Chapitre 3 — Justice militaire : Rétrospective de l’année
Introduction
Le présent chapitre porte sur les principaux développements survenus en matière de justice militaire au cours de la période visée par le rapport en matière de jurisprudence des cours martiales. Dans les rapports annuels précédents, le chapitre 3 a inclus un résumé des principales causes, ainsi que les nouveaux développements législatifs et d’autres initiatives stratégiques. Dans le rapport de cette année, le présent chapitre mettra l’accent sur les développements jurisprudentiels. Les modifications législatives, les examens externes et indépendants et les initiatives stratégiques seront examinés en détail au chapitre 4.
Jurisprudence
Décisions importantes de la Cour martiale
Constitutionnalité des articles 278.92 à 278.94 du Code criminel
Au cours de la période visée par le présent rapport, la constitutionnalité des articles 278.92, 278.93 et 278.94 du Code criminelNote de bas de page 1 du Canada a été contestée par les militaires accusés dans plusieurs affaires. Ces articles sont entrés en vigueur par le projet de loi C‑51 en 2018Note de bas de page 2 qui a modifié les dispositions du Code criminel qui régissent l’admissibilité des éléments de preuve des antécédents sexuels d’un plaignant dans le cadre de procès portant sur des agressions sexuellesNote de bas de page 3.
Les contestations constitutionnelles portées devant les cours martiales au cours de la période visée par le rapport reflétaient des contestations semblables portées devant les tribunaux civils de première instance dans tout le pays. Des douzaines de décisions contradictoires dans un certain nombre de tribunaux provinciaux de première instance ont donné lieu à une mosaïque de décisions, lesquelles ont confirmé ou invalidé les nouvelles dispositions. Même si elle est en dehors de la période visée par le rapport, la question a finalement été tranchée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire civile R c J.J. le 30 juin 2022, qui a confirmé la constitutionnalité des articles 278.92 et 278.94 du Code criminelNote de bas de page 4.
R c Tait, 2021 CM 2009
Dans l’affaire R c Tait Note de bas de page 5 de la Cour martiale, l’accusé a contesté la constitutionnalité des articles 278.93 et 278.94 du Code criminel aux motifs qu’ils portaient atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière en vertu de l’article 7 de la Charte et à son droit à un procès équitable en vertu de l’alinéa 11d) de la CharteNote de bas de page 6. L’accusé a affirmé en termes généraux que l’effet cumulatif des dispositions créait un fardeau important consistant à présenter des éléments de preuve, obligeait l’accusé à révéler prématurément sa stratégie de procès et minait par la suite le contre‑interrogatoire du plaignant, portant ainsi atteinte aux droits qui lui sont conférés par la CharteNote de bas de page 7.
En dernier ressort, la contestation fondée sur la Charte a été rejetée, la juge militaire estimant que la procédure prévue par la loi contestée « peut être appliquée d’une manière compatible avec le principe de protection contre l’auto‑incrimination, le droit à un procès équitable et les droits de la plaignante à la protection de la vie privée et à l’égalité »Note de bas de page 8. Afin de parvenir à sa décision, la juge militaire a examiné la portée de la procédure modifiée, a précisé que la plaignante a droit à une divulgation complète des documents relatifs à la demande à la fin de la première phase de demandeNote de bas de page 9 et a conclu que la capacité de la plaignante à contre‑interroger pendant l’audience sur l’admissibilité devrait être limitée par le juge de première instance aux éléments de preuve particuliers afin de réduire au minimum le risque de divulguer les moyens de défense de l’accusé, tout en permettant à la plaignante de défendre ses intérêts privésNote de bas de page 10. En outre, la juge militaire a estimé que les juges de première instance devraient avoir le pouvoir discrétionnaire de déterminer le moment où un avis de demande est fourni au plaignant afin d’équilibrer et de préserver les droits de participation du plaignant et les droits de l’accusé relatifs au procèsNote de bas de page 11.
