Bâtir un Canada plus concurrentiel
Discours
Allocution de Matthew Boswell, commissaire de la concurrence
Centre pour l’innovation dans la gouvernance international
Le 26 mai 2022
(Le discours prononcé fait foi)
Je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé des peuples algonquins anichinabés. Le secteur de la chute des Chaudières – non loin d’ici – est considéré comme sacré pour les Anichinabés de l’ensemble de l’île de la Tortue. L’endroit est connu sous le nom d’Asinabka (« là où la roche éblouit ») pour tous les Algonquins.
Le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale est lui aussi un lieu de rassemblement. D’idées. Et de gens. Qui se rencontrent à l’intersection de la technologie et de la gouvernance internationale.
C’est lors de rassemblements comme celui-ci que le changement se produit. Et c’est pourquoi c’est le bon endroit pour moi, en tant que commissaire de la concurrence du Canada, de faire trois choses aujourd’hui :
- Parler de l’importance de la concurrence au Canada.
- Partager des idées sur la direction où s’en vont les choses.
- Et parler de l’importance de la mobilisation du public dans la façon dont nous définissons et favorisons la concurrence ici au Canada.
Je vais m’étendre sur chaque point. En commençant par le premier : l’importance de la concurrence au Canada…
Pourquoi la concurrence est-elle importante
Commençons par une question : pourquoi la concurrence est-elle importante, en fait? Elle est importante parce qu’une économie forte est une économie compétitive. La concurrence stimule la productivité. Elle aide à contrôler les prix, un point sur lequel je reviendrai dans un instant. Et elle profite aux citoyens. Pas seulement certains d’entre eux : tous.
Les avantages de la concurrence sont nombreux :
- Des prix plus bas, un plus grand choix et une meilleure qualité pour les consommateurs.
- Des entreprises plus fortes qui sont incitées à être performantes et à innover.
- Des petites et moyennes entreprises qui ont une chance équitable d’être compétitives et de gagner, au pays et à l’étranger.
Le monde est actuellement confronté à de nombreux défis. Une longue pandémie mondiale. La guerre en Ukraine. Et une inflation telle que nous n’en avons pas connu depuis deux générations. Tous ces éléments ont des conséquences réelles sur notre économie. Conséquemment, une importante conversation a été relancée sur la concurrence et son rôle dans notre santé économique. La conversation porte en grande partie sur la législation canadienne en matière de concurrence et la nécessité de la moderniser pour le marché numérique.
Dans le débat public, certains veulent simplement maintenir le statu quo en matière de concurrence. D’autres disent qu’il est plus que temps d’apporter des changements. Je pense que vous connaissez ma position, compte tenu de mon bilan en tant que commissaire. Nous devons nous adapter. Notre avenir l’exige.
Où vont les choses
Ce qui m’amène à mon prochain point majeur : où vont les choses dans le domaine de la concurrence? Une conversation importante est en train de prendre forme sur le rôle de la concurrence dans l’économie canadienne. Elle se déroule sur fond d’inquiétudes croissantes quant à la montée d’entreprises titanesques et à la nature changeante de notre marché numérique. De nouveaux penseurs se sont engagés dans le débat.
Les parlementaires l’ont remarqué. En octobre dernier, le sénateur Howard Wetston a lancé une consultation pour se pencher sur la loi fédérale sur la concurrence à l’ère numérique. Nous avons participé à cette discussion. Ensuite, le ministre Champagne a annoncé un examen minutieux des moyens pouvant être mis à contribution pour améliorer la Loi. Puis le budget fédéral a été déposé. Le budget proposait des modifications à la Loi sur la concurrence pour amorcer la modernisation de la façon dont nous protégeons la concurrence et en faisons la promotion au Canada.
Il s’agit de progrès significatifs qui ont été faits en peu de temps.
Des modifications importantes sont proposées comme étape préliminaire. Elles renforceraient les pouvoirs d’enquête du Bureau, criminaliseraient les ententes de fixation des salaires et les ententes de non-débauchage, et augmenteraient les montants maximaux des amendes et des sanctions administratives pécuniaires.
Elles préciseraient que la divulgation incomplète des prix constitue une indication fausse ou trompeuse.
