Méthode d’essai biologique : essais toxicologiques sur des truites arc-en-ciel aux premiers stades de leur cycle biologique : chapitre 1


Section 1 : Introduction

1.1 Contexte

Au Canada et ailleurs, on se sert d'essais toxicologiques en milieu aquatique pour mesurer, prévoir et maîtriser le rejet d’une substance ou de mélanges complexes de substances qui pourraient être nocives pour la vie aquatique. Reconnaissant qu’on ne peut pas s'attendre qu'une seule méthode ou un seul organisme réponde aux besoins d'une démarche globale visant la conservation et la protection de l'environnement, le Groupe intergouvernemental sur la toxicité aquatique (GITA, annexe A) a proposé d'élaborer et de normaliser un ensemble d'essais toxicologiques qui serait généralement acceptable et permettrait de mesurer différents effets toxiques à l’aide d’organismes représentatifs de différents niveaux trophiques et groupes taxonomiques (Sergy, 1987). Pour aider Environnement Canada à satisfaire à ses exigences en matière d'essais (p. ex., EC, 1991), on a choisi de normaliser suffisamment -- pour l’utiliser dans les laboratoires régionaux d’Environnement Canada (annexe B) et dans les laboratoires provinciaux et privés -- un essai fondé sur le développement, la croissance et la mortalité de salmonidés aux premiers stades de leur existence. Cet essai constitue l’un des quelques essais toxicologiques de base appliqué au milieu aquatique.

Le présent rapport décrit des méthodes et des conditions universelles pour la réalisation d’essais sur des truites arcs-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) aux premiers stades de leur existence. Il présente aussi un ensemble précis de conditions et de modes opératoires, exigés ou recommandés, pour évaluer, à l’aide du test, différents types de substances (c’est-à-dire des échantillons de produit chimique, d’effluent, d’élutriat, de lixiviat ou d’eau réceptrice). Pour obtenir des orientations sur la mise en œuvre de cette méthode d’essai biologique d’Environnement Canada et d’autres méthodes du Ministère ainsi que sur l’interprétation et l’application des paramètres ultimes de mesure, le lecteur devrait consulter Environnement Canada (1998a).

La figure 1 donne un aperçu général des sujets abordés dans le rapport. Les notes explicatives en bas de page abordent certains détails de méthodologie.

La méthode biologique présentée dans le rapport se fonde en grande partie sur d’autres méthodes élaborées en Amérique du Nord et en Europe et employant des embryons, des alevins et des jeunes (USEPA, 1985a ; Birge et al., 1985 ; Rexrode et Armitage, 1987 ; van Aggelen, 1988 ; Birge et Black, 1990 ; ASTM, 1991a ; Hodson et al., 1991 ; Paine et al., 1991 ; OECD, 1992a, b et c ; Neville, 1995a et b ; OECD, 1996 et 1997). Elle a été mise au point après un examen des écarts signalés dans les modes opératoires des méthodes en vigueur (annexe C) et dans d’autres rapports et publications connexes.

Le présent rapport remplace la méthode intitulée Méthode d’essai biologique : essais de toxicité sur des salmonidés aux premiers stades de leur cycle biologique (truite arc-en-ciel, saumon coho ou saumon de l’Atlantique), publiée par Environnement Canada en 1992 (EC, 1992a). Depuis, on a simplifié, clarifié ou autrement amélioré certains modes opératoires et conditions de l’essai ou préalables à ce dernier, à la lumière : a) de l’expérience d’un certain nombre de laboratoires canadiens exécutant les essais portant sur les embryons (essais E) ou sur les embryons et les alevins (essais EA), pour satisfaire aux exigences réglementaires concernant la surveillance des effets sur l’environnement (EC, 1991) ; b) d’études en conditions contrôlées, visant à simplifier ou à améliorer les méthodes (Canaria et al., 1996 ; Yee et al., 1996 ; Fennell et al., 1998). Le rapport présente les améliorations apportées aux modes opératoires, à la conception des systèmes, au traitement statistique des données ainsi que des orientations plus précises et plus détaillées sur l’exécution des essais.

