Annexe I révisée — Constitutionnalité de la politique des Forces armées canadiennes en matière de vaccination contre la COVID-19
Date : Le 23 janvier 2025
Sur cette page
- Objet
- Contexte de la politique des FAC sur la vaccination
- Position des Forces Armées Canadiennes
- Analyse
- Conclusion
Objet
Le but de la présente Annexe I révisée est de fournir une analyse supplémentaire à propos de la constitutionnalité de la politique des Forces armées canadiennes (FAC) sur la vaccination contre la COVID-19. Cette analyse tient compte des décisions récentes du Chef d’état-major de la défense (CEMD), dans le cadre de griefs, où il jouait le rôle d’autorité de dernière instance et où il était en désaccord avec le Comité sur ses conclusions selon lesquelles il y avait eu atteinte aux droits de membres des FAC garantis par la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 1 (la Charte).
La présente analyse explique que la portée et les conséquences des mesures prises en cas de non‑conformité à la politique des FAC sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19 (la politique) portaient atteinte au droit à la liberté et au droit à la sécurité de la personne des parties plaignantes qui sont garantis par l’article 7 de la Charte. Dans certains cas, les mesures imposées en vertu de la politique étaient arbitraires, avaient une portée excessive et présentaient une disproportion totale. Même si la politique énoncée dans les directives du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 (les directives du CEMD) concernait la poursuite d’un objectif réel et urgent durant la pandémie de COVID-19, cette politique ne s’est pas assurée que les mesures prises, lesquelles restreignaient le droit des parties plaignantes de refuser un traitement médical, soient proportionnelles à l’objectif visé. De plus, les FAC n’ont pas démontré que les mesures prises, qui portaient atteinte à des droits, avaient été raisonnablement adaptées aux circonstances et étaient justifiées dans le cadre d’une société libre et démocratique selon l’article premier de la Charte.
Contexte de la politique des FAC sur la vaccination
Le 25 janvier 2020, un premier cas du virus de la COVID-19 a été répertorié au Canada. Puisque ce virus est très contagieux, d’autres cas ont rapidement été recensés. Le gouvernement du Canada a alors mis en place des mesures de santé publique pour limiter les répercussions du virus.
Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a évalué la situation liée à la propagation et à la gravité de la maladie causée par le virus de la COVID-19 et a déclaré qu’il s’agissait d’une pandémieNote de bas de page 2. Au cours des premiers mois de la pandémie, des membres des FAC ont été déployés dans des établissements de soins de longue durée au Québec et en Ontario dans le cadre de l’Opération LASERNote de bas de page 3, ils ont soutenu des collectivités éloignées (notamment dans le nord du Canada), ils ont aidé l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) à gérer et à distribuer de l’équipement de protection personnelle, et ils ont aidé la Santé publique de l’Ontario à effectuer le traçage de cas. Les FAC ont également contribué à la distribution de vaccins contre la COVID‑19 dans le cadre de l’Opération VECTORNote de bas de page 4.
En mai 2020, les FAC et le ministère de la Défense nationale (MDN) ont publié la Directive conjointe du Sous-Ministre (SM)/CEMD - Mesures de santé publique et de protection individuelle du MDN/des FAC contre la COVID-19Note de bas de page 5 ainsi que la Directive commune du CEMD et de la SM sur la reprise des activitésNote de bas de page 6. L’intention était de maintenir un niveau de préparation proportionnel au mandat des FAC tout en assurant la sécurité de l’ensemble de ses membres.
Le 9 décembre 2020, Santé Canada a autorisé le premier vaccin contre la COVID-19 et, plus tard ce mois-là, les efforts de vaccination de masse ont commencé à travers le CanadaNote de bas de page 7.
Le 6 janvier 2021, les FAC ont débuté leur campagne de vaccination et ont accordé la priorité aux membres des FAC qui travaillaient dans des milieux à risque élevé compte tenu de leur profession et de leurs fonctionsNote de bas de page 8. Dans son message sur le déploiement de la vaccination, le médecin général des FAC a précisé que la vaccination contre la COVID-19 ne serait pas obligatoire dans tous les cas, mais qu’elle pourrait être imposée par la chaine de commandement (C de C) pour certaines opérations ou certains postes.
Entre avril et juin 2021, les FAC ont effectué leur première campagne de vaccination contre la COVID-19 pour toutes les personnes ayant droit à des soins de santé des FAC. De l’avis des FAC, cette campagne a été une réussite.
Le 6 octobre 2021, le Secrétariat du Conseil du Trésor a annoncé la publication de la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Cette politique s’appliquait aux membres du personnel du MDN, mais pas aux membres des FAC. Elle exigeait que tous les fonctionnaires, quel que soit leur lieu de travail, ainsi que les sous-traitants travaillant sur des lieux de travail du gouvernement du Canada, soient entièrement vaccinés. La politique prévoyait aussi que les membres du personnel qui ne se conformeraient pas à cette exigence devraient partir en congé sans solde. Des mesures d’accommodement étaient possibles pour les personnes qui démontraient qu’elles étaient incapables de se faire vacciner en raison d’un motif de distinction illiciteNote de bas de page 9.
Le 8 octobre 2021, le CEMD a publié une première directive sur la vaccination contre la COVID-19 des FACNote de bas de page 10. Elle énonçait que la vaccination obligatoire était une exigence que l’ensemble des membres des FAC devaient respecter en vue d’accomplir les tâches liées à leur travail. Cette directive expliquait que les vaccins sont efficaces pour prévenir les maladies graves, les hospitalisations et les décès dus à la COVID-19, et que les éclosions du virus diminuent lors de l’augmentation du taux de vaccination de la population. La directive annonçait que le MDN et les FAC avaient mis en œuvre une « stratégie stratifiée d’atténuation des risques » qui était fondée sur des mesures de santé publique telles que la distanciation physique, le port du couvre-visage, le lavage des mains et le travail à domicile. La directive mentionnait que la mise en œuvre précoce de cette stratégie permettait d’avoir des milieux de travail sécuritaires comportant un risque minimal de transmission du virus.
La directive affirmait que la campagne de vaccination volontaire des FAC avait été « une vraie réussite », puisque 91 % des militaires étaient entièrement vaccinés avec deux doses. Elle expliquait que la vaccination ne remplaçait pas les mesures de santé publique, mais qu’elle ajoutait une protection supplémentaire. La directive indiquait aussi que, à l’époque, la population canadienne n’avait pas atteint un taux de vaccination suffisant et que les mesures de santé publique se poursuivraient jusqu’à ce que l’immunité générale soit suffisante au sein de la population. La directive mentionnait que la vaccination obligatoire pourrait être efficace pour augmenter les taux de vaccination dans la population et que le gouvernement du Canada avait annoncé son intention d’exiger la vaccination dans l’ensemble de la fonction publique fédérale. La directive précisait également que, pour faire preuve de leadership, les FAC respecteraient l’esprit général de la politique fédérale.
La directive divisait les militaires en trois groupes : ceux ayant reçu la série complète de vaccins, ceux « incapables » de se faire vacciner et ceux qui refusaient de se faire vacciner. Les militaires devaient dévoiler leur statut vaccinal au moyen du système « Logiciel de commandement militaire – Gestion du Système de soutien administratif militaire » (LCM – Gestion SSAM) au plus tard le 15 novembre 2021. La directive prévoyait que les mesures d’accommodement, qui étaient prises selon la Loi canadienne sur les droits de la personneNote de bas de page 11 (LCDP) et qui étaient destinées aux personnes qui étaient incapables de se faire vacciner, ne devaient pas être de nature punitive et devaient être fournies si cela ne constituait pas une contrainte excessive. La directive prévoyait que des mesures d’accommodement incluaient une entente de travail à distance ou de télétravail (si cela était possible sur le plan opérationnel), l’utilisation de tests de dépistage (lorsque l’accès au lieu de travail était requis) et l’offre d’un autre horaire ou lieu de travailNote de bas de page 12. De plus, la directive indiquait que le refus de la vaccination pouvait entrainer des conséquences supplémentaires sur la carrière, y compris la perte d’occasions favorisant une promotion, l’impossibilité de suivre de la formation ou d’obtenir un déploiement, et des restrictions à l’égard de voyages au Canada et à l’étranger. La directive prévoyait que les membres des FAC qui ne voulaient pas dévoiler leur statut vaccinal ou qui n’avaient pas reçu un accommodement conformément à la LCDP étaient susceptibles de faire l’objet de mesures correctives ou d’autres mesures administratives. Enfin, la directive indiquait qu’il s’agissait d’une « mesure temporaire » qui « prendra fin lorsque le taux de transmission de la COVID-19 au Canada ne représentera plus de risque pour le réseau national de la santéNote de bas de page 13 ».
Le 3 novembre 2021, le CEMD a publié une deuxième directive sur la vaccination contre la COVID-19 (la « Directive 002 »). Elle énumérait les conditions requises pour demander une exemption ou un accommodement en raison d’une contre-indication médicale certifiée, de motifs religieux ou de tout autre motif de distinction illicite défini dans la LCDPNote de bas de page 14. La Directive 002 réitérait l’engagement des FAC à respecter la politique du gouvernement du Canada en matière de vaccination. Elle mentionnait que le respect de cette politique était un comportement attendu de tous les membres des FAC et que ceux qui ne s’y conformeraient pas seraient considérés comme étant en contravention du Code de valeurs et d’éthique du MDN et des FAC. La Directive 002 prévoyait également que les membres non vaccinés (à moins d’être exemptés pour des raisons opérationnelles ou de bénéficier d’un accommodement lorsque cela était possible) ne pourraient pas travailler ou suivre une formation dans un navire de la Marine royale canadienne, un aéronef de l’Aviation royale canadienne ou un véhicule de combat ou de campagne de l’Armée de terre, et qu’ils ne pourraient pas non plus obtenir d’affectations à l’étranger, être déployés lors d’opérations internationales ou nationales, ou participer à une formation de groupe en personne.
La Directive 002 mettait l’accent sur l’obligation de la chaine de commandement d’entamer des mesures administratives à l’égard des membres qui refusaient de se faire vacciner ou qui refusaient de dévoiler leur statut vaccinal. Les membres des FAC qui ne se conformaient pas à la directive feraient l’objet de mesures correctives durant 14 jours afin de leur permettre de « surmonter leur manquement à la conduite » en se faisant vacciner. La Directive 002 prévoyait que les militaires qui continuaient à refuser la vaccination, malgré l’imposition de mesures correctives, feraient l’objet d’une libération des FAC. La Directive 002 expliquait que les militaires ne pouvaient pas demander un congé sans solde et précisait que la vaccination obligatoire s’appliquait également aux personnes autorisées à travailler à distance.
Le 8 novembre 2021, le directeur – Administration (Carrières Militaires) (DACM) a publié l’Aide-mémoire du DACM - Directive 002 du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 - Mise en œuvre des accommodements et mesures administratives (ci-après l’Aide-mémoire du DACM) qui fournit à la C de C des indications et des gabarits de formulaire destinés à l’imposition de mesures correctives et à la mise en œuvre de procédures de libération en cas de non-conformité aux directives du CEMDNote de bas de page 15.
Le 22 décembre 2021, la Directive 002 du CEMD a été modifiée et le texte de cette directive réitérait les dispositions de la Directive 002 antérieure, mais ajoutait quelques modifications et clarificationsNote de bas de page 16. La Directive 002 modifiée indiquait que les membres non vaccinés pouvaient demander une libération volontaire ou un transfert dans la Réserve supplémentaireNote de bas de page 17. Ces militaires n’étaient pas exemptés de recevoir des mesures correctives jusqu’à ce qu’ils soient libérés des FAC. De plus, la Directive 002 modifiée s’appliquait également aux militaires dont le processus de libération était déjà entamé pour des raisons de santé ou autres, y compris les membres qui accomplissaient une période de maintien en poste et qui avaient entrepris un Programme de réadaptation professionnelle à l’intention des militaires actifs. La Directive 002 prévoyait que les membres non vaccinés dans ces situations n’étaient pas exemptés de l’imposition de mesures correctives ni de la tenue d’un examen administratif en raison de leur non-conformité à la politique des FAC sur la vaccination, et qu’ils pouvaient faire l’objet d’une libération expéditive en vertu du motif 5(f) (Inapte à continuer son service militaire)prévu au Tableau de l’article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC)Note de bas de page 18.
En février 2022, le Chef du personnel militaire a publié le message général des Forces canadiennes (CANFORGEN) 012/22 - APPLICATION DE LA DOAD [DIRECTIVE ET ORDONNANCE ADMINISTRATIVE DE LA DÉFENSE] 5019-2 - EXAMEN ADMINISTRATIF EN RÉPONSE AUX DIRECTIVES DU CEMD SUR LA VACCINATION CONTRE LA COVID-19 DES FAC. Ce CANFORGEN renforçait la Directive 002 puisqu’il réitérait que la C de C devait entreprendre un examen administratif dans les cas où un militaire continuait à refuser de se conformer à la politique sur la vaccination. Selon ce CANFORGEN, lorsqu’un militaire fait l’objet d’un examen administratif en vue d’une libération parce qu’il refuse de se conformer aux directives du CEMD sur la vaccination, les exigences prévues dans la Directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5019-2 (Examen administratif) ne s’appliquent pas. Plus précisément, la C de C n’a pas à tenir compte de l’ensemble de la période de service du militaire ni d’autres éléments énumérés dans cette DOAD avant de prendre sa décision concernant la libération du militaire visé.
Le 21 mars 2022, les FAC ont publié l’Instruction du chef du personnel militaire des Forces canadiennes 01/22 (Modification d’un lieu de service et de l’utilisation des affectations pour permettre le travail à distance)Note de bas de page 19 qui établit le cadre des autorisations requises dans les FAC relativement aux affectations permettant le travail à distance et le télétravail durant un maximum de deux ansNote de bas de page 20.
Le 14 juin 2022, le gouvernement du Canada a annoncé que l’obligation vaccinale qui s’appliquait à l’administration publique centrale, y compris la GRC, était suspendue à compter du 20 juin 2022. Durant cette suspension, les membres du personnel n’étaient pas tenus d’être vaccinés comme condition d’emploi. Les membres du personnel qui étaient en congé sans solde en raison de leur refus de respecter la politique ont eu l’autorisation de retourner au travail dans leurs fonctions habituellesNote de bas de page 21.
Le 16 juin 2022, les FAC ont publié un message dans lequel elles constataient la suspension de la politique sur la vaccination destinée à la fonction publique, et déclaraient être en train d’évaluer la nécessité de modifier les directives du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19. Le message mentionnait aussi que ces directives demeureraient en vigueur.
