des difficultés d'apprentissage et de nombreux autres problèmes médicaux comme un trouble de la parole ou un trouble cognitif. La seule perspective de devoir communiquer avec un agent de l'ARC par téléphone peut être assez intimidante pour dissuader les gens de le faire comme l'explique Liz, une bénévole de longue date du PCBMI :

… Je crois que la situation était un peu plus facile lorsque des services sans rendez-vous étaient offerts. Certaines personnes se sentaient plus à l'aise de se rendre à un comptoir, de montrer leur pièce d'identité et d'obtenir une copie papier de leurs documents... Je crois que cela se produit principalement avec les groupes de sans-abri, plus particulièrement avec les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou d'autres troubles. Elles ne comprennent pas le principe de prendre le téléphone et de répondre à toutes ces questions au sujet de leur identité. Elles se demandent pourquoi elles ne peuvent tout simplement pas présenter leur pièce d'identité à quelqu'un. Voilà ce qui pose problème pour ces personnes. Parfois, certaines personnes ont seulement envie de laisser tomber. Certains jours, elles n'arrivent pas à gérer la pression ou le stress de faire un appel. Même si l'on fait l'appel téléphonique à leur place et qu'on les aide, en composant le numéro et en expliquant à la personne au bout du fil qu'on est avec une personne qui veut obtenir des copies de ses relevés et que vous allez passer l'appareil à cette personne pour qu'elle réponde aux autres questions, cette expérience demeure difficile pour elles.

Pour les personnes souffrant d'un handicap ou de problèmes de santé mentale qui influent sur leur façon de communiquer et de comprendre, et qui vivent peut-être dans la pauvreté depuis leur enfance, la simple idée de communiquer avec l'ARC est intimidante, qu'il s'agisse pour elles de parler au téléphone avec un agent, de rédiger une lettre, de trouver un télécopieur, de remplir un formulaire ou d'interpréter le contenu d'une page Web.

Les agents des centres d'appels agissent comme porte-parole de l'ARC dans les interactions de l'Agence avec les citoyens. En règle générale, la seule interaction personnelle qu'a une personne avec l'ARC se fait par l'intermédiaire de ces agents. La façon dont les agents communiquent au téléphone influencera la perception qu'ont les personnes au sujet de l'ARC dans son ensemble, c'est-à-dire de sa compétence ainsi que de son attitude et de sa sensibilité. Lorsqu'une personne communique avec l'ARC au sujet d'un problème complexe lié à ses finances personnelles, ce problème peut aussi être difficile sur le plan émotif. Pour résoudre un problème lié à leur situation financière, les personnes vivant dans un refuge pourraient être obligées de divulguer les raisons qui les ont menées à l'itinérance, comme leur séparation d'un conjoint violent; d'autres personnes pourraient devoir révéler qu'elles ont perdu la garde de leur enfant, qu'un membre de leur famille est décédé, ou qu'elles sont devenues invalides. Les agents de l'ARC ne sont pas toujours outillés pour gérer des situations aussi délicates.

5.3.4 Manque de connaissances en informatique et accès limité à la technologie

À l'instar de nombreux autres organismes fédéraux, l'ARC a élargi ses services en ligne au cours des dernières années et encourage les utilisateurs à utiliser ces services. Ces derniers comprennent des services de production de déclarations de revenus en ligne, une plateforme en ligne pour gérer la situation fiscale des contribuables et recevoir la correspondance de l'ARC, ainsi que des modes de communication et de prestation de services en ligne. Même si ces changements ont grandement contribué à simplifier les interactions entre les Canadiens et l'ARC, ils représentent de nouveaux obstacles à l'accès aux renseignements et aux prestations pour certaines personnes. Voici ce qu'avait à dire un bénévole du PCBMI, qui est également un employé d'un organisme communautaire multiservice :

