À la défense de leurs terres

La chute de la Nouvelle-France et la fin de l’influence française à l’intérieur du continent modifient la situation géostratégique des peuples autochtones dans le Nord-Est de l’Amérique du Nord. Malheureusement pour la Grande-Bretagne et ses alliés autochtones, la victoire dans la guerre de Sept Ans n’assure pas une paix durable en Amérique du Nord. Les groupes autochtones seront en effet plongés dans une succession de guerres au cours des 55 années suivantes, d’abord contre les Britanniques et plus tard contre la nouvelle République des États-Unis, pour défendre leur liberté et leurs terres, voire pour survivre.

Les rapports changent

Chef de la nation des Outaouais, guerre de 1812

Représenté dans la tenue qu’il aurait été susceptible de revêtir pour un conseil officiel avec des officiers britanniques du département des Affaires des Sauvages pendant la guerre, ce chef porte des vêtements finement brodés et il est paré de bijoux d’origine tant autochtone qu’européenne. (Tableau par Ron Volstad (ministère de la Défense nationale))

En 1760-1761, après la disparition de la menace française, les dirigeants britanniques ne se sentent plus obligés de se plier aux désirs des Autochtones. Cela est particulièrement manifeste parmi les nations de l’Ouest des Grands Lacs et de la vallée de l’Ohio, alliées traditionnelles de la France. Les colons britanniques des Treize colonies, dont la pénétration dans les terres autochtones de cette région avait jusque-là été ralentie par la crainte d’être attaqués par les Français et les Indiens, affluent désormais librement. Ils commencent à construire des fermes, parfois sans consulter d’abord les Miamis, ou les Odawas, ou les Wyandots sur les terres desquels ils s’établissent. Dans d’autres cas, les spéculateurs fonciers britanniques réussissent à conclure des transactions d’achat de terrains pour le moins suspectes.

Cette transformation radicale des relations des Autochtones avec les Européens provoque un profond ressentiment chez les peuples autochtones de part et d’autre de la frontière. L’un des chefs de l’Ouest explique à son homologue britannique :

[Traduction]
... Bien que vous ayez conquis les Français, vous ne nous avez pas encore conquis! Nous ne sommes pas vos esclaves. Ces lacs, ces forêts et ces montagnes nous ont été légués par nos ancêtres. Ils sont notre héritage et nous ne les céderons à personne. Votre nation suppose que, comme les Blancs, nous ne pouvons pas vivre sans pain, sans porc et sans boeuf! Mais vous devriez savoir que Lui, le Grand Esprit et le Maître de la Vie, nous fournit la nourriture, dans ces vastes lacs et dans ces montagnes boisées.

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Carte : La défence du Canada, 1783-1815.

Sir William Johnson, surintendant du département des Affaires des Sauvages, l’organisme créé en 1755 par la Couronne britannique pour gérer les affaires autochtones en Amérique du Nord britannique, est conscient de ce ressentiment. Il prévient le commandant en chef britannique, le major-général sir Jeffrey Amherst, que la situation est grave, mais Amherst est déterminé à réduire les dépenses en Amérique du Nord en mettant fin à la pratique traditionnelle de la distribution de présents. Il considère cette coutume comme du mercenariat; de plus, il n’a pas l’intention « de se gagner par des présents l’amitié des Indiens » [traduction]. Il est en outre d’avis que la rareté des approvisionnements et des munitions chez les nations de l’Ouest, combinée à la fermeté des Britanniques, fera tenir celles-ci tranquilles.

La Rébellion de Pontiac en 1763

Costume des indiens domiciliés, v. 1807

Ce dessin exécuté en 1807 par George Heriot montre, dans un camp temporaire de chasse et de pêche, des Autochtones du début du XIXe siècle utilisant un amalgame d’armes, d’outils et de vêtements traditionnels et européens. À l’époque de la guerre de 1812, un grand nombre de groupes autochtones de l’Est du Canada avaient choisi de vivre dans des endroits fixes. (Library et Archives Canada (C-012781))

By the spring of 1763, widespread rumours and reports suggested that the Aboriginal peoples were planning an offensive against the British frontier. These rumours were true. The so-called Pontiac Rebellion of 1763 was another in a series of struggles by desperate Aboriginal peoples to preserve their territory, independence and culture against the pressure of European intrusion. In May, an alliance of western nations came together under the Ottawa chief, Pontiac. Pontiac’s primary target was the principle British fort in the region at Detroit. Alerted to his danger, the British commander managed to foil Pontiac’s efforts to take the fort by subterfuge. Pontiac was left with little choice but to lay siege. This was the signal for the warriors of all the allied Aboriginal people across the Great Lakes-Ohio region to strike, and the results stunned the British. Unexpectedly, Aboriginal warriors attacked and overwhelmed almost every British fort in the area: Fort Sandusky fell to the Ottawa; Fort St. Joseph to the Potawatomi; Fort Miami to the Miami; Fort Ouiatenon to the Miami, Kickapoo and Illinois; Fort Michilimakinaw to the Ojibwa; Fort Edward Augustus to the Ottawa, Wyandot and Ojibwa; and Forts Venango, La Boeuf and Presque’Ile to the Seneca and others. In addition, warriors lashed out at the settlers in their midst, killing up to two thousand in raids on farms and villages in the Ohio valley that deadly summer.

Sir William Johnson (1715-1774)

Premier surintendant du département britannique des Affaires des Sauvages, sir Johnson a aidé à établir une alliance entre la Couronne britannique et la Ligue iroquoise des Six Nations qui a bien servi les intérêts britanniques au cours de la guerre de Sept Ans et de la Révolution américaine. (Library et Archives Canada (C-005197))

Malgré ses succès, Pontiac ne réussit pas à réduire Détroit, ce qui mine graduellement son prestige, et la puissance ainsi que la cohésion de ses alliances se désagrègent. Sir William Johnson, un résident du Nord de la colonie de New York, qui est lié par mariage à l’un des chefs de la Ligue iroquoise des Six-Nations (les Tuscaroras ont joint la Ligue vers 1720), est en mesure de faire la paix et de rétablir la traditionnelle distribution de présents. Fait plus important encore, traumatisés par les morts et les dépenses de la guerre avec les peuples autochtones toujours puissants de l’intérieur du continent, les Britanniques édictent la Proclamation royale de 1763. Ce document important établit la colonie de Québec et dicte des règlements et des règles de conduite pour les rapports avec les Indiens dans le commerce des fourrures et les transactions foncières. De plus, il trace une frontière entre les colonies britanniques et un territoire indien désigné où les colons blancs n’auront pas le droit de pénétrer. Cette proclamation, ainsi qu’un traité subséquent signé à Fort Stanwix en 1768, établissent une frontière entre Blancs et Autochtones, dont le tracé va du lac Oneida, au nord de la colonie de New York, jusqu’aux limites de la Pennsylvanie, puis vers le sud-ouest jusqu’à la rivière Ohio, dont il épouse ensuite le parcours. Ces mesures sont destinées à protéger les nations des Grands Lacs et à permettre une expansion pacifique et graduelle de la zone frontière.

Les pionniers américains, qui convoitent les riches terres de l’intérieur, voient cela d’un autre oeil. Pour eux, il s’agit d’une tentative arbitraire de la Grande-Bretagne pour limiter leur expansion vers l’Ouest. De fait, la Grande-Bretagne se trouve à remplacer la France comme barrière à l’expansion coloniale américaine. Les pressions colonisatrices pour le franchissement de la frontière et la pénétration en territoire indien s’avéreront en fin de compte trop grandes et les moyens du gouvernement britannique pour verrouiller la frontière, trop limités. Dans la décennie suivant la Rébellion de Pontiac, les colonies continueront de s’étendre dans ce que les Américains considèrent comme le Nord-Ouest, en dépit de la Proclamation royale. Les tentatives britanniques pour verrouiller la frontière sont les premières de nombreuses mesures, dont la hausse des impôts, qui provoqueront le ressentiment généralisé à l’origine des désordres civils en Amérique.

