Les guerres mondiales

Au cours de la Première Guerre mondiale (1914-1919) et de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), des milliers d’hommes et de femmes autochtones s’enrôlent volontairement dans les forces armées du Canada et servent dans des unités, aux côtés d’autres Canadiens, sur tous les fronts où les forces canadiennes sont engagées. Plus de 500 Indiens inssts devenus des militaires canadiens meurent sur des champs de bataille étrangers pendant les deux guerres mondiales, et les pertes, si l’on inclut les blessés, sont plus considérables encore. Leur contribution remarquable à l’effort de guerre deviendra une source d’inspiration et un motif d’affirmation pour eux-mêmes, pour leurs communautés et pour l’ensemble des Canadiens.

La Première Guerre mondiale (1914-1919)

Un Indien dans le Corps forestier canadien.

À l’époque de la Grande Guerre, le service militaire conférait simultanément aux soldats autochtones le statut de guerrier, qui était très estimé dans de nombreuses cultures et collectivités autochtones au pays, leur permettait de se familiariser avec les rouages de l’économie basée sur les salaires, que beaucoup connaissait encore mal, et leur offrait souvent la possibilité d’utiliser des compétences acquises en exerçant leur métier civil, que ce soit comme ouvrier forestier, spécialiste de la navigation fluviale, chasseur, éclaireur ou traqueur. L’exécution d’au moins une certaine période de service militaire est considérée encore aujourd’hui comme un important rite de passage au sein de nombreuses collectivités autochtones canadiennes. (Bibliothèque et Archives Canada (PA 5424))

Lorsque la Grande-Bretagne déclare la guerre en août 1914, le Dominion du Canada – en tant que colonie – est aussi en guerre légalement. Il reste encore à déterminer quelle sera l’ampleur de l’engagement du Canada et personne n’a encore idée des horreurs à venir. La Première Guerre mondiale, ou « Grande Guerre », comme on en viendra à la désigner, contraint nations et empires à mobiliser leurs ressources à une échelle encore inégalée. Le Canada fait sa part dès le début, tout comme les Autochtones du pays.

Pratiquement dès le commencement de la guerre, les autorités canadiennes songent à mettre les Autochtones à contribution. Au début, Ottawa hésite. Dans la littérature populaire de l’époque, les « Peaux-Rouges » sont associés à la torture et au scalp, usages parfaitement inacceptables selon les règles de la guerre établies dans la Convention de Genève, ratifiée en 1906. Selon le discours officiel, « même si les soldats britanniques seraient fiers d’être associés à leurs compatriotes sujets de la Couronne, les Allemands pourraient refuser d’accorder à ceux-ci les privilèges de la guerre civilisée » [traduction]. Le recrutement d’« Indiens inscrits » au Canada est donc interdit. Pendant que cette question est débattue toutefois, de nombreux Autochtones enthousiastes et dévoués se sont déjà précipités vers les bureaux de recrutement et ont commencé leur entraînement pour le service outre-mer. De deux choses l’une : ou bien les unités de la milice ignorent cette interdiction, ou bien elles ont décidé de ne pas en tenir compte.

Carte : Front occidental, 1914-1918. (Ministère de la Défense nationale)

Dans certains milieux de la société canadienne, ces craintes d’un traitement différentiel sont jugées sans fondement; on se dit, au contraire, qu’il faut s’empresser de recruter des Indiens dans l’armée. Pendant toute la Première Guerre mondiale, l’incertitude règne quant au rôle précis des agents des Sauvages dans le recrutement et aux politiques du département des Affaires des Sauvages concernant l’enrôlement d’Indiens des réserves, incertitude qui s’explique par le mandat contradictoire du Département, chargé à la fois de protéger les droits des Indiens inscrits et d’agir dans l’intérêt du gouvernement fédéral. L’historien James Dempsey a relevé les incohérences apparentes dans la façon dont les administrateurs et les recruteurs du gouvernement appliquaient les règles. La décision du gouvernement de recruter activement des Indiens semble largement motivée par les efforts du premier ministre, Robert Borden, pour combler, en 1916, les pertes de plus en plus lourdes subies par les unités affectées au front. Toutefois, les efforts de recrutement ne produisent pas nécessairement les résultats escomptés. Le surintendant général adjoint des Affaires des Sauvages de l’époque, Duncan Campbell Scott, donne son appui à certains conseils de bande et aux agents locaux qui s’élèvent contre les tactiques dont usent les officiers chargés du recrutement dans les réserves. Pour ne citer que cet exemple, lorsque les aînés pieds-noirs demandent que 15 Pieds-Noirs enrôlés soient libérés de l’armée, les Affaires des Sauvages ordonnent au commandant du district militaire d’obtempérer.

Pétition des mères de clan des Six-Nations au roi George V, 1917.

Comme cela sera de nouveau le cas au cours de la période de 1939 à 1945, l’appui des Autochtones à la participation militaire des leurs à la Première Guerre mondiale est loin d’être unanime, et les pressions dans un sens comme dans l’autre divisent les collectivités et les familles. Dans de nombreuses cultures autochtones, les femmes se voient confier un important rôle de leadership. Ainsi, en 1917, un groupe de mères de clan des Six-Nations de la rivière Grand envoie une pétition au roi George V, invoquant le Two-Row Wampum Treaty (traité à deux rangs ou deux sentiers) et la Chaîne d’alliance qui consignent la condition de souveraineté-association existant entre la Couronne et la Confédération des Six-Nations. Les mères de clan demandent au roi de libérer sur-le-champ du service militaire un certain nombre de leurs fils enrôlés bien qu’ils soient mineurs. (Bibliothèque et Archives Canada, Groupe d’archives (RG) 10 Affaires indiennes (volume 6767, dossier 452-15, partie 1))

Pétition des anciens combattants des Six-Nations, D.C. Scott, surintendant général adjoint des Affaires des Sauvages, 1919.

Après la guerre, des anciens combattants fraîchement rentrés du combat et appartenant à la même réserve s’organisent sur le plan politique pour aider à déposer le système traditionnel des chefs héréditaires, lequel à leur avis ne les a pas aidés, eux et leurs familles, au cours de la guerre. (Bibliothèque et Archives Canada, RG 10 Affaires indiennes (volume 7930, dossier 32-32, partie 2))

Le plus souvent, les recruteurs essaient de persuader les Indiens de s’enrôler, au lieu de les y contraindre. Des Canadiens, comme simples citoyens, contribuent à l’effort de recrutement. Un peu partout au pays, des prêtres, des missionnaires et des enseignants des pensionnats indiens prodiguent leurs encouragements aux Indiens qui songent à s’enrôler volontairement et les influencent dans ce sens. Dans le Sud de l’Ontario, une personnalité connue offre de financer et de soutenir un bataillon entier constitué exclusivement de guerriers des Six-Nations. Ni les représentants d’Ottawa ni le conseil local des chefs indiens n’acceptent l’offre, quoique pour des raisons différentes. La politique officielle du gouvernement limite toujours la participation des Indiens et, de ce fait, les autorités de la Défense jugent l’offre « inopportune » [traduction]. La réponse des chefs des Six-Nations reflète des vues politiques plus larges. Selon les traités et alliances du passé, les Six-Nations se considèrent comme une nation distincte et estiment, par conséquent, que la Couronne britannique doit leur adresser une demande officielle, de nation à nation. Le gouvernement canadien ne peut se résoudre à formuler cette demande, par crainte des répercussions politiques et juridiques qui en résulteraient. Néanmoins, les réserves iroquoises se révèlent être des bastions qui apportent leur soutien actif à l’effort de guerre; les réserves des environs de Brantford (Six-Nations) et de Tyendinaga (Mohawks de la baie de Quinte) sont celles qui fourniront le plus grand nombre de recrues indiennes au Canada.

En principe, le gouvernement ne forme pas d’unités « ethniques » pendant le XXe siècle. Il n’y a donc pas d’unités « intégralement indiennes » pendant les guerres mondiales, ce qui rend difficile toute analyse systématique de la contribution des Indiens et toute généralisation à cet égard. Il n’en reste pas moins que plusieurs régiments comptent dans leurs rangs de nombreux soldats autochtones. Un grand nombre des membres du 114e bataillon, mieux connu sous le nom de « Brock’s Rangers », proviennent des Six-Nations de Grand River et des communautés de Caughnawaga et de Saint-Regis, au Québec. Des officiers indiens commandent d’ailleurs deux compagnies « indiennes » du 114e Bataillon. Comme de nombreux autres bataillons, celui-ci est démantelé à son arrivée en Angleterre et ses membres sont répartis dans d’autres bataillons de combat. Le 107e Bataillon « Timber Wolf », constitué à Winnipeg, est une autre unité où l’on retrouve beaucoup d’Autochtones, soit plus de 500. Il est converti en bataillon de pionniers en Angleterre, puis s’embarque en 1917 pour la France, où il prend part à la bataille de la Côte 70, juste au nord de Lens. Le Surintendant général adjoint des Affaires des Sauvages souligne de façon particulière l’apport des Anishnawbes qui servent dans le 52e Bataillon :

Insigne du 107th Battalion.

Ci-haut, on voit l’insigne porté par les membres du 107th « Timber Wolf » Battalion. (Musée canadien de la guerre)

107th battalion, Compagnie A, subalternes

La fortune des armes; subalternes de la Compagnie A, 107th « Timber Wolf » Battalion, en France, le 29 juillet 1917. Assis au premier rang, à gauche, on voit le Lieutenant Oliver Martin, un Mohawk de la réserve de la rivière Grand. Debout à l’arrière, à droite, se trouve le Lieutenant James Moses, un Delaware de la même réserve. Par la suite, ils ont tous deux été détachés auprès du Royal Flying Corps. Martin, qui était pilote, a survécu à la guerre et est demeuré actif au sein de la milice canadienne entre les deux guerres. Il a ensuite été nommé brigadier au cours de la Seconde Guerre mondiale. Moses a été porté disparu, puis on a confirmé sa mort, survenue le 1er avril 1918 tandis qu’il servait comme observateur aérien. Un troisième officier subalterne autochtone du 107th Battalion, John Randolph Stacey, un Mohawk de Kahnawake, est lui aussi devenu pilote, mais il a été tué dans un accident d’avion en Angleterre une semaine après Moses. (Collection J. Moses)

[Traduction]
Les bandes ojibways des environs de Fort William méritent une mention spéciale, pour avoir envoyé outre-mer plus de 100 hommes, sur une population comptant au total 282 adultes de sexe masculin. Lors de l’adoption de la Loi du Service Militaire, il fut constaté qu’il ne restait plus que deux Indiens de première classe dans la réserve de Nipigon, et un seul dans la réserve de Fort William […] Pour la plupart, les recrues indiennes provenant de ce district furent enrôlées dans le 52e Bataillon, mieux connu sous le nom de bataillon Bull Moose. Leur commandant, le colonel Hay, qui fut tué, a dit en maintes occasions que les Indiens comptaient au nombre de ses meilleurs soldats. Le fait que le nom de chacun des Indiens de cette unité figure sur la liste des pertes témoigne de leur bravoure. La fière allure de ces soldats indiens a été relevée par la presse dans les différentes villes où le bataillon a défilé avant son départ pour le front. L’un des membres du 52e Bataillon, le soldat Rod Cameron, est sorti bon premier d’un concours de tir face aux meilleurs tireurs d’élite de 12 bataillons. Il a rendu des services émérites au front comme éclaireur et tireur d’élite et a par la suite été tué au combat.

Le soldat Joseph Delaronde, un autre Indien nipigon, affecté au 52e Bataillon, a été décoré d’une médaille pour sa bravoure au combat. Son cousin, Denis Delaronde, mort au combat, a été le premier homme du 52e Bataillon à pénétrer dans les tranchées ennemies. Deux autres membres de cette famille d’Indiens combattants, Charles et Alexander Delaronde, ont également servi dans le même bataillon. Alexander a été blessé, rapatrié et libéré, puis s’est enrôlé de nouveau et est retourné au front. Le sergent Leo Bouchard est un autre Indien nipigon du 52e Bataillon à avoir été décoré, dans son cas de la Médaille de conduite distinguée. Le soldat Augustin Belanger, autre Indien membre du 52e Bataillon, qui est mort au combat, a été pour sa part décoré de la Médaille militaire. Alexander Chief, un Indien de Fort William membre du 52e Bataillon, est rentré au Canada après 2 années de service et après avoir subi pas moins de 12 blessures. En dépit de son excellente santé physique, il a été victime de la tuberculose causée par les privations qu’il avait endurées, et il est mort en 1918.

