Historique de la libération conditionnelle au Canada

Les années 1890 ont été des années d'énergie et d'optimisme dans ce pays. Le Premier ministre Wilfrid Laurier avait promis que le XXième siècle serait le siècle du Canada. Les gens se réjouissaient à la perspective d'une ère de prospérité et de progrès, et ils étaient disposés à essayer des choses nouvelles. L'humeur du public était exactement celle qu'il fallait pour introduire la libération conditionnelle.

Le , le Parlement canadien adoptait la Loi concernant la libération conditionnelle des détenus ou Loi sur les libérations conditionnelles.

Le gouverneur général peut, au moyen d'un ordre par écrit sous le seing et sceau du secrétaire d'état, accorder à un condamné à la peine d'emprisonnement dans un pénitencier, une prison, ou une autre prison publique ou maison de correction, un permis d'être en liberté au Canada, ou dans toute région du Canada que mentionne le permis, pendant la partie de sa période d'emprisonnement et aux conditions, sous tout rapport, que le gouverneur général juge convenable. Le gouverneur général peut, à l'occasion, au moyen d'un ordre analogue par écrit, révoquer ou modifier ce permis.

La Loi sur les libérations conditionnelles était basée presque mot pour mot sur la loi britannique. Il n'y avait aucune référence dans le texte à l'objet de la mise en liberté sous condition; on comprenait généralement cependant que la libération conditionnelle était une forme de pardon.

Le Premier ministre Laurier, en présentant les nouvelles mesures législatives, a décrit le genre de personne à l'intention de qui la loi avait été conçue :

[…] un jeune homme de bonnes moeurs, qui a pu commettre un crime dans un moment de passion ou qui a peut-être été victime du mauvais exemple ou de l'influence d'amis indignes de ce nom. On a dit du bien de lui pendant son emprisonnement et l'on suppose qu'il serait un bon citoyen, si on lui donnait une autre chance.

Cette déclaration témoigne d'une inquiétude grandissante à propos des effets de l'emprisonnement sur les jeunes et les délinquants primaires. Aux yeux de bien des gens, les pénitenciers étaient des écoles du crime où l'on ne devait pas garder ceux qui étaient (relativement) innocents.

D'autres éléments entraient également en ligne de compte. On pourrait avoir recours à la libération conditionnelle pour atténuer les disparités entre les peines de prison, qui suscitaient pas mal de mécontentement parmi les détenus. Il en coûterait également moins cher de mettre en liberté certains détenus de façon précoce, plutôt que de les garder en prison à raison de 254 $ par année. Et plus on pourrait hâter la mise en liberté, plus on pourrait hâter le moment où le délinquant recommencerait à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.

La Loi ne fixait aucune peine minimale d'emprisonnement à purger avant l'octroi de la libération conditionnelle. Elle ne renfermait pas non plus de disposition relative à la surveillance. Toutefois, les prisonniers en liberté conditionnelle devaient s'inscrire auprès du chef de police local et se présenter à lui régulièrement. Ils devaient aussi accepter d'obéir à la loi, s'abstenir de mener « une vie oisive et dissolue » et éviter de s'associer à des « personnes notoirement de mauvaises mœurs ».

La procédure de demande de libération conditionnelle était identique à la procédure permettant d'obtenir la réhabilitation. Des fonctionnaires du ministère de la Justice avaient la responsabilité de mener une enquête complète dans chaque cas, et les administrateurs avaient une liberté d'action considérable. La libération conditionnelle était accordée à la discrétion du ministre de la Justice - il n'y avait pas de lignes directrices. En fait, elle était, à toutes fins pratiques, réservée aux délinquants primaires, aux soi-disant criminels par accident.

Parce que le ticket of leave (la libération conditionnelle) était considéré comme une expérience, le gouvernement a d'abord envisagé cette question avec prudence. Certains craignaient que les détenus en liberté conditionnelle ne discréditent le système en se comportant mal et que des détenus peu méritants puissent faire une utilisation cynique du système.

Au début, le gouverneur général octroyait la libération conditionnelle sur l'avis du Cabinet dans son ensemble. La Loi a ensuite été modifiée de sorte que seul le ministre de la Justice avait le pouvoir de conseiller le gouverneur général. C'était là une entorse importante à l'usage classique en ce qui concernait le recours à la clémence du pouvoir exécutif; il s'agissait d'une tentative visant à séparer de la politique les décisions en matière de libération conditionnelle. Malgré tout, parce que la mise en liberté sous condition était toujours entre les mains d'un ministre élu, l'opinion publique jouissait encore d'une grande influence sur la politique, influence parfois discutable.

Les premiers libérés conditionnels

Henry A. Clermont, qui avait été condamné pour avoir volé une lettre, est la première personne à qui l'on a octroyé un permis d'être en liberté au Canada. Le , il a été libéré du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, près de Montréal.

Parmi les 71 personnes qui ont bénéficié d'un tel permis en , seulement cinq ont vu leur permis révoqué par la suite pour cause d'inobservation des conditions de la libération conditionnelle, et seulement sept ont perdu leur permis par suite d'une condamnation ultérieure. Les 59 autres détenus en liberté conditionnelle ont fini de purger leur peine dans la société.

L'expérience semble avoir été couronnée de succès. Au cours des dix années suivantes, le nombre de permis délivrés s'est accru à un rythme supérieur à celui de l'augmentation de la population carcérale dans son ensemble.

Le brigadier Archibald et l'énorme tâche qui l'attendait

Au début des années 1900, le Canada était peu peuplé et il était difficile de ne pas perdre de vue les hommes bénéficiant d'une libération conditionnelle. Aussi les autorités comptaient-elles sur les libérés conditionnels pour se présenter chaque mois à la police. Cette situation avait ses inconvénients, et lorsque l'Armée du salut a offert de se charger de la surveillance des libérés conditionnels dans certains endroits, le ministère de la Justice a été heureux d'accepter.

À partir de , le Ministère a travaillé de plus en plus étroitement avec le brigadier Walter Archibald, de l'Armée du salut, qui dirigeait la Prison Gate Ministry de l'Église, à Toronto. Le Ministère a été tellement impressionné par les méthodes d'Archibald qu'il lui a offert, en , le poste d'agent de libération conditionnelle du Dominion, nouvellement créé. Impatient de s'attaquer à l'énorme tâche qui l'attendait, Archibald accepta avec plaisir.

Archibald touchait un salaire de 2 000 $ par année et il méritait chaque cent qu'il gagnait. À une époque où les déplacements étaient encore lents et ardus, il sillonna le pays, interviewant les détenus et évaluant leurs possibilités de mise en liberté précoce. En , une année représentative, il visita tous les pénitenciers et rencontra 235 détenus. Il visita aussi plusieurs prisons et maisons de correction relevant de l'administration provinciale. Dans l'est du Canada seulement, il visita des prisonniers et des ex-prisonniers dans quelques petites localités ainsi que dans les villes suivantes : Montréal, Québec, Moncton, Truro, Sydney, North Sydney, Glace Bay, New Glasgow, Stellarton, Westville, Pictou, Charlottetown, Crapaud, Halifax, Liverpool, Bridgewater, Dartmouth, Digby, St. John et Sherbrooke.

En cinq ans, il usa complètement deux valises en cuir, ce qui n'a rien d'étonnant; aussi dut-il faire une demande au Ministère en pour qu'on les remplace.

Le London Advertiser a dit de lui qu'il était « un homme empreint de magnétisme, aux vives sympathies ». Sa préoccupation sincère à l'égard des détenus impressionnait tout le monde. Archibald gardait contact avec les libérés conditionnels après leur mise en liberté et il lui arrivait fréquemment de leur trouver un logement et un emploi. Il leur avançait aussi de l'argent au besoin, souvent de sa propre poche.

En , Archibald rapporta ce qui suit:

[…] J'ai rendu visite à Henri Auger à Montréal; je l'ai trouvé malade et incapable d'occuper quelque emploi que ce soit, […] par conséquent, je l'ai aidé. […] Ici, à Ottawa, le mois dernier, c'est Joseph Boucher qui était dans un besoin urgent. Il avait été libéré de la prison centrale et semblait impatient de trouver un emploi, ce qu'on lui a trouvé. Il a une femme et deux enfants qui comptent sur lui financièrement, et j'ai trouvé que son cas était méritant. […] Basil Hewitt a été libéré de la prison de Victoria, en décembre dernier, et il a été malchanceux. Je me suis renseigné auprès de personnes fiables, à Victoria, et par conséquent, je l'ai aidé financièrement.

Dans un cas, Archibald a escorté un libéré conditionnel qui se mourait de consomption tout au long du trajet menant du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, près de Montréal, jusque chez lui, aux États-Unis. Dans une lettre à Archibald, l'homme lui écrivit ce qui suit :

Si je vous écris quelques lignes aujourd'hui, c'est pour vous laisser savoir que je suis arrivé sain et sauf à la maison. Je vous remercie pour votre bonté, Monsieur, et pour tout le mal que vous vous êtes donné pour moi. Je vous remercie de tout mon cœur et de toute mon âme, et prie Dieu de vous bénir toute votre vie. Je termine cette lettre en disant que Dieu vous bénisse pour votre bonté.

Je demeure, sincèrement vôtre, M. Joseph Tetrault, Whitsinville, Massachusetts [orthographe originale]

Archibald s'est aussi servit de son influence pour aider des prisonniers confrontés au châtiment corporel. En , il écrivit au ministre de la Justice Charles Fitzpatrick au nom de William Page, qui avait été condamné à dix ans de pénitencier et à 60 coups de fouet pour cambriolage. On avait alors l'habitude de donner la moitié des coups de fouet à l'arrivée et l'autre moitié, au moment de la mise en liberté.

La perspective de devoir recevoir encore une fois des coups de fouet rend ce jeune homme malade. Je pense que si cette portion de la peine pouvait lui être pardonnée et que si l'on pouvait le lui faire savoir, ce serait bon pour lui, à la fois mentalement et physiquement.

L'indulgence plutôt que la rigueur

En plus de superviser l'octroi de la libération conditionnelle et de veiller au bien-être des ex-détenus, Archibald devait aussi s'occuper de relations publiques. Aussi prononçait-il des allocutions devant des organismes communautaires et rédigeait-il des articles traitant de la mise en liberté sous condition.

En , Archibald fit paraître un article dans le Canadian Municipal Journal. Intitulé The Parole and Indefinite Sentence System (« La libération conditionnelle et le système de la peine d'une durée indéterminée »), l'article commençait par un énoncé de mission :

Renforcer l'action répressive tout en introduisant plus d'humanité dans l'application de nos lois — en demandant parfois l'indulgence plutôt que la rigueur, sans abandonner aucune des garanties indispensables de l'ordre social et de la justice — tel est le principe prépondérant et l'objet du système de libération conditionnelle au Canada, en pratique.

Archibald convenait que les prisons étaient des écoles du crime et il affirmait : « on ne peut pas être trop prudent lorsqu'on envoie un homme ou une femme en prison pour une première infraction ». Il soutenait que l'on ne devait enfermer que les personnes présentant un danger pour la société, et ce, seulement tant et aussi longtemps qu'elles continuaient d'être dangereuses. Or, comme on ne pouvait pas le déterminer à l'avance, il était en faveur d'une peine d'une durée indéterminée.

Les défenseurs de la libération conditionnelle ont souvent été accusés d'idéalisme aveugle et de sentimentalité excessive, ce qui irritait Archibald :

Je n'ai rien à voir avec cette philanthropie spéculative qui confond morale et maladie et qui considère que les plus grands criminels sont généralement les plus grands infortunés — des gens qui méritent non pas des chaînes mais des pleurs et une mise en liberté. […] Un système qui n'inflige pas de peine constitue une menace dangereuse à la fois pour les citoyens et pour l'état.

Et pourtant, il estimait que les gens pouvaient changer :

Je sais, peut-être aussi bien que quiconque travaillant en milieu carcéral, que certains malades ne veulent pas être soignés (j'entends par là des incorrigibles qui doivent être maintenus dans un endroit où ils ne pourront pas faire de tort). Mais ce n'est pas une raison pour dire que tous les malades sont incurables et qu'il n'existe pas de moyens à notre portée pour les aider à se rétablir. Si j'en juge par des années d'expérience, je dirai simplement que la perversité est l'exception.

L'éloquence de l'agent de libération conditionnelle du Dominion n'a pas influencé tout le monde. Ainsi, dans son éditorial du , le Montréal Star affirmait :

Dès que la société va au-delà des strictes limites de l'auto-protection, elle franchit le seuil du danger. […] Or la société doit exister si elle veut réformer qui que ce soit, et la société doit être protégée si elle veut exister. […] Si c'est la réforme et non la protection de la société qui doit être « l'objet premier », il devient assurément nécessaire de laisser le meurtrier inchangé pour qu'on puisse l'envoyer dans quelque établissement où on le dorlotera et où on lui enseignera qu'il est inconvenant de tuer et que les bons citoyens s'aiment les uns les autres. On le libérera ensuite, un ou deux ans après, et toutes les personnes timides s'enfuiront dans les bois.

La police aussi était sceptique. Comme en Angleterre, bien des gens dans les milieux chargés de l'application de la loi avaient des doutes dès le départ au sujet du système de libération conditionnelle. Sans disposer de beaucoup de preuves, ils prétendaient que les hommes qui bénéficiaient d'une libération conditionnelle faisaient monter le taux de criminalité ou vivaient de la charité publique sinon les deux à la fois.

Si les libérés conditionnels se mettaient à voler ou à mendier, peut-être cela avait-il quelque rapport avec le harcèlement constant - qui allait parfois jusqu'à la persécution - dont ils faisaient souvent l'objet de la part des officiers de justice. Prenons le cas d'un certain M. Holden, qui était depuis deux ans à l'emploi de l'hôtel Windsor, à Montréal, à titre de machiniste. Un jour, la police se présenta chez son employeur pour l'informer que Holden était un ex-détenu qui risquait de faire sauter le coffre-fort de l'hôtel en milles morceaux. Holden a été congédié, et il a dû recommencer à s'adonner au crime pour survivre.

Archibald a eu des mots amers à l'égard de la police, dans une note qu'il adressait au ministre de la Justice, en  :

Ceux qui s'occupent de la surveillance des détenus en liberté conditionnelle ont de bonnes raisons de se plaindre de l'interférence et de l'excès de zèle d'un bon nombre d'agents de police subalternes. Leur désir ardent de rendre public le statut de prisonniers en liberté conditionnelle et d'inquiéter ces gens en limitant de façon déraisonnable leur liberté de mouvement a été attribuée à l'ignorance de leurs tâches et au manque d'instructions précises de la part de leurs supérieurs. […] Toutefois, à la lumière des comptes rendus des opinions exprimées lors d'une réunion des chefs de police tenue récemment à Toronto, il semble juste de supposer que l'hostilité à l'égard du système de libération conditionnelle s'étend à ceux qui exercent l'autorité et que l'indiscrétion dont font preuve leurs subordonnés est attribuable à la connivence sympathique, sinon à l'autorisation directe, de leurs supérieurs.

La tension et la méfiance entre la police et les responsables de la libération conditionnelle ont persisté jusque dans les années 1970 et même au-delà.

En , on a mis sur pied une direction de la réduction de peine au ministère de la Justice et on l'a chargée de toutes les questions relatives à la clémence, y compris de la libération conditionnelle. Archibald a continué de voyager pour cette direction, malgré une attaque de fièvre typhoïde qui a failli l'emporter, des malaises cardiaques et une opération grave. En , il a été nommé juge à la Cour juvénile d'Ottawa, où il a travaillé en faveur d'un traitement plus humain à l'égard des jeunes contrevenants. Au moment de la mort d'Archibald, en , le directeur du pénitencier du Manitoba, H. W. Cooper, déclara : « Le Ministère a perdu un agent qui a complètement obtenu l'affection des détenus des pénitenciers, et un homme en qui ils avaient mis leur confiance. »

En rétrospective, bien des gens voient dans cette période un âge d'or.

Les organismes d'aide postpénale

Les gens ont commencé à voir, il y a plus d'un siècle, que les hommes et les femmes qui sortaient de prison étaient en butte à de sérieux problèmes de réadaptation. Quelques personnes ont commencé à les aider, habituellement de façon bénévole et individuelle. Les efforts plus structurés ont été faits par des groupes religieux.

L'Armée du salut

Les premiers représentants de l'Armée du salut sont arrivés au Canada en . Répondant à l'appel de Jésus qui demandait de visiter les prisonniers, ils ont organisé des réunions de prière à l'intention des détenus.

Comme le disait son fondateur, le général William Booth, l'Armée avait les qualifications requises pour travailler dans les services correctionnels, vu qu'à titre d'organisme religieux, il y avait souvent de ses adhérants dans une prison quelconque pour des raisons de conscience. En visite au Canada en , Booth déclara : « J'espère qu'un jour viendra où il y aura un agent de l'Armée du salut aux portes des prisons pour prendre charge de chacun des prisonniers dès leur mise en liberté. »

En , dans son traité social intitulé In Darkest England and the Way Out (De l'Angleterre la plus sombre et des moyens d'en sortir), il prônait un certain nombre de programmes novateurs dans le domaine des services correctionnels. Il proposait l'établissement d'un programme de libération conditionnelle (sans parler de l'aide juridique pour les pauvres, des programmes de rechange dans la collectivité, des bureaux d'emploi pour les détenus mis en liberté, etc.).

En , l'Armée du salut avait accès librement aux cinq pénitenciers. En , le gouvernement fédéral adopta le système mis au point par Archibald pour la surveillance des libérés conditionnels.

Au cours des premières années du système de libération conditionnelle, l'Armée du salut était de loin l'organisation qui intervenait le plus dans le domaine de l'aide postpénale. Elle a été le premier groupe à offrir de surveiller des détenus en liberté conditionnelle. Des agents de l'Armée du salut ont d'ailleurs agi comme agents de libération conditionnelle du Dominion jusqu'à l'abolition de ce poste, en .

Dans le système canadien de justice pénale, les salutistes devaient servir d'aumôniers de prison, d'agents de probation, de surveillants de liberté conditionnelle et d'administrateurs de maisons de transition. Et le nombre de personnes qui ont été confiées à la garde de l'Armée du salut en guise de solution de rechange à l'incarcération devait aller en augmentant.

Tout au début du siècle, les progrès scientifiques, particulièrement dans le domaine de la psychologie, plaident de plus en plus en faveur de la libération conditionnelle. Les partisans de la « nouvelle criminologie » affirment que le comportement criminel et les habitudes bien ancrées provoquent une véritable modification physique du cerveau, qu'un traitement correctionnel peut toutefois faire disparaître. À cette époque, on considérait généralement que la science pouvait apporter une solution à tous les problèmes sociaux.

Après la Première Guerre mondiale, un certain malaise se répandit. Le drame des soldats morts dans les tranchées avait consterné le monde occidental. Les notions de progrès et de perfectibilité de l'homme furent ébranlées. L'urbanisation et l'industrialisation rapides entraînèrent des bouleversements. La criminalité se mit à augmenter. Les gens avaient l'impression que le monde était complètement désorganisé. Cette anxiété, comme toujours, provoqua des réactions conservatrices. De plus en plus, la libération conditionnelle fut remise en question.