Bon nombre de ces personnes n'ont pas accès à un ordinateur... Elles n'ont nulle part où aller pour obtenir leurs relevés. Elles peuvent effectivement les obtenir en ligne, mais si elles n'ont pas accès à un ordinateur, qu'elles vivent dans la rue... Beaucoup d'entre elles ne savent pas se servir d'un ordinateur. Elles ne se rendront donc pas dans un centre pour les faire imprimer... Même si nous essayons de les aider, nous devons tout de même préserver leur intimité. Il s'agit de leur compte et de leur mot de passe et nous ne pouvons pas avoir accès à tout. Nous les aidons pendant le processus d'inscription... puis nous devons leur expliquer comment conserver leur mot de passe pour l'avoir sous la main la prochaine fois qu'elles en auront besoin. Nous essayons aussi de leur donner des conseils pour créer des mots de passe facile à retenir.

En général, les participants interrogés n'ont pas déclaré qu'ils souffraient de problème d'alphabétisation, mais pour certains, le manque de connaissances en informatique constituait un obstacle important. Par contre, il est important de reconnaître que les expériences des participants ne sont pas uniformes. Alors que certaines personnes ont de la difficulté à utiliser les services en ligne, d'autres les utilisent avec facilité. Dans le même ordre d'idées, les participants n'ont pas tous de la difficulté à communiquer avec l'ARC. En effet, certains arrivent très bien à gérer les processus bureaucratiques, car ils reçoivent de l'aide d'un programme d'aide sociale ou d'autres programmes qui nécessitent notamment qu'ils présentent de longues demandes, qu'ils s'inscrivent sur des listes d'attente, qu'ils interprètent des critères d'admissibilités et qu'ils soumettent des documents personnels.

5.4 Comptoirs du PCBMI

Les comptoirs du PCBMI jouent un rôle important en servant d'intermédiaire entre les déclarants et l'ARC et, dans certains cas, en contribuant à atténuer quelques-uns des obstacles à la production de déclarations de revenus mentionnés dans la section précédente. Bien que le PCBMI fournisse des critères concernant l'admissibilité des clients, des exigences relatives à la production de déclarations de revenus et des options pour structurer les comptoirs, les coordonnateurs des comptoirs au sein des organismes communautaires participants disposent d'une certaine marge de manœuvre pour répondre aux besoins de leurs clients. De plus, les chercheuses ont constaté que le bon déroulement de la production des déclarations de revenus ne dépend pas seulement du fait que les clients aient les bons documents et que les bénévoles connaissent le logiciel d'impôt, mais aussi de la capacité des bénévoles à apaiser les appréhensions et les préoccupations des clients par rapport à la production de déclarations de revenus. Le coordonnateur d'un comptoir a expliqué comme suit la dynamique entre les bénévoles et les clients :

La moitié de mon travail consiste à garder les gens calmes, et les rassurer, etc. C'est un aspect important. On ne réalise pas à quel point cela peut être stressant jusqu'à ce que l'on soit assis devant un client.

Les considérations clés énoncées dans les sections suivantes permettent de mieux comprendre le fonctionnement des comptoirs du PCBMI au sein des organismes ainsi que les expériences de nos participants concernant la production de déclarations de revenus dans ces comptoirs.

5.4.1 Structure des comptoirs du PCBMI

Les comptoirs du PCBMI où l'étude a été menée étaient tenus par des organismes de services sociaux comme des centres de santé communautaires, des centres de ressources communautaires et des refuges offrant différentes solutions de logement d'urgence ou de transition. Conformément aux lignes directrices du PCBMI, ces organismes ont été en mesure d'organiser des comptoirs de préparation de déclarations de revenus offrant des services avec ou sans rendez-vous ou des services de dépôt de documents, ou une combinaison de ces services selon leurs ressources. Les chercheuses ont remarqué que la structure des comptoirs de préparation de déclarations de revenus et l'ambiance qui y régnait reflétaient souvent l'approche généralement adoptée par les organismes à l'égard de la prestation de services. Elles ont constaté que l'espace alloué aux comptoirs, le nombre de bénévoles et le type de comptoir avaient tous des répercussions importantes sur les personnes qui sont en mesure d'accéder à ces services et les personnes qui se sentent à l'aise dans ces espaces, ainsi que sur la qualité des interactions entre les clients et les bénévoles.