Dans sa décision, la juge militaire a fait observer que les tribunaux de première instance dans tout le pays étaient divisés sur la question de savoir si les dispositions modifiées résistaient à un examen constitutionnel et qu’il n’existait aucune décision de la cour d’appel à cet égard. Dans le système de justice militaire, la décision rendue dans R c Tait a confirmé la constitutionalité des articles 278.93 et 278.94 du Code Criminel. Le raisonnement de la cour a été suivi dans les affaires de la Cour martiale R c StewartNote de bas de page 12 et R c Kohlsmith et Zapata‑ValesNote de bas de page 13.
Administrer des substances délétères
R c Cogswell, 2021 CM 2017Note de bas de page 14
Même si les circonstances au cœur de la décision rendue dans Cogswell sont survenues avant la légalisation du cannabis récréatif au Canada, l’affaire demeure digne de mention à des fins d’examen par le juge militaire des risques associés à la consommation du cannabis ou de toute autre substance potentiellement délétère pendant les exercices et les opérations militaires. En outre, la décision est pertinente à l’évaluation judiciaire des éléments de preuve circonstanciels.
Le 21 juillet 2018, une unité (W) de l’École du Régiment royal de l’Artillerie canadienne devait participer à un entraînement au tir réel pendant l’exercice commun des artilleurs à la Base des Forces canadiennes à Gagetown, au Nouveau‑Brunswick. La bombardière Cogswell, qui avait été affectée à la cantine mobile de l’unité, a distribué des petits gâteaux aux militaires de deux détachements d’armes situés séparément. Peu de temps après, huit soldats ont signalé divers symptômes liés à l’ingestion de cannabis, certains pendant qu’ils conduisaient des véhicules lourds et transportaient des pièces d’artillerie. Étant donné que certains des soldats commençaient à soupçonner l’intoxication au cannabis, le commandant de l’École du Régiment royal de l’Artillerie canadienne a demandé une enquête par la police militaire sur la question. Des échantillons d’urine ont été soumis volontairement par cinq des soldats concernés, tous positifs pour les métabolites de la marijuana. De même, un des emballages des petits gâteaux a été obtenu et des tests de dépistage ont révélé la présence de tétrahydrocannabinol. L’accusée a par la suite été accusée d’un chef de conduite déshonorante en vertu de l’article 93 de la Loi sur la défense nationale, de huit chef d’accusation en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, notamment administrer une substance délétère en violation de l’alinéa 245(1)b) du Code criminel, et de neuf chefs de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, en tant que subsidiaires des autres chefs d’accusation.
Les éléments de preuve présentés au procès pour établir l’élément « administrer » étaient de nature circonstancielle, tandis que les éléments de preuve directs ont été utilisés pour établir la distribution réelle de la supposée substance délétère par l’accusée. Le principal problème était le fait que personne n’a vu l’accusée mettre du cannabis dans les petits gâteauxNote de bas de page 15. Dans les affaires comportant des éléments de preuve circonstanciels, le juge des faits ne peut pas condamner l’accusé, à moins que les conclusions possibles tirées des éléments de preuve circonstanciels ne laissent aucun doute raisonnable concernant la culpabilité de l’accuséNote de bas de page 16.
La juge militaire était convaincue, hors de tout doute raisonnable, que l’accusée avait ajouté le cannabis aux petits gâteaux. Afin de parvenir à sa décision, elle a examiné les éléments factuels communs des chefs d’accusation dans l’ordre, en commençant par établir que les victimes avaient consommé du cannabis ce jour‑là. Cette conclusion était fondée sur l’effet combiné des tests d’urine, les éléments de preuve non réfutés selon lesquels deux victimes n’avaient jamais consommé de cannabis avant d’avoir obtenu les résultats positifs, et l’improbabilité que les victimes se soient par ailleurs volontairement soumises à des tests de dépistage de drogues, compte tenu des répercussions légales qui auraient pu survenir à la suite d’un résultat positif pour toute autre drogue interditeNote de bas de page 17. Ensuite, la juge militaire a examiné la question de savoir si les petits gâteaux étaient la source du cannabis. La consommation des petits gâteaux a été considérée comme la seule source plausible d’intoxication parce qu’ils étaient le seul dénominateur commun entre les soldats aux deux emplacements visités par la cantine mobileNote de bas de page 18. Enfin, la juge militaire a examiné la question de savoir si, en confectionnant les petits gâteaux, l’accusée y avait mis du cannabis. Même si la défense a affirmé que d’autres soldats auraient pu utiliser des compte‑gouttes pour ajouter le cannabis aux petits gâteaux avant d’être consommés, la juge militaire a rejeté cette affirmation étant donné l’improbabilité qu’une personne avec un compte‑gouttes ait intercepté et contaminé chacun des petits gâteaux à deux emplacements différentsNote de bas de page 19. De plus, compte tenu des motifs de l’accusée, de ses connaissances et de son accès aux produits du cannabis, ainsi que de son comportement lorsqu’elle distribuait les petits gâteaux, la juge militaire était convaincue, hors de tout doute raisonnable, que l’accusée avait ajouté le cannabis aux petits gâteauxNote de bas de page 20.
