Examen externe sur l’inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes - Programmes et ressources externes

Marie Deschamps, C.C., Ad. E.

Responsable de l’examen externe

Le 27 mars 2015 (version française : 20 avril 2015)

8. Programmes et ressources externes

Il existe un nombre remarquable de programmes qui peuvent procurer aux victimes de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle une aide allant du soutien moral aux soins de santé et aux services juridiques. Cela dit, l’accessibilité à de tels services pour les militaires qui en ont besoin et le degré d’efficacité de l’aide apportée varient largement d’un endroit à l’autre.

8.1 Aumôniers, infirmières et infirmiers, travailleuses et travailleurs sociaux ainsi que médecins

Chaque base compte des aumôniers, des infirmières ou infirmiers, des travailleuses et travailleurs sociaux et des médecins. Ces professionnels constituent la source d’aide la plus accessible aux victimes en détresse. Bien que plusieurs personnes interviewées ont indiqué qu’il y a certaines limites à l’aide que ces professionnels peuvent apporter aux victimes, ils n’en demeurent pas moins une ressource importante.

8.1.1 Aumôniers

Conformément aux Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes concernant les services d’aumônerie, tous les commandants doivent veiller à ce que les membres de la base, de l’unité ou de l’élément dont ils assurent le commandement bénéficient des services d’un aumônier 334. La REE a rencontré des aumôniers dans chacune des bases qu’elle a visitées. Fait à noter, les aumôniers semblaient ne pas tous avoir la même perception de leur rôle relativement aux incidents de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle. Par exemple, dans certaines bases, les aumôniers ont dit avoir un rôle passif et offrir surtout soutien religieux et écoute, tandis que dans d’autres bases, les aumôniers ont dit avoir un rôle proactif et même agir parfois comme défenseur de la victime.

Bien que tous les militaires consultés conviennent de la disponibilité des aumôniers, plusieurs semblent ne pas avoir trouvé leur expérience positive. Par exemple, un certain nombre de femmes subalternes ont signalé avoir dû demander la permission d’un supérieur pour aller rencontrer l’aumônier et s’être fait demander pourquoi elles avaient besoin de voir le voir. Plusieurs victimes ont rapporté avoir été stigmatisées pour être allées « pleurer sur l’épaule du padre » 335et privées de confidentialité. En outre, bon nombre ont trouvé que l’aumônier ne leur a apporté qu’une aide limitée. Par exemple, une victime a déclaré que l’aumônier lui avait offert de « prier pour lui » 336, une autre, que l’aumônier lui avait conseillé de ne pas porter plainte pour éviter de nuire à sa carrière 337, et une autre encore, qu’elle croyait que l’aumônier avait par la suite transmis ses confidences à son commandant 338. La REE a constaté que de toute évidence, les aumôniers des bases ne sont pas des conseillers dûment formés et que le soutien qu’ils peuvent effectivement apporter dépend de leurs prédispositions et de leur volonté personnelles plutôt que d’une approche institutionnelle.

Malgré les critiques formulées et les lacunes du soutien apporté, les services d’aumônerie demeurent néanmoins source de réconfort pour bien des militaires.

8.1.2 Infirmières et infirmiers ainsi que travailleuses et travailleurs sociaux

Les membres des FAC ont également droit à des soins médicaux, et les victimes de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle en ont souvent besoin. Les soins médicaux comprennent non seulement ceux offerts par les médecins, mais aussi par les infirmières et infirmiers ainsi que les travailleuses et travailleurs sociaux. Dans presque toutes les bases, les infirmières et infirmiers et les travailleuses et travailleurs sociaux ont fourni des informations précieuses à la REE. Ils semblent inspirer confiance aux victimes et pouvoir les aider mieux que toutes les autres ressources prévues pour leur soutien.

Bon nombre de ceux de ces groupes qui ont participé aux entrevues ont décrit ce qui leur semble être le peu d’importance que les FAC accordent aux incidents de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle. Certains travailleuses et travailleurs sociaux ont déploré l’éventail limité des services qu’ils peuvent offrir. Ils estiment que les victimes ont besoin d’un défenseur, mais qu’ils ne sont pas outillés pour jouer un tel rôle. De plus, bien qu’ils semblent constituer une ressource précieuse, ils ne sont habituellement appelés à intervenir que si la victime est en grande détresse et que son unité de soins médicaux en fait la recommandation. En effet, même s’il est énoncé dans la politique que les militaires peuvent obtenir des services d’urgence en santé mentale directement de la clinique médicale de la base, les militaires sont portés à se présenter d’abord à la clinique de l’unité, ce qui retarde le traitement. La détresse avancée dans laquelle des infirmières et infirmiers ont trouvé certaines victimes illustre bien comment l’état de la victime peut se détériorer lorsqu’elle ne reçoit pas l’aide nécessaire à temps.

