Les guerres dans l'Amérique du Nord précolombienne

Les explorateurs européens qui « découvrent » les Amériques au XVe siècle débarquent sur une terre déjà habitée par une population indigène importante et hétérogène. Selon les récits de la création du monde chez les Autochtones, leurs ancêtres vivent là depuis toujours. Selon les archéologues, des êtres humains habitent alors ce qui est devenu le Canada depuis au moins 12 000 ans et probablement bien plus longtemps.

Guerrier mohawk de Tyendinaga, automne 1813

Bien que peu nombreux, les guerriers de la petite collectivité mohawk de Tyendinaga, près de Kingston, ont participé à beaucoup de combats pendant la guerre de 1812, notamment à Sacketts Harbor et dans la péninsule de Niagara en 1813. C’est au cours de la bataille de Crysler’s Farm en novembre 1813 qu’ils se sont le plus illustrés, ayant joué un rôle très important en dépit de leur petit nombre. Ce guerrier est représenté tel qu’on aurait pu le voir à Crysler’s Farm. (Tableau de Ron Volstad (ministère de la Défense nationale)).

La population autochtone comprend plusieurs nations que les ethnologues classent selon leurs caractéristiques culturelles et linguistiques. À l’Est, de la côte atlantique jusqu’à la région des Grands Lacs, les Algonquiens et les Iroquoiens se partagent les ressources de la forêt boréale subarctique et des forêts de feuillus du Nord-Est. Les premiers sont pour la plupart nomades et vivent de chasse, de cueillette et de pêche. En règle générale, les Beothuks à Terre-Neuve, les Mi’kmaq, les Abénaquis et les Malécites dans les Maritimes, ainsi que les Algonquins, les Attikamekw, les Naskapis, les Montagnais (maintenant connus sous le nom d’Innu), les Odawas, les Nipissings, les Ojibways et les Cris au Québec et en Ontario se rassemblent tous en été à des lieux de pêche stratégiques pour se rencontrer, commercer et nouer des alliances. En automne, ils se dispersent pour l’hiver en bandes de chasseurs apparentés. Les nations de langues iroquoiennes, en revanche, sont beaucoup plus sédentaires. Les Cinq-Nations (aussi connues sous le nom d’Iroquois ou Hodenosaunee), de même que les Hurons, les Neutres, les Pétuns et les Ériés, vivent dans des villages qui peuvent compter jusqu’à 2 000 habitants autour des lacs Ontario, Érié et Huron. Ils habitent des « longues maisons » de 10 à 30 mètres de longueur faites de bois recouvert d’écorce qui logent chacune de trois à cinq familles. Le climat plus doux que chez leurs voisins algonquins leur permet de développer la forme la plus nordique de l’agriculture autochtone en Amérique du Nord, basée sur la culture du maïs, de la courge, de la fève, du tournesol et du tabac.