Prenons l'exemple d'un comptoir sur rendez-vous tenu par 11 bénévoles pendant une journée seulement en avril. À leur arrivée, les clients donnaient leur nom à un employé avant de s'assoir dans une aire d'attente en attendant qu'un bénévole se libère. Les clients avaient été dirigés vers ce service par leur dispensateur de soins primaires et avaient préalablement été évalués pour déterminer leur admissibilité pendant le processus de prise de rendez-vous. De plus, ils avaient reçu un rappel téléphonique pour confirmer l'heure de leur rendez-vous et leur rappeler les documents et les pièces d'identité qu'ils devaient apporter lors de leur rendez-vous (comme une pièce d'identité avec photo et leur numéro d'assurance sociale). Comme le comptoir d'information fiscale se tenait dans un centre de santé communautaire, sa structure et l'ambiance qui y régnait ressemblaient beaucoup au modèle de services médicaux, et l'accent était mis sur la prestation d'un service à caractère quelque peu formel de façon efficace, amicale et professionnelle. La relation entre les bénévoles, l'organisme et les clients du comptoir se limitait à la tâche à accomplir. Bien que la majorité des bénévoles participent au programme tous les ans, ils sont moins susceptibles de s'associer à d'autres programmes et services de l'organisme. Elles ont constaté que ce type de comptoir fonctionne bien avec les personnes qui sont capables de respecter un horaire et d'obtenir et de conserver les documents fiscaux requis (comme un feuillet T4, un feuillet T5007 et des reçus de loyer) et une pièce d'identité avec photo.

Les chercheuses ont également visité un comptoir qui se tenait une fois par semaine de mars à avril dans un centre de ressources communautaire d'un organisme offrant des services de conseils en éducation et en emploi, des programmes pour les familles et les jeunes, ainsi que des services d'hébergement d'urgence ou de transition sur place. Même si les clients de ce comptoir étaient eux aussi soumis à un processus d'évaluation préalable pour déterminer leur admissibilité et que le comptoir fonctionnait sur rendez-vous, l'ambiance y était plus familière et plus confortable. Cette ambiance était en partie attribuable au fait que le comptoir se tenait dans le centre de ressources de l'organisme, qui est bien connu par les résidents de l'immeuble et par les membres de la communauté qui se rendent au centre pour utiliser les ordinateurs publics et obtenir de l'aide relativement aux programmes liés à l'emploi, à l'éducation et à la formation. Qui plus est, les comptoirs hebdomadaires étaient gérés par les employés réguliers du centre de ressources. Ces personnes avaient des liens avec les clients étant donné qu'ils évaluaient leurs besoins et les dirigeaient vers les ressources municipales, provinciales et fédérales pertinentes. Ce comptoir comptait seulement trois bénévoles, dont un employé d'un autre secteur de l'organisme. Ce bénévole a mentionné que le rôle des bénévoles ne consistait pas seulement à produire des déclarations de revenus, mais aussi à informer les clients des objectifs de l'impôt et de la façon de produire leurs déclarations. Comme l'a expliqué l'administrateur de ce comptoir, cette orientation s'inscrit dans le mandat général de l'organisme :

Je crois que cela s'harmonise bien avec le mandat général de l'organisme et de la communauté. Nous sommes là pour servir la communauté et offrir des services diversifiés et ces éléments sont liés, n'est-ce pas? Si les personnes produisent des déclarations de revenus, vous savez qu'elles possèdent tous les documents requis pour obtenir d'autres services, comme de l'aide du programme Ontario au travail. Elles peuvent prouver leur revenu, ce qui est une bonne chose. En fait, elles n'ont pas conscience que ce document est très utile, car il s'agit d'une preuve de revenu dont elles auront besoin pour demander de nombreux autres services.

