ARCHIVÉ - Maladies chroniques au Canada

 

Volume 29 · Supplément 1 · 2010

Le cancer et l’environnement : dix questions d’intérêt dans le domaine de l’épidémiologie environnementale du cancer au Canada

Shirley A. Huchcroft, Yang Mao et Robert Semenciw, Rédacteurs

https://doi.org/10.24095/hpcdp.29.S1.01f

Avant-propos

Le Centre de prévention et de contrôle des maladies chroniques de l’Agence de la santé publique du Canada produit et communique des données sur la surveillance du cancer et présente les incidences de ces données sur les politiques et les programmes de lutte contre le cancer. En 1998, un comité d’examen a recommandé que le Centre (qui faisait alors partie de Santé Canada) compile et diffuse les résultats des travaux portant sur le cancer qui ont été financés dans le cadre du Plan vert du gouvernement du Canada. Ce plan, adopté en décembre 1991, constituait le projet politique du gouvernement fédéral en matière d’environnement pendant les années 90. Par ailleurs, le Comité consultatif fédéral-provincial-territorial de l’hygiène du milieu et du travail a recommandé d’améliorer les méthodes d’identification et d’évaluation des facteurs environnementaux qui influent sur la santé.

On a demandé à des chercheurs de divers domaines de fournir du matériel en vue de la préparation d’un supplément, qui passerait en revue les publications épidémiologiques sur les risques de cancer pouvant être associés à certains types d’exposition au Canada. Au cours des quelques années qui ont suivi la réception du texte, on en a examiné l’exactitude sur le plan scientifique et on l’a révisé. Chaque section a son propre style et peut être utilisée seule, en tant qu’exposé sur le sujet en cause. On a ajouté des introductions et des résumés, pour présenter certains concepts importants et relier les diverses parties du document, ainsi qu’un glossaire. Il est à noter, cependant, que les opinions exprimées dans ce document sont celles des auteurs et non celles de l’Agence de la santé publique du Canada. Le présent supplément à Maladies chroniques au Canada est le fruit de ce travail.

Le présent document technique est surtout adapté aux besoins, en matière d’information, des intervenants qui s’intéressent à l’hygiène du milieu et de ceux qui travaillent dans la lutte contre le cancer, plus particulièrement les professionnels de la santé, les responsables des politiques et les chercheurs. Les professeurs et les étudiants des sciences de la santé pourront également trouver dans le présent document une bonne introduction au domaine de l’épidémiologie des cancers liés à l’environnement.

Précisons enfin qu’un travail d’une telle envergure et d’une telle complexité demande beaucoup de temps.

Introduction

Le présent supplément examine les données épidémiologiques sur dix types d’exposition environnementale à des agents cancérogènes. Au sens large, on définit l’« exposition environnementale » comme une exposition non attribuable au mode de vie choisi (p. ex. alimentation, tabagisme), involontaire (p. ex. exposition professionnelle, pollution industrielle, fumée de tabac ambiante) et/ou liée à un agent omniprésent (p. ex. rayonnement ultraviolet, pollution atmosphérique). Bien que l’exposition à des agents biologiques (p. ex. bactéries, protozoaires, virus, champignons, algues, acariens, pollen et autres allergènes) constitue également un type d’exposition/risque environnemental, il n’en est pas question dans le présent document.

Le supplément est divisé en quatre grandes sections : le rayonnement, les produits chimiques, la pollution de l’air et l’industrie. La section sur le rayonnement comporte des chapitres sur le radon, sur le rayonnement ultraviolet et sur les champs électromagnétiques; celle sur les produits chimiques renferme des chapitres sur les organochlorés, sur les sous-produits de la désinfection et sur les pesticides; dans la section sur l’air, on traite de la fumée de tabac ambiante et de la pollution atmosphérique; quant à la section sur l’industrie, elle comprend des chapitres sur les pâtes et papiers et sur l’extraction et la transformation de l’or, du nickel et du cuivre. Il est question des expositions professionnelles pour trois grandes raisons. Premièrement, les pâtes et papiers et l’extraction minière sont deux importants secteurs industriels au Canada. Deuxièmement, l’épidémiologie du travail est étroitement liée à l’épidémiologie environnementale, en ce sens que l’on peut utiliser les données sur l’exposition des travailleurs et les maladies dont souffrent ces derniers pour extrapoler le degré de risque associé à une exposition non professionnelle à un même élément. Troisièmement, les études sur l’exposition professionnelle sont particulièrement utiles dans les cas où l’on dispose de trop peu d’études menées auprès de collectivités pour qu’il soit possible d’estimer le degré de risque pour la population générale. Par exemple, la majeure partie de l’information sur les dangers de l’exposition au rayonnement causé par les dérivés du radon provient d’études sur l’exposition professionnelle.