On décrit dans le rapport trois options : un essai qui se prête à la surveillance fréquente ou suivie et qui emploie des embryons (E) ; un essai permettant de mesurer les effets des toxiques sur de multiples stades de développement de l’embryon et de l’alevin (EA) ; un essai, pour les études plus concluantes, employant les stades de l’embryon, de l’alevin et de la truitelle (EAT). Les trois essais débutent au commencement du développement des embryons et ils mesurent le développement et la survie des premiers stades de vie de l’espèce. L’essai E prend fin sept jours après la fécondation. L’essai EA se termine pendant le stade de l’alevin, lorsque l’on constate dans le groupe témoin un taux de réussite de l’éclosion de 50 %, sans qu’il soit nécessaire d’alimenter les alevins. L’essai EAT prend fin après 30 jours d’exposition des truitelles, que l’on nourrit. On peut se servir de n’importe laquelle de ces options pour évaluer des échantillons de produit chimique, d’effluent, d’élutriat, de lixiviat ou d’eau réceptrice. Le choix de l’essai qui convient le mieux dépend des objectifs de l’essai et de la nature de la substance (v. § 4.3.1, 5.1, 6.1 et 7.1).

En exposant ces modes opératoires, nous nous sommes efforcés de trouver le juste milieu entre les considérations scientifiques et pratiques ainsi que les coûts, tout en nous assurant que les résultats seront assez justes et assez précis pour la plupart des situations auxquelles on les appliquera. Nous posons que l’utilisateur possède une certaine connaissance des essais toxicologiques appliqués au milieu aquatique. Nous ne fournissons pas les explications qui pourraient être exigées dans un protocole réglementaire, bien que le présent document se veuille un guide utile à cette application et à d’autres.

Figure 1.  Points à considérer dans les préparatifs et l’exécution d’essais toxicologiques de divers types de substances aux premiers stades de développement de la truite arc-en-ciel

Méthodes universelles

  • Obtention et manipulation des gamètes
  • Élevage des embryons et des alevins
  • Préparation des solutions d’essai
  • Conditions expérimentales (température, OD, etc.)
  • Mise en route de l’essai
  • Mesures de la qualité de l’eau
  • Toxiques de référence pour l’essai E
  • Observations pendant l’essai
  • Paramètres ultimes de mesure
  • Calculs
  • Validité d es résultats
  • Considérations d’ordre juridique

Points traités dans des sections particulières du présent document

Produits chimiques

  • Choix de l’eau témoin ou de dilution
  • Préparation des solutions
  • Observations pendant les essais
  • Mesures pendant les essais
  • Paramètres ultimes de mesure
  • Propriétés chimiques
  • Étiquetage et entreposage
  • Mesures chimiques

Effluents, élutriats et lixiviats

  • Choix de l’eau témoin ou de dilution
  • Préparation des solutions
  • Observations pendant les essais
  • Mesures pendant les essais
  • Paramètres ultimes de mesure
  • Récipients et étiquetage
  • Transport et entreposage des échantillons

Eaux réceptrices

  • Choix de l’eau témoin ou de dilution
  • Préparation des solutions
  • Observations pendant les essais
  • Mesures pendant les essais
  • Paramètres ultimes de mesure
  • Récipients et étiquetage
  • Transport et entreposage des échantillons

1.2 Emploi antérieur de l’essai

Les effets toxiques chroniques sur le poisson ont été étudiés à l’aide d’essais portant sur la totalité (de l’œuf à l’œuf) ou une partie (de l’œuf au jeune) du cycle, selon la nature des travaux et les espèces de poissons utilisés. Dans le cas des salmonidés, il serait en grande partie impraticable d’étudier le cycle complet, parce que ces poissons n’atteignent la maturité qu’après deux à cinq ans. Cependant, au cours des 30 dernières années, les résultats d’essais ayant porté sur la totalité ou une partie du cycle de plusieurs espèces de poissons et ayant employé diverses substances ont montré que les premiers stades (c’est-à-dire l’embryon, l’alevin et le tout jeune poisson) peuvent être aussi sensibles aux contaminants du milieu aquatique, voire davantage, que les adultes (McKim, 1977 et 1985 ; Hodson et Blunt, 1981 ; Woltering, 1984). Grâce à cet acquis, on a mis au point un certain nombre de modes opératoires pour mesurer les effets toxiques subis par les jeunes salmonidés (Birge et al., 1985 ; van Aggelen, 1988 ; Birge et Black, 1990 ; Hodson et al., 1991 ; Paine et al., 1991 ; Neville, 1995a et b). Ces modes opératoires reposent sur l’hypothèse que les concentrations les plus fortes qui n’exercent pas d’effets sublétaux sur les premiers stades d’un organisme équivaudront, approximativement, aux concentrations chroniquement inoffensives pour les espèces éprouvées de salmonidésNote de bas de page 1.

