Chapitre deux : Le système de justice militaire et le système des cours martiales

Introduction

La nature des missions opérationnelles qui sont confiées aux FAC exige le maintien d’un niveau élevé de discipline parmi ses membres. Le Parlement et la CSC reconnaissent depuis longtemps l’importance d’un système de justice militaire distinct qui guide la conduite des soldats, des marins et du personnel de la Force aérienne, et qui prévoit des sanctions aux infractions disciplinaires. En 1980 et 1992, dans MacKay c la ReineNote de bas de page 7 et R c GénéreuxNote de bas de page 8, la CSC a confirmé sans équivoque le besoin pour les tribunaux militaires d’exercer leur compétence afin de contribuer au maintien de la discipline et des valeurs militaires connexes, ce qui est une question d’importance cruciale pour l’intégrité des FAC en tant qu’institution nationale.

Ces principes ont été réaffirmés à l’unanimité par la CSC en 2015 dans Sous‑lieutenant Moriarity et al. c R : « Je conclus que, en créant le système de justice militaire, le législateur avait pour objectif d’établir des processus visant à assurer le maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes »Note de bas de page 9. Dans Moriarity, la CSC a également mis l’accent sur le fait que « […] le comportement des militaires touche à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes, même lorsque ces personnes ne sont pas en service, en uniforme, ou sur une base militaire »Note de bas de page 10.

Ces points de vue corroboraient directement les observations précédemment formulées par le juge en chef Lamer dans l’affaire Généreux, à savoir que le Code de discipline militaire « ne sert pas simplement à réglementer la conduite qui compromet pareille discipline et intégrité. Le Code joue aussi un rôle de nature publique, du fait qu’il vise à punir une conduite précise qui menace l’ordre et le bien-être publics » et « le recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline. En d’autres termes, même commis dans des circonstances qui ne sont pas directement liées à des fonctions militaires, un comportement criminel ou frauduleux peut avoir une incidence sur les normes applicables au titre de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes au sein des FAC. Il est donc nécessaire d’établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire »Note de bas de page 11.

Suite à l’arrêt Moriarity, la CSC a rendu une autre décision unanime concernant le système de justice militaire. En 2016, la CSC a confirmé, dans l’affaire R c CawthorneNote de bas de page 12, que le pouvoir d’interjeter appel des décisions, qui est conféré au ministre de la Défense nationale, était conforme à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Non seulement cette décision confirmait la conformité de la structure organisationnelle du SCPM, mais elle était aussi importante pour tous les services de poursuites dans l’ensemble du Canada, étant donné que la Cour avait abordé les concepts d’indépendance de la poursuite et d’abus de procédureNote de bas de page 13. Cela montre clairement que le système de justice militaire est un système de justice parallèle respecté dans le contexte plus large de la mosaïque juridique canadienne.

Le 26 juillet 2019, la CSC a conclu dans l’arrêt R c Stillman que l’alinéa 130(1)(a) de la LDN était constitutionnellement valide et en accord avec l’article 11(f) de la CharteNote de bas de page 14. La CSC a saisi l’occasion pour résumer et réaffirmer sa jurisprudence quant au système de justice militaire. D’abord, la CSC nous rappelle sa décision dans Mackay c La Reine où elle a reconnu que le Parlement avait le pouvoir constitutionnel, sous l’article 91(7) de la Loi constitutionnelle, 1867 d’édicter l’alinéa 130(1)(a) de la LDNNote de bas de page 15. La CSC nous rappelle aussi sa décision dans Généreux qui a reconnu que le système de justice militaire constituait un mécanisme distinct et essentiel afin d’accomplir son rôle de nature publique, mais aussi pour assurer le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennesNote de bas de page 16. Enfin, la CSC a confirmé sa décision dans Moriarity, et a refusé de réévaluer la nécessité d’établir un lien de connexité avec le service militaire autre que le « statut militaire de l’accusé »Note de bas de page 17.

