Rétrospective de l’année
En vertu du paragraphe 9.3(2) de la Loi sur la défense nationaleNote de bas de page 1, le juge-avocat général est tenu de présenter un rapport annuel au ministre de la Défense nationale (le Ministre) sur l’administration de la justice militaire dans les Forces armées canadiennes. Ce rapport couvre la période du 1er avril 2024 au 31 mars 2025.
Faits marquants de l’année dans le domaine de la justice militaire
La période de référence de 2024/2025 a été marquée par plusieurs développements notables au sein du système de justice militaire, notamment l’introduction de normes de temps mises à jour pour améliorer l’efficacité, la transparence et l’imputabilité, la poursuite des travaux sur la rémunération des juges militaires, le déploiement de la nouvelle version du Système de gestion de l’information et de l’administration de la justice (SGIAJ), ainsi que la mise à jour du cadre de surveillance du rendement (CSR) du système de justice militaire, permettant de rendre compte de données objectives sur l’efficacité, l’efficience et la légitimité du système de justice militaire. Cette période a également été marquée par la nomination de deux nouveaux juges militaires et par la désignation d’un nouveau juge en chef de la Cour d’appel de la cour martiale, ainsi que par la réalisation d’étapes cruciales en vue de la mise en œuvre des recommandations formulées dans plusieurs rapports d’examen externesNote de bas de page 2. Cela comprenait des travaux liés au Groupe de travail sur la Cour militaire permanente et au projet de loi C-66, Loi sur la modernisation du système de justice militaire (projet de loi C-66)Note de bas de page 3. Les discussions sur chacun de ces développements sont présentées ci-dessous dans un ordre chronologique, et se concluent par les travaux en cours concernant la mise en œuvre des recommandations des divers examens externes du système de justice militaire.
La mise à jour des normes de temps du système de justice militaire
Des normes de temps pour chaque étape du système de justice militaire ont été élaborées en 2019. Elles visent à accroître l’efficacité du système en garantissant que chaque étape du processus soit réalisée en temps opportun. Le Cabinet du juge-avocat général (JAG) a mis à jour ces normes en collaboration avec divers acteurs du système de justice militaire à la suite de l’entrée en vigueur du projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes à d’autres lois (projet de loi C-77)Note de bas de page 4. Ce travail a culminé en avril 2024 avec la publication d’une politique mise à jour qui s’applique à l’administration des manquements d’ordre militaire et des infractions d’ordre militaire présumés.
Le Système de gestion de l’information et de l’administration de la justice
Dans le cadre des efforts de modernisation du système de justice militaire par l’utilisation de nouvelles technologies, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes ont commencé à mettre en œuvre une nouvelle version du SGIAJ, lequel a été mis à jour pour refléter les changements introduits par le projet de loi C-77. Le SGIAJ est un outil électronique de gestion des dossiers conçu par le Groupe des services numériques avec l’expertise du Cabinet du JAG. Déployé progressivement depuis janvier 2025, la nouvelle version du SGIAJ est désormais le principal moyen d’administrer la justice militaire au niveau de l’unité, depuis le signalement d’un manquement d’ordre militaire présumé jusqu’à l’enquête, la formulation des accusations, la décision lors de l’audience sommaire et la révision du dossier, le cas échéant. En assurant le suivi électronique du cycle complet des dossiers de justice militaire au niveau de l’unité, le SGIAJ fournit aux commandants des informations accessibles, précises et en temps opportun sur l’état des dossiers, améliorant ainsi l’administration de la justice militaire et garantissant une progression efficace des dossiers. Il aide également le juge-avocat général à remplir son devoir statutaire de surveillant de l’administration de la justice militaire. La mise en œuvre du SGIAJ est soutenue par le Centre d’excellence du SGIAJ, composé de contacts régionaux qui assistent chaque unité dans l’intégration du système pour les dossiers disciplinaires.
