Les expériences des nouveaux Canadiens sur le plan du logement : d’après l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (ELIC)
3. Passage de locataire à propriétaire
Ainsi qu’il a été mentionné plus tôt dans le présent rapport, c’est la Chicago School of Sociology qui a introduit, il y a environ 80 années, le concept théorique de l’assimilation dans le cadre de la recherche sur l’immigration; cette théorie ne permettant pas d’expliquer de nombreux résultats, des chercheurs ont ensuite introduit la théorie de la stratification dans le but de compléter, voire même de remplacer la proposition originale. De nos jours, les travaux sur les immigrants comparent le bien-fondé de ces deux concepts. Au Canada, c’est le terme « intégration » qui est généralement utilisé de préférence à « assimilation ».
Bien qu’elles soient faciles à saisir sur le plan théorique, les définitions opérationnelles de l’intégration et de la stratification sont plus difficiles à cerner. La convergence économique des immigrants et de la société hôte, et la persistance des différences sociales et culturelles témoignent-elles d’une intégration ou d’une stratification? Que faut-il penser lorsqu’un individu ne peut être distingué d’un certain groupe de la population (comme celui dont le faible revenu est chronique), mais qu’il peut facilement être reconnu dans la société? Un groupe est-il intégré lorsque ses membres réussissent très bien sur le plan économique, mais qu’ils vivent dans une enclave ethnique?
Ce sont là des questions auxquelles il est difficile de répondre et aux fins du présent rapport, la définition fournie par Alba et Nee s’avère pratique. Ils définissent l’assimilation (et, aux fins du présent rapport, l’intégration) comme la participation paritaire aux grandes institutions socioéconomiques (p. ex. le marché du travail) des membres de groupes minoritaires et des membres des groupes ethniques majoritaires d’origines similaires sur le plan socioéconomique (Alba et Nee 1997); en revanche, la stratification se fonde habituellement sur des caractéristiques physiques comme la couleur de la peau ou d’autres facteurs tels que le lieu d’origine.
Étant donné que près des deux tiers des ménages au Canada sont propriétaires de leur logement (Haan, 2005), on s’attendre à ce que la majorité des immigrants qui se seront bien intégrés feront éventuellement l’acquisition de leur propre résidence. Cela ne veut pas dire que chacun des répondants à l’ELIC achètera une propriété, mais qu’environ les deux tiers d’entre eux voudront et pourront le faire. Ils pourront ainsi habiter un logement qui ressemble à ceux des membres de la société hôte et auront un meilleur accès aux commodités (parcs, écoles, centres communautaires, etc.) qui se trouvent plus souvent dans des quartiers principalement constitués de logements occupés par les propriétaires. À ce titre, il s’agit d’un bon indicateur de l’intégration au sein de la société canadienne.
Comme nous l’avons vu plus tôt dans le présent rapport, l’ELIC révèle que le taux de propriétaires-occupants porte généralement à penser que l’intégration est rapide. D’autres preuves à cet égard viennent de répondants à l’ELIC eux-mêmes, dont la grande majorité a dit après six mois qu’ils prévoyaient acheter une résidence au cours des prochaines années. Plus de la moitié des répondants qui n’étaient pas encore propriétaires ont dit prévoir acheter une demeure au cours des prochaines années. Cela ne signifie pas que le désir d’accéder à la propriété est pour autant partagé par tous les immigrants, mais il est profond. De fait, seule une personne sur sept a explicitement déclaré ne pas avoir l’intention d’acheter une propriété, ce qui porte à croire que le taux d’accession à la propriété de l’échantillon de l’ELIC pourra, un jour, être aussi élevé sinon supérieur à celui de l’ensemble de la population canadienne (68,4 % selon le recensement de 2006).
Comme le révèle le présent rapport, l’accès rapide à la propriété ne se traduit pas par des taux identiques de propriété pour tous les groupes d’immigrants. En se fondant sur la définition d’Alba et Nee présentée plus haut, on peut se demander si les écarts sont le fait de la faible participation de certains, des ressources différentes consacrées à l’accession à la propriété (ou « capital logement ») ou encore des préférences différentes.
Dans le reste de la présente partie, nous illustrons d’abord les trajectoires globales d’accession à la propriété, et ventilons ensuite les résultats selon l’appartenance à une minorité visible. Par la suite, nous présentons les résultats obtenus à l’aide de plusieurs modèles logistiques de régression et les utilisons pour créer des schémas de probabilité de l’accession à la propriété au cours des quatre premières années. Ces schémas servent à exposer des trajectoires « normalisées » et permettent d’évaluer les réalisations qui auraient pu être favorisées, au fil du temps, si tous les répondants de l’ELIC bénéficiaient des mêmes conditions : accès au crédit, patrimoine à l’arrivée, revenu, perspectives d’emploi, etc. Enfin, les changements de situation (obtenir un meilleur emploi, acquérir la citoyenneté, etc.) sont pris en compte par rapport au logement.
La section 2 du présent rapport a fait ressortir des différences selon la région métropolitaine de recensement (RMR), la catégorie d’admission, l’appartenance à une minorité visible, l’âge et de nombreux autres facteurs, et nous chercherons ici à expliquer les différences entre les taux d’accession à la propriété des catégories de minorités visibles. Les caractéristiques qui distinguent les immigrants sur le marché canadien du logement sont nombreuses, mais il est particulièrement important d’examiner l’appartenance à une minorité visible. Tout d’abord, en tant que pays fier de son multiculturalisme et de son acceptation de la diversité, le Canada devrait permettre aux immigrants d’évoluer sur le marché du logement sans être freinés par la discrimination. Cela étant dit, l’analyse théorique présentée à la section 1 met au jour des écarts inexpliqués entre les groupes de minorités visibles, écarts qui sont un indicateur clé de la stratification d’un marché du logement; il importe donc de vérifier, sur le plan des droits de la personne, si la preuve de cette stratification résiste à une analyse plus approfondie.
Dans un marché du logement égalitaire, les écarts entre les résultats descriptifs présentés au tableau 2-8 devraient être la cause directe de caractéristiques pertinentes à l’accession à la propriété : structure familiale, réussite sur le marché du travail, capacité financière, etc. Une preuve contraire tend à indiquer l’existence d’un marché du logement stratifié, qui se manifeste par des écarts persistants entre les groupes.
La figure 3-1 illustre la rapidité avec laquelle les immigrants sont devenus propriétaires.
Figure 3-1 : Nombre de mois nécessaires aux immigrants pour accéder à un logement à titre de propriétaire-occupant, ELIC

La figure 3-1 indique qu’environ 8 % des répondants échantillonnés qui ont fait l’acquisition d’une propriété durant la période d’observation l’ont fait dès leur arrivée. Une augmentation assez lente caractérise les quatre années suivantes, de sorte que, à la vague 3, plus de la moitié de tous les immigrants faisant partie de l’échantillon de l’ELIC habitent dans des logements à titre de propriétaires-occupantsNote de bas de page 18. Comme c’est souvent le cas avec les tendances globales comme celle illustrée à la figure 3-1, certaines variations ne sont pas visibles en surface (figures 3-2 et 3-3)Note de bas de page 19. Les minorités visibles sont divisées en deux groupes pour mieux faire ressortir les différences qui existent au niveau des chiffres entre ces groupes.
Selon la figure 3-2, ce sont les Philippins et les Sud-Asiatiques dont les taux d’accession à la propriété sont les plus élevés, soit 10 % à l’arrivée, une avance qu’ils sont en mesure de conserver et d’améliorer au cours des quatre années suivantes. Ils sont suivis par les immigrants chinois, latino-américains, et noirs. Le taux d’accession (ou la pente de ces lignes) dans la figure 3-2 semble être assez semblable pour l’ensemble des groupes sauf les Noirs, dont la trajectoire d’accession est plus faible que celle des quatre autres groupes.