Une autre difficulté d’accès aux services médicaux réside dans la perte de confidentialité inhérente à la nécessité que la victime se rende dans un établissement médical (généralement dans un endroit centralisé, souvent à la vue de tous) pour recevoir des soins et qu’elle soit étiquetée comme ayant un « problème de santé » 339.

Dans l’ensemble, la REE a conclu que les infirmières et infirmiers ainsi que les travailleuses et travailleurs sociaux sont une ressource précieuse pour les victimes de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle, et parfois pour les personnes mises en cause ou les accusés en détresse.

8.1.3 Médecins

La REE a constaté que peu de médecins étaient disposés à parler ouvertement d’incidents de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle. Bien des médecins ont affirmé n’avoir jamais traité de dossier de harcèlement sexuel ni d’agression sexuelle, ce qui, dans plusieurs cas, semble indiquer un flagrant manque de transparence compte tenu des renseignements que la REE a obtenus d’autres sources 340. Les affirmations de ces médecins ont donc de quoi inquiéter et soulèvent des doutes quant à la volonté des médecins d’aborder les incidents de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle ou quant à la formation qu’ils ont suivie. La situation est d’autant plus préoccupante que certaines personnes interviewées ont déclaré à la REE qu’après avoir signalé au médecin avoir été victimes d’une agression sexuelle, elles se sont heurtées à du scepticisme au lieu de recevoir du soutien 341.

La REE note que les médecins pourraient constituer un maillon important du soutien offert aux victimes, dans la mesure où ils reçoivent la formation qui s’impose et des directives sur les attentes des FAC en la matière.

8.2 Autres services de soutien aux victimes

En vertu du programme d’aide aux victimes mis en œuvre par la PM, « [l]’unité de PM qui mène l’enquête doit communiquer régulièrement et de façon continue avec chaque victime » et les victimes d’agression sexuelle doivent être traitées avec des égards particuliers. La PM doit rester en contact régulier et continu avec la victime « afin de discuter de toute aide nécessaire et de l’informer sur l’avancement du dossier » 342. De même, il est prévu dans la politique qu’un coordonnateur de l’aide aux victimes est nommé comme point de contact pour toutes les victimes dont le dossier est confié à un enquêteur du SNEFC. Un dépliant qui décrit tous les services de soutien offerts aux victimes et donne les coordonnées de personnes-ressources est distribué dans les bases.

Même si la politique est très claire pour ce qui est d’offrir du soutien aux victimes d’agression sexuelle, les personnes interviewées se sont dites très insatisfaites du soutien reçu 343. Les victimes ont dit ne pas avoir été bien informées de l’avancement de leur dossier dans le processus de justice militaire, ni avoir reçu suffisamment de soutien émotionnel 344. Elles ont également déclaré n’avoir pas été bien préparées pour leur comparution en cour 345. De fait, le programme d’aide aux victimes de la PM semble ne même pas avoir été mis en œuvre dans un grand nombre de cas. Bref, bien qu’il existe sur papier un certain nombre de mécanismes d’aide aux victimes, la REE a constaté qu’en réalité, le soutien aux victimes relève d’une approche ponctuelle qui ne répond pas aux besoins des victimes à bien des égards.

Outre le programme d’aide aux victimes mentionné ci-dessus, d’autres ressources sont mises à la disposition des victimes dans quelques bases, par exemple les Centres de ressources pour les familles de militaires, jouent parfois un rôle actif dans le soutien aux victimes de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle. Il arrive aussi qu’un centre de ressources offre des services de défense des femmes victimes d’agression financés en partie par le gouvernement provincial. Là encore, cependant, il s’agit de services ponctuels dont ne peuvent pas bénéficier toutes les victimes.

