Populisme, intérêt public et concurrence

Discours

Discours de John Pecman, commissaire de la concurrence
C.D. Howe Institute, Toronto, 67, rue Yonge, suite 300
Vendredi 27 avril 2018, 12 h à 13 h 30

Introduction

Je vous remercie de l’occasion qui m’est offerte d’être ici. Comme c’est la seconde fois que je participe à cette table ronde, j’ai dû faire quelque chose de bien la première fois. Pour être honnête, lorsque j’ai commencé à travailler au Bureau il y a presque 35 ans, je ne me suis jamais imaginé debout devant un groupe à parler des pièges de « l’antitrust hipster ». En fait, je n’ai jamais pensé que je participerais à une conversation impliquant les termes « hip » et « antitrust » dans la même phrase; John Grisham non plus, l’auteur à succès qui, dans son livre « La loi du plus faible », a décrit l’antitrust comme étant « désespérément dense et ennuyeux ».

En fait, lorsque je parle d’antitrust hipster, je parle de l’idée que les considérations par rapport à l’intérêt public, qui vont des impacts pour la démocratie et la culture à l’inégalité et la politique industrielle, doivent être intégrées à l’application de la loi en matière de concurrence. Cette approche est de plus en plus soutenue en raison des préoccupations grandissantes, et je peux même dire de « peur », par rapport aux mégadonnées.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, le Bureau de la concurrence s’est activement engagé sur ces sujets au cours de la dernière année. Permettez-moi donc de clarifier un peu les mégadonnées pour que nous échangions nos avis sur ce qu’on appelle l’approche « antitrust hipster ». Nous pourrons ensuite parler de ce que la concurrence peut et devrait faire pour soutenir l’innovation.

Mégadonnées

Commençons par les mégadonnées. Les avancées de la technologie de l’information nous ont entraîné dans l’âge des données et vers une économie de plus en plus axée sur les données. De plus, l’utilisation (ou peut-être la mauvaise utilisation) que font certaines des plus grandes entreprises de l’espace numérique des mégadonnées est source de préoccupations. Ces préoccupations ont donné lieu à une discussion très animée et passionnée sur la manière de les résoudre. Je pense qu’il va sans dire que les mégadonnées sont devenues la « question du jour » et qu’elles génèrent une grande angoisse, en particulier lorsqu’elles concernent des géants technologiques qui sont devenus des noms très connus.

Les mégadonnées représentent une grande promesse : l’opportunité de créer des produits et des services innovants qui améliorent la vie des consommateurs. Google en est un exemple évident : Gmail, son système d’exploitation Android, ses équipements de maison intelligente tels que Google Home et le moteur de recherche lui-même. Vous ai-je dit qu’ils travaillaient également sur un véhicule autonome? Ces types d’innovations ont transformé Google, et d’autres entreprises technologiques, en certaines des plus grandes entreprises au monde.

Cependant, beaucoup ont exprimé des inquiétudes à propos de leur taille et de leur puissance commerciale en constante augmentation, comme l’a noté récemment la première sous-gouverneure de la Banque du Canada.