Des informations fragmentaires, et parfois même erronées, contribuèrent à créer l'impression que le Service des pardons était trop indulgent. Ce sont les intervenants du système de justice, juges, chefs de police et GRC, qui furent les premiers à réclamer plus de sévérité. Par exemple, le juge William Mulock, de la Cour suprême de l'Ontario, déclarait en  : « L'application trop libérale du système de libération conditionnelle a peut-être mis fin à la terreur que le droit punitif pouvait exercer sur les malfaiteurs. »

Le Service des pardons s'efforça en vain de rétablir les faits et tenta de démontrer que, d'après ses dossiers, 2,2 p. 100 seulement des détenus ayant obtenu la libération conditionnelle entre et avaient commis une nouvelle infraction au cours de leur période de liberté. Rien n'y fit. De toute évidence, les détracteurs de la libération conditionnelle ne s'intéressaient pas à la conduite réelle des libérés conditionnels. On réclamait avec une vive insistance le resserrement des règles de la mise en liberté sous condition.

En , le chef du Service des pardons, J. D. Clarke, partisan d'une conception libérale de la libération conditionnelle, fut prié de démissionner.

Le Service des pardons adopta de nouveaux critères d'admissibilité à la libération conditionnelle, plus stricts, qui eurent pour effet de réduire considérablement le nombre de détenus susceptibles d'obtenir la liberté conditionnelle. Alors que 1 400 délinquants avaient obtenu la libération conditionnelle en -, leur nombre a chuté à seulement 750 en -. De plus, la majorité de ces libérations conditionnelles avaient été accordées en vue de l'expulsion des délinquants ou pour une période limitée à ceux qui devaient suivre des traitements à l'hôpital, par exemple. D'autres facteurs pouvaient aussi être pris en considération, comme la déficience mentale, l'âge très jeune ou très avancé d'un délinquant, la collaboration avec la Couronne ou des doutes au sujet de la culpabilité. Il n'était plus question de réinsertion sociale.

La réduction de peine

La libération conditionnelle étant devenue une faveur occasionnelle, la réduction de peine redevint « la seule consolation des malheureux ». La réduction de peine, récompense d'une bonne conduite, prit une importance capitale pour les détenus.

Dans les pénitenciers, on accordait des points de réduction de peine pour la conduite et pour le travail. Dans certains établissements, les gardiens accordaient tous les jours à chaque détenu une note pour la conduite et le travail, qu'ils inscrivaient dans un calepin. À la fin du mois, ils additionnaient ces notes et reportaient le résultat dans un registre.

Évidemment, le risque d'abus était élevé. Les délinquants n'avaient aucun recours contre un gardien malveillant ou vindicatif qui décidait d'attribuer de mauvaises notes sans raison. De plus, la méthode de calcul était complexe et controversée, et les pratiques pouvaient varier d'un établissement à l'autre. Beaucoup de détenus se sentaient lésés dans le calcul de la réduction de peine à laquelle ils avaient droit.

Au cours des années 1920, les détenus devaient attendre six mois après la date de leur réception ou de la signature de la renonciation à leur droit d'appel avant de pouvoir commencer à accumuler des jours de réduction de peine. Ils accumulaient ces jours de réduction de peine d'abord à raison de six jours par mois jusqu'à ce qu'ils atteignent le total de 72 jours. Par la suite, ils pouvaient accumuler dix jours par mois. Les détenus placés en isolement ne pouvaient pas accumuler de jours de réduction de peine et ceux qui étaient hospitalisés ne pouvaient gagner que la moitié des jours de réduction de peine, pour leur conduite. Les détenus atteints de déficience mentale ne pouvaient accumuler des jours de réduction de peine que pour leur conduite, étant donné qu'ils ne pouvaient pas travailler.

Ce resserrement du régime de la libération conditionnelle témoignait du ralentissement général du rythme de la réforme pénale. D'ailleurs, au cours des 20 ans qui ont suivi, les choses n'ont à peu près pas changé. Le système carcéral canadien est resté enfermé dans le XIXiéme siècle.

La vie dans un pénitencier ressemblait à un long sommeil troublé. La règle du silence était absolue. Les détenus pouvaient passer jusqu'à 17 heures par jour isolés dans leurs cellules, à ne rien faire. Même les mots croisés étaient interdits. Dans les cours et les corridors, ils devaient marcher en file serrée, sans se regarder.

Comme si ce régime ne suffisait pas à casser les caractères les plus endurcis, une multitude de règles définissaient et régissaient la vie des détenus. Lorsque le général D. M. Ormond devint superintendant (sic) des pénitenciers, en , il imposa un régime de surveillance draconien, de type militaire. Entre et , le nombre de règlements passa de 194 à 724. À la fin de ce régime, en , il y avait quelque 1 500 règlements, couvrant toutes les facettes possibles de la vie en prison. Un de ces règlements dictait même comment les gardiens devaient attacher leurs chaussures!

Dans ces circonstances, il était presque impossible qu'un détenu ne commette pas une infraction quelconque. Les châtiments étaient sévères. On pouvait enchaîner les détenus les mains au-dessus de la tête pendant deux jours consécutifs. On les torturait avec un fouet à lanière, une courroie ou, traitement plus cruel encore, une spatule de cuir d'environ un mètre de longueur, percée de trous qui mordaient et déchiraient les chairs.

Ces mauvais traitements, même atroces, restaient impunis parce que le milieu pénitentiaire était un monde à part, un univers secret coupé du reste de la société. La population canadienne restait indifférente au triste sort des détenus et ne demandait pas mieux que de laisser aux autorités concernées la tâche répugnante de s'occuper d'eux. Fort heureusement, quelques lueurs d'espoir scintillaient parfois dans cet univers de ténèbres.

L'ami du détenu

Le , la Société John Howard de la Colombie-Britannique ouvrait son premier bureau, à Vancouver. Ses ressources matérielles étaient minces : deux petites pièces, quelques chaises, une table et une machine à écrire. En revanche, elle pouvait compter sur J. D. Hobden.

En , un groupe de pasteurs de Vancouver avait pris la décision de former un organisme pour aider les familles des détenus ainsi que les détenus eux-mêmes après leur mise en liberté. Ils décidèrent de nommer leur organisme en l'honneur de John Howard, un grand réformateur pénal du XVIIIième siècle, et ils en confièrent la direction au révérend John Dinnage Hobden, un ministre de l'Église unie âgé de 45 ans.

Hobden avait déjà travaillé auprès de détenus et d'ex-détenus pendant plusieurs années, mais ce qui le prédisposait surtout à cette tâche, c'était son idéalisme passionné et son charisme irrésistible. Frank Miller, disant de Hobden qu'il fut son mentor, rappelle que celui-ci était un être « merveilleusement chaleureux et humain ». C'était une personne douée de ce qu'on appellerait en langage d'aujourd'hui une « profonde empathie », qualité qu'il savait mettre à profit avec beaucoup d'efficacité.

La première personne qu'Hobden reçut dans son nouveau bureau fut un électricien qui avait été remis en liberté deux mois auparavant. Celui-ci n'arrivait pas à trouver du travail dans son domaine et sa situation familiale devenait désespérée. Hobden lui trouva un emploi, des outils et des vêtements convenables.

La Société John Howard de la Colombie-Britannique aida des centaines d'ex-détenus à se faire une place dans la société. Même dans les meilleures conditions, la tâche fut difficile, surtout à l'époque de la Dépression, lorsque beaucoup d'hommes qui n'avaient jamais été en prison devaient dormir sous les ponts et faire des pieds et des mains pour trouver un emploi.

La plupart des gens auxquels Hobden vint en aide lui furent reconnaissants, mais d'autres comptaient beaucoup trop sur sa générosité. Certains lui demandaient de l'argent pour faire un voyage de pêche, divorcer ou acheter une nouvelle voiture. Un homme lui proposa même un jour de lancer une affaire avec lui et d'ouvrir une maison de jeu!

En , Hobden fut invité au premier congrès pénal canadien, organisé par l'Association canadienne pour le bien-être des prisonniers. Il parla du chômage dans l'Ouest et de ses conséquences dévastatrices sur les citoyens ordinaires et les ex-détenus. Il réclama que les gouvernements subventionnent les organismes d'aide postpénale. Il savait très bien que dans ses rapports avec les bureaucrates, il devait surmonter leur profonde méfiance à l'égard des « faiseurs de bonnes œuvres ».

Si un homme pouvait triompher de ce genre de préjugé, c'était bien Hobden. Grâce à lui, les autorités correctionnelles adoptèrent une attitude plus favorable à l'égard des organismes d'aide postpénale. Les bénévoles de la Société John Howard purent pénétrer plus librement dans les pénitenciers. Hobden était si étroitement identifié aux activités de l'organisme que beaucoup de détenus croyaient qu'il s'agissait de la Société John Hobden.

Hobden ne fut pas seulement l'ami des détenus. Il apporta aussi une collaboration précieuse à tous ceux et celles qui s'efforçaient d'améliorer le système de justice pénale. Parmi ces personnes, il y avait Agnes Macphail.

Un intérêt déplacé pour une femme

Agnes Macphail fut la première femme au Canada à se faire élire députée à la Chambre des communes, en . Tout le monde croyait bien qu'en dame distinguée elle jouerait un rôle effacé et qu'elle ne prendrait la parole que pour défendre les valeurs domestiques et familiales. Mais au contraire, elle surprit et agaça les autres députés lorsqu'elle s'écarta de sa « voie » pour prendre part aux débats sur la politique agricole et les affaires internationales. Elle osa même exprimer son opinion sur la réforme du régime carcéral, une question jugée fort déplacée pour une femme. En , elle fit sa première intervention officielle dans ce domaine en déposant une résolution réclamant la mise en place d'un véritable programme de travail dans les prisons.

Avec les ans, son bureau devint l'ultime recours pour les ex-détenus qui ne disposaient d'aucun autre moyen d'exprimer leurs griefs, ainsi qu'un lieu de rencontre pour les réformateurs. Agnes Macphail transposait leurs réflexions dans des recommandations qu'elle soumettait à la Chambre des communes. Elle réclama notamment la création d'une commission des libérations conditionnelles indépendante ayant un statut judiciaire. Elle affirmait aussi que tous les détenus devraient être admissibles à la libération conditionnelle après avoir purgé le tiers de leur peine et elle rappelait sans cesse que les décisions relatives à la libération conditionnelle devraient tenir compte d'abord et avant tout du degré d'amendement de chaque détenu.

Harry Anderson, rédacteur en chef engagé du Globe and Mail, contribua à promouvoir la mission d'Agnes Macphail. Les autres journaux la ridiculisaient, la traitant de « missionnaire larmoyante et hystérique » et de « sentimentale ».

Sur la voie du changement

Au début de la Dépression, la population carcérale se mit à croître, mais sans qu'on augmente pour autant les fonds consacrés à la construction de nouveaux établissements. Par la force des choses, les libérations conditionnelles se firent plus nombreuses, en particulier lorsque les détenus avaient eu la chance de trouver un emploi à l'extérieur.

Pour les détenus qui restaient incarcérés dans les pénitenciers, les conditions de vie, déjà médiocres, devinrent insupportables. En , le pénitencier de Kingston fut le théâtre d'une émeute qui dura six jours. Au cours des cinq années suivantes, 15 autres émeutes se produisirent dans divers établissements du pays. Malgré le fouet, administré avec sauvagerie, parfois à une vingtaine d'hommes en même temps, la violence se poursuivit.

Subitement, le système pénitentiaire faisait les manchettes, et on commença à écouter Agnes Macphail.

En , celle-ci se présenta à l'improviste au pénitencier de Kingston, affirmant qu'elle avait le droit, en tant que députée, de visiter l'établissement. Ce qu'elle y vit la bouleversa au plus haut point.

Dès lors, elle décida de consacrer toute son énergie à convaincre le gouvernement d'ouvrir une enquête. Son adversaire le plus farouche au gouvernement était Hugh Guthrie, ministre de la Justice du gouvernement de R. B. Bennett. Guthrie tenta de la discréditer en soutenant que ses renseignements sur les conditions de vie dans les prisons provenaient d'un délinquant sexuel notoire.

Les conservateurs de Bennett furent défaits à l'élection de et un an plus tard le nouveau gouvernement libéral annonça la création de la Commission royale d'enquête sur le système pénal du Canada. Ce fut un moment de douce satisfaction pour Agnes Macphail.

Le rapport Archambault

La présidence de cette Commission d'enquête fut confiée au juge Joseph Archambault. Les autres membres étaient R. W. Craig et Harry Anderson, du Globe and Mail. Anderson décéda au cours de l'année et fut remplacé par J. C. McRuer.

La Commission Archambault réalisa l'étude sur les pénitenciers la plus exhaustive jamais entreprise au Canada. Son rapport, déposé en , devint la bible de ceux qui souhaitaient introduire des méthodes modernes dans la pénologie canadienne. Le rapport Archambault fit écho aux propositions qu'Agnes Macphail avançait depuis plusieurs années. La plupart des recommandations de la Commission se rapportaient aux conditions de vie dans les prisons, mais d'autres aussi portaient explicitement sur la libération conditionnelle.

À cette époque, la population des pénitenciers fédéraux s'élevait à 3 250 détenus. Soixante-douze pour cent d'entre eux étaient des récidivistes. Les commissaires étaient convaincus qu'on pouvait abaisser le taux de récidive si l'on adoptait des mesures concrètes dans le but de faciliter la réinsertion sociale des délinquants. La Commission reprocha sévèrement au Service des pardons d'avoir fait de la libération conditionnelle une mesure de clémence plutôt qu'un instrument de réadaptation. Elle déplorait aussi que le Service soit trop soumis aux pressions politiques.

Le rapport critiquait les méthodes de fonctionnement du Service, dont les décisions s'appuyaient sur les renseignements les plus fragmentaires. Lorsqu'un délinquant soumettait une demande de libération conditionnelle, le Service ne faisait jamais d'enquête sur ses antécédents sociaux et ne faisait pas l'historique de son cas. Ces problèmes étaient attribuables en partie à l'insuffisance des ressources. En effet, le personnel du Service des pardons se composait de quatre personnes, soit le chef du Service et trois adjoints détachés de la GRC.

Dans le rapport Archambault, la recommandation la plus importante et de la plus grande portée proposait la création d'une commission des pénitenciers qui aurait pleine autorité sur la gestion des établissements et qui serait en même temps une commission des libérations conditionnelles indépendante de compétence fédérale.

Ce fut la reconnaissance de tous les efforts d'Agnes Macphail. Le juge Archambault lui transmit un exemplaire du rapport ainsi dédicacé : « À madame Agnes Macphail, députée, pionnière courageuse et travailleuse infatigable de la réforme du système pénitentiaire canadien. »

Après le rapport Archambault

Agnes Macphail et ses partisans avaient démontré que le système pénal canadien, peu importe ses objectifs déclarés, était fondé sur le principe de la punition et que ce principe ne menait à rien. Le système portait atteinte aux individus sans les améliorer. Il ne parvenait pas à les réadapter ni à les dissuader du crime. En d'autres termes, non seulement le système pénal faisait fausse route, mais il était sans effet.

Après la publication du rapport Archambault, le général Ormond fut remercié et les abus les plus graves furent corrigés. Le , le Canada adopta le projet de loi C-34, qui modifiait la Loi sur les pénitenciers et créait une commission administrative composée de trois personnes. Toutefois, la réorganisation en profondeur recommandée par la Commission n'eut pas lieu et la recommandation proposant la création d'une commission des libérations conditionnelles indépendante ne fut pas retenue.

Amèrement déçus, Agnes Macphail et ses partisans multiplièrent leurs efforts pour qu'un plus grand nombre de recommandations du rapport Archambault soient mises en œuvre, mais en vain. Les événements qui suivirent en Europe mirent un terme aux discussions sur la réforme du système carcéral, alors que la Deuxième Guerre mondiale éclatait en . La nouvelle loi sur le régime pénitentiaire resta en suspens et le rapport Archambault tomba dans l'oubli.

Les années de guerre

Peu de choses se sont produites en pénologie au Canada pendant les années de la guerre. Ou, il semble plutôt que la réforme du système carcéral avait été mise en suspens, pendant que le gouvernement était aux prises avec des problèmes plus importants. Dans les prisons, le temps semblait s'être arrêté. Outre-Atlantique toutefois, beaucoup de choses se produisaient, non seulement sur le plan militaire, mais également dans l'esprit et dans le cœur des jeunes Canadiens enrôlés dans les forces.

Nos soldats furent à même de constater de visu les ravages qu'une dictature impitoyable pouvait causer et, à leur retour au pays, ils nourrissaient une répulsion profonde pour l'usage arbitraire du pouvoir. Contrairement à leurs aînés de la Première Guerre mondiale que l'expérience avait épuisés et désillusionnés, les combattants de la Deuxième Guerre revinrent au Canada animés d'un désir d'accomplir une mission.

Après la guerre, des milliers de ces soldats rentrés au pays firent des études universitaires grâce à des subventions du ministère des Anciens combattants. Nombre d'entre eux se dirigèrent dans des professions caractérisées par « l'aide à autrui », comme l'enseignement, la médecine, la psychologie et le travail social. Or, certains de ces diplômés ont ensuite travaillé pour le système correctionnel.

Ouverture

Les réformateurs qui avaient désespéré de voir un jour les propositions du rapport Archambault adoptées furent soulagés et reprirent courage lorsque les mesures législatives sur les pénitenciers de furent finalement mises en œuvre en . En , la Direction des pénitenciers était réorganisée et le major général Ralph B. Gibson était nommé commissaire des Pénitenciers.

La nomination d'un autre militaire suscita bien peu d'enthousiasme chez les réformateurs, mais le major général allait les étonner. Malgré ses antécédents, le nouveau commissaire était souple et ouvert aux idées nouvelles. Le rapport Archambault devint sa bible, et il tenta honnêtement de mettre les recommandations du rapport en pratique. L'atmosphère dans les prisons canadiennes s'allégea de façon sensible. Les règles et règlements y furent adoucis et on pouvait de nouveau espérer la mise en place de programmes de réadaptation.

Dans son rapport, le juge Archambault avait soutenu que le taux de récidive était élevé au Canada parce que les détenus n'avaient pas la possibilité de se réformer en prison et qu'ils ne recevaient pas d'aide pour trouver un travail honnête à leur mise en liberté. Le rapport allait inspirer un certain nombre de réformes au cours des années 1940, des réformes axées sur la prestation de programmes à l'intérieur des prisons. Les autorités des prisons commencèrent donc à embaucher des professeurs et des psychologues et à monter des cours. Des programmes de sports et de loisirs furent également mis en place. Des groupes de soutien, comme les Alcooliques anonymes, furent établis. Le premier journal de détenus - le Telescope de Kingston - fut publié. À l'extérieur des prisons, les services aux ex-détenus dans la collectivité prirent de l'expansion. Des sociétés John Howard et Elizabeth Fry se formèrent un peu partout au pays. Le major général Gibson travailla étroitement avec des intervenants, comme Alex Edmison, l'un des chefs de file du mouvement d'assistance postpénale. Il ordonna aux responsables des pénitenciers de collaborer dans toute la mesure du possible avec ces organismes.