À la fin de la guerre, des soldats autochtones auront servi dans toute l’armée. « Nombre de soldats d’ascendance autochtone se seront distingués, à titre individuel, dans divers bataillons, honorant en cela les usages de leur mode de vie traditionnel et de leur culture, dans laquelle, de rappeler l’historien Fred Gaffen, l’héroïsme individuel au combat est tenu en haute estime. » [traduction]

Le Caporal suppléant John Shiwak.

L’isolement géographique a limité, mais n’a pas empêché l’enrôlement d’Inuits au cours des Première et Seconde Guerres mondiales, et pendant la guerre de Corée. John Shiwak (Sikoak), un Inuit du Labrador établi à Rigolet, a servi au sein du Royal Newfoundland Regiment. Il a été tué le 20 novembre 1917 au cours d’un combat à Cambrai. Frederick Freida est un autre volontaire inuit de la côte du Labrador qui a servi durant la Grande Guerre.Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la présence d’Inuits le long de la côte du Labrador a compliqué les efforts des équipages des U-boot allemands pour ce qui était d’installer des stations météorologiques automatiques à terre. À l’heure actuelle, dans l’ensemble du Nord canadien, les membres inuits des groupes de patrouilles des Rangers canadiens (Réserve des Forces canadiennes) font partie intégrante de notre présence militaire dans l’Arctique. (Légion royale canadienne, Happy Valley (Labrador))

Le département des Affaires des Sauvages, en particulier par la voix de Duncan Campbell Scott, louange les hauts faits de guerre des Indiens inscrits. Le rapport annuel qu’il remet en 1919 précise que, selon les registres officiels, plus de 4 000 Indiens se sont enrôlés, soit l’équivalent d’environ 35 p. 100 de l’ensemble des Indiens inscrits de sexe masculin en âge de servir. Compte tenu des difficultés qui attendent ces recrues, Scott qualifie de remarquable le fait « que le pourcentage des Indiens qui s’enrôlent est en tout point comparable à celui que l’on observe dans d’autres sections de la population et, de fait, bien supérieur à la moyenne dans un certain nombre de cas » [traduction]. En outre, ces statistiques n’incluent pas les Indiens non inscrits, les Métis ni les Inuits, de sorte que les Autochtones qui ont servi dans les forces armées sont encore plus nombreux que ne l’indiquent les registres officiels.

Dans plusieurs communautés autochtones, le nombre d’enrôlements est impressionnant. Près de la moitié des Mi’kmaq et des Malécites admissibles du Canada atlantique s’enrôlent. Tous les hommes admissibles de la réserve Mi’kmaq, près de Sydney, en Nouvelle-Écosse, se portent volontaires. Les bandes du Nouveau-Brunswick envoient au front 62 de leurs 116 hommes admissibles, tandis que 30 des 64 Indiens admissibles de l’Île-du-Prince-Édouard s’enrôlent. Bien que Terre-Neuve-et-Labrador demeure une colonie distincte pendant les guerres mondiales, on estime à 15 le nombre d’hommes de descendance inuite à avoir servi dans le Royal Newfoundland Regiment de l’armée britannique. Les statistiques pour le Québec sont quelque peu imprécises, mais il y a lieu de penser que le pourcentage d’Indiens qui s’enrôlent y est élevé. En Ontario, tous les hommes admissibles, à l’exception de trois, de la bande algonquine de Golden Lake, s’enrôlent et une centaine d’Anishnawbes (Ojibways) issus de communautés isolées du Nord de l’Ontario se rendent à Port Arthur (Thunder Bay) pour s’enrôler. Comme nous l’avons dit plus tôt, la réserve des Six-Nations de Grand River aura fourni plus de soldats que toute autre communauté indienne au pays, soit environ 300. Au Manitoba, 20 hommes de la bande Peguis serviront au front – une statistique impressionnante si l’on considère que l’on n’y dénombre que 118 hommes d’âge adulte. Malheureusement, 11 d’entre eux ne reverront pas leur foyer. Dans la même veine, la bande The Pas, la bande sioux de Griswold et la bande St. Peter’s enverront toutes trois plus de 20 p. 100 de leur population mâle adulte outre-mer. Plus de la moitié des hommes adultes admissibles de la réserve Cote en Saskatchewan serviront outre-mer. Seuls 29 Indiens de l’Alberta serviront, mais 17 d’entre eux proviennent de la réserve des Gens-du-Sang. En Colombie-Britannique, tous les hommes de la bande Head of the Lake ayant entre 20 et 35 ans s’enrôlent. Tous ces cas sont absolument exemplaires. Les hommes qui vivent dans le Nord territorial se portent rarement volontaires, en raison de leur mode vie de subsistance, de leur méconnaissance des événements internationaux et de la quasi-absence de liens avec le monde, inconnu pour eux à quelques exceptions près – entre autres John Campbell, qui parcourt 3 000 milles à pied, en canot et en navire à vapeur pour aller s’enrôler à Vancouver – afin de participer à l’effort de guerre. D’expliquer D.C. Scott, à la fin de la guerre : « Rappelons qu’une partie importante de la population indienne vivait dans des lieux isolés, voire inaccessibles, ne connaissait pas la langue anglaise et n’était de ce fait pas en mesure de comprendre la nature de la guerre, ses causes ou ses conséquences » [traduction]. Le nombre élevé d’Indiens qui s’enrôlent n’en est que plus remarquable.

Pourquoi s’enrôlent-ils? À cette question, Janice Summerby répond « qu’une seule réponse ne saurait suffire; dans les entrevues données à la presse, dans les récits oraux, les biographies et autres ouvrages publiés, les anciens combattants autochtones – comme leurs homologues non autochtones – parlent de leur goût de l’aventure, de l’attrait d’une solde régulière et de leur désir de suivre leurs amis et les membres de leur famille qui partent servir » [traduction]. Les motivations ne manquent pas; elles vont du patriotisme à leur statut au sein de la communauté. Aux dires d’un agent des Sauvages : « les chefs d’un certain nombre de bandes de la côte Ouest ont dit souhaiter être autorisés à servir l’empire dans ce conflit et ont offert d’envoyer un grand nombre de leurs jeunes hommes si on le leur demande [traduction]. En Ontario, le chef F.M. Jacobs, de Sarnia, écrit à D.C. Scott pour lui faire savoir que son peuple est prêt à porter « assistance à la mère patrie dans le cadre de la lutte qu’elle mène en Europe. La race indienne est, par principe, loyale à l’Angleterre; cette loyauté fut créée par la plus noble reine qui vécut jamais, la reine Victoria » [traduction]. Un tel patriotisme n’est pas étranger aux identités et à la culture autochtones. Pour sa part, James Dempsey parle de « l’éthique du guerrier », [traduction] qui prévaut toujours parmi les Indiens des Prairies et qui pousserait les jeunes hommes à s’enrôler.

Ceux qui servent vivent un choc des cultures d’un type tout à fait particulier. « Pour les Indiens élevés dans un mode de vie traditionnel, l’adaptation à la vie dans l’armée comportait sa part de difficultés bien particulières » [traduction], observe Gaffen. La hiérarchie militaire stricte du Corps canadien établit une nette distinction entre officiers et soldats, alors que les rapports traditionnels entre chefs et guerriers sont plus égalitaires et familiers. D’autres différences systémiques posent également des difficultés aux Indiens enrôlés pendant la Première Guerre mondiale. Les recrues qui proviennent de communautés isolées se butent à des barrières linguistiques dès le moment où commence leur entraînement dans les grands centres. Certains, comme l’Anishnawbe William Semia, originaire du Nord de l’Ontario – qui parcourt plus de 400 kilomètres pour s’enrôler et qui, du coup, met les pieds dans une ville pour la première fois – ont tout de même la chance de rencontrer d’autres recrues autochtones qui suivent leur entraînement de base et qui sont en mesure de les aider. Semia finit par maîtriser l’anglais et il combattra dans les tranchées boueuses de Passchendaele. Quelques-uns ont la chance de se voir affecter au 107e Bataillon, au sein duquel le lieutenant-colonel Glen Campbell parle la langue autochtone de plusieurs de ses hommes, ou encore dans une unité albertaine qui compte dans ses rangs 16 interprètes – dont le commandant, qui parle lui-même le cri, le chipewyan, le dogrib et plusieurs dialectes de l’inuktitut. Un autre facteur, la santé, joue contre la population autochtone, en particulier pour les Autochtones issus des endroits les plus isolés du pays, où ils ont eu peu de contacts avec l’homme blanc et avec les maladies dont il est porteur. Ces soldats enrôlés sont particulièrement vulnérables à des maladies comme la tuberculose et la pneumonie et beaucoup de ceux qui s’enrôlent sont emportés très tôt dans leur carrière militaire. Cette vulnérabilité sera aussi l’une des raisons invoquées par les aînés restés au pays pour demander la libération d’Autochtones servant à l’étranger, comme ce sera le cas chez les Pieds-Noirs de l’Alberta.

Carte : Premières lignes du front occidental, 1914-1918. (Ministère de la Défense nationale)

De nombreuses communautés autochtones souhaitent ardemment contribuer par tous les moyens possibles. Leurs dons au Fonds patriotique deviennent matière à propagande; des affiches font valoir que les peuples autochtones sont si généreux que les autres Canadiens devraient leur emboîter le pas. Des communautés des réserves font des dons à la Croix-Rouge, recueillent des fonds par la vente d’articles d’artisanat et tricotent des chaussettes et des chandails pour les soldats qui servent outre-mer. Des représentants du gouvernement comme D.C. Scott apportent la preuve, statistiques à l’appui, que même s’ils sont souvent pauvres, les Autochtones contribuent généreusement à l’effort de guerre. Les montants varient grandement; ils vont des 7,35 $ donnés par les enfants de la réserve John Smith, à plus de 8 000 $ provenant de l’agence de File Hills. Même les dons les plus modestes sont remis du fond du coeur. Les Sioux d’Oak River envoient leur don de 101 $ directement au Roi, et déclarent : « Personne ne nous l’a demandé; nous le faisons de notre plein gré; c’est peu; mais nous offrons ce don de tout coeur » [traduction].

Les contributions volontaires sont une chose; les contributions sous la contrainte en sont une autre. La question qui soulève la plus vive controverse parmi les peuples autochtones du Canada au cours des deux guerres mondiales est la conscription, c’est-à-dire le service militaire obligatoire. Bien que les membres de tant de communautés (autochtones) soient nombreux à s’enrôler volontairement, ils considèrent que le service militaire ne devrait pas leur être imposé. En 1917, après l’éclatante victoire du Corps canadien à la crête de Vimy, le gouvernement fédéral, qui manque cruellement de troupes outre-mer, décide que la conscription est devenue nécessaire. Lorsque la Loi du Service Militaire est initialement rédigée, les autorités gouvernementales ne prévoient rien pour le cas particulier des Indiens. Or, les communautés indiennes ne tardent pas à réagir, et l’avalanche de lettres de la part d’Indiens et d’agents des Sauvages exigeant que les Indiens inscrits soient exemptés de conscription prend le département des Affaires des Sauvages au dépourvu. « Je ne connais aucun motif général permettant de soustraire les Indiens au service militaire ou de les en exempter » [traduction], déclare D.C. Scott dans un premier temps, ce qui signifie que les Indiens, au même titre que quiconque au Canada, seront conscrits. Nombreuses sont les communautés indiennes à y voir une grave injustice et elles s’empressent de rappeler au gouvernement les promesses verbales faites dans le cadre des traités, selon lesquelles elles n’auraient jamais à prendre les armes contre leur gré. Bien des lettres font valoir que les Indiens inscrits ne jouissent pas des pleins droits associés à la citoyenneté; à titre d’exemple, ils ne peuvent voter et sont juridiquement considérés comme des « pupilles » ou des « enfants » de l’État. Du fait de ce statut, en quoi serait-il juste de les contraindre à servir et à assumer les mêmes responsabilités que les personnes émancipées? Finalement, les pressions soutenues des Autochtones auprès du gouvernement portent leurs fruits. Le Cabinet, par un décret (C.P. 111) qu’il promulgue le 17 janvier 1918, soustrait les Indiens à l’application de la Loi du Service Militaire. Les Indiens peuvent cependant être appelés à jouer un rôle de non-combattant au Canada, mais ce décret leur permettra plus facilement de demander à être dispensés de service, pour travailler en industrie ou en agriculture. C’est ainsi que les Indiens inscrits qui servent outre-mer pendant la Première Guerre mondiale le font en tant que volontaires.