Le 11 octobre 2022, les FAC ont publié la Directive 003 du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 (« Directive 003 »)Note de bas de page 22. Cette nouvelle directive remplace toutes les directives antérieures concernant la vaccination et a mis fin, à partir du 11 octobre 2022, à l’ordre de vaccination obligatoire qui touchait tous les militaires (sauf ceux qui bénéficiaient d’un accommodement). Cette directive prévoit que dorénavant l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19 dépendra des besoins opérationnels. La vaccination reste obligatoire pour travailler dans certains postes et pour participer à certaines opérations. Cette exigence vise les missions et tâches à disponibilité opérationnelle élevée, celles susceptibles de faire partie d’un déploiement et celles jugées fondamentales durant lesquelles l’apparition d’une maladie engendrerait un risque pour la personne touchée ainsi que pour la mission. La Directive 003 énonce que les meilleures données scientifiques indiquent que la série primaire de vaccins contre la COVID‑19 protège contre la forme grave de la maladie, diminue les risques d’hospitalisation et diminue la probabilité d’incidents qui risqueraient d’avoir une incidence élevée sur les opérations et d’exiger une évacuation médicale. Cette directive mentionne que la vaccination n’est plus une condition à remplir lors de l’enrôlement. Enfin, selon la Directive 003, il est encore exigé que les militaires fournissent une attestation de leur statut vaccinal au moyen du système LCM - Gestion SSAM.
La Directive 003 du CEMD mentionne que les militaires n’ayant pas reçu la série primaire de vaccins ne sont plus obligés d’obtenir une mesure d’accommodement, mais qu’ils pourraient ne pas être autorisés à exécuter certaines tâches. Elle encourage l’ensemble des membres des FAC à être entièrement vaccinés. La Directive 003 est toujours en vigueur et elle continue d’exiger que soient vaccinés les militaires qui font partie de certaines unités ou qui occupent certains postes, notamment les militaires se joignant à des unités à disponibilité opérationnelle élevée et les militaires qui pourraient être envoyés dans des régions isolées où il y a peu d’accès aux soins de santé ou dans des secteurs où la vaccination est exigée pour pouvoir y entrer. La vaccination contre la COVID‑19 n’est plus obligatoire pour le reste du personnel.
La Directive 003 énonce que le changement apporté à la politique des FAC sur la vaccination n’a pas d’effet rétroactif. Ainsi, dans un cas où un examen administratif a eu lieu et qu’une décision de libération a été rendue, celle-ci sera exécutée. Cependant, si une décision de libération n’a pas encore été rendue, le dossier sera fermé. De plus, dans l’éventualité où une mesure corrective est inscrite dans le dossier d’un militaire, celle-ci y demeurera comme une preuve de refus de se conformer à un ordre légitime; cependant, si une période de surveillance est en cours, elle prendra fin. Un militaire, qui occupe un poste ou des fonctions qui exigent la vaccination, mais qui n’a pas obtenu la série primaire de vaccins (et décide de ne pas le faire), sera envoyé à une unité ou à un rôle qui est désigné comme n’exigeant pas la vaccination (paragraphe 14(d)). La Directive 003 précise que la politique sera revue et mise à jour selon l’évolution de la pandémie. Enfin, cette directive ordonne l’examen du CANFORGEN 012/22 et l’étude de la possibilité d’annuler ce CANFORGEN qui énonce que les dispositions de la DOAD 5019-2 (Examen administratif) ne s’appliquent pas aux militaires qui sont libérés en raison de la politique des FAC sur la vaccinationNote de bas de page 23.
En juin 2024, l’ancien CEMD (celui qui était en poste à cette époque) a rendu des décisions comme autorité de dernière instance dans le cadre de quatre griefs concernant la constitutionnalité de la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19, telle qu’elle figure dans les directives qu’il a publiées à ce sujetNote de bas de page 24.
Le 20 août 2024, le plaignant dans le dossier du Comité 2023-023 a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire relativement à la décision du CEMD dans son dossier de grief. Le plaignant demande que les FAC lui présentent des excuses et qu’elles lui octroient des dommages-intérêts, car il allègue que le CEMD [traduction] « a fondé sa décision sur des conclusions de droit erronées […]Note de bas de page 25 ».
Le 4 octobre 2024, le Conseil du Trésor a annulé la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada.
Position des Forces Armées Canadiennes
Dans cette section
Chef d’état-major de la défense
Le CEMD de l’époque, qui était l’autorité de dernière instance dans le cadre de griefs, était en désaccord avec le Comité sur sa recommandation selon laquelle les FAC devraient accueillir les griefs et reconnaître le caractère inconstitutionnel des directives du CEMD qui ordonnaient la vaccination de l’ensemble des militaires. Le CEMD a conclu que la politique qui rendait la vaccination obligatoire ne mettait pas en cause le droit à la liberté ni le droit à la sécurité de la personne des parties plaignantes qui sont garantis par l’article 7 de la Charte. Le CEMD a déclaré que, si les droits protégés par l’article 7 entraient en jeu, l’atteinte portée à ces droits était en conformité avec les principes de justice fondamentale et était justifiée dans le cadre de l’analyse du degré suffisant de proportionnalité selon l’article premier de la Charte. Il a expliqué que, lors de la publication de la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19, son intention était de [traduction] « garantir la disponibilité opérationnelle, l’efficacité et les capacités essentielles des FAC en protégeant les militaires contre la propagation du virus de la COVID-19 et contre le risque d’une maladie grave ou d’un décès ». Il a précisé que [traduction] « […] les militaires non vaccinés ne pouvaient pas contribuer à maintenir l’efficacité opérationnelle et l’interopérabilité des FAC de la même manière que le personnel vacciné ».
Selon le CEMD, la politique sur la vaccination obligatoire des FAC n’avait pas pour effet de contraindre les militaires à se faire vacciner sans leur consentement. [Traduction] « Au contraire, les ordres donnés offraient deux choix clairs à l’ensemble des militaires : soit vous fournissez une attestation qui confirme que vous êtes entièrement vaccinés, soit vous faites face à des conséquences particulières sur votre carrière militaire en raison de votre décision de ne pas fournir cette attestation et de rester non vaccinés. » Le CEMD a réitéré que les militaires demeuraient libres de faire des choix personnels fondamentaux en matière de traitement médical. De l’avis du CEMD, les conclusions et recommandations (C et R) du Comité ne tenaient pas compte du contexte dans lequel avait été prise la politique des FAC sur la vaccination. Le CEMD a expliqué que cette politique n’a pas été publiée dans un contexte de relation « employeur‑employé » puisque les militaires n’ont pas de relation contractuelle avec l’État, mais prennent plutôt un engagement unilatéral. Il a aussi ajouté que le service militaire est une situation unique et que, à l’époque, cela exigeait que l’ensemble des militaires obéissent à l’ordre donné de se faire vacciner avec dévouement, esprit d’initiative et discipline. Par ailleurs, le CEMD s’est dit aussi en désaccord avec le Comité sur ses conclusions selon lesquelles les conséquences sur la carrière militaire du refus de la vaccination obligatoire mettaient en cause le droit à la sécurité de la personne des parties plaignantes. Selon le CEMD, l’article 7 de la Charte ne s’applique pas aux cas où une personne dénonce une atteinte à ses droits économiques ou à son droit à subvenir à ses besoins en exerçant une profession particulière.
Le CEMD a conclu que l’exigence de la vaccination obligatoire avait un lien rationnel avec les objectifs de la politique, n’avait pas une portée excessive et ne présentait pas de disproportion totale. Il a conclu que, si l’exigence de la vaccination obligatoire mettait en cause les droits protégés par l’article 7 de la Charte, l’atteinte portée à ces droits serait en conformité avec les principes de justice fondamentale. Il a ensuite poursuivi son analyse en examinant l’article premier de la Charte afin de répondre aux arguments présentés par le Comité. Il a conclu que l’ordre de se faire vacciner (ou de faire l’objet d’une libération, en cas de refus) était justifié compte tenu du contexte de la pandémie de COVID-19 et du besoin d’atteindre l’objectif réel et urgent fixé par la politique des FAC sur la vaccination.
Vice-chef d’état-major de la défense
Avant la formulation de ses conclusions et recommandations concernant les premiers griefs reçusNote de bas de page 26 et avant la prise de décision par l’autorité de dernière instance dans ces griefs, le Comité a communiqué avec les FAC pour comprendre quelles informations et considérations avaient joué un rôle lors de l’élaboration de leur approche. Le Comité a expliqué qu’il avait reçu plusieurs griefs de militaires qui contestaient la constitutionnalité des directives du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19, en particulier les dispositions relatives aux militaires « réticents » à la vaccination. Le Comité a aussi expliqué que plusieurs parties plaignantes avaient fait valoir que la vaccination obligatoire comme condition de maintien d’emploi (sans que d’autres considérations soient prises en compte) portait atteinte à leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Dans sa réponse au Comité, la Vice-chef d’état-major de la défense (VCEMD), qui était en poste à l’époque et qui était désignée comme représentante du Bureau de première responsabilité selon la Directive 002 du CEMD, a expliqué qu’aucun militaire n’avait été forcé à subir un traitement médical. La VCEMD a indiqué que les FAC avaient respecté le droit des militaires de refuser un traitement médical, mais que ce droit était distinct de la perte possible de leur emploi en raison du refus de suivre les ordres du CEMD en matière de vaccination. La VCEMD a expliqué que le but et l’intention de l’Instruction du directeur - Politique de Santé 4030-57 (Instruction 4030-57, Consentement au traitement médical) étaient de permettre aux militaires de décider librement s’ils ou si elles souhaitaient recevoir un traitement médical, mais que [traduction] « [c]ela ne signifie pas qu’il n’y a pas de conséquences à un refusNote de bas de page 27 ».
Dans ses commentaires, la VCEMD a renvoyé le Comité au mémoire du procureur général dans l’affaire Neri concernant la politique sur la vaccination du gouvernement du CanadaNote de bas de page 28 ainsi qu’aux affidavits des experts qui ont été présentés par les FAC et par les responsables de la santé publique. Le Comité a réuni tous ces documents, comme faisant partie de la position des FAC, à l’appendice 3 de la présente annexe. La VCEMD a expliqué qu’il avait été ordonné aux FAC d’imposer une politique de vaccination obligatoire équivalente à celle que le gouvernement du Canada appliquait aux fonctionnaires et aux membres de la GRC. Selon la VCEMD, les FAC n’étaient pas en mesure de placer les militaires récalcitrants en congé sans solde. En effet, le chapitre 8 du Manuel sur les politiques régissant les congés des FAC empêche le CEMD d’ordonner que des militaires soient placés en congé sans solde. La VCEMD a précisé que les FAC n’avaient pas eu le temps de modifier ce manuel compte tenu des délais (qu’elles devaient suivre) prévus dans la politique sur la vaccination du gouvernement du Canada.
La VCEMD a mentionné que [traduction] « les FAC avaient étudié toutes les avenues possibles lorsqu’elles avaient voulu trouver la méthode la plus efficace pour respecter la directive donnée aux fonctionnaires par le gouvernement du Canada ». Elle a constaté que les fonctionnaires qui ne respectaient pas cette directive étaient placés en congé sans solde et il était entendu que, en fin de compte, ils seraient licenciés.
Directeur général – Plans, État-major interarmées stratégique
À la même époque, le Comité a aussi demandé des précisions au directeur général – Plans, État-major interarmées stratégique (DG Plans) qui est responsable de l’élaboration et de l’application des directives du CEMD. Le Comité souhaitait évaluer si les FAC avaient envisagé d’autres options, à part celle d’ordonner à l’ensemble des militaires de se faire vacciner s’ils ou si elles voulaient garder leur emploi. Le Comité a demandé si les FAC avaient étudié la possibilité de maintenir en poste les militaires « réticents » en mettant en place des solutions de rechange et certaines restrictions, comme dans le cas des militaires non vaccinés qui ont bénéficié d’un accommodement. Le DG Plans a répondu ce qui suitNote de bas de page 29 :
[Traduction] Non. Le CEMD a expliqué clairement dans sa politique qu’il était important de se faire vacciner pour protéger l’organisation, et que des données médicales sérieuses justifiaient l’application obligatoire de cette politique à tous les militaires sans exception. Comme dans le cadre d’autres politiques, un processus d’accommodement a été mis en place pour les militaires ayant des problèmes de santé déclarés préalablement qui les empêchaient de respecter la politique même s’ils auraient voulu le faire. Cela dit, le fait d’être « réticent » à la vaccination n’a jamais été considéré comme une option, et la politique a même prévu que la vaccination contre la COVID-19 était une condition permanente d’embauche à remplir lors de l’enrôlement.
Dans un affidavit déposé dans le cadre de l’affaire NeriNote de bas de page 30, le DG Plans a présenté des explications sur le contenu des directives du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 dont il était responsable. Il a expliqué que, avant l’avènement de la vaccination contre la COVID-19 au Canada, les FAC avaient réussi, grâce à l’application diligente des mesures de santé publique, à instaurer un environnement de travail sûr où il y avait peu de transmission du virus. La stratégie des FAC était en grande partie fondée sur les mesures de santé publique, notamment la distanciation physique, le port du couvre-visage, le lavage des mains et la mise en place d’un modèle de travail dispersé (une combinaison de travail à la maison et de présence au lieu de travail) ou de télétravail lorsque cela était faisable sur le plan opérationnel.
En ce qui a trait à la dernière mesure, le DG Plans a expliqué que la pandémie avait démontré que beaucoup de tâches pouvaient être accomplies en mettant en place un milieu de travail dispersé et du télétravail. Cependant, il a aussi ajouté que de nombreuses tâches des FAC ne pouvaient pas être effectuées adéquatement de cette manière. Selon le DG Plans, certains militaires qui travaillent dans des missions critiques ou qui accomplissent leurs fonctions dans un environnement où la distanciation physique est impossible peuvent être obligés de prendre des mesures de sécurité additionnelles (par exemple, subir un test de dépistage contre la COVID-19). Il a fait état de la contribution des FAC lors des mesures prises par le gouvernement du Canada pour faire face à la COVID-19, et lors des opérations entourant le lancement de la vaccination.
En ce qui concerne la vaccination, le DG Plans a expliqué que les FAC avaient encouragé ses membres à se faire vacciner une fois que Santé Canada avait approuvé l’utilisation de quatre vaccins contre la COVID-19 au Canada. Selon le DG Plans, le système de santé des FAC a obtenu, entre avril et juin 2021, une certaine quantité de vaccins contre la COVID-19 pour vacciner toutes les personnes qui bénéficiaient du régime de soins de santé de l’organisation. Par ailleurs, la campagne de vaccination contre la COVID-19 a été une réussite : au début d’octobre 2021, 91 % de ses membres étaient vaccinés (plus un 2 % additionnel de militaires qui étaient partiellement vaccinés). Ce taux de vaccination a permis d’atteindre un niveau élevé de protection de l’organisation, d’atténuer certaines mesures de santé publique à quelques endroits et de favoriser le commencement de la reconstitution des FAC. Le DG Plans a mentionné que, lorsque cela est possible, les FAC ont une obligation générale de veiller à la santé et à la sécurité de ses membres à leur lieu de travail. Il a précisé que l’élaboration de la politique des FAC sur la vaccination était fondée sur des données scientifiques (qui demeurent évolutives) fournies par l’ASPC. Enfin, le DG Plans a rappelé que la vaccination était un outil important, complémentaire aux mesures de santé publique recommandées, mais qui ne les remplaçait pasNote de bas de page 31.