La Révolution américaine : 1775-1783

Thayendanegea ou Joseph Brant (1742-1807)

Thayandenaga, chef de guerre de la nation mohawk, a mené des forces autochtones dans le Nord de l’État de New York au cours de la Révolution américaine. Par suite de la défaite britannique, il a amené son peuple au Canada pour qu’il s’établisse le long de la rivière Grand. Brant est demeuré jusqu’à sa mort une figure dominante de la diplomatie autochtone en Amérique du Nord. (Library et Archives Canada (C-011092))

Les Treize Colonies se dirigent vers une rupture totale des liens avec les Britanniques dans les années 1770. Au départ, les deux camps espèrent et escomptent que les Autochtones vont demeurer neutres mais, bientôt, on s’affaire des deux côtés à recruter des alliés autochtones. Pendant toute la guerre de l’Indépendance, la puissance militaire autochtone dans la région des Grands Lacs est une considération majeure pour les chefs militaires britanniques du théâtre du Nord. Les plus grands efforts diplomatiques sont dirigés vers la Ligue des Six-Nations iroquoises, qui est presque toujours restée neutre dans les guerres entre Européens depuis 1701. Même si la Ligue tente de conserver sa neutralité, elle est bientôt attirée dans le conflit et déchirée par sa propre guerre intestine. Les guerriers de la Ligue iroquoise et des Sept-Nations du Canada contribuent à stopper une offensive des rebelles contre un Canada mal défendu, à l’automne de 1775. Le retard ainsi causé force les Américains à prolonger leur campagne pendant l’hiver, ce qui va ultimement causer leur défaite aux portes de Québec. À l’été de 1777, une armée de réguliers britanniques, de Loyalistes et de guerriers remporte un succès notable à la bataille d’Oriskany, mais les alliés autochtones jouent un rôle moins décisif dans la malheureuse offensive du major-général John Burgoyne dans la vallée du Champlain ce même automne. La défaite de Burgoyne et la reddition de Saratoga précipitent la France dans la guerre aux côtés des colonies rebelles et le conflit tourne à la guerre générale en Europe.

Au cours des cinq années suivantes, les alliés autochtones des Britanniques au Nord, commandés par le chef mohawk Thayandenaga, ou Joseph Brant, participent à une série de campagnes et de raids contre les établissements frontaliers des colonies de New York et de Pennsylvanie. On se fait peu de quartier de part et d’autre. Même si le pôle principal du conflit se déplace vers le sud en 1780, les alliés autochtones des Britanniques remportent deux de leurs plus importants succès – Sandusky et Blue Licks – après la reddition de Cornwallis à Yorktown en 1781. Les peuples autochtones subissent aussi des pertes terribles. Les territoires de la Ligue iroquoise sont dévastés par une campagne punitive des Américains en 1779, et le pire carnage, tous camps confondus, est peut-être le massacre par les troupes américaines de plus d’une centaine de Delawares chrétiens, hommes, femmes et enfants, à la mission de Gnadehutten dans la région de l’Ohio en 1782.

Invaincus sur le champ de bataille, Brant et ses guerriers sont consternés par les termes du Traité de Paris de 1783, qui met fin à la guerre et trace une nouvelle frontière internationale entre les possessions nord-américaines de la Grande-Bretagne et ses anciennes colonies. Négocié en Europe par des hommes d’État européens et américains, ce traité ne contient pas une seule mention des nations autochtones qui ont participé au conflit, mais il cède à la nouvelle république américaine les terres de ceux qui ont combattu aux côtés de l’Angleterre. Les Indiens, écrit à Londres un officier du département des Affaires des Sauvages, se sentent avec raison trahis par ce traité. Ils :

[Traduction]
... estiment que nous nous sommes conduits envers eux d’une manière traîtresse et cruelle; ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas croire que notre roi pouvait prétendre céder aux États-Unis ce qui ne lui appartient pas […], qu’ils défendraient leurs justes droits ou périraient jusqu’au dernier homme, qu’ils n’étaient qu’une poignée, mais qu’ils mourraient comme des hommes, ce qu’ils croyaient préférable à la misère et à la détresse qui seraient leur lot s’ils étaient privés de leurs terrains de chasse.

Ce ressentiment est si fort que, bien après 1783, les autorités britanniques craignent d’être attaquées par leurs alliés d’hier mais, fort heureusement pour les Britanniques affaiblis par la guerre, cela ne se produira pas. Les Britanniques offrent des terres au Canada et une compensation financière aux Loyalistes iroquois, tout comme aux Loyalistes blancs. Brant, le chef de guerre mohawk, et Tekarihogen, le chef de paix, conduisent 1 800 Mohawks, Cayugas et autres Autochtones des Six-Nations dans un vaste territoire situé en bordure de la rivière Grand, au nord du lac Érié, pendant que John Deserontyon implante une plus petite communauté mohawk à Tyendinaga, dans la baie de Quinte sur le lac Ontario. John Graves Simcoe, gouverneur de la nouvelle colonie du Haut-Canada (créée en 1791), espère que ces nouveaux établissements autochtones vont constituer une barrière efficace contre une éventuelle agression américaine venue du Sud.

Troubles dans le Nord-Ouest : 1783-1794

Officier, département des Affaires des Sauvages, 1812

Au cours de la guerre de 1812, les Autochtones des Grands Lacs ont joué un rôle important dans la défense du Canada contre l’invasion américaine. Les guerriers sur le terrain étaient souvent accompagnés par des officiers du département britannique des Affaires des Sauvages, qui parlaient leur langue et connaissaient leurs coutumes et qui assuraient la liaison entre les chefs autochtones et les commandants britanniques. Cet officier du département des Affaires des Sauvages est pour ainsi dire vêtu pour le service en campagne. Il porte un chapeau mou à larges bords en feutre, une vieille veste d’uniforme rapiécée et des bottes lacées plutôt que des bottes d’équitation hautes. Il ne se servirait pas beaucoup de son épée au combat, mais il la porte comme symbole de son grade. (Tableau de Ron Volstad (ministère de la Défense nationale))

Certains des anciens alliés autochtones de la Grande-Bretagne décident de demeurer dans la nouvelle république américaine, un choix que beaucoup vont regretter. Dès que les interdits imposés par la Proclamation royale de 1763 et le Traité de Fort Stanwix de 1768 sont abolis, la position du gouvernement américain est que les nations qui ont combattu dans le camp des Britanniques pendant la guerre sont des peuples conquis et que leur territoire est confisqué. Il impose de durs traités aux Iroquois vivant toujours aux États-Unis, les chassant de leur territoire traditionnel pour les confiner dans des réserves. Ironiquement, les plus mal traités sont les Oneidas et les Tuscaroras qui ont appuyé les révolutionnaires pendant la guerre. Les Américains ont moins de chance avec les peuples algonquiens et iroquoiens qui vivent plus à l’ouest dans la vallée de l’Ohio. Plus nombreux, plus unis pour défendre leur territoire et plus éloignés des centres de population blanche, ceux-ci refusent toute modification de la frontière de la rivière Ohio fixée dans les années 1760. Or, le gouvernement américain victorieux, mais au bord de la faillite, considère cette région comme son patrimoine, son héritage, et il a besoin des revenus de la vente de ces terres pour rembourser ses importantes dettes de guerre. Tout est en place pour un nouveau conflit.

Les nations du Nord-Ouest (les États modernes de l’Illinois, de l’Indiana, du Michigan et de l’Ohio) fondent en 1786 une nouvelle confédération qu’ils baptisent « les Nations indiennes unies », afin de défendre leur territoire. Le jeune gouvernement américain, coincé entre une masse de colons désireux de s’installer dans la région de l’Ohio et des Autochtones intraitables qui tiennent mordicus à conserver la rivière comme frontière, doit intervenir militairement après que la Confédération autochtone eut attaqué des colonies illégalement implantées de son côté de la rivière. En septembre 1790, le brigadier-général Josiah Harmar reçoit l’ordre « d’expulser, si possible » [traduction] les attaquants et, à la tête de 1 400 réguliers et miliciens, il part de Fort Washington (aujourd’hui Cincinnati) pour envahir le territoire miami. Il est de retour à sa base moins de trois semaines plus tard, ayant perdu plus de 200 hommes et ayant dû se contenter de brûler quelques villages abandonnés.