Tombe d’Henry Norwest.

Au cours des deux guerres mondiales et de la guerre de Corée, en raison de leur gagne-pain civil, ainsi que des stéréotypes de longue date attribuant aux Autochtones une furtivité et une ruse extraordinaires, les soldats autochtones occupaient souvent les emplois les plus dangereux que l’Armée avait à offrir. Henry Norwest, un sellier, cow boy, trappeur et chasseur cri-métis de l’Alberta, a servi comme tireur d’élite dans le 50e Bataillon, CEC. Norwest, qui a officiellement fait 115 victimes, soit le nombre le plus élevé consigné jusque-là dans les armées de l’Empire britannique, a été tué au combat le 18 août 1918 près d’Amiens. (Archives Glenbow)

Les récits de guerre nous apprennent que les soldats autochtones se distinguent tout particulièrement dans les missions dangereuses mais essentielles de l’infanterie. Les comptes rendus d’actes de bravoure individuels ne manquent pas, entre autres dans des études comme Forgotten Soldiers (Gaffen), Native Soldiers, Foreign Battlefields (Janice Summerby) et Warriors of the King (James Dempsey). Plusieurs thèmes en ressortent clairement. D’abord et avant tout, les soldats autochtones sont louangés pour leurs exploits comme tireurs d’élite et éclaireurs. Gaffen conclut qu’en situation de combat, « les habiletés du chasseur et guerrier indien ont tôt fait de ressortir » [traduction]. On reconnaît aux soldats autochtones leur sens de l’adaptation et leur patience, mais aussi leur sens de l’observation, leur endurance et leur courage. Ainsi, parce qu’ils sont d’origine autochtone et ont un mode de vie rustique (à quoi s’ajoutent les vieux stéréotypes qui attribuent aux Autochtones un sens extraordinaire de la ruse et de la dissimulation), certains individus se voient parfois confier par l’armée les missions les plus périlleuses. On dit aussi que beaucoup d’Indiens recherchent ce genre de missions et y excellent. Francis Pegahmagabow, un Ojibway de l’agence de Parry Island en Ontario, est sans doute l’Indien le plus réputé pour son adresse au tir. Il s’enrôle en août 1914 et sert successivement à Ypres, dans la Somme, à Passchendaele et à Amiens. Comme tireur d’élite, il aurait fait plus de 378 victimes dans les rangs ennemis, ce qui fait de lui l’un des meilleurs francs-tireurs parmi les Alliés du front ouest. Il recevra de nombreuses décorations pour bravoure, dont la Médaille militaire et deux barrettes, honneur qui ne fut accordé qu’à 39 militaires du Corps expéditionnaire canadien (CEC). Le Métis Henry Norwest se distinguera aussi comme tireur d’élite. « Il lui est arrivé de devoir attendre deux jours durant parce que deux tireurs ennemis avaient entendu le bruit de son arme, et de faire comme s’il était l’un des leurs, sachant que l’ennemi soupçonnait sa présence » [traduction], de rappeler l’un de ses camarades après la guerre. « Finalement, il les prendra tous deux par surprise, à 15 minutes d’intervalle. » Le caporal suppléant Norwest portera officiellement 115 coups mortels et sera décoré de la Médaille militaire avant de tomber sous un tir ennemi en août 1918. Au total, au moins 37 soldats d’infanterie autochtones seront décorés pour bravoure. Des soldats autochtones se distinguent dans d’autres rôles militaires et, l’Armistice venu, il s’en trouve au sein de bataillons de pionniers, de forestiers et de manoeuvres, ainsi que dans les troupes ferroviaires, le Service vétérinaire, l’Intendance militaire et le Génie canadien.

Du fait de leur instruction limitée, peu d’Autochtones peuvent aspirer au grade d’officier, mais beaucoup deviennent sous-officiers : caporaux, caporaux suppléants et sergents. Dans les rôles de leadership qui leur sont confiés, les Autochtones instaurent la confiance et démontrent autant de compétence et d’intelligence que leurs camarades non autochtones. Quelques-uns obtiennent le titre d’officier, souvent à cause de leur valeur au combat; c’est le cas notamment des lieutenants Cameron Brant et Oliver Milton Martin, ainsi que des capitaines Alexander Smith et Charles D. Smith, tous issus des Six Nations, et de Hugh John McDonald, originaire de la vallée du Mackenzie. Un petit nombre d’Autochtones servent aussi dans le Royal Flying Corps/la Royal Air Force, entre autres le lieutenant James David Moses, d’Oshweken, et le lieutenant John Randolph Stacey, de Kahnawake. Fin mars 1918, Moses écrit à ses parents :

[Traduction]
Mon pilote et moi avons vécu, récemment, quelques expériences très excitantes. Nous avons bombardé les soldats allemands à très basse altitude et avons eu le plaisir de tirer des centaines de balles de mitrailleuses dans ces masses compactes. Ils se sont simplement éparpillés en tous sens en trébuchant. Inutile d’ajouter que ça a chauffé et, lorsque nous sommes revenus à l’aérodrome, nous nous sommes aperçus que notre avion était passablement mal en point.

Le 1er avril, son avion est abattu par un tir antiaérien et il perd la vie. Il est l’un des 88 volontaires des Six-Nations qui meurent pendant le conflit. .

Le Lieutenant J. D. Moses, de la Royal Air Force, est porté disparu.

Le télégramme redouté. Il a été par la suite révélé, dans des documents de la Force aérienne allemande, que l’appareil DH4 du 57e Escadron de la RAF, à bord duquel Moses servait comme observateur, avait été abattu par le Lt Hans Joachim Wolf, du Jagdgeschwader Freiherr von Richthofen, communément appelé Flying Circus. Le Lieutenant Moses avait 28 ans et son pilote, le Sous-lieutenant Douglas Price Trollip (un Sud-africain), 23 ans. (Collection J. Moses)

En tout, plus de 300 Indiens inscrits meurent pendant la Grande Guerre. Des centaines d’autres en sortent meurtris, de corps et d’esprit. Certains reviennent des combats souffrant de tuberculose et d’autres maladies contractées dans les conditions horribles qui règnent alors sur le front ouest. À leur retour dans leurs communautés isolées à la fin de la guerre, ils sont porteurs, à leur insu, de la grippe mortelle qui ravagera le pays en 1919. Ils ont fait de durs sacrifices aux côtés de leurs camarades du reste du Canada, et les peuples autochtones se souviendront de leurs contributions patriotiques à la victoire. « La paix revenue, les Indiens du Canada peuvent contempler avec une juste fierté le rôle qu’ils ont tenu durant la Grande Guerre, à la fois au pays et sur les champs de bataille » [traduction], dira Edward Ahenakew, pasteur cri de la Saskatchewan, en 1920, avant d’ajouter :

[Traduction]
Ce n’est pas en vain que nos jeunes hommes sont morts dans un pays étranger; ce n’est pas en vain que, pour la première fois depuis le commencement du monde, nos ossements indiens se sont mêlés à une terre étrangère; ce n’est pas en vain que les pères et mères indiens ont vu leurs fils partir pour affronter des dangers incompréhensibles pour eux; les larmes que nos mères ont versées en silence dans bien des réserves indiennes isolées feront peut-être éclore les désirs, les efforts et les aspirations qui nous permettront de prendre plus vite notre place aux côtés des hommes blancs.

En échange de ce sacrifice, des changements vont devoir être apportés pour améliorer la vie des Indiens au Canada.

Les événements politiques de l’entre-deux-guerres

Dans le rapport annuel du département des Affaires des Sauvages de 1918-1919, le surintendant adjoint des Affaires des Sauvages, Duncan Campbell Scott, écrit :

[Traduction]
Maintenant que la paix est revenue, les Indiens du Canada ont raison d’être fiers du rôle qu’ils ont joué dans la Grande Guerre, au pays et sur le champ de bataille. Ils ont su être fidèles à la tradition de leurs valeureux ancêtres qui ont si bien défendu la cause britannique en 1776 et en 1812 et y ont ajouté un héritage d’honneur immortel, qui servira d’exemple et de source d’inspiration à leurs descendants.

Photo portrait de Charlotte Edith Anderson Monture, AEF.

Manifestant l’indépendance d’esprit traditionnelle des femmes iroquoises, Edith Anderson, de la réserve de la rivière Grand (Six-Nations), vivait et travaillait comme infirmière autorisée à New York lorsque les É.-U. sont entrés en guerre en 1917. S’enrôlant dans le corps expéditionnaire américain (AEF) comme infirmière militaire, elle a servi en France jusqu’à sa démobilisation en 1919. Elle est ensuite retournée à la réserve pour continuer à travailler comme infirmière et élever une famille. Les femmes autochtones au front au cours des guerres mondiales ont grandement contribué aux oeuvres de bienfaisance et aux diverses formes de secours et d’appui fournies aux soldats. Pendant la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre de femmes autochtones ont fait partie des services féminins des trois éléments. (Collection J. Moses)

Photo portrait du Lieutenant F.O. Loft.

« En tant que citoyens pacifiques et respectueux de la loi par le passé, et même dans la récente guerre, nous avons accompli notre devoir envers le roi, le pays et l’Empire, et nous avons le droit d’exiger comme récompense plus de justice et d’équité. »Le Lieutenant Frederick Ogilvie Loft avait servi au sein du Corps forestier canadien au cours de la Première Guerre mondiale. Ce Mohawk des Six-Nations de la rivière Grand a fondé en 1919 la League of Indians of Canada, première organisation politique autochtone nationale au pays. Les activités politiques de la ligue (entièrement autofinancées), qui visaient à faire valoir les droits des Indiens et à favoriser une réforme politique, sont vite devenues un sujet de discorde pour le gouvernement fédéral. Au cours de la panique bolchévique des années 20 au Canada, certains représentants du gouvernement craignaient que les organisations politiques autochtones naissantes soient d’une certaine façon affiliées aux ligues communistes et aux mouvements syndicaux ouvriers engagés. Les modifications apportées à la Loi des Indiens de 1927 visaient à limiter l’activité politique autochtone. Bien qu’elles n’aient jamais pleinement atteint leur but, ces clauses restrictives sont demeurées en vigueur jusqu’en 1951.

Au lendemain de la guerre, toutefois, la continuité l’emporte sur les changements dans l’administration des peuples autochtones. « Contrairement au pays, qui a réalisé des gains politiques et économiques », conclut Gaffen, « le sort des Indiens demeure essentiellement le même. Le sacrifice des morts et des blessés ne leur a guère profité politiquement, économiquement ou socialement » [traduction]. L’historien James Dempsey décrit la déception ressentie par de nombreux anciens combattants indiens des Prairies à leur retour chez eux. Leur découverte du vaste monde les a transformés profondément, mais la société paternaliste qu’ils avaient quittée n’a pas changé. Eux qui avaient le droit de voter outre-mer perdent leurs droits démocratiques après la guerre. De plus, le caractère injuste des critères d’admissibilité et des mesures d’attribution de l’argent et des terres en vue de l’établissement des anciens combattants désavantagent un grand nombre des Indiens qui ont participé à la guerre. Le fait d’avoir combattu outre-mer ne change rien à leur statut légal; ils demeurent pupilles de la Couronne.

Davantage conscientisés sur le plan politique au sortir de leur expérience de la guerre, les anciens combattants commencent à s’organiser politiquement. Fred Loft, membre des Six Nations, prend la tête d’un mouvement politique, la Ligue des Six-Nations du Canada, première organisation politique autochtone pancanadienne, qui voit le jour au début des années 1920. « En tant que citoyens pacifiques et respectueux des lois dans le passé, et même au cours de la dernière guerre, nous avons servi fidèlement notre roi, le pays et l’empire, explique Loft, et nous avons le droit d’exiger en récompense plus de justice et d’équité… » [traduction]. Le traitement des anciens combattants des Premières nations est l’une des principales préoccupations de Loft et d’autres leaders autochtones. Les soldats autochtones prennent part à la guerre en tant qu’égaux, votent même pour la première fois en 1917, mais lorsqu’ils reviennent, ils ne bénéficient pas des mêmes avantages que les anciens combattants non indiens. La Loi d’établissement de soldats de 1917, puis celle de 1919, forment les pierres angulaires de l’effort déployé par le gouvernement fédéral pour s’occuper de ses anciens combattants après la Grande Guerre, en leur donnant la possibilité d’acquérir des terres et de l’équipement pour l’agriculture à un faible taux d’intérêt. Cependant, lorsque les Indiens inscrits qui ont combattu manifestent leur intérêt à pratiquer l’agriculture dans leurs propres réserves, les Affaires des Sauvages prennent le relais du ministère du Rétablissement civil des soldats dans l’application de cette loi. Les complications relatives à la propriété des terres, à la fois dans les réserves et hors de celles-ci, font en sorte qu’il devient quasi impossible pour les anciens combattants indiens d’obtenir des prêts aux fins de rétablissement. Les allégations selon lesquelles les soldats qui reviennent sont émancipés contre leur gré (perdant ainsi leur titre d’Indiens inscrits) et se voient refuser les avantages prévus dans la Loi sur les allocations aux anciens combattants, et d’autres encore selon lesquelles l’application du Fonds du souvenir est inéquitable et plus de 85 000 acres des terres de réserve soi-disant « excédentaires » auraient été cédées en faveur d’anciens combattants non autochtones désireux de s’établir concourront à mécontenter encore plus les anciens combattants autochtones, dans les années 1920 et 1930.