Figure 3-2 : Trajectoires d’accession à la propriété pour les immigrants chinois, sud-asiatiques, noirs, philippins et latino-américains durant les quatre années suivant leur arrivée, ELIC

Figure 3-3 : Trajectoires d’accession à la propriété pour les immigrants asiatiques du sud-est, arabes, asiatiques occidentaux, blancs et d’autres minorités visibles durant les quatre années suivant leur arrivée, ELIC

On observe, à la figure 3-3, un modèle similaire de différenciation entre les groupes. Ici, durant la période d’observation, ce sont les Coréens, les Blancs et d’autres minorités visibles qui ont les taux d’accession les plus élevés; les Arabes et les Asiatiques occidentaux ont, quant à eux, les plus faibles taux. Ces différences se manifestent dès l’entrée, la seule exception étant les Coréens qui commencent leur vie au Canada avec des taux d’accession à la propriété peu élevés, mais qui se reprennent rapidement et dépassent tous les autres groupes dans les figures 3-2 et 3-3; leurs taux d’accession à la propriété s’élèvent à plus de 70 % après environ quatre années au Canada.
En résumé, ces chiffres indiquent clairement que certains groupes deviennent rapidement propriétaires; leurs taux d’accession s’approchent ou même dépassent la moyenne nationale après seulement quatre ans. Bien que cette tendance se manifeste au sein de plusieurs groupes, les « champions » des acquéreurs sont les Philippins, les Coréens, les Sud-Asiatiques, les Blancs et les autres minorités visibles; chacun de ces groupes frôle ou dépasse les 60 % à la vague 3. À l’autre extrémité du spectre, on retrouve les Arabes, les Noirs et les Asiatiques occidentaux, dont les taux d’accession à la propriété sont d’environ la moitié.
Toutefois, la question demeure quant à savoir à quel point ces différences démontrent une stratification (définie comme étant une absence de participation aux grandes institutions, selon des caractéristiques physiques externes). Bien qu’il soit certes possible que certains groupes se heurtent à la discrimination sur le marché du logement, en raison de leurs caractéristiques culturelles ou physiques, il ne s’agit pas de la seule explication. Il pourrait exister des différences entre les ressources nécessaires à l’accès à la propriété, telles que le revenu, le crédit et un emploi stable. Par ailleurs, certains groupes de minorités ayant des convictions et principes différents pourraient s’y prendre autrement pour amasser les ressources nécessaires à l’achat d’une propriété. Ou encore, certains groupes pourraient, de façon disproportionnée, se trouver dans des villes où les convictions diffèrent quant à l’importance d’être propriétaire plutôt que locataire (comme Montréal) (Choko 1987). Il est aussi possible que des expériences discriminatoires, le cas échéant, soient vécues sur le marché du travail et qu’elles se manifestent dans les figures 3-2 et 3.3, en raison du lien étroit qui existe entre le logement et la réussite sur le marché du travail. Toutes ces possibilités, ainsi que plusieurs autres, expliqueraient les différences observées ci-dessus, mais elles ne témoigneraient pas d’une stratification qui prend naissance dans le marché du logement.
3.3 Explication des différences entre les groupes de minorités visiblesNote de bas de page 20
La majorité des chercheurs en immigration ont supposé une convergence régulière et assez linéaire vers la population née dans le paysNote de bas de page 21, laissant penser qu’il ne devrait, le cas échéant, exister que très peu de différences entre les immigrants et l’ensemble de la population — et entre les sous-groupes d’immigrants — qui ne pourraient s’expliquer par les caractéristiques pertinentes à l’accession à la propriété, comme le revenu, le statut d’emploi, le patrimoine à l’arrivée, etc.
Aujourd’hui, les chercheurs s’attardent davantage aux processus qui amènent, de diverses façons, les immigrants à s’intégrer à leur société hôte. Bien que la tendance à l’accession à la propriété est permanente chez la population canadienne, il existe des différences importantes entre groupes; les Arabes, les Noirs et les Asiatiques occidentaux affichent des taux d’accession à la propriété correspondant à environ la moitié de ceux que les Chinois, les Philippins et les Coréens sont en mesure d’atteindre après quatre ans. Des recherches antérieures (Haan, 2007; Skaburskis, 1996) montrent, en outre, que les différences dans les trajectoires d’accession à la propriété qui se manifestent au cours des premières années au sein d’un groupe d’immigrants persistent en s’accentuant; ainsi, les groupes qui ne deviennent pas rapidement propriétaires ne rattrapent jamais complètement ceux qui le deviennent.
En raison des questions d’ordre politique que soulèvent ces écarts, il importe d’en analyser plus en profondeur les raisons. Les trajectoires divergentes sont-elles le résultat d’insuccès sur le marché du travail? Ceux qui achètent des résidences rapidement vivent-ils avec des membres de leur famille élargie? Possèdent-ils un patrimoine à leur arrivée au pays? Les autres ne souhaitent-ils tout simplement pas devenir propriétaires? Ce n’est que lorsque de telles questions auront trouvé réponse qu’il sera possible d’adopter une orientation politique claire.
Il est uniquement possible de déterminer dans quelle mesure les différences observées dans les profils d’accession (figures 3-2 et 3-3) découlent du traitement différentiel sur le marché du logement en ajustant les caractéristiques pertinentes à l’accession à la propriété que partagent tous les répondants à l’ELIC et les divers groupes.
Dans la présente section, les trajectoires sont ajustées selon les différences ayant trait aux ressources pertinentes à l’accession à la propriété. Ainsi, nous évaluons une série de régressions logistiques, une pour chaque vague (ainsi qu’au moment de l’entrée), et utilisons ces données pour établir des probabilités d’accession à la propriété pour chaque groupe, en gardant les autres aspects constants. Ces régressions incluent un certain nombre de caractéristiques : caractéristiques socio-démographiques, structure du ménage, capital humain, caractéristiques géographiques, catégorie d’entrée, limites sur le plan du crédit, patrimoine à l’arrivée, aide reçue et caractéristiques du marché du travail. Un aspect clé de l’analyse est la façon dont ces facteurs affectent l’importance statistique du vecteur des indicateurs des minorités visibles, lesquels établissent les différences entre les schèmes d’accession à la propriété qui ne sont pas expliqués par d’autres variables.
Le tableau 3-1 ci-dessous renferme de l’information sur le codage et des moyennes de l’échantillons pour les variables utilisées dans les modèles de régressionNote de bas de page 22.
