Page 5: Sixième rapport sur la biosurveillance humaine des substances chimiques de l'environnement au Canada

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14 Sommaires et résultats liés aux plastifiants

14.1 Phtalates

Les diesters de l'acide phtalique, communément appelés phtalates, sont un groupe de substances chimiques industrielles produites en grande quantité et utilisées dans la fabrication de nombreux produits offerts aux consommateurs et industriels. Le Tableau 14.1.1 présente les phtalates généralement disponibles sur le marché et leurs principaux métabolites mesurés dans le cadre de l'Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS).

Les phtalates sont des plastifiants qui rendent les plastiques plus souples et plus résistants (Frederiksen et coll., 2007; Graham, 1973; SC, 2020). Ils sont également utilisés comme solvants dans les produits domestiques, y compris les produits de soins personnels, les produits de construction et de rénovation, et les textiles (SC, 2020). Le BBP, le DnBP, le DMP et le DEP sont surtout présents dans les produits de soins personnels comme les cosmétiques (p. ex., les produits de soins capillaires et les parfums) et les médicaments sans ordonnance (Cosmetic Ingredient Review Expert Panel, 2005; ECCC et SC, 2020; EC et SC, 2000; 2015e). Le DINP, le DiBP, le DCHP, le DnBP, le BBP et le DEHP sont utilisés dans les produits de construction et de rénovation comme les lubrifiants et les graisses, les adhésifs et les matériaux d'étanchéité, les peintures et les revêtements, et les matériaux de construction (ECCC et SC, 2020; EC et SC, 2000; 2015b; 2015d; SC, 2020). Le DOP, le BBP, le DMP, le DnBP, le DIDP, le DiBP et le DINP sont utilisés dans le matériel électrique et électronique (ECCC et SC, 2020; EC et SC, 2015b; 2015c; 2015d; 2015e; SC, 2020). Les phtalates peuvent également être utilisés dans le secteur automobile (p. ex., le BBP, le DEHP, le DiBP et le DCHP), les encres d'impression (p. ex., le DINP et le BBP) et les préparations pesticides (p. ex., le BBP) (ECCC et SC, 2020; EC et SC, 2015d; SC, 2020). Enfin, certains phtalates, y compris le BBP, le DEHP, le DIDP et le DMP, peuvent être présents dans les matériaux d'emballage des aliments (ECCC et SC, 2020; EC et SC, 2015c; 2015e; SC, 2020). Avant l'imposition de restrictions en 2010 (voir ci-dessous), le BBP, le DnBP, le DINP et le DEHP servaient de plastifiants au Canada dans les jouets en vinyle souple et les articles de puériculture.

Il n'existe aucune source naturelle connue de phtalates et les rejets dans l'environnement découlent d'activités anthropiques (ECCC et SC, 2020). Ces rejets peuvent se produire pendant la fabrication, le traitement, le transport et le stockage des phtalates ainsi que pendant la production, l'utilisation et l'élimination des produits qui en contiennent (ECCC et SC, 2020). Bien que les phtalates puissent être rejetés dans l'air, ils se retrouvent principalement dans l'eau par les effluents des eaux usées d'origine industrielle et par les rejets dispersés de produits offerts aux consommateurs (ECCC et SC, 2020; EC et SC, 2015d).

Les phtalates ont été détectés dans les aliments, l'eau, l'air, les sols et la poussière (Clark, 2003; ECCC et SC, 2020). La population générale peut y être exposée par inhalation d'air intérieur, par ingestion d'eau, d'aliments, de boissons, de terre et de poussière, et par l'utilisation de produits offerts aux consommateurs (SC, 2020). D'autres sources d'exposition potentielles sont le lait maternel et la mise à la bouche de jouets et d'articles pour enfants (ECCC et SC, 2020).