Dans les années 1930, la Direction des pardons devint le Service des pardons. Le modus operandi du Service avait très peu changé depuis le temps du brigadier Archibald. Les agents des pardons étaient tous postés à Ottawa et, une fois par année, un représentant se rendait dans chacun des pénitenciers et dans les grandes prisons provinciales pour parler aux détenus pressentis pour la libération conditionnelle. Les ex-détenus auxquels on avait accordé la libération conditionnelle ne faisaient l'objet d'aucune surveillance officielle.

Le délinquant auquel était octroyée une libération conditionnelle recevait un document de papier qu'il devait présenter à un agent, à sa visite mensuelle au poste de police, qui le datait et le signait.

W. H. B. Hoare donnait aux lecteurs de la Gazette de la GRC en l'assurance suivante :

L'individu qui bénéficie de la libération conditionnelle ne fait pas l'objet d'un traitement de faveur. On lui fait prendre conscience que l'incarcération était un juste châtiment pour l'infraction qu'il a commise et que l'on a fait montre d'indulgence en lui permettant de purger en liberté une partie de sa peine, une peine qu'il a méritée, à la condition de respecter quelques légères restrictions.

En privé, la police admettait qu'elle n'avait pas le temps d'assurer le suivi des hommes ainsi mis en liberté conditionnelle.

Les agents du changement

Un jour en , un nouvel employé fit son entrée au pénitencier de Kingston. On lui donna un bureau dans une salle de classe jusqu'à ce que l'administration puisse décider de ce qu'elle allait faire de lui. Le nouvel arrivé s'appelait Frank Miller et il occupait le premier poste d'agent de classification du système pénitentiaire canadien. La classification consistait à étudier les condamnés pour les regrouper dans la bonne catégorie et à planifier les programmes de réadaptation appropriés.

Miller était le fils d'un ministre de la Colombie-Britannique qui avait étudié la sociologie à l'université. Pendant la guerre, il avait été affecté à la sélection du personnel dans l'armée canadienne et il avait rencontré en entrevue des gens qui avaient purgé une peine d'incarcération à la suite d'une infraction militaire. Alex Edmison avait déclenché chez Miller un intérêt pour les affaires correctionnelles, et celui-ci avait travaillé comme bénévole à la Société John Howard.

Les premiers agents de classification durent créer leur propre emploi. Chacun avait un style et des méthodes qui lui étaient propres. Ainsi, Miller rencontrait en entrevue chaque détenu admis au pénitencier et rédigeait un rapport préliminaire. Il choisissait ensuite certains détenus qu'il faisait comparaître devant un comité de classification. Il effectuait également un suivi de six mois ainsi qu'une entrevue deux ou trois mois avant la mise en liberté. À cette étape, il mettait les ex-détenus en liaison avec la Société John-Howard et le Service national de placement.

Une nouvelle classe de gens se plaçait ainsi entre le détenu et les autorités carcérales : les agents de classification, les travailleurs sociaux, les psychologues et les instructeurs. « Nous étions les agents du changement pour la nouvelle pénologie », déclare Miller. Il estimait que son rôle était double : conseiller pour les détenus et expert-conseil pour les autorités de la prison. Il lui fallait donc faire montre de beaucoup d'acuité et de tact pour être équitable autant d'un côté que de l'autre.

Hobden et le chef

Les nouveaux pénologistes croyaient que le crime était une maladie que l'on pouvait traiter au moyen d'un classement approprié, de l'isolement, de la formation, de la sensibilisation et de la supervision. Ils affirmaient que nombre de détenus étaient gardés en prison beaucoup trop longtemps pour leur bien. Ils soutenaient que des spécialistes bien formés seraient en mesure de déterminer le moment où l'incarcération n'apportait plus rien aux détenus.

Dans les années 1940, l'octroi d'une libération conditionnelle à un homme accusé de ce que l'on appelait alors « l'esclavage blanc » (prostitution forcée) souleva un tumulte en Colombie-Britannique. J. D. Hobden, le directeur exécutif de la Société John Howard de la Colombie-Britannique, écrivit au chef du Service des pardons pour s'opposer à la mise en liberté de l'homme en question.

Monsieur Hobden obtint une autorisation d'absence de la Société John Howard et devint le premier représentant du Service des pardons pour l'Ouest. Le territoire confié à Hobden s'étendait de Vancouver à Kingston. Deux fois par année, il visitait tous les établissements fédéraux et provinciaux dans les Prairies, et rencontrait ensuite de 50 à 70 personnes à Kingston.

Hobden fut le premier travailleur social à travailler pour le Service des pardons et sa nomination marque le début de la professionnalisation de la mise en liberté sous condition. Il fut le premier agent de libération conditionnelle à tenir compte de facteurs sociaux dans ses rapports. Il utilisa un code pour catégoriser ses conclusions : À prendre en considération signifiait que la libération conditionnelle était peut-être indiquée; À examiner signifiait que le cas était douteux et présentait des chances de réussite égales aux risques possibles; À abandonner signifiait que le cas était carrément négatif (À abandonner fut changé par la suite pour Aucune mesure).

Des problèmes de santé empêchèrent Hobden de s'occuper de tout son territoire et il fut remplacé en par Ward Cook. Néanmoins, Hobden continua de travailler pour le Service des pardons jusqu'en , année où il reprit son poste à la Société John Howard. Des années plus tard, Allan J. Macleod, directeur du Service des pardons, déclara : « M. Hobden a été l'un des premiers Canadiens à donner une crédibilité pratique à l'idée qu'une personne pouvait aller en prison, s'améliorer et, avec de l'aide et de la compréhension, s'établir dans la collectivité en qualité de citoyen utile à la société. » Hobden permit d'asseoir la crédibilité de la libération conditionnelle dans le système correctionnel canadien et il rendit inévitable la création d'une Commission des libérations conditionnelles du Canada dans les années 1950.

Allan Macleod

Dans les années 1950, la confiance dans les moyens des experts était à son zénith. Dans le système pénitentiaire, les vielles méthodes militaristes perdaient de la popularité et une nouvelle génération de scientifiques du comportement tentaient de repenser le système carcéral selon un modèle médical. On faisait également de plus en plus campagne pour réduire au minimum le recours à l'incarcération et faire un usage accru de la probation et de la libération conditionnelle.

En , Frank Miller quitta son travail d'agent de classification pour devenir directeur adjoint du Service des pardons. L'autre directeur adjoint était Benoît Godbout, un avocat qui avait été secrétaire privé du solliciteur général. A. A. Moffatt succéda à l'ancien chef et fut lui-même remplacé, après un an, par Allan J. Macleod, CR, qui avait été directeur de la Section du droit pénal au ministère de la Justice.

La nomination de Macleod marqua le début d'une nouvelle approche correctionnelle et une réorientation du système de libération conditionnelle, qui fut dès lors axé sur la réadaptation plutôt que sur la clémence. Macleod avait travaillé à la révision du Code criminel et il avait son opinion sur l'orientation que la loi devait prendre. Au cours des six années où il œuvra au Service des pardons, il aida à rédiger les dispositions législatives de la première commission des libérations conditionnelles du Canada.

Selon Miller, Macleod était l'homme le plus brillant de tous ceux qu'il connut et un collègue remarquable. « Il était lui-même un idéateur », mais il a également su adopter et fait avancer les idées d'autres personnes. Il savait prendre des risques. Il demanda un jour à Miller s'il existait une règle de clémence qu'ils n'avaient pas encore enfreint. Ils étaient libres d'expérimenter parce que le gouvernement de l'époque voulait du changement et les appuyait à fond.

Miller, Macleod et Godbout estimaient qu'ils avaient un mandat : celui de faire entrer la libération conditionnelle canadienne dans le vingtième siècle. « C'était une période enthousiasmante, nous sentions que nous accomplissions quelque chose d'important », explique Miller. Les idées maîtresses qu'ils défendaient étaient la personnalisation du traitement et la mise en liberté graduelle. Avec l'aide d'organismes d'assistance postpénale privés, ils instituèrent une surveillance véritable. Ils établirent une stratégie de communication, organisèrent des conférences, ouvrirent de nouveaux bureaux, embauchèrent de nouvelles personnes et étendirent les services. Ils octroyèrent également un plus grand nombre de libérations conditionnelles.

À cette époque, les détenus devaient avoir purgé les deux tiers de leur peine avant que leur cas puisse être examiné en vue d'une mise en liberté sous condition. Or, Macleod estimait que tous les détenus qui en étaient à leur première infraction devaient être mis en liberté à la moitié de leur peine, et cette règle fut appliquée dans l'ensemble. Macleod s'attacha également à assouplir la règle voulant que quiconque avait enfreint les conditions de sa libération conditionnelle ne pouvait en obtenir une autre.

Les choses bougeaient vite. Miller explique : « Plus de changements importants sont survenus au cours de la période allant de à qu'à toute autre période comparable qui a suivi. »

Les repris de justice

En vertu d'une modification apportée au Code criminel en , un accusé pouvait être déclaré « repris de justice » s'il avait antérieurement, à au moins trois occasions distinctes et indépendantes, été déclaré coupable d'un acte criminel pour lequel il avait été passible d'un emprisonnement de cinq ans ou plus et qu'il menait continûment une vie criminelle ou encore s'il avait déjà été condamné à une peine d'incarcération de durée indéterminée dans un pénitencier. Un repris de justice pouvait être condamné à la « détention préventive » pour le reste de sa vie, cette condamnation étant soumise à examen à tous les trois ans.

Le premier repris de justice fut mis en liberté conditionnelle en -. C'était là un geste risqué pour le Service des pardons, mais Macleod était convaincu que les repris de justice étaient réadaptables. Le premier candidat , « Stan », fut choisi avec soin. Le Service procéda à une enquête approfondie de ses antécédents et le rencontra en entrevue de nombreuses fois pour s'assurer qu'il se prêtait à l'expérience. On lui remit même une lettre du commissaire des Pénitenciers dans laquelle celui-ci faisait savoir à « Stan » qu'il était un pionnier et qu'il était tenu par l'honneur de se montrer à la hauteur de la confiance que l'on plaçait ainsi en lui. Alors, ajoute Miller : « Nous avons tous pris une profonde respiration et croisé les doigts ».

La confiance qu'ils avaient placée dans l'individu fut récompensée. « Non seulement l'homme mena à bien sa mise en liberté à tous les égards, mais nous eûmes recours plus tard à ses services comme surveillant de libération conditionnelle. »

Miller et Macleod durent retenir leur souffle plus d'une fois au cours de cette période. Non seulement furent-ils les premiers à mettre en liberté conditionnelle des repris de justice condamnés à la détention préventive, mais ils mirent également en liberté conditionnelle des personnes qui avaient commis des infractions violentes de même que des psychopathes sexuels.

Le rapport Fauteux

En , « un comité institué pour faire enquête sur les principes et les méthodes suivis au Service des pardons du ministère de la Justice du Canada » fut formé et la direction en fut confiée à un juge de la Cour suprême, Gérald Fauteux.

Miller insiste sur le fait qu'un vent de changement soufflait déjà lorsque le comité Fauteux commença ses travaux, et que le comité ne fit qu'aider aux changements. « Nous n'avons pas attendu la publication du rapport avant d'agir. »

En , le comité présenta son rapport. Même si son mandat était de faire rapport sur la mise en liberté sous condition, le comité dépassa largement ses attributions et examina tout le système correctionnel. En fait, sur ses 44 recommandations, huit seulement portaient précisément sur la libération conditionnelle.

Dans son rapport, le comité Fauteux réitéra bon nombre des critiques formulées par le juge Archambault. Tout comme son prédécesseur, Fauteux déplorait le mauvais usage que l'on faisait de la Loi sur les libérations conditionnelles. Maintes fois, la libération conditionnelle n'avait pas été mise à profit pour aider à la réadaptation des délinquants. Or, la libération conditionnelle n'était pas simplement une façon d'inciter les détenus à bien se comporter en prison. Selon Fauteux, la perspective d'obtenir une libération conditionnelle devait motiver le détenu à tirer profit de toutes les possibilités de réadaptation offertes par les programmes donnés en établissement, de façon que celui-ci puisse mener une meilleure vie à sa mise en liberté.

Le rapport avait pour thème de fond la justice préventive. Fauteux estimait que la collectivité pouvait mieux se défendre contre les criminels en administrant la justice de façon à éviter aux délinquants de retomber dans le crime. À cette fin, les tribunaux devaient prononcer des peines qui convenaient au criminel et qui étaient appropriées pour le crime commis. Dans son rapport, le comité Fauteux recommandait que le cas de tous les détenus soit examiné en vue d'une libération conditionnelle à la lumière des mérites de chacun.

La recommandation la plus importante d'entre toutes visait la création d'une commission des libérations conditionnelles centrale forte qui devait avoir l'exclusivité des pouvoirs relativement à la libération conditionnelle de tous les détenus purgeant une peine imposée en vertu du Code criminel du Canada. La Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) dont la création était ainsi proposée devait être un organisme quasi-judiciaire et non un organisme dirigé par un ministre de la Couronne exerçant un pouvoir purement administratif. La commission proposée, déclara Fauteux, devait compter de trois à neuf membres, nommés par le gouverneur en conseil. Les candidats pour les postes à la Commission devaient posséder une expérience professionnelle du droit, de la psychologie, du travail social ou de la criminologie appliquée.

Fait remarquable, le gouvernement donna rapidement suite au rapport Fauteux. La vieille Loi sur les libérations conditionnelles fut abrogée et le Service des pardons, aboli. L'ancienne loi fut remplacée par la Loi sur la libération conditionnelle de , dans laquelle le principe de la réadaptation était consacré. L'organisme de libération conditionnelle indépendant, que tant de gens réclamaient depuis si longtemps, devenait enfin une réalité.

La création de la Commission des libérations conditionnelles du Canada

Selon les dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle, la Commission des libérations conditionnelles du Canada devait être un organisme complètement indépendant, responsable des décisions en matière de libération conditionnelle. Le législateur a conçu un organisme doté d'attributions très étendues, d'un pouvoir discrétionnaire considérable et d'un mandat beaucoup plus vaste que celui de l'ancien Service des pardons. De plus, pour que les cinq membres de la Commission soient à l'abri de toute influence ou ingérence politique, la loi fixait la durée de leur mandat à dix ans et celui-ci pouvait être renouvelé.

La Commission était composée d'un président et de cinq membres. Le premier président de la Commission fut T. George Street, juge à la Cour provinciale de l'Ontario, à Welland. Les premiers commissaires furent J. Alex Edmison, réformateur pénal de longue date et membre du Comité Fauteux, Frank Miller, ex-directeur exécutif du Service des pardons, Édouard Dion, qui avait déjà été procureur de la Couronne au Québec, Georges Tremblay, gestionnaire du bureau de libération conditionnelle de Montréal et Mary Lou Lynch, avocate du Nouveau-Brunswick. Pour garantir l'indépendance politique des commissaires, ceux-ci étaient nommés pour une période de dix mois et leur mandat pouvait être renouvelé. Benoît Godbout, fonctionnaire de carrière, fut nommé directeur exécutif du Service national de libération conditionnelle.

La loi définissait les nouveaux critères de la libération conditionnelle : la Commission pouvait remettre un détenu en liberté « si l'effet positif maximal de l'emprisonnement avait été atteint par le détenu, si la libération conditionnelle devait faciliter l'amendement et la réadaptation du détenu et si la mise en liberté du détenu ne constituait pas un trop grand risque pour la société. »

Le pouvoir discrétionnaire est évidemment une arme à deux tranchants. La Commission avait toute liberté de considérer le bien-fondé de chaque cas. Malheureusement, elle n'était pas à l'abri de l'erreur. Le commissaire Frank Miller, notamment, avait bien perçu les risques d'erreurs graves : « J'ai tenté sans relâche mais en vain de les convaincre de se doter d'une politique », mais les commissaires restaient persuadés qu'ils pouvaient se fier à leur propre jugement.

En , au cours de sa première année d'activité, la Commission a octroyé la libération conditionnelle à 994 détenus, soit le nombre le plus élevé jamais atteint auparavant. Cela représentait un taux de 42 p. 100. En , le taux d'octroi de la libération conditionnelle a grimpé à 62 p. 100, puis il a chuté à 27 p. 100 en et à 25 p. 100 en .

Le candidat à la libération conditionnelle était évalué en fonction des facteurs susceptibles d'influencer sa conduite après sa mise en liberté. La Commission disposait d'un dossier pour chaque délinquant, préparé par un agent de libération conditionnelle. Le processus comprenait en outre une enquête communautaire qui servait à recueillir des renseignements sur le plan de libération conditionnelle du détenu, sur ses rapports avec sa famille et sur ses chances de trouver un emploi. Mais avant tout, la Commission cherchait à établir clairement si le délinquant avait changé d'attitude et s'il était vraiment déterminé à s'amender.

En règle générale, il suffisait que deux commissaires se prononcent en faveur de la mise en liberté pour que celle-ci soit accordée. Par contre, les cas les plus graves exigeaient l'unanimité des cinq commissaires.

Le délinquant qui obtenait la libération conditionnelle devait observer certaines conditions définies dans son certificat de libération conditionnelle; par exemple, il devait respecter une consigne concernant les heures de rentrée, garder son emploi, s'occuper convenablement de ses personnes à charge, s'abstenir de consommer de l'alcool et éviter de fréquenter des individus du milieu criminel. Le délinquant était autorisé à se marier, à se déplacer librement, à changer d'emploi ou de lieu de résidence et à faire l'achat d'une voiture. Avec le temps, lorsque le délinquant démontrait un sens des responsabilités accru, les conditions imposées pouvaient être progressivement allégées ou même, jusqu'au début des années 1980, complètement supprimées.

Au cours des années 1960, la libération conditionnelle était considérée comme l'étape finale du traitement des délinquants. La Commission accordait la libération conditionnelle à un détenu au moment où elle considérait que l'emprisonnement avait exercé son « effet positif maximal ». Évidemment, les commissaires ne s'entendaient pas toujours pour déterminer quand ce moment avait été atteint.

Selon Frank Miller, la Commission a fait preuve d'une certaine imprudence au milieu des années 1960, en accordant la libération conditionnelle trop tôt à un trop grand nombre de délinquants :

Ils ont cru qu'ils pouvaient accorder la libération conditionnelle à n'importe qui, à leur gré… le nombre de déchéances et de révocations de la libération conditionnelle s'est mis à grimper. On accordait la libération conditionnelle à des individus condamnés à l'emprisonnement à perpétuité… Au Parlement, les députés posaient des questions… Les hauts responsables du ministère de la Justice commençaient à se sentir mal à l'aise.

En , un individu qui avait tué une fillette de douze ans provoqua un tollé en Colombie-Britannique lorsqu'il fit une demande de libération conditionnelle après avoir purgé seulement dix ans de sa peine. Le gouvernement décida alors que le Cabinet devrait préalablement approuver l'octroi de la libération conditionnelle à tout délinquant purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité consécutive à la commutation d'une condamnation à mort.

Malgré ces difficultés, la Commission réussit à mettre sur pied plusieurs programmes innovateurs, comme la semi-liberté.

Une journée à l'extérieur

Un certain après-midi, en , un homme tenant sa boîte à lunch à la main frappa à la porte du pénitencier de la Colombie-Britannique. Il affirmait être un détenu de l'établissement et demandait qu'on le laisse entrer. Le gardien médusé refusa de lui ouvrir la porte, jusqu'à ce qu'un supérieur lui assure que l'individu était bien un détenu de l'établissement, qui était de retour de sa première journée de travail à l'extérieur. On avait sans doute oublié d'informer le gardien au sujet du nouveau programme de la semi-liberté.

