Chapitre 4 : L'équité et l'application de la charte

Avertissement 

Cette publication n’a pas encore été mise à jour pour refléter les modifications législatives résultant de la Loi visant à renforcer la justice militaire pour la défense du Canada, L.C. 2013, ch. 24, qui est entrée en vigueur le 1er septembre 2018.

SECTION 1 - EN GÉNÉRAL

1. Les juges des cours martiales et les officiers présidant les procès sommaires prononcent des décisions judiciaires au même titre que les tribunaux civils et ils sont tenus d'agir équitablement1. L'importance de l'équité dans le déroulement du processus judiciaire s'exprime dans les principes établis par plusieurs articles de la Charte (voir l'annexe A). Il s'agit des articles 7 (les principes de justice fondamentale), 8 (fouilles, perquisitions et saisies), 9 (détention ou emprisonnement), 10 (arrestation ou détention), 11 (affaires criminelles et pénales), 12 (cruauté), 13 (témoignage incriminant), et 14 (assistance d'un interprète).

2. L'une des façons d'assurer l'équité est de rendre justice à travers l'équité procédurale. L'équité procédurale s'est exprimée traditionnellement par deux règles de justice naturelle de Common Law : nemo judex in causa sua (nul ne doit être juge dans sa propre cause)2 et audi alteram partem (nul ne doit être condamné ni privé de ses droit sans avoir eu la chance de se faire entendre)3. Autrement dit, la personne qui procède à une audition devra demeurer impartiale et libre de tout préjugé et un accusé devrait être avisé adéquatement quant à la preuve à réfuter et recevoir une occasion raisonnable d'être entendu. Ces exigences de justice au niveau de la procédure existaient avant l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés.

3. Les procédures qui gouvernent le procès sommaire prescrites dans les ORFC ont pour but d'assurer l'équité au niveau du dépôt des accusations et de la marche à suivre pendant le procès. Les règlements précisent les procédures à suivre dans chacune des étapes préalables au procès comme, par exemple, la communication de renseignements à l'accusé, le droit à un avocat, la procédure lors du procès et celles postérieures à ce dernier (tel que le processus de révision). Le commandant de l'unité, l'officier présidant le procès sommaire et les autorités chargés de la révision doivent tous s'assurer que le procès sommaire se déroule de façon juste et équitable. Ce chapitre présente plusieurs des principes de base de la procédure judiciaire et met l'emphase sur leur application lors du procès sommaire.

SECTION 2 - L'ÉQUITÉ

4. Toute procédure susceptible d'amener à la prise d'une décision contraire aux intérêts d'une personne doit se dérouler de façon équitable4. Il n'existe pas de définition unique de l'équité procédurale. Cependant, il est en général admis que pour qu'une procédure soit juste aux yeux de la loi, les règles de justice naturelle de la Common Law (l'absence de préjugés de la part du juge ainsi que la participation éclairée et informée de l'accusé) sont des règles à suivre tout au long du processus.

5. Les principes associés à l'équité procédurale comprennent : le droit de consulter un avocat, un avis adéquat quant à la preuve à réfuter, la communication de renseignements avant le procès, la capacité de déposer des déclarations, les normes de preuve et la décision motivée. Cette liste non limitative est un survol sur la façon dont un certain nombre des principes sont appliqués dans le contexte du procès sommaire.

Le désintéressement et l'impartialité

6. L'officier présidant le procès doit agir de façon impartiale et mettre de côté ses intérêts ainsi que ses croyances personnels lorsqu'il accomplit son devoir et prend une décision. Si l'officier a un intérêt personnel ou financier direct dans le résultat éventuel d'une décision, il doit alors s'abstenir de siéger.

7. Il est essentiel que l'officier présidant le procès sommaire ne démontre aucune préférence pour l'une ou l'autre des positions et soit également perçu comme impartial. Il est donc important non seulement que l'officier présidant un procès sommaire soit impartial, mais il est aussi primordial qu'il n'y ait ni apparence ni appréhension de partialité. À ce niveau, l'examen consiste à se demander si un observateur relativement bien informé peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part du décideur5.

