Chapitre 6 – Fondement théorique d’un système de cours martiales

6.1 Introduction

Comme il a été mentionné au chapitre 1, le but de la révision globale de la cour martiale est de procéder à une analyse juridique et stratégique de tous les aspects du système de cours martiales des FAC et, au besoin, d’élaborer et d’analyser des options permettant d’accroître l’efficacité, l’efficience et la légitimité du système.

Étant donné que les concepts d’« efficacité », d’« efficience » et de « légitimité » renvoient tous à la capacité de produire un résultat souhaité ou d’atteindre un objectif sous-jacent, il est impossible pour l’ERGCM d’évaluer le système de cours martiales actuel sous cet angle et d’analyser les options permettant de l’améliorer, sans d’abord comprendre les objectifs du système de cours martiales.

Le présent chapitre porte donc sur l’élaboration et la description d’un modèle théorique qui sera utilisé pour répondre à des questions importantes liées à l’objet et à la conception d’un système de cours martiales. Quel objectif le système devrait-il viser? Quels principes doivent sous-tendre ce dernier et quelles caractéristiques doit-il posséder pour que les objectifs recherchés soient réalisés? Les réponses à ce type de questions permettront d’élaborer un cadre de référence – qui servira dans les chapitres subséquents – pour évaluer le système actuel et les options permettant de l’améliorer ce dernier.

Ultimement, dans toute force militaire nationale efficace, les forces armées doivent être régies par des lois, des règlements et des ordonnances soutenant la capacité du gouvernement à les contrôler et à les utiliser en vue de réaliser des objectifs nationaux. Voilà pourquoi il convient d’assujettir le pouvoir et les autorités militaires à des limites sur le plan juridique : il faut s’assurer que les forces armées sont subordonnées au gouvernement à qui il revient de décider d’y recourir et veiller à ce qu’elles répondent efficacement aux besoins du gouvernement lorsqu’on fait appel à elles. Il en est de même pour les lois, les règlements et les ordonnances qui s’appliquent aux systèmes de justice militaire; ils doivent ultimement soutenir la capacité du gouvernement à contrôler et à utiliser les forces armées à l’endroit et au moment où elles sont requises pour servir les intérêts nationaux.

Comme on le verra ci-dessous, le gouvernement canadien,1 le Parlement du Canada,2 les tribunaux canadiens,3 les dirigeants des FAC,4 et les JAG5 qui se sont succédé ont tous affirmé que le système de justice militaire du Canada a pour objectif d’assurer l’ordre et le bien-être publics, de même que le respect de la discipline, afin de permettre au gouvernement de contrôler et d’utiliser les forces armées au moment et à l’endroit où cela est nécessaire.

Le système de procès sommaires actuel est surtout centré sur l’objectif disciplinaire du système de justice militaire, bien qu’il puisse incidemment soutenir l’objectif relatif à l’ordre et au bien-être publics, dans certains cas du moins dans l’exercice de la compétence conférée à l’égard de certaines infractions criminelles de droit commun et en imposant aux contrevenants des conséquences pénales. Dans des circonstances comme celles énoncées dans l’hypothèse no 1 (voir le chapitre 1), suivant laquellele système de procès sommaires des FACn’aurait pas compétence pour juger des infractions criminelles ni pour imposer de véritables conséquences pénales, il pourrait être perçu comme servant uniquement l’objectif disciplinaire du système de justice militaire.

En théorie, le système de cours martiales doit servir les deux objectifs du système de justice militaire, à promouvoir l’ordre et le bien-être publics et maintenir la discipline, quoique la mesure dans laquelle chacun de ces objectifs sera pris en compte variera selon les circonstances de chaque cas.

Pour arriver à servir l’objectif ultime de permettre au gouvernement de contrôler et d’utiliser efficacement les forces armées, le système de cours martiales doit reposer sur trois principes : l’efficacité, l’efficience et la légitimité. Diverses caractéristiques peuvent favoriser le respect de ces principes et lorsqu’elles sont présentes dans le système de cours martiales, elles renforcent la capacité de ce dernier à réaliser son objectif ultime.

6.2 L’objet du système de justice militaire du Canada

Dans l’analyse qui suit, l’ERGCM tentera de définir l’objet du système de justice militaire du Canada, puis, plus précisément, celui du système canadien de cours martiales. L’analyse présentée dans ce chapitre s’appuie sur des théories; au regard des pratiques, des perceptions (surtout celle des intervenants du système) et des résultats actuels, elle peut sembler ambitieuse dans la mesure où il s’agit d’une analyse tournée vers un système de cours martiales « idéal ». L’ERGCM déterminera ce qu’elle considère comme étant les objectifs fondamentaux de ces systèmes, en tenant compte des objectifs recherchés à ce jour et des objectifs qu’ils devraient permettre d’atteindre selon son évaluation.

Les FAC ont pour objet général de faire en sorte que le pouvoir militaire soit utilisé de manière à servir les objectifs nationaux, tant au Canada qu’à l’étranger.6 Le système de justice militaire doit favoriser la réalisation de cet objet. Par conséquent, l’ERGCM estime que l’objectif fondamental du système de justice militaire est de contribuer au maintien d’une force de combat efficace sur le plan opérationnel, que le gouvernement canadien peut utiliser et contrôler en vue d’atteindre ses objectifs nationaux.7 L’objectif de premier ordre est, en définitive, le même que celui généralement poursuivi par les lois, les règlements et les ordonnances militaires; par conséquent aucune exception ne devrait être permise en ce qui concerne les lois, les règlements et les ordonnances qui régissent le système de justice militaire.

Le fait de considérer le système de justice militaire d’abord et avant tout comme un outil qui soutient la capacité du gouvernement à contrôler et à utiliser les forces armées est conforme aux idées avancées dans les ouvrages faisant autorité. Cela facilite également l’élaboration d’un cadre analytique cohérent pour réfléchir à la justice militaire en tenant compte des deux objectifs secondaires que le système devrait permettre de réaliser selon l’ERGCM.

Le premier objectif secondaire concerne la discipline, sans laquelle il serait difficile, voire impossible, pour le gouvernement de contrôler et d’utiliser ses forces armées. Comme l’a expliqué le CEMD, « [l]a discipline confère à une force armée les moyens de réaliser son mandat au nom de l’État8 ». Dans le contexte militaire, le terme « discipline » désigne [traduction] « l’habitude d’obéissance aux ordres légitimes, même dans les situations où la personne soumise à l’ordre court un grave danger9 » ou « une attitude inculquée d’obéissance, de disposition à faire passer les intérêts d’autrui avant les siens, de respect de l’autorité légitime et de subordination à celle-ci ».10

Comme l’a souligné un historien, [traduction] « les soldats qui ignorent, contournent ou outrepassent les lois, les règlements et les ordonnances qui régissent les forces armées s’exposent au courroux du système de justice militaire, lequel a comme principal objectif de faire régner la discipline et de veiller à ce que les forces armées adoptent le comportement qu’on attend de leur part en situation de combat11 ». Plus récemment, la CSC a conclu à l’unanimité que l’objet actuel du « système de justice militaire dans son ensemble » est de « maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des troupes ».12

Par souci de simplicité, l’ERGCM désigne cet objectif du système de justice militaire comme étant l’objectif « disciplinaire ». Un système de justice militaire doit logiquement servir un objectif disciplinaire, étant donné que la discipline constitue une qualité hautement souhaitable au sein des forces armées. Un militaire obéissant, qui agit avec constance et célérité, en conformité avec les directives gouvernementales et internes, sera inévitablement plus efficace à servir les intérêts nationaux qu’un militaire moins obéissant et moins prompt à se conformer à ces mêmes directives. Par conséquent, un système (tel qu’un système de justice militaire) capable de promouvoir la discipline interne est susceptible d’améliorer l’efficacité globale des forces armées. La discipline permet également de s’assurer que les forces armées sont assujetties à un contrôle civil au sein d’une société libre et démocratique.