Monument commémoratif de guerre à l’intention de soldats indiens – Réserve indienne Wekwemikong. (Musée canadien des civilisations (no 78927))

Livret liturgique pour le dévoilement et l’inauguration du monument commémoratif de guerre à l’intention des Indiens des Six-Nations et des Mississaugas… Le dimanche 12 novembre 1933. (Collection J. Moses)

Avis aux intrus dans les réserves indiennes, v. 1922. (Musée canadien des civilisations (no 56862))

Comme les villes, villages et hameaux un peu partout au Canada, pendant l’entre-deux-guerres, les collectivités autochtones se sont rappelé les sacrifices de leurs membres morts au champ d’honneur (à gauche et à droite). Malgré la récente période de service outre-mer d’un grand nombre de leurs membres, les Autochtones n’ont pas connu de sensibles améliorations de leur sort au Canada après la guerre (ci-contre). Les répercussions de la Grande Dépression se sont révélées particulièrement difficiles pour les collectivités autochtones. Les modifications apportées à la Loi des Indiens en 1920 ont brièvement imposé l’affranchissement obligatoire (perte du statut juridique d’Indien) des Indiens plus « avancés », c’est-à-dire ceux qui, selon le département des Affaires des Sauvages, avaient atteint un niveau acceptable d’autonomie. Par définition, on avait tendance à inclure dans cette catégorie beaucoup d’anciens combattants autochtones qui venaient de rentrer au pays. Des modifications apportées antérieurement à la Loi des Indiens avaient exigé pendant un certain temps l’affranchissement obligatoire de tout Indien détenant un diplôme universitaire.

Les anciens combattants suscitent une attention empreinte de sympathie. Pendant l’entre-deux-guerres (entre 1919 et 1939), aucun compte rendu [de la Grande Guerre] n’est complet sans que l’on salue au passage la bravoure des Indiens du Canada à la guerre, pour paraphraser l’historien Jonathan Vance. Les liens de camaraderie transcendent les frontières culturelles. La Légion royale canadienne admet que les anciens combattants autochtones sont traités injustement et adopte des résolutions demandant des avantages égaux pour les Indiens inscrits. En 1936, les politiques du gouvernement sont revues afin de refléter ces recommandations. Toutefois, on peut déjà voir le ciel s’obscurcir dans le paysage politique de l’Extrême-Orient et de l’Europe. Lorsque, peu après, l’orage éclate, des Autochtones du Canada se retrouvent de nouveau aux côtés de leurs camarades, à combattre pour libérer le monde de la tyrannie de la dictature.

La Seconde Guerre mondiale (1939-1945)

Loi des Indiens, 1938, articles 140 et 141.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les Indiens inscrits au Canada constituaient le groupe de personnes ayant les droits civils et politiques et les droits conférés par la loi les plus limités dans l’ensemble du Commonwealth. Les modifications successives apportées à la Loi des Indiens entre 1884 et 1951 (qui s’étalent donc sur l’ensemble des deux guerres mondiales et la guerre de Corée) ont imposé diverses restrictions sur le déplacement des Indiens inscrits, le recueil de fonds aux fins de paiement de consultation juridique et la perpétuation des pratiques culturelles, notamment les observances spirituelles et le port du costume traditionnel.

Le 10 septembre 1939, le Parlement du Canada déclare la guerre à l’Allemagne nazie. Les armées hitlériennes ont envahi la Pologne et les leaders du monde occidental constatent que la politique de l’apaisement n’est plus viable. Il faut contrer l’agression nazie, et le Canada ne peut rester en marge d’une autre grande guerre dans laquelle la Grande-Bretagne est impliquée. Pourtant, le premier ministre, William Lyon Mackenzie King, répugne à s’y engager totalement. Au départ, l’effort de guerre du Canada sera donc « à responsabilité limitée ». Un modeste contingent d’une seule division est envoyé outre-mer, et le gouvernement fait porter le reste de son effort sur le Programme d’entraînement aérien du Commonwealth britannique et sur la préparation à la production de guerre. Des événements terribles ne tardent pas à entraîner le Canada dans le conflit et, pendant six pénibles années, les Canadiens investiront leurs énergies dans un combat destiné à protéger et à maintenir les idéaux démocratiques de l’Occident. À la fin de la guerre, sur une population de seulement 11 millions d’habitants, plus d’un million de Canadiens et de Canadiennes auront servi dans les Forces.

En dépit du mécontentement exprimé par les anciens combattants autochtones pendant l’entre-deux-guerres, un vent de patriotisme indéniable souffle sur le Canada après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque les armées allemandes envahissent successivement le Danemark, la Norvège, la Hollande, la Belgique et la France en mai et en juin 1940, le gouvernement passe d’un « effort de guerre limité » à une politique de « guerre totale ». Les peuples autochtones, comme tous les autres Canadiens, sont appelés à faire des sacrifices et à contribuer à la croisade nationale lancée dans le but de vaincre l’agresseur totalitaire. Des militaires autochtones figurent parmi les victimes tombées à Hong Kong et à Dieppe; d’autres combattent en Italie et en Sicile. D’autres encore escortent des convois dans la bataille de l’Atlantique et font partie d’équipages de bombardiers et de chasseurs, un peu partout dans le monde. Certains prennent part au débarquement du jour J avec la 3e Division d’infanterie canadienne et aux campagnes de Normandie et de l’Europe du Nord-Ouest. La guerre rassemble tous les Canadiens qui sont prêts à sacrifier leur vie pour rétablir la paix et la sécurité dans un monde en pleine tourmente.

Les raisons de se porter volontaire pour défendre le Canada et la Grande-Bretagne sont nombreuses et, comme dans le cas de la Première Guerre mondiale, elles sont aussi diversifiées que le sont les Autochtones qui y prennent part. Lawrence Martin, un Ojibway de la bande de Red Rock, dans le Nord de l’Ontario, compte de nombreux membres de sa famille ayant servi dans les deux guerres mondiales. Son oncle a trouvé la mort à Passchendaele et son père a été blessé deux fois pendant la Première Guerre mondiale. Ce dernier lui dit : « Si tu dois aller à la guerre, ne te soustrais pas à ton devoir. » [traduction] Martin servira dans le Lake Superior Regiment, en Europe. Sidney Gordon, qui a grandi dans la réserve de Gordon en Saskatchewan, s’enrôle dans l’armée en avril 1941. « J’étais célibataire; alors, je me suis dit que ce serait une bonne expérience pour moi de m’enrôler dans l’armée » [traduction], de se rappeler Gordon. À l’époque, il touche un maigre salaire comme ouvrier agricole. Il ajoute : « Alors je me suis dit qu’un dollar et demi par jour serait mieux que ce que je gagnais; et puis je serais nourri et vêtu; alors, j’y ai bien réfléchi. » [traduction] Russell Modeste, un membre de la bande Cowichan ayant servi durant la Seconde Guerre mondiale, se rappelle s’être enrôlé dans l’armée en raison de l’expérience qu’il a vécue au pensionnat indien Coqualeetza de Sardis, en Colombie-Britannique : « J’ai entendu certains employés parler d’un membre de leur famille ou de proches qui avaient été tués dans les bombardements à Londres, en Écosse et de frères et de cousins qui avaient été tués en Afrique. » [traduction] Son expérience de la vie au pensionnat l’avait préparé à la vie militaire :

[Traduction]
Nous nous alignions tous les matins pour tout : le déjeuner, le dîner, le souper, l’église […] Alors, quand je suis entré dans l’armée, ce n’était rien de nouveau pour moi; je me suis intégré rapidement et plus facilement que certains des Blancs qui arrivaient de la ville et n’avaient aucune idée de ce qu’était la discipline militaire, vous comprenez. J’étais donc un peu préparé. J’ai quitté l’école à 16 ans et j’ai travaillé quelques années [...] Quand j’ai eu 18 ans, au lieu d’aller travailler [...] dans l’industrie forestière […] je me suis présenté au service du recrutement et je me suis enrôlé.

Comme d’autres, il s’enrôle par esprit patriotique, animé du désir d’aider à vaincre les Allemands; il veut « faire sa part » [traduction]. Son père est bouleversé. Modeste explique : « Il m’a dit je sais ce que tu as fait et ça ne te regarde pas. Si la guerre se passait au Canada, je comprendrais que tu fasses ce que tu as fait et que tu aides ton pays, mais la guerre se passe en Europe, c’est une guerre européenne, tu n’as rien à y voir, ça ne te regarde pas et je n’approuve pas ce que tu as fait. Je lui ai dit qu’il était trop tard, que j’avais prêté serment et que je ne pouvais plus reculer » [traduction]. Outre-mer, Modeste ira au front avec le Lanark and Renfrew Scottish Regiment, qui combattra dans les montagnes, les vignobles et les petites villes d’Italie.

Pour certains soldats autochtones, le service militaire est une aventure, une possibilité de manifester leur loyauté envers le Roi et la Reine. Le chef Walking Eagle, de Rocky Mountain House, en Alberta, incarne ce sentiment lorsqu’il déclare : « Chaque Indien au Canada se battra pour le roi George. » [traduction] Pour d’autres, ce sera l’occasion de perpétuer la tradition du guerrier ou de se libérer du climat suffocant qui règne dans les réserves. Pour un grand nombre de recrues remplies d’espoir, le service militaire représente une chance d’échapper au chômage. La dépression des années 1930 a fait des ravages dans bien des communautés des réserves et, comme d’autres Canadiens, les hommes autochtones veulent subvenir aux besoins de leur famille par tous les moyens possibles. Devenir soldat assure un bon salaire, auquel s’ajoute une allocation pour personnes à charge. Après le déclenchement de la guerre, les volontaires enthousiastes sont nombreux et les files d’attente pour l’enrôlement s’allongent.

Au début de la guerre, la Marine royale du Canada, l’Armée canadienne et l’Aviation royale du Canada se montrent sélectives envers les candidats à l’enrôlement. L’Armée recherche des candidats en bonne santé et répondant à des exigences minimales quant à l’instruction. Partout au pays, il y a beaucoup plus de volontaires que d’élus, et les barrières raciales à la participation autochtone qui étaient évidentes pendant la Première Guerre mondiale existent toujours. Dans l’ensemble, les Autochtones ont un niveau d’instruction bien inférieur à celui de la plupart des autres Canadiens, ce qui, au début de la guerre, en empêchera beaucoup de s’enrôler. L’incidence de la tuberculose et d’autres maladies infectieuses parmi les populations autochtones est largement supérieure à celle que l’on observe dans les communautés non autochtones. Un rapport de la division des Affaires indiennes révèle que les cas de tuberculose parmi les Indiens pendant la guerre sont « dix fois supérieurs aux taux constatés parmi la population blanche » [traduction]. En fait, un surintendant adjoint des services médicaux note qu’il est possible de déterminer l’état de santé de la communauté d’une réserve d’après le nombre de recrues qui en sont issues. D’autres obstacles à l’enrôlement des Autochtones s’ajouteront, apparemment motivés par des préférences individuelles. Ainsi, dans certaines régions, verra-t-on des officiers de recrutement locaux hésiter à retenir des candidats parmi les volontaires autochtones, en dépit des lettres élogieuses provenant d’Ottawa qui vantent les mérites des Autochtones. Dans certains cas, ces refus découlent d’idées préconçues selon lesquelles les recrues autochtones ne peuvent supporter les rigueurs du programme d’entraînement et le confinement dans les casernes.

