Huiles moteur usées - rapport de suivi pour la liste des substances d'intérêt prioritaire : chapitre 5
5. Évaluation de caractère « toxique » au sens de la LCPE 1999
L'évaluation du risque que pose une substance figurant sur la Liste des substances d'intérêt prioritaire pour l'environnement se fonde sur les méthodes exposées dans Environnement Canada (1997). L'analyse des voies d'exposition, puis la détermination du récepteur sensible servent à sélectionner les paramètres de mesure pour l'évaluation environnementale (par exemple, effets négatifs sur la reproduction d'espèces sensibles de poissons dans une communauté). Pour chaque paramètre, on choisit une valeur estimée prudente de l'exposition (VEE) et on détermine une valeur estimée sans effet observé (VESEO), en divisant la valeur critique de la toxicité (VCT) par un coefficient. On calcule pour chacun des paramètres de l'évaluation un quotient prudent ou très prudent (VEE/VESEO), afin de déterminer s'il existe ou non un éventuel risque écologique au Canada. Si ces quotients sont inférieurs à un, on peut en conclure que la substance ne pose pas de risque important pour l'environnement, et l'évaluation du risque se termine là. Si, cependant, le quotient est supérieur à un, il faut procéder, pour ce paramètre, à une analyse dans laquelle on pose des hypothèses plus réalistes et on examine la probabilité et l'ampleur des effets. Dans ce dernier cas, on tient davantage compte des causes de variabilité et d'incertitude dans l'analyse du risque.
5.1 Paramètres de l'évaluation
Pour choisir les paramètres de l'évaluation environnementale, on a analysé les voies d'exposition aux huiles moteur usées (HMU) et ensuite identifié les récepteurs sensibles. Dans cette évaluation, les paramètres de l'évaluation présentant de l'intérêt ont été les effets nocifs sur les populations d'espèces benthiques.
5.2 Caractérisation du risque pour l'environnement
5.2.1 Utilisation comme dépoussiérant et rejet dans le sol
Ces scénarios comportent le rejet direct de HMU sur les routes et dans le sol. Puisque les fuites d'huiles moteur sont un rejet direct sur les routes, les nouvelles données sur les effets et l'exposition dus à cette source serviront de substituts pour les scénarios relatifs à l'utilisation comme dépoussiérant et au rejet dans le sol. Aussi, le pyrène, le fluoranthène et le phénanthrène seront considérés comme les constituants représentatifs des HMU pour déterminer si ces dernières ont un effet nocif sur l'environnement canadien au sens de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999) [LCPE 1999].
D'après Landrum et al. (1991), sur le terrain, le mode d'action toxique des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) en mélange est additif, et il n'existe aucune preuve évidente de synergisme ou d'antagonisme. Par conséquent, la concentration molaire d'un HAP (p. ex., le pyrène) produisant un effet toxique ne change pas, que ce HAP (le pyrène) soit la seule substance présente dans le sédiment ou qu'il fasse partie d'un mélange d'autres HAP dans le sédiment (Environnement Canada, 1999). La toxicité d'une substance complexe peut être déterminée en identifiant les constituants dont les modes d'action sont semblables et en calculant leur toxicité collective (Environnement Canada, 1997). Par conséquent, la fraction de la concentration (VEE) et de la toxicité (VESEO) de chaque constituant est calculée séparément et exprimée en unité de toxicité. Les unités de toxicité pour le pyrène, le fluoranthène et le phénanthrène sont ensuite additionnées pour déterminer la toxicité totale de ces HAP dans les HMU.
5.2.1.1 Analyse du risque pour le pyrène, le fluoranthène et le phénanthrène, et toxicité totale
On a constaté que le pyrène, le fluoranthène et le phénanthrène présents dans les sédiments du fleuve Saint-Laurent provenaient des HMU. La valeur prudente de la VEE pour les organismes benthiques est de 0,872 µg/g pour le pyrène, de 1,238 µg/g pour le fluoranthène et de 1,020 µg/g pour le phénanthrène; il s'agit de la plus forte concentration de ces HAP provenant des HMU (voir le tableau 1) (Abrajano, 2000).