La semi-liberté permettait aux délinquants de quitter l'établissement pendant de courtes périodes pour aller travailler ou suivre des cours. Ce programme comportait de nombreux avantages. Pour le délinquant, c'était une pause fort bienvenue dans la monotonie de la vie carcérale. Celui qui trouvait un emploi à l'extérieur pouvait gagner un peu d'argent, en envoyer à sa famille et faire des économies en vue de sa mise en liberté. Pour la Commission, la semi-liberté était un moyen de vérifier si un délinquant était capable de bien se conduire à l'extérieur.

Le seul moyen de protection

En , Frank Miller s'adressa aux membres du club Kiwanis d'Ottawa en ces termes :

Les objectifs de la libération conditionnelle, comme ceux de la sentence imposée par la cour, sont la protection de la société et la réadaptation du délinquant. En principe, ces deux objectifs sont inséparables. Même si l'incarcération du criminel permet temporairement de protéger la société, cette protection prendra fin dès la mise en liberté du délinquant s'il n'est pas réadapté. Notre société démocratique souhaite la réadaptation du délinquant pour son propre bien, et notre contribution à cette réadaptation constitue notre seul moyen de nous protéger contre lui.

Mais cette perception de la libération conditionnelle n'était pas partagée par tout le monde. En , le Edmonton Journal écrivait : « Rien ne prouve encore que cette indulgence peut améliorer la sécurité de la société ou réduire le crime. Notre société a le droit de se protéger contre ses ennemis. »

La police était particulièrement opposée à ce régime. Toujours en , Doug Sagi écrivit à ce propos dans le Calgary Herald : « Il y a […] une contradiction fondamentale dans le fait que les policiers voient les criminels sous leur jour le plus odieux, tandis que le personnel des prisons et des services correctionnels les voient sous leur jour le plus favorable. » Beaucoup de policiers considéraient alors que les travailleurs sociaux des établissements et les membres de la CLCC étaient des gens naïfs que les candidats à la libération conditionnelle pouvaient duper facilement.

Les juges adressaient eux aussi de durs reproches à la Commission, qu'ils accusaient de s'ingérer dans l'administration de leurs sentences. Ils ne cessaient de répéter que les récidivistes et les délinquants violents ne devaient pas obtenir la libération conditionnelle. En , les juges du Québec réunis en conférence adoptèrent une résolution demandant au gouvernement fédéral d'accorder aux juges des cours criminelles le pouvoir d'imposer des peines que la Commission des libérations conditionnelles du Canada ne pourrait pas abréger.

De à , la CLCC a octroyé la libération conditionnelle à plus de 9 000 détenus des établissements fédéraux, ce qui correspondait à 36 p. 100 des quelque 25 000 demandes qui lui avaient été soumises. Au total, plus de 20 000 délinquants sous responsabilité fédérale et provinciale ont obtenu la libération conditionnelle au cours de cette période. En , la Commission a rendu près de 15 000 décisions en matière de libération conditionnelle et de clémence. Sa charge de travail commençait à devenir un sérieux problème.

Au début des années 1960, il n'y avait qu'un seul travailleur social disponible par tranche de trois ou quatre postes à pourvoir et le nombre de spécialistes possédant une formation dans le domaine de la libération conditionnelle était encore plus limité. De plus, il fallait recruter d'autres agents de libération conditionnelle, leur nombre étant insuffisant. Entre-temps, la qualité de la surveillance commençait à souffrir de cet état de choses. Le nombre d'échecs se mit à augmenter au même rythme que le nombre de délinquants mis en liberté, et la Commission se retrouva plus d'une fois dans l'embarras, par exemple, lorsqu'un libéré conditionnel quitta le pays pour aller passer sa lune de miel en Espagne.

Même quand la Commission arrivait à trouver le personnel dont elle avait besoin, elle n'avait pas toujours l'argent nécessaire pour le payer. Lorsque Frank Miller succéda à Benoît Godbout comme directeur exécutif du Service national de libération conditionnelle, en , il dut presser le gouvernement de lui accorder davantage de ressources. Il dut aussi freiner l'ardeur des membres de la Commission, car le Service de libération conditionnelle ne pouvait pas surveiller convenablement tous les délinquants auxquels la Commission accordait la libération conditionnelle.

En , le gouvernement créa le Ministère du solliciteur général, qui chapeautait le Service canadien des pénitenciers, la Commission des libérations conditionnelles du Canada et la GRC. Auparavant, ces organismes relevaient du ministère de la Justice.

Le rapport Ouimet

Sur le plan idéologique, le rapport Ouimet, déposé en , était dans la lignée des rapports Archambault et Fauteux, qui l'avaient précédé, à l'exception d'une différence importante. En effet, même si le rapport Ouimet continuait de défendre la notion de traitement correctionnel, il affirmait aussi que la meilleure façon d'accélérer la réinsertion sociale des délinquants consistait à hâter leur retour dans la collectivité. En termes à peine voilés, le rapport laissait entendre que l'incarcération n'avait rien pour améliorer la personnalité des délinquants, bien au contraire.

Le comité arrivait à la conclusion que la Commission était un organisme trop peu visible et trop distant de la réalité, et que ses membres étaient trop souvent issus du milieu judiciaire et juridique. Il recommandait en outre que les activités de la Commission soient décentralisées, de manière à permettre la tenue d'audiences individualisées, auxquelles le candidat à la libération conditionnelle pourrait assister. Enfin, le comité recommandait que le Service national de libération conditionnelle, responsable de la préparation et de la surveillance des cas, soit séparé de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et fusionné au Service canadien des pénitenciers, sous l'autorité unique d'un commissaire des services correctionnels. On souhaitait de cette manière rendre plus indépendant le processus décisionnel de la Commission en matière de libération conditionnelle.

La surveillance obligatoire

Au cours des années 1960, la possibilité d'obtenir une substantielle réduction de peine pour bonne conduite dissuadait beaucoup de délinquants de demander leur libération conditionnelle. En effet, le cumul de la réduction de peine légale et de la réduction méritée de peine pouvait réduire de près du tiers la durée initiale de la peine d'incarcération d'un délinquant. Cela signifiait que même si la libération conditionnelle était refusée à un délinquant, celui-ci pouvait quand même s'attendre à obtenir sa mise en liberté dans peu de temps, et sans être soumis à la surveillance d'un agent de libération conditionnelle. Par contre, le délinquant qui obtenait la libération conditionnelle restait sous surveillance pendant tout le reste de sa peine.

D'ailleurs, certains détenus à qui l'on offrait la libération conditionnelle la refusaient. Au lieu de se soumettre à la surveillance dans la collectivité, les détenus préféraient rester incarcérés jusqu'à la date de leur libération d'office. Quand ils quittaient alors l'établissement, ils se retrouvaient entièrement libres, sans surveillance.

La Loi sur la libération conditionnelle révisée en contenait une disposition prévoyant que tout délinquant ayant accumulé plus de 60 jours de réduction de peine, et qui était donc admissible à la mise en liberté, devait purger la période de cette réduction de peine sous surveillance dans la collectivité, aux mêmes conditions que tout autre libéré conditionnel. Cette mesure prit le nom de liberté surveillée.

La population canadienne n'a jamais très bien compris en quoi consistait la liberté surveillée. Bien des gens ignoraient que la loi obligeait les établissements correctionnels à remettre en liberté les délinquants dès la date à laquelle devait commencer la liberté surveillée. Dans une telle situation, la Commission des libérations conditionnelles du Canada n'avait aucun pouvoir, sauf celui de révoquer la liberté surveillée si le délinquant en violait les conditions. Au cours des années qui suivirent, le public devint très méfiant à l'égard de la mise en liberté sous condition à cause de la confusion qui existait entre la liberté surveillée et la libération conditionnelle.

Les droits de qui?

Le , une émeute éclate au pénitencier de Kingston. Cinq cents détenus (sur une population totale de 658) s'emparent de l'établissement, prennent plusieurs gardiens en otages et saccagent les lieux. Sur le toit de la rotonde, haute de six étages, ils brandissent des bannières. Sur l'une d'elles, on peut lire : « Et nos droits, qu'est-ce qu'ils deviennent? » Les détenus confient aux journalistes et aux représentants d'un comité consultatif de citoyens qu'ils craignent d'être transférés au nouvel établissement de Millhaven, à la fine pointe de la technologie. Ils se plaignent aussi de la brutalité policière, de leurs conditions de vie médiocres dans le pénitencier et des modifications à la Loi sur la libération conditionnelle de , qui avait créé le régime de la liberté surveillée.

Les forces de l'ordre prirent place autour de l'établissement. Un gardien en colère, inquiet du sort de ses collègues, déclara aux journalistes : « C'est à cause de tous ces gens bien intentionnés, des réformateurs et des défenseurs des droits civils que nous sommes dans ce pétrin. »

Au terme d'un siège de quatre jours, deux détenus étaient morts et onze étaient blessés.

Des intérêts en concurrence

L'émeute au pénitencier de Kingston marqua le début d'une série de troubles et de désordres qui durèrent une dizaine d'années, ce qui ne s'était pas vu depuis les années 1930. Cette fois cependant, la violence dans les prisons avait une origine politique. Pour justifier leurs actes, les détenus rebelles affirmaient souvent que leurs droits étaient brimés. Mais surtout, beaucoup de citoyens libres appuyaient leurs revendications.

Le mouvement en faveur des droits de la personne, né au cours des années 1960, devait exercer une influence considérable sur la pénologie. Les gens qui avaient participé à des marches et des manifestations en faveur de la paix au Viêt-nam, de l'égalité raciale, de l'émancipation des femmes et d'autres causes étaient maintenant prêts à revendiquer la « justice dans les prisons ». Les activistes réclamaient le droit de visiter les prisons, de défendre les droits civils des détenus et de rendre compte des conditions de vie dans les pénitenciers.

Dans le régime fédéral de libération conditionnelle, les droits des détenus firent de plus en plus souvent l'objet d'examens internes et de commissions d'enquête. Les décisions des tribunaux favorables aux détenus se firent plus nombreuses aussi. Son pouvoir discrétionnaire étant fortement remis en question, la Commission des libérations conditionnelles du Canada dut accepter de modifier ses règlements et ses pratiques afin de pouvoir démontrer que ses décisions étaient judicieuses et bien fondées et ne risquaient pas de paraître autrement.

Au cours des années 1970, plusieurs garanties de procédure furent adoptées :

  • Le droit du détenu à une audience à la date de son admissibilité à la libération conditionnelle;
  • Le droit du détenu d'obtenir par écrit les motifs du refus de sa libération conditionnelle;
  • L'examen interne des décisions négatives;
  • La tenue d'une audience à la demande du détenu lorsque sa libération conditionnelle était suspendue et risquait d'être révoquée.

En , ces nouvelles mesures allaient être officialisées dans les modifications apportées à la Loi sur la libération conditionnelle. Comme la poursuite de l'objectif d'équité risquait fort d'alourdir considérablement la charge de travail, la Commission devait être réorganisée et dotée de meilleures ressources.

En , la tendance à la régionalisation s'amorça avec l'ouverture du bureau de la région du Québec, à Montréal. La même année, le Parlement abolit officiellement les châtiments corporels, ce qui allait dispenser la Commission de l'odieuse tâche d'imposer ou non cette forme de punition. De plus, le rapport du Groupe d'étude sur la mise en liberté des détenus, connu également sous le nom de rapport Huguessen, recommandait aussi la régionalisation de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

De à , les cinq membres de la CLCC rendaient leurs décisions à la suite de l'examen des dossiers dans leur bureau, à Ottawa. Ils ne rencontraient jamais les détenus, représentés uniquement par leur demande de libération conditionnelle. Ils communiquaient avec le personnel des établissements seulement quand ils souhaitaient éclaircir un point dans un dossier.

En , le président de la Commission, George Street, finit par convaincre le solliciteur général d'approuver le principe des audiences individuelles. Quatre nouveaux membres furent nommés et le budget de la Commission fut haussé. Les premières audiences eurent lieu en septembre, au pénitencier de Kingston. Cette pratique fut étendue graduellement à l'ensemble du pays, à mesure que l'on augmentait le nombre de commissaires. En , les membres de la Commission allaient avoir tenu des audiences dans 26 établissements et entendu au total 7 400 détenus. À ce moment, dix commissaires de plus avaient été affectés dans les différentes régions.

Les audiences se tenaient habituellement dans les bureaux du directeur de l'établissement ou dans une salle de conférence. Chaque cas était présenté par un agent de libération conditionnelle et un agent de classement. Ces audiences étaient parfois très longues et pouvaient prendre une tournure antagonique. À la fin de l'audience, le détenu devait quitter la salle afin que les commissaires puissent discuter de son cas en privé. On rappelait ensuite le détenu pour lui faire connaître la décision de la Commission ainsi que les motifs à l'appui.

Justification des décisions

On put se rendre compte rapidement que le nouveau système constituait une très nette amélioration par rapport au précédent. Il eut aussi une profonde influence sur le moral des détenus, auparavant amers à l'égard du processus de la libération conditionnelle. Avec le nouveau système, un détenu pouvait encore se voir refuser la libération conditionnelle, mais au moins il savait pourquoi. Les commissaires étaient désormais bien disposés à expliquer au détenu comment il pouvait améliorer ses chances en vue de la prochaine fois.

Comme la totalité des commissaires ne pouvaient pas assister à toutes les audiences prévues, les commissaires siégeaient dorénavant par deux et disposaient du pouvoir de rendre les décisions que les membres de la Commission rendaient tous ensemble auparavant. Les seuls cas d'exception étaient ceux des détenus condamnés à perpétuité et des détenus purgeant une peine d'une durée indéterminée. Les dossiers de ces détenus étaient expédiés à Ottawa, où trois autres membres en faisaient aussi l'examen.

L'année a marqué un sommet dans le régime de la mise en liberté sous condition au Canada. En , un détenu sous responsabilité fédérale avait 20 p. 100 de chances d'obtenir la libération conditionnelle. En , ses chances étaient passées à 50 p. 100. En , la Commission des libérations conditionnelles du Canada a approuvé 65 p. 100 des demandes reçues.

En , T. George Street démissionna du poste de président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Son successeur allait être William Outerbridge, un criminologue qui porte un intérêt particulier à la question des droits civils. Outerbridge allait exercer ses fonctions durant ce qui deviendra la période la plus turbulente et la plus mouvementée de la Commission.

Les dix premières années d'existence de la Commission des libérations conditionnelles ont été difficiles, mais le travail était complètement nouveau et stimulant. Ce fut une période relativement calme mais, comme dit le proverbe, c'était le calme avant la tempête.

Sur la recommandation de la Commission Glascoe, qui avait préconisé des changements radicaux des organismes gouvernementaux, le gouvernement créa en le ministère du Solliciteur général. Celui-ci se composait du Service canadien des pénitenciers, de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et de la GRC. Auparavant, ces organismes relevaient du ministère de la Justice.

Dans son rapport déposé en , le Comité Ouimet a estimé que la Commission des libérations conditionnelles était trop distante et trop invisible et qu'elle se composait trop exclusivement de gens issus de l'appareil judiciaire et du barreau. Le Comité a recommandé que la Commission augmente le nombre et la diversité de ses membres. Il a également recommandé la décentralisation des activités de la Commission, de façon à ce que celle-ci puisse tenir des audiences en personne avec chacun des candidats à la libération conditionnelle.

En , la tendance à la régionalisation s'amorça avec l'ouverture du bureau régional du Québec, à Montréal (en , on comptait 10 membres de la Commission dans les régions). La même année, le Parlement abolit le châtiment corporel, ce qui libéra la Commission d'une tâche répugnante : celle de prendre des décisions concernant cette forme de punition. Frank Miller démissionna de son poste de directeur exécutif de la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour accepter celui de coordonnateur canadien du Cinquième congrès des Nations Unies pour la prévention du crime.

En pourcentage, l'année marque un sommet pour le système de mise en liberté sous condition au Canada. En , un prisonnier sous responsabilité fédérale avait 20 p. 100 de chances d'obtenir sa libération conditionnelle. En , ses chances étaient passées à 50 p. 100. Or, en , au moins 65 p. 100 des demandes reçues ont été approuvées par la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

William R. Outerbridge

En , T. George Street donna sa démission et William Outerbridge lui succéda. Criminologue, celui-ci avait un intérêt particulier pour les droits civiques. C'est lui qui continua et assura la présidence pendant la période la plus turbulente et la plus fertile en événements de l'histoire de la Commission.

Fils de missionnaires, William Outerbridge avait été élevé au Japon au cours de la période de xénophobie qui précéda la Deuxième Guerre mondiale, ce qui le rendit « particulièrement sensible aux possibilités accrues d'abus de pouvoir ». Il avait été travailleur social psychiatrique, travailleur de rue, agent de probation, formateur de personnel et juge à un tribunal pour juvéniles. Membre de la Commission de à , il fut ensuite professeur de criminologie entre et . Au moment où il travaillait pour le gouvernement de l'Ontario, il avait bénéficié d'un congé d'études; il passa ainsi une année à Berkeley, en Californie, endroit qui était alors un foyer d'idées nouvelles en criminologie. « Ce séjour a profondément influencé ma pensée, dit-il. Ce fut une expérience hallucinante. »

Le fait d'être membre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada lui parut l'occasion de mettre en pratique quelques-unes de ces idées. « La raison pour laquelle j'étais si intéressé, la chose qui m'a vraiment séduit, c'était la promesse qu'il y aurait des audiences de libération conditionnelle en personne. »

De à , les cinq membres de la Commission des libérations conditionnelles du Canada prenaient leurs décisions après avoir examiné les dossiers à leurs bureaux d'Ottawa. Ils ne rencontraient jamais les détenus. Ils ne voyaient que leur demande par écrit et les évaluations que d'autres avaient rédigées à leur sujet. Leur seul contact avec les établissements avait lieu quand ils appelaient un employé pour tirer au clair un élément dans un dossier. Cette méthode d'évaluation des dossiers n'a jamais satisfait George Street. Ce dernier voulait rencontrer en prison les délinquants qui demandaient la libération conditionnelle et leur donner une audience en personne. Il croyait fermement que les entrevues personnelles se solderaient par des décisions plus éclairées; il estimait également que cette façon de procéder permettrait aux détenus de participer activement à un processus qui avait vraiment de l'importance dans leur vie.

En , M. Street était parvenu à convaincre le ministre de donner son approbation à la tenue d'audiences. Quatre nouveaux membres furent nommés et l'on augmenta le budget afin d'appuyer l'innovation. En septembre, les premières audiences eurent lieu au pénitencier de Kingston. La pratique se répandit graduellement dans tout le pays à mesure que le nombre de commissaires augmentait. En , les membres de la Commission présidaient des audiences dans 26 établissements, lesquels regroupaient au total 7 400 détenus.

Les entrevues pouvaient être assez longues et parfois antagonistes. Une fois l'entrevue terminée, on demandait au détenu de quitter la pièce de manière à permettre aux membres de discuter en privé. On rappelait ensuite le détenu et on l'informait de la décision de la Commission et des motifs qui la justifiaient.