Tableau 3-1 : Description et codage des variables
Variables | Moyenne | |
---|---|---|
Variable dépendante | ||
Propriétaire | D | 0,51 |
Caractéristiques socio-démographiques | ||
Âge | C | 35,01 |
Arrivée du conjoint avant le répondant | D | 0,13 |
Nombre d’enfants | C | 0,93 |
Caractéristiques du ménage | ||
Famille multiple | D | 0,10 |
Personne vivant seule | D | 0,06 |
Personne vivant avec d’autres individus non apparentés | D | 0,01 |
Famille vivant avec d’autres individus non apparentés | D | 0,05 |
Famille vivant seule | CR | 0,77 |
Caractéristiques du capital humain | ||
Études secondaires partielles | CR | 0,02 |
Diplôme d’études secondaires | D | 0,12 |
Études dans une école de métiers, études collégiales ou études universitaires partielles | D | 0,31 |
Baccalauréat ou études supérieures | D | 0,55 |
Indicateurs – RMR | ||
Toronto | D | 0,42 |
Montréal | D | 0,14 |
Vancouver | D | 0,15 |
Ailleurs au Canada | CR | 0,29 |
Indicateurs – Minorité visible | ||
Chinois | D | 0,21 |
Asiatiques du sud | D | 0,26 |
Noirs | D | 0,05 |
Philippins | D | 0,07 |
Coréens | D | 0,04 |
Latino-Américains | D | 0,03 |
Arabes | D | 0,06 |
Asiatiques occidentaux | D | 0,05 |
Blancs | CR | 0,21 |
Autres minorités visibles | D | 0,02 |
Région d’origine | ||
Afrique et Moyen-Orient | D | 0,13 |
Asie et Pacifique | D | 0,64 |
Amérique du Sud et Amérique centrale | D | 0,03 |
Europe et Royaume-Uni | CR | 0,15 |
Autres régions du monde | D | 0,05 |
Limites sur le plan du crédit | ||
Économies réalisées | D | 0,74 |
Richesse à l’arrivée au pays (consignée) | C | 10,92 |
Religion | ||
Catholique | D | 0,19 |
Protestant | D | 0,13 |
Orthodoxe | D | 0,07 |
Juif | D | 0,01 |
Musulman | D | 0,19 |
Religions orientales | D | 0,18 |
Aucune appartenance religieuse | CR | 0,23 |
Aide reçue | ||
Conseils en matière de logement | D | 0,01 |
Caractéristiques du marché du travail | ||
Nombre d’emplois | C | 1,18 |
Revenu (consigné) | C | 10,20 |
Raison principale de l’établissement au Canada : études | D | 0,10 |
Emploi à plein temps | C | 0,56 |
Conjoint - emploi à plein temps | D | 0,49 |
Titres de compétence non reconnus | D | 0,03 |
Catégorie d’admission | ||
Réfugiés | D | 0,06 |
Immigrants économiques – Demandeurs principaux | D | 0,35 |
Immigrants économiques – Conjoint et personnes à charge | D | 0,25 |
Autres immigrants économiques | D | 0,06 |
Catégorie du regroupement familial | CR | 0,28 |
Note : « C » désigne des variables continues, « D » = désigne des variables dichotomiques, et « CR » = signifie catégorie de référence
Note : Les résultats des variables qui varient au fil du temps (telles que l’âge et le revenu) sont indiqués pour la vague 3.
Note : Les résultats des variables qui varient au fil du temps (telles que l’âge, l’accès à la propriété et le revenu) sont indiqués pour la vague 3.
Chaque nombre correspond à la proportion de la population de chaque catégorie. Par exemple « 0,51 » pour les propriétaires signifie que 51 % des répondants étaient propriétaires avant la vague 3.
Les caractéristiques socio-démographiques comprennent l’âge, l’arrivée du conjoint avant le répondant ainsi que le nombre d’enfants. Cette information est tirée de la vague de données servant à obtenir les résultats de régression. Ainsi, il est possible que, pour un même répondant, l’information diffère d’une vague à l’autre (comme ce serait le cas avec l’arrivée d’un autre enfant).
De même, les caractéristiques du capital humain, la région métropolitaine de recensement (RMR), la religion, l’aide reçue et la plupart des caractéristiques liées au marché du travail (sauf si la raison principale de la venue au Canada est de poursuivre des études) peuvent toutes changer d’une vague à l’autre. Ainsi, chacune de ces caractéristiques témoigne de la réponse d’un individu pour la vague où les régressions sont évaluées. En ce qui a trait à l’appartenance à une minorité visible, la catégorie d’entrée, les limites en matière de crédit et la raison principale de la venue au Canada et les réponses individuelles sont les mêmes pour chaque vague.
Chacune de ces variables diffère probablement pour les membres des divers groupes de minorités visibles et pourrait, par conséquent, expliquer en partie les écarts qui existent à un moment précis ainsi que les écarts relatifs à l’accession éventuelle à la propriété. Les coefficients des minorités visibles, qui indiquent la différence entre un groupe donné et le groupe témoin (Blancs), devraient diminuer en profondeur et en importance avec l’introduction de contrôles, ce qui aura pour effet d’égaliser les écarts en matière d’accession et d’expliquer les différences non ajustées et qui ont été observées aux figures 3-2 et 3-3.
Dans le tableau 3-2, les résultats de régression sont présentés selon quatre modèles distinctsNote de bas de page 23 : au moment de l’entrée, six mois plus tard, deux ans plus tard et quatre ans plus tard. Chaque modèle de régression logistique représente les prévisions d’accession à la propriété à un moment précis. Le premier modèle traite de l’accession à la propriété au cours du premier mois suivant l’arrivée et permet d’établir qui achète immédiatement une propriété; il est suivi d’un modèle additionnel pour chacune des trois autres vagues. Les résultats de la régression concernant les tendances d’accession à la propriété au moment de l’arrivée au pays s’appliquent essentiellement à une vague « synthétique » de l’ELIC, générée à l’aide de renseignements rétrospectifs provenant de la vague 1. Ainsi, ils contiennent moins d’information que les régressions pour les vagues 1 à 3, mais ils s’avèrent utiles en ce qu’ils illustrent les tendances d’accès à la propriété au moment de l’arrivéeNote de bas de page 24.
Tableau 3-2 : Résultats de la régression logistique pour les répondants de l’ELIC propriétaires de résidence
Variables | Vague « 0 » | Vague 1 | Vague 2 | Vague 3 | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Probabilité | Groupe d’intérêt | Probabilité | Groupe d’intérêt | Probabilité | Groupe d’intérêt | Probabilité | Groupe d’intérêt | |
Chinois | 0,669 | ** | 0,498 | *** | 0,644 | *** | 0,571 | *** |
Sud-Asiatiques | 0,544 | *** | 0,378 | *** | 0,666 | *** | 0,796 | * |
Noirs | 0,545 | ** | 0,347 | *** | 0,607 | ** | 0,466 | *** |
Philippins | 0,43 | *** | 0,285 | *** | 0,385 | *** | 0,517 | *** |
Coréens | 0,271 | *** | 0,318 | *** | 0,623 | ** | 0,618 | ** |
Latino-Américains | 0,539 | * | 0,432 | *** | 0,69 | * | 0,876 | |
Arabes | 0,574 | * | 0,374 | *** | 0,344 | *** | 0,499 | *** |
Asiatiques occidentaux | 0,756 | 0,604 | * | 0,775 | 1,052 | |||
Autres immigrants | 0,971 | 0,697 | 0,92 | 0,775 | ||||
Âge | 1,015 | *** | 1,013 | *** | 1,009 | *** | 1,006 | * |
Études secondaires | 1,061 | 0,953 | 0,761 | ** | 0,923 | |||
Études postsecondaires | 0,805 | 0,978 | 1,084 | 0,969 | ||||
Études universitaires | 0,715 | ** | 0,937 | 0,873 | 0,884 | |||
Nombre d’enfants | 0,959 | 1,059 | 1,074 | * | ||||
Arrivée du conjoint avant le répondant | 0,809 | * | 0,836 | 0,89 | 1,086 | |||
Familles multiples | 4,696 | *** | 3,788 | *** | 2,847 | *** | ||
Personne vivant seule | 0,593 | ** | 0,242 | *** | 0,2 | *** | ||
Personne vivant avec d’autres individus non apparentés | 1,112 | 0,314 | *** | 0,26 | *** | |||
Famille vivant avec d’autres individus non apparentés | 3,604 | *** | 1,896 | *** | 1,805 | *** | ||
Catholique | 1,297 | 1,573 | *** | 1,752 | *** | 1,736 | *** | |
Protestant | 1,368 | * | 1,95 | *** | 2,072 | *** | 1,85 | *** |
Orthodoxe | 0,489 | *** | 0,355 | *** | 0,685 | * | 0,739 | * |
Juif | 0,452 | 0,744 | 1,857 | * | 1,442 | |||
Musulman | 0,579 | ** | 0,653 | * | 0,931 | 0,802 | ||
Religions orientales | 1,219 | 1,343 | 1,136 | 1,112 | ||||
Nombre d’emplois | 0,86 | ** | 1,005 | 0,953 | ||||
Revenu (consigné) | 1,013 | 1,002 | 1,039 | ** | ||||
Raison principale de l’établissement au Canada : études | 0,732 | * | 1,106 | 1,188 | 1,147 | |||
Emploi à plein temps | 0,789 | * | 1,103 | 1,263 | *** | |||
Conjoint – emploi à plein temps | 0,977 | 1,182 | ** | 1,34 | *** | |||
Titres de compétence non reconnus | 0,641 | * | 0,827 | 0,589 | *** | |||
Économies | 0,792 | 2,418 | *** | 2,91 | *** | 2,839 | *** | |
Richesse à l’arrivée au pays (consignée) | 1,03 | 1,232 | *** | 1,232 | *** | 1,202 | *** | |
Réfugiés | 0,046 | *** | 0,065 | *** | 0,082 | *** | 0,215 | *** |
Immigrants économiques – Demandeurs principaux | 0,148 | *** | 0,204 | *** | 0,446 | *** | 0,76 | ** |
Immigrants économiques – Conjoint et personnes à charge | 0,149 | *** | 0,242 | *** | 0,507 | *** | 0,814 | * |
Autres immigrants économiques | 0,529 | *** | 0,935 | 1,606 | *** | 1,897 | *** | |
Toronto | 0,819 | * | 0,693 | *** | 0,64 | *** | 0,678 | *** |
Montréal | 0,237 | *** | 0,223 | *** | 0,233 | *** | 0,236 | *** |
Vancouver | 0,63 | *** | 0,602 | *** | 0,547 | *** | 0,551 | *** |
Conseils reçus en matière de logement | 0,802 | 1,341 | 0,97 | |||||
Critère d’information bayesien | 5356 | 6067 | 8538 | 9345 |
Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants au Canada.