Dans les essais sur les premiers stades de la truite arc-en-ciel ou d’autres salmonidés, dans un dessein de réglementation et de recherche, on fait durer l’exposition aux toxiques du début du développement embryonnaire et au commencement de la nage libre des truitelles (jeunes) ou après plusieurs semaines d’alimentation externe (Rexrode et Armitage, 1987 ; ASTM, 1991a ; Hodson et al., 1991 ; OECD, 1992a et b ; OECD, 1996). La sensibilité des différents stades à différents toxiques peut varier (Mayer et al., 1986 ; Kristensen, 1990) ; c’est pourquoi il est préférable de surveiller les effets d’une exposition continue pendant plusieurs des premiers stades et au cours de la transition d’un stade à l’autre pour obtenir une bonne approximation d’une concentration sans effets sublétaux. Selon l’espèce, la température et la durée d’observation des alevins avant la fin de l’essai, la durée d’un essai EA sur des salmonidés pourrait être d’à peine une trentaine de jours (Fennell et al., 1998) et atteindre jusqu’à 80 jours environ. La durée d’un essai EAT pourrait durer aussi entre 70 jours à peine et 120 jours et davantage, selon l’espèce, la température et la durée de la surveillance de la survie et de la croissance des truitelles. Dans tous les cas, ces essais employant les premiers stades de la truite peuvent prendre beaucoup moins de temps et engager beaucoup moins de dépenses que les essais sur tout le cycle biologique de salmonidés.

On a mis au point divers essais de courte durée, de 7 à 28 j, sur embryons ou alevins de truite arc-en-ciel (Birge et al., 1985 ; Birge et Black, 1990 ; Paine et al., 1991 ; OECD, 1992a et 1996 ; Neville, 1995a et b), ou des truitelles (OECD, 1992c et 1997). Ces essais, axés sur au moins une période délicate de transition dans le développement (p. ex. le développement embryonnaire, celui des alevins et la résorption du sac vitellin ou la quête de nourriture et la croissance des jeunes poissons), ont été normalisés pour n’employer que des truites arcs-en-ciel. Ces méthodes relativement nouvelles sont prometteusesNote de bas de page 2, mais, dans certains cas, il pourrait être difficile de définir ou de mesurer les paramètres ultimes avec confiance, ou encore, faudrait-il des compétences techniques spéciales pour obtenir des résultats reproductibles. Avant d’appliquer ces essais, il est indiqué de réaliser des essais préliminaires afin de déterminer la reproductibilité des résultats et d’en comparer la sensibilité à celle de résultats d’essais plus classiques sur les premiers stades de développement de salmonidés (Rexrode et Armitage, 1987 ; ASTM, 1991a ; OECD, 1992b).