À cette époque, un membre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada passait habituellement entre le tiers et la moitié de l'année sur la route. « Pour des gens qui avaient des responsabilités familiales », précise M. Outerbridge, « c'était exténuant. » Au cours d'une journée moyenne, les commissaires pouvaient interviewer 8 à 10 détenus, parfois même jusqu'à 12.

« Un pouvoir absolu »

En , le rapport du Groupe d'étude sur la mise en liberté des détenus, présidé par le juge James Huguessen, fut rendu public. Vint ensuite en un rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (présidé par le sénateur H. Carl Goldenberg) intitulé La libération conditionnelle au Canada. Les deux rapports avaient de nombreux points en commun. Tous deux plaidaient en faveur d'un recours libéral à la libération conditionnelle et recommandaient que la compétence de la Commission soit élargie. Les deux affirmaient que la Commission devrait être un organisme quasi-judiciaire. Ils s'entendaient pour dire que la libération conditionnelle n'était pas une forme de révision de la peine, de clémence, de preuve de réadaptation, ni une récompense, un droit ou un instrument de gestion des prisons.

Le juge Huguessen voyait dans la libération conditionnelle un moyen de réduire les « coûts sociaux et humains » engagés par le « mal nécessaire des prisons ». Quant au sénateur Goldenberg, il déclarait catégoriquement que la société devait être préparée à courir des risques avec certains délinquants en liberté conditionnelle, parce que les avantages possibles l'emporteraient habituellement sur les risques. Les deux rapports se ressemblaient également par le fait qu'ils reflétaient le désenchantement croissant à l'égard du traitement correctionnel dans les établissements.

Les deux se méfiaient des jugements subjectifs et soutenaient que la Commission devrait élaborer certaines normes relatives à la prise de décision. Les deux étaient d'avis que les motifs justifiant le refus ou la révocation de la liberté conditionnelle devraient être communiqués par écrit. Le détenu devrait-il avoir droit aux services d'un avocat au cours des audiences? MM. Huguessen et Goldenberg ont exprimé des doutes là-dessus. Ils ont admis que certains détenus pouvaient être incapables de présenter eux-mêmes leurs arguments, mais n'aimaient pas l'idée de voir des avocats le faire à leur place. Ils craignaient que les audiences ne fassent trop de place à la confrontation. Autre problème épineux : celui de l'appel. Le juge Huguessen estimait que les autorités responsables de la libération conditionnelle devraient être assujetties à l'examen minutieux des tribunaux. Le sénateur Goldenberg était plus pragmatique : à son avis, les décisions de la Commission devaient être finales.

En -, la Commission des libérations conditionnelles du Canada mit sur pied un comité interne de révision à l'administration centrale, à Ottawa. Si un détenu se voyait refuser la libération conditionnelle ou si sa liberté conditionnelle était révoquée, il pouvait demander la révision de la décision par le comité. Ce comité allait par la suite devenir la Section d'appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Le comité n'avait pas pour but de reconsidérer la décision prise antérieurement par la Commission; il s'agissait plutôt pour lui de s'assurer que la Commission s'était acquittée de son devoir d'agir équitablement en prenant cette décision. Vers la fin de la décennie, on permit aussi aux détenus d'avoir un assistant pendant l'audience. Cet assistant pouvait effectivement être un avocat, mais il pouvait aussi s'agir du conjoint, d'un parent ou d'un ami de la famille.

En dépit de tous ses efforts de réforme, la Commission subit une attaque foudroyante de la part du juge en chef de la Cour suprême, Bora Laskin, ce qui provoqua un choc. Dans l'affaire R. c. Mitchell (), le juge Laskin déclarait : « Le fait brutal est que la Commission revendique un pouvoir tyrannique qui est, à mon avis, sans précédent parmi les organismes administratifs habilités à statuer sur la liberté individuelle. Elle réclame un pouvoir absolu sur la personne d'un détenu, presque comme s'il s'agissait d'une simple marionnette. » C'était là une réprimande cuisante qui eut des répercussions profondes sur la Commission des libérations conditionnelles et qui allait entraîner d'autres réformes pendant une bonne partie de la décennie suivante.

Pas une porte tournante

Si le juge en chef de la Cour suprême croyait que la Commission des libérations conditionnelles du Canada était trop tyrannique, bien d'autres juges pensaient quant à eux que la Commission ne l'était pas assez. Ces juges avaient l'appui de la police, qui continuait d'adopter la ligne dure.

En , le chef de police de Winnipeg, George Blow, aurait dit, selon le Daily Sun de Toronto, qu'il était temps que l'on fasse disparaître le système de libération conditionnelle du Canada, tout simplement parce qu'il ne fonctionnait pas. « On n'a pas aussitôt fait d'enfermer ces gens que la Commission des libérations conditionnelles les libère », précisait-il. À son avis, la clémence de la Commission alimentait la criminalité, parce que les jeunes criminels pouvaient voir combien il était facile d'être remis en liberté. Quant à la police de Montréal, elle désignait la Commission sous le nom de Société de protection pour les bandits endurcis.

Le chef de police de Halifax, F. F. Fry, déclarait pour sa part au cours d'une conférence, tenue en  : « Il y a des fois où il nous faut plus de temps pour capturer un détenu, le faire déclarer coupable et le faire condamner qu'il n'en faut pour le retourner dans la société. »

La Commission pouvait percevoir le danger qu'il y avait à ce que ceux qui administraient le système de justice pénale se mettent à dos la police. En , le Comité national mixte de l'Association canadienne des chefs de police et des Services correctionnels fédéraux fut mis sur pied afin de favoriser la coopération entre la police, les tribunaux et le système correctionnel. C'est l'ancien chef de police Jean-Paul Gilbert, qui était désormais Commissaire, qui en avait eu l'idée.

Le président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada essaya d'atténuer la suspicion et la méfiance qui régnaient entre la Commission et la police. Pendant un certain nombre d'années avant d'arriver à la Commission, M. Outerbridge avait participé à des cours de formation destinés aux policiers de la GRC et de la Police provinciale de l'Ontario. Il mettait maintenant son expérience à profit dans des ateliers qu'il organisait à l'intention des milieux chargés de l'application de la loi. L'ancien chef de police de la Ville de Montréal, Jean-Paul Gilbert, et les commissaires Frank Anderson et Pierre Jutras, dans les Prairies, se joignirent à lui dans ce programme d'approche. M. Outerbridge et ses collègues pouvaient voir que les policiers et les juges diffusaient beaucoup d'information auprès du public et des médias. Il était essentiel qu'ils comprennent comment fonctionnait véritablement la Commission.

Quand ils en avaient le temps et que l'occasion se présentait, M. Outerbridge et ses collègues s'adressaient aussi à des groupes de victimes d'actes criminels et participaient à des programmes de radio et de télévision portant sur la victimisation. « Nous estimions qu'il était très important d'établir des distinctions précises entre la libération conditionnelle, ce dont la Commission avait la responsabilité, et le régime de liberté surveillée, sur lequel la Commission n'a aucun pouvoir. »

« Les membres des groupes de victimes étaient profondément blessés; ils étaient en colère et ils cherchaient quelqu'un sur qui décharger leur colère, ce qui est très compréhensible », affirme M. Outerbridge. « Nos présentations n'étaient pas faciles, mais nombreux sont ceux qui ont été capables de comprendre que la majorité de ceux dont la vie avait été marquée par un délinquant en liberté surveillée l'avaient été par des détenus dont la Commission n'avait pu empêcher la mise en liberté. »

Une année charnière pour la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC)

Pour la Commission des libérations conditionnelles du Canada, l'année marque un tournant décisif. L'année précédente, soit le , le Parlement avait voté l'abolition de la peine capitale. Le Code criminel avait été modifié et les catégories de « meurtre qualifié » et de « meurtre non qualifié » avaient été remplacées par celles de « meurtre au premier degré » et de « meurtre au deuxième degré ». Le meurtre au premier degré a été assorti d'une condamnation à perpétuité et d'une période minimale de 25 ans à purger avant que le délinquant ne soit admissible à la libération conditionnelle. On a aussi ajouté une disposition permettant au tribunal ayant imposé la peine de réviser sa décision au bout de quinze ans afin de statuer sur l'opportunité de raccourcir la période de vingt-cinq ans d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. C'est ce qu'on en est venu à appeler par la suite la « clause de la dernière chance ».

D'autres changements sont survenus en , par suite de l'adoption de la Loi modifiant le droit pénal que l'on appelle plus communément la loi sur l'ordre et la sécurité. Il s'agit d'une série de changements dans les lois qui ont mené à la restructuration du système correctionnel et à d'importantes modifications à la Loi sur la libération conditionnelle en vertu desquelles la Commission des libérations conditionnelles du Canada a été élargie et un nouveau type de membre de la Commission est apparu.

En , le Service de libération conditionnelle et le Service des pénitenciers ont été fusionnés pour devenir le Service correctionnel du Canada (SCC). La restructuration a fait l'objet de controverses. M. Outerbridge et la plupart de ses collègues de la Commission y étaient opposés. Leur principale inquiétude était que la nouvelle disposition pourrait influer sur la qualité et la rapidité des rapports de libération conditionnelle. Comme le Service de libération conditionnelle continua de faire preuve d'un niveau élevé de professionnalisme, ils furent rassurés. Dans les pénitenciers, les agents de classification trouvaient que l'intégration les obligeait à « penser en fonction d'une libération » et à faire plus de travail de préparation en vue de la mise en liberté des détenus.

Y a-t-il quelque chose qui fonctionne?

Une autre difficulté que M. Outerbridge a eu à surmonter a été une certaine perte de confiance à l'endroit du modèle de réadaptation des services correctionnels.

En , M. Outerbridge avait déclaré devant un auditoire de travailleurs sociaux : « Nous sommes au milieu d'une période où nous faisons le point sérieusement ». Et il ajoutait : « La recherche empirique a révélé que bon nombre de nos croyances les plus chères ne tenaient pas. » L'une de ces croyances était que les spécialistes des services correctionnels pouvaient « ramener les criminels dans le droit chemin ».

Aux États-Unis, Robert Martenson publia, en -, les conclusions d'une étude approfondie qu'il avait effectuée au sujet de divers programmes de réadaptation offerts dans les pénitenciers américains. Ces conclusions semblaient démontrer que rien ne parvenait vraiment à réformer les criminels. La théorie voulant que « rien ne fonctionne » a été à l'origine d'une controverse féroce. Elle a alimenté les demandes concernant un « modèle de justice » selon lequel le système correctionnel se limiterait à des objectifs pouvant être gérés, comme le contrôle humain, l'équité et la rentabilité. Suivant ce modèle, la libération conditionnelle allait être soit abolie complètement soit utilisée seulement afin d'aplanir les inégalités dans les peines. Aux États-Unis, cette théorie a eu une influence régressive sur le système de mise en liberté sous condition.

Ironiquement, Martenson prétendra par la suite qu'il avait été mal compris, qu'il n'avait jamais voulu dire que les programmes de réadaptation étaient inutiles mais seulement qu'on n'avait pas suffisamment de preuves de leur efficacité. Au Canada, les preuves allaient découler finalement de l'essor de la recherche correctionnelle.

La campagne en vue de l'abolition de la peine capitale est un autre phénomène marquant des années 1970 qui, en définitive, a eu une influence sur la Commission des libérations conditionnelles.

La vie dans la balance

C'est de ma cellule et sur mes genoux que j'écris ces quelques lignes afin d'implorer votre indulgence et votre pardon. Je sais que je ne mérite pas beaucoup de compassion ni même peut-être la moindre sympathie, mais ne pourriez-vous pas au moins découvrir dans quelque coin reculé de votre bon cœur une parcelle de pitié pour la plus malheureuse de toutes les femmes. [Traduction]

Cet appel désespéré à la clémence n'a pas réussi à émouvoir le ministre de la Justice. Celui-ci indiqua au Cabinet qu'il ne voyait pas de raison de s'ingérer dans la peine de mort prononcée contre Madame Poirier pour le meurtre de son mari. Aussi celle-ci a-t-elle été pendue, comme prévu, à Sainte-Scholastique, le .

La Proclamation royale de avait remplacé le système de justice en vigueur au Québec par les lois de l'Angleterre. Le Haut-Canada, lui, a été assujetti aux lois britanniques en . Cela voulait dire que les Canadiens étaient désormais régis par le Bloody Code — le code sanglant — et son énorme catalogue d'infractions punissables de mort. Au XVIIIième siècle, au Canada comme en Grande-Bretagne, le Code était souvent mis en application dans toute sa cruauté. En , par exemple, un homme a été pendu à Halifax pour avoir volé quelques pommes de terre. Au Canada, comme en Grande-Bretagne, le seul recours qu'avait un condamné à mort était de s'en remettre à la merci de la Couronne.

La prérogative royale de clémence est un privilège spécial attribué au souverain par la common law. Historiquement, elle est apparue comme moyen de compenser pour les iniquités et les imperfections de la loi. Parmi ces imperfections figurait le fait qu'avant , la personne qui subissait un procès pour une infraction punissable de mort au Canada n'avait pas de droit reconnu aux services d'un avocat. Ce n'est pas avant qu'une personne accusée d'une infraction punissable de mort a été autorisée à témoigner en son propre nom, et c'est seulement à partir de qu'une personne condamnée a été autorisée à en appeler d'une peine de mort.

D'où l'importance de la clémence. Les amis et les parents du prisonnier, son employeur, son curé — et parfois même le juge qui l'avait condamné — adressaient une requête au gouverneur de la colonie pour lui demander d'user de la prérogative royale pour commuer la peine. Avec le temps, les gouverneurs sont devenus plus sensibles à l'opinion publique et les chances qu'ils donnent suite à ces appels ont augmenté.

Les femmes avaient plus de chances que les hommes d'être graciées. Les jurys du XVIIIième et du XIXième siècles, composés entièrement d'hommes, avaient tendance à considérer les femmes comme le sexe faible. On supposait que les femmes étaient dupes de leur mari ou de leurs complices masculins. La peine de mort imposée aux femmes était souvent commuée en peine d'emprisonnement à perpétuité ou pour une durée moins longue.

Le nombre d'exécutions a aussi diminué en raison de modifications apportées aux lois. En , le nombre d'infractions punissables de mort a été ramené à 12, de plus de 200 qu'il était. Au moment de la Confédération, en , seulement trois infractions étaient punissables de mort au Canada : le meurtre, le viol et la trahison.

La prérogative royale

Avant le , quiconque était accusé de meurtre était automatiquement condamné à mort, et la peine était exécutée à moins que le gouverneur général, sur l'avis du Cabinet, ne commue la peine en peine d'emprisonnement à perpétuité. Habituellement, la décision finale n'était pas prise avant les derniers jours, voire les dernières heures, précédant le moment prévu pour l'exécution.

La clémence pouvait être accordée pour les raisons suivantes : extrême jeunesse ou âge avancé du condamné, peu d'intelligence, folie, absence de préméditation, état d'ébriété au moment du crime, recommandation à cet effet du juge de première instance ou du jury; ce pouvait même être à cause du « sentiment populaire ». Une femme a été graciée simplement parce qu'elle était mère de huit enfants.

Dans la plupart des cas, cependant, un télégramme arrivait portant ces mots : « Il n'y a pas de raison exposée qui justifie quelque ingérence que ce soit dans la peine »; alors, la loi suivait son cours.

Au Canada, la prérogative royale de clémence a évolué; de pouvoir vice-royal, elle est devenue un recours principalement sous l'autorité du Cabinet. Après , le Service des pardons, qui a précédé la Commission des libérations conditionnelles du Canada, a été chargé d'examiner attentivement les demandes de clémence. Dans les cas de peine de mort, le Service procédait à une étude exhaustive des témoignages avant de formuler une recommandation au ministre de la Justice. Le ministre transmettait ensuite cette recommandation à un comité spécial du Parlement qui examinait toutes les condamnations à mort avant la délivrance du mandat d'exécution.

Selon Alan Hustak, auteur de They Were Hanged, l'étude des dossiers des auteurs de crimes punissables de mort révèle une absence de logique derrière les diverses méthodes employées par les cabinets fédéraux pour sélectionner parmi les nombreux condamnés le petit nombre de ceux qu'on envoyait à la potence. Le gouverneur général n'était pas obligé de justifier ses décisions, et les délibérations du Cabinet n'étaient pas consignées. Toutefois, il semble effectivement qu'en tant qu'efforts d'objectivité, les décisions en matière de clémence constituaient un geste macabre d'équilibre dans lequel les préjugés personnels et l'opportunisme politique faisaient souvent pencher la balance.

Sous le voile du secret

Dans les années 1950, un sentiment de honte commença à s'infiltrer dans l'administration de la peine de mort. Le bourreau devint anonyme, et les pendaisons avaient lieu après minuit, enveloppées dans le secret. C'est à ce moment qu'eurent lieu les premières manifestations anti-pendaison.

En et en , un député de la Saskatchewan, Ross Thatcher, présenta des projets de loi d'initiative parlementaire contre la peine de mort. De à , des projets de loi d'initiative parlementaire furent présentés chaque année afin que la peine de mort soit limitée aux cas de trahison.

En , un comité mixte sur la peine capitale, les châtiments corporels et les loteries recommanda l'abolition de la peine de mort dans le cas des délinquants de moins de 18 ans. En , une commission fédérale recommanda à l'unanimité le maintien de la peine de mort mais elle tenta d'établir une distinction morale entre deux catégories de meurtre : celui qui méritait la peine de mort et celui qui méritait la condamnation à perpétuité. Par suite de modifications apportées au Code criminel en , on fit la distinction entre le meurtre qualifié et le meurtre non qualifié. Le juge était alors tenu de vérifier si le jury voulait recommander la clémence.

Entre et , on a pendu environ huit personnes par année, en moyenne. Jusque dans les années 1950, seulement un petit nombre de condamnations à mort ont été commuées. Entre et , le gouvernement conservateur de John Diefenbaker a commué 52 des 66 peines de mort qui avaient été imposées. Dans un éditorial au sujet du droit et de la clémence, la Montreal Gazette faisait observer, le , à propos du nombre croissant de commutations : « Si le pouvoir d'accorder la clémence doit être exercé avec régularité, en pratique cela devient non pas tant l'exercice de la discrétion d'un cas à l'autre que l'abolition virtuelle de la peine de mort en tant que telle. » [Traduction]

En , après l'abolition du Service des pardons, la Section de droit pénal du ministère de la Justice assuma la responsabilité de conseiller le ministre à propos de la plupart des aspects de la prérogative royale de clémence, mais la Commission des libérations conditionnelles du Canada était tenue d'effectuer les enquêtes nécessaires. Ce partage des tâches ne fut pas très heureux et, en fin de compte, le mandat de la Commission a été élargi de façon à inclure le pouvoir de refuser une demande de clémence.

En , le gouvernement eut à prendre une décision quant au sort de Ronald Turpin, qui avait abattu un policier, d'Arthur Lucas, qui avait tué un proxénète et une prostituée, et de Gary Alexander McCarkell, qui avait violé et tué deux jeunes enfants. Le rendez-vous avec le bourreau le a été maintenu dans le cas de Lucas et de Turpin, mais, dans celui de McCarkell, pour une raison quelconque, il y a eu commutation de peine.