Encore une fois, cette peur n’est pas sans précédent. Tout au long de l’histoire, il y a eu une obsession de faire rimer « gros » avec « mauvais » et ce qu’on appelle les mégadonnées ne font pas exception à cette règle. Il y a plus d’un siècle, pendant la deuxième révolution industrielle, alors que l’électrification et le chemin de fer étaient l’innovation du moment, fournissant l’infrastructure qui a favorisé la croissance des géants commerciaux, ces mêmes inquiétudes ont été soulevées par rapport à l’augmentation importante de la concentration industrielle. Et pas simplement la concentration, mais l’augmentation des conglomérats qui étaient actifs dans plusieurs secteurs d’activités non liés. Exactement comme nous trouvons aujourd’hui le marché en ligne Amazon, les services infonuagiques Amazon et l’activité d’épicerie Amazon (Whole Foods). Certains disent qu’au début des années 1900, ces préoccupations ont fait de Teddy Roosevelt un « démanteleur de trusts ». En effet, Roosevelt a tiré un grand profit de l’angoisse populaire par rapport aux grandes entreprises et a su canaliser cette angoisse en une politique qui alimentait une idéologie antitrust moderne et assez progressiste. Roosevelt a déclaré dans son discours sur l’état de l’Union en 1902 : « Nous nous opposons à la mauvaise conduite, non pas à la richesse. Le capitaliste qui, seul ou avec ses associés, réalise des prouesses industrielles grâce auxquelles il gagne de l’argent est un acteur du bien, pas du mal, à condition uniquement qu’il agisse de façon correcte et légitime[i]. » Il semble alors que Roosevelt, le démanteleur de trusts adoré, ne s’inquiétait pas de la taille ou de l’ampleur, mais plutôt du fait qu’une entreprise adopte une conduite anticoncurrentielle nocive ou pas. Son travail a également démontré que le populisme et l’angoisse populaire peuvent être canalisés en une politique publique efficace si l’on adopte une approche réfléchie, éprouvée et mesurée. En effet, comme Roosevelt l’imaginait, lorsque les entreprises technologiques ont des comportements anticoncurrentiels, le Bureau n’hésite pas à enquêter et à prendre des mesures en cas de preuve de préjudice concurrentiel.

Application de la loi

Il est important de reconnaître que même si le terme « mégadonnées » est nouveau, le phénomène lui-même ne l’est pas. Les entreprises compilent et utilisent des données depuis des années; par exemple Dunn & Bradstreet, qui vend des données sur les entreprises, a commencé ses activités au milieu du 19e siècle[ii] et les autorités de la concurrence ont traité des données à de nombreuses occasions.

Le Bureau ne fait pas exception. Nous travaillons dans le domaine des mégadonnées depuis des années, depuis l’époque de l’affaire A.C. Nielsen en 1995[iii], où le Bureau a avancé que Nielsen avait enfreint les dispositions sur l’abus de position dominante en limitant l’accès des concurrents aux données obtenues par lecteur optique, empêchant ainsi les nouveaux arrivants d’accéder au marché. Depuis cette époque, la fusion Thomson – Reuters, ainsi que notre procès plus récent contre le Toronto Real Estate Board pour limitation de l’accès aux données du système MLS, traitaient tous deux de questions liées aux mégadonnées. L’application de la loi en ce qui a trait aux mégadonnées reste un sujet important et d’actualité, et alors que les concepts sous-jacents n’ont peut-être pas changé, nous savons que la fréquence à laquelle nous rencontrons ces problèmes est susceptible d’augmenter.

Pour cette raison, le Bureau est activement engagé dans le débat et continue d’apporter une certaine transparence à notre réflexion. Depuis l’automne, nous avons publié deux documents sur ce sujet, un livre blanc et un document de synthèse. Ces documents de renommée internationale, ainsi que nos consultations associées, nous ont aidés à développer notre propre réflexion interne et à faire avancer le débat public.

Notre analyse des mégadonnées nous a menés à conclure que les principes clés de l’application du droit de la concurrence restent valables dans les enquêtes sur les mégadonnées. En d’autres termes, le cadre d’application du droit de la concurrence existant est prêt à traiter des questions soulevées dans les enquêtes sur les mégadonnées. Permettez-moi de développer cet aspect; l’application du droit de la concurrence est basée sur des preuves. Ce que cela signifie, c’est que si la concurrence est attaquée sur le marché, nous agirons. À l’inverse, si la concurrence n’est pas attaquée, nous ne ferons rien. Autrement dit, ce que nous ne ferons pas, c’est de prendre des mesures d’application uniquement basées sur de simples théories de potentiel de préjudice concurrentiel à long terme, venant peut-être d’une peur de la « grandeur » d’une entreprise. Nous savons que ceci pourrait faire plus de mal que de bien. Cela dit, c’est vrai qu’il y a des éléments de l’application du droit de la concurrence qui impliquent une analyse prévisionnelle. Mais nous baserons toujours nos décisions de prise de mesures sur des faits indéniables qui tiennent compte du potentiel de préjudice concurrentiel.