Agence de la santé publique du Canada
L’ASPC était d’avis que les vaccins contre la COVID-19 étaient essentiels pour améliorer le fonctionnement de la société et atteindre une immunité collective. Les données scientifiques indiquent que les vaccins sont très efficaces pour prévenir la forme grave de la maladie, pour diminuer les risques d’hospitalisation et pour diminuer les risques de mort causés par la COVID‑19, et que le nombre d’éclosions diminue plus la couverture vaccinale augmente au sein de la population.
Une ébauche de rapport de l’ASPC en date du 17 août 2021 mentionne ce qui suitNote de bas de page 32 :
[Traduction] Les études de modélisation et les études prévisionnelles les plus récentes indiquent que, compte tenu de la couverture vaccinale actuelle (même si elle est très bonne), la capacité des régimes de soins de santé pourrait être dépassée durant la présente vague [quatrième vague]. Pour atténuer cette possibilité, il faudrait qu’au moins 80 % de la population générale admissible soit entièrement vaccinée. Toutefois, à la mi-août 2021, le pourcentage de la population générale admissible ayant obtenu globalement 2 doses de vaccins était de 71,3 %, et le pourcentage des groupes d’âge inférieurs était beaucoup plus faible (il était de 51 % dans le groupe des 18-29 ans) […].
Le fait de ne pas être vacciné est devenu un facteur de risque d’hospitalisation important. Depuis le 1er mai 2021, le taux d’hospitalisation liée à la COVID-19 des groupes de personnes non vaccinées est grandement supérieur au taux pour les groupes de la population dont les personnes sont entièrement ou partiellement vaccinées. […]
Actuellement, les personnes non vaccinées ont un risque accru d’infection et de complications graves en cas d’infection. La propagation du virus dans les zones à faible couverture vaccinale représente un risque constant d’apparition de nouveaux variants ou de remplacement par ceux-ci.
Au sujet des risques de transmission du virus, ce rapport indique que des études antérieures avaient démontré que la vaccination aidait à réduire la transmission puisque les personnes vaccinées étaient [traduction] « moins contagieuses »Note de bas de page 33. Cependant, l’affidavit fait état d’études récentes concernant le variant Delta qui démontrent que [traduction] « la charge virale dans des cas d’infection après vaccination (personnes entièrement vaccinées) pourrait être aussi élevée que dans des cas de personnes non vaccinées ». Le rapport de l’ASPC mentionne aussi que les avantages de la vaccination surpassent les risques de sécurité lorsque l’on compare ses avantages par rapport aux effets secondaires possibles. L’ASPC recommande fortement que tous les Canadiens et Canadiennes admissibles reçoivent une vaccination complète dès que possible. Le rapport de l’ASPC explique aussi que les lieux de travail sont des endroits propices aux éclosions, en particulier dans les endroits où il est difficile d’assurer une distanciation physique, où il n’est pas possible de travailler à distance et où l’application des mesures de santé publique a été ardue. Selon l’ASPC, on a réussi dans plusieurs lieux de travail à atténuer la transmission en instaurant des mesures efficaces de contrôle des infections. De plus, l’ASPC explique que la vaccination, lorsqu’elle est associée à d’autres mesures (port du couvre-visage, lavage des mains, bonne ventilation à l’intérieur, distanciation physique et évitement des foules), peut protéger la santé et le bien-être des membres du personnel.
Au sujet de la mise en œuvre d’une politique sur la vaccination obligatoire, l’ébauche de rapport de l’ASPC, qui a été citée par les FAC dans leur réponse au Comité, énonçait ce qui suit :
[Traduction] La participation à la vaccination a atteint un plateau et d’autres pays font face à ce même problème. Pour stimuler la participation à la vaccination, un nombre croissant de pays, de même que de provinces et de territoires, instaurent ou envisagent d’instaurer la vaccination obligatoire ou un passeport vaccinal pour des secteurs particuliers. Les répercussions de ces politiques de vaccination sur la participation à la vaccination seront mieux connues au courant de leur mise en œuvre.
Au sujet des vaccins autres que ceux contre la COVID-19, il y a des cas où la vaccination est obligatoire et cela peut être efficace pour accroître la participation à la vaccination. Cette stratégie est surtout efficace dans le cas de personnes qui sont insouciantes ou qui ne priorisent pas la vaccination dans leur vie quotidienne. D’autres stratégies fondées sur le dialogue sont efficaces pour motiver les personnes qui sont hésitantes. La combinaison de plusieurs stratégies est ce qu’il y a de plus efficace pour améliorer la participation à la vaccination.
[…] La présente situation démontre l’importance de continuer les efforts pour augmenter la participation à la vaccination au Canada afin d’atteindre la vaccination complète d’au moins 80 % des personnes de tous les groupes d’âge admissibles, surtout compte tenu du fait que le variant Delta est beaucoup plus contagieux que les précédentes souches ou précédents variants en circulation au Canada, et qu’une vaccination complète à deux doses d’un vaccin contre la COVID-19 offre une bonne protection contre le variant.
À l’époque de ce rapport, on s’attendait à ce que seulement 51,3 % à 73,1% des fonctionnaires fédéraux soient entièrement vaccinés. Le rapport de l’ASPC explique que la vaccination obligatoire dans les garderies, écoles, collèges et universités pourrait augmenter la couverture vaccinale de 18 %. Le rapport indique que l’efficacité de la vaccination obligatoire est affectée par la facilité à obtenir des exemptions et par le niveau de cohérence des mesures d’application; de plus, cette efficacité [traduction] « est moins claire lorsque le taux de référence de vaccination est déjà élevé ». Enfin, le rapport de l’ASPC précise qu’une politique sur la vaccination obligatoire comprend généralement des exemptions et n’exige pas l’exclusion des personnes non vaccinées, sauf en cas d’éclosion.
Santé Canada
Dans un autre affidavit déposé dans le cadre de l’injonction dans l’affaire Neri, la directrice générale de la Direction des médicaments biologiques et radiopharmaceutiques (Direction générale des produits de santé et des aliments à Santé Canada) a présenté des informations sur le processus d’élaboration et d’approbation des vaccins contre la COVID-19Note de bas de page 34. Elle a expliqué le fonctionnement des vaccins à ARN messager et elle a réitéré que les avantages associés aux vaccins autorisés dépassaient les risques d’effets secondaires signalésNote de bas de page 35. La directrice générale a aussi expliqué que les études ont révélé que le virus était le plus fréquemment transmis lorsque des personnes ont des contacts étroits avec d’autres personnes contaminées (que ces dernières aient ou non des symptômes) et que la plupart des cas de transmission survenaient à l’intérieur. La vulnérabilité face à la maladie de la COVID-19 dépend de facteurs individuels, sociaux et professionnels; en effet, le personnel de la santé et le personnel des services d’urgence qui ont beaucoup de contacts sociaux, ainsi que les personnes qui voyagent par affaires à l’étranger ont une plus grande vulnérabilitéNote de bas de page 36. Enfin, la directrice générale a indiqué que l’intervention canadienne de lutte contre la pandémie de COVID-19 et les mesures de relance avaient pour objectifs de diminuer le plus possible les cas graves et les décès ainsi que de réduire au minimum les perturbations sociétales, et ce, en utilisant une approche de gestion fondée sur l’évaluation des risques. Pour maximiser les mesures d’atténuation, il convient de superposer plusieurs mesures visant à réduire le risque de propagation de la COVID-19.
Par ailleurs, la directrice générale a expliqué, dans son affidavit, qu’il est raisonnable de prendre des mesures actives pour maitriser la propagation du virus. Par exemple, si le gouvernement du Canada prend des mesures pour réduire la propagation potentielle du virus de la COVID-19 dans ses bureaux et installations, il se trouve à protéger les Canadiens et Canadiennes, y compris ceux et celles qui sont à son emploi. Ces mesures permettront de réduire le poids que font peser les personnes atteintes de la COVID-19 sur les systèmes provinciaux de soins de santé aigus et urgents. De plus, le gouvernement du Canada va assurer le maintien des activités, malgré le risque de transmission continue de la COVID-19 et de ses variants, en réduisant les chances de transmission dans ses bureaux et installations.
Analyse
Dans cette section
- Portée de l’analyse
- Compétence du CEMD pour trancher des questions sur la Charte et sur la constitutionnalité d’une politique
- Droit à la liberté et droit à la sécurité de la personne selon l’article 7 de la Charte
- Principes de justice fondamentale dans le cadre de l’article 7 de la Charte
- La violation du droit à la liberté des parties plaignantes est-elle justifiée selon l’article premier de la Charte?
- Mesure de réparation applicable
Portée de l’analyse
Le Comité a reçu environ 200 griefs dans lesquels les parties plaignantes contestent la légalité des directives du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19, et leur application. Comme il l’a été mentionné précédemment, le 11 octobre 2022, les directives antérieures du CEMD ont été remplacées par la Directive 003 du CEMD, laquelle a réduit considérablement le champ d’application de la politique des FAC sur la vaccination. À titre de précision, le Comité n’examine pas le contenu de la Directive 003 dans la présente annexe. Le Comité examine plutôt la constitutionnalité des directives précédentes du CEMD, soit la première directive, la Directive 002 et la Directive 002 amendée, puisque leurs conséquences sont toujours valides et applicables pour la plupart des parties plaignantes. En effet, les mesures correctives qui ont déjà été imposées demeurent à leur dossier et les processus de libération enclenchés se poursuivent. L’analyse dans la présente annexe est pertinente dans la majorité des griefs sur le sujet de la vaccination dont est saisi le Comité. Mentionnons que le but de la présente annexe, qui aborde les questions communes posées dans tous ces griefs, est d’assurer une certaine cohérence et clarté lors de l’examen de griefs similaires, ainsi que de simplifier le processus d’examen de ces dossiers. La présente annexe fait partie intégrante de mes conclusions et recommandations dans tous les dossiers sur le sujet de la vaccination, et elle doit être lue en même temps que mon rapport de conclusions et recommandations dans chaque dossier.
Compétence du CEMD pour trancher des questions sur la Charte et sur la constitutionnalité d’une politique
La Charte, au paragraphe 24 (1), prévoit que toute personne dont les droits ou libertés garantis ont été violés ou niés peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir une réparation convenable et juste. Un tribunal compétent est celui qui a compétence pour accorder une réparationNote de bas de page 37. Le principe sous-jacent est que « les Canadiens doivent pouvoir faire valoir les droits et libertés que leur garantit la Constitution devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles »Note de bas de page 38.
Dans des griefs antérieurs, le Comité et l’autorité de dernière instance ont abordé des questions relatives aux droits fondamentaux des militaires qui sont protégés par la CharteNote de bas de page 39. Le paragraphe 18(1) de la Loi sur la défense nationaleNote de bas de page 40 (LDN) prévoit que le CEMD « assure la direction et la gestion des Forces canadiennes ». Selon le paragraphe 29 (1) de la LDN, tout officier ou militaire du rang qui s’estime « lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi ». Les tribunaux ont déclaré que le libellé de l’article 29 de la LDN est un texte « […] le plus large possible […], qui englobe toute formule, toute tournure, toute expression d’injustice, d’iniquité, de discrimination ou de quoi que ce soitNote de bas de page 41 ». Par ailleurs, la Cour fédérale a aussi expliqué que, pour être légal, un ordre du CEMD doit être compatible avec la ConstitutionNote de bas de page 42. De plus, même si les directives du CEMD ne sont pas des « règlements » à proprement parlerNote de bas de page 43, la Charte et ses valeurs s’appliquent aux politiques d’application générale qui ont une force exécutoire, et aux décisions administrativesNote de bas de page 44.
Récemment, la Cour fédérale a réitéré le principe voulant que les membres des FAC doivent aller au bout du processus de règlement des griefs avant d’entreprendre un autre recours. Elle a déclaré que les demandes fondées sur la Charte, visant à contester les directives du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19, peuvent être prises en compte au cours de la procédure de règlement des griefsNote de bas de page 45. Par ailleurs, bien que son pouvoir d’accorder un dédommagement financier soit limité, le CEMD a le pouvoir d’annuler et de modifier les directives sur la vaccination, et ce, conformément au paragraphe 52(1) de la Constitution, s’il les juge inconstitutionnelles. Le CEMD peut également annuler des mesures correctives, annuler des décisions concernant la libération d’un militaire et ordonner le réenrôlement de militaires, lorsque cela est faisable. Par conséquent, comme je l’ai conclu antérieurement, le CEMD a compétence pour examiner si la politique des FAC sur la vaccination est constitutionnelle. D’ailleurs, le CEMD, qui était en poste à l’époque des premiers griefs sur la question de la vaccination (lesquels avaient été renvoyés au Comité)Note de bas de page 46 et qui a joué le rôle d’autorité de dernière instance dans ces griefs, a déjà accepté qu’il avait une telle compétence.
Droit à la liberté et droit à la sécurité de la personne selon l’article 7 de la Charte
Comme je l’expliquerai dans l’analyse ci-dessous, j’en viens à la conclusion que les directives du CEMD, selon lesquelles l’ensemble des militaires doivent être vaccinés pour rester à l’emploi des FAC, portaient atteinte au droit à la liberté des parties plaignantes et possiblement aussi à leur droit à la sécurité de la personne, de tels droits étant garantis par l’article 7 de la Charte. Voici le texte de cet article :
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Pour démontrer qu’il y a eu atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de la personne, la situation d’une partie plaignante doit remplir un critère en deux parties. Il faut démontrer que : (1) il existe une atteinte à un des trois intérêts protégés (vie, liberté ou sécurité de la personne); et que (2) il n’a pas été porté atteinte à ce droit en conformité avec les principes de justice fondamentaleNote de bas de page 47.
Droit à la liberté
Engagement unilatéral des militaires envers l’État
Le CEMD a conclu que les C et R du Comité n’avaient pas suffisamment tenu compte du contexte particulier entourant les directives du CEMD sur la vaccination. Il a rappelé un principe reconnu que les militaires n’ont pas une relation contractuelle avec l’État et ont plutôt un engagement unilatéralNote de bas de page 48. Le CEMD a précisé que le monde militaire est unique : les militaires doivent faire face à des crises, partir en déploiement ou effectuer des tâches urgences, parfois avec peu de préavis (voire aucun) et peu de temps de préparation. Comme le CEMD l’a mentionné, il est bien établi en droit que la relation entre les militaires et l’État n’est pas une relation d’emploi contractuelle. Dans la décision Gallant, la Cour fédérale a déclaré que [traduction] « une personne qui se joint [aux FAC] prend un engagement unilatéral en échange duquel l’État n’assume aucune obligation ». Ce principe empêche donc les militaires d’intenter un recours fondé sur un congédiement injuste puisque les principes en droit de l’emploi ne s’appliquent pas à la relation entre l’État et ses soldatsNote de bas de page 49. Ces énoncés sont exacts et non contestés, mais le CEMD n’explique pas en quoi ce principe est pertinent pour aborder la question de la constitutionnalité de ses directives sur la vaccination obligatoire. Comme le CEMD l’a reconnu, la Charte s’applique à ses directivesNote de bas de page 50. Lors de décisions récentes, la Cour fédérale a indiqué que les autorités compétentes dans le cadre du processus de règlement des griefs ont compétence pour se pencher sur les demandes de militaires fondées sur la Charte qui visent à contester les directives du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 51. À mon avis, l’obligation qui fait en sorte que les directives du CEMD doivent respecter les dispositions de la Charte n’est pas altérée par la nature de l’engagement unilatéral des militaires envers l’ÉtatNote de bas de page 52. Je suis d’accord avec le CEMD sur le caractère unique du service militaire et sur le fait qu’une décision sur l’application de la Charte doit tenir compte du contexte d’une situation; cependant, ces deux éléments n’ont pas pour effet d’exempter les directives et ordres du CEMD de l’application de la Charte.