La Marine royale du Canada se montre plus sélective encore que l’Armée dans sa politique de recrutement. Selon la politique en vigueur au début de la guerre, seule une personne « de pure ascendance européenne et de race blanche » [traduction] peut être admise dans la Marine. Dans les faits, cette politique empêche toute participation autochtone. Cette politique discriminatoire tient à trois raisons, exposées dans un rapport du commandant de la côte du Pacifique, à savoir : que l’exiguïté des espaces ne se prête pas à une interaction positive des races; que l’accès des Autochtones à l’alcool est frappé de restrictions légales (la Marine est alors le seul service à distribuer encore une indemnité de grog à ses troupes); que les Indiens doivent disposer de mess distincts. Le gouvernement canadien maintient cette politique jusqu’au 12 mars 1943. Notons cependant que cette politique n’est pas appliquée de façon absolue, puisque le rapport de 1942-1943 des Affaires indiennes indique que la Marine compte déjà neuf Indiens inscrits dans ses rangs.

L’Aviation royale du Canada applique des standards d’instruction élevés et, du reste, n’accepte pas les candidats d’origine ethnique. L’Aviation royale du Canada est étroitement liée à son équivalent britannique, la Royal Air Force, dont elle est censée observer les mêmes codes de conduite et les mêmes politiques. Avant la guerre, la règle en vigueur parle non seulement de « pure ascendance européenne » [traduction], mais très précisément aussi de « fils de parents qui sont tous deux […] sujets britanniques » [traduction]. En 1939, la correspondance du Chef de l’état-major de l’Air par intérim montre que les Amérindiens sont l’exception à cette règle. En dépit de cette ouverture apparente, la représentation des Autochtones dans la force aérienne est bien inférieure à ce qu’elle est dans l’infanterie. Pour devenir pilotes, les candidats doivent préalablement avoir obtenu leur « immatriculation junior », c’est-à-dire avoir fait quatre ou cinq ans d’études secondaires (11e ou 12e année), ce qui, à toutes fins utiles, élimine presque tous les candidats autochtones, quand on sait qu’à l’époque, plus de 75 p. 100 des Autochtones du Canada ont un niveau d’instruction qui ne dépasse pas la troisième année. C’est ainsi que le rapport des Affaires indiennes de 1942-1943 fait état de seulement 29 militaires indiens dans l’ARC. Néanmoins, des hommes comme David Moses, un indien delaware d’Ohsweken qui a étudié l’agriculture à l’Université de Guelph avant la guerre, servent au sein de l’ARC. Pendant la dernière année de la guerre, Moses se trouve en Islande, où il pilote un Consolidated Canso, hydravion à coque en mission de convoi, à la recherche de sous-marins allemands, les U-boat.

Restrictions ou pas, les Autochtones s’enrôlent massivement et, de nouveau, un sentiment d’égalité se développe au sein des forces canadiennes, attribuable en partie à l’entraînement commun et à la camaraderie. Les recrues – autochtones et non autochtones – passent des mois à s’entraîner au Canada avant leur déploiement en Grande-Bretagne. Là-bas, les troupes passent encore des mois à se préparer au combat et à se familiariser avec les Britanniques. Russell Modeste trouve agréable l’accueil réservé aux Autochtones en Angleterre, par comparaison avec le traitement discriminatoire qui leur est fait au Canada. « Tout était si différent lorsque nous avons posé le pied en Angleterre », se souvient Modeste. « Quand nous allions danser et que nous invitions quelqu’un à danser, la réponse était oui. » [traduction] Les soldats autochtones, libérés des entraves de la Loi des Indiens et de la surveillance vigilante des agents des Indiens, découvrent les pubs anglais et vivent la vie typique de tout soldat affecté à l’étranger. Cette expérience est formatrice; elle est libératrice pour les uns et, pour d’autres, elle met en lumière les inégalités que vivent les Autochtones au pays. Elle produira des effets durables : certains y gagnent de l’assurance, d’autres se marient avec des citoyennes britanniques, que l’on baptisera les « épouses de guerre », et l’activisme autochtone s’affirmera dans les années d’après-guerre.

Aboriginal Peoples’ direct contributions to the war effort through military service grew during the war, as it had during the previous one. In the 1940 Annual Report of the Indian Affairs Branch, Director H.W. McGill observed that:

[Traduction]
Toujours loyales, [les communautés indiennes] n’ont pas tardé à nous offrir leur aide, en hommes comme en argent. À la fin de l’année financière, une centaine d’Indiens s’étaient enrôlés et les contributions des Indiens à la Croix- Rouge et à d’autres fonds totalisaient plus de 1 300 $.

Si louable qu’ait été cette participation initiale, McGill note par la suite que, dès 1942, le taux de participation n’est pas aussi élevé qu’il l’a été pendant la Première Guerre mondiale. Les Autochtones, hommes et femmes, sont attirés par les emplois rémunérateurs des industries de guerre, offerts hors des réserves. On s’enrôle encore dans toutes les provinces du Canada et le Rapport annuel de 1942 indique une hausse des enrôlements, dont le nombre est passé à 1 801. Mais, au milieu de 1943, le nombre de militaires indiens augmente, pour passer successivement à 2 383, puis à 2 603 en 1944. À la fin de la guerre, le rapport officiel de la division des Affaires indiennes indique que 3 090 Indiens (2,4 p. 100 des 125 946 Indiens inscrits dénombrés dans le recensement canadien) ont participé à la guerre. Comme dans le cas de la Première Guerre mondiale, le nombre de soldats autochtones est sans aucun doute plus élevé, étant donné que les Indiens non inscrits et les Métis sont exclus de ce calcul.

Indiens enrôlés pendant la Seconde Guerre mondiale, par province. D’après le Rapport annuel de la division des Affaires indiennes pour l’année 1945-1946.
Province Population autochtone totale Autochtones enrôlés
Nombre Pourcentage
le-du-Prince Édouard 266 27 10,2%
Nouveau Brunswick 2 047 203 9,9%
Nouvelle-Écosse 2 364 117 4,9%
Ontario 32 421 1 324 4,1%
Saskatchewan 14 158 443 3,1%
Québec 15 182 316 2,1%
Colombie-Britannique 25 515 334 1,3%
Manitoba 15 892 175 1,1%
Alberta 12 754 144 1,1%
Yukon 1 531 7 0,0%
Territoires du Nord-Ouest 3,816 0,0% -
Total 125 946 3 090 2.4%

Les taux d’enrôlement diffèrent selon les régions. Les taux de participation par habitant les plus élevés reviennent aux Maritimes, avec 7,4 p. 100 d’enrôlés parmi l’ensemble de leur population d’Indiens inscrits. L’Ontario affiche le nombre de recrues autochtones le plus élevé, soit un peu plus de 4 p. 100 de la population des Indiens inscrits de cette province. Un petit peu plus de 2 p. 100 des Indiens inscrits du Québec combattent sous les drapeaux. Près de 1,8 p. 100 de l’ensemble des Indiens des Prairies s’enrôlent, mais les taux de participation sont considérablement plus élevés en Saskatchewan qu’ils ne le sont en Alberta ou au Manitoba. Enfin, 1,3 p. 100 des Indiens inscrits qui vivent en Colombie-Britannique servent outre-mer. Ce taux de participation relativement faible s’explique en partie par la demande accrue de pêcheurs en Colombie-Britannique, à la suite de l’internement des Canadiens japonais. Le très faible nombre d’enrôlements dans les Territoires du Nord-Ouest découle de l’isolement relatif de leurs communautés, ainsi que de la participation de leur population à d’autres activités de temps de guerre telles que l’aménagement de terrains d’aviation et les travaux de construction pour la route de l’Alaska, les aéroports d’étapes du Nord-Est et du Nord-Ouest et le pipeline Canol, qui bouleverseront radicalement le visage du territoire où vivent ces populations.

Les frères Lainé, de la réserve huronne wendat, à Wendake, au Québec.

Ne sachant pas si elle allait revoir tous ensemble ses fils vivants, leur mère a saisi l’occasion de prendre cette photo de groupe (date inconnue). De gauche à droite : Joffre (qui a servi auprès de l’armée américaine), Fernand, Robert et Jean-Baptiste. Les quatre frères ont survécu à la guerre. (Photo gracieusement fournie par Denis Lainé)

Des femmes autochtones servent aussi et celles-ci notent l’esprit de camaraderie qui transcende les barrières ethniques. Dorothy Asquith, une Métisse qui sert dans le Corps auxiliaire féminin de l’ARC, écrit :

[Traduction]
La discrimination? Tout le monde était tellement engagé dans tout ce qui entourait la guerre que personne n’avait de temps pour ce genre de mesquineries. Je crois que personne ne se préoccupait de la couleur de peau de ses camarades, surtout parmi les hommes qui étaient au combat. Des cousins à moi m’ont dit : « Qui pouvait bien s’arrêter à la couleur de la peau des autres? Nous étions tous si contents de pouvoir trouver un endroit où nous mettre à l’abri; personne ne s’occupait de qui était avec vous. Nous étions là-bas ensemble; deux vies. Voilà ce que je pense; tout était bien trop grave pour penser à des choses de si peu d’importance.

P. Gayle McKenzie et Ginny Belcourt Todd ont interrogé certaines militaires autochtones et noté leurs souvenirs dans Our Women in Uniform. Ces femmes disent s’être enrôlées pour des raisons qui ne sont guère différentes de celles qu’évoquent généralement les Autochtones de sexe masculin. Plusieurs femmes parlent de la solde de 65 cents par jour (inférieure à celle des recrues masculines), de la possibilité de voyager et de patriotisme. Les femmes reçoivent une formation dans des emplois non traditionnels, mais leur rôle premier en est un de soutien. La devise du Corps auxiliaire féminin de l’Aviation royale du Canada est : « Nous servons pour que les hommes puissent voler » [traduction]. Dans le Service féminin de l’Armée canadienne, des femmes autochtones apprennent à dispenser les premiers soins, à exercer des fonctions d’administration militaire et à accomplir des tâches de mécanique automobile. En 1943, 16 des 1 801 militaires autochtones sont des femmes. Un document du gouvernement datant de 1950 indique que 72 Indiennes inscrites ont servi outre-mer pendant les deux guerres.

La contribution militaire autochtone transcende aussi les générations. Les hommes trop âgés pour servir outre-mer s’enrôlent dans la Garde des anciens combattants, pour la défense du pays. C’est le cas de Joe Dreaver, de la bande des Cris de Mistawasis, décoré de la Médaille militaire à Ypres pendant la Grande Guerre; pendant ce conflit, il a perdu un frère tué sur le champ de bataille et un second, mort plus tard de ses blessures. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se joint à la Garde des anciens combattants, tandis que trois de ses fils et deux de ses filles servent outre-mer. La famille McLeod, de la réserve de Cape Croker, sise dans la péninsule Bruce, dans le Sud-Ouest de l’Ontario, compte également plusieurs de ses membres dans les forces militaires. John McLeod, un Ojibway qui a servi pendant la Grande Guerre, s’enrôle dans la Garde des anciens combattants pendant la Seconde Guerre mondiale. Six de ses fils et une de ses filles s’enrôlent entre 1940 et 1944; deux de ses fils sont tués et deux autres blessés au combat. En reconnaissance du sacrifice de sa famille, Mme McLeod est déclarée Mère de la Croix d’argent de l’année 1972, et elle sera la première Indienne du Canada à déposer une couronne de fleurs au Monument commémoratif de guerre du Canada, à Ottawa, au nom des mères qui ont perdu des enfants au cours des guerres mondiales.

La famille McLeod n’est pas la seule à se sacrifier. En octobre 1943, le Globe and Mail rapporte que la réserve de Cape Croker – dont la population est de 471 personnes – compte 43 hommes dans l’Armée, la Marine et l’Aviation; 9 dans la Garde des anciens combattants; et 7 femmes dans le Service féminin de l’Armée canadienne. Ce sont là des chiffres exceptionnels. En Colombie-Britannique, les agences intérieures de Kamloops, Stuart Lake, Williams Lake, Kootenay et de l’Okanagan affichent les taux d’enrôlement les plus élevés. En Alberta, où les données globales sont bien inférieures à celles des autres provinces, les agences des Gens-du-Sang, de Petit lac des Esclaves, de Saddle Lake et des Pieds-Noirs sont celles qui fournissent le plus grand nombre de recrues. La Saskatchewan montre une représentation supérieure à la moyenne pour les Prairies; les agences qui comptent le plus d’enrôlés sont celles de Carlton, File Hills, Crooked Lake et Duck Lake. Au Manitoba, les communautés de Fisher River, Portage la Prairie et Norway House se montrent généreuses dans leur apport en recrues. Dans la populeuse province de l’Ontario, les agences des Six-Nations, de l’île Manitoulin, de Parry Sound et de Tyendinaga fournissent beaucoup de volontaires. Presque toutes les recrues indiennes du Québec proviennent des agences de Restigouche, Saint-Regis et Lorette. Sur la côte Est, les agences du Sud-Ouest (au Nouveau-Brunswick) et de Kings (en Nouvelle-Écosse) fournissent le plus grand nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes qui servent outre-mer.