La production de déclarations de revenus est une étape préalable à l'obtention des nombreux autres services sociaux offerts aux Canadiens à faible revenu. Par contre, ce lien n'est pas toujours immédiatement évident pour certains participants.

Les deux comptoirs sur rendez-vous comportaient toutefois des similitudes. En effet, leurs bénévoles pouvaient seulement produire les déclarations de revenus de 2016. Par conséquent, les clients devant produire des déclarations de revenus pour plusieurs années ont été dirigés vers d'autres organismes d'Ottawa qui étaient en mesure de gérer ces cas plus complexes. De plus, compte tenu des contraintes de temps associées à un comptoir sur rendez-vous, les clients qui n'avaient pas les documents requis ne pouvaient pas produire leur déclaration et devaient souvent communiquer avec l'ARC pour obtenir leurs renseignements, ce qui pouvait être ardu pour certains clients de ces groupes de personnes (comme il est indiqué à la section 5.3). Enfin, une grande partie des clients de ces comptoirs étaient des clients réguliers d'autres services offerts par l'organisme qui avaient été contactés personnellement pour prendre rendez-vous ou qui avaient été dirigés vers le comptoir par un employé.

En revanche, les comptoirs organisés au refuge d'urgence étaient des comptoirs sans rendez-vous qui se tenaient deux soirs par semaine en mars et en avril. Les clients de ces comptoirs de soirée constituaient un groupe diversifié de personnes qui comprenait des personnes vivant dans le refuge ou dans un autre refuge, des personnes vivant dans une maison de chambres, un logement subventionné ou un logement locatif privé et même des étudiants et des aînés vivant à proximité. De plus, le refuge tenait aussi trois comptoirs pour certains programmes de l'organisme (pour les femmes, pour les hommes et pour les clients d'un programme de gestion de la dépendance) et offrait un service de dépôt de documents deux fois par semaine. Un bénévole de longue date du PCBMI coordonnait et administrait tous les comptoirs en personne avec l'aide de deux autres bénévoles associés au refuge. Étant donné que la plupart des refuges fonctionnaient au maximum de leur capacité, il a été difficile de trouver un espace pour le comptoir et toutes les personnes concernées ont dû faire preuve de souplesse. Les comptoirs hebdomadaires ont donc été tenus dans le sous-sol du refuge, dans le local servant au stockage des aliments, pendant les repas du soir. Les clients devaient informer le personnel de cuisine qu'ils souhaitaient se prévaloir du service de préparation de déclarations de revenus avant d'être escortés au sous-sol où travaillaient les bénévoles. La production de déclarations de revenus dans un local contenant des produits alimentaires déshydratés et d'autres aliments non périssables a contribué, avec raison, à créer l'atmosphère informelle de ces comptoirs. Les autres comptoirs ont quant à eux été tenus dans des locaux disponibles que connaissaient bien les clients dans les différents refuges, comme une bibliothèque, une salle de jeu et une salle polyvalente. De plus, la prestation de services fiscaux dans ces refuges a permis aux clients qui ne connaissaient pas le programme ou qui n'avaient pas cherché un comptoir de produire leurs déclarations de revenus.

De plus, la décision de tenir des comptoirs sans rendez-vous repose sur l'expérience de travail du personnel et des bénévoles avec cette clientèle, qui a de la difficulté à respecter un horaire. Concrètement, cette structure permet aux bénévoles de passer plus de temps avec chaque client afin de produire correctement leurs déclarations de revenus en communiquant avec leur agent de traitement de cas pour valider l'identité du client et compléter les renseignements manquants ou en appelant l'ARC pour accéder directement aux renseignements des feuillets d'impôt. Les chercheuses ont également constaté que deux des bénévoles de longue date affiliés à des refuges avaient conservé leur accès au logiciel de production de déclarations de revenus pendant plusieurs années et offraient aux clients de produire immédiatement leurs déclarations de revenus des années antérieures ou de le faire plus tard après que les clients auraient déposé les documents nécessaires. Bien que la production des déclarations de revenus des années antérieures ne fasse pas nécessairement partie du mandat de ces comptoirs, ces bénévoles estimaient que cette tâche était essentielle afin de s'assurer que les clients les plus vulnérables ont accès aux prestations indispensables auxquelles ils ont droit.