L’objectif qui consiste à maintenir l’ordre et le bien-être publics au sein du personnel militaire (ou à contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre au sein des forces armées) soutient également l’objectif plus fondamental qui vise à faire en sorte que le gouvernement puisse utiliser et contrôler les forces armées, au moment et à l’endroit voulus.13 Par exemple, il est sans doute plus facile pour des forces armées de s’entraîner et de se préparer pour l’ensemble du spectre des opérations militaires lorsque certaines conditions – notamment l’existence d’un environnement juste et sécuritaire nécessaire à l’entraînement et à la préparation – sont d’abord remplies. Le maintien de l’ordre et du bien-être publics au sein du personnel militaire contribue aussi, de façon plus générale, à assurer le respect de la primauté du droit.

Certains textes faisant autorité et certains facteurs donnent à penser que le système de justice militaire joue ou devrait jouer également un rôle de nature publique. La majorité des juges de la CSC dans R. c. Généreux ont observé que, « [c]ertes, le Code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennes, mais il ne sert pas simplement à réglementer la conduite qui compromet pareilles discipline et intégrité. Le Code joue aussi un rôle de nature publique, du fait qu’il vise à punir une conduite précise qui menace l’ordre et le bien-être publics14 . » Parallèlement, le législateur a aussi semblé vouloir faire en sorte que le système de justice militaire serve l’ordre et le bien-être publics lorsqu’il a récemment adopté une loi modifiant la LDN. Lorsque la disposition pertinente entrera en vigueur, elle énoncera deux objectifs tout aussi essentiels en matière de détermination de la peine au sein du système de justice militaire, à savoir « favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral » et « contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre15 ». Ce deuxième objectif fondamental de la détermination de la peine au sein du système de justice militaire reprend presque mot pour mot une disposition du Code criminel, qui définit l’objectif fondamental de la détermination de la peine dans le système de justice pénale civil au Canada.16

Comme le suggèrent ces textes faisant autorité, le système de justice militaire joue également un rôle de nature publique, qui diffère de celui qu’il joue à l’égard du maintien de la discipline militaire interne, étant donné que ce système (de par les résultats qu’il produit, du moins)17 fait certaines choses que les systèmes de justice pénale civils font également habituellement, comme protéger le public des menaces potentielles à la paix et à la sécurité publiques posées par les contrevenants. Par exemple, une cour martiale, tout comme un tribunal civil de juridiction criminelle, peut juger une personne assujettie au CDM pour une infraction criminelle de droit commun, même en l’absence d’un lien de connexité avec le service militaire (art. 130), et peut, en vertu de la LDN, condamner un contrevenant à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité [al. 139(1)a)]. Les cours martiales peuvent aussi rendre des ordonnances d’interdiction de port d’arme (art. 147.1), des ordonnances d’analyse génétique (art. 196.11-196.25), des ordonnances prévoyant la détention dans un hôpital d’une personne qui a été jugée non responsable pour cause de troubles mentaux (art. 202.16) et des ordonnances obligeant les contrevenants à se conformer aux dispositions de la LERDS (art. 227-227.21). Tous ces pouvoirs conférés à une cour martiale semblent servir l’objectif relatif à l’ordre et la sécurité publics, autant que les objectifs internes de discipline militaire.

Par souci de simplicité, l’ERGCM désigne cet autre objectif du système de justice militaire comme étant l’objectif « d’ordre et de bien-être publics ».

Quelle que soit la façon de qualifier les objectifs fondamentaux du système de justice militaire, les procès sommaires et les cours martiales (et en fait, tous les autres aspects du système de justice militaire) devraient contribuer à servir l’objectif du système dans son ensemble, mais le faire de différentes façons, et ils devraient donc avoir différents objectifs qui leur sont propres.

Comme il a été mentionné au chapitre 2 ci-dessus, le système de justice militaire du Canada, créé en vertu de la partie III (le « CDM ») de la LDN et des ORFC qui s’y rattachent, est actuellement centré sur deux types de tribunaux militaires – les tribunaux qui président des procès sommaires et les cours martiales – qui peuvent juger les infractions d’ordre militaire commises par le personnel militaire. On a recours aux procès sommaires uniquement pour juger les infractions de moindre gravité, alors que les cours martiales jugent habituellement les infractions plus graves. Les procès sommaires sont tenus devant des officiers militaires non juristes, provenant habituellement de la chaîne de commandement de l’accusé. Les cours martiales quant à elles exigent la participation d’avocats qualifiés : des procureurs militaires, des avocats de la défense militaires (ou civils) et des juges militaires professionnels. Le nombre de procès sommaires instruits dans une année est habituellement de 10 à 40 fois supérieur au nombre de procès présidés par des cours martiales au cours d’une même année.18 La très grande majorité des procédures engagées dans le système de justice militaire donnent lieu à des procès sommaires.

Bien qu’il existe de nombreuses autres distinctions entre les procès sommaires et procès présidés par les cours martiales, il n’y a pas lieu d’en faire une description détaillée dans le présent chapitre. Il suffit de souligner que le système de justice militaire du Canada est composé de deux différents types de tribunaux militaires, auxquels participent différents intervenants, qui jugent un large éventail d’infractions, pouvant aller d’infractions très mineures liées au non-respect de la discipline militaire (comme de brèves périodes d’absence sans permission), d’une part, à des infractions très graves relatives à une inconduite criminelle (comme un crime de guerre, une agression sexuelle, un meurtre et une négligence criminelle causant la mort), d’autre part.

Comme la révision de l’ERGCM porte uniquement sur le système de cours martiales et non sur le système de justice militaire dans son ensemble, il est nécessaire d’examiner plus en détail l’objectif du système de cours martiales pour effectuer une analyse approfondie de l’efficacité, de l’efficience et de la légitimité du système. Toutefois, certains renseignements contextuels importants peuvent être recueillis en examinant sommairement dans un premier temps l’objet du système de procès sommaires.

6.2.1 L’objet d’un système disciplinaire par voie sommaire

L’objet de la procédure sommaire, telle qu’elle existe aujourd’hui, est énoncé à l’article 108.02 des ORFC, soit « de rendre justice de façon prompte et équitable à l’égard d’infractions d’ordre militaire mineures et de contribuer au maintien de la discipline et de l’efficacité militaires, au Canada et à l’étranger, en temps de paix ou de conflit armé ». L’ERGCM approuve cet objet et estime que ce dernier demeurerait un objectif valable dans le cas d’une réforme du système disciplinaire par voie sommaire semblable en principe, à celui proposé dans le projet de loi C-71 (voir l’hypothèse no 1 décrite au chapitre 1), sauf qu’il viserait les « infractions » mineures au lieu des « infractions d’ordre militaire » mineures.

L’objet énoncé du système de procès sommaires semble servir davantage l’objectif disciplinaire du système de justice militaire que celui relatif à l’ordre et au bien-être publics. L’expression « contribuer au maintien de la discipline et de l’efficacité militaires » ne renvoie pas à la compétence de juger des affaires qui représentent une menace immédiate pour le public ou une question d’intérêt public de toute première importance, mais plutôt celle de juger des affaires internes qui s’avèrent préoccupantes pour les FAC, à l’échelle essentiellement locale.

Le fait que les principaux acteurs du système soient les commandants et les chefs du commandement est également un indice de l’objet du système de procès sommaires.

