2018 TSSTC 10

Date : 2018-09-17

Dossier : 2017-33

Entre :

Securitas Transport Aviation Security Ltd.

Et

Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, appelantes

Et

Alicia Doyle et Tracy Cleveland-Wood, intimées

Indexé sous : Securitas Transport Aviation Security Ltd. c. Doyle

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un représentant délégué par le ministre du Travail.

Décision : L’instruction est annulée.

Décision rendue par : Me Jack Graham, c.r., McInnes Cooper et Me Brett Christen, Rae Christen Jeffries

Langue de la décision : Anglais

Pour les appelantes : M. Julian Molinari, Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd.

Pour les intimés : Mme Sylvia Boyce, United Steelworkers

Référence : 2018 TSSTC 10

Motifs de la décision

[1] Les motifs de la présente décision portent sur un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) par l’entreprise Securitas Transport Aviation Security Ltd. (« Securitas » ou « l’employeur ») à l’encontre d’une instruction émise le 2 septembre 2017 par Mme Mary Alice Clark, en qualité de représentante déléguée par le ministre du Travail (déléguée ministérielle). L’instruction de Mme Clark a été émise aux termes de l’alinéa 145(2)a) du Code et à la suite de sa conclusion voulant que les intimées aient été exposées à un danger dans leur lieu de travail.

Contexte

[2] Les intimées, Alicia Doyle et Tracey Cleveland-Wood, sont toutes les deux des agentes de contrôle employées par l’entreprise Securitas Transport Aviation Security Limited, à l’aéroport d’Halifax, situé à Enfield, en Nouvelle-Écosse. Le 31 août 2017, les intimées ont refusé de travailler parce qu’elles étaient préoccupées par les niveaux de rayonnement émis par un appareil de contrôle des bagages situé à un point de contrôle des passagers.

[3] Mme Doyle a affirmé ce qui suit pour justifier son refus, comme il est précisé dans le rapport de la déléguée ministérielle :

[Traduction] Lorsque les bacs entrent et sortent, les rideaux de plomb sont ouverts aux deux extrémités pendant que le faisceau de rayons X est allumé. Nous sommes parfois debout à proximité du tunnel lorsque les rideaux sont ouverts et NAV CANADA ne fait pas de tests lorsque les rideaux sont ouverts.

[4] Dans son formulaire de refus de travail déposé auprès du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), elle a réitéré ce qui suit :

[Traduction] Préoccupée par le niveau de rayonnement des appareils, et des rideaux effilochés, Alicia s’est demandé si l’intégrité des rideaux était compromise.

[5] Quant au refus de travailler de Mme Cleveland-Woods, la déléguée ministérielle affirme dans son rapport ce qui suit :

[Traduction] Je pense que les rayons X Rapiscan ne sont pas sécuritaires […]. Les plus gros sacs tiendront les deux rideaux ouverts et lorsqu’un sac est examiné au rayon X, le suivant empêche les rideaux de se fermer.

[6] Dans son formulaire de refus de travail déposé auprès d’EDSC, elle affirme ce qui suit :

Le refus de travailler est causé par le niveau d’exposition possible au rayonnement en raison de la capacité à voir dans le tunnel à rayons X.

[7] Le comité local de santé et de sécurité au travail (le « comité ») a été appelé à enquêter sur les refus comme l’exigeait le paragraphe 128(10) du Code. L’employeur et le comité ont convenu que la situation décrite par les employées qui ont refusé de travailler ne présentait aucun danger pour elles, tel qu’il est indiqué dans le rapport narratif d’assignation de la déléguée ministérielle inclus dans le dossier envoyé au tribunal.

[8] Par conséquent, Emploi et Développement social Canada (EDSC) a été informé du maintien des refus et une déléguée ministérielle, Mme Clark, a reçu le mandat de faire enquête sur les refus, comme le prévoit le paragraphe 129(1) du Code. Après avoir mené son enquête sur les motifs des refus des employées, Mme Clark a écrit aux parties pour les informer de sa décision selon laquelle les circonstances présentes au moment des refus constituaient un danger pour les employées (paragraphe 129(4)), et une instruction à l’employeur de corriger la situation a été émise le 2 septembre 2017, en vertu du paragraphe 129(6) et de l’alinéa 145(2)a) du Code.

[9] Notons toutefois que Mme Clark a également informé les parties que les intimées ne pourraient pas maintenir leur refus de travailler, malgré son constat de danger. À la demande de l’employeur, Mme Clark a fourni d’autres explications sur les motifs à l’appui de sa décision et de son instruction. Elle explique ses motifs de la façon suivante :

[Traduction] [...]

Dans le cas d’un refus de travailler, l’issue de l’enquête est soit « danger », soit « absence de danger ». Il a été établi par la déléguée ministérielle qu’un danger existait; il a de plus été établi qu’un arrêt de travail n’était pas nécessaire.

Le Code canadien du travail définit le danger de la façon suivante : « Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté. (danger) »

L'expression « pourrait vraisemblablement » ne nécessite pas que la menace se concrétise chaque fois que la situation, la tâche ou le risque se produit; il n’est pas nécessaire d’établir précisément le moment où la menace se matérialisera et la menace n’a pas à se concrétiser fréquemment.

« sérieuse » désigne une menace importante pour la santé ou pour la vie et comprend une menace importante potentielle;

Il a été établi que le refus était visé par le Code du fait de la menace sérieuse potentielle. Si la menace avait été imminente, un ordre de cesser le travail et une mise en garde auraient été nécessaires.

[Soulignement ajouté]

[10] L’instruction qui fait l’objet de l’appel se lit comme suit :

[Traduction] Dans l’affaire du Code canadien du travail
Partie II – Santé et sécurité au travail

Instruction à l’employeur en vertu de l’alinéa145(2)a)

Le 1er septembre 2017, la représentante déléguée par le ministre du Travail soussignée a mené une enquête à la suite du refus de travailler de Tracey Cleveland-Wood et d’Alicia Doyle dans le lieu de travail exploité par l’entreprise Securitas Transport Aviation Security Ltd, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, situé au 1 Bell Blvd., Enfield (Nouvelle-Écosse) B2T 1K2, ledit lieu de travail étant parfois appelé Securitas – Halifax (YHZ).

Ladite représentante déléguée par le ministre du Travail estime que l’utilisation d’une machine ou d’une chose constitue un danger pour un employé au travail :

Les employés peuvent être exposés au rayonnement lorsque le rideau de plomb de l’appareil à rayons X de contrôle des bagages Rapiscan ne peut se fermer parce que les bacs des passagers sont à moins de 12 pouces l’un de l’autre ou parce que la taille des sacs empêche la fermeture du rideau. Le fonctionnement de l’appareil à rayons X en violation des exigences du Code de sécurité 29 et du mode d’emploi Rapiscan constitue un danger pour les employés qui travaillent à proximité de l’appareil à rayons X.

Par conséquent, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder à la prise de mesures propres à écarter le danger ou à corriger la situation au plus tard le 8 septembre 2017.

[11] Dans son rapport d’enquête, la déléguée ministérielle énonce les motifs lui permettant de conclure à l'existence d’un danger de la façon suivante :

[Traduction]
1. Securitas ne respecte pas toujours la distance de 12 po entre les bacs, recommandée par les procédures de l’ACSTA;

2. Le Code de sécurité 29, le Code de sécurité 21 et le mode d’emploi Rapiscan indiquent tous que personne ne doit faire quoi que ce soit pour garder les rideaux ouverts lorsque l'appareil de radioscopie est en marche.

3. Bien que les tests de rayonnement des appareils soient conformes au Document 12, ils n’ont pas illustré les inquiétudes des employées, ni le travail effectué par les employées qui ont refusé de travailler;

4. L’agent de santé et de sécurité n’est pas un expert en émissions de rayonnement ou en exposition au rayonnement. Il n’est pas en mesure d’établir si le rayonnement émis par l’appareil pendant les périodes où les rideaux de plomb sont maintenus ouverts par les bacs dépasse les limites acceptables.