À l’arrivée, les indicateurs significatifs sont l’âge, un diplôme d’études universitaires, un conjoint établi au Canada avant le répondant, plusieurs religions, la catégorie d’admission et la RMR de résidence. En plus de ces indicateurs, les coefficients pour les minorités visibles indiquent que la plupart des groupes ont des visées d’accès à la propriété nettement inférieures à celles des immigrants blancs servant de groupe de référence. Seules les catégories des Asiatiques occidentaux et des autres immigrants ne peuvent être distinguées de la catégorie des Blancs à l’arrivée.
Au terme de six mois, avec l’ajout de plusieurs variables, un scénario plus intéressant se dessine. Premièrement, la situation de ceux qui partagent leur logement avec d’autres familles diffère grandement de celles des autres. Les personnes qui vivent seules ont des taux d’accession à la propriété deux fois moins élevés que ceux du groupe de référence (un ménage unifamilial comptant uniquement les époux). En ce qui concerne les logements multifamiliaux (qui englobent les logements unifamiliaux où vivent un ou plusieurs parents) et les logements unifamiliaux où vivent des personnes non apparentées, les taux d’accès à la propriété sont beaucoup plus élevés, ce qui donne à penser que ces formes de cohabitation constituent peut-être une stratégie en vue d’accéder plus vite à la propriété. Certaines différences importantes se manifestent entre les religions, les taux des catholiques et des protestants étant plus élevés que ceux des répondants ne disant appartenir à aucune religion (le groupe de référence), et les taux des musulmans et des chrétiens orthodoxes étant nettement inférieurs à celui du groupe de référence.
En ce qui a trait à l’emploi, le fait d’occuper plusieurs emplois à la fois nuit aux chances d’accéder à la propriété, tout comme le fait d’avoir un emploi à plein temps et celui de ne pas avoir de titres de compétence reconnus. Les résultats se rapportant aux titres de compétence s’expliquent facilement, mais pas les deux autres. Peut-être que le fait d’avoir plus d’un emploi est indicateur de la qualité de ces emplois, et peut-être que le fait d’avoir un emploi à plein temps se compare négativement au fait de ne pas avoir à travailler, qui signifierait qu’on dispose déjà de moyens financiers. Bien que le résultat en ce qui a trait à la reconnaissance des titres de compétence soit intuitif, le résultat se rapportant au nombre d’emplois ne l’est pas. En ce qui concerne le nombre d’emplois, on obtient des résultats significatifs uniquement après six mois, et les coefficients ne révèlent aucune tendance claire, que ce soit vers le haut ou vers le bas. En ce qui a trait au fait de travailler à plein temps, il y a une tendance assez claire en faveur de l’accession à la propriété avec le temps, ce qui témoigne de l’importance d’avoir un emploi stable pour s’acheter une résidence. Il est intéressant de noter que le patrimoine à l’arrivée a un effet important sur l’aptitude à acquérir une propriété à la vague 1, mais pas au moment de l’arrivée. Cela porte à croire que les immigrants attendent peut-être avant d’acheter une résidence même s’ils ont les moyens d’acheter dès leur arrivée.
On constate également d’importantes différences selon la catégorie d’admission, les réfugiés et les immigrants des deux catégories économiques étant peu portés à acquérir une propriété, après des rajustements pour tenir compte d’autres facteurs. Le groupe de référence (catégorie du regroupement familial) affichent les taux les plus élevés; toutefois, un tel résultat est peut-être prévisible étant donné que ces répondants viennent rejoindre des membres de leur famille qui sont déjà établis dans une certaine mesure. Les taux d’accès à la propriété sont plus faibles à Montréal, à Toronto et à Vancouver qu’ailleurs au pays. Il n’est pas possible de déterminer ici dans quelle mesure cela est attribuable à la nature de ces marchés du logement ou à d’autres facteurs qui poussent les immigrants à s’établir à l’extérieur des trois grandes villes. Enfin, d’après le coefficient des conseils en matière de logement, il semble que ces conseils soient trop divers pour créer un impact discernable sur la probabilité d’acheter.
En ce qui concerne les caractéristiques des minorités visibles, la plupart des différences importantes au moment de l’arrivée (la vague 0) existent encore après six mois. En fait, pour tous les groupes ayant des différences importantes sauf les Coréens, l’écart par rapport aux Blancs du groupe de référence devient plus prononcé, ce qui porte à croire que les Blancs ont accédé initialement à la propriété plus rapidement que tout autre groupe.
Quand on passe à la vague 2, bon nombre des tendances relevées à la vague 1 demeurent évidentes. L’âge continue d’avoir un effet favorable sur l’accession à la propriété, la scolarité a encore un effet minimal et le désavantage associé à un faible niveau de scolarité (ne pas détenir au moins un diplôme d’études secondaires) devient évident. L’avantage de venir rejoindre un époux venu plus tôt demeure négligeable. Les quatre types de ménages divergent du groupe de référence de manières intéressantes. En ce qui concerne les logements multifamiliaux et les logements unifamilaux où vivent des personnes non apparentées, les différences par rapport au groupe de référence diminuent, ce qui donne à penser que l’avantage très important conféré initialement par ces stratégies de cohabitation diminue avec le temps. En même temps, ne pas faire partie d’une famille nuit de plus en plus aux répondants : le taux d’accession à la propriété des personnes qui vivent seules ou qui vivent avec des personnes non apparentées est nettement inférieur à celui du groupe de référence.
Les résultats pour les variables liées à l’emploi sont à peu près les mêmes à la vague 2 qu’à la vague 1. L’effet du nombre d’emplois demeure négatif, le fait d’avoir un conjoint qui travaille à temps plein a maintenant une corrélation positive avec l’accession à la propriété. Il est intéressant de noter que même si le revenu continue de n’avoir aucun effet sur l’accès à la propriété, le patrimoine à l’arrivée demeure un facteur significatif.