Les types d’exposition dont il est question dans le présent document ont trait à la fois à des sources d’exposition « naturelles » et « artificielles » (découlant de l’humain)3a. Le rayonnement ultraviolet et le radon sont deux exemples du premier type de source, tandis que les sous-produits de la désinfection de l’eau, les champs électromagnétiques, les pesticides, la pollution atmosphérique et la fumée de tabac ambiante sont des exemples du second type de source. Il est cependant admis que les expositions résultent souvent de l’interaction entre des facteurs de ces deux types de sources.

Par ailleurs, plusieurs des sujets abordés ne sont pas mutuellement exclusifs. Par exemple, la désinfection de l’eau et les processus industriels utilisés dans le secteur des pâtes et papiers produisent tous deux des composés organochlorés, tout comme l’utilisation de pesticides organochlorés. De même, les mineurs sont assez souvent exposés au rayonnement des produits de désintégration du radon, et la fumée de tabac ambiante est l’une des composantes de la pollution atmosphérique.

Estimation du risque de cancer associé à l’environnement au Canada

Incidence, sources de contaminants et caractère variable des expositions

Si l’on exclut les cancers de la peau autres que le mélanome, chaque année, environ 160 000 Canadiens reçoivent un diagnostic de cancer et la moitié d’entre eux en meurent1. Les cancers du poumon, du sein, de la prostate, du côlon et du rectum représentent plus de la moitié de tous les cancers diagnostiqués au Canada. Le cancer du poumon est le plus mortel, tant chez la femme que chez l’homme; il représente à lui seul plus du quart des décès par cancer. Chez la femme, c’est le cancer du sein qui est le plus fréquent, représentant 30 % de tous les nouveaux cas, alors que c’est le cancer de la prostate chez l’homme, comptant pour le quart des nouveaux cas. Bien que le cancer soit avant tout une maladie du troisième âge (69 % des nouveaux cas et 82 % des décès survenant chez les personnes de 60 ans et plus), il frappe les personnes de tous âges, y compris les nourrissons2.

Les sondages menés auprès de la population avant la préparation du présent document montrent que les Canadiens s’inquiètent beaucoup des effets de la pollution atmosphérique sur la santé en général et le risque de cancer en particulier. Contrairement à la croyance très répandue chez les Canadiens, ce sont les aliments, et non l’air, qui constituent la principale voie d’exposition aux contaminants environnementaux. En effet, les aliments sont à l’origine de 80 % à 95 % de l’apport quotidien de polluants organiques persistants, alors que la contribution de l’air se situe entre 10 % et 15 %, et celle de la terre et de l’eau de boisson est de moins de 5 %3b.

La nature et le degré d’exposition aux dangers environnementaux varient de façon considérable d’une région à l’autre du Canada et selon divers facteurs comme l’âge, le sexe, la profession et les habitudes alimentaires. En outre, le risque qu’une exposition donnée soit nocive dépend de toute une gamme de facteurs, y compris le niveau d’exposition (durée et concentration), la toxicité inhérente, la voie d’exposition au contaminant (p. ex. ingestion par opposition à inhalation), et la susceptibilité des différents groupes de sujets. Les jeunes enfants, les vieillards, les personnes dont le système immunitaire est affaibli et les populations autochtones sont particulièrement susceptibles3c. Les enfants peuvent être plus vulnérables aux contaminants environnementaux en raison de leur croissance rapide, de l’immaturité de leur métabolisme et parce qu’ils consomment plus de nourriture, d’air et de liquide relativement à leur masse corporelle4. Les populations autochtones sont particulièrement à risque parce que nombre de polluants organiques ont tendance à se retrouver dans les régions froides du Nord et à contaminer le poisson et la faune dont ces populations dépendent pour leur subsistance.