Les modifications élargiraient également la définition de comportement anticoncurrentiel, permettraient un accès privé au Tribunal de la concurrence pour remédier à un abus de position dominante et amélioreraient l’efficacité des exigences en matière d’avis de fusion.
Le Bureau s’engage pleinement à communiquer et à appliquer ces changements, s’ils deviennent loi.
Mon prochain point concernant la direction où vont les choses : tout le monde a intérêt à assurer une saine concurrence. Avec le ministre Champagne comme fer de lance de la modernisation de nos lois, nous aurons un débat plus que nécessaire sur ce à quoi devraient ressembler des marchés concurrentiels. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un débat qui tourne en rond. Régler les problèmes est quelque chose qui compte beaucoup pour les Canadiens. Et pour moi aussi.
Revenons maintenant sur la question de l’inflation élevée à laquelle nous sommes tous confrontés actuellement. De nos jours, une visite à la station-service ou à l’épicerie peut être une source d’anxiété pour de nombreux Canadiens. Je ne suis pas ici aujourd’hui pour spéculer sur les causes de l’inflation. Mais la concurrence doit faire partie de la solution. Des marchés ouverts et concurrentiels sont essentiels pour garder le contrôle des prix.
Sachez ceci : Une baisse de la concurrence aggrave les choses. Une hausse de la concurrence les améliore. Et pas seulement du point de vue des prix. Une application rigoureuse des lois sur la concurrence est nécessaire. Nous pouvons ainsi dissuader les comportements commerciaux qui pourraient autrement aggraver l’inflation, en raison d’une collusion entre des rivaux ou d’une atteinte au processus concurrentiel.
La vigilance est également importante. Oui, une grande partie du travail d’application de la loi qu’effectue actuellement le Bureau se fait de manière confidentielle. Mais je peux vous assurer que nous n’avons aucune tolérance à l’égard de toute tentative d’utiliser le contexte économique actuel pour adopter un comportement anticoncurrentiel.
Nous travaillons également en étroite collaboration avec nos partenaires. Avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, nous faisons partie d’un groupe de travail international qui se concentre sur l’échange d’informations afin de repérer et de prévenir les cas potentiels de collusion à l’échelle mondiale, y compris les comportements anticoncurrentiels liés aux chaînes d’approvisionnement.
Une concurrence saine peut en effet améliorer les choses. Bien que ce ne soit pas la solution miracle pour combattre l’inflation, une concurrence accrue doit faire partie de la solution pour aider à faire face à l’augmentation du coût de la vie.
Comme le Bureau l’a fait remarquer dans sa lettre transmise à la Banque du Canada en 2020, « la concurrence réduit les pressions inflationnistes ». Elle aide les Canadiens et Canadiennes à accéder à un large éventail de produits à moindre coût. C’est pourquoi les éminents penseurs préconisent des politiques favorables à la concurrence pour réduire les barrières commerciales, favoriser une plus grande concurrence sur les marchés numériques et moderniser nos lois sur la concurrence. Mais au-delà ça, tous les ordres de gouvernement ont un rôle à jouer en vue d’examiner les politiques et la réglementation afin de s’assurer qu’elles ont un effet positif – et non pas négatif – sur la concurrence.
Les marchés ouverts, où les nouveaux entrants peuvent se développer et défier les entreprises bien établies, sont au cœur de la concurrence. C’est ce qui incite à la création de valeur. C’est ce qui récompense l’innovation. Les règles et réglementations gouvernementales peuvent souvent peser sur le degré d’ouverture réel de nos marchés.
La concurrence stimule la productivité. Le Canada accuse un retard en matière de productivité économique, et il est temps de faire quelque chose pour y remédier. Le nouveau budget fédéral est clair à ce sujet. À mon avis, l’examen du cadre canadien de la concurrence va de pair avec la recherche de la productivité et de la croissance économique. C’est une autre raison pour laquelle un examen des lois sur la concurrence est si important, et pour laquelle tous les décideurs devraient examiner la manière dont la réglementation pourrait laisser libre cours à la concurrence.
L’intensité concurrentielle est essentielle pour stimuler l’innovation et la productivité. Comme je l’ai expliqué, c’est ainsi que les entreprises acquièrent un avantage concurrentiel sur leurs rivaux, ce qui stimule la croissance de la productivité et améliore notre niveau de vie.