Le CEMD rappelle aux commandants que « [c]’est au commandant d’unité qu’incombe le plus directement la responsabilité de maintenir la discipline. C’est la raison pour laquelle l’autorité juridique et les pouvoirs sont concentrés au niveau du commandant».19 Dans les Directives du CEMD aux Commandants, le CEMD indique également ce qui suit : « [V]ous [les commandants] vous trouvez à un niveau de commandement auquel il vous est encore possible de connaître par leur nom tous vos officiers, adjudants, soldats, marins, aviateurs, hommes et femmes. Lorsque le cmdt connaît ses subordonnés, cela leur donne du cœur à l’ouvrage, insuffle la cohésion et permet de réaliser les missions qui, autrement, pourraient être considérées impossibles. »20 Les commandants d’unité se situent, à bien des égards, au niveau le plus critique de la chaîne de commandement des FAC – ils occupent un grade suffisamment élevé pour comprendre et mettre en œuvre les directives tactiques, opérationnelles et stratégiques, mais ils sont aussi suffisamment près des membres du personnel aux échelons tactiques et subtactiques pour pouvoir influencer leur discipline, leur efficacité et leur moral grâce à un leadership efficace. C’est pourquoi de nombreux spécialistes externes ont observé que « [l]e commandant est au cœur de tout le système de discipline ».21

Les procès sommaires, considérés sous l’angle de la hiérarchie militaire, représentent une sorte de tribunal de discipline professionnelle administré à l’échelle locale, semblable, mais non identique, aux organismes professionnels qui régissent la conduite des médecins, des avocats et des enseignants au Canada : un haut gradé de la profession des armes (qui préside un procès sommaire) détermine si un autre membre de l’unité ne s’est pas conformé aux normes de conduite en vigueur, puis détermine la sanction qui doit être imposée afin de maintenir les normes de la profession. Certes les tribunaux civils de discipline professionnelle canadiens ont pour la plupart leurs caractéristiques propres, mais il n’en demeure pas moins que les procès sommaires remplissent dans une large mesure les mêmes fonctions que ces tribunaux exercent à l’égard d’autres professions autoréglementées, en permettant à des membres d’une profession donnée de faire respecter les normes qui régissent la conduite professionnelle de tous les membres de cette profession.

L’objet du système de procès sommaires se dégage également des peines pouvant être imposées à un contrevenant dans le cadre d’un tel procès. Ces peines, qui sont généralement de nature corrective et disciplinaire, ont souvent un lien avec la chaîne de commandement et se limitent à celles situées au bas de l’échelle de sévérité. Par exemple, à la note A de l’article 104.09 des ORFC, la peine de détention est ainsi décrite :

Comme pour toute mesure disciplinaire, la détention est une punition qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré. Ces derniers seront donc soumis à un régime d’entraînement qui insiste sur les valeurs et les compétences propres aux membres des Forces canadiennes, pour leur faire voir ce qui les distingue des autres membres de la société.

De même, à la note B de l’article 104.13 des ORFC, on donne l’explication suivante en ce qui concerne les peines mineures : « L’imposition de peines mineures a pour but de corriger le comportement des militaires qui ont commis des infractions d’ordre militaire mineures tout en leur permettant de demeurer productifs au sein de leur unité. »

Les discussions présentées dans ce chapitre concernant l’objet des procès sommaires, tel qu’ils existent aujourd’hui, donnent à penser que ces procès visent principalement à servir l’objectif disciplinaire du système de justice militaire. Cela ne veut pas dire pour autant que les procès sommaires ne peuvent pas également contribuer à l’atteinte de l’objectif d’ordre et de bien-être publics.

Par exemple, bien que la peine de détention imposée à l’issue d’un procès sommaire soit de nature disciplinaire, elle constitue néanmoins une forme d’incarcération qui isole un contrevenant de la société pendant la durée de la peine. Cette peine pourrait ainsi renforcer la sécurité publique au même titre qu’une peine d’emprisonnement imposée en vertu du Code criminel. En outre, en vertu de l’article 130 de la LDN,22 certaines infractions criminelles de droit commun peuvent actuellement être jugées dans le cadre de procès sommaires, ce qui donne à penser que le système de procès sommaires vise probablement à atteindre le même type d’objectif d’ordre et de bien-être publics poursuivi par les tribunaux civils de juridiction criminelle qui autrement jugeraient de telles infractions.

Toutefois, lorsqu’on examine les réformes du système de procès sommaires envisagées par le passé (voir l’hypothèse no 1 décrite au chapitre 1) préconisant le retrait de la compétence à l’égard des affaires criminelles et du pouvoir d’imposer de véritables sanctions pénales, on peut soutenir que – dès lors – le système ne servirait que des fins disciplinaires. Sans pouvoir ni compétence pour maintenir l’ordre et le bien-être publics (en jugeant des infractions criminelles et en imposant des peines qui protègent le public) ou imposer des peines de détention, le système disciplinaire par voie sommaire n’aurait plus la capacité de servir, directement ou incidemment, un objectif d’ordre et de bien-être publics.

Cette conception du système de procès sommaires permet aussi de mieux comprendre pourquoi les intervenants des milieux universitaire et judiciaire tendent à dire que le système de justice miliaire est surtout axé sur le maintien de la discipline,23 étant donné que le système de procès sommaires – lequel sert quasi exclusivement un objectif disciplinaire – traite au moins 90 p. 100 du volume total des dossiers au sein du système de justice militaire. Par conséquent, d’un point de vue purement mathématique, il est tout à fait justifié de prétendre que le système de justice militaire est surtout axé sur le maintien de la discipline militaire, étant donné qu’on y tient principalement – au sens quantitatif du terme – des procès sommaires.

6.2.2 La double finalité du système de cours martiales

Contrairement au système de procès sommaires, aucune loi ni aucun règlement n’énonce de façon distincte l’objet du système de cours martiales. Compte tenu des changements envisagés à l’égard du système de procès sommaires (voir l’hypothèse no 1), il est clair que l’un des objectifs du système de cours martiales est de soutenir la capacité du gouvernement à contrôler et à utiliser les FAC, en encourageant le respect de la loi et le maintien d’une société juste, paisible et sûre – un objectif d’ordre et de bien-être publics que le système de cours martiales, selon l’hypothèse no 1, est particulièrement apte à remplir. Cela dit, comme toutes les inconduites du personnel militaire peuvent également être considérées comme de l’indiscipline,24 le système de cours martiales doit aussi appuyer l’objectif disciplinaire du système de justice militaire.

6.2.3 L’objectif d’ordre et de bien-être publics du système de cours martiales

Dans une certaine mesure, l’objet du système de cours martiales de dégage des peines maximales pouvant être imposées en cour martiale. En vertu de l’article 139 de la LDN, l’emprisonnement à perpétuité est la peine maximale que peut infliger une cour martiale. En outre, sauf dans un cas très particulier,25 toutes les infractions à caractère militaire prévues aux articles 72 à 129 de la LDN sont punissables à tout le moins de peines maximales d’emprisonnement de moins de deux ans (c.-à-d. deux ans moins un jour), et bon nombre de ces infractions sont passibles d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité.

De telles peines peuvent seulement être prononcées dans le cadre d’un processus qui respecte tous les droits et garanties énoncés à l’article 11 de la Charte, notamment le droit à un procès juste devant un tribunal indépendant et impartial. En pratique, cela signifie que seul un juge exerçant ses fonctions dans des conditions assurant le respect de l’indépendance judiciaire – à l’instar d’un juge présidant un tribunal de juridiction criminelle jouissant d’une sécurité financière, d’une garantie d’inamovibilité et d’une indépendance administrative – peut prononcer une peine d’emprisonnement.26

Étant donné que les cours martiales peuvent infliger des peines d’emprisonnement, il y a fort à penser que l’un des objectifs d’une cour martiale est le même que celui d’autres procédures à l’issue desquelles des peines d’emprisonnement sont imposées. La très grande majorité de ces procédures au Canada sont des procès criminels qui servent l’objectif d’ordre et de bien-être publics.27

Tout comme pour le système de procès sommaires, il est permis de conclure, compte tenu de l’identité des principaux acteurs du système, qu’il poursuit l’objectif d’ordre et de bien-être publics. Les membres de la chaîne de commandement d’un accusé jouent un rôle mineur dans le système de cours martiales : des membres du personnel de l’unité peuvent encore aujourd’hui être les personnes chargées de porter des accusations dans les affaires jugées en cour martiale (quoique les cas où ce sont des membres indépendants du SNE qui portent les accusations sont beaucoup plus courants en cour martiale que lors d’un procès sommaire); la demande de porter des accusations devant la cour martiale est faite par un commandant d’unité; les accusations sont transmises au DPM par une autorité de renvoi d’un grade supérieur; et, pendant un procès en cour martiale, un membre du personnel de l’unité agit à titre d’officier de justice et d’escorte auprès de l’accusé et offre un certain soutien administratif et logistique général à la cour martiale.