Ce sont les dernières pendaisons qui ont eu lieu au Canada, mais elles ne se sont pas bien passées. Si Turpin est mort instantanément, Lucas, lui, a été partiellement décapité parce que la corde était trop longue par rapport à son poids.

Entre et , les gouvernements Pearson et Trudeau ont commué toutes les peines de mort. En , le Code criminel a été modifié de façon à limiter la peine de mort aux cas où la victime était gardien de prison ou agent de police.

Le , la loi visant l'abolition complète de la peine de mort et le transfert de la prérogative royale de clémence à la Commission des libérations conditionnelles du Canada a été adoptée. Avec le rejet de la « sanction ultime », l'importance de la clémence a diminué.

Sur la défensive

Pour beaucoup de Canadiens, au cours des années 1980, tout ce qui allait mal dans le système de justice pénale du Canada pouvait se résumer en deux mots : Clifford Olson.

Olson devint l'homme le plus détesté du pays après sa condamnation en pour les meurtres brutaux en Colombie-Britannique de onze enfants et adolescents dont l'âge variait de 9 à 18 ans. Bien des gens furent profondément indignés quand ils apprirent que la police avait payé 100 000 $ à Olson pour obtenir des renseignements sur les lieux où se trouvaient les corps de ses victimes. Nombreux furent ceux pour qui la peine d'emprisonnement à perpétuité qui lui fut imposée n'était pas un châtiment suffisant. À leurs yeux, l'emprisonnement à perpétuité, au Canada, n'est pas un véritable emprisonnement à perpétuité. La population était horrifiée à l'idée qu'Olson pût même demander sa libération conditionnelle après 25 ans et être remis en liberté. (En fait, il a demandé une révision judiciaire de la date de son admissibilité, en , mais sa requête a été rejetée.)

Dans l'esprit de cette époque, les gens se persuadaient facilement qu'il y avait des problèmes graves dans toutes les composantes du système de justice pénale — organismes d'application de la loi, tribunaux, système correctionnel, etc. Même si Olson n'avait jamais eu affaire avec la libération conditionnelle, la Commission des libérations conditionnelles du Canada devint la cible parfaite. Pendant des dizaines d'années, la Commission avait déjà fait l'objet de nombreuses critiques. Elle recevait plus souvent des reproches acrimonieux que des compliments. On l'accusait d'incompétence et d'insouciance, on lui reprochait d'être trop généreuse envers les délinquants, de ne pas avoir assez de compassion pour les victimes et de compromettre imprudemment la sécurité du public.

Les gens semblaient croire que la Commission pouvait garantir que les délinquants remis en liberté ne commettraient plus jamais de crimes, mais de toute évidence cela était impossible.

Blocage

Une bonne part des critiques adressées à la Commission portaient sur un sujet qui ne relevait pas de sa compétence. Selon les dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle, les détenus auxquels on avait refusé la libération conditionnelle pouvaient néanmoins bénéficier d'une réduction de peine pour bonne conduite durant leur incarcération et obtenir ensuite ce qu'on appelait la surveillance obligatoire. Les délinquants en surveillance obligatoire présentaient un risque plus élevé que ceux qui avaient obtenu la libération conditionnelle. Beaucoup de ces délinquants s'étaient déjà vu refuser la libération conditionnelle ou celle-ci avait été révoquée. Ils étaient frustrés d'être soumis à des conditions et coopéraient avec leur surveillant juste assez pour pouvoir conserver leur liberté. Dans ce groupe, on comptait beaucoup de délinquants qui avaient commis de nombreuses infractions avec violence.

Ce petit groupe de délinquants violents était une source de vive préoccupation pour tous, mais la Commission n'avait pas vraiment le choix. Au début de , M. Outerbridge eut des discussions à ce sujet avec Bruce Mann, avocat de la Commission, et Jack Hollies, qui avait déjà été conseiller juridique de la Commission et qui ensuite en était devenu membre. M. Outerbridge leur expliqua ses préoccupations très clairement : « Compte tenu des antécédents de violence de ces détenus et du risque très élevé qu'ils commettent d'autres crimes avec violence après leur mise en liberté, y a-t-il un moyen d'interpréter les dispositions relatives à la surveillance obligatoire de manière à empêcher leur mise en liberté, au moins jusqu'au terme de leur peine actuelle? » Ceux-ci consultèrent le conseiller principal du ministère de la Justice, qui fut d'avis que la Loi sur la libération conditionnelle pouvait être interprétée de manière à justifier le refus de la mise en liberté des détenus pouvant représenter un danger constant pour le public. M. Outerbridge prit la décision de mettre cet avis juridique à l'épreuve.

Quelques mois avant que le premier de ces détenus spécialement identifiés ne devînt admissible à la mise en liberté, les autorités l'informèrent qu'il serait arrêté de nouveau à la porte du pénitencier — c'est ce qu'on a appelé le « blocage » — et qu'il serait réincarcéré. Le but de cette mesure étant de clarifier la loi, on pressa le détenu de consulter un avocat et de contester cette décision. Après quelque temps, plusieurs détenus avaient déjà fait appel.

Les causes portées devant les tribunaux inférieurs n'ayant pas été concluantes, ce fut la Cour suprême qui rendit le verdict final. Dans l'affaire Oag c. La Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) (), la Cour suprême établit sans équivoque que le blocage était une pratique illégale. Selon le jugement, chaque détenu à qui on avait refusé la libération conditionnelle bien qu'il eût accumulé le nombre de jours de réduction de peine nécessaires à sa mise en liberté avait droit à la surveillance obligatoire pour le reste de sa peine. La révocation ne pouvait s'appliquer tant que le délinquant ne violait pas les conditions de sa mise en liberté ou ne commettait pas une nouvelle infraction.

Forts de ce jugement de la Cour suprême, plusieurs de la douzaine de détenus ayant fait l'objet de cette mesure de « blocage » poursuivirent la Commission et son président pour détention illégale. Le règlement de ces causes a pris plusieurs années.

Maintien en incarcération

En , le solliciteur général de l'époque, Elmer Mackay, présenta à la Chambre le projet de loi C-67, dont l'objectif premier était de maintenir en incarcération les détenus « les plus dangereux » après la date de leur admissibilité à la surveillance obligatoire. En vertu de cette loi, les responsables du Service correctionnel devaient déterminer, parmi tous les délinquants condamnés pour certains types d'infractions avec violence, ceux qui étaient susceptibles de commettre avant l'expiration de leur peine un autre crime pouvant causer la mort ou des blessures graves. Dans chaque cas, le Service correctionnel devait aviser la Commission des libérations conditionnelles du Canada et une audience en vue d'un éventuel maintien en incarcération devait avoir lieu au moins six mois avant la date de mise en liberté surveillée. La Loi sur la libération conditionnelle fut modifiée en conséquence en .

La principale faiblesse de cette modification législative résidait dans la présomption qu'il était toujours possible de prédire les crimes avec violence. En outre, les mesures relatives au maintien en incarcération ne pouvaient pas s'appliquer après l'expiration de la peine. Comme l'expliquait la Société John Howard dans un mémoire présenté au Parlement,

La restriction de la surveillance obligatoire pourrait éventuellement réduire le nombre de crimes commis par certains délinquants violents pendant des périodes strictement limitées. Par contre, cette mesure pourrait aussi contribuer à l'augmentation de la récidive lorsque ces mêmes détenus seront finalement remis en liberté dans la collectivité sans aucune surveillance.

En d'autres termes, dans le cas de certains délinquants, le maintien en incarcération pouvait contribuer seulement à retarder la perpétration d'un nouveau crime avec violence, mais non à prévenir ce crime.

Entre la réalité et la fiction

Entre-temps, la population canadienne continuait d'entretenir une fausse opinion de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC).

En , la Commission de police d'Edmonton publia un rapport sur une situation qu'elle considérait comme une vague de crimes commis par des libérés conditionnels. Ce document contenait une liste de 130 libérés conditionnels qui avaient en principe commis des infractions avec violence au cours d'une période de deux mois. Un simple examen rapide de cette liste montrait qu'elle était composée de toutes sortes d'individus ayant un casier judiciaire. En réalité, seulement quatre des délinquants désignés dans cette liste avaient vraiment été remis en liberté sous l'autorité de la Commission des libérations conditionnelles du Canada!

En , il y eut une épidémie de vols de banque dans la région de Toronto. Le chef de police adjoint, Jack Marks, déclara que près de 40 p. 100 des individus accusés de vol qualifié étaient « soit illégalement en liberté, en liberté conditionnelle ou en liberté sous caution ou participaient à un programme de permissions de sortir ». Le Toronto Sun coiffa son article à ce sujet du titre suivant : « La police exige une réforme de la libération conditionnelle : 40 p. 100 des vols qualifiés sont commis par des récidivistes, affirme le chef de police adjoint ». À l'émission Hour Long de CFTO, un porte-parole de la Commission des libérations conditionnelles du Canada dut expliquer bien patiemment qu'aucune réforme du régime de la libération conditionnelle ne parviendrait à empêcher les délinquants illégalement en liberté ou en liberté sous cautionnement de commettre des crimes.

En , Leander Savoury, alors qu'il était en sous surveillance obligatoire, commit un vol dans un poste d'essence ouvert la nuit. Après avoir refusé de se rendre, il fut atteint d'un tir mortel par la police de Toronto. Le Globe and Mail et le Toronto Star écrivirent tous deux faussement que Savoury était en libération conditionnelle. D'autres médias publièrent la même nouvelle. Pour certains journalistes, la distinction entre la libération conditionnelle et la surveillance obligatoire semblait sans importance. Peut-être croyaient-ils que ces deux termes étaient interchangeables.

Plus tard, M. Outerbridge a exprimé la « profonde frustration » qu'il éprouvait parce que « malgré les efforts considérables rétablir les faits à ce sujet et sur d'autres situations, au public, celui-ci ne semblait même pas disposé à écouter ». Les employés de la Commission hésitaient même à parler de leur travail parce qu'ils en avaient assez de se faire dire « Alors, c'est vous qui laissez sortir tous ces bandits ».

Un sondage d'opinion publique réalisé au milieu des années 1980 montra que près de 60 p. 100 des répondants considéraient que la Commission des libérations conditionnelles du Canada était trop clémente envers les délinquants. La population croyait aussi que plus de 50 p. 100 des délinquants en liberté conditionnelle commettaient des crimes avec violence peu de temps après leur mise en liberté (le pourcentage véritable était d'environ 13 p. 100).

Cette fausse perception était en grande partie attribuable au fait que les Canadiens avaient tendance à exagérer le nombre de crimes avec violence commis dans leur société, peut-être parce que la plupart des informations qu'ils recevaient sur la criminalité provenaient des médias des États-Unis. En réalité, les craintes de la population étaient nettement exagérées par rapport au risque réel. Entre et , le nombre total d'infractions avait triplé, mais il s'agissait dans la plupart des cas de crimes contre les biens. En , les infractions avec violence représentaient seulement 5,7 p. 100 de tous les crimes signalés à la police.

L'idée fausse la plus répandue au sujet de la libération conditionnelle consistait à croire qu'il s'agissait de la fin de la peine. En , la Société John Howard de l'Alberta affirmait : « Aucune campagne de relations publiques de la part du gouvernement et des autorités responsables de la libération conditionnelle ne peut parvenir à convaincre le public que la libération conditionnelle ne constitue pas, de quelque manière que ce soit, une mise en liberté sans conditions. »

Qu'ils fussent pour ou contre cette notion, tous les gens semblaient néanmoins avoir cette perception. Les partisans du maintien de l'ordre accusaient sans cesse la Commission de faire entrave à la justice en « intervenant » dans les peines imposées par les tribunaux. En par exemple, un juge de l'Ontario imposa à Richard Stephens, coupable d'homicide involontaire, une peine d'emprisonnement de 21 mois. Le gouvernement reçut une pétition signée par 215 000 personnes réclamant une peine plus sévère. La Couronne fit appel de la sentence et la Cour d'appel de l'Ontario prolongea la peine à trois ans. Après une certaine période d'incarcération, la Commission des libérations conditionnelles du Canada accorda à Stephens la semi-liberté. Immédiatement, le procureur général de l'Ontario accusa la Commission de saper le système de justice pénale.

Le devoir d'agir équitablement

La Charte canadienne des droits et libertés a été promulguée en et les jugements qui en ont découlé ont provoqué des difficultés d'une complexité jamais imaginée par les concepteurs de la Loi sur la libération conditionnelle de . Les difficultés inhérentes à la prise de décisions en matière de libération conditionnelle s'aggravaient à mesure que se définissaient et s'élargissaient les droits des détenus.

En , la Cour suprême du Canada fut appelée à rendre une décision sur le cas d'un détenu dont la libération conditionnelle avait été révoquée, qui n'avait pas été informé des motifs de la révocation et qui n'avait pas eu la possibilité de se présenter à une audience pour contester cette décision. La Cour d'appel établit qu'il s'agissait d'une question d'ordre administratif, et non judiciaire, et rejeta l'appel du détenu. Deux autres appels connurent la même issue.

La Charte a tout changé. Même dans sa fonction administrative, le système correctionnel est devenu soumis au « devoir d'agir équitablement ». Cela signifiait que toutes les décisions concernant les détenus devaient respecter certaines garanties procédurales. Selon les règles d'équité de la common law, tout individu exposé aux conséquences néfastes d'une décision qui doit être rendue par un tribunal ou une commission administrative a le droit d'être convenablement informé des faits retenus contre lui et doit avoir la possibilité de répliquer. C'est pourquoi il devint presque impossible de tenir des discussions de quelque valeur que ce soit, sauf en présence du délinquant. Finalement, on en arrivera à devoir communiquer au délinquant tous les renseignements utilisés dans le processus décisionnel en matière de libération conditionnelle.

Les nouveaux mécanismes mis en place pour assurer l'équité du processus ont fini par alourdir considérablement la charge de travail de la Commission. Il a fallu réaffecter des ressources précieuses afin de traiter les nombreuses questions juridiques qui sont rapidement apparues.

À l'extérieur des établissements, « la Charte a provoqué bien des changements », d'après Hélène Chevalier, qui était agente de libération conditionnelle à l'époque et qui est devenue directrice exécutive de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Avant la Charte, dit-elle, les agents de libération conditionnelle pouvaient intervenir beaucoup plus facilement dans la vie des personnes placées sous leur surveillance. Elle rappelle un incident typique qu'elle a vécu avec un délinquant sous sa responsabilité, un spécialiste de la fraude, dont l'une des conditions était l'interdiction de consommer de l'alcool. Prévenue par la femme jalouse du délinquant, Mme Chevalier trouva l'homme en train de boire avec sa maîtresse. Elle l'arrêta immédiatement, sans mandat, et le ramena directement à l'établissement. Après l'adoption de la Charte, les interventions rapides de ce genre devinrent plus difficiles : il fallait dorénavant respecter les conventions juridiques.

Le meurtre de Celia Ruygrok

En , Celia Ruygrok, une étudiante universitaire âgée de 21 ans qui travaillait à la maison de transition de la Société John Howard, à Ottawa, fut trouvée morte. Le même jour, Allan James Sweeney, un détenu logeant dans cette maison de transition, fut arrêté et accusé de meurtre au premier degré.

Dans les jours qui suivirent immédiatement ce meurtre, les diverses autorités concernées tentèrent de trouver une explication à cette tragédie. Une enquête établit que Celia Ruygrok ne serait peut-être pas morte si les personnes concernées avaient disposé des bons renseignements au bon moment.

Allan James Sweeney avait été condamné à l'emprisonnement à perpétuité en , à l'âge de 19 ans, pour le meurtre d'une jeune femme, à Sault Ste. Marie. Ce meurtre avait un caractère sexuel que les responsables du Service correctionnel ne connaissaient pas au moment où Sweeney fut incarcéré.

Sweeney s'était bien conduit durant son incarcération et tous ses rapports psychologiques étaient positifs. Il avait obtenu de plus en plus de privilèges et des occasions de mise en liberté graduelle. Pendant une période de deux ans, il avait bénéficié de permissions de sortir avec escorte et sans escorte et tout s'était bien déroulé. Tout permettait de croire qu'on pouvait lui accorder la semi-liberté dans une maison de transition.

Après coup, la Société John Howard affirma qu'elle n'aurait jamais accepté que Sweeney réside dans sa maison de transition si son personnel avait connu tous les détails relatifs à l'infraction. Quoi qu'il en soit, en , Sweeney avait été accepté en libérations conditionnelle pour une période de six mois à la maison de transition. En , il obtint la libération conditionnelle totale pour aller vivre avec son amie intime de longue date.

En , le comportement de Sweeney commença à se détériorer et sa libération conditionnelle fut suspendue. Le , elle fut rétablie à la condition qu'il retourne vivre à la maison de transition. Celia Ruygrok téléphona à son supérieur pour lui indiquer que Sweeney était arrivé à la maison de transition et que son comportement était étrange.

À l'enquête, le jury formula des recommandations visant à améliorer la collecte et la communication de renseignements sur les délinquants entre les services de police, les procureurs de la Couronne, les services correctionnels, les agents de libération conditionnelle et les organismes communautaires. « Aucune information sur un libéré conditionnel ne doit rester confidentielle lorsqu'une personne ou le public en général est en danger. »

Sweeney fut condamné à une autre peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. La Commission a tenté de mettre en application certaines recommandations du jury, mais il n'était pas possible d'anticiper toutes les éventualités.

À l'écoute des victimes

Du point de vue des victimes d'un crime, la mise en liberté sous condition est probablement la mesure la plus discutable qui existe dans le domaine correctionnel. Les organismes canadiens de défense des droits des victimes n'ont pas été jusqu'à réclamer l'abolition pure et simple de la libération conditionnelle, comme cela s'est fait aux États-Unis, mais ils ont exigé une réforme en profondeur.

Même si la Loi sur la libération conditionnelle était muette au sujet des intérêts des victimes, la Commission a adopté dans les années 1980 une politique non officielle visant à répondre à certaines de leurs demandes.

Ce que les victimes réclamaient d'abord et avant tout, c'était de l'information. Elles se montraient particulièrement intéressées à savoir quand leur agresseur serait remis en liberté, pourquoi, où et comment. La Commission a commencé à informer les victimes de la date d'admissibilité à la libération conditionnelle du délinquant qui les avait agressées. Le personnel des régions a aussi commencé à prendre des mesures afin que les délinquants en liberté conditionnelle ne harcèlent pas leurs victimes. Les groupes de défense des intérêts des victimes demandaient souvent des renseignements sur le traitement reçus par tous les délinquants dans leur région, l'endroit où ils se trouvaient et la date de leur mise en liberté, mais ces renseignements ne leur étaient pas révélés.

Ole Ingstrup

Après quatorze ans à la présidence de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui venait de traverser la période la plus tumultueuse de l'histoire de la libération conditionnelle au Canada, M. Outerbridge prit sa retraite en . Son successeur fut Ole Ingstrup, qui avait été avocat et administrateur d'établissement pénitentiaire dans son Danemark natal avant d'émigrer au Canada en .

Ole Ingstrup a poursuivi le travail de son prédécesseur en continuant de formaliser des politiques en matière de décision et en rendant l'ensemble du processus décisionnel plus transparent et plus objectif. C'est également durant l'exercice de sa charge que la Commission a préparé et publié son premier Énoncé de mission, en  :

La Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC), en tant que partie intégrante du système de justice pénale, rend de façon autonome des décisions judicieuses sur la mise en liberté sous condition et formule des recommandations en matière de clémence. Elle contribue à la protection de la société en facilitant la réintégration opportune des délinquants comme citoyens respectueux de la loi.