Pensez à l’angoisse que la collusion algorithmique a suscitée[iv] chez certains au sein de la communauté concurrentielle[v] – je parle en particulier ici de l’idée que les algorithmes useront de collusion à terme sans intervention humaine. Je pense qu’il n’est pas raisonnable pour les autorités de la concurrence de prendre des mesures pour couper court à l’utilisation par les entreprises des algorithmes en fonction d’une préoccupation potentielle, en particulier en l’absence de preuves empiriques pour suggérer que cette préoccupation est méritée. Consacrer du temps à enquêter sur la collusion algorithmique théorique signifie écarter des ressources limitées d’autres domaines dans lesquels nous savons que l’économie est affectée.

Que ce soit justifié ou non, le fait est que les consommateurs restent préoccupés par le développement des grandes entreprises technologiques. Ceci est parfois lié au niveau de concentration qui existe sur le marché. Mais cela est plus souvent lié à des facteurs autres que l’antitrust; prenez par exemple les données de Facebook exploitées par des tiers ayant des intérêts peut-être moins que bienveillants. Cette récente révélation a donné lieu à des audiences de la Chambre des Communes au Canada et à des audiences du Congrès aux États-Unis, ainsi qu’à une enquête du commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Indéniablement, les grandes entreprises technologiques sont de grandes entreprises. Mais leur ampleur n’est pas sans précédent historique. Fin 2007, Exxon Mobil était l’une des plus grandes entreprises américaines et représentait un peu plus de 3 % du PIB des États-Unis. Fin 2016, Apple était l’une des plus grandes entreprises américaines et représentait environ 3 % du PIB des États-Unis[vi]. Je pense donc qu’on peut dire que la taille n’est pas le seul élément qui compte. Manifestement, ce qui est également important pour les gens, ce sont les craintes que le comportement des grandes entreprises nuise à la société; l’idée que les petits détaillants indépendants ne peuvent pas survivre dans un monde Amazon, que Facebook porte atteinte à la démocratie ou que Google bafoue nos droits de la protection des renseignements personnels ou, plus généralement, que l’innovation technique elle-même exacerbe l’inégalité. Il peut s’agir de préoccupations valables, mais elles ne concernent pas toutes l’antitrust.

Intérêt public

Une grande partie de ces préoccupations ont été étiquetées avec humour « antitrust hipster ». Mais il ne s’agit pas simplement d’un groupe de trentenaires en chemise à carreaux, bière artisanale à la main, qui a ce type de discours. Des articles d’organes de presse tels que le Washington Post et le New York Times ont fait écho à ces déclarations, avec des titres qui proclamaient que les monopoles représentent une menace existentielle à la démocratie, qui associaient la concurrence en berne à l’aggravation de l’inégalité et qui appelaient aux changements de la législation antitrust. Le Harvard Business Review et The Economist semblent défendre la cause, en soutenant que des modifications du droit de la concurrence sont nécessaires pour traiter « l’économie des données ». De façon peut-être plus notoire, les Démocrates aux États-Unis ont fait de l’ajout des considérations d’intérêt public aux examens de fusions un élément clé de leur plateforme du « Better Deal »[vii].

Je veux être clair, mon intention n’est pas de diminuer la légitimité des préoccupations d’intérêt public; en effet, les questions telles que la démocratie, la protection des renseignements personnels et l’inégalité sont fondamentales et doivent incontestablement être abordées pour bâtir une société équitable, juste et prospère.

La bonne question est de savoir si l’antitrust est l’outil approprié pour remédier aux questions sociales comme l’inégalité et le chômage. Je suis très préoccupé par le fait de suggérer que le droit de la concurrence doit s’écarter d’une norme de bien-être des consommateurs basée sur l’économie pour aller vers une norme d’intérêt public basée sur des valeurs. Ma préoccupation est facile à justifier : le droit de la concurrence est le plus efficace lorsqu’il fonctionne avec des critères clairs et objectifs, et le fait d’intégrer des préoccupations d’intérêt public au droit de la concurrence l’en empêche. De plus, ceci insuffle de la politique dans le processus et il vaut mieux, comme on le sait, laisser la politique à ceux que nous élisons pour en faire. Les autorités de la concurrence, en tant qu’organes non élus, sont particulièrement inadaptées pour faire des jugements de valeur; en réalité, cela est l’antithèse de notre rôle, qui consiste à effectuer une analyse objective et rigoureuse. Il existe d’autres instruments de politiques publiques bien plus appropriés pour traiter les objectifs sociaux et culturels.