Les Américains ont perdu tout espoir d’une victoire rapide. Un membre du Congrès résume ainsi la situation : « Nous faisons face à une terrible guerre indienne » [traduction], car la Confédération, plutôt que d’avoir été humiliée par l’expédition Harmar, « semble déterminée à mener une guerre générale » [traduction]. Au début de l’été de 1791, le major-général Arthur St. Clair rassemble une force plus importante – 1 500 réguliers et 800 miliciens – mais doit retarder son départ pour entraîner une armée composée de recrues qu’un membre de l’état-major qualifie de « déchets des cités et villes, aveulis par l’oisiveté, la débauche et des vices de toutes natures » [traduction]. St. Clair ne peut se mettre en marche qu’en septembre, à pas de tortue et accompagné d’une longue horde de civils. À l’aube du 4 novembre 1791, le campement de St. Clair, établi sur les rives de la rivière Wabash, est attaqué par 2 000 guerriers dirigés par le Shawni Blue Jacket, et le Miami Michikinikwa (Petite tortue), chefs de guerre de la Confédération. Vieux, malade et affaibli, St. Clair a négligé de disposer des sentinelles autour de ce campement mal situé, mais les deux premières attaques sont tout de même repoussées. Cependant, raconte un témoin, les guerriers, « irrités au-delà de toute mesure » [traduction], se replient simplement pour se réorganiser

[Traduction]
… à courte distance, où ils se regroupèrent par tribu et, chacune menée par son propre chef, ils revinrent à l’assaut tels des Furies et s’emparèrent presque immédiatement de près de la moitié du camp – ils y trouvèrent une rangée de sacs de farine et de provisions qui leur servirent de rempart derrière lequel ils maintinrent un feu nourri et constant; les Américains les chargèrent plusieurs fois à la baïonnette, mais furent à chaque fois repoussés; finalement, le général Butler, commandant en second, ayant été tué, la confusion s’empara des Américains, ils durent abandonner leur canon, autour duquel furent tués une centaine de leurs plus braves soldats, la déroute devint générale et se fit dans le plus grand désordre; les Indiens les pourchassèrent sur six milles et plusieurs tombèrent, victimes de leur furie.

À la fin de l’engagement, les Américains comptent 647 hommes tués et 229 blessés; ils ont en outre perdu 21 pièces d’artillerie et tous leurs approvisionnements. Chez les Autochtones, on dénombre une cinquantaine de guerriers tués ou blessés. La bataille de Wabash est la plus grande victoire militaire jamais remportée par les Autochtones sur les forces armées des États-Unis.

À la suite de ce triomphe, la Confédération du Nord-Ouest ravage durant presque deux ans les colonies implantées du côté indien de la frontière de 1768, mais s’abstient d’attaquer en territoire américain. Elle profite, tout au long de cette lutte, des conseils du département britannique des Affaires des Sauvages de Détroit, qui ignore cependant ses demandes d’appui militaire, même si la Grande-Bretagne a conservé ses postes au sud de la frontière. La Grande-Bretagne s’offre comme médiatrice et propose la création d’un État autochtone neutre et indépendant entre le Mississippi, l’Ohio et les Grands Lacs, mais, comme il fallait s’y attendre, le gouvernement américain rejette catégoriquement ce qu’il considère comme une ingérence intempestive dans ses affaires intérieures. Pendant presque trois ans, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Confédération du Nord-Ouest et les Six-Nations du Canada (représentées par Joseph Brant) organisent une série de conférences dans l’espoir de résoudre la controverse au sujet des frontières, mais les Autochtones du Nord-Ouest ne cèdent pas d’un pouce, tenant absolument à ce que la rivière Ohio demeure la frontière.

La danse des raquettes, 1844 (Bibliothèque et Archives Canada (C-006271))

Leurs rêves d’indépendance s’écroulent en 1794 lorsqu’une nouvelle armée américaine, bien entraînée cette fois et commandée par le major-général Anthony Wayne, envahit leur territoire et repousse une série d’attaques autochtones avant de remporter, en août, la grande victoire américaine de Fallen Timbers. Lorsque les commandants militaires britanniques refusent toute aide militaire aux guerriers autochtones en pleine retraite, la Confédération du Nord-Ouest commence à se disloquer. La tension dans les relations entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, aggravée par les troubles dans le Nord-Ouest et des frictions relatives à la navigation en haute mer, s’atténue avec la signature du Traité Jay (1794). Par ce dernier, la Grande-Bretagne cède les postes qu’elle a conservés en sol américain en échange de la garantie que les sujets britanniques et les Autochtones seront libres de franchir la frontière à leur gré. Cette issue désespère la Confédération : les Britanniques les ont encore abandonnés. Certains Autochtones s’enfuient au Canada, mais la plupart signent en 1795 avec Wayne un traité de paix qui cède aux Américains toute la vallée de l’Ohio. La résistance aux États-Unis, qui a duré 12 ans, est brisée, mais elle aura néanmoins fourni amplement de temps à la jeune province du Haut-Canada pour prendre racine et prospérer.

Tecumseh, sa confédération et le chemin de la guerre

Tecumseh (1768-1813)

Le chef shawni Tecumseh rêvait de former une confédération regroupant toutes les nations autochtones, des Grands Lacs au golfe du Mexique. Il a rallié ses partisans à la cause des Britanniques au cours de la guerre de 1812, mais des revers militaires ont entraîné sa mort au combat en 1813. Autant que l’on sache, il n’existe pas de portrait de Tecumseh, mais la plupart des spécialistes s’entendent pour dire que ce croquis, dessiné à partir d’une description faite par un témoin, est celui qui le représente le plus fidèlement. (Bibliothèque et Archives Canada (C-000319))

Pendant presque 10 ans après la bataille de Fallen Timbers, le Nord-Ouest connaît une paix relative. Les colons blancs affluent dans la région et les nouveaux territoires de l’Illinois, de l’Indiana, du Michigan et de l’Ohio sont créés. En 1810, quelque 200 000 Américains vivent en Ohio seulement. Mais les nations du Nord-Ouest, qui n’ont pas oublié leur humiliation, prêtent une oreille de plus en plus attentive à un jeune Shawni nommé Tecumseh qui prône la création d’une vaste confédération autochtone allant de la frontière canadienne au territoire espagnol du Mexique qui serait assez puissante pour résister aux empiétements des Américains, surnommés les « Grands Couteaux ». Tecumseh voyage sans répit, portant son message aux peuples autochtones, des Grands Lacs jusqu’à l’embouchure du Mississippi. Mais s’il suscite de l’espoir pour l’avenir chez ceux qui l’écoutent, il leur conseille aussi de ne pas prendre les armes contre les Américains avant que le temps ne soit venu.

Il va sans dire que la popularité de ce leader charismatique inquiète les autorités américaines. William Henry Harrison, gouverneur de l’Indiana, qui rencontre deux fois Tecumseh dans l’espoir d’apaiser la tension entre colons blancs et Autochtones, est à la fois impressionné et inquiet :

[Traduction]
L’obéissance implicite et le respect manifestés envers Tecumseh par ses partisans sont vraiment stupéfiants et, plus que tout autre facteur, le définissent comme un de ces rares génies qui surgissent occasionnellement pour provoquer des révolutions et renverser l’ordre établi. Si ce n’était de la proximité des États-Unis, il serait peut-être le fondateur d’un empire qui rivaliserait de gloire avec ceux du Mexique ou du Pérou. Aucune difficulté ne l’arrête. Depuis quatre ans, il n’a cessé de se déplacer. Vous le voyez aujourd’hui sur la Wabash et vous entendrez parler de lui demain sur les rives des lacs Érié ou Michigan, ou sur les berges du Mississippi; et partout où il va, il crée une impression favorable à ses desseins. Il en est maintenant à la dernière tournée qui lui permettra de parachever son oeuvre.