[Soulignement ajouté]

[12] Il convient de mentionner que la déléguée ministérielle avait également émis, au même moment, une « instruction de contravention » en vertu du paragraphe 145(1) du Code, ordonnant à l’employeur de nommer une personne qualifiée pour faire enquête sur l’exposition possible des employées au rayonnement lors de l’utilisation de l’appareil de contrôle des bagages en question, comme le prescrit le paragraphe 10.4(2) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (Règlement). Cette instruction n’a pas été portée en appel et déborde du cadre du présent appel.

[13] Bien que l’appel ait, à l’origine, été déposé par Securitas, soit l’employeur des employées qui ont refusé de travailler et l’entité contre laquelle l’instruction a été émise, l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) a demandé au tribunal de lui accorder le statut d’intervenante dans le cadre de l’appel compte tenu de ses fonctions et responsabilités en vertu de la Loi sur l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (la « Loi ») (L.C. 2002, ch. 9, art. 2).

[14] La demanderesse est en désaccord total avec la position de la déléguée ministérielle et juge que l’utilisation de visières n’est pas nécessaire dans le présent cas. La demanderesse a affirmé qu’elle était disposée, au besoin, à adopter des lunettes protectrices de catégorie 2B, qui consistent en des lunettes bien ajustées censées couvrir intégralement les yeux, l’orbite des yeux et la peau autour des yeux afin de les protéger contre les chocs, les particules et les éclaboussures.

[15] La demande de l’ACSTA a été autorisée par un agent d’appel et l’ACSTA s’est vue accorder le statut de partie appelante dans l’appel (Securitas Transport Aviation Security Ltd. c. Doyle, 2017 TSSTC 25).

[16] L’appel a été entendu à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 19 juin 2018. Les observations finales ont été reçues le 7 août 2018.

Question en litige

[17] La question soulevée par le présent appel est de savoir si les circonstances décrites par les employées qui ont refusé de travailler au moment de leur refus constituaient un danger au sens du Code et si la conclusion de l'existence d’un danger de Mme Clark et l’instruction émise pour ce motif étaient bien fondés. Plus précisément, la question est de savoir si l’utilisation de l’appareil de contrôle Rapiscan dans les circonstances prévalant au moment du refus, c’est-à-dire lorsque les rideaux de plomb sont ouverts en raison de la présence de bagages pendant que le faisceau de rayons X est allumé, présentait un danger pour les employées.

Preuve présentée à l’audience

[18] Mme Clark a témoigné brièvement à ma demande, pour fournir des précisions supplémentaires sur ses constats et ses conclusions. Elle a présenté un résumé des motifs sur lesquels elle a fondé sa conclusion de l'existence d’un danger, comme il est établi dans son rapport d’enquête. Elle a invoqué le rapport d’expert du Dr Caldwell (Institut de radioprotection du Canada) qui a été rédigé après qu’elle en ait donné instructions, et que l’employeur lui a communiqué le 4 décembre 2017. Le rapport a conclu que les appareils de contrôle Rapiscan étaient sécuritaires et que les employées n’étaient pas exposées à des rayonnements mesurables lorsque les appareils fonctionnaient dans les conditions prévalant le 31 août 2017. Après avoir pris connaissance de ce rapport, Mme Clark a conclu que l’employeur respectait ses instructions. Elle a reconnu qu’elle aurait conclu à l’absence de danger pour les employées si le rapport du Dr Caldwell avait été mis à sa disposition lorsqu’elle a fait enquête.

[19] Mme Clark a noté dans son rapport que lorsque les refus de travailler ont été exercés, des testeurs de Nav Canada ont été invités pour tester les appareils. Des mesures ont été prises aux emplacements des rideaux situés à l’entrée et à la sortie des appareils et se situaient entièrement dans la norme. Il a été demandé aux testeurs de vérifier les zones qui préoccupaient les employées et de reproduire la situation décrite impliquant les rideaux levés, mais ils ont indiqué qu’ils ne devaient effectuer les tests qu’en conformité avec le « Document 12 » des procédures de Nav Canada.

Les appelantes

[20] L’ACSTA a d’abord présenté sa preuve et a appelé Mme Louise Landry à témoigner. Mme Landry est la directrice générale des programmes opérationnels d’ACSTA et aux moments en cause, elle était responsable du programme de radioprotection de l’ACSTA. Son témoignage peut se résumer comme suit.

[21] Mme Landry a décrit la création de l’ACSTA et le mandat de cette dernière de fournir un contrôle efficace et efficient aux aéroports canadiens désignés, notamment à l’aéroport d’Halifax (YHZ). Le processus de « contrôle » est en partie conçu pour empêcher une personne de transporter un article dangereux, tel qu’une arme ou un engin explosif improvisé, à bord d’un avion, soit en le portant sur elle, soit en le plaçant dans son bagage à main ou dans ses effets personnels.

[22] Une partie du processus de contrôle consiste en l’appareil de radioscopie qui inspecte aux rayons X les effets personnels et les bagages à main des passagers. Les générateurs de rayons X à l’intérieur des appareils de radioscopie sont dirigés vers les bagages qui sont observés et ne pointent pas vers l’entrée ou la sortie de l’appareil. L’appareil de radioscopie contient plutôt deux générateurs de rayons X, un au fond de l’appareil qui pointe vers le haut à travers le bagage (verticalement), et un sur le côté pointant à travers le bagage (horizontalement). Les deux générateurs sont fixés afin de pointer vers le haut et à travers le bagage faisant l’objet du contrôle, envoyant le faisceau de rayon X aux détecteurs situés à l’intérieur de l’appareil, puis dans le blindage de plomb qui absorbe le rayonnement. Les appareils de radioscopie sont installés et entretenus conformément au Code de sécurité 29 publié par Santé Canada et mentionné au paragraphe 10.26(2) du Règlement, et à toutes les autres lois applicables.

[23] L’appareil de radioscopie est également muni de rideaux de plomb à l’entrée et à la sortie de l’appareil. Les rideaux de plomb consistent en vingt-quatre bandes séparées, placées sur deux rangées, et ils sont conçus pour limiter les parasites atmosphériques ou le rayonnement diffusé à l’extérieur de l’appareil de radioscopie en absorbant les rayons qui touchent aux rideaux. Les bandes sont conçues et prévues pour être remuées par le bagage radioscopé et pour se séparer autour du bagage. Mme Landry a souligné qu’il était normal que les rideaux de plomb de l’appareil de radioscopie soient ouverts ou partiellement ouverts lorsque l’appareil contrôle le bagage et a noté que lorsque les rideaux n’étaient pas déplacés, ils ne descendaient pas jusqu’au convoyeur.

[24] Mme Landry a confirmé que tout rayonnement de fuite qui s’échapperait dans ces circonstances ne comportait aucun risque pour les opérateurs de l’appareil de radioscopie qui se tenaient à une distance sécuritaire (supérieure à 50 centimètres de l’entrée ou de la sortie de l’appareil) lorsqu’ils s’acquittaient de leurs tâches.

[25] Mme Landry a convenu que s’il y avait plus d’espace entre les bacs, cela réduirait le rayonnement de fuite dans une certaine mesure, mais a précisé que, comme l’a confirmé le rapport de l’Institut de radioprotection du Canada préparé par le Dr Caldwell en réponse aux instructions, le niveau de rayonnement à l’endroit où se tiennent les opérateurs des appareils de radioscopie continuerait de se confondre avec le fond naturel de rayonnement.