La mise à jour du Cadre de surveillance du rendement du système de justice militaire
Le CSR est un système de mesure du rendement capable de fournir des données quantitatives et qualitatives mesurables. Il repose sur une série robuste d’indicateurs de justice qui permettent de rendre compte de données objectives sur l’efficacité, l’efficience et la légitimité du système de justice militaire. Ces indicateurs permettront au juge avocat général, en sa qualité de surveillant de l’administration de la justice militaire, de superviser le rendement du système, de mettre en lumière les problèmes potentiels, de contribuer à l’élaboration de repères pour le rendement futur et de suivre l’impact des changements apportés au système de justice militaire. Les indicateurs fourniront des rétroactions précieuses aux décideurs et contribueront à rendre le système de justice militaire plus transparent. Initialement présenté dans le rapport annuel 2019/2020, le CSR a été entièrement mis à jour pour tenir compte des modifications apportées au système de justice militaire par le projet de loi C-77Note de bas de page 5. Le CSR mis à jour devrait être approuvé par le juge-avocat général et publié prochainement.
Comité d’examen de la rémunération des juges militaires
Le comité d’examen de la rémunération des juges militaires est un organisme créé par le Parlement afin d’assurer un processus indépendant, objectif et dépolitisé pour examiner l’adéquation de la rémunération des juges militaires. Mandaté en vertu de la Loi sur la défense nationaleNote de bas de page 6 pour soumettre des recommandations au ministre tous les quatre ans, le comité joue un rôle similaire à celui de son pendant civil, la Commission des traitements et des avantages des juges, et fonctionne selon des principes juridiques comparables. Lors de la formulation de ses recommandations sur le niveau de rémunération des juges militaires, le comité prend en considération des facteurs tels que la nécessité d’attirer des candidats hautement qualifiés à la magistrature, l’importance de garantir l’indépendance judiciaire, et les conditions économiques actuelles au Canada.
Le 31 juillet 2024, le ministre a accepté les recommandations du comité pour la période de 2019 à 2023, lesquelles incluaient l’alignement de la rémunération des juges militaires sur celle des autres juges nommés par le gouvernement fédéral, ainsi que l’octroi d’une nouvelle allocation annuelle pour frais accessoiresNote de bas de page 7. Depuis, des travaux sont en cours pour veiller à ce que les modifications réglementaires nécessaires soient mises en œuvre en temps opportun. Des efforts sont également déployés pour soutenir la mise en place du prochain comité de la rémunération des juges militaires, chargé de formuler des recommandations pour la période de 2023 à 2027.
Nomination de nouveaux juges militaires
Le 28 août 2024, le gouverneur en conseil a nommé deux nouveaux juges militaires : la colonelle Nancy Isenor et le colonel Steven Strickey. Les deux, qui possèdent une vaste expérience dans le domaine de la justice militaire en tant qu’avocats militaires au sein du Cabinet du JAG, ont été officiellement assermentés comme juges militaires le 15 novembre 2024. La capitaine de vaisseau Catherine Julie Deschênes, désignée comme nouvelle juge militaire en chef en mars 2024, a également été officiellement assermentée à ce poste lors de la même cérémonie.
Désignation d’une nouvelle juge en chef de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada
Le 11 octobre 2024, le premier ministre a annoncé que le gouverneur en conseil avait désigné l’honorable Mary J.L. Gleason comme nouvelle juge en chef de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada (CACM). Avant sa nomination à la Cour fédérale en 2011, la juge en chef Gleason était reconnue comme l’une des principales spécialistes du droit du travail et de l’emploi au Canada, participant activement à des organisations professionnelles et au milieu universitaire juridique. Elle a siégé au comité de consultation des clients du Conseil canadien des relations industrielles et a participé au groupe de liaison de la Cour fédérale sur le droit du travail, les droits de la personne, la vie privée et l’accès à l’information. Elle a été nommée à la CACM en 2013 et à la Cour d’appel fédérale en juin 2015. Sa cérémonie d’assermentation comme juge en chef de la CACM a eu lieu le 19 novembre 2024.
Sous la direction de la juge en chef Gleason, la CACM devrait continuer à façonner la jurisprudence en matière de justice militaire tout en renforçant la sensibilisation et la compréhension du système de justice militaire au sein de la communauté juridique élargie. Notamment, la juge en chef Gleason a lancé un nouveau forum entre la magistrature et le barreau pour favoriser le dialogue entre les juges et les praticiens du droit œuvrant en justice militaire. Lors de sa réunion inaugurale le 13 juin 2024, les participants ont soulevé des préoccupations concernant les pressions liées aux ressources auxquelles fait face le Service administratif des tribunaux judiciaires. Le juge-avocat général continuera de surveiller cette question de près afin d’évaluer les impacts potentiels sur l’administration et l’efficacité du système de justice militaire.