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Lequel est Tecumseh?

Voici deux portraits différents de Tecumseh. Celui de gauche, dessiné en 1808, le représente en tenue traditionnelle. Celui de droite, peint en 1848 par Benson Lossing, était fondé sur le croquis plus ancien, mais il montre Tecumseh vêtu de l’uniforme d’un général britannique, grade que lui attribuait (à tort) à l’époque la croyance populaire. Il est également à noter que Tecumseh porte un ornement de nez, élément qui n’était habituellement pas représentédans les portraits d’Autochtones de cette période.

À l’automne de 1811, Harrison décide de lancer une attaque préventive contre cette toute nouvelle confédération. Au début de novembre, pendant que Tecumseh est en tournée dans le Sud, il conduit un détachement de réguliers et de miliciens à proximité du village de Tippecanoe (non loin de l’emplacement actuel de LaFayette, en Indiana), fondé par le frère de Tecumseh, nommé Tenskwatawa ou Le Prophète. Ce dernier est incapable de retenir ses guerriers et des échanges de coups de feu entre sentinelles des deux camps dégénèrent en une bataille rangée dont les Américains sortent vainqueurs. Parmi les vaincus, beaucoup s’enfuient au Canada. De retour dans la région au début de 1812, Tecumseh entreprend de rebâtir sa confédération et d’apaiser les autorités américaines. Parallèlement, il sollicite l’aide des officiers britanniques du département des Affaires des Sauvages, qui prêtent l’oreille à ses demandes en partie parce qu’ils croient qu’une guerre contre les Américains est imminente.

Si Tecumseh conseille toujours la paix, il pense aussi que la guerre est imminente et il promet à la Grande-Bretagne l’aide de sa confédération en cas de conflit. À ses interlocuteurs, il déclare que « si leur père le Roi était sérieux et déployait des forces suffisantes, ils [les Indiens] se tiendraient à ses côtés » [traduction]. Il affirme aussi que ses partisans sont déterminés à défendre leur territoire et que, s’ils n’attendent pas de la Grande-Bretagne qu’elle s’engage dans des opérations militaires, ils escomptent qu’elle leur fournira un soutien logistique : « Vous nous fournirez les approvisionnements qui pourraient nous être nécessaires. » [traduction] De son côté, le Département prévient la Confédération de ne pas attaquer avant que la guerre ne soit déclarée. Un officier s’exprime ainsi : « Ne me quittez pas des yeux; mon tomahawk est levé. Soyez prêts, mais ne frappez pas avant que je n’en donne le signal. » [traduction] Tecumseh accepte ce conseil, mais il met en garde les Britanniques :

[Traduction]
Si nous entendons dire que les « Grands Couteaux » viennent vers notre village pour parler de paix, nous les recevrons, mais si nous apprenons qu’ils ont blessé l’un des nôtres ou s’ils avancent vers nous de manière hostile sans avoir été provoqués, sachez que nous nous défendrons comme des hommes. Et si nous apprenons que l’un des nôtres a été tué, nous ferons immédiatement appel à toutes les nations vivant dans la région du Mississippi et ce territoire se soulèvera comme un seul homme.

Plan de la rivière Grand et emplacement des Six Nations d’Indiens, selon les établissements découverts par le révérend R.T. Lugger, le 26 février 1828.

Selon ce qui avait été prévu lors de sa fondation en 1784, la concession originale de la rivière Grand fournissait un corridor militaire qui permettait de vérifier efficacement les possibilités d’invasion soit par la frontière Détroit-Windsor à l’ouest, soit par la frontière du Niagara à l’est. Comme dans le cas des groupes anishinabeg avoisinants, les guerriers de la rivière Grand ont été mobilisés avec succès dans l’intérêt de la Couronne pendant la guerre de 1812, puis durant les rébellions de 1837-1838. Leur proximité par rapport au gouvernement et aux agglomérations, aux garnisons militaires, aux voies de transport et de communication et aux frontières avec les É.-U. ainsi que leurs adaptations économiques découlant de ces situations ont influé sur la façon dont les Premières nations allaient par la suite appuyer militairement la Couronne au cours de la guerre et d’autres conflits. (Metropolitan Toronto Reference Library (971.3-C4.))

Durant toutes ces années, le département des Affaires des Sauvages n’a pas cessé de distribuer chaque année des présents aux peuples autochtones des États-Unis, notamment des armes et des balles, et de donner asile aux réfugiés des batailles d’outre-frontière, ce qui suscite beaucoup de méfiance chez les autorités américaines. Si certains guerriers provenant de nations vivant au Canada ont participé aux combats de la vallée de l’Ohio, les leaders autochtones du Canada prônent le règlement pacifique des différends entre les nations du Nord-Ouest et les Américains. Les Sept-Nations du Canada et les peuples iroquoiens du Haut-Canada ont assez combattu au siècle précédent et préfèrent rester à l’écart des conflits anglo-américains.

Cette volonté de neutralité devient cependant difficile à soutenir, car la guerre est sur le point d’éclater entre la Grande-Bretagne et les États-Unis dans cette première décennie du xixe siècle. Comme toujours, les tensions naissent d’abord en Europe. En 1793, la France révolutionnaire a déclaré la guerre à la Grande-Bretagne, déclenchant un conflit qui va s’étendre, sauf un bref intermède, sur 23 ans. Les deux pays ont adopté des politiques maritimes restrictives, qui interdisent aux navires des nations neutres qui commercent avec l’un des belligérants de faire aussi du commerce avec l’autre, ce qui réduit considérablement les profits des marchands américains. Comme les Britanniques sont les maîtres absolus des mers, particulièrement après la grande victoire de Nelson à Trafalgar en 1805, la rancoeur des États-Unis est exacerbée par la propension de la Royal Navy à arraisonner les navires américains en haute mer pour enrôler de force leurs marins (dont certains sont des déserteurs britanniques) au service de la Grande-Bretagne. Nombreux aussi sont ceux qui soupçonnent ce pays de fomenter des troubles dans le Nord-Ouest en soutenant activement les nations de la confédération de Tecumseh. Préoccupée par la guerre en Europe, la Grande-Bretagne semble imperméable aux inquiétudes américaines et, quelques semaines après la bataille de Tippecanoe en 1811, le président américain James Madison, convaincu que son pays ne peut obtenir satisfaction que par la guerre, décide d’appeler la république « aux armes » et de se préparer à des hostilités contre la Grande-Bretagne. Compte tenu de l’écrasante supériorité navale de l’adversaire, les États-Unis n’ont pratiquement qu’une seule option militaire : attaquer le Canada.

Imminence de la guerre en 1812

Guerrier mohawk de Tyendinaga, automne 1813

Bien que peu nombreux, les guerriers de la petite collectivité mohawk de Tyendinaga, près de Kingston, ont participé à beaucoup de combats pendant la guerre de 1812, notamment à Sacketts Harbor et dans la péninsule de Niagara en 1813. C’est au cours de la bataille de Crysler’s Farm en novembre 1813 qu’ils se sont le plus illustrés, ayant joué un rôle très important en dépit de leur petit nombre. Ce guerrier est représenté tel qu’on aurait pu le voir à Crysler’s Farm. (Tableau de Ron Volstad (ministère de la Défense nationale))

Lieutenant-General Sir George Prevost, governor-general and commander-in-chief of the British colonies in North America, knew that because of British military commitments in Europe he could not expect massive troop reinforcements. Prevost had about 5,600 regular soldiers in Upper and Lower Canada, backed up by some 60,000 militia in the lower province and 11,000 in the upper. Faced by an enemy population estimated to be more than seven million, his plan was to abandon Upper Canada, which was surrounded on three sides by American territory, and pull back to Montreal and, if necessary, Quebec, until he could be reinforced from Britain. This cautious defensive strategy was opposed by Major-General Isaac Brock, Prevost’s subordinate commander in Upper Canada. Brock argued that the upper province could be successfully defended if the Aboriginal nations in the Northwest were encouraged to attack the frontier settlements in that area, disrupting possible American invasion plans. Brock recognized, however, that before the British could ‘expect an active cooperation on the part of the Indians, the reduction of Detroit and Michilimackinac must convince that people, who conceive themselves to have been sacrificed in 1794, to our policy, that we are earnestly engaged in war.’