Après l’attaque surprise du Japon contre Pearl Harbor, en décembre 1941, les résidents de la côte Ouest demandent à être protégés en cas d’attaque. Dans ce but, on crée le corps des Pacific Coast Militia Rangers en Colombie-Britannique. Les citoyens-soldats volontaires qui en font partie aident à défendre la « province du Pacifique » en patrouillant leur localité, en signalant toute situation qui paraît suspecte et en usant de tactiques de guérilla en cas d’invasion ennemie. En 1943, 15 000 Britannocolombiens et Yukonnais servent au sein des Rangers, de Dawson aux îles de la Reine-Charlotte et jusqu’à la frontière américaine. Les réalités démographiques et géographiques des zones côtières isolées font des Autochtones des Rangers « naturels ». Comme le rapporte le Vancouver Sun dans son édition du 6 mars 1942 : « Les Indiens, qui connaissent bien les sentiers mal cartographiés, se voient offrir la chance d’accomplir un travail héroïque dans la défense de la province […], dont ils occupent avec intelligence et sagacité les limites et les barrières naturelles, qu’ils rendent inexpugnables face à la menace japonaise. » [traduction] Les Pacific Coast Militia Rangers donnent aux Autochtones de la Colombie-Britannique la chance d’oeuvrer à la défense de leurs communautés tout en poursuivant leur travail et leurs activités traditionnelles. Ils apportent une contribution vitale dans plusieurs secteurs, en particulier sur le très long – et vulnérable – littoral du Pacifique, où ils servent comme guides et éclaireurs auprès des soldats en service actif. Les membres des communautés autochtones fournissent des renseignements opérationnels importants aux forces militaires, à qui ils signalent les activités ou phénomènes inhabituels (notamment le repérage des ballons incendiaires japonais), jusqu’à la fin de la guerre, en septembre 1945.

Au pays même, les contributions vont au-delà du service militaire. Comme ce fut le cas pendant la Première Guerre mondiale, des clubs de bienfaisance féminins et des groupes communautaires font des dons et recueillent des fonds pour la Croix-Rouge et d’autres organismes de secours de guerre. À la fin de 1945, les bandes indiennes auront officiellement donné 23 596,71 $. Une note trouvée dans des registres des Affaires indiennes révèle que de nombreux dons sont versés directement à des organisations locales et que des « dons substantiels de fourrures, de vêtements et d’autres articles sont faits, dont la valeur en argent n’a pas été calculée » [traduction]. Une communauté en particulier reçoit une reconnaissance internationale pour son soutien aux enfants devenus orphelins à la suite des raids aériens sur Londres. En 1941, les Indiens d’Old Crow, au Yukon, envoient 432,30 $ pour l’achat de bottes et des vêtements à l’intention de ces enfants. La presse britannique souligne leur générosité et la communauté d’Old Crow continue à soutenir divers fonds de guerre dans les années qui suivent.

Au milieu de 1940, la situation des Alliés se dégradant en raison de la chute de la France et des Pays-Bas, le gouvernement canadien se heurte de nouveau à l’épineuse question de la conscription. À la fin de la Première Guerre mondiale, le décret C.P. 111 avait exclu les Indiens inscrits du service obligatoire outre-mer. Comme ce décret est révoqué avant qu’éclate la Seconde Guerre mondiale, il faudra à nouveau débattre de la question. Le Parlement adopte la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (LMRN) le 21 juin 1940 dans le but d’intensifier l’effort de guerre du Canada. La Loi oblige les Canadiens et Canadiennes à s’enregistrer afin que le gouvernement fédéral puisse gérer de manière plus rationnelle les ressources du pays, mais fournit l’assurance aux Canadiens que la conscription servira exclusivement à défendre le pays. Néanmoins, plusieurs chefs autochtones et conseils de bande envoient à Ottawa des lettres et des pétitions pour exprimer leur inquiétude face à l’enrôlement et au service militaire obligatoires. La défense du pays n’est pas en cause; presque toutes les communautés autochtones sont en effet disposées à contribuer à l’effort de guerre. Le choix de servir outre-mer est une question de principe. En Alberta, le chef des Peigans et ses conseillers « sont d’avis que les Indiens ne devraient pas être astreints au service militaire », explique l’agent des Indiens en octobre 1940, « aux motifs qu’ils sont des Canadiens nés au pays et que les traités qu’ils ont signés les engageaient à s’établir, à déposer les armes et à vivre en paix avec les Blancs » [traduction]. Plusieurs conseils tribaux du Nord-Ouest de l’Ontario adoptent aussi des résolutions dénonçant la conscription et exigent que leur agent des Indiens « use de toute son influence et stoppe toutes les fonctions du gouvernement » [traduction]. Pour leur part, les Six-Nations, de Brantford, en Ontario, « protestent vivement contre l’imposition de 30 jours d’entraînement militaire aux jeunes hommes de cette réserve » [traduction]. Devant les perturbations économiques que crée ce court cycle de service, ou portera celui-ci à quatre mois, dans un premier temps, pour ensuite garder les mêmes 100 000 hommes sous les armes jusqu’à la fin de la guerre : le Canada était passé d’un effort de guerre « limité » à une politique de « guerre totale ».

Le gouvernement promet aux Indiens – et les dispositions de la LMRN leur en donnent l’assurance – que la plupart des Indiens inscrits ne seront pas envoyés à l’étranger, et beaucoup (d’Indiens) se plient à la conscription intérieure. D’aucuns résistent à l’application de la Loi en refusant de se présenter aux examens médicaux ou en fuyant la police lancée à leurs trousses, mesures de protestation qui deviennent plus courantes au lendemain d’un plébiscite national tenu le 27 avril 1942 qui libère le gouvernement fédéral de son obligation de n’employer les conscrits qu’à la défense du pays. Le projet de loi 80 autorise la conscription pour le service outre-mer au besoin. Les chefs des Premières nations soulèvent à cet égard la question de l’équité. « Pourquoi devrait-on nous demander d’y aller? » [traduction], s’interrogent les chefs de la réserve des Gens-du-Sang, en Alberta. Ces derniers soulignent qu’à titre de pupilles du gouvernement qui n’ont pas le droit de vote, ils ne devraient pas avoir à « se soumettre comme des enfants et assumer cette responsabilité au même titre que ceux qui ont la chance d’être citoyens à part entière et sujets du Roi » [traduction]. Seule leur émancipation remédierait à cette injustice. Le gouvernement répond que les Indiens sont astreints à la conscription comme tous les autres Canadiens de sexe masculin. Au Québec, une organisation de défense des droits des Autochtones connue sous le nom de « Comité de protection » soutient que les Indiens inscrits sont exemptés de servir comme conscrits, faisant valoir le statut inférieur des Indiens sous le régime de la Loi des Indiens et leur souveraineté (en tant que nations) aux termes de la Proclamation royale de 1763. Il s’ensuivra un affrontement entre la police et des résidants autochtones qui s’opposent à la conscription, à la réserve de Caughnawaga (Kahnawake), près de Montréal. Dans le Nord de l’Ontario, les communautés des réserves plaident l’exemption en invoquant les termes des traités Robinson-Huron et Robinson-Supérieur de 1850. Lorsque plusieurs opposants qui ont refusé de s’inscrire en appellent aux tribunaux, le ministère de la Justice explique que « les Indiens, étant sujets britanniques, doivent se conformer aux dispositions de l’article 3 des Règlements de 1940 sur les services nationaux de guerre (recrues). » Telle sera la position officielle du gouvernement pendant toute la guerre.

Carte : Italie et Sicile, 1943-1945. (Ministère de la Défense nationale)

En pratique, l’application de la LMRN se révèle quasi impossible, en particulier dans les régions isolées. Le cas d’Edward Cardinal, de Whitecourt, en Alberta, illustre les difficultés auxquelles font face les agents à l’enregistrement. Lorsqu’un avis ordonnant à Cardinal de subir un examen médical avant son entraînement militaire est retourné, intact, à l’expéditeur, l’agent à l’enregistrement d’Edmonton, s’enquiert auprès du maître de poste de la raison de ce retour. Ce dernier explique que Cardinal vit sur un territoire situé à 12 milles au nord de Whitecourt et qu’il ne passe cueillir son courrier que deux fois par année. D’autres Indiens qui pratiquent la chasse, la pêche et le piégeage sont encore plus difficiles à rejoindre et l’agent à l’enregistrement admet que, dans de nombreux cas, il est « pratiquement impossible » [traduction] de les retrouver. Par exemple, dans les basses-terres continentales de la Colombie-Britannique, les Autochtones ont tendance à traiter les avis avec une « apparente indifférence » [traduction], selon l’agent à l’enregistrement de Vancouver. Tout cela rend l’administration très difficile et, par conséquent, le gouvernement applique la réglementation avec bien peu de cohérence aux hommes autochtones. De plus, en raison des barrières linguistiques et de problèmes de santé persistants dans beaucoup de réserves, un grand nombre d’Indiens inscrits qui s’enregistrent n’auront jamais à servir; ainsi, les efforts de conscription visant les Autochtones donneront des résultats au mieux limités.

En 1943, certains des soldats volontaires du Canada se retrouvent engagés dans des opérations prolongées en Europe. Henry Beaudry, des Premières nations Sheepgrass, est un jeune homme qui a quitté sa réserve pour travailler auprès d’un fermier au printemps 1941. En mai, il se rend dans la ville de Paynton et y voit une affiche au bureau de poste, indiquant : « Enrôlez-vous dans l’Armée et découvrez le monde » [traduction]. C’est ce qu’il décide de faire. « Je suis allé au bureau de poste et j’ai simplement […] signé mon nom. Le soir même, j’étais à bord d’un train pour Saskatoon [traduction]. Après avoir servi dans le corps des forestiers en Écosse, il est muté au Saskatchewan Light Infantry avec lequel il participe aux campagnes de Sicile et d’Italie. De se rappeler Beaudry : « J’ai été au front pendant tout ce temps, et nous sommes arrivés à un endroit appelé Ortona, l’une des lignes de défense d’Hitler. J’étais canonnier. Je m’occupais d’un canon installé sur la colline et la ville se trouvait en contrebas » [traduction]. Pendant la bataille, Beaudry est atteint par un tireur d’élite. À sa sortie de l’hôpital un mois plus tard, il est muté au Princess Louise Dragoon Guards (une unité de reconnaissance) qui « devance habituellement l’infanterie […] pour couper les lignes de communications et d’approvisionnement » [traduction]. L’une de leurs missions les plus exigeantes sera de franchir deux canaux pour prendre une ville. « Nous avions de l’eau jusqu’au cou, vous savez. Nous tenions nos fusils au-dessus de nos têtes. Mes vêtements étaient trempés lorsque je suis parvenu de l’autre côté de ces canaux; nous étions vraiment transis de froid quand nous sommes arrivés sur l’autre rive. Nos vêtements étaient glacés après le passage de ces deux canaux. Un de mes amis de Meadow Lake, en Saskatchewan, c’était un Métis, a été abattu juste à côté de moi, puis nous avons continué à avancer. » [traduction] Beaudry est de nouveau blessé dans un combat corps à corps, mais il poursuit le combat. Coincé dans un bâtiment toute la nuit, il fait face à des jets incessants de grenades allemandes, familièrement appelées « pilon à pommes de terre ». « Ces grenades atterrissaient tout près de nous et je m’empressais aussitôt de les leur relancer, puis elles explosaient » [traduction], se souvient Beaudry. À court de munitions le matin venu, il feint d’être mort lorsque les Allemands s’emparent du bâtiment. Ils le secouent pour le réveiller, puis le font prisonnier. Deux officiers l’interrogent quelques jours plus tard. L’un d’eux, qui était allé en Saskatchewan quelques années auparavant, lui dit : « Nous sommes honorés d’avoir capturé un brave. Vous êtes les meilleurs combattants au monde. Vous vous battez depuis 500 ans et vous continuez de le faire encore aujourd’hui. Pourquoi venez-vous vous battre ici? Ces gars vous ont volé votre pays. » [traduction] Beaudry ne peut répondre, car il a dit à ses gardes qu’il ne parlait pas l’anglais. Il séjournera dans des camps de prisonniers en Italie et en Allemagne avant de participer à une « marche de la mort » [traduction] au printemps 1945. Quand il rentre enfin en Angleterre, on doit l’hospitaliser pour qu’il reprenne des forces.