Droit de refuser un traitement médical
Le droit à la liberté protège le droit de tout adulte apte à faire ses propres choix en matière de soins de santé et de traitement médical, y compris le choix de refuser la vaccination. Cela dit, la Charte ne protège pas toutes les activités qu’une personne définit comme essentielles à son mode de vieNote de bas de page 53, mais les choix relatifs aux soins médicaux sont liés à l’autonomie et à la dignité d’une personne. Le droit à la liberté protégé par l’article 7 s’applique, généralement, aux affaires du domaine criminel et de l’immigration lorsque l’État impose une restriction à la liberté physique d’une personne au moyen de l’emprisonnement ou de la déportationNote de bas de page 54. Cependant, le droit à la liberté ne se limite pas à une simple absence de restriction à la liberté physiqueNote de bas de page 55. Le droit à la liberté protège aussi l’autonomie individuelle et la dignité d’une personne, y compris le droit de faire des choix très privés comme celui d’accepter ou de refuser un traitement médicalNote de bas de page 56. Les tribunaux ont reconnu un droit en « common law » qui permet aux patients et patientes de ne pas consentir à un traitement médical ou de demander, en cours de traitement, l’arrêt ou la suspension de ce traitement. Les tribunaux ont conclu que ce droit était protégé même dans des cas où les soins de santé ou le traitement médical auraient été bénéfiques pour la santé de la personne visée et où le refus allait probablement entrainer la mortNote de bas de page 57.
Dans ses décisions comme autorité de dernière instance, le CEMD a conclu que la directive, donnée aux militaires de se faire vacciner pour rester à l’emploi des FAC, ne touchait pas au droit à la liberté des parties plaignantes ni à leur droit à la sécurité de la personne. Selon lui, les parties plaignantes n’ont pas rempli la première partie du critère de l’article 7 de la Charte. Le CEMD a indiqué que [traduction] « [l]e droit à la liberté comprend le droit, pour tout adulte apte, de refuser un traitement médical et de faire des choix raisonnables en matière de soins de santé, sans devoir craindre de subir des poursuites criminelles ». À son avis, la politique sur la vaccination obligatoire n’obligeait pas les parties plaignantes à se faire vacciner sans leur consentement ou contre leur gré. Il a mentionné que :
[Traduction] […] les directives sur la vaccination des FAC proposaient un choix difficile à certains militaires : faites-vous vacciner, ou faites face à des conséquences sur votre carrière qui pourraient mener à la libération des FAC. Même s’il s’agissait d’un choix qui n’était pas facile, cette situation n’équivalait pas à de la coercition. Votre droit de refuser un traitement médical a été respecté.
Le CEMD a conclu qu’aucune personne parmi les militaires n’avait été « forcée » à être vaccinée contre son gré. Pour étayer ses conclusions, le CEMD s’est appuyé sur de la jurisprudence concernant des demandes d’injonction interlocutoire présentées à la suite de l’imposition de politiques en matière de vaccination par divers employeurs. Les passages cités par le CEMD (selon lesquels personne n’a été physiquement « forcé » de se faire vacciner) concernent la notion de « préjudice irréparable » qui est un des éléments que la partie demanderesse doit démontrer dans le cadre d’une injonction interlocutoire. Cependant, cet élément ne s’applique pas lors d’une analyse en fonction de l’article 7 de la Charte. Comme il l’a été mentionné précédemment dans la présente annexe, une personne qui fait valoir qu’il y a eu atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de la personne, doit démontrer qu’il existe une atteinte à un de ces intérêts protégés, et que cette atteinte n’a pas été portée en conformité avec les principes de justice fondamentale. Il s’agit d’un critère bien différent de celui qui s’applique dans le cas d’une injonction interlocutoire. En fait, la notion du « préjudice irréparable » est un critère plus rigoureux que celui prévu à l’article 7 de la Charte.Note de bas de page 58
Une injonction interlocutoire est une mesure extraordinaire qui peut être ordonnée avant l’audience sur le fond dans une affaire. Pour obtenir une injonction interlocutoire, la partie demanderesse doit démontrer les éléments suivants : (1) il existe une question sérieuse à juger; (2) la partie demanderesse subirait un « préjudice irréparable » si l’injonction est refusée; (3) une des parties subira un plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse l’injonction en attendant une décision sur le fondNote de bas de page 59. Dans la jurisprudence concernant des demandes d’injonction interlocutoire pour empêcher l’application de politiques en matière de vaccination, les tribunaux ont conclu que les parties demanderesses n’avaient pas démontré qu’elles subiraient un « préjudice irréparable » si l’injonction était refusée.
Les tribunaux ont expliqué qu’un « préjudice irréparable » est un préjudice qui ne peut pas être compensé par l’octroi de dommages-intérêtsNote de bas de page 60. Il s’agit d’un préjudice qui ne peut pas être quantifié d’un point de vue monétaire, ou un préjudice auquel on ne peut pas remédier. Ce concept renvoie à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. Il a été établi par la jurisprudence que la perte d’un emploi est un préjudice qui est « réparable » puisqu’il peut être compensé par une réintégration dans l’emploi ou par des dommages-intérêts. Dans des décisions relatives à la politique des FAC sur la vaccination, la Cour fédérale a indiqué que les parties demanderesses n’avaient pas démontré qu’elles subiraient un « préjudice irréparable » si elles décidaient de ne pas se conformer à la vaccination obligatoireNote de bas de page 61. À mon avis, la notion de « préjudice irréparable » ne s’applique pas lors de l’analyse visant à savoir si les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire portaient atteinte au droit à la liberté des parties plaignantes qui est garanti à l’article 7 de la Charte.
La question de la constitutionnalité des politiques sur la vaccination obligatoire, imposées par certains employeurs, est une question nouvelle; toutefois, la Cour fédérale a conclu qu’il existe de la jurisprudence qui permet « d’affirmer que le fait d’imposer une condition d’emploi qui touche au droit à la liberté ou à la sécurité de la personne peut constituer une atteinte à ce droit aux fins de l’analyse de l’article 7 ».Note de bas de page 62 Dans cette décision, la Cour fédérale n’a pas examiné la cause sur le fond, mais elle a rejeté l’argument selon lequel la vaccination obligatoire ne portait pas atteinte aux droits protégés à l’article 7. Dans une autre affaire, la Cour supérieure du Québec a aussi conclu que la vaccination obligatoire imposée par le ministre des Transports mettait en cause le droit à la liberté et à la sécurité des membres du personnel. La Cour a rejeté l’argument du procureur général du Canada selon lequel les personnes visées (soit les membres du personnel) n’étaient pas contraintes à être vaccinées, et elle a déclaré que « [c]ertes, on ne leur impose pas le traitement et elles conservent théoriquement le choix de l’accepter ou non. Mais les conséquences d’un refus sont telles que ce choix n’en est pas véritablement unNote de bas de page 63 ». Dans certaines décisions, des arbitres ont aussi convenu que l’obligation imposée aux membres du personnel de se faire vacciner pour conserver un emploi mettait en cause leur intégrité physique, y compris leur droit de prendre des décisions en matière de traitement médicalNote de bas de page 64. Il est souhaitable de mentionner qu’aucune de ces décisions ne lie les FAC; néanmoins, ces décisions démontrent que l’imposition de la vaccination obligatoire par un employeur peut constituer une atteinte au droit à la liberté d’une personne, et ce, sans qu’il y ait présence de contrainte physique. Dans l’arrêt BlencoeNote de bas de page 65, la Cour suprême a expliqué que :
49 Le droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte ne s’entend plus uniquement de l’absence de toute contrainte physique. Des juges de notre Cour ont conclu que la « liberté » est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influent sur les choix importants et fondamentaux qu’une personne peut faire dans sa vie. […] Dans notre société libre et démocratique, chacun a le droit de prendre des décisions d’importance fondamentale sans intervention de l’État. […]
La distinction à faire entre la « vaccination forcée » et la « vaccination obligatoire » était pertinente dans le cadre d’injonctions interlocutoires où les tribunaux devaient décider si les parties demanderesses subiraient un « préjudice irréparable ». Toutefois, cette distinction n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit d’étudier la constitutionnalité des directives du CEMD qui imposaient la vaccination obligatoire. Les parties plaignantes, dans les griefs qui nous intéressent, ne soutiennent pas que la chaine de commandement leur a imposé une contrainte physique afin de les vacciner contre leur gré. Il s’agit plutôt de démontrer, si on applique la première partie du critère prévu à l’article 7 de la Charte, que les dispositions contestées « mettent en cause » ou « portent atteinte » au droit de refuser la vaccination des parties plaignantes. Il n’est pas nécessaire de prouver qu’une personne a été contrainte physiquement à se faire vacciner contre son gré. Dans le contexte d’administration militaire en cause, si un ou une militaire refuse la vaccination, il est difficile d’imaginer que la chaine de commandement pourrait faire autre chose que de donner un ordre militaire de se faire vacciner.
Refus de la vaccination : une infraction en vertu du Code de discipline militaire
Comme je viens de l’expliquer, la protection du droit de refuser un traitement médical ne se limite pas à une protection contre des poursuites criminelles ou contre de la contrainte physique. Cela dit, il faut se rappeler que les militaires peuvent être poursuivis et même emprisonnés en vertu du Code de discipline militaire parce qu’ils refusent de suivre un ordre. Selon l’article 83 de la LDN, « [q]uiconque désobéit à un ordre légitime d’un supérieur commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale l’emprisonnement à perpétuité ». De plus, l’article 126 prévoit ce qui suit : « La transgression, délibérée et sans motif valable, de l’ordre de se soumettre à toute forme d’immunisation ou de contrôle immunitaire, à des tests sanguins ou à un traitement anti-infectieux constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, d’un emprisonnement de moins de deux ansNote de bas de page 66 ».
Dans ses décisions comme autorité de dernière instance, le CEMD a omis de tenir compte de ces dispositions tout en indiquant clairement que la vaccination obligatoire était un « ordre » donné à l’ensemble des militaires. Le CEMD a expliqué que le service militaire exige que les militaires [traduction] « obéissent aux ordres légitimes donnés avec dévouement, esprit d’initiative et discipline ». Il a indiqué que le devoir des parties plaignantes [traduction] « était de suivre ces ordres » et que l’omission de s’y conformer entrainerait [traduction] « des conséquences sur la carrière raisonnables et faciles à comprendre », notamment la libération des FAC. Compte tenu du contexte des FAC et des dispositions de la LDN, il est faux de dire que les militaires étaient libres de refuser la vaccination sans craindre de subir des poursuites criminelles puisque cela est une option prévue dans le Code de discipline militaire.
Dans l’arrêt SmithNote de bas de page 67, la Cour suprême a conclu que l’interdiction frappant la possession de formes non séchées de marijuana à des fins médicales limitait le droit à la liberté de la partie intimée, de même que d’autres personnes qui consomment de la marijuana à des fins médicales, en leur faisant craindre un emprisonnement s’il y avait déclaration de culpabilité. Il est important de noter qu’une « atteinte imminente » au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne est suffisante pour justifier un recours fondé sur l’article 7. Précisons que, selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un préjudice réelNote de bas de page 68. Pour les fins de la présente analyse, il n’est donc pas indispensable de démontrer que les FAC ont porté des accusations contre les parties plaignantes en vertu du Code de discipline militaire. Ainsi, le fait qu’il existe une possibilité que les FAC portent des accusations contre les parties plaignantes est un autre argument qui soutient ma conclusion selon laquelle les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire portaient atteinte au droit à la liberté.
Conclusions sur le droit à la liberté de refuser un traitement médical
Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les directives du CEMD, qui imposaient la vaccination obligatoire à l’ensemble des militaires pour rester à l’emploi des FAC, portaient atteinte au droit à liberté des parties plaignantes, lequel protège le droit de refuser un traitement médical. De plus, le fait que les militaires ont un engagement unilatéral envers l’État n’a pas pour effet d’altérer l’obligation du CEMD de respecter les droits des militaires garantis par la Charte. Par ailleurs, les parties plaignantes n’avaient pas à démontrer qu’elles avaient subi une contrainte physique ou avaient été forcées à être vaccinées afin de répondre à la première partie du critère prévu à l’article 7. J’en viens à la conclusion que les directives du CEMD portaient atteinte à la liberté des parties plaignantes, comme militaires, de faire leurs propres choix en matière de traitement médical. Précisons que le refus de se faire vacciner était susceptible de mener au dépôt d’accusations et à une peine d’emprisonnement en vertu du Code de discipline militaire. Enfin, ma conclusion, selon laquelle les directives du CEMD portaient atteinte au droit à la liberté des parties plaignantes, est suffisante pour passer à l’analyse de la deuxième partie du critère prévu à l’article 7 qui permettra de voir si cette atteinte a été portée en conformité des principes de justice fondamentale. Néanmoins, avant de passer à cette étape, je souhaite examiner si le droit des parties plaignantes à la sécurité de la personne a été mis en cause par la politique des FAC sur la vaccination puisque cet argument a aussi été présenté par certaines parties plaignantes.
Droit à la sécurité de la personne
Le droit à la sécurité d’une personne protège son intégrité physique et psychologique. Comme le droit à la liberté, le droit à la sécurité de la personne garantit l’intégrité physique d’une personne de même que sa dignité et son autonomie ce qui comprend le droit d’interrompre ou de refuser des soins médicauxNote de bas de page 69. Il y a une atteinte au droit à la sécurité d’une personne si l’État nuit à l’intégrité physique ou psychologique de cette personne. Néanmoins, il faut rappeler que le droit à la liberté et le droit à la sécurité de la personne sont des intérêts distincts et que les parties plaignantes n’ont pas à démontrer que les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire portaient atteinte à ces deux droitsNote de bas de page 70.