La bombardière Cogswell a été reconnue coupable et condamnée à une sentence d’incarcération de 30 jours, à la destitution du service de Sa Majesté et à une rétrogradation au grade d’artilleuseNote de bas de page 21. Elle a interjeté appel, et il est à noter que, même si cela ne relève pas de la période visée par le rapport, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada a rejeté l’appel le 31 mai 2022Note de bas de page 22.
Décisions de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada
Contexte des demandes fondées sur l’alinéa 11d) et appels connexes
Au cours de la période visée par le rapport précédent, les décisions contestant l’indépendance et l’impartialité des juges militaires ont dominé la jurisprudence des cours martialesNote de bas de page 23. Dans 16 affaires, les militaires accusés ont présenté des demandes fondées sur la Charte visant à contester l’indépendance des juges militaires. Toutes les affaires portaient sur une question centrale commune, à savoir si l’indépendance judiciaire exigeait que les juges militaires ne soient pas assujettis au code de discipline militaire afin de se conformer à l’alinéa 11d) de la CharteNote de bas de page 24.
Le Directeur des poursuites militaires a interjeté appel des décisions R c Edwards, R c Crépeau, R c Fontaine, R c Iredale (Edwards et al.), R c Proulx et R c Cloutier devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada qui a été entendu le 29 janvier 2021Note de bas de page 25.
Les appels dans les procès R c Proulx et R c Cloutier (R c Proulx et al.) ont été entendus conjointement le 11 mars 2021. Ces appels portaient sur la question de savoir si le poste de juge militaire en chef au sein de la hiérarchie militaire porte atteinte aux droits de l’accusé conférés par l’alinéa 11d) de la Charte.
La décision de la Cour d’appel de la cour martiale dans Edwards et al. a été publiée pendant la période visée par le présent rapport le 11 juin 2021 et son raisonnement a servi de base à la décision ultérieure de la Cour d’appel de la cour martiale dans R c Proulx et al. le 17 juin 2021.
Les affaires R c ChristmasNote de bas de page 26 et R c BrownNote de bas de page 27 ont été portées en appel devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada et des décisions ont été rendues le 13 janvier 2022 et le 8 février 2022, respectivement. Dans chaque affaire entendue par la Cour d’appel de la cour martiale du Canada portant sur la question concernant l’alinéa 11d), la Cour a accueilli les appels, a infirmé les conclusions des cours martiales et a confirmé que les juges militaires étaient effectivement assujettis au code de discipline militaire.
Par conséquent, la période visée par le présent rapport commencera par une discussion sur R c Edwards et al.
R c Edwards et al., 2021 CAMC 2
Dans la décision R c Edwards et al., rendue le 11 juin 2021, la question en appel était de savoir si le statut des juges militaires en tant qu’officiers assujettis au code de discipline militaire et leur statut au sein de la chaîne de commandement militaire les rend vulnérables à l’ingérence, réelle ou perçue, de manière à porter atteinte aux droits d’un accusé devant une cour martiale qui lui sont conférés par l’alinéa 11d) de la CharteNote de bas de page 28. Dans ses motifs du jugement, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada a exprimé cette question fondamentale sous la forme de deux principales questions à analyser : la question de savoir si un ordre particulier donné par le chef d’état‑major de la défense (CEMD) en date du 2 octobre 2019 contrevenait à l’alinéa 11d) de la Charte et si certains articles de la Loi sur la défense nationale qui soutiennent légalement la création d’ordres militaires contrevenaient également à l’alinéa 11d) de la Charte concernant les juges militaires.