Chez l'animal de laboratoire, les phtalates sont rapidement absorbés après une exposition par voie orale, alors que leur absorption est généralement lente après une exposition par voie cutanée (ATSDR, 1995; 1997; 2001). Les diesters phtaliques sont convertis en leur monoester correspondant dans le tractus gastro-intestinal ou dans la salive avant leur absorption (ATSDR, 1995; 1997; 2001; NRC, 2008). Les phtalates sont rapidement métabolisés dans l'organisme pour former des monoesters hydrolytiques et oxydatifs qui peuvent soit être éliminés inchangés dans l'urine ou les matières fécales, soit subir une biotransformation de phase II pour produire des conjugués glucuronide présentant une hydrosolubilité accrue et donc une hausse de l'excrétion urinaire (Hauser et Calafat, 2005; Samandar et coll., 2009). Les monoesters phtaliques se caractérisent généralement par un métabolisme rapide et une courte demi-vie bien que de nombreux facteurs influent sur leur métabolisme et leur excrétion (ATSDR, 1995; 1997; 2001; Hauser et Calafat, 2005). Les phtalates ne se bioaccumulent pas chez l'homme (CDC, 2009). La mesure des métabolites des phtalates dans l'urine est devenue la méthode la plus courante pour évaluer l'exposition humaine aux phtalates et en reflète une exposition relativement récente (Blount et coll., 2000; Calafat et McKee, 2006).

Chez l'animal de laboratoire, l'exposition à certains phtalates affecte le système reproducteur mâle. D'ailleurs, il a été démontré que l'exposition prénatale aux phtalates, comme le DnBP, le BBP, le DEHP, le DCHP et le DINP, perturbe le développement à médiation androgénique du système reproducteur mâle (David, 2006; EC et SC, 2015b; 2015d; Foster, 2005; Gray et coll., 2000; Howdeshell et coll., 2007; Main et coll., 2006; Mariana et coll., 2016; Wine et coll., 1997). Il s'agit du « syndrome des phtalates chez le rat » qui se caractérise, entre autres, par des malformations de l'épididyme, du canal déférent, des vésicules séminales, de la prostate et des organes génitaux externes (Lioy et coll., 2015). Des effets nocifs sur les testicules ont également été observés chez les animaux de laboratoire adultes, bien qu'ils découlent de plus fortes doses (David, 2006; Foster, 2005). Des données probantes issues d'autres études animales indiquent également que les phtalates entraînent des effets nocifs sur les ovaires (EC et SC, 2015b; Hannon et Flaws, 2015; Mariana et coll., 2016). Les autres organes cibles relevés dans les études animales sont notamment le foie et les reins, où l'exposition aux phtalates peut provoquer une augmentation du poids des organes et une prolifération des peroxysomes hépatiques (David et Gans, 2003; EC et SC, 2015b; 2015c; 2015d; 2015e; Howdeshell et coll., 2007; Main et coll., 2006; Wine et coll., 1997).

De nombreuses études démontrent que les humains sont exposés aux phtalates, même avant leur naissance (Becker et coll., 2009; Blount et coll., 2000; Lioy et coll., 2015; Marsee et coll., 2006; NTP-CERHR, 2003a; 2003b; 2003c; 2003d; 2003e; 2003f; 2006; Praveena et coll., 2018; SC, 2018a; 2018b; Silva et coll., 2003; Wittassek et coll., 2011). Après avoir passé en revue 134 études épidémiologiques portant sur les phtalates et leurs effets sur la santé, y compris ceux sur le système endocrinien, la croissance et le développement et la reproduction, ainsi que 125 autres se concentrant sur les effets sur le comportement, le développement neurologique et la fonction cardiovasculaire et sur le stress oxydatif, le cancer du sein, l'obésité, les allergies (inflammation des voies respiratoires et de la peau) et les troubles du métabolisme, Santé Canada a déterminé qu'il n'existe pas suffisamment de données probantes établissant un lien avec les phtalates étudiés (ou leurs métabolites) (SC, 2018a; 2018b). Le Centre international de Recherche sur le Cancer a classé le DEHP dans le groupe 2B, à savoir celui des agents peut-être cancérogènes pour l'homme, et le BBP dans le groupe 3, à savoir celui des agents inclassables quant à leur cancérogénicité pour l'homme (CIRC, 1999; 2013).