Des questions embarrassantes

À la fin des années 1980, le public en colère a vivement reproché à la Commission d'avoir remis en liberté des détenus qui commirent par la suite des crimes abominables; pourtant, aucun d'entre eux n'avait été remis en liberté par la Commission. À l'été de , Daniel Gingras, qui, après une permission de sortir, n'était pas revenu à l'établissement où il était détenu en Alberta, assassina deux personnes avant d'être arrêté.

À l'hiver de , Melvin Stanton, un délinquant sexuel violent détenu dans un pénitencier de l'Ontario, obtint une permission de sortir. À peine quelques heures après, il avait violé et assassiné une jeune femme à Toronto. À l'été de , Joseph Fredericks, un pédophile en surveillance obligatoire, enleva et assassina un garçon de 11 ans à Brampton, en Ontario.

Les enquêtes sur les crimes avec violence commis par des individus en liberté sous condition remettaient presque toujours en cause la qualité des décisions rendues par la Commission, dont le « pouvoir discrétionnaire absolu » inquiétait bien des gens.

Aux États-Unis, la libération conditionnelle faisait l'objet de vives attaques et le pouvoir discrétionnaire, de toute évidence, était devenu un concept abhorré. Les Américains doutaient réellement du bon jugement de leurs commissions de libération conditionnelle. Plusieurs États avaient d'ailleurs aboli la libération conditionnelle ou avaient sévèrement limité son application dans le but de résoudre le « problème » du pouvoir discrétionnaire.

En , la Commission canadienne sur la détermination de la peine recommanda l'abolition de la libération conditionnelle. Selon cette commission, il appartenait au juge qui imposait la peine de décider combien de temps le délinquant devait rester incarcéré. Or, le régime de la libération conditionnelle, toujours selon la commission, poursuivait des objectifs diamétralement opposés à ceux du régime de la détermination des peines.

La Commission de réforme du droit du Canada, pour sa part, proposait que la Commission des libérations conditionnelles du Canada soit dissoute et remplacée par une « Commission d'application de la peine ». Le président de la Commission de réforme du droit du Canada, Allen Linden, juge de la Cour suprême de l'Ontario, considérait personnellement que le pouvoir discrétionnaire d'accorder la libération conditionnelle devait être supprimé et remplacé par ce qu'il appelait des « peines types ».

M. Outerbridge avait déjà souligné que les questions en jeu étaient délicates et complexes. « Nous devons trouver, dans les services correctionnels, un équilibre entre la flexibilité et le pouvoir discrétionnaire, d'une part, et les règles, l'uniformité et l'équité, d'autre part », avait-il affirmé au cours d'une conférence de travailleurs correctionnels. « Sinon, nous risquons de remplacer une tyrannie par une autre. »

Les connaissances et les compétences des membres de la Commission étaient aussi remises en question. En , 85 p. 100 des membres de la Commission des libérations conditionnelles du Canada avaient déjà occupé un poste se rapportant à la justice pénale avant leur affectation. Dix ans plus tard, cette proportion était tombée à moins de la moitié. Le Groupe de travail du gouvernement conservateur chargé de l'examen des programmes () arriva à la conclusion que la formation des nouveaux membres de la Commission était insuffisante. En règle générale, cette formation se résumait à une séance d'information de trois jours, après laquelle les membres participaient à une audience fictive.

Selon Hélène Chevalier, certains nouveaux membres étaient si mal préparés à la réalité qu'ils étaient pris de panique à l'idée de se rendre dans un établissement et de rencontrer des délinquants.

Bien des gens considéraient que le système de nomination des membres, où le favoritisme politique avait plus de poids que les compétences, nuisait à l'efficacité de la Commission. En , un observateur déclara au Comité permanent de la justice que certains membres de la Commission jouissant de certaines relations politiques ne s'acquittaient pas de leur tâche — pour eux, cette charge était une sinécure.

En principe, les deux qualités les plus importantes d'un membre de la Commission sont la compétence dans ce domaine et la réceptivité aux besoins de la collectivité. Malheureusement, ces caractéristiques pouvaient aussi conduire à une ambivalence paralysante. L'expérience professionnelle d'un membre pouvait lui permettre de croire qu'un délinquant était prêt à être remis en liberté, mais son instinct politique pouvait l'inciter à prendre une décision contraire pour éviter tout risque de mauvaise publicité.

Fred Gibson

En , Fred Gibson succéda à Ole Ingstrup à la présidence de la Commission. M. Gibson avait été solliciteur général adjoint.

À l'époque de M. Gibson, la Commission des libérations conditionnelles du Canada comptait plus de 120 membres répartis dans toutes les régions du Canada, soit 29 commissaires à temps plein, 45 commissaires temporaires et 47 membres communautaires. Peu de temps après sa nomination, M. Gibson faisait remarquer que bien des membres de la Commission « avaient peu d'expérience au gouvernement, voire aucune, et que beaucoup aussi n'avaient qu'une expérience limitée du système de justice pénale ». Il souhaitait vivement que les membres acquièrent une meilleure formation professionnelle. C'est pourquoi il annonça qu'il allait insister beaucoup sur la formation et le perfectionnement des membres de la Commission.

Parmi ses autres objectifs, M. Gibson voulait aussi mieux faire connaître à la population canadienne le régime de la libération conditionnelle. En , il déclarait dans le magazine correctionnel Entre Nous :

C'est très important que nous aidions le public à comprendre le fonctionnement du régime de la libération conditionnelle. Nos efforts doivent porter sur les trois objectifs suivants : premièrement, le public doit comprendre la nature du système de justice pénale; deuxièmement, il doit comprendre que nos choix ne sont pas blancs ou noirs; troisièmement, il doit comprendre à quel point le système que nous avons est efficace.

En , le bulletin Focus Canada, publié par le groupe de recherche Environics, indiquait que sept personnes sur dix au Canada considéraient que les délinquants étaient traités avec trop d'indulgence et que moins de la moitié disaient faire confiance au système de justice. Par contre, moins de 5 p. 100 des répondants faisaient confiance à la Commission des libérations conditionnelles du Canada, comparativement aux autres composantes du système de justice, comme les services de police, les procureurs de la Couronne, les tribunaux et les organismes correctionnels.

Le Canada met le cap sur la réussite

Au cours des soixante-quinze premières années du XXième siècle, les pénologistes canadiens avaient tendance à considérer les États-Unis, la Grande-Bretagne et les pays scandinaves comme les chefs de file dans le domaine correctionnel. Après , cette tendance a commencé à se renverser. Le système pénal canadien commença à innover et à devenir un modèle pour les autres pays.

Ce changement a été en partie attribuable au fait que le Canada a accordé beaucoup plus d'importance à la recherche et à l'expérimentation. Les chercheurs canadiens avaient accumulé une somme considérable de renseignements sur les facteurs qui influent sur le comportement criminel - ce qu'on appelle les « facteurs criminogènes ». Ils avaient aussi élaboré des tables de prévision et des instruments d'évaluation du risque et ils étaient en mesure de déterminer quels programmes étaient efficaces et lesquels ne l'étaient pas. De nouveaux programmes ont été conçus d'après les enseignements tirés des travaux de recherche, et non simplement pour « tenir les délinquants occupés ». Les chercheurs canadiens ont refusé en bloc de partager l'attitude fataliste de leurs collègues américains, qui considéraient qu'il n'y avait « rien à faire ». Ole Ingstrup, pour sa part, était convaincu qu'on pouvait « faire quelque chose pour la plupart des délinquants » et encouragea fortement les chercheurs à trouver ce « quelque chose ».

Ce nouvel intérêt pour la recherche a eu des impacts à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. À la fin des années 1980, bien des gens ne croyaient plus à l'ancien modèle décisionnel fondé sur l'expérience et la perspicacité. Nombreux étaient ceux qui croyaient que la science et la technologie pouvaient leur fournir de l'information plus objective et plus fiable.

La Commission fut instamment priée d'adopter les échelles de prévision de succès de la libération conditionnelle élaborées par les spécialistes des sciences sociales. Ces échelles de prévision étaient le fruit de l'étude de milliers de cas de libération conditionnelle et se fondaient sur les facteurs communs aux individus pour qui cette phase de leur peine avait été une réussite. Au-dessus d'un certain score, on pouvait s'attendre à ce qu'un délinquant se rende au terme de sa période de liberté conditionnelle sans commettre une nouvelle infraction. On considérait que ces instruments permettaient de réduire l'influence des préjugés et des opinions personnelles arbitraires dans le processus décisionnel de la libération conditionnelle.

Les tables de prévision servirent tout d'abord à guider les agents de libération conditionnelle du système correctionnel de l'Illinois, en . Après la Deuxième Guerre mondiale, l'intérêt pour les méthodes actuarielles s'est accru en raison de l'importance qu'avait prise l'analyse quantitative systémique dans le domaine militaire (par exemple pour connaître les prédicteurs de la défaillance des soldats sur les champs de bataille). En Amérique du Nord, toutefois, les services correctionnels n'ont pas commencé à utiliser les tables de prévision de façon extensive avant les années 1970.

En , le Comité permanent de la justice et du solliciteur général a publié un rapport important sur les services correctionnels fédéraux intitulé Des responsabilités à assumer. Ce rapport contenait de nombreuses recommandations de réformes et soulignait la nécessité de rétablir la confiance du public envers le système de justice pénale ainsi que l'importance de la transparence, de l'efficacité et de l'obligation de rendre des comptes. À la différence de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, le Comité permanent, présidé par David Daubney, n'a pas été jusqu'à recommander l'abolition pure et simple de la libération conditionnelle. Il a cependant réclamé la suppression de la réduction méritée de peine, mais a reconnu qu'il fallait conserver une certaine forme de mise en liberté sous condition, pourvu que des mesures appropriées garantissent la protection de la population.

En , le gouvernement déposa sa réponse au rapport du Comité permanent de la justice. Ce document, intitulé Vers une réforme, couvrait tous les aspects de l'ensemble du système de justice pénale, y compris la détermination des peines, l'administration des peines et la mise en liberté sous condition. Le rapport, dont le contenu a servi à mener une vaste consultation auprès de la population canadienne, proposait des réformes profondes visant à accroître la sécurité du public au moyen de services correctionnels plus efficaces. Ce rapport a ouvert la voie à des changements législatifs qui ont entraîné l'abrogation de la Loi sur la libération conditionnelle de et de la Loi sur les pénitenciers de , remplacées par la nouvelle Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Durant les années 1960, Frank Miller avait l'habitude de dire que la libération conditionnelle était l'ultime moyen de défense de la société contre celui qui viole la loi. Trente ans plus tard, cette idée de défense sociale a été enchâssée dans une loi.

La gestion du risque

L'événement déterminant des années 1990 est la promulgation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), le . Cette loi remplace l'ancienne Loi sur les pénitenciers de et la Loi sur la libération conditionnelle de par un nouveau cadre législatif qui régit le service correctionnel fédéral et la mise en liberté sous condition.

La LSCMLC est l'aboutissement de nombreuses années de travail consistant notamment à intégrer les résultats de la recherche, les connaissances et l'expérience des travailleurs correctionnels et les opinions de bon nombre de Canadiens et Canadiennes ordinaires. La nouvelle législation tient compte de multiples points de vue et présente de nombreuses difficultés et possibilités. De nouvelles expressions, produits de la recherche, font maintenant partie du lexique des services correctionnels et sont consacrées dans le nouveau texte de loi; c'est le cas entre autres des expressions « évaluation du risque » et « gestion du risque ».

Pour décider de la forme que prendra la mise en liberté sous condition, la Commission des libérations conditionnelles du Canada doit évaluer le risque qu'un délinquant commette une nouvelle infraction. Qu'il s'agisse d'une permission de sortir, d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle totale, les membres de la Commission doivent d'abord se demander s'il existe un risque de récidive et tenter par la suite de prévoir la nature et la gravité de l'infraction dont le délinquant pourrait se rendre coupable. La nouvelle législation prend soin d'établir une distinction entre la récidive violente et la récidive non violente.

Les nombreuses réformes prises en compte dans la LSCMLC se révèlent dans trois thèmes principaux — la sécurité publique et la réinsertion sociale; la transparence et la responsabilité; et l'équité en matière de procédure.

La sécurité publique et la réinsertion sociale

Le but de la libération conditionnelle

Lorsque la Loi des libérations conditionnelles (Ticket of Leave Act) est promulguée en , la libération conditionnelle est considérée comme une expérience. Personne ne sait vraiment comment les choses vont se passer. Les règles édictées dans la Loi sont tellement vagues et élastiques qu'elles peuvent être interprétées de bien des façons.

Au cours des 100 années suivantes, l'expérience pratique de la libération conditionnelle conduit à une évolution constante de la législation. Grâce à la Loi sur les libérations conditionnelles de , à la Loi de modifiant le droit pénal et à d'autres textes législatifs, la législation sur la libération conditionnelle devient progressivement plus détaillée et plus précise. La Loi des libérations conditionnelles de n'a que cinq pages, tandis que la LSCMLC de en compte 52 sur la libération conditionnelle et sur la mise en liberté sous condition.

La Loi des libérations conditionnelles est absolument muette sur le but de la libération conditionnelle. La Loi sur la libération conditionnelle de décrit trois critères que la Commission doit examiner avant d'accorder une libération conditionnelle : 1) le détenu a tiré un avantage maximal de son emprisonnement; 2) la mise en liberté sous condition favoriserait la réforme et la réinsertion sociale du détenu; 3) la mise en liberté sous condition du détenu ne ferait pas courir de risque inacceptable à la société.

Les modifications ultérieures de la loi tentent d'établir un équilibre entre les droits et les besoins des délinquants ainsi que les droits et les besoins de la société. Cependant, la LSCMLC établit clairement que cet équilibre doit toujours viser à assurer la sécurité publique et déclare que l'objectif fondamental du système correctionnel canadien est de protéger la population.

De nouvelles mesures axées principalement sur la sécurité publique

La LSCMLC contient de nombreuses mesures nouvelles qui insistent surtout sur la sécurité publique et sur l'évaluation du risque, en particulier sur l'évaluation du risque que représentent les délinquants violents. La Commission conserve le pouvoir d'approuver les sorties sans surveillance des délinquants purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité ou une peine de durée indéterminée, des délinquants condamnés pour une infraction avec violence et des délinquants dont le cas est renvoyé en vue d'un maintien en incarcération.

La nouvelle Loi insiste sur l'importance de réunir, en temps utile, des renseignements fiables sur les délinquants. Cette question de l'information est un problème chronique au sein des services correctionnels et a été soulevée dans un certain nombre d'enquêtes portant sur des incidents qui se sont produits dans la collectivité et qui ont causé des blessures graves ou la mort des victimes. Sans information pertinente, les membres de la Commission des libérations conditionnelles ne peuvent évaluer le risque correctement.

La Loi reconnaît l'importance de la circulation de l'information au sein du système de justice; cette information est en quelque sorte le ciment qui fait tenir ensemble tous les éléments de la justice pénale et des services correctionnels.

Les membres du personnel de correction sont tenus de prendre toutes les mesures raisonnables pour obtenir tous les renseignements pertinents, y compris les motifs de la peine, les recommandations du tribunal qui a déterminé la peine et les rapports de police. Les membres de la Commission des libérations conditionnelles du Canada doivent prendre connaissance de cette information afin de déterminer le risque de récidive du délinquant.

Certains changements sont également apportés à différents programmes de mise en liberté. Le but de la semi-liberté est précisé. Elle doit maintenant être utilisée comme une préparation à la libération conditionnelle totale ou à la libération d'office. L'admissibilité à la semi-liberté est fixée à six mois avant la date d'admissibilité à la libération conditionnelle totale plutôt qu'au sixième de la peine, comme c'était le cas avant la promulgation de la LSCMLC. Cette mesure doit faire en sorte que les délinquants condamnés à des peines de plus de trois ans d'emprisonnement soient incarcérés plus longtemps dans les établissements avant de devenir admissibles à la semi-liberté. De plus, la LSCMLC oblige les délinquants à présenter une demande de semi-liberté au lieu que leur dossier soit automatiquement examiné par la Commission, comme c'était le cas auparavant.

La réforme de la libération conditionnelle totale tient également compte des préoccupations relatives à la sécurité publique. En ce qui concerne les délinquants violents et ceux ayant commis des infractions graves en matière de drogue, la LSCMLC confère aux juges qui imposent la peine le pouvoir d'établir leur admissibilité à la libération conditionnelle totale à la moitié de leur peine. Auparavant, l'admissibilité était fixée automatiquement et était reconnue, dans la plupart des cas, à un tiers de la peine ou après sept ans d'emprisonnement, selon le premier terme atteint.

La LSCMLC instaure la procédure d'examen expéditif (PEE) qui permet d'accorder la libération conditionnelle totale aux délinquants non violents purgeant une première peine sous responsabilité fédérale, lorsque l'on estime que ceux-ci ne commettront probablement pas d'infraction avec violence avant l'expiration du mandat.

La réduction méritée et légale de peine est abolie; elle était devenue extrêmement difficile à administrer. La liberté surveillée est remplacée par la libération d'office. Tous les délinquants condamnés à des peines de longueur fixe seront automatiquement mis en liberté d'office et purgeront le dernier tiers de leur peine dans la collectivité.

Les délinquants qui purgent des peines d'emprisonnement à perpétuité ou de durée indéfinie ne sont pas admissibles à la libération d'office. La libération d'office est une mise en liberté en vertu de la Loi plutôt qu'en vertu d'une décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Même lorsqu'un délinquant s'est vu refuser la libération conditionnelle, ou que celle-ci a été révoquée, la Loi stipule encore qu'il doit être mis en liberté après avoir purgé les deux tiers de sa peine et qu'il doit purger le reste de cette peine dans la collectivité.

La Commission des libérations conditionnelles n'a pas le pouvoir d'accorder la libération d'office, mais elle peut en fixer les conditions et la révoquer en cas de manquement à ces conditions. La Commission a également le pouvoir de « maintenir » un délinquant en incarcération jusqu'à l'expiration de la peine qui lui a été imposée. Le maintien en incarcération est un mécanisme utilisé pour gérer les délinquants qui semblent présenter un risque important de commettre une infraction avec violence et qui sont sur le point d'être mis en liberté aux deux tiers de leur peine.

La liste des infractions avec violence qui servent de critères pour le renvoi en vue d'un maintien en incarcération a été élargie afin d'inclure d'autres infractions sexuelles. Dorénavant, les délinquants déclarés coupables d'infractions graves en matière de drogue peuvent aussi faire l'objet d'un renvoi en vue d'un maintien en incarcération. Une liste de ces infractions a été ajoutée à la Loi, ce qui a permis de tenir compte des inquiétudes de la population en ce qui concerne l'importation et le trafic de drogues, et de leurs liens avec le crime organisé.

La LSCMLC précise les critères régissant la suspension, la cessation et la révocation de la liberté sous condition. Les délinquants dont la libération d'office a été révoquée doivent par la suite attendre six mois avant d'être admissibles à la mise en liberté d'office, ou se rendre aux deux tiers du reste de leur peine.