Il convient également de souligner le service de l’honorable Elizabeth Bennett, qui a agi comme juge en chef intérimaire après le départ à la retraite de l’ancien juge en chef Richard Bell en octobre 2023. Durant son mandat intérimaire, la CACM a rendu plusieurs décisions importantes, notamment R. c. EllisonNote de bas de page 8, qui a clarifié l’application du critère de l’absence de preuve prima facie, et R. c. CrouchNote de bas de page 9, qui a examiné le seuil permettant d’annuler un acquittement lorsque des inférences sont faites à partir de mythes et stéréotypes inadmissibles entourant les agressions sexuelles.
La mise en œuvre des recommandations des examens externes
Tout au long de la période de référence 2024/2025, les travaux se sont poursuivis concernant l’analyse et la mise en œuvre des recommandations contenues dans le Rapport de l’autorité du troisième examen indépendant au ministre de la Défense nationale (EI3)Note de bas de page 10 par l’ancien juge de la Cour suprême Morris J. Fish, dans le Rapport de l’examen externe indépendant et complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes (EEIC)Note de bas de page 11 rédigées par l’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour, ainsi que dans d’autres rapports d’examen externes. Ces efforts sont suivis à l’aide du Plan global de mise en œuvre de 2023–2028 (PGMO) du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes. Ce plan pluriannuel vise à prioriser, structurer et harmoniser les travaux à l’échelle de l’organisation pour moderniser le système de justice militaireNote de bas de page 12. Il a pour objectif de favoriser une approche plus ouverte, transparente et responsable en matière de changement culturel et d’initiatives de modernisation de la justice militaire. Le PGMO intègre les recommandations de quatre rapports clés d’examen externe : le troisième examen indépendant (EI3)Note de bas de page 13, l’examen externe indépendant complet (EEIC)Note de bas de page 14, le rapport du Groupe consultatif du Ministère sur le racisme systémique et la discriminationNote de bas de page 15, et le rapport du Comité consultatif sur les excuses nationalesNote de bas de page 16.
Dans le cadre du PGMO, le Cabinet du JAG est l’organisation principale responsable de la mise en œuvre de 77 recommandations à travers toutes les phases, et soutient d’autres organisations dans l’avancement de nombreuses autres recommandations. Au cours de la période de référence 2024/2025, cinq recommandations prévues pour la phase 2024 du PGMO ont été mises en œuvre de manière substantielle ou complète, et une recommandation prévue pour la phase 2025 a été entièrement mise en œuvre avant l’échéanceNote de bas de page 17.
Deux faits majeurs dans le travail continu vers l’analyse et la mise en œuvre des recommandations des examens externes incluent les travaux du Groupe de travail sur la cour militaire permanente et le projet de loi C-66, lequel est mort au feuilleton.
Groupe de travail sur la cour militaire permanente
Afin d’accroître la perception d’indépendance, d’améliorer l’efficacité et de réduire les retards associés à la nature ad hoc des cours martiales, le troisième examen indépendant (IR3) a recommandé la création d’une cour militaire permanente pour les Forces armées canadiennes. Le Groupe de travail sur la Cour militaire permanente a été mis sur pied vers la fin de 2022 pour identifier le cadre le plus efficace pour la création d’une telle cour en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867Note de bas de page 18. Ce groupe de travail est une initiative conjointe entre le Cabinet du JAG et le ministère de la Justice du Canada, et comprend une autorité indépendante ayant une expertise en administration judiciaire. Ses travaux consistent à mener des consultations, élaborer des avis juridiques, examiner les options pour la mise en place de la nouvelle cour et produire un rapport destiné au ministre de la Défense nationale et au ministre de la Justice. Au cours de la période de référence 2024/2025, le groupe s’est réuni à trois reprises, a produit un document de consultation et a amorcé le processus de consultation, en commençant par la chaîne de commandement militaire.
