La structure du système de justice militaire canadien

Système de justice militaire du Canada

Le système de justice militaire du Canada fonctionne en parallèle avec son équivalent civil, le système de justice pénale canadien, et fait partie intégrante de la mosaïque juridique du Canada. Il partage un grand nombre de principes sous-jacents avec le système de justice pénale canadien et est assujetti au même cadre constitutionnel, notamment à la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 24. À plusieurs occasions, la Cour suprême du Canada a confirmé la nécessité d’un système de justice militaire distinct pour répondre aux besoins particuliers des Forces armées canadiennesNote de bas de page 25, et a qualifié ce système de « partenaire à part entière du système de justice civil dans l’administration de la justiceNote de bas de page 26 ». Le système de justice militaire se distingue de son équivalent civil par certains de ses objectifs. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Edwards, « le système de justice militaire canadien […] tient compte du contexte militaire, et plus particulièrement des politiques législatives visant à maintenir “la discipline, l’efficacité et le moral” au sein des Forces ainsi que “la confiance du public dans […] [une] force armée disciplinée”Note de bas de page 27 ». Ces objectifs militaires spécifiques sont à l’origine de nombreuses différences de fond et de procédure qui distinguent légitimement le système de justice militaire du système civil.

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Le Code de discipline militaire

Le Code de discipline militaire, énoncé à la partie III de la Loi sur la défense nationale, constitue « la pierre angulaire du système de justice militaire du CanadaNote de bas de page 28 ». C’est un « ingrédient essentiel de la vie de serviceNote de bas de page 29 » qui « définit la norme de conduite applicable aux militaires et à certains civils et crée un ensemble de tribunaux militaires chargés de sanctionner les manquements à cette normeNote de bas de page 30 ». Il a été également reconnu qu’ « il joue aussi un rôle de nature publique, du fait qu’il vise à punir une conduite précise qui menace l’ordre et le bien‑être publicsNote de bas de page 31 ». Le Code de discipline militaire établit les procédures et l’organisation des audiences sommaires et des cours martiales, la compétence des différents intervenants du système de justice militaire, l’échelle des peines, ainsi que les mécanismes de révision et d’appel après le procès.

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Les deux types de procédures du système de justice militaire

Le système de justice militaire comprend deux types de procédures pour traiter les inconduites. Le Code de discipline militaire et les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennesNote de bas de page 32  énoncent les procédures relatives au traitement des accusations. Les cours martiales sont des tribunaux militaires présidés par des juges militaires qui jugent les infractions d’ordre militaire en vertu du Code de discipline militaire. L’audiences sommaire est une procédure disciplinaire non pénale fondée sur les principes du droit administratif, conçues pour traiter les manquements d’ordre militaire, des inconduites mineures à la discipline militaire au niveau de l’unité. La détermination d’une inconduite disciplinaire comme un manquement d’ordre militaire ou une infraction dépend de l’analyse de plusieurs facteurs incluant notamment l’impact sur les opérations, la complexité de l’affaire et d’autres considérations d’intérêt public.

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La procédure par audience sommaire

La procédure par audience sommaire vise à améliorer la capacité de la chaîne de commandement à traiter les inconduites mineures à la discipline militaire de manière équitable et efficace au niveau de l’unité. Tout en garantissant que les personnes présumées d’avoir commis un manquement d’ordre militaire bénéficient d’un processus équitable sur le plan procédural, les enquêtes disciplinaires et les audiences sommaires exigent relativement peu de temps et de ressources. En minimisant l’impact sur le rythme opérationnel, la procédure par audience sommaire peut être utilisé de manière plus efficiente par les unités, tant en garnison qu’en déploiement, améliorant ainsi leur niveau de préparation opérationnelle.

Manquements d’ordre militaire

Les manquements d’ordre militaire sont des violations à la discipline définis dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennesNote de bas de page 33. Ils sont généralement moins graves que les inconduites couvertes par les infractions d’ordre militaire. Il existe actuellement trois catégories de manquements d’ordre militaire. La première concerne les manquements relatifs aux biens et aux renseignements, et couvre des actes ou omissions tels que la possession non autorisée de biens publics ou le défaut de divulguer un conflit avec ses intérêts personnelsNote de bas de page 34. La deuxième catégorie regroupe les manquements relatifs à la vie militaire, comme la décharge non autorisée d’une arme à feu et d’autres conduites nuisant au maintien de la discipline, de l’efficacité et au moral des Forces armées canadiennesNote de bas de page 35. La dernière catégorie concerne les manquements relatifs aux drogues et à l’alcool, incluant la possession de boisson alcoolique ou l’usage de drogues, comme le cannabis, pendant le serviceNote de bas de page 36.