[26] Les appareils de radioscopie à YHZ sont équipés d’un écran en métal à l’entrée et à la sortie des appareils, dont la longueur est de 66 centimètres à l’entrée, de 71 centimètres à la sortie du côté de l’opérateur et de 153 centimètres du côté du public pour garantir la garde et le contrôle du bagage par l’ACSTA. Les écrans ont trois côtés et s’étendent de l’appareil de radioscopie au convoyeur à courroie et empêchent ainsi une personne de s’approcher à 50 centimètres des ouvertures de l’appareil de radioscopie comme l’exige l’alinéa 4.1.2(1)i) du Code de sécurité 29. Le convoyeur à courroie sous l’écran ainsi que les rouleaux qui continuent à l’extérieur empêchent les personnes de se tenir devant l’entrée de l’appareil de radioscopie ou d’atteindre l’intérieur de l’appareil. Les écrans assurent également le respect du Règlement sur les dispositifs émettant des radiations (Partie IV, alinéa 2(3)a)) qui exige que les appareils de radioscopie soient conçus de façon à empêcher une partie quelconque du corps humain de traverser le faisceau primaire de rayons X. L’interdiction de poser des gestes dangereux prévue au Code de sécurité 29, y compris l’exposition d’une partie du corps au faisceau de rayons X et le geste de soulever le rideau de plomb d’un appareil de radioscopie par une personne, est également prise en compte par les écrans en métal des appareils de radioscopie.

[27] Mme Landry a mentionné la photographie de la Ligne 5 à l’aéroport YHZ et a décrit les trois différentes positions des trois agents de contrôle travaillant sur la ligne et a confirmé, dans chaque cas, que les opérateurs se tenaient à plus de 50 centimètres de l’entrée ou de la sortie de l’appareil de radioscopie. Mme Landry a souligné l’article 4.2.2 du Code de sécurité 29, plus particulièrement les études mentionnées à cet article qui ont démontré, sur une période de sept ans, que les agents de contrôle qui font fonctionner correctement un appareil de radioscopie de contrôle des bagages ne sont pas exposés à des taux de radiation dangereux. Mme Landry a confirmé qu’elle ne connaissait aucune étude qui était parvenue à une conclusion différente à celle mentionnée dans le Code de sécurité 29. Le test des appareils en question a été réalisé conformément aux directives de l’ACSTA et de NAV CANADA prévues dans le Document 12, comme le reconnaît Mme Clark dans son rapport d’enquête.

[28] L’appareil de radioscopie permet à l’opérateur de faire avancer les bacs sur le tapis ou de les faire reculer afin de s’assurer d’obtenir une bonne image d’un seul sac radioscopé. L’indication dans le document selon laquelle il doit y avoir 12 pouces entre les bacs a pour seul objectif de faire en sorte d’avoir de l’espacement entre les bacs pour avoir une bonne qualité d’image. Cette indication de 12 pouces n’est pas liée à la sécurité contre les rayonnements. Il y a deux indications dans les procédures normalisées d’exploitation (PNE) d’ACSTA concernant l'espacement entre les bacs de 30 centimètres ou de 12 pouces; ces deux indications servent uniquement à aider à préserver la qualité de l’image pour l’opérateur de l’appareil de radioscopie et n’ont absolument aucun lien avec la sécurité contre les rayonnements.

[29] Securitas a appelé le Dr Curtis Caldwell à témoigner. Dr Caldwell est l’expert scientifique en chef de l’Institut de radioprotection du Canada. Avant l’audience, pendant la téléconférence préparatoire tenue le 14 mai 2018, les parties ont convenu que le Dr Caldwell était qualifié pour fournir un témoignage d'expert sur le sujet de la sécurité contre les rayonnements. Son rapport écrit daté du 10 novembre 2017 a également été admis sur consentement et versé comme pièce et une version révisée de ce rapport, datée du 18 novembre 2017, a été déposée sur consentement à l’audience. Dr Caldwell est titulaire d’une maîtrise en physique médicale de l’Université McGill ainsi qu’un doctorat en biophysique médicale de l’Université de Toronto. Il a travaillé l’essentiel de sa carrière comme consultant et comme officier de radioprotection pour l’hôpital Sunnybrook, où il assumait l’entière responsabilité de la sécurité contre les rayonnements. Les compétences et les qualifications du Dr Caldwell à titre d’expert en sécurité contre les rayonnements sont incontestables.

[30] Le témoignage du Dr Caldwell confirme essentiellement le test, l’analyse et les conclusions énoncés dans son rapport préparé à la demande de Securitas à la suite des instructions de Mme Clark. Son témoignage peut se résumer comme suit.

[31] Dr Caldwell a commenté que, en tant qu’employeur relevant de la compétence fédérale, Securitas était tenue de se conformer au Code canadien du travail et à son Règlement applicable relativement à la sécurité en matière de radioscopie. Il a notamment souligné l’exigence de respecter le règlement 10.26 qui fait référence au Code de sécurité 21, qui a été remplacé par le Code de sécurité 29, qui traite des recommandations portant sur les précautions à prendre dans le choix, l’installation et l’usage d’appareils à rayons X pour l’inspection des bagages.

[32] L’Institut de radioprotection du Canada a été mandaté par Securitas de fournir une analyse indépendante des niveaux de rayonnement des rayons X émis par les appareils de radioscopie des bagages Rapiscan situés à Halifax. Deux types de tests ont été réalisés pour évaluer le fonctionnement de l’appareil Rapiscan. Le premier était statique (test du blindage) et comprenait l’inspection de blocs de diffusion en Lucite pour tester le blindage contre les fuites de rayonnement. Le deuxième type de test était dynamique et comprenait ce qu’il a appelé des « sacs de voyage typiques ». Dans ces tests, les sacs typiques imitaient, de façon plus réaliste, le déplacement des bagages de voyage habituels et des articles connexes dans l’appareil.

[33] Dr Caldwell expliquait que le test de l’Institut de radioprotection du Canada à l’aéroport d’Halifax évaluait le rayonnement à différents endroits autour de l’appareil de radioscopie et ce rayonnement était mesuré en roentgen (µR). Dr Caldwell a précisé que les tests ont été effectués en présence des représentants des parties et les renseignements quant aux endroits où se tenaient les agents de contrôle ont été fournis par les représentants des travailleurs. Les mesures ont été prises pendant deux jours et en présence des représentants des travailleurs. Le Dr Caldwell jugeait important de procéder ainsi étant donné les préoccupations soulevées par les intimées.

[34] Dr Caldwell a indiqué que les doses utilisant les blocs en Lucite comme support de diffusion seront plus élevées que celles subies pendant une utilisation normale. Les mesures des fuites de rayonnement avec du Lucite dans les fenêtres d’inspection et le système de convoyeur désactivé étaient, dans tous les cas, inférieures à la limite réglementaire de 500 µR/heure. Lorsque le deuxième type de test mentionné ci-dessus a été effectué, Dr Caldwell a observé que, aux endroits où se tenaient l’opérateur et les autres travailleurs se trouvant à proximité, le contrôle radiologique indiquait des niveaux se confondant avec le fond naturel de rayonnement. Les taux à l’entrée et à la sortie des écrans correspondaient à des taux en micro µR à un seul chiffre; le plus élevé étant 4 µR par 5 minutes d’exposition. En d’autres mots, les taux n’étaient pas différents de ceux d’une personne moyenne exposée à un rayonnement normal quotidien. Il a également remarqué qu’aucun effort particulier n’a été déployé pour conserver la distance entre les bacs lorsque les sacs passaient dans l’appareil de radioscopie pendant le test, pour prendre en compte les préoccupations soulevées par Mme Doyle et Mme Cleveland-Wood.

[35] Dr Caldwell a expliqué que la limite réglementaire relative au rayonnement ionisé pour les travailleurs est de 1 millisievert (mSv) – qui est l’équivalent de 100 000 micros µR – par année. Cette limite est la même pour les agents de contrôle et le public en général.