Évaluation des risques

Les estimations du degré de risque associé à l’exposition aux contaminants environnementaux sont établies au moyen de divers types d’études. Étant donné que les expositions reliées à l’environnement sont faibles dans le cas des risques radiologiques et chimiques, l’ordre de grandeur des risques peut rarement être déterminé à partir d’études d’observation directe des populations humaines5a. Pour le cancer, il est souvent difficile d’estimer le degré d’exposition ou de démontrer l’existence d’une relation de causalité dans la population générale parce que le cancer se développe sur une longue période et que de nombreux facteurs peuvent intervenir dans sa genèse. Parmi les sources de variabilité observées dans les études épidémiologiques, mentionnons les paramètres physiologiques (comme la masse corporelle, la fréquence respiratoire et le débit cardiaque, qui peuvent varier d’une personne à l’autre), les voies d’exposition, les incertitudes inhérentes aux estimations du degré d’exposition, les erreurs de diagnostic et autres facteurs de confusion.

Les expériences de toxicologie, qui se déroulent généralement dans des laboratoires sur des modèles non humains, sont largement utilisées pour reconnaître des dangers potentiels pour la santé humaine (dans le cas des produits chimiques en particulier) et pour déterminer les niveaux d’exposition qui présentent un risque négligeable ou nul pour les êtres humains. Il existe des épreuves hautement sensibles pour examiner toute une gamme d’effets délétères, dont la toxicité aiguë ou chronique chez les animaux, le métabolisme des produits chimiques, les effets sur la reproduction, et les effets cancérogènes à long terme5b.

Les marqueurs biologiques sont utiles dans l’étude des risques de nature chimique. Ces changements biochimiques permettent de déterminer s’il y a eu exposition ou non, mais ils ne pointent pas nécessairement vers un effet clinique nocif. Ces marqueurs peuvent être utilisés pour évaluer l’exposition, les effets sur la santé ou la susceptibilité, la variabilité de l’effet d’un sujet à l’autre ou chez un même sujet, ainsi que pour élucider des mécanismes ou pour déterminer les relations dose-réponse. L’objectif ultime du recours aux marqueurs est de pouvoir prédire la survenue de la maladie5c.

L’étude du rapport structure-activité des substances chimiques se fonde sur la structure chimique d’un composé pour en prédire les effets toxiques ou cancérogènes. Les prédictions sont souvent fondées sur les connaissances du comportement de composés semblables et tiennent compte de ses propriétés et caractéristiques particulières. S’il est vrai que de telles règles de classification sont utiles, elles ne permettent toutefois pas de prévoir parfaitement bien les effets sur la santé5d.

L’extrapolation des résultats permet d’établir un lien entre les résultats d’épreuves dans lesquelles on expose différentes espèces animales à de fortes doses de substances chimiques, sachant que les humains sont exposés à des doses relativement plus faibles des mêmes substances. Des modèles semblables pour l’évaluation quantitative du risque sont utilisés à la fois pour les rayonnements et les produits chimiques5e. Dans le cas des agents cancérogènes génotoxiques, comme le rayonnement ionisant et certains types de produits chimiques qui causent le cancer en endommageant l’ADN, on suppose qu’il existe une probabilité de dommages quel que soit le niveau d’exposition (en d’autres termes, on suppose qu’il n’y a pas de seuil en deçà duquel les effets sont nuls). Même si les courbes dose-réponse peuvent ne pas être linéaires à fortes doses, on suppose généralement que la courbe dose-réponse est linéaire à faibles doses dans le cas du rayonnement ionisant et des substances chimiques génotoxiques. On prédit donc les risques associés aux faibles doses à partir des effets observés à fortes doses en recourant à ce qu’il est convenu d’appeler le principe de la relation linéaire sans seuil. Ce principe a été largement utilisé dans l’évaluation du risque de cancer, en l’absence d’indications convaincantes du contraire. Pour d’autres substances, dont les produits chimiques qui causent le cancer sans endommager l’ADN (agents cancérogènes non génotoxiques), on suppose qu’il y a une dose seuil en deçà de laquelle la probabilité d’effets délétères est faible.