Cours martiales

Les cours martiales sont des tribunaux militaires formels présidés par un juge militaire indépendant. Ces tribunaux ont une nature similaire à celle des tribunaux criminels civils et sont conçus principalement pour traiter des infractions d’ordre militaire qui sont plus graves. Ils sont gérés conformément à des règles et procédures similaires à celles appliquées au sein des tribunaux criminels civils, tout en maintenant le caractère militaire de la procédure. Ce chapitre présente un aperçu essentiel du système de la cour martiale. Pour en savoir davantage sur le processus appliqué par la cour martiale du Canada, veuillez consulter le tableau 2-1.

Tableau 2-1 : Faits supplémentaires à propos du système de la cour martiale

Sujet Remarques
But du système de justice militaire Le système de justice militaire a pour but de favoriser l’efficacité des opérations des Forces armées canadiennes par le maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral du personnel militaire.
Compétence du système de justice militaire Les cours martiales ont uniquement compétence pour juger les personnes qui sont assujetties au Code de discipline militaire. Lorsqu’une personne intègre les Forces armées canadiennes, elle reste assujettie à toutes les lois canadiennes, mais devient aussi assujettie au Code de discipline militaire. Par conséquent, les membres des FAC sont assujettis à la compétence concurrente à la fois du système de justice civil et du système de justice militaire.
Obligation d’obtenir un avis juridique avant la mise en accusation

Dans la majorité des cas, la personne autorisée à porter une accusation dans le système de justice militaire doit d’abord obtenir un avis juridique au sujet de la suffisance de la preuve.

Les PMR fournissent des avis juridiques avant la mise en accusation  dans tous les dossiers faisant l’objet d’une enquête par le SNEFC. Dans certains cas, les PMR assisteront également les Juge-avocat généraux adjoints du cabinet du JAG en procédant à une vérification préalable à la mise en accusation. Ce sera notamment le cas pour les dossiers enquêtés par les membres de la police militaire qui ne font pas partie du SNEFC et par les enquêteurs d’unité.

Processus d’examen des placements sous garde Si une personne est arrêtée aux termes du Code de discipline militaire, elle peut être libérée par la personne qui a procédé à l’arrestation ou par un officier réviseur. Si cette personne n’est pas libérée, l’affaire sera portée devant un juge militaire afin de déterminer si elle doit être libérée, avec ou sans condition, ou si elle doit être maintenue sous garde. Les PMR représentent les FAC lors des audiences concernant les révisions de maintien sous garde qui ont lieu devant un juge militaire.
Obligation de divulguer Les accusés dans le système de justice militaire ont le droit constitutionnel de présenter une défense pleine et entière. Par conséquent, les PMR doivent divulguer tous les renseignements pertinents à l’accusé, que le procureur ait ou non l’intention de les présenter en preuve.
Détermination de la peine

En vertu de la LDN, les juges militaires disposent d’une vaste gamme d’options en matière de détermination de la peine des personnes reconnues coupables par la cour martiale. Mises à part les amendes et les périodes d’emprisonnement qui sont aussi disponibles dans le système de justice civil, les juges militaires peuvent prononcer les peines suivantes contre les contrevenants : destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, destitution du service de Sa Majesté, détention, rétrogradation, blâme, réprimande, et peines mineures.

En outre, aux termes de nouvelles dispositions ajoutées à la LDN et en vigueur depuis le 1er septembre 2018, les juges militaires peuvent également accorder une absolution inconditionnelle, ordonner que le contrevenant purge sa peine de façon discontinue, ou suspendre l’exécution de toute peine d’emprisonnement ou de détention.

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Le système des cours martiales possède de nombreux points communs avec le système de justice civil. À titre d’exemple, la Charte s’applique à la fois au système de justice militaire et au système de justice civil. Ainsi, dans les deux systèmes de justice, l’accusé est présumé innocent jusqu’à ce que le procureur prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

De plus, les cours martiales sont des tribunaux impartiaux et indépendants dont les audiences sont ouvertes au public. Avant la tenue d’une audience devant une cour martiale, le lieu où celle-ci se tiendra est communiqué dans les ordres courants de la base et les médias sont également informés de façon proactive. Une fois qu’une audience devant une cour martiale est terminée, les résultats sont communiqués au public par divers moyens, notamment par l’entremise des médias sociaux.