[36] Dr Caldwell s’est longuement étendu sur l’exposition potentielle des travailleurs au rayonnement. Il trouvait important de souligner que plusieurs des mesures prises qui constituaient le fondement de son rapport ont été prises à partir d’endroits inhabituels où un agent de contrôle devrait être littéralement sur le dessus du système de convoyeur, ce qui, comme l’explique Mme Landry dans son témoignage, n’est pas le cas puisque les agents de contrôle ont toujours travaillé à plus de 50 centimètres de l’entrée et de la sortie de l’appareil Rapiscan. Malgré cela, Dr Caldwell a conclu que l’agent de contrôle aurait à se tenir à ces positions extrêmes pendant environ 4 386 heures par année (ce qui est impossible) avant d’atteindre la limite annuelle de 1 mSv d’exposition au rayonnement.

[37] Il a également décrit, lorsqu’il a fait référence à un « scénario plus vraisemblable », au cas où un agent de contrôle placerait son bras dans l’ouverture de l’écran pour ajuster le positionnement du bagage qui se trouvait encore sur le convoyeur à courroie. Dans ce scénario, pour qu’un travailleur atteigne sa limite de dose annuelle (1 mSv) d’exposition au rayonnement, il devrait garder son bras dans cette position pendant environ 219 298 heures par année, ce qui est évidemment impossible. Dr Caldwell a remarqué que les « fonds naturels » de rayonnement ne sont pas les mêmes partout dans le monde. Par exemple, le taux à Halifax était, en moyenne, de 2.4 mSv par année, et celui à Winnipeg était de 6 mSv par année.

[38] Dr Caldwell a également expliqué que, en raison de la nature des faisceaux de rayons X, peu de rayons X provenant de l’appareil de radioscopie des bagages sont diffusés à l’extérieur de la chambre de radioscopie. Cette diffusion est minimisée par la façon dont le rayonnement est diffusé, le blindage qui est contenu à l’intérieur de l’appareil, les rideaux de plomb et les écrans à l’extérieur de la chambre de radioscopie qui réduisent davantage les probabilités de diffusion de rayonnement dans un endroit où les agents de contrôle travaillent. Dr Caldwell a également souligné que l’intensité du rayonnement diminue plus on s’éloigne de la source.

[39] En outre, Dr Caldwell a remarqué que, selon lui, la mention dans le Code de sécurité 29 du geste de soulever les rideaux de plomb correspondait au geste de soulever physiquement ces rideaux avec une main ou un bras et ne visait pas les situations où les rideaux de plomb étaient temporairement déplacés par un sac qui traversait la chambre de radioscopie. En fait, il a indiqué que les rideaux sont conçus pour « envelopper » le sac lorsqu’il passe dans l’appareil, et la présence du sac à l’entrée et à la sortie du tunnel devient un obstacle qui bloque vraisemblablement toute autre diffusion possible de rayonnement.

[40] Les conclusions finales du Dr Caldwell sont exposées à la page 21 de son rapport comme suit :

[Traduction] Le résultat du test d’intégrité du blindage mené en utilisant les blocs en Lucite qui produisent un environnement à « grande diffusion » indiquait que tous les systèmes respectaient les normes du Code de sécurité relatives à l’intégrité du blindage. Le test a vérifié que toutes les machines fonctionnaient correctement et que le blindage était suffisant pour protéger les travailleurs contre le dépassement des limites prévues par la législation. Par conséquent, lorsque le Lucite est utilisé comme support de diffusion, aucun des trois appareils n’a excédé la limite prévue par la législation.

Lorsque des tests plus réalistes ont été effectués et que des bagages typiques ont été mis dans les bacs, les taux d’exposition au rayonnement mesurés aux endroits se trouvant autour des systèmes de contrôle des bagages testés où se tiennent les travailleurs étaient très faibles. En fait, aux endroits où les travailleurs se tiennent habituellement, les mesures n’étaient pas différentes des niveaux de rayonnement provenant du fond naturel de rayonnement (c’est-à-dire les niveaux de rayonnement qui ne sont pas liés à l’utilisation d’appareils à rayons X, tels que le rayonnement cosmique et le rayonnement de matériaux radioactifs dans les matériaux de construction), ce qui laisse penser que les systèmes sont exceptionnellement bien collimatés et blindés.

[41] Les constats et les conclusions du Dr Caldwell n’ont pas été contestés par le représentant des intimées ou par une preuve d’expert contraire.

Les intimées

[42] Les intimées n’ont pas témoigné et n’ont appelé aucun témoin.

Observations des appelantes

Securitas

[43] L’avocat de l’appelante Securitas a d’abord présenté le cadre législatif et réglementaire pertinent pour le présent appel et a soutenu que la déléguée ministérielle a commis une erreur en concluant que l’utilisation des appareils de contrôle Rapiscan présentait un danger pour les employées au moment de l'exercice de leur refus de travailler. L’avocat a insisté sur le fait que les conclusions de la déléguée ministérielle sont principalement fondées sur son interprétation du Code de sécurité 29 et sur son impression erronée selon laquelle 12 pouces devaient séparer les sacs passant dans l’appareil ou autrement l’appareil pourrait émettre un rayonnement nocif.

[44] Dans son témoignage, Mme Clark a reconnu que rien dans le Code de sécurité 29 ou dans le mode d’emploi de l’appareil Rapiscan n’exigeait qu’il y ait un espacement de 12 pouces entre les sacs. En outre, mises en contexte, il est évident que les dispositions sur lesquelles s’est appuyée la déléguée ministérielle dans le Code de sécurité 29 concernaient les « personnes » posant le geste de lever les rideaux plombés pendant l’émission des rayons X, et non les sacs qui faisaient bouger les rideaux de plomb lorsqu’ils passaient dans l’appareil. Cette interprétation est étayée par la deuxième partie de la même phrase dans laquelle il est question d’« exposer une partie quelconque du corps au faisceau... », et par la note explicative dans le bas qui précise que le « dispositif est installé de façon telle qu’il n’est pas possible de soulever le rideau ».

[45] L’avocat de Securitas renvoie au témoignage de Mme Landry, lorsqu’elle souligne que les indications relatives à la distance entre les sacs dans les PNE d’ACSTA concernent uniquement la qualité de l’image et n’ont rien à voir avec la sécurité contre les rayonnements. Mme Landry a également affirmé dans son témoignage que la distance entre l’endroit où se tiennent les agents de contrôle au travail et l’entrée ou la sortie de l’appareil de radioscopie est toujours supérieure à 50 centimètres.

[46] En résumé, le Code de sécurité 29 et le mode d'emploi de l’appareil Rapiscan n’exigent pas qu’il y ait un espace entre les sacs pour l’utilisation sécuritaire de l’appareil et les indications relatives au geste de lever les rideaux de plomb ne s’appliquent pas à l’utilisation normale de l’appareil lorsque les sacs passent dans l’appareil. Le Code de sécurité 29 traite plutôt des employés qui lèvent physiquement le rideau de plomb ou expose une partie quelconque de leur corps au faisceau de rayons X pendant que l’appareil de radioscopie est en marche.

[47] L’avocat de Securitas renvoie au témoignage du Dr Caldwell et à son rapport d’expert portant sur l’utilisation des appareils de contrôle Rapiscan qui ont mené aux refus de travailler. Il souligne les constats et les conclusions du Dr Caldwell selon lesquels il n’y a absolument aucun danger, qui sont exposés précédemment dans les présents motifs. En conclusion, l’avocat de Securitas soutient que selon le rapport et le témoignage du Dr Caldwell, ainsi que le témoignage de Mme Landry, il ne fait aucun doute que les appareils Rapiscan étaient utilisés conformément aux exigences du fabricant et au Code de sécurité 29, et qu’ils ne présentent absolument aucun danger pour les employés. En effet, même lorsqu’ils ont été testés dans des conditions extrêmes, les employés ne se rapprochaient pas de leur limite d’exposition au rayonnement. Cette preuve, dans les observations de l’avocat, devrait être déterminante pour l’appel.