Bien que l’épidémiologie et la toxicologie soient utiles pour estimer le risque, ces deux sciences comportent des limites qui peuvent entraîner une incertitude considérable, en particulier lorsqu’on recourt aux résultats d’études toxicologiques animales, faisant intervenir des expositions à de fortes doses en laboratoire, pour extrapoler le risque chez les humains, lesquels sont exposés à des doses moins importantes dans la vie quotidienne3d. Les résultats d’études menées auprès de personnes exposées à des contaminants précis en milieu de travail peuvent ne pas s’appliquer aux personnes exposées dans d’autres milieux parce que les effets observés à des niveaux d’exposition élevés peuvent ne pas s’observer à des niveaux inférieurs. Par conséquent, quand on effectue des évaluations du risque, on prend en considération une gamme variée de risques possibles, obtenue par une analyse rigoureuse de toutes les sources d’incertitude des données, et les conclusions sont généralement tirées, à juste titre, sur la base d’interprétations prudentes des résultats. On croit que les incertitudes sont moins grandes en ce qui a trait au rayonnement ionisant que dans les cas d’effets génotoxiques de nature chimique.

Sources d’information

Il est important de préciser que les données présentées dans le présent supplément, y compris les données toxicologiques, proviennent uniquement d’articles publiés. Nous savons que, dans le cas des produits chimiques, certains organismes de réglementation, dont Santé Canada, disposent de bases de données détaillées dont le contenu peut ne pas corroborer les conclusions énoncées dans le présent supplément. Toutefois, les lois et règlements actuels limitent l’accès à ces bases de données, car elles contiennent des données exclusives, appartenant aux fabricants.

Nous recommandons la lecture de trois des sources dont nous nous sommes grandement inspirés pour rédiger la présente introduction. Il s’agit, tout d’abord, de Santé et environnement : partenaires pour la vie3e, une publication de Santé Canada décrivant les connaissances actuelles sur les liens entre la santé humaine et l’environnement au Canada. Il y est question des contaminants préoccupants sur le plan de la santé des Canadiens, des progrès réalisés en matière de diminution du degré de contamination de l’environnement et des répercussions sur la santé que peuvent avoir les environnements artificiel ou construit. Le rapport présente également des conseils pratiques visant à aider les Canadiens à protéger et à améliorer leur santé, et aborde certaines questions émergentes et défis futurs concernant la santé et l’environnement.

La deuxième source d’inspiration dont nous recommandons la lecture, Évaluation et gestion des risques de cancer associés aux rayonnements ionisants et aux agents chimiques5f, est le fruit d’une collaboration entre Santé Canada et la Commission de contrôle de l’énergie atomique (aujourd’hui, la Commission canadienne de sûreté nucléaire). Le document décrit les processus d’évaluation et de gestion du risque utilisés pour protéger la population contre les dangers associés aux rayonnements, aux produits chimiques et aux agents microbiologiques.

La troisième de ces sources d’inspiration, Votre santé et vous6, est en fait une série de feuillets d’information présentés sur le site Web de Santé Canada, dans lesquels on fait régulièrement le point sur divers sujets associés à la santé des Canadiens, y compris le lien entre certains types d’exposition et le cancer. Les lecteurs qui s’intéressent à ces sujets pourront consulter les sections sur les dioxines et les furanes, sur les champs électriques et magnétiques et sur l’exposition professionnelle aux rayonnements et aux PCB.

Dans le chapitre suivant, il sera question des grands principes de l’épidémiologie des cancers liés à l’environnement et de certains défis sur le plan de la méthodologie.

Références

  1. ^ Institut national du cancer du Canada. Statistiques canadiennes du cancer 2007. Toronto : INCC; 2007. URL : http://www.cancer.ca
  2. ^ Santé Canada. Mon combat pour la vie : le cancer chez les enfants et les adolescents au Canada. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada; 1996.
  3. a,b,c,d,e Santé Canada. Santé et environnement : partenaires pour la vie. Ottawa : Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux 1997. Cat.: H49-112/1997F.
  4. ^ Comité fédéral, provincial, territorial sur la santé de la population. Pour un avenir en santé. Deuxième rapport sur la santé de la population canadienne. Ottawa : Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux; 1999.
  5. a,b,c,d,e,f Santé Canada et Commission de contrôle de l’énergie atomique. Évaluation et gestion des risques de cancer associés aux rayonnements ionisants et aux agents chimiques. Ottawa : Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux; 1998.
  6. ^ Santé Canada. Votre santé et vous. URL : http://www.hc-sc.gc.ca/hl-vs/iyh-vsv/index-fra.php

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