Après deux années passées au Canada, toutes les catégories d’admission diffèrent de la catégorie du regroupement familial : les réfugiés et les deux catégories de l’immigration économique sont loin derrière le groupe de référence et, pour la première fois, la catégorie des autres immigrants économiques (composée principalement des candidats des provinces) dépasse la catégorie du regroupement familial au chapitre de l’accès à la propriété. Les différences entre les RMR sont à peu près les mêmes et les conseils en matière de logement n’ont aucune incidence sur l’accès à la propriété.
À la vague 0, les taux d’accès à la propriété des Blancs sont nettement plus élevés que ceux de tous les autres groupes, sauf les Asiatiques occidentaux et les autres immigrants, et pour les Coréens, l’écart à la vague 1 se réduit légèrement. À la vague 2, presque tous les groupes (sauf les Arabes) convergent lentement vers les Blancs par rapport à la vague 1.
La plupart des résultats à la vague 2 persistent à la vague 3. L’effet de l’âge s’atténue légèrement, mais demeure important. Le niveau de scolarité continue d’avoir peu d’incidence et le nombre d’enfants a maintenant un effet visiblement positif. Les différences attribuables aux types de ménages (signalés ci-dessus) persistent entre la deuxième et la quatrième année. Peu de changements se dégagent en fonction de la religion, sauf que les effets continuent de diminuer dans la plupart des cas. La situation des juifs ne diffère pas de manière significative du groupe de référence.
À l’instar des résultats de la régression à la vague 2, le fait d’occuper plus d’un emploi continue de n’avoir aucun effet sur l’accession à la propriété et, pour la première fois, le revenu est statistiquement significatif et a l’effet positif prévu. Avoir un conjoint qui travaille est un meilleur indicateur de l’accès à la propriété que le fait que le répondant lui-même travaille.
Ici aussi, le taux d’accès est beaucoup plus faible chez les réfugiés que chez les répondants du groupe de référence (catégorie du regroupement familial), bien que l’écart continue de diminuer. Le taux d’accès des demandeurs principaux et des conjoints et personnes à charge de la catégorie économique est plus faible que celui des répondants de la catégorie du regroupement familial, mais l’écart diminue. Chez les autres immigrants économiques (principalement des candidats des provinces), l’accès à la propriété demeure fort.
Les différences selon les régions géographiques demeurent à peu près les mêmes, ce qui pourrait sembler surprenant compte tenu de l’augmentation des prix à Toronto et à Vancouver durant la période en cause.
En ce qui concerne les minorités visibles, à la vague 3, la convergence ne semble pas se poursuivre. Les répondants chinois, noirs et coréens de l’ELIC perdent du terrain par rapport aux immigrants blancs (le groupe de référence), tandis que les Sud-Asiatiques, les Philippins et les Arabes affichent des gains au chapitre de l’accès à la propriété. Chez les Latinos-Américains, ces gains sont suffisants pour faire en sorte qu’il n’y a plus de différence significative entre eux et les Blancs. La situation des Asiatiques occidentaux et des autres immigrants demeure similaire à celle des immigrants blancs.
Pour ce qui est de l’effet de l’appartenance à une minorité visible sur l’aptitude à acquérir une propriété, les résultats peuvent étayer à la fois les thèses de l’intégration et de la stratification. Un groupe (les Latinos-Américains) qui accusait un retard important sur les Blancs du groupe de référence à la « vague 0 » n’accuse plus aucun retard à la vague 3, si bien qu’il y a désormais trois groupes dont la situation est la même. Par contre, les taux d’accès à la propriété restent plus faibles que ceux des Blancs du groupe de référence dans le cas de cinq groupes. Ainsi, les résultats penchent légèrement en faveur de la thèse d’un marché du logement stratifié, comme l’ont soutenu plusieurs autres chercheurs canadiens (Murdie, 1994; Henry, 1989; Hulchanski, 1997; Skaburskis, 1996).
Toutefois, pour remettre cela en contexte, il est important de signaler que les figures 3-1 et 3-2 indiquent que tous les groupes accèdent à la propriété au cours des quatre premières années, plusieurs groupes atteignant des taux d’accession à la propriété équivalant à ceux des immigrants blancs. Certains groupes semblent donc aller dans le sens contraire de ce que l’on pourrait appeler les forces de la stratification. Par exemple, certains groupes qui choisissent de vivre à plus d’une famille dans une habitation, tels que les Chinois et les Sud-Asiatiques (Yu et Myers, 2007; Haan, 2007), procèdent ainsi en partie pour acquérir une propriété, si bien que – même si l’accès à la propriété sur le marché canadien est plus difficile pour eux que pour les Blancs du groupe de référence – leurs stratégies leur pemettent d’acheter une résidence et d’intégrer le marchéNote de bas de page 25. La vitesse avec laquelle les immigrants surmontent de telles difficultés diffère; toutefois, après quatre ans, la plupart des groupes se rapprochent du groupe de référence au chapitre de l’accession à la propriété, comme l’indiquent les coefficients de régression des minorités visibles. Enfin, même si la situation des Chinois, des Noirs et des Arabes diffère de celle des Blancs, dans chaque cas l’élargissement de l’écart est faible, particulièrement si l’on tient compte de la vitesse à laquelle la plupart des groupes convergent avec les Blancs. En fait, les Arabes réduisent l’écart entre les vagues 2 et 3.
Dans la section qui suit, nous tentons d’établir les probabilités de l’accès à la propriété en maintenant toutes les variables sauf celle de l’appartenance à une minorité visible, à des valeurs moyennes, de façon à déterminer quels seraient les taux d’accès à la propriété si l’appartenance à une minorité visible était la seule différence entre les répondants de l’ELIC.
Aux figures 3-4 et 3-5, les probabilités d’accession à la propriété sont établies au moment de l’arrivée au pays, puis après six mois, deux ans et quatre ans, à l’aide des résultats de régression présentés au tableau 3-2 ci-dessus. Le graphique montre l’accession à la propriété après le premier mois passé au Canada ainsi que les résultats aux autres vagues.
Figure 3-4 : Trajectoires d’accession à la propriété pour les immigrants chinois, sud-asiatiques, noirs, philippins et latino-américains durant les quatre années suivant leur arrivée, ELIC

Si l’on garde toutes les variables à leurs valeurs moyennes, sauf l’appartenance à un groupe minoritaire visible, les différences prévues au moment de l’arrivée sont maintenant très négligeables, seul un écart d’environ 2 points de pourcentage séparant les groupes aux taux d’accession les plus élevés et les moins élevés. En outre, lorsque sont considérés des intervalles de confiance (non montrés) plutôt que des moyennes, ces groupes ne peuvent plus être différenciés sur le plan statistique, ce qui porte à penser que la différence entre les groupes au moment de l’arrivée (figure 3-2) découle dans sa presque totalité de caractéristiques de la composition. Mises à part les différences entre les ressources, au moment de l’arrivée, les groupes des minorités visibles se heurtent plus ou moins au même obstacle. Cet élément est important, car il donne à penser que les immigrants appartenant à une minorité visible accèdent à la propriété à peu près au même rythme.
Il importe de souligner qu’un écart apparaît au fil du temps, plus particulièrement après la vague 1, lorsque la situation de divers groupes est semblable. À la vague 2, l’écart entre les groupes dont le taux d’accession est élevé (Latino-américains) et ceux dont le taux d’accession est faible (Philippins) s’élargit jusqu’à près de 10 points de pourcentage. Cet écart, qui est important en soi, passe pratiquement au double à la vague 3, bien que ce soient maintenant les Noirs plutôt que les Philippins qui aient les probabilités les moins élevées d’accéder à la propriété. À la figure 3-4, nous observons que ce sont toujours les Latino-Américains dont les taux d’accession à la propriété attendus sont les plus élevés parmi tous les groupes, à plus de 50 %.