[48] Par conséquent, les appareils de contrôle Rapiscan ne présentent aucun danger pour les employés et l’appel devrait être accueilli et l’instruction annulée.

ACSTA

[49] L’avocat pour l’appelante ACSTA mentionne d’abord les témoignages de Mme Clark et de Mme Landry. Il souligne que Mme Clark a reconnu que ni le Code de sécurité 29 ni le guide de l’opérateur Rapiscan n’exigeaient un espacement minimal entre les bacs, ce qui est le fondement de la conclusion de l'existence d’un danger tirée par Mme Clark. Il renvoie en outre au témoignage de Mme Landry, qui établit clairement que les appareils de contrôle respectaient toutes les exigences réglementaires applicables et que leur utilisation ne présentait aucun danger pour les agents de contrôle travaillant autour de ces appareils. J’ai précédemment résumé le témoignage de Mme Landry dans les présents motifs.

[50] L’avocat de l’ACSTA évoque ensuite le rapport d’expert préparé par le Dr Caldwell et son témoignage à l’audience, qui est résumé ci-dessus. En résumé, le test a révélé que tous les appareils de radioscopie respectaient les limites réglementaires et, en fait, étaient plus sécuritaires que ces limites. Aux endroits où les agents de contrôle travaillent, les niveaux de rayonnement se confondaient au fond naturel de rayonnement. En d’autres mots, les résultats à ces endroits étaient les mêmes, que l’appareil de radioscopie soit en marche ou non. Même à l’entrée de l’appareil de radioscopie, le test a révélé que les niveaux ne dépassaient pas le seuil de 1 mSv par année.

[51] L’avocat souligne que les PNE de l’ACSTA, qui doivent être respectées par les fournisseurs de services de contrôle effectuant le contrôle avant l’embarquement pour le compte de l’ACSTA aux aéroports du Canada, n’interdisent pas l’utilisation de l’appareil de radioscopie lorsque les rideaux de plomb des appareils sont ouverts ou partiellement ouverts. Comme l’a indiqué Mme Landry, il est normal que les rideaux de plomb de l’appareil de radioscopie soient ouverts ou partiellement ouverts lorsque les bagages des passagers sont radioscopés. La disposition concernant l’espacement entre les bacs vise uniquement à assurer la qualité de l’image de la radiographie et n’a aucun rapport avec la question de la sécurité aux rayonnements.

[52] En ce qui concerne le Code de sécurité 29, l’avocat de l’ACSTA soutient que les gestes dangereux posés par un opérateur, mentionnés à l’article 4.2.1 sont des gestes intentionnels de nature dangereuse qui sont posés par un opérateur ou une autre personne. Par exemple, dissimuler les « voyants lumineux d’avertissement » et les autres « dispositifs indicateurs ». Les actes indiqués comprennent également l'exposition d’une partie du corps au « faisceau de rayons X » et « le geste de soulever le rideau plombé ». Il est soutenu que cette dernière indication se rapporte, comme le confirme le Dr Caldwell, au levage manuel des rideaux de plomb par un opérateur ou une autre personne pour accéder à la chambre de radioscopie et ne vise pas le déplacement des rideaux par les sacs radioscopés.

[53] Par conséquent, l’avocat conclut qu’il n’y a aucune preuve de danger provenant de l’exposition à un rayonnement dangereux en ce qui concerne les employés travaillant sur les appareils de radioscopie, ou à proximité de ceux-ci, qui sont utilisés aux points de contrôle avant l’embarquement, et que l’instruction devrait être annulée.

Observations des intimées

[54] La représentante des intimées a fait valoir la conclusion de Mme Clark selon laquelle l’utilisation ou le fonctionnement de l’appareil de radioscopie Rapiscan constituait réellement un danger pour les travailleurs de l’Aéroport international d’Halifax. La conclusion confirmait que les intimées croyaient à la présence d’un danger imminent potentiel et le fait que le refus de travailler de Mme Alicia Doyle et de Mme Tracey Cleveland-Wood était justifié. Mme Alicia Doyle et Mme Tracey Cleveland-Wood avaient des inquiétudes sérieuses et légitimes concernant leur santé et leur sécurité, et une peur justifiée des expositions possibles au rayonnement des appareils Rapiscan. La représentante affirme également qu’une formation adéquate sur l’utilisation de ces appareils n’a pas été fournie aux employés.

[55] Par conséquent, les intimées demandent que les ordonnances et l’instruction de Mme Clark soient maintenues. En outre, les intimées demandent que Securitas fournisse une formation en santé et sécurité adéquate et complète sur l’utilisation de l’appareil de radioscopie Rapiscan et sur les autres nouvelles procédures et nouveaux protocoles mis en œuvre pour l’utilisation de ce type d’appareils dans le cadre du processus de contrôle des bagages.

Réplique des appelantes

[56] Dans leur réplique, les appelantes ont réitéré le fait que le témoignage d’expert présenté à l’audience avait clairement établi que les appareils de contrôle à rayons X ne posaient aucun danger pour les employés, comme l’avait d’ailleurs reconnu la déléguée ministérielle dans son témoignage.

[57] Les appelantes font également valoir que l’instruction faisant l’objet de l’appel n’avait pas abordé la question de la formation et que cette dernière n’était donc pas visée par l’appel. Le représentant des intimées avait adressé des questions concernant la formation à Mme Landry qui avait répondu que les agents de contrôle avaient reçu une formation avant le déploiement du premier appareil de radioscopie, mais qu’elle ne disposait d’aucun renseignement à propos de la formation. Aucun témoignage n’avait été fourni par les intimées relativement au caractère adéquat de la formation assurée par Securitas. Par conséquent, il n’y a aucune preuve du caractère inadéquat de la formation sur l’appareil de radioscopie.

[58] Enfin, les intimées demandent que Securitas soit tenue de fournir une formation sur l’appareil de radioscopie et sur les autres nouvelles procédures et nouveaux protocoles mis en œuvre concernant l’utilisation de ce type d’appareils. Comme il est mentionné précédemment, le caractère adéquat de la formation n’était pas visé par l’appel et aucun témoignage n’a été présenté concernant une éventuelle insuffisance de formation reçue par les employées de Securitas. Ainsi, rien ne justifie l’émission d’une ordonnnance relativement à la formation des employées sur l’utilisation de l’appareil de radioscopie.

Analyse

[59] Le présent appel est interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code, à l’encontre d’une instruction de « danger » émise par la déléguée ministérielle Mme Clark en application de l’alinéa 145(2)a) du Code. L’instruction a été émise à la suite de son enquête sur le refus de travailler des intimées, effectuée en vertu du paragraphe 128(1) du Code. Le paragraphe 128(1) se lit comme suit :

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[60] Au cœur du droit de refuser de travailler se trouve la notion de danger, qui est définie à l’article 122 du Code de la façon suivante :

122. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

danger Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

[61] La définition de danger citée ci-dessus a été présentée avec les modifications apportées au Code par la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, L.C. 2013, ch. 40, et est entrée en vigueur le 31 octobre 2014. La seule question soulevée dans le présent appel est de savoir si la conclusion de la déléguée ministérielle quant à l’existence d’un danger au sens du Code est fondée dans les circonstances qui prévalaient au moment de l’exercice des refus de travailler.

[62] Le paragraphe 146.1(1) du Code décrit le pouvoir d’un agent d’appel lorsqu’un appel est interjeté à l’encontre d’une instruction relative à un danger. Un agent d’appel peut modifier, annuler ou confirmer l’instruction.