5.4.2 Capacité des bénévoles du PCBMI

La capacité des organismes de services sociaux participants à offrir un service de comptoir d'information fiscale utile à leurs clients dépend en grande partie des bénévoles qui consacrent leur temps et mettent à profit leurs différentes compétences pour faciliter le processus de production des déclarations de revenus. Le point commun à tous les bénévoles interrogés était leur facilité à utiliser le logiciel de préparation de déclarations de revenus fourni par le PCBMI et leur désir d'utiliser cette compétence pour aider les autres. Les bénévoles d'organismes tels que les centres de santé communautaires et les centres de ressources étaient souvent des personnes qui souhaitaient particulièrement aider les autres à produire leurs déclarations de revenus et qui, pendant l'année, ne faisaient pas de bénévolat de façon régulière auprès de ces organismes. La production de déclarations de revenus à ce type de comptoir est un processus relativement simple qui nécessite que les bénévoles suivent la formation offerte par le PCBMI et possèdent des compétences dans l'utilisation du logiciel ainsi que des habiletés interpersonnelles générales, et que les organismes communautaires participants offrent du soutien administratif.

Les chercheuses ont constaté que les bénévoles des comptoirs tenus dans des refuges avaient des affinités personnelles avec les personnes sans abri ou éprouvaient de l'empathie à leur égard. Souvent, ces bénévoles faisaient du bénévolat de façon régulière auprès des refuges et avaient suivi la formation requise, et parfois rigoureuse, pour interagir avec délicatesse avec les personnes vivant dans la marginalité. Outre leur expertise technique, la capacité de ces bénévoles à aider certains des clients les plus vulnérables provenait de leur capacité à reconnaître et à valider les expériences de vie de leurs clients. Liz, une bénévole de longue date du PCBMI, a parlé de la façon suivante de son travail dans des refuges :

Il faut se montrer prudent lorsqu'on interagit avec certains clients, car certaines choses peuvent les provoquer. J'imagine qu'on tisse des liens avec ces gens ou qu'on apprend comment interagir avec eux lorsqu'on côtoie ce type de personnes assez longtemps... Plus je faisais du bénévolat pour le refuge et plus je passais du temps avec les sans-abris et autres clients, et plus je constatais que ce sont des personnes comme les autres. Tout ce qu'ils veulent, c'est d'être traités comme les autres. Ils veulent que vous leur parliez. Ils ne veulent pas que vous les ignoriez et que vous vous contentiez de saisir leurs données pour ensuite vous en aller, ce qui, je crois, peut se produire dans certains endroits où on les traite avec froideur.

Comme peuvent en témoigner ces bénévoles, la production de déclarations de revenus ne se résume pas nécessairement à saisir des données dans un logiciel. Les questions que posent les bénévoles aux clients au sujet de leur dernière adresse ou de leur état civil actuel peuvent éveiller chez eux des souvenirs douloureux. Les bénévoles doivent donc avoir la volonté et la capacité de démontrer de l'empathie lorsqu'ils écoutent des récits de vie qui peuvent être pénibles à entendre. Les chercheuses ont appris, sans surprise, que ces types de bénévoles offraient souvent bien plus que le service qu'ils devaient fournir aux clients. Par exemple, si, pour une raison quelconque, ces bénévoles ne pouvaient pas produire la déclaration de revenus d'un client, ils lui donnaient des instructions détaillées en ce qui concerne la personne à contacter et les renseignements dont il avait besoin et ils pouvaient même l'aider à rédiger une lettre à l'ARC au besoin. De plus, ces bénévoles pouvaient communiquer avec l'agent de traitement de cas de leur client pour qu'il sache ce qui devait être fait. Cette démarche revêtait une importance particulière pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale, une dépendance ou un handicap, car on s'assurait ainsi qu'ils recevaient le soutien dont ils avaient besoin pour s'y retrouver dans les processus bureaucratiques. Siobhan, une bénévole du PCBMI depuis près de vingt ans, a expliqué comme suit l'importance de ce contact personnel :