Toutefois, les principaux intervenants en cour martiale sont le juge militaire, le procureur militaire et l’avocat de la défense (qui est la plupart du temps un militaire). Ces personnes sont des juristes professionnels dont les qualifications et les fonctions sont presque identiques à celles, selon le cas des juges des tribunaux civils de juridiction criminelle, des procureurs de la poursuite et des avocats de la défense, qui comparaissent devant eux. Ces intervenants clés en cour martiale sont des personnes avec lesquelles l’accusé entretient des liens moins directs qu’avec son commandant et dont les fonctions dans le système de justice n’ont pas seulement pour but d’assurer la discipline militaire.

En ce qui concerne les poursuites, par exemple, la CACM a observé que « le rôle du DPM est semblable à celui du procureur général »,28 qui intente des poursuites dans l’intérêt public. Les procureurs militaires doivent tenir compte de l’intérêt public dans l’exercice de leurs fonctions. L’intérêt des FAC constitue un facteur primordial, mais il n’est certainement pas le seul.29 Le fait que les procureurs militaires tiennent compte de considérations plus générales d’intérêt public donne à penser sont censés contribuer – du moins en partie – à l’atteinte de l’objectif d’ordre et de bien-être publics au sein du système de cours martiales.

Le même raisonnement peut s’appliquer aux juges militaires. En raison de leur indépendance par rapport au reste des FAC, ils sont davantage associés aux membres de la profession judiciaire qu’aux membres de la profession des armes.30 Lorsqu’ils président, ils portent une robe de magistrat ornée de médailles, qui constitue le seul indice visible de leur statut militaire. Lorsqu’ils rendent leurs décisions, ils prétendent s’exprimer au nom des idéaux de « justice » ou de « justice militaire » et ne prétendent pas représenter les intérêts de la chaîne de commandement militaire, bien qu’ils puissent tenir compte des intérêts militaires entre autres facteurs.

En ce sens, compte tenu des qualifications, de l’indépendance et du rôle des décideurs des cours martiales, il est possible d’inférer que l’un des objectifs des cours martiales est de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre au même titre que tout autre tribunal pénal. Cette situation donne également à penser que l’un des objectifs du système de cours martiales est de soutenir la capacité du gouvernement à contrôler et à utiliser les FAC, en servant l’objectif d’ordre et de bien-être publics.

6.2.4 L’objectif disciplinaire du système de cours martiales

En plus de servir un objectif d’ordre et de bien-être publics au sein du système de justice militaire, le système de cours martiales vise également à remplir un objectif disciplinaire. Tout comme les procès sommaires peuvent, dans certains cas, renforcer la discipline et avoir des effets positifs sur l’ordre et le bien-être publics, le système de cours martiales peut parfois servir ces deux objectifs.

Par exemple, dans le cadre d’un même procès en cour martiale, il est possible que les accusations en cause visent à la fois des infractions de droit commun (comme le trafic de stupéfiants), des infractions exclusivement militaires de nature essentiellement disciplinaire (comme une absence sans permission) et des infractions exclusivement militaires davantage assimilables à des actes criminels (comme la négligence dans l’exécution des tâches militaires). Dans une telle situation, des éléments se rattachant tant à l’objectif d’ordre et de bien-être publics qu’à l’objectif disciplinaire peuvent entrer en jeu lors du procès – à divers degrés – selon les infractions sur lesquelles porte le procès à un moment donné. La mesure dans laquelle un objectif a prédominance au sein du système de cours martiales dépend des circonstances de chaque affaire.

Même dans les cas où seules des infractions de droit commun sont jugées, une cour martiale peut servir à la fois l’objectif d’ordre et de bien-être publics et l’objectif disciplinaire, notamment en aidant à raffermir le moral des militaires, qui constatent que la justice est rendue ouvertement au sein de leur propre collectivité lors d’inconduites qu’ils jugent condamnables. En ce sens, remplir efficacement l’objectif d’ordre et de bien-être publics permettrait de soutenir le moral des personnes qui connaissent l’issue de la procédure, de manière à renforcer l’objectif disciplinaire du système de cours martiales.

Si l’on examine la question sous un autre angle, il est possible qu’une seule peine imposée par une cour martiale puisse contribuer à servir les deux objectifs du système de cours martiales. Par exemple, une peine d’emprisonnement imposée par un juge militaire peut avoir un effet dissuasif général qui renforce l’ordre et le bien-être publics (en dissuadant les militaires de commettre des infractions) et un effet disciplinaire positif (en encourageant les membres des FAC à adopter une habitude d’obéissance à l’autorité légitime). D’un point de vue théorique, il est difficile de contester l’assertion selon laquelle les mesures prises à l’endroit des membres des FAC en vue de renforcer l’ordre et le bien-être publics peuvent également renforcer la discipline.

Dans le système de cours martiales actuel, il arrive dans certaines affaires que seul l’objectif disciplinaire entre en jeu. Il peut en être ainsi, par exemple, lorsqu’une affaire liée à des accusations relativement mineures de manquement à la discipline est renvoyée à la cour martiale uniquement parce que l’accusé a choisi d’être ainsi jugé ou parce qu’il s’agit d’un haut gradé qui ne peut être jugé dans le cadre d’un procès sommaire.

Pour toutes ces raisons, l’ERGCM a conclu que le système de cours martiales doit servir tant l’objectif d’ordre et de bien-être publics que l’objectif disciplinaire, à l’intérieur du système de justice militaire plus général qui sert également ces deux objectifs.

6.3 Développement d’un système de cours martiales axé sur des objectifs et des principes

Il est maintenant possible de cerner plus exactement les principes sur lesquels le système doit s’appuyer, de même que les caractéristiques et les éléments qui doivent être présents dans le système afin qu’il puisse atteindre son objectif ultime. Une fois que ces principes et ces caractéristiques auront été précisés et expliqués, ils seront utilisés dans les prochains chapitres pour évaluer le système de cours martiales actuel et les options envisagées pour l’améliorer.

6.3.1 Premier niveau – Principes devant être respectés pour réaliser l’objet du système de cours martiales

Une représentation graphique de l’objet du système de cours martiales et des principes qui le sous-tendent ressemblerait à ceci :

Une représentation graphique de l’objet du système de cours martiales et des principes

1. Efficacité. Le système de cours martiales doit, de toute évidence, soutenir efficacement la capacité du gouvernement à contrôler et à utiliser les FAC. Comme il s’agit là de l’objet ultime du système de cours martiales, ce dernier doit réellement contribuer, de manière efficace, à sa réalisation, en maintenant l’ordre et le bien-être publics et/ou en renforçant la discipline, l’efficacité et le moral des troupes au sein des FAC.

Dans la mesure où le système de cours martiales vise à contribuer au maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes des FAC, il accroît la capacité du gouvernement à utiliser les FAC au moment et à l’endroit voulus. L’ERGCM tient pour acquis qu’une force militaire disciplinée et efficace, dont le moral est bon, peut participer à un plus large éventail de missions, avec un taux de réussite supérieure, qu’une force indisciplinée et inefficace, dont le moral est bas. Par conséquent, en soutenant ces aspects, qui contribuent à l’efficacité opérationnelle au sein des FAC, le système de cours martiales accroît la capacité du gouvernement à utiliser les FAC, au besoin, pour servir les objectifs de la nation.

Dans la mesure où le système de cours martiales vise à contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre, il accroît la capacité du gouvernement à contrôler les FAC. Contrôler les FAC consiste à s’assurer que les forces armées sont ultimement subordonnées aux autorités civiles et qu’elles respectent l’ensemble des lois et des autres directives légitimes transmises à leurs membres, particulièrement dans les situations où elles peuvent être appelées à recourir à la violence pour atteindre les objectifs nationaux. L’histoire (et dans une certaine mesure, les événements contemporains ayant cours à différents endroits dans le monde) donne à penser que les gouvernements civils peuvent exercer un contrôle plus ferme et constant sur les forces armées qui font partie d’une société juste, paisible et sûre, et qui y contribuent, que sur les forces armées qui ont une existence propre et qui ne sont pas régies par les règles d’une telle société. En ce sens, en s’efforçant d’atteindre l’objectif d’ordre et de bien-être publics, le système de cours martiales appuie les concepts fondamentaux du contrôle démocratique des forces armées sur lesquels se fonde la capacité du gouvernement à contrôler les FAC.