La principale invasion alliée de l’Europe est déclenchée au milieu de 1944. Raymond Anderson, de Sandy Hook, au Manitoba, part combattre outre-mer en 1943 avec le 1er Bataillon canadien de parachutistes. Il est parachuté au-dessus de la France juste avant minuit le 5 juin 1944 afin de préparer la zone de largage pour le reste de son bataillon. « J’ai été choisi pour cette mission et pour diriger les patrouilles parce que j’étais un Métis », explique Anderson. « Ils se sont dits que mes habiletés de Métis, héritées de mes ancêtres autochtones, leur seraient très précieuses. » [traduction] Le lendemain, jour J, la 3e Division canadienne d’infanterie débarque à Juno Beach. Charles Bird rappelle les événements :

[Traduction]
Tôt le matin du 6 juin … nous avons embarqué dans ces […] barges de débarquement; maintenant, les choses sérieuses allaient commencer […] Nous nous sommes approchés, je dirais à environ un mille de la plage, lorsque les obus ont commencé à arriver. Puis, de la plage, on nous a bombardés, mais les obus ne tombaient pas exactement là où nous étions dans ce bateau. Ensuite, nous avons touché la plage et il y avait une casemate tout juste à notre gauche, une grosse, juste là. Le canon était baissé et nous étions sur le point d’arriver tous sur la plage à ce moment. Lorsque la grosse porte s’est ouverte à l’avant, c’est là que le tir des mitrailleuses a commencé. Ça a été dur [...] La plage avait été bombardée auparavant et une bombe avait dû toucher le sol; cinq de nous se sont engouffrés dans le trou qu’elle avait fait là. À peine y étions-nous que nous avons vu une paroi de 10 pieds de hauteur, et alors que nous étions tout juste parvenus à la paroi, une grenade a atterri au milieu de nous. Juste là, parmi nous, et tout ce que nous pouvions faire, c’était de tourner en rond et de tourner sur nous-mêmes, et c’est ce que nous avons fait. Cette grenade a explosé là. Un gars a été blessé gravement, moi à la jambe. J’ai reçu du shrapnel dans la jambe….

George Myram, d’Edwin (Long Plain), au Manitoba, se souvient du débarquement et d’avoir vu des soldats « mourir, être blessés et souffrir. Je pense que ce fut le jour le plus long de ma vie […] Tous ces bombardiers qui larguaient leurs bombes au-dessus de nous, le rugissement de l’artillerie et de l’artillerie lourde des cuirassés et le grondement des avions qui remplissaient le ciel – certains en feu – et les obus éclairants. Comme des feux d’artifice, sauf que là c’était vrai, c’était pour la victoire » [traduction]. La libération de l’Europe de l’Ouest venait de commencer.

Les combats en Normandie et dans l’Europe du Nord-Ouest sont meurtriers pour les Canadiens : 18 444 victimes dans la campagne de Normandie. Le Canada se voit ensuite confier un rôle important dans la poursuite des Allemands qui battent en retraite à travers la Belgique et les Pays-Bas. Harry Lavallée, un Métis de Stonewall, au Manitoba, aura échappé au sort de plusieurs membres de sa parenté, qui se sont retrouvés à Hong Kong avec les Winnipeg Grenadiers. Il s’enrôle dans le Corps royal canadien des magasins militaires et il servira plus tard comme carabinier en Europe du Nord-Ouest, au sein des Queen’s Own Cameron Highlanders. Lavallée se souvient : « Nous avons marché, marché et marché, mais la première nuit où je suis arrivé au front, j’ai failli être tué par les bombes. Nous avons marché jusqu’au front, où nous devions nous rendre et, tout à coup, des bombes arrivaient de partout et nous avons dû nous jeter au sol et nous avons fini par nous réfugier dans une tranchée, où j’ai bien failli être atteint. » [traduction] Il sent le souffle des shrapnels ou des balles de mitrailleuse qui le frôlent. « Il s’en serait fallu d’un pied de plus ou de moins pour que je sois coupé en deux. » [traduction] George Myram combattra aussi en Europe du Nord-Ouest. Il raconte que « lorsqu’une guerre éclatait, on savait qu’on allait là-bas pour tuer ou se faire tuer, mais nous nous portions quand même volontaires » [traduction]. Les gars combattaient « avec des fusils et des baïonnettes » [traduction] et « n’attendaient pas que les canons lourds aient pilonné l’ennemi ou bombardé une position avant d’y aller. Nous y allions et nous progressions en combattant. » [traduction] Fin novembre, l’Armée canadienne s’active énormément pour dégager l’estuaire de l’Escaut. Devant la farouche résistance rencontrée au dangereux pays des polders, les pertes canadiennes dépassent rapidement le nombre des recrues.

Consterné, le premier ministre, William Lyon Mackenzie King, décide, en novembre 1944, d’envoyer des conscrits de la LMRN outre-mer. Pendant que les premiers d’entre eux embarquent sur les navires en partance pour l’Europe, le Comité de guerre du Cabinet se penche sur le cas unique du service militaire des Autochtones. À la fin de décembre 1944, il est décidé que tous les Indiens sont tenus d’effectuer leur service militaire; le Cabinet n’accorde pas d’exemption générale comme lors de la Première Guerre mondiale. Les responsables des Affaires indiennes ne relèvent pas la moindre allusion à la conscription dans le libellé des traités, mais ils trouvent cependant des cas précis où l’« exemption en vertu des traités peut être invoquée, justification à l’appui » [traduction]. On a en effet promis verbalement aux signataires indiens des traités 3, 6, 8 et 11, qu’ils n’auraient pas à combattre dans les guerres futures. En 1944, au moins 324 personnes issues de régions visées par les traités se sont déjà portées volontaires pour servir outre-mer. Les conscrits de ces communautés touchées par des traités qui restent au Canada seront exclusivement appelés à défendre leur pays en Amérique du Nord et on ne les contraindra pas à servir outre-mer.

Officiellement, tous les autres Autochtones conscrits au Canada sont assujettis au service outre-mer, mais bien peu, voire aucun, des 13 000 conscrits canadiens envoyés outre-mer pendant la Seconde Guerre mondiale sont des Indiens inscrits. En février 1945, les Affaires indiennes donnent instruction aux agents à l’enregistrement de ne pas mobiliser d’Indiens ne parlant ni l’anglais ni le français, de ne pas émettre d’ordonnances visant les Indiens qui vivent en région éloignée et de déclarer « inacceptable pour raisons médicales » [traduction] toute recrue indienne jugée inapte à servir dans l’armée, quel que soit son état de santé physique, ce qui aura pour effet d’exclure presque tous les Indiens inscrits qui sont demeurés au Canada. Toutefois, les conseils de bande et les populations autochtones continuent de résister à la conscription et la tension reste élevée, à tel point que le gouvernement abandonne, dans les derniers mois de la guerre, tout effort concerté en vue d’enrôler les Indiens inscrits. Les autorités décident de renoncer à toute nouvelle poursuite contre les Autochtones qui ont contesté le processus d’enregistrement et prononcent des condamnations avec sursis dans toutes les causes déjà devant les tribunaux. Pendant ce temps, des volontaires autochtones combattent en Europe. Lawrence Martin se bat au sein du Lake Superior Regiment, sur la Meuse et même en Allemagne. Il passe le plus clair de son temps à servir à bord de chenillettes ou à procéder à des opérations de « nettoyage de maisons ». « C’était un travail ingrat, se rappelle-t-il, mais quelqu’un devait le faire. » [traduction] Son régiment célèbre la victoire en Europe, le 8 mai 1945, aux côtés d’autres soldats canadiens et alliés.

Cecil Ace, un Ojibway de l’île Aird, en Ontario, enrôlé dans l’Armée canadienne, qu’on voit ici à gauche, incliné vers l’arrière, quelque part en Allemagne, au matin du lendemain de la signature du traité de paix.

« Nous sommes allés à Caen, que nous avons aidé à libérer… Nous avons commencé notre progression et nous avons avancé jusqu’à la poche de Falaise… Nous avons aussi combattu dans l’estuaire de l’Escaut; beaucoup de combats à cet endroit [contre] une poche de résistance allemande. [Nous] avons perdu là beaucoup de soldats… Nous sommes restés assez longtemps dans l’estuaire de l’Escaut. Nous y avons eu beaucoup de difficulté. Le temps était si mauvais… froid [et] boueux… Nous devions aussi enfoncer [les canons] tout le temps. [Et il y avait beaucoup de 88 allemands]. Puis, quand nous sommes arrivés de l’autre côté, en Allemagne, nous avons vraiment commencé à bouger… Après ça, la guerre était à peu près finie… Nous pouvions voir de longues colonnes d’Allemands retournant chez eux… et nous étions là pour surveiller où ils allaient… C’était fini. » (Photo fournie par Cecil Ace)

Les grandes inquiétudes suscitées par la question de la conscription pendant la guerre ne doivent pas faire oublier la contribution volontaire importante que les Autochtones ont apportée, à titre individuel ou en tant que communautés. La presque totalité des 3 000 Indiens inscrits recrutés servent dans l’infanterie. Tout comme au cours de la Première Guerre mondiale, aucune unité ethnique spécifique n’est constituée. En revanche, de nombreux bataillons d’infanterie comptent dans leurs rangs un nombre important de soldats autochtones, notamment The Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, The Calgary Highlanders, The Edmonton Regiment, The South Saskatchewan Regiment, The Hastings and Prince Edward Regiment, The Royal Hamilton Light Infantry, The Regina Rifle Regiment et The Royal Winnipeg Rifles. Les habiletés qui servent si bien les Autochtones en temps de paix trouvent vite leur utilité dans l’entraînement de l’infanterie. Les ouvrages de Janice Summerby et de Fred Gaffen renferment des notices biographiques de diverses personnes et des comptes rendus de leur contribution en temps de guerre. Parmi celles-ci, on trouve des profils d’hommes courageux plusieurs fois décorés. Les trois anecdotes qui suivent nous donnent un aperçu de leurs exploits dignes de mention.

Charles Byce est le fils de Louisa Saylors, une Crie de Moose Factory, en Ontario, et de Henry Byce, un non-Autochtone originaire de Westmeath, en Ontario, qui a reçu la Médaille de conduite distinguée et la Médaille militaire (France) pendant la Grande Guerre. À l’instigation de son père, Charles s’enrôle dans le Lake Superior Regiment pendant la Seconde Guerre mondiale. Le 21 janvier 1945, Charles sert aux Pays-Bas. Alors caporal intérimaire, il commande un groupe de cinq hommes qui traverse la Meuse pour aller capturer des soldats allemands afin d’en tirer des renseignements. Lorsque la patrouille parvient sur l’autre rive, elle est prise sous le feu simultané de trois positions allemandes; le caporal Byce en repère personnellement deux, qu’il réduit au silence avec des grenades. « Pendant que la patrouille se hâte de franchir la digue, plusieurs grenades sont lancées dans sa direction. Elles explosent heureusement sans faire de dommage […], mais elles révèlent la cachette de deux autres soldats ennemis […] Byce fonce alors vers la casemate allemande et y jette une grenade 36 [type particulier de grenade] », qui tue les deux occupants. Sa bravoure lui vaudra la Médaille militaire. Six semaines plus tard, explique Summerby, pendant la bataille de la forêt de Hochwald en Rhénanie, Byce devient l’un des 162 Canadiens à mériter la Médaille de conduite distinguée au cours de la Seconde Guerre mondiale. Sa compagnie « C », soumise à un feu nourri, subit de nombreuses pertes, notamment tous ses officiers. Le sergent intérimaire Byce prend le commandement et se bat aussi longtemps qu’il le peut; puis, rassemblant les quelques hommes qu’il peut trouver autour de lui, il bat en retraite sous une grêle de balles. Byce couvre lui-même cette retraite en tirant sur les fantassins ennemis pour les empêcher de rejoindre ses hommes. Voici le texte de sa citation :

[Traduction]
Aucun éloge ne saurait rendre justice au courage magnifique et indomptable manifesté par ce sous-officier face à un défi presque insurmontable. Son héroïsme devant une situation désespérée, alors qu’il était privé des armes nécessaires et n’était accompagné que d’une poignée d’hommes, demeurera pour toujours un exemple extraordinaire pour tous les soldats du régiment.