Dans les plaines du Nord, les Assiniboines et les Pieds- Noirs mènent une vie de piétons nomades. Ils tirent principalement leur subsistance de la chasse au bison, très abondant à l’époque, et qui répond à presque tous leurs besoins : ils se nourrissent de sa chair, utilisent son cuir pour se vêtir et recouvrir leurs habitations et se servent de ses cornes et ses os pour fabriquer des outils et des armes. Dans les forêts subarctiques, qui s’étendent du Nord du Manitoba jusqu’au Yukon en passant pas les Territoires du Nord-Ouest, vivent les très nomades nations de langue athapascane, Chipewyans, Esclaves, Sékanis, Plats-Côtés-de-chiens, Castors, Sarsis, Lièvres et autres. Leur mode de vie est analogue à celui des nations algonquiennes et leur principal moyen de subsistance est la chasse à l’orignal et au caribou. Sur l’autre versant des Rocheuses, on retrouve les peuples de la cordillère et de la côte du Pacifique. Ces nations de l’intérieur montagneux comprennent les Kutenais ainsi que diverses peuplades de l’intérieur, de langues athapascane et salish, qui vivent de chasse et de cueillette. Dans la région côtière linguistiquement hétérogène, on retrouve les Haïdas, les Kwakwaka’wakw (Kwakiutl), les Nuu chah nulth (Nootkas), les Cowichans, les Tlingits, les Tsimshians et d’autres peuplades dont le mode de vie est basé sur le saumon et le cèdre. L’économie de subsistance prospère de la région a donné naissance à certaines des sociétés hiérarchiques les plus populeuses et les plus complexes à s’être constituées chez des chasseurs-cueilleurs dans le monde. Un mode de vie semi-sédentaire au milieu d’une forêt pluviale côtière d’une extrême richesse a permis la création de traditions artistiques très élaborées dans le domaine de la sculpture sur bois, matériau utilisé pour construire des habitations et fabriquer des canots, des ustensiles et divers objets religieux et cérémoniels. Les Autochtones de cette région seront les derniers à entrer en contact avec les Européens, à l’arrivée des explorateurs russes, espagnols et britanniques entre le milieu et la fin du XVIIIe siècle.

Enfin, les Thuléens et leurs descendants culturels et biologiques, les Inuits, que les Français appellent généralement « Esquimaux », vivent dans l’Arctique au nord de la limite forestière. Grâce à leurs ingénieuses inventions, de l’igloo aux kayaks, ils réussissent à survivre dans un environnement aride où leur subsistance est essentiellement tributaire de ressources animales. Pour la majorité des groupes, la mer est la grande pourvoyeuse : les phoques fournissent de la nourriture pour les humains et les chiens, de l’huile pour chauffer les habitations et cuire les aliments et des peaux dont on fait des bottes, des vêtements d’été, des tentes, des harpons et des harnais pour les attelages de chiens. Le caribou est la principale proie terrestre; on se nourrit de sa viande, le cuir et les tendons servent à la confection des vêtements et les bois, à la fabrication des outils. Le cycle saisonnier des Inuits, tout comme celui des autres peuples autochtones d’Amérique du Nord, est très bien adapté aux caractéristiques de leur terre.

Les guerres dans les sociétés autochtones

Hochelaga vers 1535 (Bibliothèque et Archives Canada (C-10489))

Il faut détruire le mythe selon lequel les Autochtones vivaient en parfaite harmonie avant l’arrivée des Européens. En effet, la guerre occupe une place centrale dans la culture et le mode de vie de nombreuses Premières nations. Les guerres sont une réalité permanente partout même si, selon Tom Holm, leur intensité, leur fréquence et leur caractère décisif sont variables. Les causes sont complexes et souvent interreliées, issues de motivations et de besoins individuels et collectifs. Au niveau personnel, les jeunes hommes ont souvent de puissants mobiles pour prendre part à des opérations militaires, car les actes de bravoure sont une source de grand prestige dans la plupart des cultures autochtones. Selon le récit d’un jésuite du XVIe siècle, « l’unique moyen parmi les Illinois de s’attirer l’estime et la vénération publiques, c’est comme chez les autres Sauvages, de se faire la réputation d’habile chasseur, et encore plus de bon guerrier […] c’est ce qu’ils appellent être véritablement homme ». Dans les sociétés de la côte Ouest, les biens matériels et les esclaves acquis lors de pillages constituent des moyens importants d’obtenir des richesses suffisantes pour tenir des potlatchs et autres cérémonies de don. Au niveau communautaire, la guerre est polyfonctionnelle et on la fait pour différentes raisons. Certains conflits sont motivés par des objectifs économiques et politiques, par exemple conquérir l’accès à des ressources ou un territoire, extorquer un tribut à une autre nation ou contrôler des routes commerciales. Le désir de vengeance est un mobile très fréquent dans toute l’Amérique du Nord et peut déclencher des cycles récurrents de violence, souvent de faible intensité, qui se perpétuent parfois pendant des générations. Les nations iroquoiennes du Nord-Est se livrent à des « guerres de deuil ». Il s’agit de raids destinés à capturer des prisonniers qui sont ensuite adoptés par les familles endeuillées pour remplacer certains de leurs membres morts prématurément de maladie ou tués dans des combats.