8. Toutefois, il ne faut surtout pas oublier que lors d'un procès sommaire, l'officier présidant le procès aura toujours à cœur de protéger les intérêts de la discipline au sein de son unité. La discipline au sein des FC dépend de l'interaction personnelle entre les membres servant ensemble. Les officiers responsables de la conduite des opérations sont les premiers envers qui l'habitude de l'obéissance devrait être directement rendue6.

9. Afin d'accroître l'impartialité, les officiers présidant au procès sommaire doivent prêter serment ou faire une déclaration solennelle au début de chaque procès7. Les autorités supérieures des officiers présidant au procès ne peuvent intervenir dans le déroulement d'un procès. En outre, les ORFC précisent qu'un commandant ayant mené ou supervisé une enquête, délivré un mandat ou porté directement ou indirectement les accusations, ne devrait pas présider le procès sommaire en cause8.

10. En définitive, les militaires doivent s'attendre à et croire en ce que leurs commandants procèdent équitablement et de façon impartiale face à l'ensemble des problèmes des membres, incluant les manquements aux devoirs disciplinaires.

Communication de renseignements à l'accusé et occasion d'être entendu

11. Un accusé doit avoir l'occasion de se faire entendre à propos des accusations portées contre lui. Avant de procéder à cette étape, l'accusé doit être avisé de la preuve qui pèse contre lui et obtenir une opportunité raisonnable de rassembler ses propres informations9. Un accusé ne peut valablement exercer son droit d'être entendu s'il n'a pas pris connaissance de l'ensemble des faits en question10.

12. La communication de renseignements comprend la communication des faits et des documents pertinents aux allégations. Ces informations doivent être fournies à l'accusé, même celles qui ne seront pas utilisées au procès. Les exigences précises quant à la communication de l'information à l'accusé au niveau du procès sommaire sont prévues dans les ORFC11 et sont élaborées plus en détail au Chapitre 10 - La communication de renseignements à l'accusé.

13. Un accusé doit aussi avoir l'occasion de se préparer convenablement afin de pouvoir répondre aux allégations et aux accusations portées contre lui. Les ORFC précisent la procédure à suivre lors d'un procès sommaire. Il est prévu que l'accusé doit être présent lors du procès, qu'il ait l'occasion d'interroger les témoins, de présenter de la preuve et de faire des observations relatives à la preuve fournie12. Les procédures relatives au procès sommaire sont discutées en détail au Chapitre 13 - Le déroulement du procès sommaire.

14. Bien que les procédures de base à suivre lors d'un procès sommaire soient précisées dans les ORFC, il existe des situations où l'officier présidant le procès peut exercer une certaine discrétion face à leur application. En suivant les procédures prévues aux ORFC depuis l'accusation jusqu'à la révision, il existe un certain nombre de situations où le commandant de l'unité, l'officier présidant le procès et les autorités chargées de la révision devront exercer leur discrétion. En outre, les nombreux détails pratiques non prévus par les ORFC sont laissés aux soins de ces derniers. Cette discrétion doit être exercée équitablement en tenant compte des faits particuliers au cas d'espèce.

15. À titre d'exemple, les règlements ne prévoient pas de façon expresse le droit à un avocat pour l'accusé. Toutefois, la discrétion est donnée à l'officier présidant au procès de permettre à un avocat de participer et, le cas échéant, de déterminer le niveau de cette participation. Au moment de prendre sa décision sur la participation d'un avocat pour représenter un accusé lors d'un procès sommaire, les ORFC précisent que l'officier présidant le procès devrait au moins tenir compte de la nature et de la complexité de l'infraction, des intérêts de la justice, des intérêts de l'accusé et des exigences du service13. L'officier présidant au procès doit également considérer si justice sera faite si un officier présidant le procès sans formation juridique est placé dans une situation où il aurait à rendre une décision sur les arguments juridiques présentés par un avocat. Dans ces situations, le forum approprié pour résoudre ce genre de questions serait la cour martiale.