Le but du rapport est de fournir une méthode canadienne normalisée d’estimation de la toxicité de diverses substances pour la truite arc-en-ciel, en eau douce, après exposition d’au moins un des premiers stades du cycle de cette espèce, par l’application de l’une des trois options exposées dans ces pages (c’est-à-dire E, EA ou EAT). Les modes opératoires des essais toxicologiques employant les premiers stades des salmonidés, qui se trouvent dans les recueils canadiens, américains et internationaux, varient quant à l’espèce recommandée pour l’essai, à la durée de l’exposition, aux régimes de température, à la substance examinée, aux conditions et aux systèmes expérimentaux, aux observations et aux paramètres biologiques ultimes, au plan d’expérience statistique et aux critères de validité (annexe C). Nous donnons des orientations pour évaluer la toxicité sublétale d’échantillons de produit chimique, d’effluent, de lixiviat, d’élutriat ou d’eau réceptrice et les motifs du choix de certaines façons de procéder. Les trois options susmentionnées doivent employer des truites arcs-en-ciel acclimatées à l’eau douce, l’eau douce servant d’eau de dilution et d’eau témoin, et elles doivent s’appliquer à des substances comprenant des eaux usées essentiellement constituées d’eau douce (c’est-à-dire d’une salinité d’au plus 10 g/kg) ou des eaux salées mais destinées à être rejetées en eau douce. L’application des options peut varier, mais elle englobe les cas où il s’agit d’étudier l’incidence réelle ou potentielle de substances sur le milieu dulcicole. D’autres essais, employant d’autres espèces acclimatées à l’eau de mer, peuvent servir à évaluer les répercussions réelles ou potentielles de substances dans les milieux estuariens ou marins ou à évaluer les eaux usées d’une salinité supérieure à 10 g/kg, destinées à être rejetées en milieu estuarien ou marin.

1.3 Salmonidés étudiés et recommandés

Au Canada et aux États-Unis, l’élevage et la manipulation de nombreuses espèces de salmonidés sont pratique courante. Les scientifiques spécialistes de la pêche, les spécialistes des écloseries, les ichtyologistes et les chercheurs les maîtrisent bien. On a également examiné le rendement et la sensibilité de plusieurs salmonidés, à la faveur d’une large gamme d’études toxicologiques menées en laboratoire. Chez les premiers stades du développement, on a principalement utilisé la truite arc-en-ciel, l’omble de fontaine, le saumon du Pacifique et celui de l’Atlantique (McKim et Benoit, 1971 ; Benoit, 1976 ; Benoit et al., 1976 ; Davies et al., 1976 ; Burkhalter et Kaya, 1977 ; Brenner et Cooper, 1978 ; Servizi et Martens, 1978 ; Daye et Garside, 1979 ; McLeay et Gordon, 1980 ; Martens et al., 1980 ; Helder, 1981 ; Hodson et Blunt, 1981 ; Birge et al., 1985 ; NCASI, 1985 ; Peterson et al., 1988 ; Hodson et al., 1991 ; Neville, 1995a et b).

La truite arc-en-ciel est l’organisme dont l’emploi est recommandé dans chacune des trois options décrites dans le rapport. L’annexe D donne des renseignements sur la répartition, le cycle évolutif et l’élevage de cette espèce. Les options décrites pourraient aussi s’appliquer à la truite dite « steelhead » (sous-espèce anadrome d’Oncorhynchus mykiss), vraisemblablement sans nécessiter de modifications aux modes opératoires. On pourrait également utiliser d’autres salmonidés (p. ex. la truite fardée, l’omble de fontaine, la truite brune, les saumons quinnat, kéta, coho ou de l’Atlantique, l’ombre arctique ou le corégone) dans n’importe laquelle de ces trois options, mais on pourrait devoir modifier certains modes opératoires ou conditions (p. ex. la température et la durée de l’essai). Il est conseillé aux chercheurs voulant utiliser une autre espèce qu’O. mykiss d’examiner soigneusement le régime de température que l’on sait être ou qui serait susceptible d’être compatible avec le début du développement de l’espèce en question, et de déterminer, à l’aide d’au moins un essai préliminaire (avec de l’eau témoin ou de dilution) le régime convenable de température et la durée correspondante de l’essai, quelle que soit l’option utilisée, à l’aide de la substance d’essai. Il faudrait notamment montrer, au moyen d’une autre espèce, qu’il est possible de satisfaire aux critères de validité décrits dans le présent rapport à l’égard de la truite arc-en-ciel (v. § 4.6), avant d’utiliser cette autre espèce à des fins toxicologiques dans n’importe laquelle des trois options décrites (modifiées ou non). En outre, tout procès- verbal d’un essai désignant l’une des options décrites comme la méthode utilisée doit préciser les noms vernaculaire et scientifique de l’organisme d’essai de même que toute modification apportée aux conditions et aux modes opératoires définitifs des essais (ou préalables) décrits dans le présent rapport (v. section 8).

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