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

[63] Je dois effectuer l’examen de façon de novo, ce qui signifie que je ne suis pas lié par les conclusions de faits ou les conclusions de la déléguée ministérielle et que je peux apprécier tous les éléments de preuve pertinents se rapportant aux circonstances qui prévalaient à l’époque de l’instruction, y compris des éléments de preuve qui n’étaient pas mis à la disposition de la déléguée ministérielle ou dont elle n’a pas tenu compte (voir DP World (Canada) Inc. c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section Locale 500 et al., 2013 TSSTC 3; Ville d’Ottawa (OC Transpo) c.MacDuff, 2016 TSSTC 2).

[64] Pour en arriver à une conclusion de danger, un certain nombre d’éléments doivent être établis. Ces éléments découlent de la définition de « danger » et ont été habilement énoncés dans Service correctionnel du Canada c. Ketcheson, 2016 TSSTC 19 (Ketcheson), la première décision d’appel rendue dans le cadre de la nouvelle définition de la notion de danger, comme suit :

1) Quel est le risque allégué, la situation ou la tâche?

2) a) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?

ou

b) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?

et

3) La menace pour la vie ou la santé existera-t-elle avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté?

[65] Dans l’affaire Ketcheson, l’agent d’appel se penche sur le sens du mot « menace », qui est au cœur de la définition de danger et affirme ce qui suit :

[198] Dans le New Shorter Oxford English Dictionary (1993) le mot « threat » est défini comme suit [traduction] : « une personne ou une chose considérée comme étant susceptible de causer un préjudice ». On peut donc dire que, selon cette définition, la menace indique la probabilité d’un certain niveau de préjudice. Certains risques sont des menaces et d’autres ne le sont pas. Un risque très faible, soit en raison de sa faible probabilité ou de sa faible gravité, n’est pas une menace. La probabilité et la gravité doivent chacune atteindre un seuil minimal avant que le risque ne puisse être appelé une menace. Il est clair qu’un risque faible n’est pas un danger. Un risque élevé est un danger.

[Soulignement ajouté]

[66] De même, l’agent d’appel dans l’affaire Keith Hall & Sons Transport Limited c. Robin Wilkins, 2017 TSSTC 1, mentionne ce qui suit :

[40] Il convient également de noter que le concept d’attente raisonnable (c’est-à-dire, les mots « pourrait vraisemblablement ») demeure inclus dans la définition modifiée. Tandis que l’ancienne définition exigeait que l’on tienne compte des circonstances aux termes desquelles une situation, une tâche ou un risque est susceptible de causer des blessures à une personne ou de la rendre malade, la nouvelle définition exige plutôt que l’on examine si la situation, la tâche ou le risque pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée. À mon avis, pour conclure qu’il y a présence d’un danger, il faut donc qu’il y ait plus qu’une menace hypothétique. Une menace n’est pas hypothétique si elle peut vraisemblablement causer un préjudice, ce qui signifie, dans le contexte de la Partie II du Code, qu’elle peut causer des blessures à des employés ou les rendre malades.

[41] Pour qu’il y ait présence d’un danger, il faut donc qu’il y ait une possibilité raisonnable que la menace alléguée se matérialise, c’est-à-dire que la situation, la tâche ou le risque causeront bientôt des blessures à une personne ou la rendront malade (en l’espace de quelques minutes ou de quelques heures) dans le cas d’une menace imminente; ou qu’elle causera des blessures sévères à une personne ou la rendra gravement malade à un moment donné dans l’avenir (que ce soit dans les jours, les semaines ou les mois, voire peut-être les années, à venir) dans le cas d’une menace sérieuse. Il convient de mettre l’accent sur le fait que, dans le cas d’une menace sérieuse, il faut évaluer non seulement la probabilité que la menace puisse entraîner un préjudice, mais également la gravité des conséquences indésirables potentielles de la menace. Seules les menaces susceptibles de causer des blessures sévères à une personne ou de la rendre gravement malade peuvent constituer des menaces sérieuses à la vie et à la santé des employés.

[Soulignement ajouté]

[67] La question en l’espèce consiste donc à décider si les employées étaient exposées à un danger au moment où elles ont refusé de travailler. La question n’est pas de savoir si leur refus était fondé sur une appréhension raisonnable du danger, mais plutôt si elles étaient effectivement exposées à un danger dans leur lieu de travail. Le danger doit être établi de façon objective par les faits.

[68] La situation alléguée dans la présente affaire est l’utilisation des appareils de contrôle Rapiscan lorsque les rideaux demeurent soulevés et enveloppent un bagage à l’entrée ou à la sortie du tunnel à rayons X, lorsque l’appareil est en fonction. L’inquiétude soulevée par les employées est qu’elles pourraient être exposées à un niveau de rayonnement inacceptable dans ces circonstances, ce qui pourrait selon elles constituer une menace imminente ou sérieuse pour leur santé.

[69] L’exposition à certains niveaux de rayonnement est reconnue comme ayant des effets dommageables pour la santé des personnes. Cependant, dans l’affaire Damian Azeez et Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TSSTC 8, l’agent d’appel précise ce qui suit :

[62] Chacun sait que l’exposition au rayonnement peut avoir des effets nuisibles sur le corps humain. Toutefois, ce qu’il est primordial de distinguer dans l’affaire qui nous occupe n’est pas s’il existait, au moment du refus, un risque que l’appelant soit exposé au rayonnement du courrier provenant du Japon, mais si les niveaux de rayonnement émanant de ce courrier étaient suffisamment élevés pour être considérés dangereux pour l’appelant.

[Soulignement ajouté]

[70] La question qui se pose donc quant aux circonstances qui prévalaient le 31 août 2017 et au moment de l’enquête de Mme Clark est de savoir si les employées ayant exercé leur refus de travailler étaient effectivement exposées à un niveau de rayonnement inacceptable entraînant une menace (imminente ou sérieuse) pour leur santé. Il s’agit essentiellement d’une question de fait. À la lumière de la preuve présentée à l’audience, je suis d’avis qu’il n’existe tout simplement aucun fondement pour conclure à l’existence d’un danger.

[71] Bien que l’appel représente un processus de novo, il convient d’examiner en premier lieu les raisons pour lesquelles Mme Clark a conclu à l’existence d’un danger. Elle a conclu que, pour assurer une utilisation sécuritaire et conforme au Code de sécurité 29 et aux procédures opérationnelles des appelantes, tous les sacs passant dans l’appareil de radioscopie doivent être chacun espacés de 12 pouces. Autrement, les rideaux de plomb de l’appareil Rapiscan pourraient s’ouvrir et entraîner la diffusion du rayonnement nocif hors du tunnel. Comme le Code de sécurité 29 considère le « geste de soulever le rideau plombé » comme une utilisation inadéquate et dangereuse de l’appareil de radioscopie, elle a conclu que la santé des employées était potentiellement mise en péril. Par conséquent, le constat de danger établi par la déléguée ministérielle est, en grande partie, fondé sur son interprétation et sa compréhension du Code de sécurité 29.

[72] Ce Code est intégré par renvoi au paragraphe 10.26(1) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail :

10.26 (1) Lorsqu’un dispositif pouvant produire et émettre de l’énergie sous forme de rayonnements ionisants ou non ionisants est utilisé dans le lieu de travail, l’employeur doit

[…]

b) s’il s’agit d’un dispositif visé au paragraphe (2), mettre en application le document pertinent, avec ses modifications successives, publié par le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social dans le cas d’un document mentionné à l’un des alinéas (2)a) à k), ou par l’ANSI dans le cas du document mentionné à l’alinéa (2)l).