16. Si l'équité procédurale n'est pas respectée tout au long du procès sommaire, la décision pourrait être annulée lors d'une révision14. La disponibilité d'une révision à la suite d'un procès sommaire est discutée au Chapitre 15 – La révision des verdicts et des peines.

L'exercice de la discrétion

17. Lorsqu'ils exercent leur discrétion, les officiers présidant un procès sommaire doivent agir de bonne foi et ne pas abuser de leurs pouvoirs de façon arbitraire ou malhonnête. Il existe aussi une obligation de ne pas agir de façon discriminatoire contre un accusé ou un témoin en se fondant sur des critères sans pertinence tels que la religion, la race ou la langue15.

18. Il existe néanmoins des limites à la discrétion que peut exercer un commandant d'unité et un officier présidant un procès sommaire. La discrétion doit être utilisée afin de promouvoir les politiques et les objectifs de la loi habilitante, en l'espèce la LDN16, et son exercice ne peut servir des buts illégitimes, c'est-à-dire qui ne seraient pas visés par la LDN. Par exemple, en vertu des ORFC un officier présidant un procès sommaire doit demander à l'accusé s'il a besoin de temps supplémentaire pour préparer sa cause et doit lui accorder une période de temps raisonnable à cet effet17.

19. Dans l'exercice de la discrétion, toute la preuve pertinente devrait être considérée et évaluée, et la décision devrait être prise en se fondant uniquement sur les considérations spécifiées et convenables18. Par exemple, lorsque les ORFC dictent des facteurs qui doivent être considérés pour prendre une décision sur des questions spécifiques, il serait inconvenant pour l'officier présidant le procès de ne pas considérer ces facteurs. Toutefois, lorsque les ORFC ne précisent pas les facteurs à considérer, l'officier présidant le procès sommaire doit exercer sa discrétion pour atteindre le but poursuivi par la LDN. Pour le procès sommaire, les ORFC précisent qu'il « a pour objet de rendre justice de façon prompte et équitable à l'égard d'infractions d'ordre militaire mineures et de contribuer au maintien de la discipline et de l'efficacité militaires, au Canada et à l'étranger, en temps de paix ou de conflit armé »19.

20. Cette discrétion octroyée à l'officier présidant le procès sommaire en vertu de la loi et des règlements, ne peut être entravée ou restreinte par des politiques ou des directives à moins que la loi le prévoit spécifiquement. Par exemple, la note C de l'article 108.14 des ORFC donne des directives générales à l'officier présidant un procès sommaire sur les critères qu'il doit considérer au moment d'évaluer la demande de l'accusé d'être assisté par un avocat lors d'un procès sommaire. Il faut souligner que ces notes sont un guide. Elles ne doivent pas être interprétées comme si elles avaient force de loi, mais on ne doit pas s'en écarter sans une bonne raison20. Il ne serait pas convenable qu'un officier supérieur rédige une directive ayant l'effet d'imposer des limites strictes relativement aux facteurs à prendre en considération lorsqu'un officier présidant doit rendre une décision lors d'un procès sommaire.

21. Un officier présidant un procès sommaire ne peut refuser d'exercer sa discrétion lorsqu'il a l'autorité pour le faire. En considérant l'exemple cité plus haut, si un accusé demande l'assistance d'un avocat, l'officier présidant le procès sommaire ne peut pas refuser d'entendre la demande ou refuser de la considérer sans motif valable,21 ou encore de bâcler cette demande en démontrant peu de considération pour celle-ci. Par exemple, il y aurait manque de considération si l'accusé faisait une demande verbale pour l'assistance d'un avocat et que l'officier présidant le procès sommaire la lui refusait avant même que l'accusé n'eut exposé ses arguments.