Dans une décision unanime, la Cour a conclu que l’ordre du CEMD en cause ne contrevenait pas à l’alinéa 11d) de la Charte. La Cour a fait remarquer qu’une séparation complète entre les fonctions judiciaire et exécutive n’est pas réaliste en droit canadien et qu’elle n’a pas besoin d’être absolue pour empêcher l’arrangement prévu dans le système de justice militaire lorsqu’un fonctionnaire judiciaire est à la fois un juge et un officier des Forces armées canadiennesNote de bas de page 29. Afin de parvenir à sa décision, la Cour a attiré l’attention sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada portant sur l’indépendance et l’impartialité judiciaires, qui n’exige pas l’indépendance absolue ni n’exige le respect d’une norme idéale, mais exige plutôt une évaluation judiciaire de l’indépendance et de l’impartialité institutionnelles en tant qu’exercice contextuelNote de bas de page 30. Une évaluation appropriée de la Charte exige une sensibilité au rôle et à la fonction des cours martiales, les justifications constitutionnelles acceptées pour le système de justice militaire et l’examen d’autres facteurs qui influent sur l’impartialité des juges militairesNote de bas de page 31. La Cour a conclu que le système de justice militaire a été créé dans le but de promouvoir la discipline, de favoriser l’efficacité et de maintenir le moral au sein des Forces armées canadiennes. Cela exige un système de justice militaire opérationnel et itinérant, ce qui comprend le respect du code de discipline militaire par les juges militaires.
Après avoir décidé que les juges militaires peuvent être à la fois des fonctionnaires judiciaires et des officiers assujettis au code de discipline militaire, la Cour a conclu que l’argument selon lequel les articles 12, 18 et 60 de la Loi sur la défense nationale (ou toute autre disposition qui confère un pouvoir organisationnel) contreviennent à l’alinéa 11d) de la Charte sur ce sujet n’était pas fondé. De même, la Cour a conclu que cette question n’est pas fondée lorsqu’elle est examinée du point de vue approprié de la Cour suprême du Canada qui a affirmé à maintes reprises la constitutionnalité des militaires jugés par des officiers militairesNote de bas de page 32.
R c Proulx et al., 2021 CAMC 3Note de bas de page 33
L’importance de la décision Edwards et al a été renforcée par la publication de la décision de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada dans R c Proulx et al le 17 juin 2021. En se fondant sur les mêmes motifs établis dans Edwards et alNote de bas de page 34, la Cour a rejeté tous les motifs d’appel. La Cour a également attiré l’attention sur l’autorité judiciaire existante conférée au juge militaire en chef concernant l’affectation des juges et l’administration de la cour et a fait écho à la décision antérieure de la Cour martiale dans R c Proulx en faisant remarquer que le système de justice militaire respecte les exigences fondamentales de l’indépendance institutionnelle établies dans la jurisprudence pertinente de la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 35.
R c Christmas, 2022 CAMC 1
Le 13 janvier 2022, la Cour, pour les mêmes motifs que ceux établis dans Edwards et al et Proulx et al, a accueilli l’appel, a levé la suspension des procédures et a ordonné la poursuite du procès.
R c Brown, 2022 CAMC 2
Le 8 février 2022, la Cour, pour les mêmes motifs que ceux établis dans Edwards et al et Proulx et al, a accueilli l’appel, a levé la suspension des procédures et a ordonné la poursuite du procès.
Décisions en appel portant sur l’alinéa 11d) – Appel interjeté devant la Cour suprême du Canada
Avant la fin de la période visée par le rapport, l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été demandée à l’égard de toutes les décisions de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada concernant l’indépendance judiciaire en vertu de l’alinéa 11d) de la CharteNote de bas de page 36. Il convient de noter que, dans une annonce publiée après la période visée par le rapport, en février 2023, la Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’interjeter appel de toutes les affaires.