Figure 3-5 : Trajectoires d’accession à la propriété pour les immigrants coréens, arabes, asiatiques occidentaux, blancs et d’autres minorités visibles durant les quatre années suivant leur arrivée, ELIC

Les groupes de la figure 3-5 affichent eux aussi un écart croissant, comme le traduirait une stratification. Bien que l’écart à l’arrivée soit plus important (près de 10 points de pourcentage), l’écart d’environ 20 points de pourcentage entre les groupes supérieurs et inférieurs (les Asiatiques occidentaux et les Arabes, respectivement) est environ le même à la vague 3 que pour les cinq groupes de la figure 3-4. Les Blancs, qui représentent le groupe de référence pour tenir compte des degrés d’intégration, détiennent l’un des taux attendus les plus élevés à la vague 3, mais ils ne sont pas si en avance par rapport aux autres groupes, comme l’on pourrait s’y attendre en présence d’une stratification.
Dans les deux situations, toutes les autres variables sont gardées constantes dans les schémas, afin que les revenus, la structure familiale et chacune des autres caractéristiques pertinentes à l’accession à la propriété soient identiques dans tous les groupes. Ces nombres représentent donc les taux d’accession à la propriété qui « devraient » exister à chances égales et en présence de contraintes égales.
Les tracés de probabilités ci-dessus sont utiles parce qu’ils fournissent une indication quant à l’accession à la propriété des groupes de minorités visibles ayant des ressources identiques. Si l’on compare les écarts des figures 3-2 et 3-3 à ceux des figures 3-4 et 3-5 (tableau 3-3), il appert qu’environ la moitié des différences existant entre les groupes en ce qui a trait à l’accession à la propriété découlent de caractéristiques de composition, et que les trajectoires d’accession seraient beaucoup plus similaires si les autres caractéristiques des groupes étaient identiques. L’autre moitié des différences demeure inexpliquée, ce qui soutient aussi bien la théorie d’intégration que la théorie de stratification.
À bien des égards, cela nous ramène toutefois à la question posée au début de la présente section, relativement aux difficultés de définir la façon dont les groupes d’immigrants s’intègrent à la société canadienne. Le tableau 3-3 ci-dessous, qui a été créé en soustrayant les valeurs prévues des taux observés, à chaque point dans le temps, illustre de manière marquée que la majorité des groupes affichent en réalité des taux d’accession à la propriété supérieurs aux taux prévus, et que malgré leurs différences, pratiquement tous les groupes réussissent mieux que prévu en matière d’accession à la propriété. Pour certains groupes comme les Chinois, les Sud-Asiatiques et les Philippins, cette différence est importante. Parmi tous les groupes, ce sont les Blancs qui s’approchent le plus des attentes, l’écart étant de moins d’un point de pourcentage entre les taux prévus et observés à la vague 3.
Tableau 3-3 : Différence entre les taux d’accession à la propriété observés et prévus
Appartenance à une minorité visible | Période de temps | |||
---|---|---|---|---|
0 | 1 | 2 | 3 | |
Chinois | 4,1 | 7,4 | 7,2 | 6,1 |
Sud-Asiatiques | 11,3 | 13,6 | 11,8 | 8,3 |
Noirs | 6,5 | 5,8 | 0,7 | -1,4 |
Philippins | 11,3 | 14,6 | 18,6 | 19,4 |
Latino-Américains | 6,5 | 6,9 | 6,8 | 2,1 |
Coréens | 1,0 | 4,2 | 15,8 | 8,7 |
Arabes | -2,4 | -6,9 | -7,3 | -11,4 |
Asiatiques occidentaux | -0,6 | -1,4 | -7,0 | -17,5 |
Blancs | 5,2 | 2,2 | 2,3 | -0,7 |
Autres minorités visibles | 7,0 | 11,7 | 10,1 | 8,3 |
Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants au Canada.
Note : Les nombres ci-dessus représentent l’écart en points de pourcentage entre les taux d’accession à la propriété réels et prévus.
Ces taux plus élevés que prévus portent à croire que l’accession à la propriété se produit plus vite que prévu dans la plupart des groupes, et que les écarts entre les groupes se manifestent surtout dans les niveaux d’accession à la propriété plus élevés que prévusNote de bas de page 26. D’autres preuves à cet effet proviennent du fait que près des deux tiers de tous les groupes affichent des taux d’accession à la propriété qui avoisinent ou dépassent 50 % après seulement quatre ans au Canada. Étant donné que les nouveaux immigrants sont souvent traités comme des nouveaux venus sur le marché du travail (Picot et Sweetman, 2005), ce taux d’accession est particulièrement impressionnant et risque peu d’être égalé par de nouveaux venus sur le marché du travail qui sont nés au Canada.
Parallèlement, il existe des écarts importants pour les immigrants arabes et asiatiques occidentaux, dont les taux d’accession à la propriété sont inférieurs (11,4 % et 17,5 %) à ce qu’ils « devraient » être, selon les caractéristiques des répondants établies à la vague 3. Selon la théorie de la stratification, la situation de ces groupes serait différente de celle des autres groupes d’immigrants à leur arrivée dans la société canadienne.
Cet écart s’explique aussi, si l’on exclut un traitement différentiel par la société hôte, du fait que plus de quatre répondants arabes et asiatiques occidentaux sur cinq participant à l’ELIC se sont identifiés comme des musulmans lors de l’enquête et que cela, en soi, affecte leur accès à la propriété en raison de croyances concernant le RibaNote de bas de page 27. Comme de nombreux musulmans ne peuvent se prévaloir du moyen principal utilisé par les immigrants au Canada pour acheter une résidence (une hypothèque), il n’est pas surprenant d’observer des taux d’accession à la propriété plus bas que prévus chez les Arabes et les Asiatiques occidentaux.
Des changements dans l’industrie des prêts hypothécaires auraient vraisemblablement un effet marqué sur l’accession à la propriété des Arabes et Asiatiques occidentaux. Une composante de l’industrie des prêts hypothécaires, petite mais en croissance, a commencé à offrir des « hypothèques islamiques » qui sont conformes aux règles de la shari’a. Il sera intéressant de voir comment cela influera sur l’accession à la propriété de ces groupes dans l’avenir.
Le tableau 3-3 illustre très bien que de nombreux groupes accèdent à la propriété à un rythme supérieur à ce qui était prévu, après leur arrivée au Canada, les taux d’accession à la propriété étant plus ou moins également ajustés au moment de l’arrivée. Après quelques temps au Canada, cependant, un écart de 20 points de pourcentage se creuse entre les groupes de minorités visibles. Les Arabes, les Asiatiques occidentaux, les Noirs et les Blancs, dans une moindre mesure, n’ont pas acheté de maisons au rythme auquel on se serait attendu, étant donné leurs ressources socioéconomiques, alors que tous les autres groupes ont fait l’acquisition de maisons à un taux supérieur à celui qui était prévu.
Cette observation a d’intéressant que les différences semblent apparaître pendant que les immigrants sont au Canada au cours de la période d’observation de l’ELIC. Il est donc possible de déterminer si la capacité d’acheter une maison a découlé d’une modification de la situation, comme la reconnaissance de titres de compétence, l’obtention de la citoyenneté, la naissance d’un autre enfant, un changement dans la composition du ménage ou des améliorations des résultats sur le marché du travail.