Durant les six mois qui précèdent la déclaration de guerre américaine en juin 1812, les officiers du département des Affaires des Sauvages s’activent secrètement chez les Autochtones en territoires canadien et américain, où ils estiment pouvoir obtenir l’appui de 10 000 guerriers. La plus grande proportion, 8 410 selon le Département, viendra des nations de l’Ouest que leur propre conflit avec les Américains rend « sympathiques à la cause » [traduction]. Les guerriers disponibles sont beaucoup moins nombreux en territoire canadien. On estime à 1 040 le nombre de guerriers qui peuvent être recrutés chez les Sept-Nations du Canada, tandis que dans le Haut-Canada, les Iroquois de la rivière Grand et de Tyendinaga, ainsi que les Mississaugas (Mississagues) et les Ojibways ne peuvent fournir que 550 hommes. Si les nations de l’Ouest sont pour la plupart disposées à s’allier aux Britanniques, la réponse des Autochtones du Canada s’avère plus équivoque.

Cette allégeance incertaine est particulièrement manifeste dans les nations de la rivière Grand, la plus puissante force autochtone des deux Canadas, qui adoptent une attitude de neutralité face au conflit imminent, à l’instigation de leurs frères Iroquois vivant aux États-Unis. Les Six-Nations nourrissent de très anciens griefs à l’encontre des responsables du département des Affaires des Sauvages, qu’ils soupçonnent de profiter de la vente de leurs terres aux Blancs. Même la promesse de Brock d’examiner leurs griefs et, s’ils sont fondés, de corriger la situation en leur faveur ne réussit pas à les faire changer d’avis. Les Six-Nations jugent plus convaincant cet argument avancé par une délégation de chefs cayugas et onondagas venus des États-Unis à la rivière Grand en juin 1812 pour conseiller la prudence :

[Traduction]
Nous sommes venus de nos foyers pour vous prévenir, afin que vous puissiez éviter des souffrances à vous-mêmes et à vos familles. Nous apprenons que les Britanniques et les Américains sont à la veille d’une guerre – ils se querellent à propos de certains droits sur la mer, qui ne nous sont pas familiers; si cela doit se terminer par un conflit, tenons-nous à l’écart. Pourquoi devrions-nous nous battre de nouveau et nous attirer le ressentiment des conquérants? Nous savons qu’aucune de ces puissances n’a de considération pour nous […] sauf quand elles veulent quelque chose de nous. Pourquoi alors devrions-nous mettre en péril notre confort, et même l’existence de nos familles, pour n’avoir de ces puissances que des sourires et uniquement la journée où elles ont besoin de nous?

La majorité des Six-Nations qui vivent au bord de la rivière Grand y voit un argument de poids pour se tenir loin des querelles des Blancs, malgré les exhortations d’une petite faction pro-Britanniques conduite par John Norton, Teyoninhokarawen (ou the Snipe). Fils d’un père cherokee et d’une mère écossaise, Norton est devenu un chef respecté parmi les Six-Nations et, en 1812, un éminent chef de guerre. Les nations de la rivière Grand vont rester neutres et Norton doit rapporter à Brock que la communauté est divisée; cependant, si elle était menacée par une invasion américaine, « je suis certain qu’ils ne sont pas dépravés au point d’être déloyaux » [traduction], ajoute-t-il.

1812: Une année de victoires

Teyoninhokarawen ou John Norton, le chef de guerre mohawk (1760-1830)

Fils d’un père cherokee et d’une mère écossaise, Norton est adopté par les Mohawks de la rivière Grand et devient un chef de guerre de cette nation. De 1812 à 1815, il s’est révélé, après Tecumseh, l’un des chefs militaires autochtones les plus loyaux et efficaces. Ayant été éduqué dans des écoles de Blancs, il a non seulement traduit les Évangiles en langue mohawk, mais a aussi rédigé des mémoires personnels parmi les plus clairs et les plus complets, tant du point de vue autochtone que du point de vue européen, en ce qui a trait à la guerre de 1812. À noter : le turban, autre coiffure populaire chez les Iroquois. (Bibliothèque et Archives Canada (C-123832))

Le 18 juin 1812, les États-Unis déclarent la guerre à la Grande-Bretagne. Les leaders américains sont confiants : « la conquête du Canada cette année sera une simple promenade » [traduction], clame l’ex-président Thomas Jefferson. La réalité s’avère bien différente. En 1812, les combattants britanniques, canadiens et autochtones, bien qu’inférieurs en nombre, remportent une série de batailles cruciales qui stoppent les Américains pour l’année et consolident l’alliance anglo-autochtone dans la région Grands Lacs-Ohio.

Submergés de demandes urgentes de la part des gouverneurs des territoires du Nord-Ouest qui veulent mettre leurs établissements frontaliers à l’abri de Tecumseh et de ses alliés, les Américains décident d’axer leur offensive principale sur la région de Détroit. Ainsi, dès le début des hostilités, la stratégie américaine est influencée par la nécessité de réduire ce que l’on perçoit comme une dangereuse menace autochtone au Nord-Ouest, se détournant ainsi de l’objectif plus décisif – la vulnérable voie de navigation du Saint-Laurent. Quand la guerre éclate, le brigadier-général William Hull est cantonné à Détroit, la meilleure partie des forces régulières américaines et une importante milice étant placées sous son commandement. Cette politique ne changera pas pendant toute la durée de la guerre et, peut-être plus que les victoires et les prouesses militaires, constituera la plus importante contribution des peuples autochtones à la défense du Canada.

Le 17 juillet, un petit contingent britannique comprenant quelques réguliers, des commerçants de fourrures et 130 guerriers menominees (Folles Avoines), winnebagos (Puants) et sioux encercle le fort américain de l’île de Mackinac qui commande la voie d’eau donnant accès au lac Michigan et il persuade le commandant américain de se rendre sans combat. Même si Hull a traversé la rivière Détroit avec le gros des troupes placées sous son commandement le 12 juillet et a conquis le village de Sandwich, la victoire à Mackinac convainc les peuples du Nord-Ouest que les Britanniques sont sérieux et ils commencent à menacer les lignes de ravitaillement de Hull, forçant celui-ci à se retirer du Canada pour se cantonner dans une position défensive à Détroit le 8 août. Début août, des contingents commandés par Tecumseh rôdent activement autour de la position américaine et attaquent les colonnes de ravitaillement. Hull commence à perdre son sang-froid. La victoire de Mackinac a permis à Brock d’atteindre l’un des deux objectifs dont il jugeait la réalisation nécessaire pour obtenir l’appui des peuples du Nord-Ouest, et elle porte déjà ses fruits.

Le second objectif de Brock, c’est Détroit. Début août, il fait mouvement vers Amherstburg, à l’ouest, avec une troupe de réguliers et de miliciens afin d’opérer sa jonction avec quelque 600 guerriers du Nord-Ouest. C’est là que, le 13 août, il rencontre pour la première fois Tecumseh; les deux hommes se plaisent et se font confiance mutuellement au premier regard. Brock écrit à Prevost : « Je ne crois pas qu’il existe un guerrier plus sagace et plus brave » [traduction] que ce chef shawni. La force combinée composée de réguliers britanniques, de miliciens canadiens et de guerriers autochtones se met ensuite en route vers Détroit, où Hull, convaincu d’être encerclé par un nombre supérieur de réguliers britanniques et de guerriers autochtones, commence à s’affoler. Son inquiétude s’accroît encore davantage à la lecture d’une missive de Brock qui laisse planer une peu réjouissante perspective : « étant donné les nombreux Indiens qui se sont joints à mes troupes et qui ne seront plus contrôlables au moment de la bataille » [traduction], Hull doit capituler pour « prévenir une inutile effusion de sang » [traduction]. Le commandant américain refuse d’abord mais, après que l’artillerie de Brock eut ouvert le feu, il accepte de se rendre avec ses 2 000 soldats bien retranchés, à Brock et à ses 1 300 combattants britanniques, miliciens et guerriers autochtones. Le bluff de Brock a été payant et la seule force de campagne de l’armée américaine est amenée en captivité. La victoire de Détroit, qui suit de près celle de Mackinac, électrise Européens et Autochtones du Haut-Canada et de la région Grands Lacs-Ohio, dont beaucoup s’attendaient à la capitulation de la province devant la supériorité numérique écrasante de l’ennemi.