Les différentes caractéristiques que doit posséder le système de cours martiales afin de maintenir efficacement l’ordre et le bien-être publics, de même que la discipline, l’efficacité et le moral des troupes des FAC, sont présentées plus en détail dans la section suivante.

2. Légitimité. Afin de maintenir la confiance des « utilisateurs » du système de cours martiales, des personnes qui y sont assujetties et du grand public, qui exige de ses forces armées qu’elles respectent la loi et contribuent au maintien d’une société juste, paisible et sûre, le système de cours martiales doit être un système légitime et être perçu comme tel. Pour être légitimes, le système et l’utilisation qui en est faite doivent être licites et être généralement considérés comme découlant de l’exercice convenable et approprié des pouvoirs gouvernementaux, et ce, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des FAC.

Sur le plan pratique, le respect du principe de légitimité est nécessaire pour que le gouvernement soit pleinement en mesure de contrôler et d’utiliser ses forces armées, parce que les États étrangers et la communauté internationale pourraient restreindre ou autrement limiter la capacité des FAC à participer à des missions à l’étranger, si le système de cours martiales du Canada n’était pas perçu comme un mécanisme de responsabilisation légitime utilisé pour prévenir ou régler les cas d’inconduite graves. Si tel était le cas, il s’agirait sans doute d’un manquement de la part du Canada à ses obligations contractées en vertu du droit international, comme l’obligation de réprimer les violations graves des lois applicables lors de conflits armés.31

La légitimité au sein du système de cours martiales est également nécessaire pour obtenir le niveau de soutien du public (canadien et local à l’étranger) jugé essentiel au succès des opérations des FAC. Par contre, tout indicateur d’illégitimité au sein du système de cours martiales pourrait entraver la capacité du gouvernement à contrôler et à utiliser les FAC, par exemple, en nuisant au moral des troupes et en nourrissant la méfiance entre les subalternes, les supérieurs et les officiers du système de cours martiales, ou en créant des problèmes de recrutement et de maintien en poste (parmi ceux qui perçoivent le système de cours martiales comme un moyen oppressif pour le gouvernement d’exercer ses pouvoirs, qui les dissuade de s’enrôler ou de demeurer dans les FAC).

Les différentes caractéristiques que doit posséder le système de cours martiales afin de maintenir légitimement l’ordre et le bien-être publics, de même que la discipline, l’efficacité et le moral des troupes des FAC, sont présentées plus en détail dans la section suivante.

3. Efficience. Comme les ressources gouvernementales, plus particulièrement celles allouées à la défense et à la sécurité nationales, sont limitées, toute dépense dans le cadre d’un programme ou d’un engagement du gouvernement diminue vraisemblablement le montant global qui pourrait autrement servir à financer différents programmes et engagements, notamment ceux qui faciliteraient plus directement le contrôle et l’utilisation des forces armées. Par conséquent, le système de cours martiales se doit d’être efficient. Un système efficient produit des résultats positifs qui soutiennent ses objectifs, sans avoir à engager des ressources de façon disproportionnée. Il n’est pas suffisant pour le système de cours martiales de produire efficacement le résultat souhaité ou d’être légitime, si des coûts énormes doivent être engagés pour ce faire. Au contraire, le gouvernement doit plutôt s’attendre à ce que le système de cours martiales soit efficient en soi, de sorte que les avantages qu’il procure (pour ce qui est de renforcer la capacité du gouvernement à contrôler et à utiliser les FAC) soient produits à un coût raisonnable et proportionnel.

Bien que certaines des données qui permettent de mesurer l’efficience soient de nature quantitative, la proportionnalité (et donc d’efficience) doit être évaluée qualitativement. Les objectifs d’un système peuvent, d’un point de vue qualitatif, être suffisamment importants pour justifier l’utilisation de ressources supplémentaires qui pourraient, selon d’autres points de vue, sembler excessives.

Les différentes caractéristiques que doit posséder le système de cours martiales afin de maintenir de manière efficiente l’ordre et le bien-être publics, de même que la discipline, l’efficacité et le moral des troupes des FAC, sont présentées plus en détail dans la section suivante.

Liens entre les principes. L’ERGCM constate qu’il existe de nombreux liens entre les trois principes susmentionnés et que ceux-ci se recoupent à bien des égards. D’une part, un système doit être efficient, à tout le moins dans une certaine mesure, pour être reconnu comme légitime par le public et considéré comme découlant de l’exercice convenable et approprié des pouvoirs gouvernementaux. D’autre part, la mesure dans laquelle un système est jugé légitime pourrait avoir une incidence réelle sur son efficience, dans la mesure où plus de ressources (qui pourraient autrement servir à d’autres fins) devraient être consacrées aux litiges et aux activités de relations publiques, si la confiance du public dans la légitimité et la pertinence du système s’effritait. Des liens semblables peuvent également être établis entre l’efficacité et l’efficience et entre l’efficacité et la légitimité. Par conséquent, bien que l’ERGCM juge utile de définir séparément les principes pertinents qui devraient sous-tendre le système de cours martiales, il est reconnu que dans bien des cas, la frontière entre chacun de ces principes peut être floue.

De plus, il est important de reconnaître que des choix devront souvent être faits parmi ces différents principes, et qu’un changement apporté au système en vue de renforcer l’un d’entre eux peut se faire au détriment d’un autre. Par exemple, une réforme législative qui éliminerait complètement la possibilité d’interjeter appel pourrait sensiblement augmenter l’efficience du système (en arrivant au résultat final plus rapidement et à moindre coût), mais pourrait par le fait même compromettre sérieusement sa légitimité (en portant atteinte à la notion de justice au sein de la collectivité). Par conséquent, dans l’élaboration du système, il est souhaitable de chercher un juste équilibre entre les principes d’efficacité, d’efficience et de légitimité, tout en reconnaissant qu’il est peu probable qu’on puisse trouver une option permettant à elle seule d’optimiser ces trois principes.

6.3.2 Deuxième niveau – Caractéristiques du système de cours martiales qui appuient l’application des principes clés

En se fondant sur les précédentes descriptions des concepts d’efficacité, d’efficience et de légitimité, l’ERGCM a tenté de mieux cerner les caractéristiques ou les éléments qui sous-tendent chacun de ces principes fondamentaux. Ce faisant, l’ERGCM a ciblé 12 caractéristiques clés qui, dans la mesure où elles sont présentes dans le système de cours martiales, favoriseront l’efficacité, l’efficience et la légitimité du système.

Comme plusieurs caractéristiques d’un système de cours martiales sont susceptibles d’appuyer l’application de plus d’un principe, une représentation graphique complète des relations entre les objectifs, les principes et les caractéristiques d’un tel système est présentée à l’annexe AA.

1. Proportionnalité des coûts liés aux ressources humaines et financières – les ressources financières et humaines investies pour faire fonctionner le système de cours martiales doivent être proportionnelles aux avantages qu’offre le système. Cette caractéristique est surtout nécessaire pour appuyer l’application du principe d’efficience, mais peut également favoriser l’efficacité (en veillant à ce que les ressources gouvernementales ne soient pas dépensées inutilement dans le système de cours martiales, et en faisant ainsi en sorte qu’elles puissent potentiellement servir à offrir de la formation militaire et à exécuter des opérations militaires) et la légitimité (en amenant le public à avoir confiance dans le système de cours martiales et à le voir comme un moyen économiquement viable de juger les infractions d’ordre militaire).

2. Obtention de résultats en temps opportun – le système de cours martiales devrait être en mesure de produire des résultats en temps opportun dans la majorité des cas. Afin de produire des résultats en temps opportun, le système de cours martiales devrait vraisemblablement reposer sur un ensemble de processus rapides, dont la complexité, quel qu’en soit le stade, serait proportionnelle à la gravité des intérêts en jeu. Un système qui produit des résultats en temps opportun soutiendrait surtout l’application des principes d’efficience (parce que le temps investi pour traiter une affaire serait proportionnel aux avantages qu’offre le fait qu’elle soit traitée) et d’efficacité (parce qu’une administration rapide de la justice permettrait de minimiser les distractions, en gardant le personnel de l’unité concentré sur les opérations, et favoriserait le respect de la loi chez ceux qui seraient témoins de la rapidité avec laquelle justice est faite). Dans une certaine mesure, un système qui produit des résultats en temps opportun peut aussi soutenir le principe de la légitimité, étant donné qu’une procédure peut commencer à paraître injuste aux yeux de tous (des victimes, des accusés, des témoins et de la société dans son ensemble) et devenir inconstitutionnelle, si elle ne se déroule pas dans un délai raisonnable.