La transparence et la responsabilité

La LSCMLC reconnaît, de manière générale, la nécessité d'une plus grande transparence et d'une plus grande responsabilité dans le système correctionnel et dans le régime de libération conditionnelle. Les mesures adoptées apparaissent essentielles pour restaurer la confiance du public et lui permettre de mieux comprendre en quoi consistent les services correctionnels et la mise en liberté sous condition. Trois nouvelles dispositions pourraient avoir une incidence importante sur les activités de la Commission.

Tout d'abord, et pour la première fois, le texte législatif tient compte du rôle et des droits des victimes. Deuxièmement, une disposition permet à des observateurs d'assister aux audiences. Et troisièmement, la Loi prévoit la création d'un registre des décisions grâce auquel il est possible, à la condition d'en faire la demande par écrit, d'obtenir copies des décisions rendues par les membres de la Commission des libérations conditionnelles.

La LSCMLC reconnaît officiellement le rôle des victimes du crime dans le système correctionnel et dans le processus de mise en liberté sous condition. Elle donne aux victimes le droit légal d'obtenir de l'information au sujet de certains délinquants. La Loi oblige la CLCC à divulguer des renseignements sur un délinquant lorsque les victimes, au sens de la Loi, en font la demande. Les victimes sont également autorisées à présenter une déclaration écrite dont la Commission peut tenir compte pour rendre ses décisions.

La Loi confère également à la CLCC le pouvoir d'admettre des observateurs à ses audiences. Auparavant, les audiences n'étaient pas accessibles au public. Seuls les membres de la Commission, le personnel correctionnel et le délinquant pouvaient y assister. Depuis la promulgation de la LSCMLC, les victimes et les groupes de victimes représentent 40 p. 100 des observateurs présents aux audiences. La législation permet également à d'autres parties intéressées, y compris des représentants des médias et des membres du grand public, d'assister aux audiences de libération conditionnelle à titre d'observateurs.

Avant la promulgation de la LSCMLC, les décisions des membres de la Commission des libérations conditionnelles se présentaient sous forme de notes brèves et laconiques, souvent manuscrites, présentant très sommairement les motifs et le bien-fondé de la décision. La situation a changé du tout au tout depuis l'adoption de la LSCMLC. La nouvelle Loi oblige la Commission à tenir un registre de décisions et à mettre celles-ci à la disposition des gens qui en font la demande par écrit. Ces décisions sont également accessibles aux professeurs et aux étudiants des universités à des fins de recherche.

Les membres de la Commission des libérations conditionnelles sont désormais tenus de mettre leurs décisions par écrit et d'indiquer pour quelles raisons ils accordent ou refusent la libération conditionnelle. Ils doivent également apprendre à rédiger leurs décisions sans perdre de vue que celles-ci relèvent dorénavant du domaine public et peuvent donc faire l'objet d'une étude minutieuse. Au cours de la dernière décennie, des milliers de ces décisions ont été rendues publiques.

L'équité en matière de procédure : le devoir d'agir équitablement

Lorsque la Charte canadienne des droits et libertés entre en vigueur en , les jugements rendus en vertu de celle-ci soulèvent des problématiques que n'auraient pu imaginer les législateurs de la première Loi sur la libération conditionnelle de . Au fur et à mesure que sont définis et élargis les droits du détenu, il devient de plus en plus difficile de rendre des décisions en matière de libération conditionnelle.

En , la Cour suprême du Canada doit statuer sur le cas d'un détenu dont la liberté sous condition a été révoquée sans qu'il ait été informé des motifs de la révocation ou sans qu'il ait eu la possibilité d'assister à l'audience afin de contester la décision. La Cour décide qu'il s'agit là d'une question administrative et non d'une détermination judiciaire, et le détenu perd sa cause. Deux autres appels interjetés à cette époque se terminent de la même façon.

La Charte change tout. Même dans ses fonctions administratives, le système correctionnel est maintenant assujetti au devoir général d'agir équitablement. En vertu des règles de common law en matière d'équité, la personne qui risque d'être lésée par une décision que se prépare à rendre une commission administrative ou un tribunal administratif a le droit d'être avisée, de manière satisfaisante, de l'information qui sera alors utilisée et elle a également la possibilité de répliquer.

De plus, le délinquant doit être autorisé à bénéficier des services d'une personne qui peut l'aider à se préparer et qui peut parler en son nom lors des audiences. La Commission opte pour les audiences face à face parce qu'elle se rend compte que celles-ci constituent de bons services correctionnels. La LSCMLC rend les audiences obligatoires, sauf lorsque le délinquant décide de renoncer à ce droit.

La LSCMLC établit tous les processus de la prise de décisions équitables ainsi que toutes les conditions de celle-ci. Il apparaît essentiel que la loi énonce l'objectif et le principe de l'équité. Dans la Loi, ces énoncés sont renforcés par des prescriptions qui définissent clairement les critères qui régissent le processus de prise de décisions.

La nouvelle Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition modifie de manière fondamentale le mode de fonctionnement de la Commission.

Une période creuse

En , Fred Gibson est nommé juge à la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada. Michel Dagenais, qui est vice-président de la Commission des libérations conditionnelles depuis deux ans, est alors promu à la présidence.

Dagenais a d'excellentes relations dans le milieu politique, mais il possède peu d'expérience et aucune crédibilité dans le milieu des services correctionnels et de la justice pénale. À la fin des années 80 et au début des années 90, de nombreux incidents avec violence impliquant des délinquants en liberté conditionnelle mettent de nouveau sur la défensive la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Alors que la Commission a désespérément besoin d'un porte parole convaincant, Dagenais se montre incapable de défendre efficacement les décisions de celle-ci.

Pendant qu'il comparaît devant le Comité de la Chambre des communes sur la justice, Dagenais est accusé d'induire les membres en erreur. Confronté à cette accusation et informé des conséquences de celle ci, il ne peut faire autrement que d'abandonner son poste de président, même s'il continue de faire fonction de commissaire pour la région du Québec jusqu'à sa mort en .

Un nouveau départ

Le processus de nominations gouvernementales constitue une source de controverse depuis le débat des dirigeants politiques tenu lors des élections fédérales de , qui portent au pouvoir le nouveau Parti conservateur. Pendant le règne du Parti conservateur, les accusations de « magouilles politiques » continuent de hanter le gouvernement. Dans son fameux Livre rouge de , le Parti libéral note que cette question est devenue un point sensible important au sein de l'électorat. Les Canadiens sont devenus cyniques et ont perdu confiance dans le système parlementaire. Les Libéraux promettent de rétablir la confiance dans les institutions gouvernementales et le processus de nomination de membres de divers comités, organismes, tribunaux et commissions.

On dit que toute crime est une occasion à exploiter. Plusieurs mois après la démission de Michel Dagenais, son poste demeure vacant. Le moral de ses membres n'a jamais été aussi bas; certains affirment que la Commission a failli disparaître.

Après les élections fédérales de , Herb Gray, vétéran politique chevronné et ministre du Cabinet dans l'ère Trudeau, est nommé Solliciteur général du Canada. Il connaît les problèmes liés au processus de nomination et est bien au courant de l'engagement pris dans le Livre rouge. Il est temps pour le nouveau gouvernement libéral « de faire quelque chose » au sujet de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et du processus de nomination de ses membres – en commençant par le président.

Willie Gibbs occupe le poste de sous commissaire principal du Service correctionnel du Canada lorsqu'il est invité à présenter sa candidature pour le poste de président. Comme il possède près de 30 années d'expérience dans le domaine des services correctionnels, il connaît très bien le fonctionnement de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et la situation difficile dans laquelle se trouve la Commission. Il présente donc sa candidature et est invité à une entrevue.

Pendant l'entrevue, Gray lui demande comment il entend procéder pour modifier le processus de nomination des commissaires. Gibbs lui répond tout simplement qu'il faut choisir judicieusement les commissaires si l'on veut que des décisions judicieuses soient rendues. Il s'agit là de l'élément clé pour restaurer la crédibilité de la Commission. Gibbs et Gray conviennent donc que les commissaires seront sélectionnés en fonction de leurs compétences et de leurs habiletés et nommés strictement au mérite. Comme il est l'un des trois candidats pressentis pour le poste de président, Gibbs fait l'objet d'une enquête rigoureuse. Avec l'appui de Herb Gray, il fera désormais subir aux nouveaux membres éventuels la même épreuve et entamera un certain nombre de réformes forts nécessaires à la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

Un baptême de feu

Willie Gibbs est à son chalet au Nouveau-Brunswick lorsqu'il apprend que sa nomination à la présidence de la Commission des libérations conditionnelles est sur le point d'être officiellement annoncée. Gray lui donne un préavis de 48 heures. On s'attendait à de nombreux appels des médias, mais Gibbs avoue n'avoir pas prévu un tel assaut. Au cours des trois jours suivants, c'est à peine s'il a le temps de respirer; il accorde une entrevue après l'autre aux journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision. Il vit, dit-il, « un véritable baptême du feu ».

Personne ne met ses titres de compétence en doute. Gibbs a débuté sa carrière à titre de travailleur social psychiatrique. À sa sortie de l'université, il a travaillé pendant deux ans auprès de personnes atteintes de troubles mentaux. Un stage pratique à la Société John Howard l'a amené à s'intéresser aux services correctionnels. En , il est embauché par le SCC à titre d'agent de libération conditionnelle. Il a par la suite été promu au poste de superviseur de la classification et des services psychologiques, de directeur de l'établissement de Springhill, en Nouvelle-Écosse, de directeur général des Opérations correctionnelles, de sous-commissaire adjoint de la région de l'Atlantique, puis de sous-commissaire principal à l'administration centrale, à Ottawa.

Le nouveau président décide de véhiculer constamment le même message dans toutes ses communications avec les médias : « Même si de nombreux délinquants sont incarcérés pour avoir commis des infractions avec violence, nous ne mettrons par les délinquants violents en liberté. » Il s'efforce d'expliquer qu'il existe une différence importante entre l'infraction et le délinquant. Une personne qui a commis une infraction avec violence en peut changer durant sa période d'emprisonnement et ne plus être violente au moment où elle est mise en liberté conditionnelle dix ans plus tard.

Pendant qu'il est en fonction et jusqu'à sa retraite en , Gibbs se tient à la disposition des médias et se rend dans toutes les régions du pays afin d'y rencontrer des comités de rédaction et réaliser, à la radio et à la télévision, des entrevues au cours desquelles il dissipe les mythes sur la libération conditionnelle.

Au cours de l'année , qui marque le 100ième anniversaire de la libération conditionnelle au Canada, le président profite de ses entrevues avec les médias pour raconter l'histoire de la libération conditionnelle et expliquer comment celle-ci a évolué et est devenue une stratégie efficace pour protéger le public. Les échecs des libérations conditionnelles font toujours les gros titres des médias, mais durant l'année du 100ième anniversaire, un certain nombre d'entre eux affirment à la une que « la libération conditionnelle est efficace ».

À la Commission des libérations conditionnelles, Gibbs favorise une utilisation égale du français et de l'anglais et des relations de collégialité entre les membres nommés et les fonctionnaires de la Commission. Mais sa plus grande réalisation est celle d'avoir grandement rehaussé le calibre des membres de la Commission des libérations conditionnelles.

Les membres de la Commission sont maintenant soumis à un processus de présélection beaucoup plus rigoureux. Ils reçoivent une formation beaucoup plus poussée qu'auparavant, dans laquelle l'évaluation du risque occupe une place très importante. Leurs performances sont évaluées à chaque année et ils sont assujettis à un code de conduite. Ils ne peuvent être « licenciés » au sens habituel du terme, mais ils peuvent être démis de leurs fonctions après une audience devant un juge. De l'avis du président, la qualité des décisions dépend essentiellement de la qualité des décideurs.

Comment faire partie de la Commission des libérations conditionnelles

Dans le passé, lorsqu'il y avait un poste à pourvoir à la Commission des libérations conditionnelles, les ministres du Cabinet et les simples députés du gouvernement recommandaient un candidat ou des candidats au Cabinet du Premier ministre. Bon nombre recevaient leur lettre de nomination sans avoir été informés au préalable de leur nomination prochaine ou, en certains cas, sans même savoir que leur candidature était à l'étude. On disait que les membres de la Commission étaient consacrés plutôt que nommés. Cette situation change du tout au tout après la nomination de Willie Gibbs à titre de sixième président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, en .

Dès son entrée en fonctions, Gibbs entreprend de modifier le processus de sélection et de nomination des membres de la Commission. Les avis de vacance paraissent dans la Gazette du Canada et tout le monde peut envoyer son curriculum vitae.

Les candidatures sont examinées par le président et le vice-président et évaluées en fonction d'un ensemble de critères. Ce qui compte maintenant, ce ne sont plus les gens que vous connaissez, mais bien ce que vous savez. Les candidats sont jugés en fonction de leur connaissance et de leur expérience du système de justice pénale; de leur capacité de réaliser des entrevues, d'analyser les faits et de prendre des décisions; de leur aptitude à travailler en équipe; et de leur sensibilité aux questions concernant les femmes, les Indigènes et les autres cultures.

Les candidats et candidates retenus en sélection finale sont convoqués à une entrevue face à face avec le président et les principaux membres de la Commission. On leur présente un cas fictif et on leur demande d'expliquer, de manière convaincante, pourquoi ils refuseraient ou accepteraient d'accorder la libération conditionnelle demandée. Les noms des candidats admis sont transmis au solliciteur général qui fait ensuite des recommandations au Cabinet du Premier ministre. Les nouveaux membres ne sont nommés que si leur nom figure sur la liste des personnes jugées compétentes.

La formation

Au cours des années 1980, la formation est informelle et plutôt superficielle. Les nouveaux membres reçoivent une initiation de trois jours, qui comprend une audience simulée. Par la suite, ils apprennent essentiellement sur le tas et sont encadrés par leurs collègues plus expérimentés.

Aujourd'hui, les membres sont beaucoup mieux préparés. Les membres nouvellement nommés doivent suivre un cours d'orientation intensif d'une durée de trois semaines avant d'être autorisés à siéger à un comité de libération conditionnelle. Leur formation comprend également des visites dans les établissements, les maisons de transition et les bureaux de libération conditionnelle. Les nouveaux membres commencent ensuite à examiner les cas avec l'aide d'un membre expérimenté. À la fin de la période d'orientation, ils sont soumis à un test d'évaluation de leurs connaissances et de leurs compétences.

L'étape suivante en est une de formation sur le terrain ou en cours d'emploi. Durant cette période, qui s'étend sur environ six mois, le nouveau membre de la Commission ne peut se prononcer sur un cas qu'avec l'aide d'un membre expérimenté et reçoit périodiquement de la rétroaction sur sa performance.

En plus de la formation initiale, chaque membre participe chaque année à une autre session de formation continue d'une durée de 15 jours, qui prend la forme d'ateliers, de conférences et de cours de formation personnelle.

La formation offerte aux membres de la Commission tient compte des dernières découvertes de la recherche dans le secteur correctionnel. Hélène Chevalier, directrice exécutive de la Commission, affirme que la formation « revêt maintenant un caractère beaucoup plus professionnel, qu'elle est plus structurée et plus mesurable, et que cela rassure les membres. Ils se sentent plus en confiance lorsqu'ils prennent leurs décisions. »

Un énorme travail à faire

En , lorsque Walter Archibald se voit offrir le poste d'agent fédéral de liberté conditionnelle, il exprime par écrit son enthousiasme pour « l'énorme travail à faire ».

Si le brigadier Archibald pouvait voyager dans le temps et constater comment ce travail a progressé, qu'en penserait-il?

Il serait sûrement stupéfait de l'ampleur même des activités d'aujourd'hui. La Commission des libérations conditionnelles a un budget de fonctionnement de plus de 30 millions de dollars par année. Elle compte environ 95 membres dont 45 à temps plein et 50 à temps partiel. Outre les membres, la Commission emploie 285 personnes au bureau national et dans les cinq bureaux régionaux. Elle rend quelque 25 000 décisions par année. En tout temps, environ 9 500 personnes purgent leurs peines sous surveillance dans la collectivité.

Le brigadier Archibald serait impressionné par l'expertise de la Commission. La Commission des libérations conditionnelles du Canada a beaucoup appris, en grande partie à la dure. Elle forme aujourd'hui une organisation professionnelle disciplinée qui peut compter sur une énorme banque de connaissances et d'expérience.

Archibald serait ravi de constater que les responsables fédéraux des libérations conditionnelles au Canada sont finalement devenus un tribunal administratif vraiment indépendant. En , certains médias soutiennent que le Service correctionnel a adopté un « système de quotas » pour la mise en liberté des délinquants dans la collectivité. À titre d'organisme responsable des mises en liberté, la Commission est sur la sellette.

Mais Willie Gibbs nie avec véhémence l'existence de tels quotas à la Commission. Il rappelle aux médias que la Commission est un organisme indépendant qui rend ses décisions au cas par cas en se préoccupant d'abord et avant tout de la protection de la collectivité. La Commission exerce son autorité sans interférence de quiconque ou de quelque considération que ce soit. Les membres de la Commission ne peuvent se faire dicter leur conduite ni par le solliciteur général ni même par le président.

Plus important encore, Archibald constaterait qu'outre la « professionnalisation » de la libération conditionnelle, bon nombre des personnes qui travaillent pour la Commission sont encore animées d'un profond idéalisme. Il entendrait l'écho de ses propres convictions dans la déclaration faite par le président devant le Comité de la justice, en , qui affirmait que les 100 ans d'histoire de la libération conditionnelle font ressortir les valeurs canadiennes de compassion et d'équité et montrent que les gens peuvent changer et changent effectivement.

Épilogue

En parcourant les textes de cet historique en sept parties, nous avons vu que la libération conditionnelle au Canada a un long passé, progressif et intéressant. Au fil des ans, depuis que Henri Clermont a été mis en liberté du pénitencier Saint-Vincent de Paul, le , de nombreux changements se sont produits; cependant, les principes fondamentaux de la libération conditionnelle sont demeurés intacts un siècle durant. Et le changement va se poursuivre. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition contient une disposition exigeant son examen par le Parlement après cinq ans. Au moment d'aller sous presse, le Comité parlementaire permanent de la justice et des droits de la personne venait tout juste de terminer cet examen, et le gouvernement avait réagi aux cinquante-trois (53) recommandations réclamant d'autres changements et améliorations.

La Commission des libérations conditionnelles est fière de sa longue histoire et de la contribution qu'elle continue de faire à la sécurité de la collectivité et à la réinsertion sociale des délinquants.

Ses 100 ans d'existence sont un hommage :

  • Au travail d'innovation de réformateurs et de simples citoyens éclairés à la fin du XIXième siècle.
  • Aux législateurs et parlementaires qui ont reconnu l'importance de la mise en liberté sous condition pour la réinsertion sociale du délinquant et sa contribution à la protection de la société.
  • Aux milliers de professionnels, hommes et femmes, qui travaillent auprès des délinquants et qui croient que ces derniers peuvent changer et qu'ils changent effectivement.
  • À la contribution et à l'appui des organisations non gouvernementales et de milliers de bénévoles et de simples citoyens.
  • Aux milliers de délinquants qui ont effectivement changé et qui sont devenus des citoyens respectueux des lois.

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