Environnement Canada et Santé Canada ont évalué quatre phtalates séparément (DBP, BBP, DEHP et DOP) dans le cadre de la première et de la deuxième listes des substances d'intérêt prioritaire (LSIP1 et LSIP2) (EC et SC, 1993; 1994a; 1994b; 2000). Il a été déterminé que le DBP et le BBP ne présentent pas de risque pour l'environnement ou la santé humaine. Il a été déterminé que le DOP ne présente pas de risque pour l'environnement au Canada, mais les données disponibles au moment de l'évaluation n'ont pas permis d'établir s'il présente un risque pour la santé humaine. Il ressort d'un rapport ultérieur que le DOP ne présente pas de risque pour la santé humaine (EC et SC, 2003). Il a été déterminé que le DEHP présente un risque pour la santé humaine au Canada, mais les données disponibles au moment de l'évaluation n'ont pas permis d'établir s'il présente un risque pour l'environnement. En 2015, des rapports sur l'état des connaissances scientifiques ont été publiés pour un phtalate à chaîne courte (le DMP), pour des phtalates à chaîne moyenne (notamment le DCHP et le DiBP) et à chaîne longue (notamment le DIDP), et pour le DINP (EC et SC, 2015b; 2015c; 2015d; 2015e). Une évaluation préalable a conclu que les 14 substances du groupe de substances des phtalates (notamment le DMP, le DiBP, le DINP et le DIDP) ne présentent pas un risque pour la santé humaine ou l'environnement selon les critères énoncés à l'article 64 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999) (LCPE [1999]), mais que le DEHP, déjà évalué dans le cadre du Programme d'évaluation des substances d'intérêt prioritaire, constitue un risque pour l'environnement selon les critères de l'article 64(a) de la LCPE (1999) (Canada, 1999; ECCC et SC, 2020). De plus, une évaluation des risques cumulatifs réalisée au moyen d'une approche prudente par indice de danger de niveau inférieur n'a révélé aucune préoccupation quant au risque cumulatif des phtalates à chaîne moyenne aux niveaux d'exposition actuels pour la population canadienne, et plus particulièrement pour les sous-populations plus sensibles (les femmes enceintes, les femmes en âge de procréer, les nourrissons et les enfants) (EC et SC, 2015a; ECCC et SC, 2020).

En vertu de la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation, Santé Canada a élaboré et mis en œuvre le Règlement sur les phtalates qui porte sur l'utilisation de six phtalates (DEHP, DnBP, BBP, DINP, DIDP et DOP) dans les jouets en vinyle mou et les articles de puériculture (Canada, 2010). L'utilisation de phtalates dans les jouets pour enfants et les articles de puériculture est également réglementée aux États-Unis et dans l'Union européenne. Le DEHP figure sur la Liste des ingrédients dont l'usage est interdit dans les cosmétiques (SC, 2019).

D'autres études de biosurveillance des concentrations urinaires des métabolites des phtalates ont été réalisées au Canada, notamment l'Étude mère-enfant sur les composés chimiques de l'environnement (Arbuckle et coll., 2014), l'Initiative de biosurveillance des Premières Nations (APN, 2013) et l'étude CHILD (Canadian Healthy Infant Longitudinal Development) (Navaranjan et coll., 2020).

Les concentrations de 11 métabolites des phtalates (MnBP, MEP, MBzP, MCHP, MEHP, MOP, MiNP, MMP, MCPP, MEHHP et MEOHP) ont été mesurées dans l'urine des participants âgés de 6 à 49 ans du cycle 1 (2007 à 2009) et de ceux âgés de 3 à 79 ans du cycle 2 (2009 à 2011), du cycle 5 (2016 à 2017) et du cycle 6 (2018 à 2019) de l'ECMS. La concentration de MiBP a été mesurée dans l'urine des participants âgés de 3 à 79 ans des cycles 2, 5 et 6 de l'ECMS. La concentration de MCMHP, de MECPP, de MCiNP, de MHiDP, de MiDP, de MOiDP, de MCiOP, de MHiNP, de MOiNP, de 3OH-MBP et de MCHpP a été mesurée dans l'urine des participants âgés de 3 à 79 ans des cycles 5 et 6 de l'ECMS. Les données de ces cycles sont exprimées à la fois en µg/L et en µg/g de créatinine (voir les tableaux 14.1.2 à 14.1.47). La présence d'une quantité mesurable de métabolites des phtalates dans l'urine indique une exposition aux phtalates d'origine sans nécessairement entraîner d'effets nocifs.