3. Adaptabilité – le système de cours martiales doit pouvoir accroître ou diminuer ses activités selon les besoins, pouvant aller de ceux à satisfaire dans le cadre d’opérations nationales en temps de paix à ceux qui émergent lors de situations nécessitant des opérations expéditionnaires de grande envergure auxquelles participent tous les éléments des FAC.

La taille des FAC, le rythme et la nature des opérations menées par ces dernières et les groupes démographiques au sein desquels sont recrutés les nouveaux membres des FAC ne sont que quelques-uns des nombreux facteurs qui pourraient avoir d’importantes répercussions sur le volume de cas à traiter dans le système de cours martiales, au cours d’une période donnée. Compte tenu de la nature sans doute très dynamique de tous ces facteurs dans un contexte militaire, il est important que le système de cours martiales soit doté de mécanismes qui lui permettent de s’adapter rapidement aux changements importants ayant trait au volume de dossiers traités dans le système.

Cette caractéristique soutiendrait l’application des principes d’efficience (parce que la taille du système mis en place serait proportionnelle aux besoins du fait qu’il serait, selon les circonstances, possible d’accroître ou de diminuer les activités) et d’efficacité (parce que le système serait conçu de manière à ce que les affaires censées l’être puissent toujours être traitées dans le système et parce qu’une hausse inattendue du volume de dossiers ne permettrait en aucun cas à un accusé de jouir de l’impunité).

4. Dissuader les militaires de commettre des inconduites – le système de cours martiales doit dissuader le personnel militaire de commettre des inconduites et doit exercer un effet réel dissuasif à cet égard, en vue d’atteindre l’objectif d’ordre et de bien-être publics et l’objectif disciplinaire du système de justice militaire.

Pour que le système de cours martiales puisse avoir un tel effet dissuasif, il faut d’abord que :

En d’autres mots, le système de cours martiales devrait instaurer, dans l’esprit rationnel et réfléchi des contrevenants potentiels, l’idée qu’il est probable, dans une certaine mesure du moins, que leur inconduite soit découverte, de même que l’idée que les peines dont ils sont passibles pour leur inconduite risquent d’entraîner des conséquences plus lourdes que les avantages qu’ils s’attendent à tirer de la perpétration de l’infraction. Cet effet de dissuasion est la caractéristique qui appuie le plus directement l’application du principe d’efficacité, en réduisant les cas d’inconduite non souhaitables.

5. Réadaptation des militaires qui commettent des inconduites – le système de cours martiales devrait prévoir des peines ou d’autres mesures (p. ex., formation, rééducation ou traitement) visant à permettre aux contrevenants militaires de réintégrer la société militaire ou civile en étant mieux outillés pour respecter la loi. Cette caractéristique soutient le principe de l’efficacité, en offrant aux contrevenants militaires les outils dont ils ont besoin pour se comporter de manière plus acceptable sur les plans social et professionnel, dans le respect de la loi.

6. Protection du public contre les militaires qui commettent des inconduites – le système de cours martiales devrait aider à réduire ou à éliminer les dangers pour le public que peuvent représenter les contrevenants militaires.

Le public, en ce sens, comprend les FAC, le public canadien, la population locale dans un lieu étranger où les FAC mènent leurs opérations et le public à l’échelle internationale. Afin de protéger adéquatement le public, le système de cours martiales doit isoler les contrevenants militaires de la société, au besoin (à tout moment avant, pendant ou après un jugement relatif à une infraction militaire), et soumettre ces derniers à une surveillance appropriée, lorsqu’il y a lieu.

Cette caractéristique appuie surtout l’application du principe de l’efficacité (en aidant à faire en sorte que les membres du personnel militaire, disciplinés et respectueux des lois, soient libres de mener des opérations, sans avoir à s’inquiéter de la menace interne que pose la présence de contrevenants parmi eux, et en isolant les sources potentielles d’indiscipline au sein des FAC).

7. Condamnation par la collectivité des inconduites du personnel militaire – le système de cours martiales devrait donner lieu à des processus qui démontrent que la collectivité (militaire ou civile) condamne les omissions ou les gestes commis par ceux qui ont choisi de déroger de manière importante aux normes de conduite auxquelles s’attend la collectivité. Cette condamnation devrait stigmatiser de manière appropriée les contrevenants pour leur inconduite. La condamnation par la collectivité est une caractéristique du système de cours martiales qui soutient surtout l’application du principe de l’efficacité, en donnant plus de poids aux normes de conduite attendues et en mettant en valeur l’importance pour la collectivité que celles-ci soient respectées.

8. Production de résultats justes et appropriés – les accusations et les procès reposent sur deux hypothèses : une infraction a été commise, et l’accusé est la personne qui a commis l’infraction. Le système de cours martiales devrait être conçu et structuré de manière à atteindre un taux d’exactitude élevé dans l’évaluation de ces hypothèses, de sorte que seuls les véritables auteurs d’infractions (c.-à-d. ceux qui sont effectivement coupables) soient déclarés coupables de ces infractions.

Compte tenu du contexte militaire particulier dans lequel les infractions d’ordre militaire sont commises et des exigences de service particulières au sein des forces armées, le système de cours martiales doit faciliter la compréhension de ces réalités militaires dans le but de favoriser la prise de décisions justes au sein du système.

En outre, compte tenu de la nature criminelle ou pénale de nombreuses infractions militaires jugées en cour martiale, le système de cours martiales doit également pouvoir compter sur une vaste expertise judiciaire ainsi qu’une expertise poussée en droit criminel – là encore, dans le but de favoriser la prise de décisions justes à l’égard des infractions militaires.

Enfin, il convient dans une certaine mesure de reconnaître qu’un système qui comporte, favorise ou exige, au besoin, des mécanismes permettant une prise de décisions concertée et réfléchie (comme lors d’un procès devant jury ou au sein des tribunaux d’appel dans le système judiciaire canadien, où les affaires sont entendues par des formations de trois juges ou plus) est plus susceptible de produire des résultats justes et appropriés. Certains ont fait valoir que lorsque le processus décisionnel repose sur de tels mécanismes, il est possible de tirer certains avantages en ce qui a trait à la justesse des décisions, en faisant appel à la mise en commun des connaissances, des souvenirs et des points de vue de chaque décideur.32

La justesse est une caractéristique du système de cours martiales qui favorise surtout l’application du principe de l’efficacité (en contribuant à la juste condamnation des contrevenants et au juste acquittement du personnel militaire qui respecte les lois), bien qu’elle favorise également la légitimité (étant donné que le système ne serait pas perçu comme servant bien les fins pour lesquelles il a été conçu, s’il produisait des résultats inappropriés de façon notoire).

9. Universalité – le système de cours martiales doit être capable de produire des résultats en tout lieu (au Canada comme à l’étranger) et dans une large gamme d’environnements (allant des entraînements en temps de paix aux conflits armés de grande envergure) dans le cadre desquels les FAC mènent leurs opérations.

Par conséquent, les infractions militaires commises tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Canada devraient pouvoir être jugées dans le système de cours martiales. Le système devrait donc également être en mesure de s’acquitter de fonctions d’enquêtes en tout lieu, aussi bien en ce qui concerne les infractions commises au Canada qu’à l’étranger. Le système devrait rendre applicables des règles de preuve et de procédure qui permettent et facilitent l’utilisation des éléments de preuve recueillis à l’étranger. Enfin, les effets positifs que le système de cours martiales vise à produire devraient se faire sentir au Canada et en tout lieu où les FAC mènent leurs opérations, dans l’intérêt de la population canadienne et des populations locales touchées par les opérations des FAC – et qui sont particulièrement touchés par les inconduites commises par les membres de ces dernières ont une incidence particulière.