22. Si un officier présidant au procès exerce ses pouvoirs discrétionnaires de façon inéquitable lors d'un procès sommaire et que l'accusé est trouvé coupable, cette situation pourrait donner lieu à une révision permettant d'annuler le verdict de culpabilité22. Les règlements établissent les bases des principes juridiques d'équité en assurant que les décisions portant sur le maintien de la discipline seront rendues équitablement.

Obligation d'agir avec célérité

23. La LDN et les ORFC exigent que les accusations sous le Code de discipline militaire soient traitées avec toute la célérité que les circonstances permettent23. Ce principe est une constante réglementaire émanant de l'objet même du procès sommaire24, ayant comme corollaire l'obligation pour l'unité de procéder dans l'intérêt de la justice et de la discipline. Cet intérêt inclut bien évidemment le droit d'un accusé d'être jugé dans un délai raisonnable tel que prévu par la Charte,25 tout comme l'intérêt de l'unité de s'assurer que les délits mineurs au Code de discipline militaire sont traités promptement. Une étude plus complète du sujet se retrouve au Chapitre 11 - La compétence et les déterminations préliminaires au procès.

24. Le terme célérité (promptitude dans l'exécution)26 fait allusion aux étapes nécessaires servant à mener à terme le processus d'accusation. Pour un accusé, agir avec célérité dans la gestion des accusations réduira le stress et le préjudice possible lié à la lenteur du processus. Pour l'unité, cette exigence répond à la nécessité de mettre l'emphase sur le besoin immédiat de restaurer ou de maintenir la discipline.

25. La réglementation ne peut-être considérée hors contexte. L'obligation de l'unité d'agir avec célérité doit être considérée à la lumière des circonstances pertinentes entourant l'accusation. Si les circonstances démontrent qu'une enquête plus approfondie est nécessaire, l'unité n'a pas l'obligation de porter une accusation à la hâte. D'ailleurs l'accusé peut désirer un délai raisonnable précédant le procès afin de lui permettre de rencontrer et d'interroger un certain nombre de témoins. Comme toujours, l'exercice de cette discrétion dans les décisions préliminaires au procès doit être faite équitablement et en conformité avec les exigences procédurales, tel que par exemple se soumettre à la procédure relative à l'exercice du choix du tribunal militaire, lorsque cette étape est applicable.

SECTION 3 - LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

26. Il est clair que la Charte canadienne des droits et libertés s'applique aux procès sommaires. Selon le raisonnement du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et les services d'enquête de la police militaire : « …ce système [de justice militaire] doit être conforme avec notre Constitution, y compris la Charte canadienne des droits et libertés »27. Il est important de noter que les personnes qui sont assujetties au Code de discipline militaire le sont conformément aux principes de la Charte.

« Il est donc évident pour nous qu'il y a, particulièrement chez les militaires du rang et les membres plus jeunes des Forces canadiennes, des attentes différentes du système de justice militaire, si l'on utilise cette expression dans son sens le plus large possible. Ces hommes et ces femmes ont grandi à l'ère de la Charte canadienne des droits et libertés qui a été édictée au Canada en 1982. Ils ne connaissent peut-être pas les détails de ce document-clé, mais ils savent qu'il protège les principes fondamentaux de la liberté d'expression et de l'égalité de traitement et qu'il s'applique à tous les citoyens canadiens.»28

27. L'importance de la Charte ne peut pas être exagérée. Elle est le reflet des droits de la personne reconnus tant au niveau du droit international humanitaire que par les traités relatifs au droit des conflits armés29.

28. Le droit à une audition équitable est directement protégé par deux articles de la Charte : l'article 7 (vie, liberté et sécurité de la personne) et l'article 11 (affaires criminelles et pénales). L'application de ces dispositions de la Charte dépend en partie du type d'infraction ainsi que de la nature et de la gravité des peines qui peuvent être imposées par le tribunal en question30. Les droits protégés par la Charte ne sont pas absolus.