Plus particulièrement, les personnes à faible revenu subissent déjà les pressions du système et essaient tout simplement de s'en sortir avec les choses courantes de la vie. Ce type de chose est juste trop lourd à gérer. La plupart des gens dont je m'occupe vivent dans la pauvreté, en particulier les personnes sans abri ou en situation de logement précaire. Si cela devient un fardeau, elles ne s'en préoccuperont même pas. Par exemple, si c'est trop stressant ou s'il y a trop d'étapes parce que c'est encore une autre pression exercée sur elles, ou si elles n'ont personne pour les accompagner... On doit examiner le contexte général de façon plus approfondie lorsqu'il s'agit d'impôt, car il ne s'agit pas seulement d'un bout de papier, c'est beaucoup plus que cela.

Enfin, les coordonnateurs des comptoirs, les bénévoles et le personnel des organismes ont tous affirmé que, compte tenu du manque de connaissances fiscales de leur clientèle, un document sur l'impôt accessible et facile à lire serait utile et faciliterait leurs interactions avec certains clients. Plus précisément, ils estimaient que des renseignements expliquant les rudiments de l'impôt, les avantages de la production de déclarations de revenus et les données requises pour produire une déclaration, ainsi que des conseils sur la façon de s'organiser, les aideraient à gérer les attentes de leurs clients et à atténuer quelque peu l'angoisse et les idées fausses que suscite la production de déclarations de revenus. De plus, tous étaient d'avis qu'il serait utile et important que les bénévoles soient soumis à une vérification accrue à la suite de laquelle ils seraient autorisés à accéder directement aux renseignements de l'ARC au nom des clients, ce qui leur permettrait de répondre immédiatement aux besoins des clients les plus vulnérables et de les aider à leur faire obtenir des prestations, qui sont essentielles aux personnes vivant dans la pauvreté. Selon ces bénévoles, la simplification du processus de production des déclarations de revenus par l'approfondissement des connaissances fiscales et la modification de certaines procédures des programmes contribuerait à la réalisation d'un projet plus général visant à accroître la confiance des Canadiens en situation de précarité lorsqu'ils doivent produire leur déclaration de revenus. Comme l'a expliqué Liz :

Nous voulons que tout le monde produise une déclaration de revenus et paie ses impôts, et, dans ce cas particulier, que tout le monde reçoive ses prestations. Mais si le processus est difficile, les gens ne s'y soumettront pas. Enfin, ce que nous voulons, c'est que ces personnes se sortent un jour de l'itinérance, qu'elles travaillent et soient des employés et qu'elles font leur part en payant de l'impôt, etc. Nous voulons aussi qu'elles continuent de produire des déclarations de revenus. Eh bien, si cela les a fait se sentir misérables ou les a effrayées pendant des années, elles ne s'empresseront pas non plus de produire leur déclaration de revenus après qu'elles auront commencé à travailler.

5.4.3 Expériences des clients avec les comptoirs du PCBMI

Les participants interrogés qui avaient reçu l'aide de bénévoles d'un comptoir du PCBMI pour produire leur déclaration de revenus ont tous affirmé que leur expérience avait été simple, rapide et positive. Ils ont été heureux d'avoir pu produire leur déclaration de revenus gratuitement, mentionnant souvent que le coût de la production de déclarations de revenus par l'intermédiaire d'un service de préparation de déclarations de revenus représente un fardeau étant donné leurs ressources financières limitées. Qui plus est, pour les participants comme Brian, qui souffrent de difficultés cognitives, être capable de produire une déclaration de revenus avec l'aide de bénévoles lui procure un sentiment d'accomplissement important, bien que provisoire. Il a expliqué qu'il a généralement le sentiment de ne rien faire et que le fait d'accomplir quelque chose est une expérience positive, car autrement, il ne fait que regarder l'heure. De façon pragmatique, la production de déclarations de revenus par l'intermédiaire du programme permet aux clients comme Brian d'avoir accès aux prestations auxquelles ils ont droit. Lina a également décrit la production de déclarations de revenus par l'intermédiaire du PCBMI de la façon suivante :