Droits purement économiques : des droits non protégés par la Charte
L’article 7 ne protège pas le droit de pratiquer une profession réglementée ni le droit d’exploiter un commerce, lesquels sont décrits comme « des intérêts purement économiques ». À ce sujet, les tribunaux ont rejeté les arguments selon lesquels l’application d’une disposition réglementaire, qui concernait une profession réglementée ou des activités économiques, avait occasionné un stress ou de l’anxiété à un point tel qu’elle portait atteinte au droit à la sécurité de la personne. Les tribunaux ont conclu que, dans ces cas, les intérêts en cause étaient purement économiques et n’étaient pas protégés par la CharteNote de bas de page 71. Les tribunaux ont reconnu qu’une personne est susceptible de vivre du stress et de l’anxiété lors de la possibilité de voir sa carrière professionnelle prendre fin, mais ils ont conclu que ce n’était pas le type de souffrance qui était protégé par le droit à la sécurité de la personne. Dans l’arrêt Siemens, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :
46. Dans la présente affaire, le droit que les appelants auraient d’exploiter des ALV [appareils de loterie vidéo] dans leurs établissements ne saurait être qualifié de choix fondamental dans leur vie. Il représente simplement un intérêt économique. La capacité d’une personne de générer un revenu d’entreprise par le moyen de son choix n’est pas un droit garanti par l’art. 7 de la CharteNote de bas de page 72.
Dans la décision Tanase, l’appelant était un hygiéniste dentaire qui avait eu une relation sexuelle avec une patiente qu’il traitait. Ils ont fini par se marier et l’appelant a continué à traiter son épouse. L’Ordre des hygiénistes dentaires de l’Ontario a conclu que l’appelant avait eu un écart de conduite professionnelle puisqu’il n’avait pas respecté l’interdiction d’avoir une relation avec une patiente ou un patient. Son permis d’exercice a été révoqué. La Cour a conclu que la révocation du permis d’exercice ne portait pas atteinte aux droits de l’appelant garanti par l’article 7 de la Charte. La Cour a énoncé ce qui suit :
[Traduction]
[35] […] Le droit à la sécurité de la personne n’a pas été mis en cause par la révocation du permis d’exercice malgré le stress, l’anxiété et la stigmatisation qui peuvent inévitablement découler de procédures disciplinaires liées à des allégations de maltraitance sexuelle. Le droit à la liberté n’a pas non plus été touché. […].
Cela étant dit, la Cour suprême du Canada a déclaré, dans l’arrêt Irwin Toy Ltd., que l’exclusion de la protection de la Charte, dans les cas liés aux droits purement économiques, n’est pas absolue : « Cela ne signifie pas cependant qu’aucun droit comportant un élément économique ne peut être visé par l’expression « sécurité de sa personneNote de bas de page 73 » ». Dans cet arrêt, la Cour suprême a indiqué que le droit à la sécurité de la personne pouvait offrir une protection contre une atteinte aux droits économiques qui sont fondamentaux à la survie de la personne. Lorsqu’une disposition réglementaire régit l’activité économique, une distinction est faite entre celle qui peut entrainer une limite des profits ou des revenus (alors, l’article 7 n’est pas en jeu) et celle qui peut causer une privation totale d’un moyen de subsistance (l’article 7 peut être en cause)Note de bas de page 74. Dans l’arrêt Irwin Toy Ltd., la Cour suprême a expliqué ce qui suit :
Cela ne signifie pas cependant qu’aucun droit comportant un élément économique ne peut être visé par l’expression « sécurité de sa personne ». […] la rubrique des « droits économiques » couvre un vaste éventail d’intérêts qui comprennent tant certains droits reconnus dans diverses conventions internationales -- tels la sécurité sociale, l’égalité du salaire pour un travail égal, le droit à une alimentation, un habillement et un logement adéquats -- que les droits traditionnels relatifs aux biens et aux contrats.
Même s’il faut encore que les tribunaux circonscrivent quels sont les droits économiques qui pourraient être protégés par l’article 7, il existe de nombreuses décisions dans lesquelles les tribunaux ont énoncé que le travail constitue un aspect fondamental de la vie d’une personne et contribue à sa dignité. D’ailleurs, la Cour suprême a déclaré que « [l]e travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personneNote de bas de page 75 ». Récemment, la Cour supérieure du Québec a conclu que la politique de vaccination obligatoire de Transports Canada portait atteinte au droit à la sécurité de la personne des membres du personnel concernésNote de bas de page 76. Dans cette décision, la Cour a conclu que les déclarations des membres du personnel démontraient la gravité de l’atteinte et que l’« [o]n aurait tort de minimiser ou de banaliser la pression ainsi causée » par la menace de la perte d’emploi.
Dans le cas des parties plaignantes, les conséquences de ne pas se conformer aux directives du CEMD sur la vaccination obligatoire étaient les suivantes : elles se voyaient imposer des mesures correctives (en raison d’un manquement à la conduite) durant 14 jours et, ensuite, si elles refusaient toujours la vaccination, elles étaient libérées des FAC. Dans certains griefs examinés par le Comité, des militaires malades ou blessés, qui n’étaient pas aptes au déploiement et étaient en voie d’être libérés pour des raisons de santé, ont subitement été libérés en raison d’un manquement à la conduite parce que ces militaires ne s’étaient pas conformés aux directives sur la vaccination obligatoire. La décision de les libérer (sans que d’autres considérations soient prises en compte) les a privés de leur capacité de gagner leur vie de même que d’un accès à des services essentiels pour faciliter une transition réussie vers la vie civile. Dans un dossier particulier, le processus expéditif de libération a fait en sorte qu’un plaignant s’était retrouvé sans résidence étant donné qu’il habitait dans un logement des FAC en attendant sa libération pour des raisons de santé. De plus, certaines parties plaignantes ont déploré le fait que leur libération expéditive avait nui à leur droit de toucher une prestation de retraite parce que ces militaires avaient été libérés durant leur 24e année de service (malgré un dossier impeccable), soit lors de leur dernière année de service avant d’atteindre le cap des 25 ans de service et d’avoir droit à la prestation de retraite. À mon avis, les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire et les conséquences de la non-conformité à ces directives ont pu porter atteinte au droit à la sécurité de la personne de parties plaignantes dans certains de ces cas.
La jurisprudence citée démontre que, lors de l’analyse du droit de la sécurité de la personne, l’exclusion de la protection de la Charte, dans les cas liés aux droits purement économiques, n’est pas absolue. Par ailleurs, à mon avis, il est important de faire une distinction entre les affaires concernant des intérêts purement économiques et les griefs des militaires qui concernent l’imposition de la vaccination obligatoire par les FAC. En effet, dans ces dossiers, les parties plaignantes n’ont pas soutenu que la menace de subir une libération avait porté atteinte à leur droit de la sécurité de la personne. Les parties plaignantes ont plutôt fait valoir que les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire (qui comportaient la menace d’une libération) avaient porté atteinte à leur droit à la liberté de refuser un traitement médical. Mentionnons qu’aucune des décisions rendues dans des affaires relatives à des droits purement économiques ne soulevait la question d’un traitement médical imposé. Le fait que les directives en cause ont été données dans le contexte de l’emploi des parties plaignantes (ou de l’engagement unilatéral envers l’État en tant que militaires) ne signifie pas que ces parties plaignantes cherchaient à obtenir la protection de la Charte relativement à des « droits purement économiques ». Je conclus que le principe qui vise à exclure les « droits purement économiques » de l’application de la Charte ne s’applique pas aux griefs dont est saisi le Comité, et ce, contrairement à la conclusion du CEMD sur ce sujet.
Comme je l’ai expliqué auparavant, le droit à la liberté et le droit à la sécurité de la personne sont des droits distincts qui sont tous les deux protégés par l’article 7 de la Charte. Les parties plaignantes n’ont pas à démontrer que les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire portaient atteinte à ces deux droitsNote de bas de page 77. Je suis déjà venue à la conclusion que les directives du CEMD portaient atteinte au droit à la liberté des parties plaignantes lequel comprend le droit de refuser un traitement médical. Je conclus aussi que les conséquences de la non-conformité des directives du CEMD pouvaient porter atteinte au droit à la sécurité de la personne des parties plaignantes dans certains cas. Les présentes conclusions m’amènent à entamer l’analyse, dans le cadre de la deuxième partie du critère de l’article 7, qui prévoit que cette atteinte aux droits n’est acceptable que si elle est portée en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Principes de justice fondamentale dans le cadre de l’article 7 de la Charte
La deuxième partie de l’analyse prend en considération le fait que les droits protégés par l’article 7 de la Charte ne sont pas absolus et peuvent être limités en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ces principes veillent à ce que l’atteinte portée au droit à la vie, au droit à la liberté et au droit à la sécurité de la personne ne soit pas arbitraire, de portée excessive ou de manière totalement disproportionnée. De plus, les principes de justice fondamentale englobent l’obligation d’équité procédurale laquelle tient compte de la gravité de l’atteinte au droitNote de bas de page 78. Les tribunaux ont constaté que les principes de justice fondamentale requièrent d’examiner si un lien rationnel existe entre la politique (ou la règle) contestée et son effet sur la personne concernée. Le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion totale d’une mesure peuvent tous les trois être établis en fonction de l’effet sur une seule personne. De plus, si on en vient à la conclusion qu’il y a eu atteinte à au moins un de ces principes, il est alors possible d’entamer une analyse selon l’article premier de la CharteNote de bas de page 79. Mentionnons que les principes de justice fondamentale doivent être appliqués en faisant un examen attentif du contexte, c’est donc dire qu’ils varieront en conséquenceNote de bas de page 80.
Il est reconnu qu’il faut adopter une « interprétation libérale et généreuse des droits garantis par la Charte, qui permet de réaliser pleinement le but du droit en question ainsi que celui de la Charte dans son ensembleNote de bas de page 81 ». La Cour suprême a énoncé que le but de la Charte « est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu’elle enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d’agir à l’encontre de ces droits et libertés; elle n’autorise pas en soi le gouvernement à agirNote de bas de page 82 ». De plus, il a été établi que les tribunaux ainsi que les décideurs et décideuses des instances administratives ne devraient pas adopter une interprétation indûment restrictiveNote de bas de page 83. L’interprétation de la Charte doit aussi se faire de manière à ce que les droits protégés puissent évoluer avec le temps, un principe qu’on appelle la doctrine de « l’arbre susceptible de croîtreNote de bas de page 84 ».
Dans l’arrêt Bedford, la Cour suprême a exposé ce qui suit :
[97] Les notions d’arbitraire, de portée excessive et de disproportion totale ont connu une évolution endogène au fur et à mesure que les tribunaux ont été saisis d’allégations nouvelles fondées sur la Charte.
[107] Bien qu’il y ait un chevauchement important entre le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion totale, et que plus d’une de ces trois notions puissent bel et bien s’appliquer à une disposition, il demeure que les trois correspondent à des principes distincts qui découlent de ce que Hamish Stewart appelle un [traduction] « manque de logique fonctionnelle », à savoir que la disposition « n’est pas suffisamment liée à son objectif ou, dans un certain sens, qu’elle va trop loin pour l’atteindre » (Fundamental Justice : Section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms (2012), p. 151). Peter Hogg explique :
[Traduction] Les principes liés à la portée excessive, à la disproportion et au caractère arbitraire visent tous au fond à pallier ce que Hamish Stewart appelle un « manque de logique fonctionnelle », en ce sens que le tribunal reconnaît l’objectif législatif, mais examine le moyen choisi pour l’atteindre. Si ce moyen ne permet pas logiquement d’atteindre l’objectif, la disposition est dysfonctionnelle eu égard à son propre objectif. (« The Brilliant Career of Section 7 of the Charter » (2012), 58 S.C.L.R. (2d) 195, p. 209 (renvoi omis)).Note de bas de page 85
Comme il l’a été mentionné précédemment, il est suffisant de conclure qu’un seul des principes de justice fondamentale n’a pas été respecté pour pouvoir venir à la conclusion qu’il y a eu atteinte aux droits fondamentaux des parties plaignantes garantis à l’article 7. Ainsi, s’il y a non-respect d’un des principes, explicités ci-dessous, on peut entreprendre l’analyse sur la question de la constitutionnalité en vertu de l’article premier de la Charte selon l’arrêt Oakes. Cela dit, l’analyse qui suivra étudie certains aspects de la politique des FAC sur la vaccination, telle qu’elle figure dans les directives du CEMD, en abordant chacun des trois principes de justice fondamentale.
Le caractère arbitraire : les deux groupes de militaires non vaccinés
On considèrera qu’une politique (ou une règle) est arbitraire si elle n’a pas de lien rationnel avec son objet. Cette politique (ou règle) ne permet pas la réalisation de ses objectifs en ce qu’elle porte atteinte à des droits reconnus par la Charte sans promouvoir le bien public que l’on dit être l’objet de la loiNote de bas de page 86. L’existence et l’entrée en vigueur de la politique des FAC sur la vaccination n’est pas en soi arbitraire dans le contexte d’une pandémie mondiale du virus de la COVID-19. En effet, les données scientifiques démontrent que les vaccins contre la COVID-19 sont efficaces pour réduire les risques de développer la forme grave de la maladie ou de décéder de cette maladie. Comme le CEMD l’a réitéré dans ses décisions, il a publié les directives en matière de vaccination [traduction] « pour rendre la vaccination obligatoire et ainsi garantir la disponibilité opérationnelle, l’efficacité et les capacités essentielles des FAC en protégeant les militaires contre la propagation du virus de la COVID-19 et contre le risque d’une maladie grave ou d’un décès ».
D’ailleurs, dans le contexte de la pandémie, la Cour fédérale a déclaré que « […] l’existence d’une politique, telle que la politique des FAC sur la vaccination, ne suffit pas, en soi, à justifier une contestation au titre de l’article 7 de la CharteNote de bas de page 87. » Compte tenu de la gravité de la pandémie de COVID-19, des possibles conséquences d’une infection causée par ce virus, des répercussions sociales et économiques de la pandémie, des conditions inhérentes au service militaire et du rôle de la vaccination pour prévenir la forme grave de la maladie, il existe clairement un lien rationnel entre la mise en œuvre d’une politique sur la vaccination et son objectif de protéger la santé et la sécurité. De plus, il faut tenir compte du fait que les militaires des FAC peuvent être appelés à accomplir du service dans diverses conditions et divers endroits, y compris dans des environnements où il y a un risque élevé de transmission de la COVID-19 et d’infection par ce virus. Dans un tel contexte, il était justifié de mettre en place une politique sur la vaccination. Toutefois, le fait d’en venir à cette conclusion ne met pas fin à l’analyse de la question du possible caractère arbitraire de la politique visée. En effet, il faut de surcroît étudier les effets de l’application de la politique des FAC sur la vaccination pour voir si le traitement des militaires conformément à cette politique avait un lien rationnel avec son objectif.