Article 7 de la Charte – Principes de justice fondamentale

29. Sous la rubrique « Garanties juridiques » de la Charte, l'article 7 prévoit : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

30. Les principes de justice fondamentale doivent être respectés dans toute procédure où la vie, la liberté et la sécurité d'une personne sont en cause. Le droit d'un accusé à la liberté peut être affecté par un procès sommaire lorsque la détention est une peine possible31.

31. L'expression « justice fondamentale » n'est pas définie dans la Charte et les tribunaux n'ont pas encore développé une définition complète. Néanmoins, il est reconnu que certains principes de justice fondamentale sont de nature procédurale32.

32. Il a été reconnu que si un accusé était privé d'un droit prévu aux articles 8 à 14 de la Charte, il y aurait alors, selon les circonstances, une atteinte aux principes de justice fondamentale33. Ce concept inclut le droit de ne pas être détenu ou emprisonné de façon arbitraire, d'être présumé innocent et de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même dans toute poursuite intentée contre soi. Le droit contre l'auto-incrimination et le droit au silence sont issus du droit de ne pas être appelé à témoigner contre soi-même34.

Article 11 de la Charte – Procédures en matières criminelles et pénales

33. L'article 11 de la Charte contient certaines dispositions qui portent sur l'équité procédurale. Par exemple, l'article 11(d) précise :

11. Tout inculpé a le droit : …
(d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable.

34. Ainsi, les droits fondamentaux des justiciables militaires doivent être évalués en tenant compte du besoin unique de maintenir une force armée disciplinée, comme le conclut le Rapport du Groupe consultatif spécial dans son étude du droit d'être traduit en justice par un tribunal indépendant et impartial conformément à l'article 11(d) de la Charte. Le Groupe consultatif spécial a conclu que la chaîne de commandement doit être directement impliquée dans la conduite des procès sommaires. Les membres du Groupe étaient d'avis que cette approche était justifiable sous la Charte malgré le fait que les officiers présidant les procès sommaires n'étaient ni indépendants, ni impartiaux dans le sens juridique de ces termes. Le Groupe consultatif spécial a précisé :

« Puisque les officiers qui président les procès sommaires ne sont pas nécessairement impartiaux du fait qu'ils peuvent connaître l'accusé et avoir un intérêt direct dans le résultat du procès, nommément le bien-être de leur unité, nous croyons qu'ils devraient davantage être écartés d'une participation active à certains dossiers qu'ils ne le sont présentement. […] À notre avis, l'impartialité de la procédure sommaire serait rehaussée si les commandants étaient systématiquement écartés du processus d'enquête et d'accusation. Par contre, ils continueraient de réviser le dossier y compris tout rapport d'enquête et toute inculpation, immédiatement avant de décider si le dossier devrait être jugé sommairement ou si l'affaire devrait être renvoyée en cour martiale »35.

35. L'exigence pour l'officier présidant un procès sommaire de prêter serment36, l'interdiction d'ingérence des autorités supérieures37 ainsi que la restriction à la compétence de l'officier présidant un procès sommaire lorsqu'il a déjà posé des gestes préalables au procès38 sont autant de mesures qui soutiennent l'argument sous l'article 1 de la Charte que l'atteinte au droit d'un accusé d'être traduit en justice devant un tribunal indépendant et impartial est justifiée.

Article 1 de la Charte

36. Lors de l'évaluation de l'application de la Charte au procès sommaire, il faut se souvenir que les droits garantis par le droit canadien ne sont pas illimités. Tel que le prévoit l'article 1 de la Charte : « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ». Par conséquent, même s'il était possible de prétendre qu'une partie d'un procès sommaire porte atteinte aux droits protégés par les articles 7 et 11 de la Charte, les dispositions de la LDN et des ORFC sont conçues pour respecter ces limites. En conséquence, le processus du procès sommaire serait sûrement toujours maintenu39.