Dans la dernière section de ce rapport, nous examinons comment une modification des caractéristiques dans la vie des répondants de l’ELIC se répercute sur la probabilité d’accès à la propriété. Le modèle ci-dessous examine les déterminants de l’accès à la propriété de la vague 3 et ne considère que les personnes n’ayant pas acheté une maison à leur arrivée au Canada. L’accent est mis sur la façon dont la transition est accompagnée d’autres changements dans la situation des répondants de l’ELIC.
La variable dépendante dans ce modèle de régression logistique est dichotomique; elle prend la valeur « 1 » si un ménage achète au cours de la période d’observation et la valeur « 0 » s’il n’achète pas. La plupart des variables du tableau 3-1 sont des variables explicatives, mais plusieurs nouveaux éléments d’information s’ajoutent. Tout d’abord, au lieu de considérer les caractéristiques de cohabitation des ménages comme des caractéristiques statiques, le modèle ci-dessous envisage la possibilité d’un changement entre les vagues 1 et 3 (tel que le fait de passer d’une habitation multifamiliale à une maison unifamiliale). De plus, l’obtention de la citoyenneté, la naissance d’un autre enfant et l’amélioration de la situation de l’emploi sont aussi des facteurs qui peuvent avoir changé entre les vagues 1 et 3. Dans tous les cas, les nouvelles variables sont dichotomiques et prennent la valeur 1 si un changement est survenu. La valeur 0 indique qu’aucun changement n’est survenu dans à l’égard de la variable d’intérêt.
Tableau 3-4 : Changement dans la situation des répondants l’ELIC et lien avec l’accès à la propriété
Variables | Probabilité | Groupe d’intérêt |
---|---|---|
Chinois | 0,613 | *** |
Sud-Asiatiques | 1,002 | |
Noirs | 0,47 | *** |
Philippins | 0,656 | ** |
Coréens | 0,742 | |
Latino-Américains | 0,948 | |
Arabes | 0,561 | *** |
Asiatiques occidentaux | 1,153 | |
Autres immigrants | 0,651 | |
Âge | 1,008 | ** |
Études secondaires | 0,912 | |
Études postsecondaires | 0,935 | |
Études universitaires | 0,915 | |
Arrivée du conjoint avant le répondant | 1,157 | |
Catholique | 1,829 | *** |
Protestant | 1,753 | *** |
Orthodoxe | 0,844 | |
Juif | 1,22 | |
Musulman | 0,835 | |
Religions orientales | 1,263 | |
Raison principale de l’établissement au Canada : études | 1,144 | |
Économies | 3,222 | *** |
Richesse à l’arrivée au pays (consignée) | 1,226 | *** |
Réfugiés | 0,294 | *** |
Immigrants économiques – Demandeurs principaux | 0,878 | |
Immigrants économiques – Conjoint et personnes à charge | 1,091 | |
Autres immigrants économiques | 2,051 | *** |
Toronto | 0,709 | *** |
Montréal | 0,241 | *** |
Vancouver | 0,584 | *** |
Revenu (consigné) | 1,093 | *** |
Changements des caractéristiques entre les vagues 1 à 3 | ||
Ajout d’un enfant | 1,143 | * |
Obtention de la citoyenneté canadienne | 0,757 | *** |
Partage d’un logement multifamilial à un logement unifamilial | 0,671 | *** |
Logement multifamilial | 2,429 | *** |
Conjoint – emploi à plein temps | 1,335 | * |
Répondant – emploi à plein temps | 1,111 | |
Reconnaissance des titres de compétence du répondant | 0,784 | * |
Reconnaissance de l’expérience de travail du répondant | 1,249 |
Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants au Canada.
Lorsqu’on compare les données du tableau ci-dessus à celles du tableau 3-2, plusieurs différences intéressantes se dégagent. Tout d’abord, seuls quatre groupes de minorités visibles sont maintenant significativement différents, ce qui semble indiquer que les groupes accèdent plus ou moins à la propriété au même rythme. Une fois encore, cependant, certains résultats ressortent. Les plus faibles taux d’accession s’appliquent aux Arabes, aux Noirs, aux Philippins et aux Chinois. Pour les Sud-Asiatiques et les Coréens, les différences qui existent entre la plupart des groupes semblent se dissiper lorsque les changements (tableau 3-4), plutôt que les niveaux absolus (tableau 3-2), sont pris en compte.
Une fois de plus, seuls les catholiques et les protestants diffèrent des personnes n’ayant pas déclaré de religion. Dans les deux cas, le taux d’accès est beaucoup plus élevé que chez ceux qui ne pratiquent aucune religion. Il est difficile de déterminer avec certitude pourquoi il en est ainsi, mais c’est peut-être parce que les adeptes de ces deux religions ont accès à des personnes nées au Canada et à des communautés d’immigrants mieux établies; elles peuvent donc compter sur les autres membres de leur congrégation pour les aider à naviguer sur le marché de l’immobilier et le marché hypothécaire. D’autres études permettront de le confirmer
En outre, bon nombre des variables censées mesurer le changement sont statistiquement significatives. La naissance d’un autre enfant incite les ménages à acheter une maison, ce qui semble indiquer que les enfants sont un élément important du mode d’occupation. Pour une raison quelconque, l’obtention de la citoyenneté exerce une pression négative sur l’accès à la propriété, peut-être parce que le temps et le coût qui sont associés à l’obtention de la citoyenneté accaparent des ressources qui ne peuvent être consacrées à l’achat d’une maison. Une fois de plus, la formation des ménages est vraisemblablement un facteur déterminant du mode d’occupation. Les répondants qui occupent des habitations multifamiliales à ces deux moments sont deux fois plus nombreux à devenir propriétaires que ceux qui occupent des habitations unifamiliales durant toute la période (le groupe de référence). Passer d’une habitation multifamiliale à une habitation unifamiliale nuit à l’accession à la propriété. Trop peu de ménages sont passés d’un logement unifamilial dans la vague 1 à un logement multifamilial dans la vague 3 pour nous permettre d’analyser cette transition, quoique cela aurait été tout aussi intéressant.
À l’instar de la citoyenneté (et peut-être pour la même raison), la possession de titres de compétences reconnus a une incidence négative sur l’achat d’une maison, alors que la reconnaissance de l’expérience professionnelle produit un effet positif. Les époux jouent également un rôle dans l’achat d’une maison, et la transition vers un emploi à plein temps augmente la probabilité d’achat d’une maison d’environ 34 %.
Ce modèle appuie les affirmations antérieures selon lesquelles de nombreux groupes accèdent à la propriété plus ou moins au même rythme, par rapport aux immigrants de race blanche, une fois que les ressources sont prises en compte. Sur les dix groupes de minorités visibles étudiées dans les modèles, seulement quatre ont des trajectoires distinctes des Blancs. Si des signes de stratification existent dans le tableau 3-4 (et 3-2), cela est attribuable à la tendance observée chez les immigrants d’origine arabe, de race noire et d’origine chinoise. Les immigrants arabes sont arrivés relativement récemment, mais très peu d’études ont été effectuées à leur sujet; il est donc probablement prématuré d’interpréter les tendances de ce groupe en matière de logement comme un signe de stratification, même si les résultats susmentionnés appuient ce genre d’interprétation. D’autres études doivent être réalisées pour comprendre pourquoi ce groupe diverge significativement des immigrants de race blanche et de plusieurs autres groupes avant que ces affirmations puissent être validées.