Audiences sommaires

Les audiences sommaires ne peuvent être tenues que pour traiter les manquements d’ordre militaireNote de bas de page 37  et peuvent avoir lieu partout où les Forces armées canadiennes sont présentesNote de bas de page 38. Elles sont tenues par un officier ayant au moins un grade supérieur à celui de la personne présumée d’avoir commis un manquement d’ordre militaireNote de bas de page 39. Toutefois, certains officiers peuvent être empêchés de tenir une audience selon certaines circonstances énumérées dans la Loi sur la défense nationaleNote de bas de page 40.

L’officier tenant l’audience sommaire (OTAS) peut être un commandant supérieur, un commandant ou un officier délégué. Lorsqu’il est déterminé que la personne a commis un manquement d’ordre militaire, le statut de l’OTAS aura une incidence sur l’étendue des sanctions possiblesNote de bas de page 41. Pour tenir une audience sommaire, l’OTAS doit avoir complété avec succès le cours et l’examen sur la justice militaire au niveau de l’unité et être certifié par le juge-avocat général.

Les audiences sommaires sont généralement ouvertes au public. Toutefois, elles peuvent se dérouler à huis clos dans certaines circonstances, notamment lorsque des renseignements classifiés font partie des éléments de preuve, ou lorsque des renseignements susceptibles d’avoir une incidence sur la sécurité d’une personne sont déposés en preuveNote de bas de page 42. Au début de l’audience, l’OTAS prête serment ou fait une affirmation solennelleNote de bas de page 43, puis pose trois questions préliminaires à la personne accusée : a-t-elle eu suffisamment de temps pour se préparer, souhaite-t-elle contester la capacité de l’OTAS à tenir l’audience, et souhaite-t-elle admettre un ou des détails relatifs à l’accusationNote de bas de page 44.

Les audiences sommaires sont menées conformément aux principes du droit administratif canadien, en particulier ceux de l’équité procédurale et de la justice naturelleNote de bas de page 45. Ainsi, une personne présumée d’avoir commis un manquement d’ordre militaire doit avoir la possibilité de demander la présence de témoins, de présenter des éléments de preuve et de faire des observations à toutes les étapes de l’audienceNote de bas de page 46. Contrairement à une cour martiale, la norme de preuve lors d’une audience sommaire est la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 47. Une personne sera donc reconnue d’avoir commis une infraction s’il est « si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieuNote de bas de page 48 ». Toutefois, il ne suffit pas que l’OTAS affirme simplement qu’il est plus probable qu’improbable que le militaire ait commis le manquement. Pour que sa décision soit valide, elle doit être « transparente, intelligible et justifiéeNote de bas de page 49 ». À ce titre, l’OTAS doit donc fournir par écrit les motifs qui sous-tendent sa décision.

Si la personne est reconnue d’avoir commis un manquement d’ordre militaire, l’OTAS doit imposer l’une des sanctions autorisées ou une combinaison de celles-ci. Avant de le faire, il doit lui permettre de faire des observations concernant la sanction pouvant être infligéeNote de bas de page 50. Enfin, après avoir infligé la sanction, l’OTAS doit fournir les motifs écrits à la personne reconnue ainsi qu’à son commandantNote de bas de page 51.

Sanctions

La Loi sur la défense nationale indique les sanctions pouvant être infligées lorsqu’une personne est reconnue d’avoir commis un manquement d’ordre militaire. Ces sanctions, classées de la plus sévère à la moins sévère, sont : la rétrogradation, le blâme, le réprimande, la privation indemnités et de la solde pendant au plus 18 jours et les sanctions mineuresNote de bas de page 52.

Les sanctions mineures sont définies dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes et comprennent la consigne au navire ou quartier pour une période d’au plus 14 jours, des travaux supplémentaires et des exercices pour une période d’au plus 14 jours, ainsi que le refus de congé pour une période d’au plus 30 joursNote de bas de page 53. Ces sanctions peuvent être combinées, de sorte qu’un militaire peut, par exemple, recevoir à la fois une réprimande et une privation de la soldeNote de bas de page 54.