Les indices recueillis par les archéologues confirment le rôle de premier plan que tenait la guerre dans les sociétés autochtones bien avant l’arrivée des premiers pionniers européens permanents. Dès l’an 1000, par exemple, les villages hurons, neutres, pétuns et iroquois sont de plus en plus souvent entourés d’une palissade de pieux qui peut atteindre 10 mètres de hauteur, et certains ont une deuxième, voire une troisième enceinte pour mieux se protéger des attaques de l’ennemi. Craig Keener décrit de quelle façon ces structures deviennent de plus en plus imposantes et élaborées jusqu’aux années 1500. On se sert même parfois de pieux de 24 pouces de diamètre pour construire ces défenses multicouches, ce qui représente un énorme investissement en travail commun que les villageois n’auraient certainement pas fait s’ils ne l’avaient pas jugé nécessaire. Des sièges et des assauts devaient donc être livrés contre ces villages fortifiés avant l’arrivée des Européens et il y en a très certainement eu aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les guerres ont aussi entraîné la création de systèmes politiques très complexes parmi ces nations iroquoiennes. Les grandes confédérations, comme la Confédération iroquoise des Cinq-Nations et la Confédération huronne, qui datent probablement de la fin du XVIe siècle, sont nées du désir de leurs membres de mettre fin aux guerres fratricides qui ravagaient leurs sociétés depuis des centaines d’années. L’organe central de ces organisations est le Conseil de la confédération, auquel on soumet les différends intertribaux afin de les régler sans effusion de sang. Les conseils s’occupent également de questions de politique étrangère, comme l’organisation d’expéditions militaires et la constitution d’alliances.

Pratiques militaires traditionnelles

Avant la colonisation européenne, la façon de faire la guerre est différente selon la région. Nous nous attacherons surtout, dans les paragraphes qui suivent, aux usages dans les forêts du Nord-Est, mais il existe certains traits communs évidents. Dans les régions où il est possible de rassembler des troupes de guerriers importantes, les batailles sont souvent très ritualisées et livrées de façon à limiter le nombre de victimes, comme en témoigne cette description, consignée par le commerçant de fourrures David Thompson, qu’un aîné peigan, Sauksamappee, a faite d’un combat livré contre les Shoshones dans la région d’Eagle Hills en Saskatchewan, pendant sa jeunesse, bien avant l’arrivée des Européens avec leurs chevaux et leurs fusils.

[Traduction]
Après avoir chanté et dansé, ils se sont assis sur le sol et ont placé devant eux leurs grands boucliers qui les abritaient. Nous avons fait la même chose, mais nous n’avions pas autant de boucliers et certains de nos boucliers devaient protéger deux hommes. Leurs guerriers étaient placés épaule contre épaule; leurs arcs n’étaient pas aussi longs que les nôtres, mais ils étaient faits de meilleur bois et le dos était recouvert de tendons de bison, ce qui les rendait très élastiques, et leurs flèches parcouraient une longue distance et venaient siffler à nos oreilles comme des balles de fusil […] des deux côtés, il y a eu plusieurs blessés, mais personne ne gisait au sol; et la nuit a mis fin à la bataille sans qu’un scalp ait été prélevé d’un côté ou de l’autre, et en ce temps-là, c’était le résultat habituel à moins que l’un des camps ne soit beaucoup plus nombreux que l’autre.