C'était la toute première fois qu'une autre personne produisait ma déclaration de revenus pour moi. Je l'avais toujours produite moi-même... En fait, c'était plus rapide. La conseillère fiscale m'a posé toutes les questions nécessaires et tout était terminé en 20 minutes... Elle m'a même montré le montant que je toucherais. Si j'avais produit moi-même ma déclaration, je ne l'aurais pas su. Ils peuvent vous communiquer immédiatement un montant pour que vous sachiez ce que vous toucherez et puissiez faire des prévisions comme moi.

Lina fait référence au sommaire de la déclaration de revenus qui est remis aux clients. Ce document contient les détails de leur déclaration, les montants estimés des prestations qu'ils toucheront et les dates auxquelles ils recevront leurs paiements. Les clients sont particulièrement rassurés d'avoir ce document imprimé en main, car il constitue pour eux une certaine forme de garantie financière et leur permet de planifier stratégiquement leur vie. Par ailleurs, les commentaires des participants quant à la rapidité inattendue du processus de production des déclarations de revenus font ressortir une conception courante selon laquelle le processus de production des déclarations de revenus est exigeant et long et laissent entendre que le programme modifie quelque peu cette perception. Le processus de production des déclarations de revenus par l'intermédiaire du PCBMI est rapide et les participants étaient généralement reconnaissants envers les bénévoles d'avoir donné de leur temps pour les aider.

Le seul reproche des participants était que les comptoirs auraient dû faire l'objet d'une meilleure publicité. En effet, les participants croyaient que si leur agent de traitement de cas, un professionnel de la santé ou un employé d'un organisme communautaire n'avait pas dirigé la plupart d'entre eux vers ce service, ils n'auraient pas été au courant de l'existence de ce dernier. Ces conclusions révèlent que la capacité de certains comptoirs offrant actuellement des services à cette population particulière est limitée. En effet, les trois organismes qui ont organisé les comptoirs auxquels nous nous sommes rendus avaient seulement utilisé leurs différents programmes internes pour faire la promotion des comptoirs et avaient communiqué uniquement avec leurs clients qui avaient eu recours au service l'année précédente puisque leur clientèle est suffisamment grande pour occuper pleinement les bénévoles. Par conséquent, les personnes qui n'ont pas accès à des services sociaux sont peu susceptibles de connaître ce programme et il se pourrait donc qu'elles doivent continuer de surmonter des obstacles à la production de déclarations de revenus et à l'accès aux prestations. Étant donné que le PCBMI s'adresse aux personnes qui ont un revenu modeste et une situation fiscale simple, les participants ont suggéré que des publicités soient affichées dans différents endroits comme les maisons de chambres, les refuges, les banques alimentaires, les services d'aide sans rendez-vous, les églises et autres endroits similaires qui offrent du soutien aux Canadiens vulnérables.

Tous les participants à l'étude ont souligné l'importance du PCBMI pour les Canadiens à faible revenu qui, n'ayant pas les moyens de recourir à un service de préparation de déclarations de revenus, pourraient tout simplement choisir de ne pas en produire et, ce faisant, renoncer aux prestations auxquelles ils ont droit. De plus, les employés des organismes de services sociaux participants ont parlé de la complémentarité du service fiscal et de leurs autres services (tels que les services de santé, de logement et de formation à l'emploi) et ont aimé que les comptoirs soient conçus de manière à pouvoir répondre aux besoins de leurs clients. Le PCBMI a une valeur inestimable pour les personnes qui ont besoin d'aide pour produire leurs déclarations, que ce soit en raison de préférences personnelles, d'un manque de connaissances, de problèmes de communication, de problèmes de dépendance, de troubles cognitifs ou de troubles anxieux liés aux questions fiscales et financières.