L’universalité est une caractéristique tout aussi essentielle pour appuyer l’application du principe de l’efficacité (en veillant à ce que le système de cours martiales puisse influer sur la conduite des militaires, peu importe où ils se trouvent) que celui de la légitimité (en démontrant à la communauté internationale, aux Canadiens et aux populations locales concernées que le Canada tient, de manière appropriée, les membres des FAC responsables de leur inconduite, peu importe où un tel comportement a été adopté).

10. Équité – le système de cours martiales doit être équitable et doit, de façon générale, être perçu comme tel par l’ensemble des groupes concernés (dont les victimes, les accusés, les témoins et les membres de la collectivité) afin de servir son objectif.

L’équité ne concerne pas seulement le respect des principes juridiques et constitutionnels : une procédure peut, en effet, être légale, mais soulever tout de même des doutes sur le plan de l’équité (par exemple, lorsqu’une peine minimale obligatoire sévère – mais ni cruelle ni inusité – est infligée à un contrevenant qui inspire la sympathie), tout comme une procédure peut se révéler équitable au bout du compte malgré certaines illégalités mineures (par exemple, lorsqu’une perquisition abusive effectuée sans autorisation légale mène à la découverte de preuves d’une grande fiabilité, qui sont admises au procès). La notion d’équité, en ce sens, se veut donc surtout le reflet des valeurs sociales : le système de cours martiales doit fonctionner d’une manière conforme aux attentes de la société quant à la façon dont les personnes qui ont des démêlés avec le système de justice criminelle et pénale doivent être traitées. Si le système et les procédures qui s’y rattachent heurtent la conscience d’un grand nombre d’intervenants, l’équité au sein du système sera alors compromise.

L’équité est une caractéristique qui appuie surtout l’application du principe de la légitimité (du fait que la population sera d’avis que le système de cours martiales sert bien les fins pour lesquelles il a été conçu, si les gens ont largement confiance en l’équité de ce dernier), bien qu’elle soutienne également le principe de l’efficacité (étant donné que le moral des militaires assujettis au système de cours martiales sera meilleur s’ils sont convaincus que le système sera équitable).

11. Transparence – le système de cours martiales devrait fonctionner d’une manière qui se veut transparente pour les personnes à l’intérieur et à l’extérieur de la collectivité militaire.

Afin de garantir la transparence, le système doit se fonder sur des règles (plutôt que sur l’exercice de trop vastes pouvoirs discrétionnaires individuels), de sorte que la façon dont le système devrait fonctionner dans une affaire donnée puisse être connue à l’avance.

La transparence exige également que le système soit accessible et que ses règles puissent être comprises par quiconque souhaite en savoir plus sur le système et en observer le fonctionnement. En ce sens, les règles qui régissent le système de cours martiales doivent être facilement accessibles, et les procédures devant la cour martiale doivent être publiques.

La transparence au sein du système de cours martiales appuie l’application du principe de la légitimité (étant donné que la population peut seulement évaluer si le système sert bien les fins pour lesquelles il a été conçu – et, donc, s’il repose sur l’exercice approprié des pouvoirs gouvernementaux – si elle est facilement en mesure d’en observer le réel fonctionnement).

12. Intelligibilité – le système de cours martiales et la manière dont il fonctionne doivent être compréhensibles par le grand public sur le plan intellectuel. Pour être intelligible, le système doit présenter plusieurs caractéristiques :

L’intelligibilité est une caractéristique qui appuie surtout l’application du principe de la légitimité (en faisant en sorte que le public soit plus en mesure ou plus susceptible de comprendre et d’accepter le fait que le système repose sur l’exercice approprié des pouvoirs gouvernementaux).

6.4 Conclusion

Pour évaluer le système de cours martiales actuel ou élaborer des options en vue de l’améliorer, il faut évaluer qualitativement et contrebalancer les priorités afin de déterminer la façon de tirer profit du système au maximum, en faisant le moins de compromis possible. Tel qu’il a été indiqué précédemment au chapitre 5, il existe différents exemples de mesures prises par d’autres pays pour tenter de parvenir à un équilibre qui satisfait autant le gouvernement en place que les forces armées, mais la présente étude a également mis en évidence le fait qu’il n’existe pas de « meilleure » façon de concevoir et de faire fonctionner un système de cours martiales.

Par exemple, les systèmes qui reposent en grande partie sur la participation d’intervenants militaires en uniforme peuvent être plus susceptibles de fonctionner de manière universelle (dans l’ensemble du spectre des opérations militaires, au Canada et à l’étranger), mais risquent d’être moins accessibles (c.-à-d. moins familiers et moins compréhensibles) au sein de la société civile. Parallèlement, les systèmes qui reposent sur des règles de preuve complexes peuvent être plus susceptibles de produire des résultats justes, mais ceux-ci risquent de ne pas être produits en temps opportun. Comme le démontrent ces exemples, il est clair qu’aucun système ne peut permettre de profiter au maximum de chaque avantage recherché; qui plus est, ces exemples donnent à penser que tout changement apporté à un système peut offrir des avantages supplémentaires, mais en occasionnant d’autres inconvénients.

Dans les chapitres qui suivent, l’ERGCM évalue le système de cours martiales actuel en se fondant sur la théorie élaborée dans le présent chapitre (voir le chapitre 7) et les éléments qui la constituent pour décrire et évaluer différentes options qui permettent de modifier le système de cours martiales actuel et de l’améliorer à certains égards, mais qui présentent toutes des inconvénients (voir le chapitre 8).


Notes en bas de page

1 Sur Internet : <URL : http://www.forces.gc.ca/fr/nouvelles/article.page?doc=le-systeme-canadien-de-justice-militaire/hnea75sh>.

2 Projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, L.C. 2013, ch. 24, art. 62 [Projet de loi C-15] (édictant l’objectif disciplinaire et l’objectif d’ordre et de bien-être publics en tant qu’objectifs essentiels de la détermination de la peine à l’art. 203.1 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 [LDN]).

3 R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259 [Généreux].

4 Voir, par exemple, le témoignage du major-général Steve Noonan devant le RSP des États-Unis, transcription du témoignage, séance publique du RSP, p. 167-172 (24 septembre 2013). Sur Internet : <URL : http://responsesystemspanel.whs.mil/public/docs/meetings/20130924/24_Sep_13_Day1_Final.pdf>.

5 Voir, par exemple, un récent entretien avec l’ancien JAG, le major-général Blaise Cathcart : Cristin Schmitz, « Q&A with Maj.-Gen. Blaise Cathcart », The Lawyers Daily (7 mai 2017). Sur Internet : <URL : https://www.thelawyersdaily.ca/articles/3117/q-a-with-maj-gen-blaise-cathcart>.

6 Voir, par exemple, Canada, ministère de la Défense nationale, Protection, Sécurité, Engagement : La politique de défense du Canada, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 2017, p. 59 : « Le Canada a besoin de forces armées souples et compétentes. En tant qu’instrument de puissance nationale, les forces armées constituent une capacité importante et unique dont le gouvernement du Canada peut se servir pour faire avancer les intérêts canadiens, promouvoir les valeurs canadiennes et faire preuve de leadership dans le monde. »

7 Voir, par exemple, Canada, ministère de la Défense nationale, Servir avec honneur : la profession des armes au Canada, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 2009, p. 13 : « […] l’impératif fonctionnel des Forces canadiennes est la conduite d’opérations militaires, et c’est ce qui façonne l’identité de combattants des militaires professionnels canadiens. Cet impératif délimite aussi la responsabilité des membres de la profession devant le gouvernement et la société et dicte l’expertise requise pour la conduite efficace des opérations. »

8 Canada, ministère de la Défense nationale, Directives du CEMD aux Commandants, Ottawa, ministère de la Défense nationale, paragr. 1001.1 [Directives du CEMD aux Commandants].

9 R c. Ross, 2003 CM 52, at para 13.

10 R. c. Moriarity, 2015 C.S.C. 55, paragr. 54 [Moriarity] (citant, avec approbation, le mémoire de la Couronne intimée).