Regardons cela de plus près. Selon la politique des FAC sur la vaccination, les militaires non vaccinés étaient jugés soit « incapables » de se faire vacciner, soit « réticents » à se faire vacciner. Le groupe des militaires « incapables » de se faire vacciner était composé de militaires qui avaient obtenu une exemption d’être vacciné en raison d’une contre-indication médicale certifiée, de motifs religieux ou de tout autre motif de distinction illicite. Ces militaires ont bénéficié de solutions de rechange : travail à distance, autres modalités de travail, autre horaire de travail et diverses autres solutions. Le groupe des militaires « réticents » était composé de militaires qui n’avaient pas reçu une exemption de la vaccination obligatoire. Ces militaires ont fait l’objet de mesures correctives et d’autres mesures administratives qui allaient jusqu’à la libération des FAC. Le Comité a été informé que, lors de l’entrée en vigueur de la politique des FAC sur la vaccination, 91 % à 93 % des militaires étaient entièrement vaccinés ou partiellement vaccinés. Ce pourcentage élevé laissait croire que les militaires « réticents » étaient peu nombreux. C’est pour cette raison que le Comité a demandé à la VCEMD et au DG Plans s’il était possible d’offrir aux militaires « réticents » des solutions de rechange ou un congé sans solde (comme c’était le cas des fonctionnaires fédéraux non vaccinés). Dans leur réponse au Comité, les FAC ont indiqué que ces options prenaient trop de temps à mettre en place ou n’avaient pas été envisagées. Il existait peut-être des éléments de preuve qui justifiaient de traiter différemment ces deux groupes de militaires; cependant, ces éléments de preuve n’ont pas été fournis au Comité. Puisque certains militaires « réticents » étaient en congé parental, en congé de maternité ou en voie d’obtenir une libération pour des raisons de santé, il est difficile, en l’absence d’éléments de preuve, d’établir un lien rationnel entre l’application de la politique des FAC sur la vaccination à ces militaires, et l’objectif de cette politique.
Dans le contexte de la pandémie, la Cour fédérale a récemment expliqué lors de l’affaire Spencer qu’une politique peut être jugée arbitraire si elle traite différemment deux groupes de personnes qui présentent des risques semblables en faisant en sorte que ces personnes ne sont pas assujetties aux mêmes restrictions quant à leur libertéNote de bas de page 88. Dans cette décision, la Cour fédérale a indiqué qu’« [u]ne loi peut être jugée arbitraire pour plusieurs motifs » et qu’on tirera une telle conclusion lorsque la loi ne punit qu’un seul groupe de gens malgré le fait que d’autres personnes qui posent un risque semblable ne sont pas assujetties aux mêmes restrictions quant à leur liberté. Dans cette affaire, la Cour a conclu que la différence de traitement entre deux groupes (il s’agissait de voyageurs) était justifiée compte tenu des données scientifiques qui démontraient que ces groupes ne présentaient pas le même niveau de risque de transmission du virus de la COVID-19. La Cour a pris en compte des éléments de preuve qui démontraient que les voyageurs par voie aérienne avaient plus de chance de prendre le transport en commun vers leur lieu de résidence (ce qui augmentait le risque de transmission) alors que la plupart des voyageurs arrivant aux frontières terrestres conduisaient leur propre véhicule pour se rendre directement à leur résidence (ce qui entrainait peu de contacts avec d’autres personnes et diminuait les risques de transmission). Dans l’arrêt Ewert, la Cour suprême a examiné la comparaison, qui était faite par la partie appelante, entre l’effet de certains tests contestés sur des délinquants autochtones et des délinquants non autochtones pour décider si cette pratique (c’est-à-dire l’utilisation de ces tests) avait un lien rationnel avec l’objectif visé par la mesure gouvernementale en causeNote de bas de page 89.
Dans un autre arrêt, la Cour suprême a expliqué que « une règle de droit est arbitraire si elle “n’a aucun lien ou est incompatible avec l’objectif ” qu’elle viseNote de bas de page 90 ». La Cour a déclaré que :
[131] Pour ne pas être arbitraire, la restriction apportée à la vie, à la liberté et à la sécurité requiert l’existence non seulement d’un lien théorique entre elle et l’objectif du législateur, mais encore d’un lien véritable d’après les faits. Il appartient au demandeur de démontrer l’absence de lien dans ce sens. Dans chaque cas, il faut se demander si la mesure est arbitraire au sens de n’avoir aucun lien véritable avec l’objectif visé et d’être, de ce fait, manifestement injuste. Plus l’atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne est grave, plus le lien doit être clair. […]
De nombreuses parties plaignantes ont contesté le fait que les FAC aient traité différemment les militaires jugés « réticents » à la vaccination et ont expliqué qu’elles avaient été en mesure de bien accomplir leur travail malgré certaines restrictions imposées durant les 18 premiers mois de la pandémie et avant l’obligation de se faire vacciner. Le Comité n’a obtenu aucune information ou aucun élément de preuve qui démontrait que les militaires « réticents » à la vaccination représentaient un plus grand risque de propagation du virus que les militaires « incapables » de se faire vacciner. Dans ses décisions, le CEMD a mentionné l’obligation des FAC d’offrir un accommodement aux militaires incapables de se faire vacciner en raison d’un motif de distinction illicite défini dans la LCDP. Il a précisé que [traduction] « le fait d’exempter d’autres militaires de la vaccination obligatoire aurait nui à la capacité des FAC de protéger notre personnel de risques graves pour la santé liés à la COVID-19 et de garantir l’efficacité et les capacités essentielles des FAC d’une manière réelle et substantielle ». Le CEMD a indiqué que les militaires non vaccinés avaient un plus grand risque de contracter la COVID-19, de souffrir des conséquences graves de ce virus sur leur santé, et de le transmettre à d’autres personnes. Le CEMD a aussi expliqué que les autres modalités de travail proposées visaient à atténuer ces risques et que le fait de permettre aux militaires « réticents » à la vaccination de [traduction] « travailler à distance ou de bénéficier d’autres modalités de travail aurait pu réduire ces risques jusqu’à un certain point. Par contre, cela n’aurait pas permis d’atteindre les objectifs des directives des FAC sur la vaccination d’une manière réelle et substantielle ». Les FAC ont certes respecté leurs obligations en vertu de la LCDP. Cela dit, je remarque que le DG Plans (qui était responsable de l’élaboration et mise en œuvre des directives du CEMD) a déclaré, dans sa réponse aux questions du Comité, que les FAC n’avaient même pas envisagé la possibilité d’offrir d’autres modalités de travail aux militaires non vaccinés qui n’étaient pas exemptés de la vaccination en vertu de la LCDP parce que « le fait d’être réticent à la vaccination n’a jamais été considéré comme une option ».
Le traitement différent de deux groupes de militaires non vaccinés a créé une situation où deux militaires, qui travaillaient dans des environnements similaires, étaient traités complètement différemment sur le seul fondement de leur raison personnelle de refuser la vaccination durant le délai prescrit de 14 jours. Sans élément de preuve qui démontrait qu’un des deux groupes de militaires vaccinés présentait plus de risques que l’autre, et sans exigences opérationnelles manifestes qui justifiaient d’offrir d’autres modalités de travail seulement aux militaires « incapables » de se faire vacciner (tout en imposant des restrictions aux militaires « réticents » à la vaccination, y compris la libération), je ne vois pas en quoi cette distinction permettait d’atteindre l’objectif visé par la politique en cause. En fait, j’estime plutôt que c’est le contraire, car je remarque que les FAC ont libéré des centaines de militaires formés et compétents (uniquement à cause du refus de se conformer à la vaccination obligatoire, imposée temporairement), et ce, dans un moment de [traduction] « grave pénurie de personnel », tel que le CEMD l’a écrit dans ses décisions comme autorité de dernière instance. Or, à mon avis, une telle situation a pour effet de contredire l’objectif de la politique qui consistait, notamment, à soutenir l’efficacité opérationnelle et les capacités essentielles des FAC.
Bien que l’élaboration et l’instauration de la politique des FAC sur la vaccination n’était pas arbitraire, je conclus que certains aspects de sa mise en œuvre étaient arbitraires compte tenu du fait que les deux groupes de militaires non vaccinés (les militaires « incapables » de se faire vacciner et les militaires « réticents » à la vaccination) ont été traités très différemment.
La portée excessive : le fait que les directives du CEMD s’appliquaient à tous les militaires
Pour éviter d’avoir une portée excessive, une politique doit être raisonnablement adaptée de manière à ne pas s’appliquer à certains actes qui n’ont aucun lien avec l’objectif visé. Il s’agit de savoir si la politique a une portée tellement vaste qu’elle a une incidence sur un droit garanti par l’article 7 qui n’a aucun lien avec l’objectif de la politiqueNote de bas de page 91. Une politique sera aussi jugée comme ayant une portée excessive lorsqu’il n’y a pas de lien rationnel entre le but de cette politique et certaines de ses incidences (mais pas toutes). Cela peut se produire lorsqu’un État utilise des moyens excessifs pour atteindre l’objectif et que seulement certains effets de la politique sont arbitrairesNote de bas de page 92. La Cour suprême a expliqué ce qui suit:
[113] L’application de la notion de portée excessive permet au tribunal de reconnaître qu’une disposition est rationnelle sous certains rapports, mais que sa portée est trop grande sous d’autres. Malgré la prise en compte de la portée globale de la disposition, l’examen demeure axé sur l’intéressé et sur la question de savoir si l’effet sur ce dernier a un lien rationnel avec l’objet. Par exemple, lorsqu’une disposition est rédigée de manière générale et vise des comportements qui n’ont aucun lien avec son objet afin de faciliter son application, il n’y a pas non plus de lien entre l’objet de la disposition et son effet sur l’intéressé. Faciliter l’application pourrait justifier la portée excessive d’une disposition suivant l’article premier de la CharteNote de bas de page 93.
Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême a déclaré que « [i]l ne s’agit pas de savoir si le législateur a choisi le moyen le moins restrictif, mais de savoir si le moyen choisi porte atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne d’une manière qui n’a aucun lien avec le mal qu’avait à l’esprit le législateur ». Comme il l’a été exposé dans les arrêts Carter et Bedford, l’analyse de la portée excessive consiste à examiner si une politique contestée « va trop loin en niant les droits de certaines personnes d’une façon qui n’a aucun rapport avec son objet » de telle manière que l’incidence de cette politique « n’était pas nécessaire » à l’égard d’au moins une personne.
À propos de la portée excessive, le CEMD, dans ses décisions comme autorité de dernière instance, a expliqué que [traduction] « une directive de portée excessive possède, à certains égards, un lien rationnel avec son objectif, mais va trop long et s’applique à certains actes qui n’ont aucun lien avec l’objectif visé [soulignement dans l’original] ». Il a aussi indiqué que [traduction] « le service militaire et ses valeurs ont quelque chose d’unique » et exigent que les militaires [traduction] « obéissent totalement aux ordres légitimes et les exécutent pour garantir l’efficacité opérationnelle et la réussite des missions ». Il a présenté trois arguments pour répondre aux conclusions du Comité selon lesquelles les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire étaient de portée excessive : (1) les vaccins contre la COVID-19 sont des moyens efficaces pour assurer la santé et la sécurité des militaires; (2) la vaccination soutenait la capacité des FAC de répondre immédiatement à des missions opérationnelles ([traduction] « les militaires qui travaillent à distance ou qui ont obtenu une catégorie médicale temporaire peuvent, en tout temps, être rappelés, pour des raisons opérationnelles, afin de travailler sur une base, un navire ou une escadre ») et (3) les FAC connaissent une grave pénurie de personnel. Le CEMD a déclaré que [traduction] « Notre équipe devait être prête pour produire les effets stratégiques ordonnés par le gouvernement ». Le CEMD a exposé ce qui suit :
[Traduction] Chaque militaire apte sur le plan médical est dans l’obligation de soutenir la disponibilité opérationnelle de l’organisation. Les directives sur la vaccination des FAC imposaient des restrictions raisonnables aux militaires non vaccinés qui limitaient leur capacité de partir en formation ou en déploiement. Malgré leur caractère raisonnable, ces restrictions signifiaient que les militaires non vaccinés ne pouvaient pas contribuer à maintenir notre efficacité opérationnelle et notre interopérabilité de la même manière que les militaires vaccinés. À une époque où les risques à la sécurité étaient accrus, notre organisation devait maintenir une force opérationnelle efficace. Les exigences imposées par les FAC permettaient à notre personnel d’être dans une meilleure posture pour partir en formation (individuelle ou collective) ou servir dans le cadre d’opérations, au besoin.
L’imposition de la vaccination obligatoire à l’ensemble des militaires avait pour effet de réduire ces risques. Cela avait un lien direct avec l’atteinte des objectifs des directives sur la vaccination des FAC. Cette mesure n’avait pas une portée excessive. Il en est ainsi même si le Comité a indiqué que les FAC constituent « un employeur très important » qui offre des « mesures d’accommodement et d’autres modalités de travail » dans d’autres cas.
Comme le CEMD l’a réitéré dans les décisions qu’il a rendues, l’objectif visé par ses directives était de « rendre la vaccination obligatoire et ainsi garantir la disponibilité opérationnelle, l’efficacité et les capacités essentielles des FAC en protégeant les militaires contre la propagation du virus de la COVID-19 et contre le risque d’une maladie grave ou d’un décès ». Les directives du CEMD qui imposaient l’obligation de se faire vacciner dans un délai de 14 jours s’appliquaient à l’ensemble des militaires indépendamment de leur capacité à partir en déploiement durant la période durant laquelle les directives étaient en vigueur. Comme nous l’avons mentionné précédemment, on s’attendait à ce que la vaccination obligatoire soit une mesure temporaire qui durerait environ 12 mois. De plus, la réalité des FAC est telle qu’il n’est pas possible d’envisager que l’ensemble des militaires soient, en tout temps, en état d’être déployés. La portée des directives du CEMD était tellement vaste qu’elle n’offrait même pas d’exemption aux militaires qui ne pouvaient pas être déployés pour des raisons de santé. Les directives contestées s’appliquaient aux militaires blessés et malades qui étaient en voie d’obtenir une libération pour des raisons de santé. Rappelons que la DOAD 5023-1 (Normes opérationnelles minimales liées à l’universalité du service) définit l’expression « être apte au déploiement » de la manière suivante : « de ne pas avoir de contrainte à l’emploi pour raisons médicales ou d’autres types de contraintes à l’emploi qui empêcheraient le déploiement ». Un autre exemple qui démontre que les directives sur la vaccination obligatoire étaient de portée excessive est le fait qu’elles s’appliquaient aussi aux militaires qui étaient en congé parental et à celles qui étaient en congé de maternité. Le Comité a examiné les griefs de militaires qui étaient en congé de maternité (enceintes ou en période d’allaitement), qui étaient à la maison, qui ne pouvaient pas être rappelées en service et qui ne présentaient aucun risque de propagation du virus, mais qui tout de même étaient assujetties à la vaccination obligatoire dans un délai de 14 jours. Les FAC auraient facilement pu exempter ces militaires de l’application de la politique, mais elles ne l’ont pas fait. Je conçois mal en quoi l’application des directives du CEMD aux militaires qui ont déjà été jugés inaptes au déploiement pouvait être considérée comme une mesure raisonnablement adaptée qui n’avait pas de portée excessive. En effet, une telle application fait en sorte que sont incluses des situations qui n’ont aucun lien rationnel avec l’objectif de la politique sur la vaccination.