37. Il s'ensuit que toute discussion relative à l'application de la Charte au procès sommaire devrait se faire en gardant à l'esprit les objectifs et les exigences spécifiques de la discipline au sein des FC. Un officier présidant doit agir équitablement mais il doit aussi satisfaire aux exigences du service militaire afin de maintenir une force armée disciplinée. Le « …militaire doit être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace »40. Par conséquent, il y aura des moments où les normes de l'équité appliquées à un procès sommaire seront différentes de celles applicables en cour martiale ou dans les cours criminelles civiles.

La renonciation et le droit d'opter pour une cour martiale

38. Le droit d'opter pour une cour martiale41 et le droit à l'assistance d'un avocat avant de prendre cette décision42 sont incorporés aux procédures du procès sommaire afin de permettre à l'accusé de renoncer à son droit à un procès devant une cour martiale43. Cette renonciation doit être claire et non équivoque. La personne doit faire cette renonciation en pleine connaissance de cause44. Dans l'affaire Korponay c. P.-G. Canada45, la Cour suprême du Canada précisé que :

« …si cette renonciation doit être valide…il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce à cette procédure conçue pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger et de l'effet de la renonciation à ces droits sur le déroulement de la procédure…les facteurs dont [le juge] tiendra compte pour décider si l'accusé a de façon claire et non équivoque pris une décision éclairée de renoncer à ses droits varieront en fonction de la nature de la règle de procédure en cause et de l'importance du droit qu'elle vise à protéger »46.

39. Dans la plupart des cas, un accusé a le droit d'opter d'être jugé par une cour martiale, laquelle lui fournit des garanties juridiques procédurales et fondamentales plus complètes. Les exigences d'inscrire le choix de l'accusé au procès-verbal de procédure disciplinaire et d'indiquer que l'accusé a eu l'occasion de consulter un avocat sont conçues pour s'assurer que l'officier présidant le procès sommaire confirme que l'accusé a fait un choix éclairé avant de choisir de procéder par la voie du procès sommaire.47 Avant de débuter le procès sommaire, l'officier présidant le procès sommaire devrait confirmer avec l'officier délégué qu'il ou qu'elle s'est assuré que l'accusé a été avisé du contenu de l'article 108.14 des ORFC, entre autres sur les différences qui existent entre un procès sommaire et une cour martiale.

SECTION 4 OBLIGATIONS DES PARTICIPANTS DANS LE PROCESSUS DISCIPLINAIRE

40. Tel qu'indiqué auparavant, le rôle du procès sommaire est d'avoir un système permettant la gestion rapide et efficace des manquements à la discipline au sein de l'unité. Aucun des participants à ce processus disciplinaire : l'officier présidant le procès sommaire, l'accusé, l'officier désigné pour aider l'accusé ou le personnel de l'unité qui dépose les accusations, qui procède à l'arrestation ou qui est impliqué dans le procès sommaire, n'a besoin d'être avocat(e) ou un érudit de la Charte. Cependant, il existe tout de même une obligation claire de respecter et de protéger les droits constitutionnels de l'accusé ainsi que d'agir équitablement tout au long du procès sommaire.

41. Cette obligation peut être pleinement satisfaite par l'étude, l'apprentissage et l'application éclairée de la LDN et des ORFC dans tous les aspects relatifs aux infractions d'ordre militaire. La capacité de l'officier présidant de satisfaire à cette obligation sera augmentée lorsqu'il aura complété la formation préalable à l'attestation des officiers présidant (FAOP). Pour les autres militaires, l'inscription aux autres programmes de formation et un engagement de leur part de traiter toutes les personnes de façon équitable permettra d'assurer que les droits et les autres obligations constitutionnelles seront respectés.