Si nous nous y prenons bien, nous pouvons continuer à croître, à être compétitifs et à réussir… bien au-dessus de notre catégorie de poids. Ou nous pourrions nous tromper. Nous pourrions étouffer la concurrence – que ce soit en raison d’un comportement anticoncurrentiel ou d’entraves réglementaires. Les effets seraient néfastes.
Mais vous n’avez pas à me croire sur parole. En 2008, lors du dernier examen important de la politique canadienne de la concurrence, le Groupe d’étude sur les politiques en matière de concurrence a déclaré dans son rapport final : « Une concurrence plus vigoureuse est la clef d’une productivité et d’une prospérité accrues. […] La concurrence alimente la productivité qui, au bout du compte, assure les revenus, les emplois et la qualité de vie. » Nous n’agissons pas ainsi seulement parce que c’est une bonne idée. Nous le faisons parce que c’est nécessaire pour un avenir meilleur.
Cette discussion me rappelle aussi les paroles de Tom Jenkins, président d’OpenText et l’un des principaux penseurs canadiens en matière d’innovation. Il a dit que même si nous connaissons les effets cruciaux de la concurrence, la plupart de nos discussions sur l’innovation tournent encore autour des politiques et des programmes. sans aborder la façon d’accroître la concurrence.
L’intensité concurrentielle, selon lui, est le problème manifeste dont personne ne parle.
Alors, comment délaisser cette habitude de parler sans cesse d’innovation et de productivité comme si les solutions étaient insaisissables… et comment plutôt se concentrer sur l’atteinte de résultats? Voici la réponse.
Nous bâtissons une culture de concurrence. Ensemble.
La culture, c’est un peu comme le cadre d’un tableau. Elle nous montre où regarder. Elle délimite ce qui est important. Si nous voulons réellement que les marchés canadiens aient du succès dans l’économie numérique, nous devons mettre en place une culture qui accueille la concurrence à bras ouverts.
C’est l’objectif que nous poursuivons au Bureau. Il figure bien en vue dans notre vision stratégique, traçant la voie que nous avons ouverte en 2020. Cette vision, la voici : « Être un organisme de la concurrence de calibre mondial, qui est à l’avant-garde de l’économie numérique et qui encourage une culture de concurrence au Canada. »
Voici de quelle manière nous mettons en œuvre cette vision.
Notre nouveau plan annuel pour 2022-2023 définit nos priorités. Et donne un contexte à ce que nous faisons au présent. En ce qui concerne l’application de la loi, nous avons créé la Direction générale de l’application numérique de la loi et du renseignement. Il s’agit de notre centre d’expertise pour tout ce qui touche aux pratiques et technologies commerciales en constante évolution et à leur incidence sur la concurrence. Cette nouvelle direction générale nous permet d’être meilleurs, plus intelligents et plus rapides, en ayant recours à des méthodes analytiques avancées, à des techniques de renseignement et à l’économie comportementale pour détecter les préjudices sur le marché et travailler avec nos directions générales pour y mettre fin.
Nous sommes vigilants quant aux défis persistants créés par la pandémie. Cela inclut les comportements anticoncurrentiels liés aux problèmes de la chaîne d’approvisionnement. Notre plan prévoit également de nous concentrer sur les secteurs de l’économie qui sont essentiels au bien-être économique à long terme du Canada, comme les services numériques, les télécommunications et la santé.
Dans le marché des télécommunications, nous cherchons à bloquer l’acquisition proposée de Shaw par Rogers, d’une valeur de 26 milliards de dollars, afin de protéger les Canadiens contre des prix plus élevés, une qualité de service amoindrie et une perte de choix.
La disparition de Shaw éliminerait un concurrent indépendant et robuste dans le marché du sans-fil au Canada – un concurrent qui a fait baisser les prix, rendu les données plus accessibles et offert des services innovants à ses clients.
Nous agissons en vue de bloquer cette fusion afin de préserver la concurrence et le choix, de sorte que les Canadiens puissent avoir accès à des services sans fil abordables et de grande qualité.
Nous préconisons également de nouvelles politiques favorables à la concurrence, en particulier dans les marchés où les Canadiens veulent voir des changements dès maintenant, notamment dans le domaine de la santé.