L'organisme d'eau douce le plus sensible mentionné dans les publications est l'amphipode benthique Hyalella azteca, pour lequel on a observé une mortalité de 95 % chez des adultes mâles matures à la suite d'un essai de toxicité des sédiments de 28 jours au cours duquel on a utilisé des sédiments de terrain contenant du pyrène à une concentration de 0,083 µg /g de poids sec (Ingersoll et al., 1993). Cette valeur est considérée comme la VCT. La VESEO est calculée en divisant la VCT par un coefficient de 10 pour tenir compte de la variabilité inter et intraspécifique, de l'incertitude que comporte l'extrapolation de l'effet de mortalité à 95% à une concentration sans effet observé (CSEO), et de l'extrapolation des conditions en laboratoire à celles sur le terrain. Un autre coefficient de 10 a été utilisé pour tenir compte de la présence d'autres constituants des HMU. Si l'on divise la VCT (0,083 µg/g de poids sec) par le coefficient final de 100, on obtient une VESEO de 0,000 83 µg/g. Le quotient prudent pour le pyrène, le fluoranthène et le phénanthrène est calculé en divisant la VEE par la VESEO pour chacun des trois HAP. Le tableau 2 indique comment se fait l'analyse de ce risque.
HAP | VEE (µg/g de poids sec dans les sédiments) | VCT (µg/g de poids sec) | Coefficients de : variation inter et intraspécifique; mortalité de 95 % à la CSEO; conditions en laboratoire à celles sur le terrain | Coffefficients : autres constituants des HMU | VESEO (µg/g de poids sec) | Quotient (VEE/VESEO) |
---|---|---|---|---|---|---|
Pyrène | 0,872 | 0,083 | 10 | 10 | 0,00083 | 1 051 |
Fluoranthène | 1,238 | 0,083 | 10 | 10 | 0,00083 | 1 492 |
Phénanthrène | 1,020 | 0,050 | 10 | 10 | 0,00050 | 2 040 |
Toxicité totale | sans objet (s.o.) | s.o. | s.o. | s.o. | s.o. | 4 583 |
5.2.2 Re-raffinage
Pour ce scénario, on n'a pas relevé de données de surveillance ni sur les effets, mais on peut s'attendre à ce que les eaux usées et les déchets solides des usines de re-raffinage contiennent des métaux à l'état de traces, des phénols dissous, des solvants chlorés, des HAP et d'autres composés organiques ainsi que de l'huile en suspension ou émulsifiée (United States Environmental Protection Agency (U.S. EPA), 1974; Surprenant et al., 1983; Franklin Associates Ltd., 1985). Puisque les HAP comme le pyrène, le fluoranthène et le phénanthrène sont probablement d'importants constituants des HMU et s'ils sont rejetés dans l'effluent, il est possible que ce dernier ait des effets directs sur l'endofaune et occasionne un changement dans la diversité des espèces.
5.2.3 Utilisation comme combustible
Les émissions de métaux lourds et de HAP produites par les appareils de chauffage commerciaux sont réglementées par la plupart des instances provinciales et territoriales (voir l'annexe A), mais les petits appareils de chauffage d'appoint fonctionnant à l'huile qui ne sont pas bien entretenus et sont donc à l'origine des émissions de métaux lourds et de HAP dans l'environnement suscitent des inquiétudes. En 1994, une enquête à l'échelle provinciale portant sur les appareils de chauffage d'appoint (les chaudières utilisant du combustible dérivé des déchets) a révélé que 352 appareils sur 422 (soit 83 %) n'étaient pas conformes au règlement pris par le ministère ontarien de l'Environnement et de l'Énergie en vertu de la Loi sur la protection de l'environnement (MOEE, 1995). L'enquête a aussi indiqué que les 52 incinérateurs de l'est de l'Ontario utilisant un combustible dérivé des déchets n'étaient pas conformes (MOEE, 1994). Les raisons de la non-conformité comprenaient le refus de la demande d'un certificat d'approbation, le fardeau de la paperasse et le manque d'entretien des appareils de chauffage d'appoint. Il s'est dégagé des discussions avec les contacts provinciaux qu'il semble probablement y avoir quelques milliers de ces appareils utilisés au Canada, surtout dans les stations-service où se fait la vidange d'huile. À l'échelle du pays, on ne sait pas dans quelle proportion ces appareils sont conformes. Il a été établi que le pyrène, le fluoranthène et le phénanthrène retrouvés dans l'Arctique provenaient surtout de la combustion de l'huile, du charbon et du bois (Barrie et al., 1997). Il est donc possible que les appareils de chauffage aux HMU qui ne sont pas bien entretenus contribuent à la présence de HAP dans l'Arctique (Jensen et al., 1997).
5.2.4 Le point sur les initiatives provinciales, territoriales et fédérales au Canada concernant les huiles moteur usées
Les préoccupations au sujet du danger que présentent les HMU se sont traduites par diverses initiatives gouvernementales, que ce soient des directives ou des règlements, mises en œuvre au Canada et ailleurs dans le monde afin de réduire les rejets de HMU dans l'environnement (voir les annexes annexeA et annexeC).