R c Champion, 2021 CAMC 4
La décision dans R c Champion a affiné l’interprétation de l’imposition des conditions de libération en l’absence d’accusation et a clarifié le système de justice militaire sur les principes régissant la détention avant procès en droit militaireNote de bas de page 37. Dans cette affaire, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada a affirmé que les participants du système de justice militaire peuvent imposer des conditions de libération à un militaire détenu même lorsqu’une accusation n’a pas encore été portée en se fondant sur les principes de retenue, de nécessité et de caractère raisonnableNote de bas de page 38.
Le matelot de troisième classe Champion (le matelot Champion) a été arrêté le 13 novembre 2020 pour ivresse présumée. Il a été libéré par un officier réviseur sous conditions, notamment qu’il demeure consigné à baraque et qu’il demeure sobre. Le matelot Champion a été arrêté deux jours plus tard pour manquement présumé à ces conditions. Par la suite, il est demeuré détenu par la police militaire jusqu’au 17 novembre 2020, moment auquel il a comparu devant un juge militaire pour une audience sur sa remise en liberté. Au moment de l’audience, aucune accusation n’avait été portée contre le matelot Champion.
À l’audience, il a été soutenu, au nom du militaire arrêté, que, conformément à la décision de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada de 2001 dans R c LarocqueNote de bas de page 39, la personne arrêtée qui comparaît à une audience sur sa remise en liberté doit être libérée sans condition si elle ne fait l’objet d’aucune accusation. Le juge militaire ne souscrivait pas à cette interprétation du droit militaire et a libéré l’accusé sous conditions. Par la suite, des accusations ont été portées le 23 novembre 2020. Dans les jours qui ont suivi, le commandant de l’accusé a décidé de ne pas donner suite aux accusationsNote de bas de page 40.
La Cour a profité de l’occasion pour examiner davantage les obligations légales imposées aux juges militaires lors des audiences sur la remise en liberté. La Cour a fait observer que les juges militaires et les participants du système de justice militaire doivent être guidés par des principes de justice fondamentale en évitant les retards injustifiés et en imposant seulement des conditions qui font preuve de retenue et qui sont clairement énoncées, nécessaires et raisonnables dans les circonstances. La Cour a conclu que les conditions imposées et le retard pris dans le dépôt des accusations dans cette affaire ne violaient pas les principes de justice fondamentaleNote de bas de page 41.
De plus, la Cour a fait observer que l’absence de critères légaux pour les juges militaires dans la Loi sur la défense nationale (concernant l’imposition de conditions lors des audiences sur la remise en liberté lorsqu’aucune accusation n’a été portée) donne aux juges militaires la souplesse dont ils ont besoin pour répondre aux besoins uniques de la justice militaire et « pour le faire en se fondant sur leur propre expérience et leur propre connaissance de l’armée »Note de bas de page 42.
Enfin, la Cour a estimé que, même si l’imposition de conditions de libération pouvait être interprétée comme une privation de liberté en vertu de l’article 7 de la Charte d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale, la décision du juge militaire ou d’un autre acteur de la justice militaire pouvait être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte. La capacité de détenir un militaire qui ne fait l’objet d’aucune accusation pendant une période maximale de 72 heures avant de comparaître devant un juge militaire constitue une limite raisonnable prescrite par la loi et dont la justification se démontre dans le cadre d’une société libre et démocratiqueNote de bas de page 43.
R c Lévesque, 2021 CAMC 5
La principale question en appel devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada était le lieu où la peine d’emprisonnement devait être purgée. Par conséquent, la Cour a précisé le bien‑fondé de l’emprisonnement d’un délinquant dans une prison militaire après sa libération des Forces armées canadiennes, ainsi que la procédure pour déterminer où la peine d’emprisonnement doit être purgéeNote de bas de page 44. Dans cette affaire, les infractions ont été commises lorsque l’appelant était un militaire. Toutefois, il a été jugé et condamné à une peine d’emprisonnement de trois mois, qu’il devait purger dans une prison militaire après sa libération des Forces armées canadiennesNote de bas de page 45. L’appel a été accueilli et une ordonnance enjoignant l’appelant à purger sa peine dans une prison civile a été rendue.