Révision des décisions d’audience sommaire

Une personne reconnue d’avoir commis un manquement d’ordre militaire peut demander la révision de la décision en soumettant une demande écrite à une autorité de révision dans les 14 jours suivant la réception des motifs écritsNote de bas de page 55. L’autorité compétente est normalement le supérieur hiérarchique en matière de discipline de l’officier ayant tenu l’audienceNote de bas de page 56. Alternativement, une autorité compétente peut entreprendre une révision d’officeNote de bas de page 57. Dans les deux cas, l’autorité de révision doit obtenir l’ avis juridique d’un avocat militaire du Cabinet du JAG avant de procéder à la révisionNote de bas de page 58. À l’issue de celle-ci, l’autorité compétente peut maintenir la décision, l’annuler en tout ou en partieNote de bas de page 59, substituer une ou plusieurs décisionsNote de bas de page 60, substituer une ou plusieurs sanctionsNote de bas de page 61, ou commuer, mitiger ou remettre la ou les sanctionsNote de bas de page 62. La personne insatisfaite de l’issue de la révision peut demander réparation en déposant une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada.

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La procédure devant la cour martiale

Une cour martiale est un tribunal militaire officiel présidé par un juge militaire qui possède toutes les caractéristiques constitutionnelles d’indépendance judiciaire. Elle est conçue pour traiter les infractions d’ordres militaires et le juge militaire peut imposer des peines pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité. Les cours martiales se déroulent conformément à des règles et procédures similaires à celles des tribunaux civils de compétente criminelle, tout en tenant compte des exigences propres aux Forces armées canadiennes. Elles exercent les mêmes droits, pouvoirs et privilèges qu’une cour supérieure de compétence criminelle relativement à « toutes […] questions relevant de sa compétence »Note de bas de page 63.

Les cours martiales peuvent siéger partout au Canada ou à l’étranger. La Loi sur la défense nationale prévoit deux types de cours martiales : générale et permanente. Une cour martiale générale est composée d’un juge militaire et d’un comité de cinq membres des Forces armées canadiennes. Le comité agit à titre de juge des faits et décide de tout verdict de culpabilité, tandis que le juge militaire rend les décisions juridiques nécessaires. En cas de verdict de culpabilité, le juge militaire détermine la peine ou ordonne l’absolution inconditionnelle du contrevenantNote de bas de page 64. Dans le cadre d’une cour martiale permanente, le juge militaire siège seul, rend les décisions de fait et de droit et détermine la peine ou ordonne l’absolution inconditionnelle si la personne accusée est reconnue coupable. Lors d’une cour martiale, la poursuite est menée par un procureur militaire relevant du directeur des poursuites militaires. L’accusé a le droit d’être représenté sans frais par un avocat de la défense nommé par le directeur du Service d’avocats de la défense, ou à ses frais par un avocat civil.

Infractions militaires

Le terme « infraction d’ordre militaire » est défini dans la Loi sur la défense nationale comme une « infraction – à la présente loi, au Code criminelNote de bas de page 65  ou à une autre loi fédérale – commise par un justiciable du code de discipline militaireNote de bas de page 66 ». Ainsi, les infractions d’ordre militaires incluent des infractions disciplinaires propres à la profession des armes, telles que la désobéissance à un ordre légitimeNote de bas de page 67, l’absence sans permissionNote de bas de page 68, ou encore les comportements préjudiciables au bon ordre et à la disciplineNote de bas de page 69, en plus des infractions prévues au Code criminel et par d’autres lois fédéralesNote de bas de page 70. Les membres de la Force régulière des Forces armées canadiennes sont toujours assujettis au Code de discipline militaire, tandis que les membres de la Force de réserve et certains civils y sont assujettis que dans les circonstances précisées à l’article 60 de la Loi sur la défense nationale.

Appels des décisions des cours martiales

Les décisions rendues par une cour martiale peuvent être portées en appel devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada (CACM)Note de bas de page 71. La CACM est composée de juges civils désignés par le gouverneur en conseil et provenant de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale, des cours supérieures ou des cours d’appel des provinces et territoiresNote de bas de page 72. Les décisions de la CACM peuvent être portées en appel devant la Cour suprême du Canada sur toute question de droit ayant fait l’objet d’une dissidence d’un juge de la CACM, ou sur toute question de droit pour laquelle la demande d’autorisation d’appel est accueillie par la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 73.

Notes de bas de page

Détails de la page

2025-10-27