(2) Le document visé à l’alinéa (1)b) est :

[…]

c) dans le cas des appareils à rayons X pour l’inspection des bagages, le Code de sécurité – 21, publié en 1978;

[73] Il est admis que le « Code de sécurité 21 » dont il est question à l’article 10.26 a été remplacé par le « Code de sécurité 29 », « Dispositifs à rayons X pour l’inspection des bagages - précautions à prendre ». Le paragraphe 4.1.2 (Consignes d’installation et tests de mise en service) et le paragraphe 4.2.1 (Mesures de sécurité recommandées) du Code de sécurité 29,qui constituent les paragraphes pertinents aux fins du présent appel, prévoient, notamment, ce qui suit :

4.1.2 Consignes d’installation et tests de mise en service

Les dispositifs à rayons X doivent être installés de façon à limiter le nombre de personnes qui devront se tenir aux abords immédiats de l’appareil et à réduire ainsi les risques d’exposition. Les exigences qui suivent s’appliquent à toutes les installations.

  1. Les dispositifs à rayons X pour l’inspection des bagages doivent être placés de telle manière que, dans des conditions normales d’utilisation,
    1. les personnes qui ont des bagages ou d’autres effets personnels à faire examiner restent à une distance d’au moins 0,50 mètre des ouvertures de la chambre d’irradiation lorsque le faisceau est activé;
    2. les membres du public (à l’exclusion des membres du personnel autorisés à utiliser le dispositif d’inspection ou à travailler dans le voisinage immédiat et des personnes qui ont des bagages à faire examiner) demeurent à plus de 2 mètres du dispositif d’inspection.

4.2.1 Mesures de sécurité recommandées

Même si le dispositif à rayons X pour l’inspection des bagages répond à toutes les exigences du Règlement sur les dispositifs émettant des radiations (Annexe II, Partie IV) et si les programmes d’entretien préventif permettent d’en assurer la sécurité et la fiabilité, une utilisation inadéquate peut provoquer des accidents et exposer inutilement les gens aux radiations. Pour réduire ces risques, il convient de prendre les précautions suivantes :

  1. S’abstenir de toute action contraire aux normes de sécurité lorsque le dispositif à rayons X est en marche. Le geste de soulever le rideau plombé pendant l’émission des rayons X, d’exposer une partie quelconque du corps au faisceau, de dissimuler les voyants lumineux d’avertissement et les autres dispositifs indicateurs sont autant d’exemples d’entorses à la sécurité.
    Nota : Même dans les cas où le dispositif est installé de façon telle qu’il n’est pas possible de soulever le rideau ni d’avoir accès aux ouvertures de la chambre d’irradiation, des avertissements appropriés (écriteaux et voyants lumineux) doivent être clairement visibles de l’endroit où les bagages sont présentés à l’inspection.
  2. Nul ne doit créer des conditions physiques ou mécaniques qui risquent de nuire à la sécurité du dispositif à rayons X. Le fait de rendre inopérants les dispositifs de sécurité, de placer sur l’appareil des récipients contenant des liquides, d’installer le dispositif à rayons X dans une pièce exiguë pour effectuer les travaux courants d’entretien et les essais ou d’installer le dispositif dans un endroit exposé à la pluie ou à la neige sont autant d’exemples d’actions à éviter.

[74] Le Code de sécurité 29 stipule également, en partie, au paragraphe 4.2.2 « Dosimètres à l’usage du personnel », ce qui suit :

Les résultats d’études approfondies effectuées par le Bureau de la radioprotection et des instruments médicaux ont démontré que lorsque les dispositifs à rayons X pour l’inspection des bagages répondent aux normes prescrites dans le Règlement sur les dispositifs émettant des radiations (Annexe II, Partie IV) et qu’ils sont entretenus et utilisés par du personnel compétent, l’exposition aux rayons X subie par les opérateurs reste négligeable et ne dépasse pas le taux d’exposition subi dans le milieu naturel. En outre, une enquête portant sur les radiations de fuite et couvrant une période de 8 ans (1978 à 1985) a permis de constater que l’exposition estimative mesurée à l’endroit où se tiennent les opérateurs ne dépasse pas le taux d’exposition aux radiations naturelles. Or, rien n’indique que les radiations qui existent normalement dans le milieu naturel augmentent les risques de cancer. Dès lors, le port de dosimètres par le personnel n’est ni nécessaire, ni conseillé.

[Soulignement ajouté]

[75] La compréhension de Mme Clark voulant qu’un espacement de 12 pouces soit nécessaire pour assurer une utilisation sécuritaire des appareils Rapiscan est contredite par la preuve non contestée présentée à l’audience. Cette preuve est concluante : l’hypothèse factuelle qui sous-tend l’instruction émise par Mme Clark est tout simplement erronée. Le témoignage de Mme Landry et du Dr Caldwell indique que l’espacement de 12 pouces dont il est question dans les PNE de l’ACSTA n’a rien à voir avec la sécurité aux rayonnements, mais vise plutôt à garantir la qualité de l’image projetée par le balayage. La situation décrite par les employées correspond à l’utilisation normale des appareils Rapiscan.

[76] L’explication supplémentaire fournie à l’employeur exposant ses motifs est également fort révélatrice, puisqu’elle démontre que son instruction s’appuie sur l’existence de ce qu’elle a considéré comme une menace potentielle à la santé des employées. La jurisprudence s’est penchée sur la notion de menace potentielle – tant à l’égard de la définition antérieure que de la définition actuelle – pour examiner la probabilité de la survenance d’événements futurs et, surtout, en ce qui a trait à des situations mettant en cause l’imprévisibilité du comportement humain, comme les pénitenciers, le secteur du transport de fonds, les activités d’application de la loi et autres. Dans ces cas, les faits importants prouvant l’existence d’une menace potentielle sont clairement établis dans la preuve. Autrement dit, un danger peut constituer un danger éventuel, mais c’est la probabilité que la menace se concrétise dans l’avenir avant qu’il ne soit possible d’écarter le danger qui est prise en compte sous l’exigence d’« attente raisonnable » dans la définition. Cet élément doit néanmoins être apprécié à la lumière des faits importants qui, une fois établis, sont en mesure de constituer le fondement d’une conclusion selon laquelle une menace est présente. À mon avis, Mme Clark a mal appliqué le concept de menace potentielle et sa conclusion quant à l’attente raisonnable d’une menace dans les circonstances qu’elle décrit est dépourvue de fondement factuel.

[77] Un danger n’englobe pas les situations qui sont de nature hypothétique ou spéculative ni la simple crainte qu’une situation donnée puisse constituer une menace pour l’employé. En ce sens, la menace – qu’elle soit concrète ou potentielle – doit être réelle et fondée sur des faits établis, ou déduite de ceux-ci. Elle doit reposer sur des faits importants établissant une possibilité raisonnable que la santé d’un employé soit menacée, de manière immédiate (menace imminente) ou à plus long terme (menace sérieuse).

[78] Mme Clark ne dispose tout simplement pas de ces faits. Elle a émis l’instruction s’appuyant sur sa croyance que le manque d’espacement entre les bacs/sacs provoquant le soulèvement des rideaux constituait un problème et était susceptible d’entraîner un niveau de rayonnement inacceptable, sans la moindre preuve à première vue d’un niveau anormal de rayonnement ou d’un mauvais fonctionnement des appareils de radioscopie. À mon avis, cette approche est loin de permettre d’établir les faits d’où il est possible de puiser une attente raisonnable quant à la présence d’une menace.