L’article 114.06 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes précise que les peines d’emprisonnement de moins de deux ans doivent être purgées dans une prison militaire s’il est établi que les besoins du service l’exigent. Par conséquent, la peine d’emprisonnement dans une prison civile est la règle et la peine d’emprisonnement dans une prison militaire est l’exceptionNote de bas de page 46. C’est dans ce cadre réglementaire que l’appelant a fait valoir que les besoins du service ne pouvaient pas être interprétés de manière à exiger que les délinquants qui ne font plus partie des Forces armées canadiennes purgent leur peine dans une prison militaire.
La Cour n’a pas souscrit à une interprétation aussi étroite, estimant plutôt que diverses circonstances pourraient survenir dans lesquelles les besoins du service peuvent exiger l’incarcération dans une prison militaire même si le délinquant n’est plus militaire des Forces armées canadiennesNote de bas de page 47. La Cour a également précisé qu’une fois qu’une peine d’emprisonnement est prononcée, les parties aux audiences sur la détermination de la peine devraient être autorisées à présenter des arguments supplémentaires sur le lieu d’incarcération après l’imposition d’une peine d’emprisonnement. Dans le cas de l’appelant, il a été jugé qu’il aurait dû avoir l’occasion de présenter des arguments à son audience sur la détermination de la peine au sujet de l’incidence négative que l’emprisonnement dans une prison militaire aurait eu sur son traitement continu pour des problèmes de santé préexistantsNote de bas de page 48.
La Cour suprême du Canada
R c McGregor, 2020 CAMC 8
Cette affaire a été publiée pour la première fois dans le rapport annuel de 2020‑2021Note de bas de page 49. Le Cpl McGregor était en poste à Washington, D.C., et résidait à Alexandria, en Virginie, lorsqu’il a fait l’objet d’une enquête criminelle par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes après qu’un autre membre des Forces armées canadiennes ait découvert un dispositif d'enregistrement dans sa résidence. Le Service national des enquêtes des Forces canadiennes a demandé l’aide des services de police d’Alexandria pour exécuter un mandat de perquisition à la résidence du Cpl McGregor afin de saisir tout appareil électronique qui s’y trouvait.
À la suite de la perquisition, le Cpl McGregor a été arrêté et accusé. Au cours de son procès, le Cpl McGregor a présenté une requête en vertu du alinéa 24(2) de la Charte afin d’exclure les preuves obtenues lors de la perquisition et de la saisie. Le juge militaire a rejeté la requête et a déclaré que la Charte, en tant que loi canadienne, ne s’appliquait pas de façon extraterritorialeNote de bas de page 50. Il a fait appel de la décision devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada.
La principale question devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada était l’application de façon extraterritoriale de la Charte. Le caporal McGregor a soutenu que la Charte s’appliquait à la perquisition de biens immobiliers et de biens personnels dans le cadre de la souveraineté territoriale des États‑Unis. La décision de la Cour reposait sur le cadre analytique établi par la Cour suprême du Canada dans R c HapeNote de bas de page 51. Plus particulièrement, la jurisprudence précise que les mandats de perquisition, en tant qu’exercice essentiel de l’autorité souveraine d’un État, sont régis par les principes d’égalité souveraine, de non‑intervention et de courtoisie. La Cour s’est longuement prononcée sur la nature problématique de l’application de la Charte aux mesures prises par les autorités judiciaires ou policières étrangères, les obligeant ainsi à créer des procédures ponctuelles conformes à la Charte lors d’une enquête coopérative d’application de la loi. Les principes établis dans R c Hape empêchent l’application de la loi et des normes canadiennes aux perquisitions et saisies effectuées sur le territoire d’un autre ÉtatNote de bas de page 52. La Cour d’appel de la cour martiale du Canada a rejeté l’appel à l’unanimité.
Le caporal McGregor a déposé une demande d’autorisation de se pourvoir en appel devant la Cour suprême du Canada le 25 janvier 2021, dont l’autorisation de pourvoi a été accordée le 14 octobre 2021Note de bas de page 53. Les plaidoiries ont été entendues le 19 mai 2022. La Cour suprême du Canada a rejeté l’appel à l’unanimité après la période de référence. La décision de la Cour suprême du Canada sera discutée plus en détail dans le rapport annuel 2022-2023.
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