Il y a un autre exemple qui démontre que les directives du CEMD sur la vaccination avaient une portée excessive : elles s’appliquaient à tous les militaires, peu importe leur poste, leur lieu de travail, leur profession ou leurs tâches. Selon ces divers facteurs, les militaires peuvent être exposés à des degrés divers aux risques de contamination par le virus de la COVID-19 ou de transmission du virus. Les militaires travaillent dans une grande variété de professions, de lieux de travail et de situations. Or, la vaccination obligatoire s’appliquait à des militaires qui accomplissaient déjà leurs tâches efficacement au moyen du travail à distance ou du télétravail, car cela était réalisable sur le plan opérationnel durant 18 premiers mois avant l’imposition de la vaccination obligatoire. Les directives s’appliquaient aussi à des militaires qui étaient en service dans un environnement qui permettait à d’autres militaires non vaccinés de faire un test rapide hebdomadaire pour avoir accès au lieu de travail. Dans un tel contexte, même si une approche fondée sur un modèle unique semblait une option simple et efficace en matière de vaccination, la jurisprudence a établi qu’il n’est pas justifié de rédiger une politique dont les dispositions ont une portée excessive afin de faciliter leur application si elles privent de sa liberté une seule personne d’une manière qui ne sert pas l’objet viséNote de bas de page 94.
Lorsque les FAC ont lancé leur campagne de vaccination volontaireNote de bas de page 95, le médecin général des FAC envisageait que la vaccination pourrait être imposée, comme condition à une opération ou à un poste, par les commandants des opérations (après consultation auprès des conseillers médicaux) afin que des militaires puissent travailler dans des environnements à haut risque ou auprès de groupes vulnérables. Une telle exigence visait à protéger les militaires et d’autres personnes, mais aussi à maintenir l’efficacité opérationnelle. Dans un affidavit déposé dans le cadre de l’affaire Neri, le DG Plans a expliqué que, avant l’avènement de la vaccination contre la COVID-19 au Canada, les FAC avaient réussi, grâce à l’application diligente des mesures de santé publique, à instaurer un environnement de travail sûr où il y avait peu de transmission du virus. La stratégie des FAC était en grande partie fondée sur les mesures de santé publique, notamment la distanciation physique, le port du couvre-visage, le lavage des mains et la mise en place d’un modèle de travail dispersé (une combinaison de travail à la maison et de présence au lieu de travail) ou de télétravail lorsque cela était faisable sur le plan opérationnel. Je constate que la Directive 003 du CEMD d’octobre 2022 a pour effet de faire concorder la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19 avec le Message du médecin général sur le déploiement des vaccins pour les FAC, publié en janvier 2021. Cependant, lorsque les FAC ont mis en œuvre leur politique sur la vaccination en 2021, la vaccination a été imposée à tous les militaires indépendamment de l’environnement où ils accomplissaient leur service. Par ailleurs, les informations de Santé Canada et de l’ASPC, sur lesquelles se sont fondées les FAC lors de l’élaboration de la politique sur la vaccination, démontrent que le virus est le plus fréquemment transmis lorsque des personnes ont des contacts étroits avec d’autres personnes contaminées (que ces dernières aient ou non des symptômes), que la plupart des cas de transmission surviennent à l’intérieur et que la vulnérabilité face à la maladie de la COVID-19 dépend de facteurs individuels, sociaux et professionnels; en effet, le personnel de la santé et le personnel des services d’urgence qui ont beaucoup de contacts sociaux ont une plus grande vulnérabilité. Dans les cas où des militaires n’étaient pas, de manière imminente, appelés à travailler dans un « environnement à haut risque », il est difficile de voir un lien rationnel entre la vaccination obligatoire dans un délai de 14 jours, et l’objectif de la politique.
Puisque les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire s’appliquaient à l’ensemble des militaires peu importe leur aptitude à partir en déploiement, leur poste, leur lieu de travail, leur profession ou leurs tâches, ces directives limitaient le droit à la liberté de refuser un traitement médical de certains et certaines militaires dans des cas où aucun lien rationnel n’existait avec l’objectif de la politique des FAC sur la vaccination. Pour ces motifs, je conclus que l’étendue de la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19 avait une portée excessive.
La disproportion totale : la libération expéditive en cas de refus de la vaccination
L’analyse de la question de la disproportion totale compare l’objectif de la politique avec ses effets préjudiciables sur les individus afin de vérifier si ces effets n’ont aucun rapport avec l’objectif de la mesure visée. Même si cette norme est élevée, il faut quand même que les droits garantis par la Charte bénéficient d’une interprétation libérale et généreuse, comme je l’ai mentionné précédemment. Le but de la Charte est de protéger la jouissance des droits et libertés qu’elle enchâsse en empêchant le gouvernement d’agir à l’encontre de ces droits et libertés. L’interprétation de la Charte doit se faire en tenant compte du contexte dans lequel ses dispositions s’appliquent. La Cour suprême a aussi reconnu que les principes de justice fondamentale ont évolué au fil du temps en fonction des nouvelles revendications fondées sur la Charte. Enfin, il faut garder en tête que la question de la disproportion des effets générés par le non-respect des directives du CEMD sur la vaccination se pose dans le contexte administratif des FAC.
Les principes de justice fondamentale ne tiennent pas compte de l’efficacité des dispositions contestées, mais de leurs effets sur au moins une personne. Dans l’arrêt Bedford, la Cour suprême a énoncé ce qui suit :
[120] [...] La règle qui exclut la disproportion totale ne s’applique que dans les cas extrêmes où la gravité de l’atteinte est sans rapport aucun avec l’objectif de la mesure. Pour illustrer cette idée, prenons l’hypothèse d’une loi qui, dans le but d’assurer la propreté des rues, infligerait une peine d’emprisonnement à perpétuité à quiconque cracherait sur le trottoir. Le lien entre les répercussions draconiennes et l’objet doit déborder complètement le cadre des normes reconnues dans notre société libre et démocratique.
[121] L’analyse de la disproportion totale au regard de l’art. 7 de la Charte ne tient pas compte des avantages de la loi pour la société. Elle met en balance l’effet préjudiciable sur l’intéressé avec l’objet de la loi, et non avec l’avantage que la société peut retirer de la loi. […]
[122] Il peut y avoir disproportion totale indépendamment du nombre de personnes touchées; un effet totalement disproportionné sur une seule personne suffitNote de bas de page 96.
Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême s’est exprimée dans les termes suivants :
[89] Il y a contravention à ce principe si l’effet de la restriction sur la vie, la liberté ou la sécurité de la personne est totalement disproportionné à l’objet de la mesure. […] La norme est élevée : l’objet de la loi peut ne pas être proportionné à son incidence sans que s’applique la norme du caractère totalement disproportionné (Bedford, par. 120; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, par. 47).
Dans la décision Lavergne-Poitras, la Cour fédérale a conclu que : « L’importance de protéger la santé et la sécurité des employés et la preuve des risques découlant d’une infection à la COVID-19 permettent de considérer que même la grave conséquence que constitue la perte de l’emploi qu’on occupe auprès d’un tiers fournisseur du gouvernement est proportionnelle à l’objectif viséNote de bas de page 97 ». Cela dit, il faut préciser que la Cour fédérale a souligné qu’elle en venait à cette conclusion après avoir examiné l’information déposée lors de la demande d’injonction et qu’elle ne se prononçait pas sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire sur la question de constitutionnalité de la mesure concernée.
À propos de la question de la disproportion totale, le CEMD a conclu que la libération expéditive des militaires non vaccinés n’était [traduction] « pas un cas extrême où les effets sur la carrière des militaires non vaccinés étaient sans rapport aucun avec l’objectif des directives sur la vaccination des FAC ». Le CEMD a mentionné ce qui suit :
[Traduction] Même si j’acceptais la position du Comité, selon laquelle la libération de « certains militaires » était une mesure disproportionnée à la suite de leur refus de la vaccination obligatoire des FAC (position que je n’accepte pas), cette conclusion n’est pas suffisante pour établir que les effets des directives en cause étaient totalement disproportionnés.
Il faut démontrer que ces effets constituaient une mesure totalement disproportionnée, c’est-à-dire une mesure qui était sans rapport aucun avec l’objectif visé par les directives sur la vaccination des FAC. L’analyse menée par le Comité n’a pas démontré que le niveau de cette norme avait été atteint. Je conclus donc que la politique sur la vaccination obligatoire des FAC n’était pas une mesure totalement disproportionnée.
Cela dit, je suis plutôt d’avis que les conséquences de la non-conformité aux directives du CEMD sur la vaccination étaient totalement disproportionnées, et ce, malgré l’importance de l’objectif de la politique des FAC sur la vaccination. En effet, les directives du CEMD ne se contentaient pas de permettre à la chaine de commandement d’imposer des mesures correctives ou un examen administratif dans les cas où le refus d’un militaire aurait pu justifier ce type de mesures, mais elles obligeaient la chaine de commandement à prendre ce genre de mesure dans tous les cas. De plus, les directives ne permettaient pas à la chaine de commandement d’étudier si le refus du militaire de se faire vacciner remettait en question la viabilité de son maintien en service conformément à la DOAD 5019-2 (Examen administratif)Note de bas de page 98 et à la DOAD 5019-4 (Mesures correctives). Les directives contredisaient également les paragraphes 5.6(b) et (c) de la DOAD 5019-4 qui prévoient que l’autorité de mise en oeuvre doit tenir compte de « toute la période de service du militaire, en tenant compte de son grade, de son groupe professionnel militaire, de son expérience et de son poste », ainsi que de « toute observation faite par le militaire directement lié au manquement à la conduite ou au rendement ».
Les directives du CEMD ordonnaient à la chaine de commandement d’entreprendre des mesures correctives et d’entamer rapidement des procédures de libération à l’encontre de l’ensemble des militaires qui refusaient la vaccination après avoir obtenu un avertissement écrit et une mise en garde et surveillance durant 14 jours en raison d’un manquement allégué à la conduite, et ce, sans tenir compte des facteurs prévus dans les DOAD applicables. Dans les faits, les militaires qui ne se conformaient pas aux directives recevaient un avertissement écrit ainsi qu’une mise en garde et surveillance durant 14 jours afin de leur permettre de « surmonter leur manquement » à la conduite en se faisant vacciner. Les militaires qui, malgré les mesures correctives, ont continué à refuser la vaccination ont ensuite fait l’objet d’un examen administratif qui a abouti à leur libération expéditive des FAC pour raison d’un manquement à la conduiteNote de bas de page 99.
Le CANFORGEN 012/22 énonçait que « il n’est pas nécessaire de prendre en considération la totalité de leur carrière » lorsque des militaires sont libérés pour la seule raison d’avoir refusé de se conformer aux directives du CEMD. Ce CANFORGEN mentionnait également que le DACM examinerait les observations des militaires concernés, mais qu’il fallait tenir compte de ce qui suit :
3. […] IL EST TOUTEFOIS SOULIGNÉ QUE, DANS LES CIRCONSTANCES ACTUELLES, L’ÉCART DE CONDUITE FAISANT L’OBJET D’UN EXAMEN SE LIMITE AU NON-RESPECT DE L’ORDRE LÉGITIME PUBLIÉ AUX [directives du CEMD] DE CONCERT AVEC DES TENTATIVES DE REMÉDIER AU COMPORTEMENT DU MILITAIRE PAR LE BIAIS DU PROCESSUS INDIQUÉ À [la DOAD 5019-4, Mesures correctives].
Au cours de l’examen de griefs, lorsque le Comité a étudié les documents concernant les mesures correctives et les examens administratifs imposés, la plupart de ces documents avaient été rédigés en utilisant les gabarits de formulaire du DACM et se limitaient à indiquer que les militaires concernés avaient continué à refuser de se conformer aux directives du CEMD durant le délai de 14 jours prescrit. En fait, les FAC ordonnaient à la chaine de commandement d’ignorer un processus bien établi qui visait à assurer le respect des principes de base de l’équité procédurale. Cette manière de procéder avait aussi pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire de la chaine de commandementNote de bas de page 100 puisqu’elle était obligée d’imposer des mesures correctives dans tous les cas. Les directives du CEMD retiraient aussi le pouvoir discrétionnaire de la chaine de commandement de « choisir la mesure corrective la plus appropriéeNote de bas de page 101 ». De nombreuses parties plaignantes ont déploré le fait que les directives du CEMD faisaient fi de la durée des périodes de surveillance prévues dans la DOAD 5019‑4 puisqu’elles se contentaient d’imposer une période de 14 jours pour se conformer à l’ordre de se faire vaccinerNote de bas de page 102. Tous ces examens administratifs ont omis de respecter le processus mis en place par les FAC afin de veiller au respect des principes d’équité procédurale.
Les FAC ont adopté une position selon laquelle le refus d’un militaire de se faire vacciner équivalait au refus d’un ordre qui était d’une telle importance que cela justifiait une libération immédiate, indépendamment d’autres facteurs comme la période de service du militaire visé ou un parcours professionnel parfait. Rappelons qu’une libération selon le motif 5(f) (Inapte à continuer son service militaire)prévu à l’article 15.01 des ORFC « [s]’applique à la libération d’un officier ou militaire du rang qui, soit entièrement soit principalement à cause de facteurs en son pouvoir, manifeste des faiblesses personnelles ou un comportement ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son utilité ou imposent un fardeau excessif à l’administration des Forces canadiennes ». De plus, précisons que les militaires qui sont libérés en vertu de ce motif ont besoin d’une autorisation spéciale du CEMD pour pouvoir ultérieurement se réenrôler. Dans de nombreux griefs renvoyés au Comité, rien ne prouvait que le comportement de tous les militaires non vaccinés satisfaisait à la norme prévue au motif 5(f), surtout compte tenu du fait que la vaccination obligatoire était censée être une mesure temporaire. De plus, le Comité a conclu que les mesures correctives et la libération étaient excessives (parfois même inutiles) et injustifiées dans la plupart des cas. À mon avis, les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire imposaient des conséquences totalement disproportionnées dans les cas de militaires qui refusaient de se faire vacciner comme l’exigeaient ces directives.
En effet, dans le contexte administratif, la libération des FAC est la mesure administrative la plus grave qui peut être imposée à un militaire en cas de manquement. À mon avis, il s’agit d’un facteur important pour appuyer mes conclusions : en effet, la vaccination obligatoire devait être une mesure temporaire, alors que la libération des FAC, en vertu du motif 5(f) est quant à elle une mesure quasi permanente qui, dans certains cas, ne peut pas être renverséeNote de bas de page 103. Lorsque la vaccination obligatoire a débuté, il était alors convenu que les mesures de santé publique resteraient en vigueur aussi longtemps que la pandémie de COVID-19 continuerait à compromettre la capacité des systèmes de santé et à être une menace réelle à la santé et à la sécurité des Canadiens et Canadiennes. Il était aussi convenu que certaines mesures de santé publique seraient temporaires et seraient assouplies une fois que la situation s’améliorerait. Bien que la politique des FAC sur la vaccination tienne compte, dans une certaine mesure, de cette compréhension des faits (puisque certaines exigences ont été assouplies lors de la publication de la Directive 003 du CEMD), il n’en demeure pas moins que la politique est restée intransigeante envers les militaires réticents à la vaccination. En effet, les FAC ont continué les démarches en vue de leur libération ce qui a entrainé des répercussions presque permanentes sur la vie, sur la source de revenus, et sur les avantages sociaux de ces militaires. Dans certains cas, la libération d’un militaire ne peut pas être annulée même si, ultérieurement, le CEMD conclut que cette libération était injustifiée. Par exemple, dans un dossier renvoyé au Comité, un plaignant a expliqué qu’il avait été libéré après 24 années de service, soit un an avant d’avoir droit de toucher des prestations de retraite des FAC.