[79] Néanmoins, je procède à un examen de novo de l’affaire et je dois établir si les employées étaient exposées à un danger, à la lumière des faits que me sont présentés à l’audience. Les mesures prises à l’égard des appareils et les conclusions qui en découlent du Dr Caldwell démontrent clairement que le niveau de rayonnement émis dans les circonstances décrites par les employées se situe largement dans les limites acceptables et ne dépassent pas l’exposition naturelle à laquelle une personne est exposée. Aux endroits où les agents de contrôle travaillent, les niveaux de rayonnement se confondaient au fond naturel de rayonnement. En d’autres mots, les résultats à ces endroits étaient les mêmes, que l’appareil de radioscopie soit en marche ou non. Même à l’entrée de l’appareil de radioscopie, le test a révélé que les niveaux ne dépassaient pas le seuil de 1 mSv par année. Mon résumé des conclusions tirées par le Dr Caldwell et les extraits de son rapport d’expert sont des éléments convaincants et déterminants dans le cadre de cet appel. La preuve démontre que les appareils Rapiscan fonctionnaient correctement et que l’installation, la vérification et l’utilisation de ces appareils étaient conformes aux exigences du Code de sécurité 29. Rien ne laisse penser que la situation était différente au moment de l’exercice des refus de travailler le 31 août 2017.

[80] Cette preuve me convainc également d’accepter l’interprétation que fait le Dr Caldwell de l’objet des dispositions du Code de sécurité 29 qui interdisent de soulever les rideaux : cela vise à empêcher une personne de soulever manuellement les rideaux lorsque l’appareil est en marche, puisque pour y parvenir une personne devrait, bien évidemment, se trouver à moins de 50 centimètres de la source de rayonnement. Je souligne également le commentaire du Dr Caldwell selon lequel le sac lui-même se trouvant à l’entrée ou à la sortie du tunnel empêcherait toute autre diffusion possible des rayons X, puisque les rideaux ne bloquent pas entièrement l’entrée ou la sortie du tunnel, même lorsqu’ils ne sont pas soulevés. Cette déclaration concorde avec les tests effectués et les mesures de rayonnement prélevées dans les circonstances telles qu’elles ont été décrites par les employées.

[81] Si Mme Clark avait obtenu des mesures de rayonnement qui étaient supérieures à la norme acceptable dans le cadre de son enquête, alors elle aurait vraisemblablement eu raison de conclure que la situation était raisonnablement susceptible de présenter une menace pour la santé. En dépit du fait que le rayonnement n’est pas intrinsèquement nuisible et que les effets néfastes sur la santé sont tributaires du niveau et de la durée de l’exposition, une conclusion de danger aurait sans doute été possible pour elle et aurait été cohérente avec l’objectif de prévention sous-jacent au Code. Je ne rends, bien entendu, aucune décision concernant une telle hypothèse.

[82] Par conséquent, je suis d’avis que l’instruction émise par Mme Clark n’est pas appuyée par les faits, et la preuve n’établit pas l’existence d’un danger ou d’une menace pour la santé des employées ayant refusé de travailler et, par conséquent, ne peut étayer une conclusion de danger au sens du Code. Mme Clark a reconnu qu’elle n’était pas une experte de la sécurité aux rayonnements et a visiblement fondé sa conclusion de l’existence de danger sur sa crainte que l’utilisation des appareils puisse poser une menace (une « menace potentielle »).

[83] Ma compréhension de ce qui a motivé l’action de Mme Clark est cohérente avec la décision peu orthodoxe qu’elle a communiquée aux parties à la suite de son enquête, soit un « danger, mais sans arrêt de travail ». Cette conclusion a laissé les deux parties plutôt perplexes, et ce, à juste titre. Le droit de refuser de travailler en présence d’un danger est l’un des piliers fondamentaux de la protection conférée par le Code. Comme l’a souligné l’agent d’appel dans l’affaire Ketcheson, il s’agit d’un droit de dernier recours, destiné à composer avec les risques les plus graves pouvant ne pas être traités efficacement par la gamme de mesures préventives figurant dans le Code. Dans un tel esprit, un refus de travailler et une conclusion ultérieure de danger par l’employeur, le comité ou bien un délégué ministériel confère à l’employé ayant exercé le refus de travailler le droit de continuer à refuser de travailler. C’est ce que prévoit le paragraphe 129(6) du Code.

[84] À mon avis, l’instruction telle qu’elle est formulée n’est pas conforme à l’esprit du Code. Une fois qu’un danger est établi, il s’ensuit que les employés ont le droit légal de cesser de travailler, comme il est prévu au paragraphe 129(6) du Code. Que le danger découle d’une menace imminente ou sérieuse, il s’agit somme toute d’un danger, et le délégué ministériel n’a pas le pouvoir de modifier l’application de cette disposition du Code. Soit dit en tout respect, Mme Clark a mal interprété l’application de la définition de danger dans le redressement qu’elle a formulé à l’issue de son enquête. Dans le meilleur des cas, j’interprète son ordonnance quant à l’« existence d’un danger, mais sans arrêt de travail » comme une indication qu’elle a choisi de « privilégier la prudence », puisqu’elle a admis ne pas être mesure d’établir si les intimées étaient exposées à des niveaux de rayonnement inacceptables pouvant présenter un risque pour leur santé. Elle n’avait aucune mesure à cet effet, elle n’est pas une experte de la sécurité aux rayonnements et elle n’était pas accompagnée d’un tel expert, qui aurait pu prélever des échantillons et prendre des mesures au cours de son enquête. Cependant, à la lumière de la preuve qui établit incontestablement que les émissions de rayonnement étaient bien en deçà de la norme, il n’y avait tout simplement aucune menace, réelle ou potentielle, et il n’existait aucun fondement sur lequel Mme Clark pouvait conclure que les employées étaient exposées à un danger.

[85] Je ne prétends pas que Mme Clark n’avait aucune autre option en présence des inquiétudes exprimées par les employées ayant refusé de travailler et de l’incertitude de la situation. En fait, elle a émis à la même date une instruction complémentaire exigeant que l’employeur nomme une « personne qualifiée » pour mener une enquête, puisqu’elle était d’avis que la santé des employées « risque d’être compromise par l’exposition à une substance dangereuse présente », à savoir l’irradiation aux rayons X, comme il est précisé au paragraphe 10.4(1) du Règlement. Comme je ne suis pas saisi d’un appel à l’encontre de cette instruction, je me contenterai de mentionner que le Code envisage d’autres approches pour prévenir les accidents et les maladies, sans pour autant conclure à un danger. Il s’avère que cette enquête et les tests réalisés auraient dû constituer la première mesure à prendre pour obtenir l’information factuelle nécessaire concernant les niveaux de rayonnement et la question de savoir si ces niveaux présentaient une menace pour la santé des employées. Comme nous le savons maintenant, il n’y avait manifestement aucune menace; en effet, dans son témoignage, Mme Clark a déclaré qu’elle n’aurait pas émis son instruction à la lumière des mesures et des conclusions figurant dans l’analyse du Dr Caldwell.

[86] Pour terminer, les observations des intimées selon lesquelles elles n’ont pas reçu une formation suffisante pour utiliser les appareils ne sont pas pertinentes pour ce qui est des motifs de leur refus de travailler et du fondement de l’instruction qui fait l’objet de l’appel. En outre, il n’existe tout simplement aucune preuve au dossier pour parvenir à une telle conclusion. Les employées n’ont pas témoigné et le seul témoignage est celui de Mme Landry, qui a déclaré que, à sa connaissance, les employées ayant refusé de travailler avaient reçu la formation nécessaire à l’égard des appareils Rapiscan et du Code de sécurité 29. De plus, les courriels échangés entre les représentants de Securitas et Mme Clark après le 2 septembre 2017 (figurant dans le rapport d’enquête) établissent, du moins à première vue, que les employées ayant refusé de travailler avaient reçu une formation sur l’utilisation des appareils de contrôle Rapiscan. Par conséquent, il n’y a aucune raison de conclure que les employées ayant refusé de travailler n’étaient pas formées adéquatement.

Décision

[87] Pour les motifs susmentionnés, l’appel est maintenu et j’annule l’instruction.

Pierre Hamel
Agent d’appel

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