Les militaires peuvent aussi se prévaloir de lignes téléphoniques d’aide, tant au niveau local qu’au niveau national. Par exemple, le Programme d’aide aux membres des Forces canadiennes, en partenariat avec le Service d’aide aux employés de Santé Canada, offre une ligne d’écoute téléphonique 24 heures sur 24, tous les jours de l’année. Les militaires peuvent également s’adresser à la Ligne info-santé des Forces canadiennes pour savoir comment obtenir des services de santé.

Dans certaines bases, des organisations distribuent des dépliants qui font connaître les services offerts dans la communauté 346. Au cours des dernières années, les problèmes de santé mentale des militaires ont reçu une attention accrue. Dans ce contexte, les militaires reçoivent fréquemment des renseignements concernant les ressources disponibles, incluant les aumôniers, les services de santé, la ligne téléphonique du Programme d’aide aux membres des FC et les ressources civiles locales 347.

Au CMRR, à Kingston, un Groupe d’aide aux pairs (GAP) a été mis sur pied il y a quelques années. La REE a rencontré plusieurs personnes qui ont fait appel au GAP ou qui en ont fait partie. Dans l’ensemble, la REE a trouvé impressionnants la formation donnée aux participants et le soutien que ces derniers semblent avoir pu apporter à leurs pairs en détresse. Elle suggère que l’efficacité du GAP et la possibilité de l’étendre à d’autres emplacements fassent l’objet d’un examen.

Bien qu’il semble exister un certain nombre de programmes destinés aux victimes d’agression sexuelle, la plupart des personnes interviewées ont déploré la difficulté d’obtenir des renseignements sur les services offerts; les victimes ne savent pas vers qui se tourner pour obtenir de l’information pertinente. Les recrues ont signalé qu’elles n’ont pas accès au site Web des FAC, et, de façon générale, certaines des personnes interviewées ont critiqué l’absence d’un site Web qui regrouperait l’information sur toutes les ressources d’aide disponibles. La somme des renseignements communiqués aux victimes varie donc considérablement selon la personne à qui elles s’adressent et l’endroit où elles se trouvent. De plus, quelques femmes officiers ont dit qu’elles ont parfois pu déceler des signes de détresse chez des femmes subalternes et leur offrir leur soutien, mais la plupart des personnes interviewées qui ont signalé des incidents à la REE ont ajouté qu’elles avaient caché ces incidents à leurs pairs et à leurs superviseurs.

8.3 Ressources externes

Les membres des FAC peuvent également avoir recours à des ressources externes comme l’ombudsman du ministère de la Défense nationale et la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). Pour les raisons énoncées ci-dessous, la REE conclut que ces deux organismes apportent peu de soutien ou d’aide aux victimes d’agression sexuelle.

D’après le Manuel de référence du conseiller en matière de harcèlement, l’ombudsman peut contribuer comme ressource à la résolution des plaintes :

  • L’[o]mbudsman exerce son mandat en dehors de la chaîne de commandement et de l’administration du Ministère et relève directement du ministre. Lorsqu’une plainte est adressée à l’[o]mbudsman à propos du traitement d’une plainte, l’[o]mbudsman peut se pencher uniquement sur le processus afin de s’assurer que les gens sont traités en toute justice et équité. 348

L’ombudsman soutient que l’institution n’a pas compétence en matière d’agressions sexuelles, mais qu’il est toutefois habilité à examiner le processus de harcèlement.

Malgré les efforts déployés par la REE, l’ombudsman a décliné la demande qui lui a été faite de participer à l’examen. De toute façon, aucune des personnes interviewées qui avaient communiqué avec le Bureau de l’ombudsman n’a trouvé la démarche utile. Parfois, l’ombudsman a refusé d’enquêter sur une plainte 350 ou n’a effectué aucun suivi après la correspondance initiale 349. Parfois encore, les personnes interviewées ont estimé que la démarche n’en valait pas la peine, car elles percevaient que l’institution ne pourrait faire valoir leurs droits 351. La REE conclut que le Bureau de l’ombudsman n’est pas une institution qui est conçue pour fournir aux victimes un soutien juridique ou émotif, et qu’il ne devrait donc pas être cité comme ressource vers qui orienter les victimes qui ont besoin d’aide avant, pendant ou après le processus de plainte de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle.