Nous commencerons bientôt à publier les résultats de notre étude de marché sur les services de santé numériques. Nos rapports contiendront des recommandations importantes sur la façon d’accroître l’innovation, le choix et l’accès aux services de santé numériques partout au pays. Je suis impatient que vous les lisiez.
Nous élargissons notre réflexion sur l’interaction entre la politique de la concurrence, l’environnement et les efforts pour lutter contre le changement climatique. Réfléchir, c’est d’abord écouter.
Ainsi, le 20 septembre à Ottawa, nous tiendrons le Sommet sur la concurrence et la croissance verte afin de mieux comprendre ces questions complexes. Et de le faire en nous appuyant sur les points de vue d’experts, notamment des partenaires nationaux et internationaux chargés de l’application de la loi. Ensuite, nous pourrons décider de la manière dont cela doit orienter le travail de promotion et d’application de la loi au Bureau.
Écouter et apprendre, c’est le travail de toute une vie. Et cela m’amène au troisième et dernier point majeur que je souhaite aborder aujourd’hui…
La mobilisation du public
Parlons de l’importance de la mobilisation du public dans la façon dont nous devons définir et favoriser la concurrence au Canada.
Dans le futur, la mobilisation sera un élément très important de la culture de concurrence dont j’ai parlé aujourd’hui. Outre les modifications de la Loi sur la concurrence prévues dans le budget, il y aura une série très importante de consultations publiques sur la politique de la concurrence. Nous devons nous assurer d’entendre un large éventail d’idées et de perspectives.
Cela obligera tout le monde à avoir une vision d’ensemble du niveau de concurrence que nous voulons voir dans notre économie. C’est d’une importance vitale pour les intérêts des consommateurs, des travailleurs et des entreprises de toutes tailles. Eh oui, c’est vraiment majeur.
Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons tous un travail à faire pour rester à l’affût et saisir les opportunités qui se présentent à nous. Et nous pourrons les saisir. Si nous utilisons pleinement les leviers de la concurrence et de l’innovation. Pour ensuite récolter les bénéfices qui en découlent. Mais c’est à chacun d’entre nous, en tant que citoyen, consommateur, travailleur et chef d’entreprise, de choisir.
Nous devons le vouloir pour nous-mêmes. Et la façon dont nous le choisissons, c’est en nous engageant dans ce processus de consultation publique.
Résumé
En résumé, mon travail ici aujourd’hui (et chaque jour depuis 2019) est de vous persuader de considérer l’importance de la concurrence pour une économie saine. Celle que nous avons maintenant et celle que nous aurons à l’avenir.
La concurrence n’arrive pas par hasard. Nous devons la choisir et la désirer. Je vous ai montré aujourd’hui à quel point elle est importante pour notre vie quotidienne. Elle nous donne du pouvoir. Elle nous offre de meilleurs choix. Elle nous protège également contre les risques d’un marché incontrôlé. La concurrence est sans nul doute le moteur de l’innovation. Et pas seulement pour nous, mais aussi pour les générations à venir.
Compte tenu des défis qui nous attendent, c’est la concurrence qui permettra de faire avancer les choses d’une manière équitable, partagée et prospère pour tous.
N’oublions pas que pendant trop longtemps, la concurrence a été une question de niche pour les avocats et les économistes. Nous sommes en train de changer cela. Imaginons la politique de la concurrence comme une sorte de marché. Il y a les acteurs bien établis qui défendent le statu quo. Il y a les nouveaux entrants, qui essaient de perturber les choses. Et la plus grande barrière à l’entrée pour participer à ce marché, c’est-à-dire à ce débat, est le langage que nous utilisons.
La concurrence est désormais l’affaire de tous. Nous devons tous en parler dans un langage clair et accessible. Au-delà des parties prenantes de l’univers de l’antitrust, ouvrons la conversation à ceux qui apportent une expertise nouvelle. Écoutons les diverses expériences vécues. Cela enrichit la conversation. De même, un langage accessible aide les entreprises à comprendre si leurs comportements sont légaux. Il permet aux gens de porter plainte contre des comportements anticoncurrentiels présumés.
J’invite tout le monde à participer à cet important processus au cours des prochains mois. Bâtissons un Canada plus concurrentiel.
Merci.
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