6. Conclusion

La présente étude a été menée dans le cadre des efforts déployés par l'ARC pour veiller à ce que tous les Canadiens, en particulier les membres les plus vulnérables de la population, puissent recevoir les prestations auxquelles ils ont droit. Afin de mieux comprendre comment aider les personnes sans abri et en situation de logement précaire, nous avons réalisé une étude ethnographique poussée en coopération avec des organismes de services sociaux de la ville d'Ottawa. Cette étude n'est pas une évaluation du PCBMI ou d'autres programmes, et les résultats ne sont pas nécessairement représentatifs, car la taille de l'échantillon de l'étude est petite. Cependant, plusieurs observations s'y dégagent.

1. Les participants à l'étude ont des habitudes diverses en matière de production de déclarations de revenus; certains produisent une déclaration chaque année et certains n'en produisent jamais, certains ont produit une déclaration pour certaines années, mais pas pour d'autres, et certains recommencent à produire des déclarations après ne pas l'avoir fait pendant plusieurs années. Les participants ont donné plusieurs raisons pour produire une déclaration de revenus (comme le revenu qu'ils tireront des prestations, leur responsabilité civique et l'habitude) et plusieurs raisons pour ne pas en produire (comme les difficultés à obtenir et à conserver leurs documents financiers, leur méfiance envers le gouvernement, la peur d'avoir une dette et leurs autres préoccupations immédiates plus urgentes). Dans l'ensemble, leurs récits sont diversifiés, mais des thèmes communs en ressortent.

2. Les personnes sans abri et en situation de logement précaire éprouvent des préoccupations et des stress divers dans leur vie quotidienne, y compris des difficultés financières, un handicap, une dépendance, des problèmes de logement et des problèmes liés à leur rétablissement après un traumatisme. Ces facteurs interagissent entre eux de manière complexe et influencent les capacités et les perceptions de ces personnes, façonnant ainsi le contexte dans lequel elles traitent avec les représentants de l'administration de l'impôt ou évitent de le faire. Les obstacles inhérents aux différents éléments de l'administration de l'impôt sont d'autres facteurs qui déterminent le type d'interactions que ces personnes auront, s'il y a lieu, avec l'ARC et la qualité de leurs interactions. Le présent rapport cible quatre obstacles principaux : la vérification de l'identité au téléphone, l'obtention et la conservation de documents financiers, les modes de communication et le manque de connaissances en informatique. Il se peut que ces obstacles ne soient pas évidents ou même visibles pour une personne d'un autre milieu. Lorsqu'ils sont pris en compte ensemble, l'expérience vécue par ces personnes et les obstacles auxquels elles sont confrontées permettent d'avoir une idée plus complète de la relation entre les personnes vulnérables et l'ARC.

3. Le PCBMI est un programme de l'ARC qui fournit des services directement aux Canadiens à faible revenu avec l'aide d'organismes partenaires. Pendant l'étude, les chercheuses ont examiné la façon dont les bénévoles de ce programme approchent les personnes sans abri et en situation de logement précaire pour les aider à produire leur déclaration de revenus et, ce faisant, obtenir les prestations auxquelles elles ont droit. Les conclusions énoncées dans le présent rapport démontrent que les capacités et les compétences des bénévoles, ainsi que la structure et le fonctionnement des comptoirs, ont une incidence importante sur l'expérience des clients et leur capacité à produire leur déclaration de revenus.

Comme le démontre cette étude, les méthodes de recherche ethnographique sont particulièrement bien adaptées à la recherche de personnes marginalisées, car elles s'appuient sur la voix directe des participants et apportent souvent une nouvelle perspective sur des questions sociales complexes telles que celles touchant les Canadiens sans abri et en situation de logement précaire.

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