Attaque d’un fort autochtone
Attaque d’un fort au cours d’une bataille entre deux nations autochtones. (Bibliothèque et Archives Canada (C-92245))

Également, en 1609, l’explorateur français Samuel de Champlain livre bataille aux Iroquois avec ses alliés montagnais. Le récit détaillé qu’il fait de l’affrontement montre que les usages militaires sont très ritualisés et régis par des règles strictes. Par exemple, lorsque les deux groupes se rencontrent sur les berges du lac Champlain, ils négocient pour décider de l’heure à laquelle on livrera combat. Il est décidé « qu’il fallait attendre le jour pour se reconnaître et qu’aussitôt que le soleil se lèverait », on livrerait bataille. « Toute la nuit se passa en danse et chanson », rapporte Champlain, qui ajoute que les deux camps échangent « une infinité d’injures » et se menacent l’un l’autre. Au lever du soleil, les armées, de plus de 200 guerriers chacune, se placent en rangs serrés l’une en face de l’autre et se rapprochent calmement et lentement, prêtes à engager le combat. Tous les guerriers sont armés d’arcs et de flèches et portent des armures faites de bois et d’écorce reliés par des fibres de coton. Champlain et deux autres soldats français ouvrent le feu avec leurs arquebuses, ils tuent les trois principaux chefs iroquois et l’ennemi bat en retraite. Finalement, un corps à corps s’engage et les alliés des Français capturent 10 ou 12 prisonniers.

Guerrier iroquois avec mousquet, v. 1730
Cet homme porte des vêtements autochtones, mais il est armé d’un mousquet militaire français, acquis au combat ou lors d’un échange, d’une hache de guerre avec une lame de fer et d’un petit couteau à scalper accroché autour du cou. À noter : la baïonnette sur le mousquet. Bien que les guerriers autochtones aient adopté les armes européennes, ils n’employaient pas les tactiques des Européens et avaient davantage tendance à dresser des embuscades qu’à mener des combats rapprochés. (Bibliothèque et Archives Canada (C-003163))

La plupart des Européens se moquent de ce sport relativement peu sanglant. C’était « plus un passe-temps qu’un moyen de vaincre ou d’asservir des ennemis » [traduction], conclut le capitaine John Underhill, de Massachusetts Bay, après avoir été témoin d’un tel engagement. Il est toutefois peu probable que les Européens aient pu être témoins des embuscades et des raids plus courants et plus meurtriers, typiques de la façon autochtone de faire la guerre sur le continent. Dans les forêts du Nord-Est et ailleurs, les armes à feu des Européens vont rapidement rendre ces batailles rangées en terrain découvert trop meurtrières selon les normes culturelles autochtones. Après 1609, la plupart des observateurs rapportent que les Autochtones « ignorent la manière de se battre en pleine campagne » et les récits des combats livrés par les Autochtones décrivent habituellement des techniques de harcèlement que les Français appellent « la petite guerre ». Il s’agit essentiellement d’une forme de guérilla, dont le principal objectif est d’infliger des pertes, de capturer des prisonniers et de prélever des scalps, tout en épargnant le plus possible ses propres troupes. Pour ce faire, les guerriers se déplacent ordinairement en petits groupes et cherchent à fondre sur l’ennemi par surprise ou à l’encercler, tout en évitant d’être victimes des mêmes tactiques de la part de l’adversaire. Il s’agit de tirer parti du terrain pour rester dissimulés et tendre une embuscade à l’ennemi, ou de fondre sur un camp la nuit pour en surprendre les occupants en plein sommeil. Après avoir atteint leur objectif, les guerriers battent en retraite avant que la riposte puisse s’organiser.