Projet de Loi C-66, Loi sur la modernisation du système de justice militaire
Tout au long de la période de référence 2024/2025, le Cabinet du JAG a soutenu l’examen parlementaire du projet de loi C-66, déposé à la Chambre des communes en mars 2024. Ce projet de loi proposait des modifications à la Loi sur la défense nationale visant à moderniser le système de justice militaire en réponse à plusieurs recommandations formulées dans les rapports de l’ER3 et l’EEIC. Le projet de loi était à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes lorsqu’il est mort au feuilleton à la suite de la prorogation du Parlement le 6 janvier 2025.
Justice militaire en soutien aux opérations déployées
Alors que les tensions mondiales augmentent, le rôle des Forces armées canadiennes dans le soutien aux objectifs de politique étrangère du Canada et à ses engagements en matière de sécurité internationale devient de plus en plus crucial. Un aspect souvent négligé des opérations déployées est le rôle essentiel que joue le système de justice militaire pour assurer la discipline, l’efficacité et le moral des troupes dans ces opérations.
Ces dernières années, les Forces armées canadiennes ont participé à une vaste gamme d’opérations déployées, tant au Canada qu’à l’étranger. Dans toutes ces opérations, le système de justice militaire joue un rôle fondamental. Même en l’absence de déploiement, les exigences imposées au système de justice militaire diffèrent de celles du système civil. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans R. c. Généreux : « Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil [...] Il est donc nécessaire d'établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaireNote de bas de page 19 ». Dans l’environnement exigeant d’un théâtre opérationnel, le besoin d’un système de justice efficace, souple et équitable, tel que souligné dans Généreux, est encore plus pressant. Dans de telles circonstances, le temps et les ressources peuvent être limités, et le maintien de la cohésion des unités et de l’efficacité opérationnelle est primordial.
La procédure de justice militaire le plus accessible pour les commandants sur le terrain est la procédure par audiences sommaires, conçue spécifiquement pour offrir un processus rapide, souple et équitable pour traiter les inconduites mineures. Comparées aux cours martiales, les audiences sommaires nécessitent peu de soutien administratif ou logistique et peuvent être menées relativement rapidement, ce qui les rend particulièrement adaptées à un environnement opérationnel.
Bien que la tendance générale dans la modernisation du système des cours martiales soit une évolution vers un modèle plus proche du système civil canadien, le système de justice militaire conserve certaines caractéristiques essentielles que les tribunaux civils ne possèdent pas, notamment la capacité de tenir des cours martiales partout dans le monde. Trouver un équilibre entre un système conforme à la Constitution, robuste sur le plan procédural, et suffisamment souple pour être déployé dans un environnement austère demeure un défi constant. En raison de leur complexité, du temps et des ressources qu’elles exigent, les cours martiales sont rarement tenues à l’extérieur du Canada, y compris dans les théâtres d’opérations. Malgré ces défis, il est essentiel de garantir la déployabilité des cours martiales. Comme l’a récemment affirmé la Cour suprême du Canada dans R. c. Edwards : « la population canadienne s’attend à des cours martiales opérationnelles et itinérantesNote de bas de page 20 ».
L’utilisation de la technologie aide à relever certains de ces défis. La disponibilité et la fiabilité des technologies de communication signifient que la présence physique dans une salle d’audience n’est plus une exigence absolue pour participer à une procédure. Toutefois, la réponse la plus efficace et durable à ces défis pourrait résider dans les personnes plutôt que dans la technologie, par le développement et le maintien d’un état d’esprit opérationnel en matière de justice militaire. Sans compromettre les progrès importants réalisés ces dernières années pour aligner la justice militaire canadienne sur les normes juridiques et culturelles civiles du pays, il est essentiel de ne pas perdre de vue la raison d’être d’un système de justice militaire distinct : assurer la préparation et l’efficacité opérationnelle des Forces armées canadiennes en maintenant la discipline, l’efficacité et le moral[21]. Cette finalité fondamentale doit guider l’évolution continue du système de justice militaire, en veillant à ce qu’il dispose des bonnes personnes, des bons processus et des bonnes ressources pour être toujours prêt à servir lorsque le besoin se fait sentir.
Conclusion
Alors que le rôle du Canada dans le monde évolue, son système de justice militaire doit également évoluer et s’adapter aux défis et aux opportunités que ce changement entraîne. Le juge-avocat général demeure engagé à soutenir ce processus, en veillant à ce qu’il se déroule de manière à respecter l’état de droit tout en répondant aux besoins uniques des Forces armées canadiennes.