Bien que secoués par leur première défaite, les Américains n’abandonnent pas si facilement. Fin septembre et début octobre, les troupes américaines commencent à se masser sur la frontière du Niagara. Pour contrer cette menace, Brock déplace le gros de ses troupes à Fort George, près de Newark (aujourd’hui Niagara-on-the-Lake). Il y est rejoint par Norton, à la tête d’une troupe de guerriers de la rivière Grand qui, rendus optimistes par les récentes victoires dans l’Ouest, ont décidé de prendre une part active à la défense du Canada. Norton est à Newark le matin du 13 octobre lorsqu’il apprend que les forces américaines ont traversé la rivière Niagara et pris position au village de Queenston, à sept milles au sud. Il reçoit l’ordre de rassembler ses guerriers pour se rendre à l’endroit menacé et, en cours de route, il apprend que Brock a été tué lors d’une contre-attaque et que les envahisseurs tiennent une forte position sur les hauteurs dominant Queenston. Les forces britanniques sont inférieures en nombre et il faudra un certain temps avant que puissent arriver des renforts de troupes régulières. Les hommes de Norton hésitent, mais l’un de ses guerriers exhorte vivement ses « camarades et frères » [traduction] à :

[Traduction]
… être des hommes, à se rappeler la gloire des anciens guerriers, qui ne reculaient jamais devant des nombres supérieurs. Nous avons trouvé ce que nous étions venus chercher […] ils sont là, il ne reste qu’à combattre […] Tournez votre regard vers le ciel, c’est Lui là-haut qui décide de notre destin. Nos braves amis, les Habits rouges, viendront bientôt nous soutenir.

La troupe escalade les hauteurs par un sentier peu connu et parvient à l’arrière de la position des Américains, d’où les tireurs embusqués ouvrent le feu et harcèlent les Américains avec « courage et sang-froid » [traduction] jusqu’à l’arrivée des renforts britanniques.

On déclenche alors contre les envahisseurs une attaque générale qui les repousse au bord des falaises surplombant la gorge de la Niagara. John Norton a raconté les derniers instants de la bataille.

[Traduction]
Nous avons foncé vers l’avant et avons vu les grenadiers, menés par le lieutenant Bullock, surgir par la droite le long des berges de la rivière. L’ennemi disparut sous la berge; beaucoup plongèrent dans la rivière. Des irréfléchis continuèrent de les prendre pour cibles [dans l’eau] et ne s’arrêtèrent qu’après plusieurs ordres de cesser le feu. Le porteur du drapeau blanc envoyé par le général américain se présenta ensuite au général Sheaffe [successeur britannique de Brock], pour proposer une reddition sans condition des derniers envahisseurs. Le nombre de prisonniers s’éleva à environ 900.

La bataille de Queenston Heights est une victoire écrasante, mais la mort de Brock, rappelle Norton, « assombrit la joie provoquée par ce brillant succès » [traduction].

1813 : Triomphes et désastres

La vague de victoires britanniques et autochtones se poursuit jusqu’au début de 1813 sur la frontière ouest. La perte de Détroit est un revers cuisant pour les États-Unis et le gouvernement Madison entreprend immédiatement de préparer une contre-attaque. William Henry Harrison, efficace et populaire gouverneur du territoire de l’Indiana, reçoit le commandement d’une armée de 6 000 réguliers et miliciens et il est chargé de soumettre les nations de l’Ouest et de reprendre Détroit. L’un de ses subalternes, le brigadier-général James Winchester, s’impatiente et marche précipitamment sur l’avant-poste britannique de Frenchtown sur la rivière Raisin, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Détroit. Le nouveau commandant britannique à la frontière ouest, le brigadier-général Henry Procter, rassemble une troupe comprenant 550 réguliers et miliciens ainsi qu’environ 600 guerriers des nations du Nord-Ouest et il défait Winchester le 22 janvier.

Dans l’ivresse de la victoire, Procter néglige de placer ses prisonniers sous bonne garde, de sorte qu’un groupe de guerriers potéouatamis et wyandots massacre une trentaine de blessés américains. La guerre aux frontières entre Autochtones et Blancs est depuis longtemps caractérisée par la cruauté et l’usage calculé de la terreur par les deux camps, et cette guerre n’est pas différente. Les Américains, surtout les miliciens des frontières, ne font ni ne demandent quartier, déterminés qu’ils sont à annihiler la menace autochtone dans la région. Les peuples du Nord-Ouest, qui considèrent la guerre comme un combat pour leur survie, répondent à l’avenant. Assiginack (ou Black Bird), un chef odawa, résume très bien la nature cruelle de ce conflit dans une réplique adressée à des représentants du département des Affaires des Sauvages, qui lui ont reproché de ne pas réfréner les excès de ses guerriers au combat.

[Traduction]
Nous avons écouté vos paroles, paroles qui viennent de notre Père. Nous vous adresserons maintenant quelques mots. Au printemps dernier, nous avons combattu les Grands Couteaux au pied des rapides, et nous avons perdu là quelques-uns des nôtres. Lorsque nous nous sommes retirés, les Grands Couteaux se sont emparés de certains de nos morts. Non contents de les avoir tués, ils les ont découpés en petits morceaux. Cela nous a mis très en colère. À mon peuple, mes paroles étaient : « Tuez et scalpez tant que la poudre se fait entendre […] », mais ceux qui étaient derrière nous sont venus et se sont mal conduits. […].

L’année dernière à Chicago et à Saint-Joseph, les Grands Couteaux ont détruit tout notre maïs. Cela était de bonne guerre, mais, mon frère, ils n’ont pas laissé les morts reposer en paix. Ils ont déterré les tombes et jeté les os de nos ancêtres et nous n’avons jamais pu les retrouver à notre retour pour les rendre à la terre.

J’ai écouté avec attention le souhait de notre Père. Si les Grands Couteaux, après avoir tué les gens de notre couleur, les abandonnent sans les couper en petits morceaux, nous suivrons leur exemple. Tout est leur faute. La manière avec laquelle ils traitent nos morts et les restes de ceux qui reposent dans leurs tombes dans l’Ouest, remplit nos peuples de rage lorsqu’ils rencontrent les Grands Couteaux. À chaque fois qu’un des nôtres tombe entre leurs mains, ils le coupent en petits morceaux comme on ferait de la viande.

Nous pensions que les Blancs étaient chrétiens. Ils devraient nous donner un meilleur exemple. Nous ne troublons pas leurs morts. Ce que je dis est connu de tous les gens présents. Je ne mens pas.

Bien que des incidents du genre aient pu se produire isolément, John Norton croit qu’ « il serait inutile, tout autant qu’interminable, de faire état de tous les actes de cruauté dénoncés et tout aussi carrément niés – faute de preuves à l’appui des allégations de l’un ou l’autre camp » [traduction]. Des récits grandement exagérés, quoique non prouvés, du massacre de Frenchtown circulent aux États-Unis, suscitant une soif de vengeance.

Voltigeurs en marche, 1813.

Voltigeurs canadiens en marche en 1813. Un éclaireur autochtone (à gauche) accompagne les soldats. (Reconstitution par G.A. Embleton (Parcs Canada.))