Bien qu’adaptées aux conditions dans les forêts d’Amérique du Nord, les tactiques de guérilla des Autochtones sont aux antipodes des méthodes européennes de l’époque. Aux yeux des Européens, pour qui une discipline rigide est essentielle si l’on veut qu’un soldat soit capable de fournir une puissance de feu maximum au sein d’une formation massée en terrain découvert, les guerriers autochtones font figure de combattants indisciplinés, dénués de tout sens tactique. En outre, les Européens considèrent que se dissimuler derrière les arbres est une preuve de couardise et que le fait de viser surtout les officiers est peu sportif et barbare. En 1715, le réputé officier français Louis Laporte de Louvigny décrit les guerriers autochtones de la façon suivante :

sans ordre, ni discipline, dont les coutumes sont opposées des nôtres, qui promettent sans tenir, suivent autant qu’ils le veulent, et s’en retournent dans leurs villages sans difficulté abandonnant l’entreprise la mieux concertée au moindre rêve, par quelque superstition ou par quelque petit accident imprévu […] leur combat se borne à tuer quelqu’homme et en avoir la dépouille et quand ils sont assez heureux pour détruire quelque canot français, où ils trouvent des munitions de guerre et de quoi s’habiller, ce sont des richesses immenses pour eux

Les guerriers autochtones, de leur côté, sont très fiers de leurs propres tactiques et ils méprisent souvent les méthodes de combat européennes, qu’ils jugent courageuses, mais téméraires. Par exemple, Makataimeshekiakiak (Épervier noir), un chef de guerre sauk qui a combattu au cours de la guerre de 1812, écrit :

Plutôt que de profiter de toute occasion de tuer l’ennemi et de préserver la vie de leurs propres hommes (ce qui, pour nous, est considéré de bonne politique chez un chef de guerre), ils s’avancent à découvert et combattent, sans égard au nombre de guerriers qu’ils peuvent perdre! La bataille terminée, ils se retirent pour faire la fête et boire du vin, comme si rien ne s’était passé; après quoi ils font une déclaration écrite concernant ce qu’ils ont fait — chaque adversaire prétendant à la victoire! Et aucun des deux ne rend compte de la moitié des tués de son propre camp. Ils ont tous combattu en braves, mais ne seraient pas de taille à mener une guerre avec nous. Nous avons pour maxime de « tuer l’ennemi et de sauver nos propres hommes ». Ces chefs [blancs] feraient l’affaire pour pagayer dans un canot, mais pas pour le diriger.

Le contact entre les Autochtones et les nouveaux venus met en présence deux systèmes militaires distincts en Amérique du Nord, enclenchant un processus d’apprentissage et d’emprunt mutuels.

Guerriers et raids

Si les femmes jouent un rôle politique et social important dans les sociétés autochtones, les activités militaires, tout comme la chasse, sont ordinairement réservées aux hommes. Dès leur plus jeune âge, les garçons sont initiés à l’utilisation des armes et on leur apprend à tuer des animaux et des hommes. Les liens entre la guerre et la chasse sont si étroits que les guerriers qui partent pour le combat disent parfois qu’ils vont « à la chasse à l’homme » [traduction]. Les guerriers passent une bonne partie de leur vie à s’entraîner et ils acquièrent une adresse remarquable. Leur dextérité dans le maniement des armes et leur habileté à éviter les flèches de l’ennemi sont notoires. On dit de certains guerriers qu’ils « décochent si adroitement et si promptement [leurs flèches] qu’à peine donnent-ils loisir à ceux qui ont des fusils de coucher en joue ». Ils sont également endurcis aux rigueurs de la vie en plein air et capables au besoin de passer des jours sans se nourrir. Un commentateur contemporain écrit des Iroquois : « Ils se tiennent souvent derrière leurs arbres deux ou trois jours sans manger, attendant l’occasion favorable pour tuer un ennemi. »

Les expéditions militaires importantes sont généralement précédées d’une grande fête à laquelle participe toute la communauté et qui fournit à ceux qui veulent se joindre à l’expédition l’occasion de danser et d’entonner leurs « chants de guerre ». Les guerriers se préparent ensuite spirituellement et physiquement pour prendre le sentier de la guerre et parfois, se peignent le visage en rouge (la couleur du sang et de la guerre) pour dissimuler à l’ennemi « sur leur visage quelque air de pâleur et de crainte ». Les guerriers se parent de temps à autre d’accoutrements distinctifs. Par exemple, les chefs Iroquois portent des coiffures élaborées qui témoignent de leur rang et les guerriers décorent leurs boucliers et leurs armes de symboles héraldiques et spirituels.