Lieutenant David Greyeyes, un Cri de Muskeg Lake, nation crie, 1st Infantry Division Support Battalion (The Saskatoon Light Infantry), 21 septembre 1943. (Ministère de la Défense nationale)

Les Affaires publiques du ministère de la Défense nationale ont indiqué que Greyeyes s’était enrôlé en 1940 et avait atteint le grade de sergent outre-mer avant d’être renvoyé au Canada en février 1943 pour recevoir la formation d’officier. Lorsqu’il est retourné en Grande-Bretagne comme lieutenant en juillet 1943, « on croyait qu’il était le seul officier de sang indien servant dans l’Armée canadienne outre-mer ». Cette image a été utilisée aux fins de recrutement pendant et après la guerre. Selon la légende parue dans le Winnipeg Tribune, il s’agit du « conseiller Harry Bull, de la collectivité indienne Piagut, près de Regina, qui a perdu une jambe à la crête de Vimy au cours de la Grande Guerre, » en train de donner sa bénédiction. Stephen Reid s’est souvenu plus tard que sa mère, « la première jeune fille indienne à s’enrôler au Canada […] avait été acceptée dans le Service féminin de l’Armée canadienne (CWAC) en tant que cuisinière et avait été affectée en Angleterre dans l’unité de buanderie ». Deux de ses frères ont également servi.

Soldat Mary Greyeyes, une Crie de Muskeg Lake, nation crie, Service féminin de l’Armée canadienne. (Bibliothèque et Archives Canada (PA-129070))

Charles Byce est l’un des rares Canadiens à avoir mérité à la fois la Médaille de conduite distinguée et la Médaille militaire.

Au cours de sa longue et remarquable carrière militaire, Oliver Milton Martin, un Mohawk des Six-Nations de Grand River, se taille une réputation à la fois dans l’armée et dans l’aviation. Martin se hissera au grade le plus élevé pour un Indien, terminant son service en temps de guerre comme brigadier. Né en 1893, il s’enrôle dans les Haldimand Rifles comme clairon en 1909. Six ans plus tard, il se porte volontaire pour servir dans le Corps expéditionnaire canadien, avec ses deux frères. Au grade de lieutenant, il passe sept mois en France et en Belgique avant de devenir observateur au sein du Royal Flying Corps en 1917. L’année suivante, il obtient son brevet de pilote. Entre les deux guerres, il enseigne, puis commande le Haldimand Rifles de 1930 à 1939. Quand la guerre éclate, il est promu colonel. L’année suivante, il est promu brigadier et placé à la tête des 14e et 16e Brigades d’infanterie sur la côte Ouest. En octobre 1944, à l’âge de 53 ans, le brigadier Martin se retire du service actif. Il sera nommé juge de paix et deviendra un fier porte-parole de la cause des Autochtones.

Le soldat autochtone le plus connu du XXe siècle est peut-être Thomas George Prince, qui s’est distingué sur le champ de bataille en Italie comme en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Né dans une famille nombreuse au Manitoba, Prince débute sa carrière militaire comme sapeur dans le Corps royal du génie canadien. Il s’entraîne dans la 1st Canadian Special Service Force et devient parachutiste. En 1944, Prince suit en Italie la « brigade du diable », comme les Allemands l’appellent. Lors d’une mission particulière, il reçoit l’ordre d’assurer la surveillance depuis une ferme abandonnée située à environ 200 mètres des lignes ennemies. En communication avec son bataillon grâce à quelque 1 400 mètres de fil téléphonique, Prince transmet ses rapports périodiques sur les positions de l’artillerie. Lorsque la ligne de communication est coupée par les bombardements ennemis, Prince enfile des vêtements de ferme et fait mine de sarcler son champ. Il suit pas à pas le fil, localise la rupture, la répare et reprend la transmission de ses rapports. Il répare ainsi plusieurs fois les fils endommagés pendant sa mission de 24 heures. L’information qu’il transmet permet de détruire quatre positions allemandes et Prince sera décoré de la Médaille militaire. Six mois plus tard, l’unité de Prince est stationnée dans le Sud de la France. Lui et un autre soldat passent derrière les lignes ennemies pour y repérer l’emplacement des canons et d’un camp. Au retour, ils marchent 70 kilomètres pour faire leur rapport. Pour cet acte de courage, Prince sera recommandé pour la Silver Star – décoration américaine accordée pour bravoure au combat. Une fois les combats terminés, Prince est mandé à Londres par le roi George VI, qui lui remet la Silver Star avec ruban au nom du Président des États-Unis. Il n’y a eu que 59 Canadiens décorés de la Silver Star et 3 de ceux-ci seulement ont aussi reçu la Médaille militaire. Prince figure incontestablement en prestigieuse compagnie.

Congrès de la North American Indian Brotherhood, Ottawa, 1945 (Centre culturel de Kahnawake)

Francis Pegahmagabow, un Anishinabeg de Parry Island, au cours d’une visite à Ottawa en 1945. (Musée canadien des civilisations (no 95292-3))

Après la Seconde Guerre mondiale, le Canada en tant que nation est entré dans une période de croissance économique, de prospérité et de réforme sociale sans précédent, tandis que le gouvernement jetait les bases de l’État providence moderne. Comme cela avait été le cas après la Première Guerre mondiale, les anciens combattants autochtones récemment rentrés au pays et leurs partisans défendaient activement les droits et intérêts de leurs gens par divers moyens. Francis Pegahmagabow représente tous ces anciens combattants qui ont assumé un rôle de leadership au sein de leurs collectivités respectives au cours de l’entre-deux-guerres et des années qui ont suivi la guerre. Pegahmagabow a servi comme tireur d’élite au sein du 1er Bataillon d’infanterie canadien au cours de la Première Guerre mondiale et a reçu à trois reprises la Médaille militaire pour actes de bravoure. Traité sur un pied d’égalité par ses compagnons d’armes, il a perdu ses illusions à son retour à la réserve, où il était considéré comme un citoyen de seconde classe. Il passera le reste de sa vie à défendre les droits des Autochtones dans le cadre d’une campagne pacifique d’envoi de lettres et de contestations judiciaires. Il a été chef de bande de 1921 à 1925, puis conseiller de bande de 1933 à 1936. En 1943, il a été nommé chef suprême du Native Independent Government, l’un des premiers groupes de défense des droits des Autochtones. D’autres groupes, comme la League of Indians of Canada (dirigée par un autre ancien combattant de la Grande Guerre, F.O. Loft), ont milité en faveur de la reconnaissance des droits autochtones. La North American Brotherhood, photographiée lors d’un congrès à Ottawa en 1945, était l’un d’entre eux.

Tout compte fait, la contribution des Autochtones à la Seconde Guerre mondiale est impressionnante, mais elle aura aussi eu un prix. Après la guerre, la division des Affaires indiennes rapporte que 200 Indiens inscrits ont perdu la vie au combat ou sous les drapeaux. Pour sa part, l’historien Fred Geffen parle de 220 militaires, tandis que la Commission royale sur les peuples autochtones estime que quelque 500 Autochtones ont donné leur vie en extrapolant en fonction de pourcentages de participation comparables pour les Indiens non inscrits et les Métis. Quoi qu’il en soit, la contribution volontaire des Autochtones – et le sacrifice qu’ils ont fait de leur vie – témoignent de leur appui aux idéaux et valeurs au nom desquels la guerre a été menée.

Presque tous les soldats autochtones disent avoir été traités comme des égaux dans l’armée. Charles Bird affirme n’avoir été témoin « d’aucune discrimination. Chacun est un frère pour l’autre; c’est comme ça » [traduction]. Howard Anderson, de Punnichy, en Saskatchewan, explique que « c’est le retour qui a été le plus difficile. C’est là que se trouve le problème. Nous étions différents, et pourtant nous étions tous semblables dans l’armée. Quand [nous sommes revenus, nous] étions différents » [traduction]. La guerre terminée, lorsque les militaires autochtones reviennent du service actif, ils s’attendent à entreprendre une vie nouvelle grâce aux dispositions de la Charte des anciens combattants, le généreux programme d’avantages mis en place par le gouvernement fédéral pendant la Seconde Guerre mondiale. Les inégalités relatives à l’accès à ces avantages et des divergences de vues quant à leur administration mécontenteront un grand nombre d’anciens combattants autochtones. En théorie, tous les anciens combattants ont droit aux mêmes avantages, pour leurs personnes à charge ou pour eux-mêmes. Les seules exceptions à la règle tiennent aux dispositions spéciales de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants concernant les anciens combattants qui sont des Indiens inscrits et qui désirent s’établir sur des terres de réserve. Dans la pratique, des facteurs systémiques restreignent l’accès des anciens combattants autochtones à l’information, aux services de counselling et aux avantages. Les anciens combattants indiens sont aux prises avec une difficulté de taille, soit traiter avec trois bureaucraties fédérales nanties de pouvoirs qui se recoupent, et ils doivent s’en remettre à leur agent des Indiens local pour obtenir des détails précis et des conseils au sujet des programmes. Pour leur part, les autres anciens combattants traitent directement avec les conseillers du ministère des Anciens combattants. Ces administrations différentes seront une porte ouverte à l’injustice.

Carte : Victoire en Europe, 6 juin 1944 – 8 mai 1945 (Ministère de la Défense nationale)

Dans les années qui suivent la guerre, les anciens combattants autochtones sont de plus en plus irrités par le traitement inégal et injuste dont ils estiment être l’objet. « À notre retour d’Europe, ils nous ont donné de l’argent pendant un certain temps, puis nous avons obtenu une subvention de 2 320 $; c’est l’agent des Indiens, je crois, qui s’occupait des subventions » [traduction], explique Charles Bird. Lui et son frère Gerry s’en servent pour acheter un tracteur et une charrue, et ils entreprennent de cultiver un quart de section en Saskatchewan. L’ennui, c’est qu’ils ne peuvent vendre ni leur production ni leur bétail sans autorisation. « Si vous aviez du bétail, vous ne pouviez pas le vendre. Il fallait obtenir un permis de l’agent. Il fallait un permis pour tout […] Même… si vous apportiez un chargement de bois en ville pour le vendre, il fallait un permis pour le faire. C’était pourri. » [traduction] Les Indiens inscrits qui vivent dans les réserves n’ont pas accès aux prêts de 6 000 $ prévus dans la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants. Après tout, comme les terres sont propriété commune et que les anciens combattants autochtones ne possèdent pas de titre de propriété individuel, leurs parcelles ne peuvent être mises en garantie. C’est la raison pour laquelle les anciens combattants autochtones n’ont pas droit à plus de 2 320 $. Leur capital est limité et, du coup, leurs possibilités d’affaires le sont aussi. Avec énergie et détermination, certains d’entre eux plaident leur cause devant des comités parlementaires après la guerre et forment des associations. Leur quête de dédommagement se poursuivra jusqu’au début du XXIe siècle.

De nombreux anciens combattants autochtones soulignent qu’ils recherchent une chose plus que tout : que leur contribution soit reconnue. Ils ont participé à l’effort de guerre national de 1914 à 1919 et de 1939 à 1945. Ils ont combattu en tant qu’égaux aux côtés de leurs compagnons d’armes issus de toutes les couches de la société canadienne. Ils sont revenus chez eux conscients de ne pas être des citoyens « de deuxième classe » et animés des mêmes idéaux de démocratie, de liberté et d’égalité pour lesquels tant de Canadiens ont combattu et sont morts. Marins, soldats et aviateurs autochtones continueront à servir leur pays étant donné que le « nouvel ordre mondial » entrevu en 1945 ne réussit pas à instaurer la paix promise.

Lectures connexes

DEMPSEY, L. James, Warriors of the King: Prairie Indians in World War I, (Regina : Canadian Plains Research Center, University of Regina, 1999).

GAFEN, Fred, Forgotten soldiers, (Penticton, B.C. : Theytus Books, 1985).

HAYES, Adrian, Pegahmagabow: legendary warrior, forgotten hero, (Huntsville, Ont. : Fox Meadow Creations, 2003).

SHEFIELD, R. Scott, The redman’s on the warpath: the image of the ‘Indian’ and the Second World War, (Vancouver : UBC Press, 2004).

SUMMERBY, Janice, Soldats autochtones, terres étrangères, (Ottawa : Anciens combattants Canada, 2005).

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