Il y a également de très bons modèles pour y parvenir sans que les autorités de la concurrence aient à faire des jugements de valeur pour lesquels elles ne sont pas formées, équipées, ni aptes à faire. Par exemple, l’autorité de la concurrence allemande, le Bundeskartellamt, examine uniquement les questions de concurrence et son cadre législatif établit une séparation stricte entre les questions de concurrence et de non-concurrence. Le cadre, cependant, permet également au gouvernement, par l’entremise de son ministre de l’Économie, d’infirmer des décisions de fusion en fonction de considérations d’intérêt public, à condition que cela soit fait de manière justifiable et transparente. Cette « soupape de sécurité », comme on l’appelle, est de nature destinée à être utilisée uniquement dans des cas exceptionnels et par conséquent, très rarement – neuf fois seulement depuis que la disposition a été inscrite dans la législation en 1973[viii]. Cette approche reconnaît que les préoccupations d’intérêt public prévalent parfois, mais elle offre un modèle bien supérieur pour aborder ces questions. Elle élimine les évaluations fondées sur la valeur d’un organisme d’application de la loi non élu et les laisse de façon appropriée au gouvernement qui doit directement rendre des comptes aux électeurs qu’il représente.

Les législateurs ont une tâche difficile, en devant trouver le juste milieu entre plusieurs intérêts souvent concurrentiels. Mais il est extrêmement important qu’ils n’agissent pas par réflexe dans leur réaction à ces intérêts, en utilisant l’application du droit de la concurrence comme le remède universel à tous les maux de la société. Ils doivent, comme Teddy Roosevelt, exploiter la pression publique de façon constructive, pour élaborer une politique publique réfléchie et efficace.

Gains en efficience

Je viens de passer beaucoup de temps à vous parler de ce que les autorités de la concurrence ne doivent pas faire, je veux maintenant attirer votre attention sur ce qu’elles doivent faire. Mais avant tout, et dans la même veine que ce que les organismes, les législateurs et les organismes de réglementation devraient faire, je suis sûr que vous êtes au fait de la récente décision de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Comeau. Le Bureau a suivi cette affaire de près. Alors que la Cour Suprême a éclairci les règles sur le commerce entre provinces, je pense que les législateurs et les organismes de réglementation doivent continuer à examiner les lois et les règlements pour veiller à ce qu’ils soient conçus de façon à atteindre les objectifs de politique publique sans limiter excessivement la concurrence. Au début de mon discours, j’ai parlé des mégadonnées comme d’un exemple d’innovation – et comme vous le savez, parfois je n’aime pas utiliser ce terme parce qu’il semble qu’on ne peut pas passer une journée sans l’entendre. Mais ceci n’est nouveau pour personne. Comme je l’ai dit dans le passé, nous sommes tous, dans le monde entier, au cœur de ce que j’aime appeler la grande discussion de l’innovation. Et il y a un certain nombre de bonnes raisons à cela : l’innovation est la clé de la réussite économique à court et à long terme. Elle facilite la création de meilleurs produits et services, permet aux entreprises de réduire les coûts et d’augmenter la productivité, et elle est déterminante pour une croissance inclusive dans l’économie numérique en effervescence. En bref, elle est bénéfique pour les entreprises et pour les consommateurs.

Donc, naturellement, législateurs et décideurs de même que médias et universitaires, tous veulent parler de l’innovation et de la façon de la stimuler dans nos salles de conférence et dans nos salles de classe. Nous parlons de le faire au moyen de politiques fiscales intéressantes, de l’élaboration de supergrappes, de l’investissement direct et de formation professionnelle.