Frenchtown n’est pas la seule victoire que remportent les défenseurs du Haut-Canada cet hiver-là. Le matin du 22 février, une troupe mixte britanno-canadienne qui comprend aussi 30 guerriers mohawks de Tyendinaga traverse à pied le Saint-Laurent gelé et s’empare du village américain d’Ogdensburg au terme d’un bref mais féroce combat. Par la suite, le vent tourne, car les États-Unis réussissent à mobiliser des effectifs supérieurs en nombre pour lancer des offensives majeures. À la fin d’avril 1813, une expédition américaine amphibie attaque York, écrase les défenseurs, dont 40 guerriers ojibways et mississaugas. Les Américains s’emparent de la capitale du Haut-Canada, qu’ils brûlent.

Un mois plus tard, les Américains réussissent un autre débarquement à Fort George, à l’embouchure de la rivière Niagara, forçant les Britanniques et leurs alliés autochtones de la péninsule du Niagara à se replier à l’ouest, dans la région où se trouve aujourd’hui la ville de Hamilton. Une victoire britannique au cours d’un combat de nuit à Stoney Creek le 6 juin force toutefois les envahisseurs à battre en retraite et à se retrancher dans le camp fortifié qu’ils ont construit près de Fort George. Des réguliers britanniques et des miliciens canadiens, accompagnés de leurs alliés autochtones, ne tardent pas à se masser autour de la position américaine.

Deux chefs outaouais venus avec d’autres de Michillimackinac, près du lac Huron, pour discuter avec leur Illustre Père le roi ou son représentant.

Aquarelle montrant un groupe de chefs autochtones, peut-être à l’île Bois Blanc, près d’Amherstburg, en Ontario, vers 1813-1820. (Bibliothèque et Archives Canada (C-14384.))

Le commandant américain, le major-général Henry Dearborn, décide de répliquer en montant une expédition contre la maison De Cew, connue pour être le dépôt d’approvisionnement des guerriers autochtones qui harcèlent ses positions et qui est tenue par une garnison d’une cinquantaine de soldats britanniques commandés par le lieutenant James FitzGibbon. À l’insu des Américains, un contingent composé de 200 guerriers de la rivière Grand, de 180 guerriers des Sept-Nations et de 70 guerriers ojibways et mississaugas du Haut-Canada, commandé par Dominique Ducharme et John Brant, est campé à environ deux kilomètres à l’est du poste de FitzGibbon, non loin d’une zone d’étangs et de ruisseaux appelée Beaver Dams (à proximité de l’emplacement actuel de la ville de St. Catharines).

Le 23 juin, une troupe de 600 fantassins et cavaliers de l’armée régulière américaine, équipée de trois pièces d’artillerie et commandée par le lieutenant-colonel Charles Boerstler, quitte Fort George à destination de la maison De Cew. Le contact a lieu peu après l’aube le lendemain, lorsque la troupe tombe dans une embuscade tendue par Ducharme et Brant, dont les combattants sont dissimulés dans les bois bordant la route qui mène aux Beaver Dams. Les guerriers alliés massacrent l’avant-garde et la cavalerie régulière des Américains, puis s’avancent sous le couvert des bois vers le gros de l’armée américaine en train de se déployer. Malgré les pertes que leur infligent les mousquets et les canons américains, les guerriers continuent de progresser en tiraillant et « leurs horribles hurlements épouvantent à ce point l’ennemi que celui-ci se retire précipitamment » [traduction] dans une cuvette, où il est encerclé. Deux heures plus tard, le lieutenant FitzGibbon s’avance, porteur d’un drapeau blanc. Il dit à Boerstler que la troupe qui les encercle est composée non seulement de guerriers des deux Canadas, mais également d’autres du Nord-Ouest qui « sont très difficiles à contrôler » et qui, « ayant durement souffert, sont déchaînés et pourraient se livrer à un massacre général » [traduction] si Boerstler ne se rend pas immédiatement. Les Américains capitulent. FitzGibbon écrira plus tard :

[Traduction]
Quant à cet épisode avec le capitaine [sic] Boerstler, pas un seul coup de feu ne fut tiré par notre camp, sinon par les Indiens. Ils semèrent l’épouvante dans le détachement américain et mon seul mérite fut de profiter d’un moment favorable pour leur offrir [à l’ennemi] protection contre le tomahawk et le couteau à scalper.

La bataille des Beaver Dams est l’une des plus remarquables victoires autochtones de la guerre de 1812 – les guerriers y tuèrent, blessèrent ou capturèrent 600 soldats américains en n’ayant eux-mêmes à déplorer qu’une vingtaine de tués et de blessés.

Les deux victoires de Stoney Creek et des Beaver Dams enlèvent tout mordant à la campagne américaine dans la péninsule du Niagara, mais à l’ouest, Procter et Tecumseh, après une vigoureuse mais vaine offensive dans le territoire de l’Ohio, sont contraints de se replier sur Amherstburg. Même cette position s’avère vite intenable, car les lignes de ravitaillement britanniques dépendent de leur maîtrise navale du lac Érié. Or, les Américains se sont fiévreusement employés à construire une escadre de navires de guerre à Presque’Isle, sur la rive sud du lac, afin de leur disputer cette maîtrise. Début septembre, ils réussissent à se rendre maîtres des eaux après avoir coulé ou capturé les navires britanniques. À l’annonce de ce désastre, Procter décide de se replier sur Burlington Bay (aujourd’hui Hamilton Harbour). Il omet toutefois d’en informer Tecumseh et les milliers de guerriers qui, avec leurs familles, campent à Amherstburg ou dans les environs. Ceux-ci ont cependant des soupçons quand ils voient les Britanniques s’affairer à démanteler les fortifications du poste et à charger des chariots de matériel et de munitions en vue de la retraite. Le 18 septembre 1813, au cours d’un conseil réunissant Procter, ses officiers et les chefs autochtones, Tecumseh adresse à ses alliés britanniques de cinglants reproches résumant les déceptions et les désastres qui affligent régulièrement les Autochtones quand ils se mêlent aux conflits des Blancs. Dans ce qui sera plus tard connu sous le nom de « discours du chien jaune » [traduction], Tecumseh fustige Procter, le comparant à « un animal bien gras qui se pavane la queue en l’air, mais qui, quand il a peur, s’enfuit la queue entre les pattes » [traduction].

La décision de Procter est prise, cependant, et fin septembre, sa petite armée amorce sa retraite vers le lac Ontario, accompagnée d’un Tecumseh réticent et de ceux de ses guerriers qui ne sont pas rentrés chez eux, dégoûtés par ce qu’ils considèrent comme une nouvelle trahison des Britanniques. Le 5 octobre, le major-général William Henry Harrison, vieil adversaire de Tecumseh, les rattrape non loin de la mission de Moraviantown, sur les rives de la rivière Thames. Procter déploie mal son infanterie régulière, qui est écrasée par la cavalerie de Harrison, après quoi le général britannique prend la fuite. Tecumseh et ses guerriers se battent assez longtemps et assez bien pour permettre à leurs alliés blancs de s’échapper et, toujours déterminés, se retirent finalement dans les bois. Mais Tecumseh ne les accompagne pas; il a été tué pendant la bataille. Ses guerriers subtilisent son corps, qu’ils enterrent en un lieu resté secret. Les troupes victorieuses de Harrison comptent dans leurs rangs de nombreux frontiersmen du Kentucky, qui se montrent « particulièrement cruels envers les familles des Indiens qui n’ont pas eu le temps de s’échapper ou de se cacher » [traduction]. Les Américains demeureront maîtres du Sud-Ouest du Haut-Canada jusqu’à la fin du conflit.

Les derniers mois de l’année sont favorables aux armées britanniques. En octobre et novembre, les victoires de Châteauguay et de Crysler’s Farm, auxquelles contribuent des guerriers autochtones, stoppent deux armées américaines en route vers Montréal. Mais la désastreuse défaite de la Thames et la mort de Tecumseh marquent la fin de la puissance militaire des Autochtones du Nord-Ouest. Certaines nations continuent de combattre et remportent un certain succès à Prairie du Chien (haut Mississippi) en 1814, mais la plupart concluent une paix séparée avec les États-Unis ou s’enfuient en territoire britannique.

Bataille de Moraviantown sur la Thames, 5 octobre 1813.