Haan (2007) et Painter, Gabriel et Myers (2000) soulignent que les immigrants chinois enregistrent l’un des taux d’accession à la propriété le plus élevé de tous les groupes d’immigrants, qui dépasse même parfois celui de la population de race blanche et de la population née au Canada. Compte tenu de ce fait, il est intéressant de voir comment les Chinois faisant partie de l’échantillon de l’ELIC ne s’en tirent pas aussi bien que leurs prédécesseurs, une conclusion qui pourrait être attribuable en partie au fait que beaucoup d’entre eux venaient de la Chine continentale plutôt que de Hong Kong, et ne pouvaient donc pas avoir les mêmes ressources. Quoi qu’il en soit, il est difficile d’imaginer que les taux d’accession à la propriété des Chinois résultent de la stratification, puisque cela semble être propre à la cohorte et non systématique.
En ce qui concerne les immigrants noirs, de faibles taux d’accession ont été documentés, tant dans les études canadiennes (Haan, 2007) qu’américaines (Painter, Gabriel et Myers, 2000). Les raisons qui expliquent les faibles taux d’accession à la propriété sont inconnues. Selon les études américaines, les immigrants de race noire sont marginalisés dans une sous-classe afro-américaine, ce qui expliquerait les faibles taux aux États-Unis. Cependant, des études comparatives sur les immigrants de race noire au Canada ont révélé des taux d’accession qui sont faibles eux aussi, mais sans signaler le facteur de marginalisation. Tout de même, la situation des Noirs est la seule qui soutient systématiquement la théorie de la stratification.
Il ressort de notre étude que de nombreux nouveaux arrivants faisant partie de l’échantillon de l’ELIC ont beaucoup de difficultés à trouver un logement abordable lorsqu’ils arrivent au Canada. Ils doivent non seulement dépenser beaucoup plus au chapitre du logement que ne le font les Canadiens, en moyenne, mais ils gagnent aussi beaucoup moins : il en résulte donc un « double fardeau ». La situation semble s’améliorer rapidement après leur arrivée, même si la transition initiale peut être extrêmement difficile pour de nombreux ménages. Ces expériences diffèrent selon l’âge, la région métropolitaine de recensement, la catégorie d’immigrants, la scolarité, la région d’origine et l’appartenance à une minorité visible.
Comme il fallait s’y attendre, des différences se dégagent aussi selon la catégorie d’admission : les immigrants de la catégorie économique ne se heurtent pas aux problèmes des réfugiés, par exemple, quoique même les réfugiés acquièrent rapidement une propriété. Ceux qui font partie de la catégorie du regroupement familial ont moins de difficultés à accéder à un logement abordable et à acquérir une propriété, même si cela peut être attribuable en partie au fait que des membres de la famille sont déjà au pays, ce qui leur donne une « longueur d’avance » comparativement aux autres répondants de l’ELIC. Peu de travailleurs qualifiés et de candidats d’une province deviennent propriétaires au début, mais ils font des gains considérables au cours de la période de quatre ans, ce qui semble indiquer qu’ils ont eux aussi besoin de temps pour s’établir au Canada avant d’acquérir une mobilité résidentielle.
De grandes différences distinguent également les régions métropolitaines de recensement. Nous avons pu déterminer ici la mesure dans laquelle ces différences résultent de particularités inhérentes à chaque marché privé du logement plutôt que de la disponibilité de logements de transition subventionnés, mais les deux facteurs jouent probablement un rôle. À Edmonton, par exemple, la demande de logements subventionnés dépasse de loin l’offre, de sorte que les nouveaux arrivants doivent souvent compter sur la charité ou le marché privé pour accéder à un logement. Trop souvent, ils sont confrontés à une pénurie de logements abordables ou n’ont d’autre choix que de vivre dans des logements insalubres, ou les deux.
Notre principal objectif, en particulier la section 3, était d’exposer les différences entre les groupes de minorités visibles et de mettre l’accent sur les facteurs qui occasionnent des changements rapides du mode d’occupation. En nous attachant au résultat de l’accession à la propriété, nous avons cherché à comprendre pourquoi l’expérience dans le marché de l’habitation des immigrants appartenant aux groupes des minorités visibles diffère. Nous avons constaté d’importantes différences inexpliquées, de l’ordre de 20 points de pourcentage, entre les groupes et entre les taux d’accession observés et probables. Cela semble indiquer que certains groupes se heurtent à des difficultés supplémentaires au Canada et que la politique publique pourrait intervenir à cet égard. Le marché de l’habitation public et privé du Canada donne lieu à des expériences résidentielles différentes entre les différents groupes de minorités visibles. Nous attirons l’attention sur les immigrants musulmans et leurs contraintes financières particulières. D’autres ont signalé les difficultés avec lesquelles les Noirs sont aux prises sur le marché du logement (Murdie, 1994) et que notre étude confirme, bien qu’il soit difficile de prescrire des mesures d’intervention sans examiner de plus près les problèmes particuliers de ce groupe.
Nous faisons également ressortir les résultats importants de nombreux nouveaux arrivants au Canada. Le taux d’accession à la propriété avoisine en moyenne 50 % vers la fin de la période d’observation (pour ceux qui font toujours partie de l’échantillon), ce qui est impressionnant étant donné que de nombreux nouveaux arrivants ont du mal à naviguer sur le marché du travail canadien et à s’adapter à la société canadienne; malgré cela, ils ont été en mesure de trouver une maison et une communauté dans lesquelles investir.
Les conclusions de la section 3 donnent à penser que la religion est peut être un facteur plus efficace que ne l’est l’appartenance à une minorité visible dans l’analyse des premières expériences de groupes d’immigrants, du moins au chapitre du logement. Prenant appui sur la volumineuse littérature (souvent américaine) soulignant que l’accès aux ressources socioéconomiques est grandement tributaire de la couleur de la peau, les chercheurs ont accordé trop peu d’attention à la religion, même si elle témoigne plus directement d’un système de valeurs que la couleur de la peau. Comme l’a soutenu Max Weber il y a plus d’un siècle, les systèmes de valeurs sont au cœur d’innombrables comportements humains; toutefois, la plupart des recherches n’en tiennent pas compte. Une étude de suivi à notre rapport pourrait se pencher plus directement sur le rôle de la religion dans l’accès à la propriété.
Il est aussi intéressant de constater que le patrimoine à l’arrivée n’a pas d’effet notable sur l’accession à la propriété, tant que les répondants n’ont pas vécu quelque temps au Canada. C’est quelque peu contre-intuitif, étant donné que les répondants de l’ELIC ayant des ressources financières à l’arrivée devraient probablement acheter des maisons sans attendre. Peut-être est-ce parce qu’ils préfèrent attendre d’être davantage renseignés sur leur nouvelle destination avant d’investir. Une étude de suivi intéressante pourrait porter sur la façon dont les nouveaux arrivants utilisent leur argent dans le marché de l’habitation et chercher à déterminer si leur comportement à cet égard varie selon d’autres caractéristiques (telles que la catégorie d’admission ou la région métropolitaine de recensement de résidence).
La plupart des études cherchent à produire une série d’observations généralisables sur les premières expériences de tous les immigrants au Canada, mais plusieurs de nos réserves rendent impossible une telle généralisation. Premièrement, compte tenu de l’importance du cycle économique dans la détermination des premières réussites d’un immigrant, l’arrivée en 2000-2001 est susceptible d’avoir des répercussions sur la généralisabilité. Au début des années 2000, le Canada n’a pas autant souffert de la récession que les États-Unis, mais il n’en était pas non plus à l’abri. Immigrer en période de récession a généralement des effets défavorables, mais cela peut produire des effets différents pour des sous-groupes d’immigrants.
Notre conclusion générale, toutefois, est que les immigrants s’en sortent très bien sur le marché de l’habitation au Canada et qu’un grand nombre d’entre eux sont disposés à prendre des mesures extraordinaires pour devenir propriétaires-occupants. Certes, on observe des différences entre les groupes, mais pour la plupart, ce sont des différences entre les groupes dont le taux d’accession à la propriété est plus grand que prévu.
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