Notes en bas de page

1 Martineau c. Matsqui Institution (No. 2), (1979) 106 D.L.R. (3e) 385.

2 Voir Sara Blake, Administrative Law in Canada, 2e éd., Toronto : Butterworths, 1997, p. 86.

3 S.A. De Smith, Juridicial Review of Adminstrative Action, 4e éd. Par J.M. Evans, London : Stevens, 1980, p. 158.

4 Sara Blake, op. cit., note 2, p. 9.

5 Newfoundland Telephone Co. c. Newfoundland (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, 636.

6 Rapport du Groupe de travail sur le procès sommaire, tome 1, 2 mars 1994, p. 74-75.

7 ORFC 108.20 (2).

8 LDN, art. 163 (2); ORFC 108.09.

9 Le cas Painter c. Liverpool Gas Light Co., (1936) 3 A&E, 433 a plus ou moins établi la règle relative à l'avis qu'il faut donner et l'occasion d'être entendu. La règle a été définie par le juge McRuer dans le « First McRuer Report », tome 1, à la p. 137, tel que cité dans The Canadian Legal System (3d), Gerald L Gall, Toronto : Carswell, 1990, à la p. 360 (note 25) et comprend les éléments suivants :

  1. Un avis de l'intention de rendre une décision devrait être fournie à la partie dont les intérêts sont susceptibles d'être affectés.
  2. La partie dont les intérêts sont susceptibles d'être affectés devrait être suffisamment renseignée afin de pouvoir y faire une réplique convenable.
  3. Une audience véritable devrait être tenue lors de laquelle la partie qui y est sujette prend connaissance des allégations portées contre elle et a l'occasion d'y répondre.
  4. La partie sujette aux procédures devrait avoir le droit de contre-interroger la partie qui dépose la preuve à l'encontre de ses intérêts.
  5. Une demande d'ajournement raisonnable permettant à la partie de se préparer et de rassembler sa preuve devrait être accordée.
  6. Le tribunal qui rend la décision devrait être le même qui a entendu la preuve et les arguments.

10 Desjardins c. Bouchard, (1982) 51 N.R. 204, 214 (F.C.A.).

11 ORFC 108.15.

12 ORFC 108.20.

13 Id.,108.14 (note B).

14 Id.,108.045 et 116.02; Loi sur la cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, art. 18.1.

15 Sara Blake, op. cit., note 2, p. 82-83.

16 Padfield c. Minister of Agriculture, Fisheries & Food, [1968] A.C. 997, 1030 (H.L.), appliquée dans Oakwood Developments Ltd. c. St François Xavier (Rural Municipality) (1985), 61 N.R. 321, 331 (C.S.C.).

17 ORFC 108.20 (3)(a).

18 Sara Blake, op. cit., note 2, p. 81.

19 ORFC 108.02. Voir aussi ORFC 101.07 qui prévoit : « Lorsque au cours de procédures intentés en vertu du Code de discipline militaire se produit une situation que ne prévoient ni les ORFC ni les ordres ou directives données au Forces canadiennes par le chef de l'état-major de la défense, on suit la méthode qui semble la plus susceptible de rendre justice ».

20 ORFC 1.095.

21 Sara Blake, op. cit., note 2, p. 84-85.

22 ORFC 108.45. Voir le Chapitre 15 - La révision des verdicts et des peines, pour des informations détaillées sur le processus de révision.

23 LDN, art. 162; ORFC 107.08.

24 ORFC 108.02.

25 Charte canadienne des droits et libertés, art. 11 (b). La majorité dans la décision R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, 59 C.C.C. (3d) 449, 79 C.R. (3d) 273 à la p. 474 du jugement rendu par le juge Cory: « Bien que le but premier de l'alinéa 11b) soit la protection des droits individuels et la prestation de la justice fondamentale aux accusés, il comporte aussi implicitement, selon moi, un droit collectif ou social. Ce droit collectif a un double aspect. Premièrement, la société a un intérêt à s'assurer que ceux qui transgressent la loi soient traduits en justice et traités selon la loi. Deuxièmement, les personnes appelées à subir leur procès doivent être traitées avec justice et équité. » Dans un contexte militaire, le droit collectif devrait sans doute inclure les exigences de conduire l'affaire promptement à procès afin que la discipline de l'unité à l'intérieur de la communauté militaire soit restaurée.