La défaite de la force britannique et autochtone au cours de cette bataille est survenue près de la ville aujourd’hui appelée London, en Ontario. Tecumseh a été tué pendant le combat, mais ses partisans ont emporté son corps afin qu’il soit inhumé dans un tombeau anonyme. (Bibliothèque et Archives Canada (C-041031.))

Délégation des Nations autochtones du Mississipi, 1814.

Au printemps de 1814, une délégation de chefs autochtones représentant les nations de l’Ouest s’est rendue à Québec pour rencontrer sir George Prevost, le commandant en chef de l’Amérique du Nord britannique. À noter : l’épée portée par l’un des guerriers, ainsi que le guerrier noir. L’adoption d’étrangers était une coutume beaucoup plus répandue chez les Autochtones que chez les Blancs. Cet homme noir était peut-être un esclave enfui. (Bibliothèque et Archives Canada (C-134461.))

La fin de la guerre et le Traité de Gand

En 1814, troisième année de la guerre, les campagnes militaires sont principalement menées, dans les deux camps, par un nombre croissant de troupes régulières qui se livrent des batailles rangées dans la péninsule du Niagara et la vallée du lac Champlain. Certaines nations autochtones du Nord-Ouest et leurs alliées des deux Canadas participent à quelques-uns de ces engagements, mais elles le font en qualité d’auxiliaires et leur contribution est moins cruciale pour l’issue des combats.

En août 1814, des négociations de paix sont entamées dans la ville de Gand, qui fait alors partie des Pays-Bas. Conscients de la désastreuse omission des peuples autochtones dans le Traité de Paris, qui avait mis fin à la guerre de l’Indépendance américaine, les négociateurs britanniques exigent que les alliés autochtones de la Grande-Bretagne soient inclus dans le traité et « qu’une frontière précise de leur territoire soit tracée » [traduction]. Les Américains sont abasourdis d’apprendre que « le but du gouvernement britannique était que les Indiens constituent une barrière permanente entre nos colonies de l’Ouest et la province britannique adjacente » [traduction] et qu’aucun des deux pays « ne devrait désormais avoir le droit d’acheter ou d’acquérir une quelconque partie du territoire ainsi reconnu comme appartenant aux Indiens » [traduction]. La position britannique est totalement inacceptable pour les Américains, dont une centaine de milliers de citoyens vivent dans le territoire indien proposé. Par conséquent, les négociations s’enlisent.

Après maintes discussions, les délégués américains proposent que le traité comporte plutôt « une disposition d’amnistie générale et réciproque garantissant à toutes les personnes, rouges autant que blanches, l’exercice des droits dont elles jouissaient avant le déclenchement de la guerre » [traduction]. Les négociateurs britanniques rejettent cette proposition mais, après consultation avec Londres, ils reçoivent l’ordre d’abandonner l’exigence de création d’un État-tampon et de proposer plutôt d’inclure dans le traité l’article suivant :

[Traduction]
Les États-Unis d’Amérique s’engagent à mettre fin, immédiatement après la ratification du présent traité, aux hostilités contre toutes les tribus ou nations indiennes avec lesquelles ils auraient pu être en guerre au moment de telle ratification et de rendre sur-le-champ à telles tribus ou nations, respectivement, toutes les possessions ainsi que tous les droits et privilèges dont elles auraient pu jouir et auxquels elles auraient eu droit en 1811, avant les hostilités.

Étant entendu toujours, que lesdites tribus ou nations accepteront de renoncer à toutes hostilités contre les États-Unis d’Amérique, leurs citoyens et leurs sujets, dès que la ratification du présent traité aura été signifiée auxdites tribus ou nations, lesquelles cesseront les hostilités en conséquence.

Traités indiens historiques.

Après la guerre de 1812, les tensions frontalières entre l’Amérique du Nord britannique et les É.-U. se sont quelque peu stabilisées, tandis que les populations autochtones continuaient de décliner et que l’immigration de non-Autochtones s’accroissait radicalement. Les gouvernements coloniaux de l’Amérique du Nord britannique, qui ne recherchaient plus les Autochtones comme partenaires économiques en temps de paix ni comme alliés militaires en temps de guerre, ont commencé à considérer les Premières nations comme des obstacles au développement agricole et industriel. L’élargissement subséquent de la confédération canadienne était basé sur l’assimilation des peuples autochtones et l’acquisition de leurs terres par traité, loi ou autre moyen. Au cours de cette période, la mesure dans laquelle les Autochtones ont tenté de participer à diverses entreprises militaires nationales ou impériales à l’appui de la Couronne (ou y ont été autorisés) a varié d’une région à l’autre et d’une décennie à l’autre. (traduction libre) (Archaeological Resource Management in a Lands Claim Context, Parcs Canada, 1997)

Il est pratiquement certain que les auteurs de l’article visaient les nations autochtones résidant en territoire américain et qui avaient combattu pour la Grande-Bretagne durant la guerre, particulièrement celles du Nord-Ouest qui avaient adhéré à la Confédération de Tecumseh. La preuve en est que l’article fait référence à 1811, année où la guerre éclata dans le Nord-Ouest, et non à 1812, année où les États-Unis déclarèrent la guerre à la Grande-Bretagne. Au terme de longues discussions, les délégués américains acceptent la proposition, qui devient l’article IX du Traité de Gand, signé le 24 décembre 1814.

Trois jours plus tard, le gouvernement britannique fait tenir un exemplaire du traité à sir George Prevost et attire son attention sur les articles relatifs aux peuples autochtones « qui peuvent être en guerre contre l’une ou l’autre des parties signataires » [traduction]. On lui enjoint de leur faire savoir que la Couronne « n’aurait pas accepté de faire la paix avec les États-Unis à moins que les nations ou tribus qui avaient été nos alliées ne soient incluses dans [le processus de] la pacification » [traduction]. Prevost est prié de faire « tout en son possible » [traduction] pour amener les peuples autochtones vivant aux États-Unis à conclure une paix séparée avec le gouvernement américain, « car nous ne pourrions être fondés à leur apporter davantage assistance s’ils persistaient dans la guerre » [traduction].

La guerre de 1812 assura la persistance de la domination des Anglais en Amérique du Nord britannique, et les guerriers autochtones ont joué un rôle de premier plan dans la défense des intérêts britanniques. En vérité, ce rôle fut décisif dans certaines des premières batailles. Malheureusement, l’issue de la guerre fut moins favorable aux peuples autochtones de la région des Grands Lacs et de la vallée de l’Ohio, car elle mit une fin définitive à leur longue lutte pour défendre leur autonomie et leurs terres contre les empiètements des colons européens et américains. Dès lors, les peuples autochtones du Nord-Est du continent ne seront plus en mesure de se défendre par les armes. Pourtant, 1815 ne sera pas la dernière année où les Autochtones seront appelés à la défense du Canada.

Photo prise en studio en juillet 1882 des derniers survivants parmi les guerriers des Six-Nations qui avaient combattu avec les Britanniques dans la guerre de 1812.

Pendant tout le reste du XIXe siècle, la présence exemplaire et la très bonne réputation d’anciens combattants comme ceux-ci a garanti la survie de la tradition du service militaire au sein des collectivités autochtones dans le centre et l’Est du Canada. De gauche à droite, on voit les anciens combattants de la guerre de la rivière Grand en 1812 Jacob Warner (92 ans), John Tutlee (91 ans) et John Smoke Johnson (93 ans). La photo a été prise à Brantford en 1882. (Bibliothèque et Archives Canada (C-085127))

Lectures connexes

ALEN, Robert S, His Majesty’s Indian allies: British Indian policy in the defence of Canada, 1774-1815, (Toronto : Dundurn Press, 2008).

BEN, Carl, The Iroquois in the War of 1812, (Toronto : University of Toronto Press, 1998).

MACLEOD, D. Peter, Les Iroquois et la guerre de Sept Ans, (Montréal, VLB, 2000).

MORTON, Desmond, Une histoire militaire du Canada, 1608-1991 (Sillery, Québec : Septentrion, 1992).

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