La CCDP est parfois citée elle aussi comme ressource externe par les FAC. Ces dernières informent les militaires qu’elles et ils sont libres de se présenter à la CCDP pour demander une réparation en relation avec une plainte de relativement au harcèlement sexuel. La difficulté que présente une telle voie est que la CCDP n’accepte les plaintes de militaires que si tous les recours internes des FAC ont été épuisés. Bref, une plaignante ou un plaignant doit généralement faire cheminer sa plainte jusqu’au sommet de sa chaîne de commandement et compléter le processus de redressement de grief pour que la CCDP la considère recevable. Dans les faits, les données statistiques fournies à la REE indiquent qu’aucune plainte de harcèlement – catégorie qui inclut les plaintes de harcèlement sexuel – n’a été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne entre le 1er janvier 2009 et le 18 juillet 2014 352.

8.4 Pistes d’amélioration

Rien ne saurait remplacer les ressources internes décrites ci-dessus. Les victimes, et parfois les personnes mises en cause, ont besoin de soutien. Souvent, les premiers professionnels que la victime rencontre après l’incident sont les aumôniers, les infirmières et infirmiers, les travailleuses et travailleurs sociaux ainsi que les médecins. Ces professionnels jouent donc un rôle crucial pour les victimes et leur procurer les soins médicaux nécessaires; leurs services doivent être maintenus et renforcés. Plus précisément, leurs responsabilités devraient être élargies, et l’étendue de leur rôle de soutien aux victimes de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle devrait être précisée. Ces professionnels devraient recevoir une formation supplémentaire sur le soutien à offrir aux victimes de comportements sexuels inappropriés. Plus particulièrement, les médecins et les aumôniers devraient recevoir une formation supplémentaire pour apprendre à soutenir les militaires en détresse de façon sensible et appropriée.

De plus, il y a lieu de coordonner les nombreuses autres ressources ponctuelles destinées aux victimes. La responsabilité d’une telle coordination devrait relever du centre de responsabilisation en matière de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle (CRHaSAS). Le personnel du CRHaSAS devrait aussi être prêt à agir comme défenseur des victimes de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle. Dans les cas d’agression sexuelle, le défenseur pourrait remplacer le coordonnateur du soutien aux victimes et faire le suivi des moyens mis en œuvre pour répondre aux besoins de la victime. Il pourrait aussi assumer d’autres responsabilités, comme celles d’accompagner la victime au moment de faire sa déposition, de communiquer avec les autorités policières concernées pour s’informer de l’avancement du dossier, etc. Précisons que la REE ne recommande pas la création d’un poste de défenseur dont le rôle serait limité à la coordination des services de soutien. Elle propose plutôt que le CRHaSAS dispose d’un certain nombre de défenseurs qui guideraient et conseilleraient activement les victimes engagées dans le processus de plaintes ou d’enquête.

Recommandation no 9

Confier la responsabilité d’assurer, de coordonner et de surveiller le soutien aux victimes au centre de responsabilisation en matière de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle, y compris la responsabilité d’agir comme défenseur des victimes engagées dans le processus de traitement des plaintes ou d’enquête.

334 ORFC, art. 33.06
335 Groupe de discussion : femmes subalternes; entrevues organisées par le coordonnateur
336 Témoignage volontaire
337 Témoignage volontaire
338 Groupe de discussion : femmes réservistes, femmes subalternes; entrevues organisées par le coordonnateur; témoignages volontaires
339 Groupe de discussion : femmes stagiaires; entrevues organisées par le coordonnateur
340 Entrevues organisées par le coordonnateur
341 Groupe de discussion : femmes et hommes de PAI
342 Programme d’aide aux victimes mis en œuvre par la PM, document remis à la REE par les FAC
343 Témoignages volontaires
344 Témoignages volontaires
345 Témoignages volontaires
346 Par exemple, l’Équipe consultative sur le bien-être de la communauté de la défense d’Esquimalt distribue un dépliant sur les situations d’urgence qui répertorie les ressources locales comme le Victoria Women’s Sexual Assault Center.
347 Entrevues organisées par le coordonnateur
348 Manuel de référence du conseiller en matière de harcèlement, p. 108
349 Témoignages volontaires
350 Témoignages volontaires
351 Entrevues organisées par le coordonnateur; témoignages volontaires
352 Compte manuel fourni à la REE; entrevues organisées par le coordonnateur

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