Les guerriers passent souvent de longues périodes loin de leurs villages. Selon certains témoins européens contemporains, ils peuvent parcourir de « trois à quatre cents lieues [de 1 200 à 1 600 km] pour casser une tête et enlever une chevelure ». Il s’agit cependant là d’un exemple extrême. Au XVIIIe siècle, les Iroquois de la vallée du Saint-Laurent se rendent jusqu’en Caroline pour livrer bataille aux peuplades qu’ils appellent les Têtes-Plates (terme générique qui inclut les Chickasaws, les Choctaws et les Cherokees). Pour parcourir de telles distances, il leur faut voyager léger. Les guerriers ne transportent que leurs armes et parfois des provisions de maïs; ils chassent en cours de route pour se nourrir. L’été, les canots d’écorce leur permettent de parcourir rapidement les nombreuses voies navigables qui sillonnent le territoire. En hiver, ils se déplacent en raquettes. Dès qu’ils arrivent chez l’ennemi, les guerriers ne circulent plus que de nuit pour ne pas être vus. Souvent, ils cessent même de chasser, « de crainte que les bêtes n’étant que blessés ne s’enfuient avec la flèche dans le corps et n’avertissent leurs ennemis de se mettre en état de défense ».

À l’arrivée des Européens, la principale arme offensive du guerrier du Nord-Est de l’Amérique du Nord est l’arc et la flèche. La pointe de flèche est ordinairement faite d’os ou d’un éclat de pierre. Lorsqu’ils attaquent un village, les guerriers utilisent parfois des flèches enflammées et on sait que certaines peuplades comme les Ériés empoisonnent leurs pointes de flèches. L’arc a un peu moins de deux mètres de longueur et il est assez puissant pour expédier une flèche à plus de 120 mètres. C’est cependant à courte distance que l’arc et la flèche sont le plus efficace. En 1606, un marin français est tué par une flèche qui a traversé le chien qu’il tient dans ses bras. On apprend donc aux guerriers à s’approcher de l’ennemi pour expédier une volée de flèches avant que l’adversaire ait le temps de réagir. La hachette, mieux connue sous le nom algonquin de « tomahawk », et le casse-tête (une massue d’environ 60 cm, ordinairement en bois très dur et comportant un gros renflement à son extrémité) servent dans les corps à corps à assommer l’adversaire, que souvent on achève au couteau.

Les peuples autochtones adopteront rapidement les armes à feu des Européens. Même si les premières arquebuses sont moins efficaces que l’arc et la flèche, puisque « trop embarrassantes et trop lentes », elles ont l’avantage d’émettre un bruit retentissant quand on tire, ce qui terrifie l’ennemi et le rend plus vulnérable. Quelques Autochtones réussissent bien à mettre la main sur des armes à feu dans la première partie du XVIIe siècle, mais ce n’est pas avant 1640 qu’ils peuvent en faire l’acquisition à grande échelle. Ils maîtrisent rapidement la nouvelle technologie et deviennent plus habiles dans le maniement de ces armes que les Européens. Patrick Malone affirme même que les tribus algonquiennes de la Nouvelle-Angleterre ont appris à très bien évaluer la technologie. Elles ont rapidement compris les inconvénients des arquebuses à mèche et commencé à réclamer des fusils à silex, plus coûteux, mais mieux adaptés à leur façon de chasser et à leur « guerre d’embuscade ». L’usage de l’arc et de la flèche se maintiendra pendant de nombreuses années, spécialement pour les attaques surprises au cours desquelles la détonation risque d’alerter l’ennemi, mais au début du XVIIIe siècle, la majorité des Premières nations du Nord-Est ont adopté le mousquet pour chasser et combattre.