Mon rôle là-dedans est de veiller à ce que la concurrence, l’un des éléments qui contribuent le plus à l’innovation, ne soit pas exclue du débat. La concurrence et l’innovation sont étroitement liées; la concurrence favorise l’innovation. Sans la rivalité des concurrents sur un marché dynamique, qu’est-ce qui pousserait les entreprises à s’améliorer? Comment le « prochain Google » détrônera-t-il l’actuel si ce n’est par la concurrence?

De nombreuses preuves soulignent l’importance de la concurrence pour l’innovation, la croissance économique et la prospérité de tous. Je crois donc fermement qu’il est de mon devoir, et du devoir de mes collègues du Bureau, de faire en sorte non seulement de veiller à ce que la concurrence fasse partie de la conversation, mais à ce que notre cadre d’application de la loi soit orienté de la meilleure façon pour soutenir l’innovation.

Comme je l’ai dit précédemment, c’est généralement le cas. Il reste cependant dans notre législation des aspects qui nuisent à la concurrence, à l’innovation et finalement à l’économie canadienne.

Je fais référence bien entendu à l’article 96 de la Loi sur la concurrence, la défense des gains en efficience.

Ce n’est un secret pour personne que mon idée est que, contrairement à l’innovation, la défense des gains en efficience nuit aux entreprises et aux consommateurs. Elle est également en inadéquation avec l’approche adoptée par bon nombre des principaux partenaires commerciaux de notre pays, notamment les États-Unis.

Notre décision dans l’affaire Superior/Canexus l’illustre bien. Nous avons travaillé étroitement avec nos homologues américains sur cet examen de fusion et sommes tous arrivés à la conclusion que la fusion aurait vraisemblablement des effets anticoncurrentiels, à savoir des prix plus élevés et moins de choix. Nos approches différaient cependant considérablement; les États-Unis ont pu contester la fusion en vertu de leur loi, qui nécessite que les prétendus gains en efficience soient transmis aux consommateurs, faisant ainsi du bien-être des consommateurs une préoccupation principale. Le Bureau, de son côté, n’a pas contesté la fusion en raison de l’article 96.

Cette approche fait en sorte que le Canada accepte une diminution de la concurrence en échange d’économies de coûts fixes statiques et à court terme, qui peuvent ne pas se concrétiser après la fusion. J’aimerais m’étendre davantage sur les raisons qui font que c’est un problème.

Dans les années 1960, l’économiste Harvey Leibenstein nous a présenté le concept de l’inefficacité X[ix], qui nous indique que les entreprises qui ne sont pas poussées à innover deviennent laxistes et inefficaces, un concept qui s’est confirmé au cours des 50 années suivantes. Nous savons que c’est la concurrence, et la possibilité de devenir un leader, qui force l’innovation et l’efficience. Et soyons clairs, l’innovation n’est pas simplement une façade, elle est constituée de processus et de pratiques exemplaires. Prenez par exemple les principes comptables modernes, sans doute l’une des plus grandes innovations du 19siècle. Ils sont nés directement de la concurrence entre les entreprises de chemin de fer alors qu’elles tentaient de se surpasser les unes les autres en termes de fonctionnement efficace et de contrôle de très grandes organisations.

De nombreuses preuves publiques montrent que les entreprises qui ne sont pas soumises à la pression de la concurrence perdent beaucoup en efficacité et ne parviennent pas à innover.

Prenons un exemple canadien. Au Canada, nous sommes assez fiers de notre industrie du vin naissante, et avec raison, car les vignerons canadiens font un produit de très bonne qualité convoité dans le monde entier. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Avant l’accord de libre-échange canado-américain de 1987, l’industrie du vin au Canada était isolée de la concurrence et, sans surprise, n’était pas prête à relever le défi de la concurrence internationale[x]. Cet accord a mis un terme à cette protection, en obligeant les producteurs à innover ou à fermer boutique. Résultat : une industrie considérablement modifiée et très concurrentielle, des produits uniques et de nouveaux secteurs d’activité tels que des attractions touristiques[xi]. Ceci, combiné à l’établissement des normes VQA, a donné à l’industrie du vin canadienne une renommée internationale et constitue un cas d’école de l’innovation suscitée par la concurrence. Ceci signifie également que je peux désormais savourer de l’excellent vin local de la région de Niagara, là où j’ai grandi!