26 Le Nouveau Petit Robert, Édition 2002.

27 Rapport du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et les services d'enquête de la police militaire, 14 mars 1997, p. 9.

28 Id., p. 11. Voir également les opinions juridiques de l'annexe F de ce rapport aux pp. 6 et 7; R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541.

29 Voir la Déclaration universelle des droits de la personne, 10 décembre 1948, les Conventions de Genève, l'Entente internationale sur les droits politiques et civils, (1966) 999 U.N.T.S. 171 et le Protocole additionnel I des Conventions de Genève du 12 août 1949 , art. 75.

30 Wigglesworth c. R., (1987) 37 C.C.C. (3d), 383 (C.S.C.). Voir aussi : Re Howard and Presiding Officer of Inmate Disciplinary Court of Stony Mountain Institution, (1985) 19 C.C.C. (3d), 197 (C.A.F.).

31 Pour réviser le concept de la liberté dans le contexte militaire, voir le Rapport du Groupe de travail sur le procès sommaire, op. cit., note 6, pp. 119-124; P. Rowe, The Loss of Liberty in a Military Context. Summary Proceedings in the British Armed Forces, dans Rapport du Groupe de travail sur le procès sommaire, op. cit., note 6, onglet E.

32 Reference re Section 94 (2) of the B.C. Motor vehicle Act, R.S.B.C., [1985] 2 R.C.S. 486, cité par Evans J.M., « The Principles of Fundamental Justice : The Constitution and the Common Law »(1991) 29 Osgoode Law Journal 51. Toutefois, la justice fondamentale n'est pas limitée aux principes de justice naturelle étant donné que même si de nombreux principes de justice fondamentale sont de nature procédurale, ils ne se limitent pas à des garanties procédurales. Les principes de justice fondamentale se retrouvent non seulement dans les notions de base et les fondations de notre processus judiciaire, mais aussi dans les composantes du système juridique au sens large.

33 Reference re Section 94 (2) of the B.C. Motor vehicle Act, R.S.B.C., [1985] 2 R.C.S. 486, 500-504. Voir l'annexe A, quant aux articles 7-14 de la Charte.

34 Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11 (c) & (d).

35 Rapport du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et les services d'enquête de la police militaire, op. cit., note 27, pp. 55 et 56.

36 ORFC 108.20 (2).

37 Id., 108.04.

38 Id., 108.09.

39 Les recommandations du Groupe de travail sur les procès sommaires du 25 mars 1994, sur les lesquelles sont fondées de nombreuses modifications au procès sommaire en 1997 et 1998, visent spécifiquement la constitutionnalité du procès sommaire et les justifications envisagées selon l'article 1 de la Charte. Les travaux du Conseil consultatif spécial sur la justice militaire et les services d'enquête de la police militaire se fondaient en partie sur le rapport de ce groupe.

40 R. c. Généreux, [1992] 2 R.C.S. 259, 293.

41 ORFC 108.17.

42 Id., 108.18

43 Voir Clarkson c. R., [1986] 1 R.C.S. 383, Korponay c. P.-G. Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, R. c. Manninen, (1987) 58 C.R. (3rd) 97 (C.S.C.), R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173 et Middendorf c. Henry, 425 U.S. (1976). Une discussion plus détaillée du concept de la « renonciation » à un droit et son application au procès sommaire se fait dans le rapport du Groupe de travail sur les procès sommaires, 25 mars 1994, tome 1, aux pp. 209-226.

44 M.L. Friedland, Contrôle de l'inconduite dans les forces armées, Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 1997, pp. 98-100.

45 Korponay c. P.-G. Canada, [1982] 1 R.C.S. 41.

46 Id. pp. 49-50.

47 Rapport du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et les services d'enquête de la police militaire, op. cit., note 27, annexe F, pp. 15 et 16.

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