Du point de vue législatif, en vertu de l’article 179 de la LDN, les cours martiales ont les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle pour ce qui est de toutes les « questions relevant de sa compétence », notamment : la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, la production et l’examen des pièces; et l’exécution de ses ordonnances.

La LDN prévoit deux types de cours martiales, les cours martiales générales et permanentes. La cour martiale générale se compose d’un juge militaire et d’un comité de cinq personnes issues des FAC. Ce comité est sélectionné au hasard par l’administrateur de la cour martiale et il est soumis à des règles qui renforcent son rôle militaire. Dans une cour martiale générale, le comité décide des faits alors que le juge militaire décide des questions juridiques et détermine la peine. Les comités doivent en arriver à une décision unanime sur tout verdict de culpabilité ou de non-culpabilité.

Les cours martiales permanentes sont présidées par un juge militaire qui siège seul et qui a la responsabilité de rendre le verdict et d’infliger la peine dans le cas d’un verdict de culpabilité.

Lors d’une audience devant une cour martiale, la poursuite est assurée par un avocat militaire du SCPM. Pour déterminer s’il faut porter une cause devant une cour martiale, les procureurs militaires doivent effectuer une analyse en deux étapes. Ils doivent dans un premier temps considérer s’il y’aurait une perspective raisonnable de condamnation si la cause faisait l’objet d’un procès et, deuxièmement si l’intérêt public exige qu’une poursuite soit entreprise. Cette politique est cohérente avec les politiques suivies par les procureurs généraux partout au Canada et par les organismes chargés des poursuites ailleurs dans le Commonwealth.

Ce qui distingue le système de justice militaire, ce sont certains des facteurs liés à l’intérêt du public dont il faut tenir compte. Ces facteurs sont notamment les suivants :

  • l’effet probable de la poursuite sur la confiance du public dans la discipline au sein des Forces et l’administration de la justice militaire;
  • le nombre d’occurrences de l’infraction présumée dans l’unité ou dans l’ensemble de la collectivité militaire et la nécessité d’un effet dissuasif général et particulier; et
  • les conséquences de la poursuite sur le maintien de l’ordre et de la discipline dans les FAC, notamment l’incidence possible, le cas échéant, sur les opérations militaires.

L’information à propos de ces facteurs et d’autres facteurs sur l’intérêt public est fournie, en partie, par le commandant (cmdt) de l’accusé lorsqu’il renvoie le dossier à son supérieur immédiat en matière de discipline. L’officier supérieur, qui agit à titre d’autorité de renvoi, peut également fournir ses commentaires sur les facteurs en lien avec l’intérêt public lorsqu’il soumet le dossier au DPM.

Les accusés jugés par la cour martiale ont droit à une représentation juridique fournie par le Directeur – Services d’avocats de la défense (DSAD) ou un avocat sous sa supervision. Cette représentation juridique est gratuitement fournie aux accusés. Un inculpé peut aussi choisir de retenir les services d’un avocat à ses propres frais.

Dans la majorité des cas, l’accusé a le droit de choisir entre un procès devant une cour martiale générale ou permanente. Toutefois, pour les infractions les plus graves, la cour martiale générale sera généralement convoquée, tandis que pour les infractions les moins graves, la cour martiale permanente sera convoquée (articles 165.191 et 165.192 de la LDN).

Un contrevenant reconnu coupable par une cour martiale ainsi que le MDN ont le droit d’interjeter appel des décisions de la cour martiale devant la CACM, un tribunal composé de juges civils qui sont désignés parmi les juges de la Cour fédérale du Canada et de la Cour d’appel fédérale, ou encore parmi les juges des cours supérieures et des cours d’appel des provinces et des territoires.

Les décisions de la CACM peuvent être portées en appel devant la CSC sur toute question de droit pour laquelle un juge de la CACM est dissident ou sur toute question de droit lorsque l’autorisation d’appel a été accordée par la CSC (article 245 de la LDN).

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