Les renseignements en provenance d'autres instances indiquent que la réduction des rejets de HMU dans l'environnement est une question importante. En général, les huiles usées (y compris les HMU) sont un sujet d'inquiétude pour les gouvernements provinciaux, territoriaux, autochtones et fédéral. Le Conseil canadien des ministres de l'Environnement (CCME) a élaboré des directives visant à réglementer les huiles usées, y compris les HMU. Sur la scène internationale, le Canada, en qualité de signataire de la Convention de Bâle, a convenu de contrôler le mouvement des huiles usées, y compris les HMU, considérées dangereuses, afin de protéger la santé humaine et l'environnement. Le Règlement sur l'exportation et l'importation des déchets dangereux a permis au Canada de ratifier la Convention de Bâle et de satisfaire aux conditions de la décision finale (92)39 du Conseil de l'Organisation de coopération et de développement économiques concernant le contrôle des mouvements transfrontaliers des déchets destinés à la récupération (voir l'annexe C). Les principales raisons de l'établissement de contrôles étaient les quantités lixiviables de plomb, de HAP et d'hydrocarbures chlorés présentes dans les huiles usées, compte tenu en particulier des importantes quantités de ces huiles en circulation (Wittwer, 2000).
5.2.5 Autres substances « toxiques » au sens de la LCPE
Les substances suivantes figurent à l'annexe 1 de la LCPE 1999 (Liste des substances toxiques) et sont des constituants des HMU : l'arsenic et ses composés; le benzène; le cadmium; le chrome et ses composés; le nickel inorganique acide, sulfuré et soluble, et les HAP. La plupart de ces substances ont été jugées « toxiques » au sens de la LCPE en raison des effets produits sur des organismes sensibles qui avaient été exposés à ces composés dans l'eau ou les sédiments. En particulier, le Rapport d'évaluation des HAP (Gouvernement du Canada, 1994b) a indiqué que le changement dans la biodiversité de l'endofaune était l'une des raisons de conclure que ces substances étaient « toxiques » au sens de la LCPE. On retrouve aussi dans les HMU d'autres substances figurant à l'annexe 1 de la LCPE : le plomb (provenant d'une perte de gaz due à l'usure normale du moteur à essence et contenu dans un additif, le naphthénate de plomb), le trichloroéthylène, le tétrachloroéthylène, le trichloro-1,1,1 éthane et les biphényles polychlorés (BPC) (qui sont des contaminants résultant des activités de collecte). La présence de toutes ces substances dans les HMU contribue probablement à la toxicité de ces dernières (Maltby et al., 1995b).
5.3 Sources d'incertitude
Plusieurs sources d'incertitude sont liées à l'évaluation environnementale des HMU. En raison des nombreuses voies possibles de pénétration des HMU dans l'environnement, les concentrations de ces substances dans certaines régions du Canada pourraient être plus élevées que celles enregistrées. Les concentrations de pyrène, de fluoranthène et de phénanthrène dont on a dit qu'elles étaient dues aux HMU ont servi à démontrer la présence de HMU dans les sédiments. Bien que ces HAP proviennent des HMU, on se demande si les carters sont seuls à l'origine de ces substances ou si d'autres sources entrent en jeu, comme les dépôts atmosphériques, les sources de combustion utilisant des HMU comme combustibles ou les émissions de HMU contenues dans les gaz d'échappement des automobiles. Aucune étude de toxicité aiguë ou chronique de l'ensemble des HMU sur les organismes benthiques n'a été effectuée. Par conséquent, la toxicité pour les organismes benthiques du pyrène, du fluoranthène et du phénanthrène, qui sont des constituants des HMU, a été substituée à la toxicité de l'ensemble des HMU. L'extrapolation des données disponibles sur la toxicité aux effets écosystémiques potentiels comporte de l'incertitude. Pour tenir compte des incertitudes liées à l'extrapolation, on a utilisé, dans l'analyse du risque pour l'environnement, des coefficients pour calculer une VESEO.
5.4 Conclusion
À la lumière des résultats de l'analyse des données publiées de 1993 à 2000 au sujet de l'exposition aux HMU et de leurs effets sur les écosystèmes aquatiques, on conclut que les HMU pénètrent dans l'environnement en une quantité ou concentration ou dans des conditions de nature à avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l'environnement ou sur la diversité biologique. En conséquence, les HMU sont considérées « toxiques » au sens de l'alinéa 64a) de la LCPE 1999.
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