11 Chris Madsen, Another Kind of Justice: Canadian Military Law from Confederation to Somalia, Vancouver, UBC Press, 1999, p. 3 [caractères gras ajoutés].

12 R. c. Moriarity, précité, note 10, paragr. 48.

13 Voir, par exemple, Canada, ministère de la Défense nationale, Le leadership dans les Forces canadiennes : fondements conceptuels, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 2005, p. 41 : « Le rôle traditionnel de la discipline militaire vise principalement à contrôler les forces armées pour afin qu’elles n’abusent pas de leurs pouvoirs, à s’assurer que les militaires accomplissent efficacement les tâches qui leur sont assignées – particulièrement lorsqu’ils se trouvent face à un danger. »

14 Généreux, précité, note 3, p. 281.

15 Projet de loi C-15, précité, note 2 (édictant ces objectifs essentiels à l’art. 203.1 de la LDN, précitée, note 2).

16 Voir Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-34, art. 718 : « Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre […] ».

17 Dans Moriarity, précité, note 12, la CSC a conclu que dans le contexte de l’analyse de la portée excessive effectuée en fonction de l’article 7 de la Charte, le système de justice militaire dans son ensemble a pour objet le maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes. Toutefois, Moriarity ne peut être interprété comme cherchant à écarter Généreux. Au contraire, dans Moriarity, la CSC a déclaré que Généreux ne règle pas la question du but ou de l’objet des dispositions contestées [al. 117f) et art. 130 de la LDN, précitée, note 2] dans le contexte de l’analyse de la portée excessive. Dans Moriarity, la CSC semble indiquer que l’énoncé de l’objet exprimé dans Généreux intégrait à la fois l’objectif du CDM et ses effets d’une manière qui n’était pas utile pour l’analyse de la portée excessive. Généreux demeure ainsi toujours valide en droit du fait que le système de justice militaire (de par les résultats qu’il produit, du moins) joue un rôle public plus large, soit réprimer des comportements particuliers menaçant l’ordre et le bien-être publics. Voir Moriarity, précité, note 10, paragr. 47 (où la CSC indique que « cet énoncé [d’un rôle de nature publique pour le système de justice militaire dans Généreux] intègre à la fois l’objectif du régime et ses effets d’une manière qui n’est pas utile pour l’analyse de la portée excessive [au regard de l’article 7 de la Charte] »).

18 En 2016-2017, par exemple, 55 cours martiales et 553 procès sommaires ont été tenus dans les FAC : Canada, ministère de la Défense nationale, Rapport annuel du Juge-avocat général 2016-2017 au ministre de la Défense nationale sur l’administration de la justice militaire du 1er avril 2016 au 31 mars 2017, Ottawa, CJAG, 2017.

19 Directives du CEMD aux commandants, précitées, note 8, paragr. 1001.3 [caractères gras ajoutés].

20 Ibid., paragr. 101.1.

21 Canada, ministère de la Défense nationale, Rapport du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et sur les services d’enquête de la police militaire, présenté au ministre de la Défense nationale le 14 mars 1977, par le très honorable Brian Dickson, le lieutenant-général Charles Belzile et Bud Bird, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 1997, p. 10; Canada, ministère de la Défense nationale, Rapport final de l’autorité indépendante chargée du deuxième examen à l’honorable Peter G. MacKay, ministre de la Défense nationale, par l’honorable Patrick J. LeSage, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 2011, p. 12.

22 Voir les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, art. 108.07 [ORFC]. Ces infractions sont, au regard du Code criminel, des infractions aux termes des articles 129 (Infractions relatives aux agents de la paix); 266 (Voies de fait); 267 (Agression armée ou infliction de lésions corporelles); 270 (Voies de fait contre un agent de la paix); 334 (Punition du vol), si la valeur de ce qui est volé ne dépasse pas cinq mille dollars; 335 (Prise d’un véhicule à moteur ou d’un bateau sans consentement); 430 (Méfait), à l’exception d’un méfait qui cause un danger réel pour la vie des gens; et 437 (Fausse alerte). De plus, sous le régime de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, une infraction au paragraphe 4(1) [Possession de substances] peut également être jugée dans le cadre d’un procès sommaire.

23 Précité, notes 8, 9 et 11.

24 Voir, par exemple, R. c. Moriarity, précité, note 12, paragr. 51 : « [L]’objectif consistant à maintenir la “discipline, l’efficacité et le moral” est rationnellement lié au traitement des comportements criminels auxquels se livrent des militaires, même en dehors d’un contexte militaire ». Voir aussi le paragr. 52 de cette même décision : « Même commis dans des circonstances non directement liées à des fonctions militaires, un comportement criminel ou frauduleux peut avoir une incidence sur les normes applicables au titre de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes. »

25 L’infraction d’ivresse prévue à l’article 97 de la LDN, lorsqu’elle est commise par un militaire du rang qui n’est pas en service actif (c.-à-d. qui n’est pas un membre de la Force régulière ni un membre de la Force de réserve se trouvant à l’extérieur du Canada) est passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 90 jours. Dans tous les autres cas, cette infraction est passible d’une peine d’emprisonnement de moins de 2 ans.

26 Voir de façon plus générale R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, et Guindon c. Canada, 2015 C.S.C. 41.

27 Il est possible d’imposer des peines d’emprisonnement pour des infractions réglementaires (non criminelles) au Canada, mais cette situation n’est pas courante.

28 R. c. Wehmeier, 2014 CACM 5, paragr 31.

29 Directeur des poursuites militaires, « Directive du DPM no 003/00, Révision postérieure à l’accusation » (17 mai 2016), paragr. 4. Sur Internet : <URL : http://www.forces.gc.ca/fr/a-propos-politiques-normes-juridiques/revision-posterieure-accusation.page>.

30 Sur ce point, voir les commentaires formulés par un ancien juge militaire, au chapitre 4 (Consultations) ci-dessus, section 4.4.5 (Lcol Perron [à la retraite]); on y décrit l’indépendance des juges militaires par rapport aux principaux dirigeants des FAC – même sur des questions comme les mesures préalables au déplacement qui doivent être prises pour assurer l’état de préparation, avant de tenir une cour martiale dans un théâtre d’opérations.

31 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, 1125 RTNU 3 (entrée en vigueur le 7 décembre 1979), paragr. 86(1) :

« Les Hautes Parties contractantes et les Parties au conflit doivent réprimer les infractions graves et prendre les mesures nécessaires pour faire cesser toutes les autres infractions aux Conventions ou au présent Protocole qui résultent d’une omission contraire à un devoir d’agir. » Voir également le paragraphe 43(1) de ce même protocole, qui prévoit que les forces armées d’une partie à un conflit doivent être « soumises à un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du droit international applicable dans les conflits armés ».

32 Voir, par exemple, Toby S. Goldbach et Valerie P. Hans, « Juries, Lay Judges and Trials », Encyclopedia of Criminology and Criminal Justice, Gerben Bruinsma et David Weisburd (éditeurs), New York, Springer Science and Business Media, 2014, à 2720 :

[traduction]
À son meilleur, la prise de décisions par un jury s’apparente à plusieurs égards à la démocratie délibérative. Les membres du jury ont des points de vue différents qu’ils peuvent exposer et évaluer dans le cadre d’une discussion réfléchie. Une discussion ouverte aide à s’assurer que la preuve est évaluée en profondeur, que les explications contradictoires sont examinées et que les souvenirs inexacts sont corrigés. Grâce à ce processus de délibération et de discussion, le jury parvient à des conclusions ayant force exécutoire à l’égard de la culpabilité ou de l’innocence du défendeur. Des études empiriques sur la prise de décisions collective confirment une partie des prédictions de la théorie de la démocratie délibérative. Des études montrent que les groupes d’individus sont plus aptes à se rappeler des faits, à corriger les erreurs et à mettre en commun l’information qu’un individu seul. Toutefois, des études révèlent également qu’au cours du processus de délibération, lorsque les jurés sont mis au fait du point de vue de la majorité, ils ont tendance à l’adopter qu’il s’agisse de condamner ou d’acquitter l’accusé.

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