Scalps, torture et cannibalisme

Certains aspects des guerres autochtones choquent les pionniers européens. Par exemple, la coutume de scalper l’ennemi, c’est-à-dire de le dépouiller de son cuir chevelu préalablement détaché au moyen d’une incision au couteau, scandalise bon nombre d’observateurs européens. Bien que certains chercheurs aient avancé que ce sont les Européens eux-mêmes qui auraient introduit cette pratique lors des premiers contacts, il apparaît désormais certain que la coutume du scalp est bien antérieure à la colonisation. En 1535, l’explorateur Jacques Cartier voit cinq scalps exposés dans le village d’Hochelaga. Toutefois, même s’ils s’en indignent, les Blancs encouragent cette pratique chez leurs alliés. À compter des années 1630, les Britanniques offrent une récompense à qui leur rapporte les scalps de leurs ennemis et les Français leur emboîtent le pas dans les années 1680. Selon les ethnohistoriens James Axtell et William Sturtevant, ce sont les Européens (particulièrement les colons britanniques) qui ont commencé à pratiquer le scalp après le contact avec les peuples autochtones, alléchés par les récompenses souvent attrayantes versées par les autorités coloniales.

La torture des prisonniers n’est pas rare dans certaines cultures autochtones. Le jésuite Claude Allouez, qui a vécu parmi les Illinois au XVIIIe, raconte :

c’est pour [un guerrier] le comble de la gloire lorsqu’il fait des prisonniers et les ramène vifs. Dès qu’il arrive, tout le village s’assemble et se range en haie sur le chemin où les prisonniers doivent passer. Cette réception est bien cruelle, les uns leur arrachent les ongles, d’autres leur coupent les doigts ou les oreilles; quelques autres les chargent de coups de bâton.

Arquebusier français

Arquebusier français au Canada, entre 1610 et 1620. (Reconstitution par Michel Pétard (ministère de la Défense nationale))

La torture est cependant hautement ritualisée et il semble qu’elle vise à apaiser les âmes des gens décédés de mort violente. Le prisonnier est ordinairement attaché à un poteau, on lui arrache les ongles et on lui brûle diverses parties du corps, souvent à l’aide d’un tison ou d’un outil métallique rougi au feu. L’idée est de prolonger l’agonie le plus longtemps possible pour que le captif puisse prouver son courage et son endurance. Les tourments s’achèvent ordinairement sur le bûcher, où le prisonnier est finalement immolé. Dans certains cas, les vainqueurs mangent le coeur ou une partie du corps d’un prisonnier dont ils admirent particulièrement le courage. Le jésuite Jean de Brébeuf, qui a vécu parmi les Hurons dans les années 1630, explique le cannibalisme ritualisé en affirmant que si le prisonnier « était vaillant homme, ils leur arrachent le coeur, le font griller sur les charbons et le distribuent en pièces à la jeunesse; ils estiment que cela leur donne du courage ».

Tous les captifs ne sont pas torturés et mis à mort. Les femmes et les jeunes garçons sont généralement épargnés et cédés aux familles endeuillées dont ils remplacent les membres décédés. La prisonnière ou le prisonnier ainsi adopté prend le nom, la personnalité, le rôle et les responsabilités de la personne qu’elle ou il remplace et est traité avec beaucoup d’affection. Si on l’a torturé, on lui prodigue les soins requis pour le guérir. Pierre-Esprit Radisson, jeune aventurier français qui est capturé et torturé par les Iroquois dans les années 1650, raconte : « ma mère [adoptive] se mit à soigner mes plaies et blessures […] et en moins de quinze jours, les plaies furent guéries ». La guerre tient donc une place importante dans les sociétés autochtones. Par conséquent, les relations des Autochtones avec les Européens seront fréquemment de nature militaire, comme alliés ou comme ennemis.

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