Oui, cela donne matière à réflexion et je veux vraiment avoir l’occasion de le décortiquer lors des questions et réponses.

Mais permettez-moi de vous soumettre une dernière réflexion : en sachant ce que nous savons sur le lien inextricable entre la concurrence et l’innovation, la question que nous devrions nous poser est la suivante : pourquoi échangeons-nous les gains d’une concurrence dynamique – qui, selon les preuves, sont très importants – pour d’infimes gains en efficience statiques? Alors qu’il y a des arguments en faveur de cette approche, notamment un document récent de C.D.Howe[xii] qui affirmait que le fait de laisser les entreprises réaliser des gains en efficience statiques à court terme en vertu de l’article 96 est essentiel à l’innovation, ces arguments ne parviennent pas à reconnaître les gains en efficience dynamiques qu’entraîne la concurrence, qui éclipsent les gains en efficience de l’article 96.

De plus, la création d’une puissance commerciale dans certains secteurs de l’économie canadienne due à la défense des gains en efficience fait incontestablement augmenter les coûts des principaux intrants de l’économie canadienne, notamment pour les secteurs de l’exportation qui reposent sur des intrants aux prix compétitifs pour être concurrentiels sur le marché international. Croyez-moi, il y a bien plus d’entreprises qui se plaignent d’être confrontées à la puissance commerciale et aux prix plus élevés qu’il n’y a de parties à des fusions qui se vantent de réductions des coûts fixes.

Dans une puissante remarque incidente dans le cadre de la décision de la Cour Suprême dans l’affaire Tervita, le juge Rothstein a noté que l’affaire ne semblait pas refléter les considérations politiques que le Parlement avait probablement à l’esprit lorsqu’il a créé la défense des gains en efficience. Avec mes 34 années d’expérience, je peux vous dire que cette réflexion s’étend à des affaires au-delà de Tervita.

En ce qui me concerne, nous devons faire attention de garder à l’esprit le portrait global et ne pas nous concentrer sur des économies de bouts de chandelle lorsqu’on évalue l’impact des fusions sur l’économie canadienne. Il est grand temps que nous réévaluions la désirabilité de la défense des gains en efficience pour promouvoir une économie innovante et compétitive, en particulier en ce qui concerne la concurrence internationale. Il y a des gains considérables à réaliser pour l’économie canadienne et pour ceux qui y participent, en arrimant notre approche des gains en efficience à celle d’autres autorités de la concurrence modernes. Je pense sincèrement que le Canada doit aller de l’avant et s’y mettre.

Maintenant, pourquoi ne pas passer aux questions et réponses? J’attends notre discussion avec impatience, et si celle-ci se passe bien, je peux peut-être espérer une troisième invitation à cette table ronde!

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[i] http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=29543 (en anglais seulement)

[ii] http://www.dnb.com/ca-fr/about-us/company/history.html

[iii] Directeur des enquêtes et des recherches v. D&B Companies of Canada Ltd (A.C.NIELSEN) (1994).

[iv] https://www.economist.com/news/finance-and-economics/21721648-trustbusters-might-have-fight-algorithms-algorithms-price-bots-can-collude (en anglais seulement)

[v] https://globalcompetitionreview.com/article/1144015/whish-urges-restraint-on-algorithmic-collusion (en anglais seulement)

[vi] FT 500 – 2007 et 2017

[vii] https://abetterdeal.democraticleader.gov/crack-down-on-abuse-of-power/ (en anglais seulement)

[viii] https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WP3/WD(2016)3/en/pdf (en anglais seulement)

[ix] https://msuweb.montclair.edu/~lebelp/LeibensteinXEffAER1966.pdf (en anglais seulement)

[x] http://www.csls.ca/reports/csls2008-3.pdf (en anglais seulement)

[xi] https://www.ic.gc.ca/eic/site/cprp-gepmc.nsf/vwapj/Foncer_pour_gagner.pdf/$FILE/Foncer_pour_gagner.pdf

[xii] https://www.cdhowe.org/public-policy-research/promoting-innovation-and-efficiency-streamlining-competition-reviews

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