Comme il l’a été expliqué précédemment, l’article 7 de la Charte garantit le droit d’une personne de prendre ses propres décisions en matière de traitement médical. Le fait de considérer que les militaires qui sont « réticents » à la vaccination démontrent un manque de loyauté et commettent un manquement à la conduite est en contradiction avec les politiques des FAC qui existaient avant la pandémie et qui énonçaient que l’organisation respectait le choix de ses membres en matière de traitement médicalNote de bas de page 104. Malgré ce fait, la politique des FAC sur la vaccination prévoyait la libération de militaires qui avaient exercé un droit protégé par la Charte, soit celui de refuser un traitement médical, et cette politique les déclarait en contravention avec la LDN et avec le Code de valeurs et d’éthique. Il va sans dire que l’on s’attend à ce que les militaires suivent les ordres donnés par la chaine de commandement; cependant, il faut que ces ordres respectent les droits protégés par la Charte. D’après son expérience, le Comité a déjà vu des cas où l’exercice d’un droit garanti par la Charte pouvait être considéré comme un manquement à la conduite. Cela dit, il y a très peu de cas où un seul manquement à la conduite serait suffisant pour justifier une libération. Il est difficile de voir en quoi le refus d’un militaire de se faire vacciner pourrait automatiquement rendre ce militaire « inapte à continuer son service militaire », et ce, pour ce seul motif.
Il aurait pu être justifié que la politique des FAC sur la vaccination prévoie que, dans certains cas, le refus de se conformer aux directives du CEMD en matière de vaccination soit susceptible d’entrainer une procédure de libération. On peut concevoir que, dans certains cas, après un examen administratif au cours duquel il y aurait une évaluation de divers facteurs pertinents, l’autorité de mise en oeuvre en viendrait à la conclusion que la libération était la mesure administrative la plus appropriée dans les circonstances. Toutefois, la mesure prise à la suite du non-respect des directives du CEMD (c’est-à-dire la procédure expéditive de libération appliquée à l’ensemble des militaires non vaccinés, sans aucune autre considération) « débord[e] complètement [du] cadre des normes reconnues dans notre société libre et démocratique » dans le contexte administratif des FAC. À mon avis, ce type de mesure atteint le niveau de la norme élevée établie par la jurisprudence et constitue une mesure totalement disproportionnée par rapport à l’objectif fixé par la politique des FAC sur la vaccination. Compte tenu de la présente analyse, je conclus que la cessation du service des militaires non vaccinés était une mesure totalement disproportionnée par rapport à leur refus de se conformer à la politique sur la vaccination.
Comme l’a mentionné le CEMD dans ses décisions comme autorité de dernière instance, les jugements des cours provinciales de même que les décisions arbitrales ne lient pas les FAC lesquelles sont régies par un cadre juridique fédéral unique. Je suis du même avis. Cela dit, les décisions d’autres tribunaux et instances concernant l’imposition de politiques visant la vaccination obligatoire sont informatives et pertinentes, surtout compte tenu du fait qu’il s’agit d’un nouveau sujetNote de bas de page 105. Des sources externes peuvent aider à l’interprétation de la Charte et les tribunaux peuvent consulter les lois et les pratiques d’autres juridictionsNote de bas de page 106. Je constate que des arbitres ont conclu que, compte tenu de l’évolution constante de la situation liée à la pandémie de COVID-19, les politiques qui prévoyaient le licenciement inévitable des membres du personnel non vaccinés étaient déraisonnables. Ces arbitres ont constaté qu’il manquait d’éléments de preuve pour démontrer la nécessité de procéder rapidement à un licenciement alors qu’il existait des solutions de rechange comme le télétravail ou la réalisation de tests de dépistage (lorsque cela était faisable), ou encore l’imposition d’une période de congé sans soldeNote de bas de page 107. Enfin, des arbitres ont précisé que les employeurs devaient démontrer, dans chaque cas, l’existence d’une « juste cause » de licenciement en se fondant sur les circonstances particulières concernées. Le simple fait qu’une personne soit non vaccinée ne justifie pas un licenciement automatique à chaque fois. Comme il l’a été indiqué dans une décision arbitrale souvent citée dans le domaine du droit de l’emploi : [traduction] « Le fait d’obliger l’ensemble des membres du personnel à se faire vacciner est une solution simple et évidente qui permet de répondre aux préoccupations [des employeurs] et à la question du retour au travail. Cependant, l’imposition de la vaccination n’est pas la seule solution raisonnable à ce moment-ci et dans les circonstances ». Dans cette même décision, on peut lire que : [traduction] « […] il est injuste d’imposer des mesures disciplinaires ou le congédiement à un employé qui refuse de se faire vacciner s’il ne s’agit pas d’une exigence à l’embauche ou d’une condition d’emploi acceptée, et si une autre solution raisonnable existeNote de bas de page 108 ». Dans certaines décisions arbitrales, des arbitres ont conclu qu’étaient raisonnables les politiques sur la vaccination qui prévoyaient le licenciement des employés non vaccinés qui refusaient de se conformer à une solution de rechange raisonnable à la vaccination (comme celle de passer un test de dépistage)Note de bas de page 109. Bien qu’elles ne soient pas contraignantes, ces décisions fournissent des informations additionnelles et permettent de comprendre que les mesures prises par les FAC en vue d’imposer la vaccination obligatoire débordaient complètement du cadre des normes reconnues dans une société libre et démocratique. En effet, dans une telle société, les décisions administratives importantes qui concernent la carrière et les moyens de subsistance d’un ou d’une militaire doivent respecter les principes d’équité procédurale ainsi qu’être justifiées et raisonnablesNote de bas de page 110.
Conclusion sur les principes de justice fondamentale
Il ne fait aucun doute que les directives du CEMD avaient un objectif valide de « rendre la vaccination obligatoire et ainsi garantir la disponibilité opérationnelle, l’efficacité et les capacités essentielles des FAC en protégeant les militaires contre la propagation du virus de la COVID-19 et contre le risque d’une maladie grave ou d’un décès ». Toutefois, les moyens choisis par les FAC pour atteindre l’objectif de la politique sur la vaccination ne respectaient pas les principes de justice fondamentale. Je suis venue à la conclusion que le traitement différent réservé aux deux groupes de militaires non vaccinés, selon la raison personnelle de refuser la vaccination, avait un caractère arbitraire puisqu’aucun élément de preuve ne démontrait que ce traitement différent contribuait à l’objectif de la politique. De plus, j’ai aussi conclu que les directives du CEMD sur la vaccination avaient une portée excessive puisqu’elles s’appliquaient à l’ensemble des militaires indépendamment de leur capacité à partir en déploiement, de leur poste, de leur lieu de travail ou de leurs tâches. Enfin, j’ai conclu que la libération expéditive de l’ensemble des militaires réticents à la vaccination pour le seul motif du refus de la vaccination et sans aucune considération pour les autres procédures des FAC existantes ou pour d’autres facteurs pertinents équivalait à une mesure totalement disproportionnée. Ces divers aspects de la politique des FAC sur la vaccination n’étaient pas suffisamment liés à son objectif et allaient trop loin pour l’atteindre.
Compte tenu de l’analyse effectuée précédemment, je conclus que l’atteinte au droit à la liberté des parties plaignantes, causée par l’application de la politique des FAC sur la vaccination, n’a pas été portée en conformité avec les principes de justice fondamentale. Je conclus donc que les droits des parties plaignantes, qui sont protégés par l’article 7 de la Charte, ont été violés par l’application des directives du CEMD sur la vaccination et par les effets de ne pas s’y conformer.
La violation du droit à la liberté des parties plaignantes est-elle justifiée selon l’article premier de la Charte?
Le critère de l’arrêt Oakes
L’article premier de la Charte établit que les droits fondamentaux ne sont pas absolus et qu’ils peuvent être restreints par l’État si cela est nécessaire pour atteindre un objectif important et si la restriction apportée est proportionnéeNote de bas de page 111. Puisque j’ai conclu que l’article 7 de la Charte était mis en cause par les directives du CEMD sur la vaccination, les FAC doivent démontrer que l’atteinte portée aux droits protégés par l’article 7 était justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique selon l’article premier de la Charte dont voici le libellé :
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Le critère applicable a été énoncé dans l’arrêt Oakes. L’article premier s’applique à des restrictions aux droits et libertés qui sont prescrites « par une règle de droit ». Le terme « règle de droit » à l’article premier comprend une politique d’une entité gouvernementale, qui n’est pas une loi ou un règlement, si cette politique établit une norme d’application générale adoptée par une entité gouvernementale en vertu de son pouvoir de réglementation. La Cour suprême a expliqué que « [l]orsqu’une politique gouvernementale est autorisée par la loi, qu’elle établit une norme générale se voulant obligatoire et qu’elle est suffisamment accessible et précise, il s’agit d’une règle de nature législative qui constitue une « règle de droitNote de bas de page 112 » ». Soulignons que les directives du CEMD sont des « ordres et directives adressés aux Forces canadiennes » qui émanent du CEMD selon le pouvoir qu’il détient en vertu du paragraphe 18(2) de la LDN. Ces directives ne sont pas des « lois ou règlements »Note de bas de page 113. Cependant, elles établissent des normes d’application générale qui visent les membres des FAC et, en ce sens, elles sont considérées comme des règles de nature législative dans le contexte de l’article premier de la Charte. Dans ses décisions comme autorité de dernière instance, l’ancien CEMD (qui était en poste à l’époque de la publication des directives) a convenu que ses directives et ordres étaient assujettis à l’application de la Charte.
Le critère applicable pour vérifier la constitutionnalité d’une mesure est fondé sur deux questions. La première question est la suivante : l’objectif de la politique est-il « réel et urgent »? La deuxième question est décrite comme suit : existe-t-il un « degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre »? Le deuxième volet du critère a trois éléments : le lien rationnel, l’atteinte minimale et la pondération finale. Mentionnons que ce critère doit être appliqué avec souplesse en tenant compte du contexte factuel et social. Il est intéressant de noter que cette analyse est similaire à celle menée selon l’article 7. Cependant, en vertu de l’article premier, les FAC doivent démontrer que l’intérêt public général justifiait la violation des droits individuelsNote de bas de page 114. Le fardeau de la preuve, en vertu de l’article premier, incombe à l’État et la preuve présentée doit être persuasive. Dans le cadre de la présente analyse, les FAC doivent démontrer qu’était justifiée l’atteinte portée au droit à la liberté de refuser un traitement médical des parties plaignantes.
Dans l’annexe B de ses décisions, le CEMD a expliqué qu’une [traduction] « atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, qui sont protégés par l’article 7 de la Charte, est difficile à justifier selon l’article premier ». Toutefois, le CEMD a indiqué que [traduction] « les tribunaux ont reconnu que les mesures de l’État qui portent atteinte à ces droits pourraient être maintenues dans des « circonstances exceptionnelles » comme une pandémieNote de bas de page 115 ». Le CEMD a soutenu que [traduction] « [d]e plus, certaines décisions récentes de tribunaux suggèrent aussi que la justification selon l’article premier, qui doit être présentée en cas d’atteinte à des droits protégés par l’article 7, pourrait avoir une application plus étendue par rapport à ce qui a pu être le cas auparavantNote de bas de page 116 ». Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême a déclaré, au paragraphe 95, que « […] il peut arriver parfois que l’État soit en mesure de démontrer que le bien public - une question ne relevant pas de l’art. 7, qui tient uniquement compte de l’effet de la loi sur les personnes revendiquant les droits - justifie que l’on prive une personne de sa vie, de sa liberté ou de sa sécurité en vertu de l’article premier de la Charte ».
L’objectif réel et urgent de la politique des FAC sur la vaccination
Le premier élément du critère de l’arrêt Oakes consiste à démontrer que l’objectif de la politique, qui restreint un droit fondamental, est suffisamment important pour justifier qu’il limite un droit (ou une liberté) qui est protégé par la constitution. L’ancien CEMD (qui était en poste à l’époque) a indiqué qu’il avait publié les directives [traduction] « pour rendre la vaccination obligatoire et ainsi garantir la disponibilité opérationnelle, l’efficacité et les capacités essentielles des FAC en protégeant les militaires contre la propagation du virus de la COVID-19 et contre le risque d’une maladie grave ou d’un décès ». Cet objectif a donc deux volets : d’une part, protéger la santé des militaires et, d’autre part, garantir la disponibilité opérationnelle, l’efficacité et les capacités essentielles des FAC.
En mars 2020, l’OMS a déclaré que la situation liée à la propagation et à la gravité de la maladie causée par le virus de la COVID-19 pouvait être qualifiée de pandémie. Au cours des premiers mois de la pandémie, des membres des FAC ont été déployés dans des établissements de soins de longue durée au Québec et en Ontario dans le cadre de l’Opération LASERNote de bas de page 117, ils ont soutenu des collectivités éloignées (notamment dans le nord du Canada), ils ont aidé l’ASPC à gérer et à distribuer de l’équipement de protection personnelle, et ils ont aidé la Santé publique de l’Ontario à effectuer le traçage de cas. Les FAC ont également contribué à la distribution de vaccins contre la COVID 19 dans le cadre de l’Opération VECTORNote de bas de page 118. À partir de mai 2020, le MDN et les FAC avaient déjà mis en place des directives conjointes sur des mesures de santé publique et de protection individuelle afin de maintenir un niveau de disponibilité opérationnelle proportionnel au mandat des FAC tout en assurant la sécurité de l’ensemble des militairesNote de bas de page 119. Le 6 janvier 2021, les FAC ont débuté une campagne de vaccination volontaire qui accordait la priorité aux militaires qui travaillaient dans des milieux à risque élevé compte tenu de leur profession et de leurs fonctionsNote de bas de page 120.
Le 8 octobre 2021, le CEMD a publié une première directive sur la vaccination contre la COVID-19 des FAC. Elle énonçait que la vaccination obligatoire était une exigence que l’ensemble des membres des FAC devaient respecter en vue d’accomplir les tâches liées à leur travailNote de bas de page 121. Cette directive expliquait que les vaccins sont efficaces pour prévenir les maladies graves, les hospitalisations et les décès dus à la COVID-19, et que les éclosions du virus diminuent lors de l’augmentation du taux de vaccination de la population. La directive annonçait que le MDN et les FAC avaient mis en œuvre une « stratégie stratifiée d’atténuation des risques » qui était fondée sur des mesures de santé publique telles que la distanciation physique, le port du couvre-visage, le lavage des mains et le travail à domicile. La directive mentionnait que la mise en œuvre précoce de cette stratégie permettait d’avoir des milieux de travail sécuritaires comportant un risque minimal de transmission du virus durant les 19 premiers mois de la pandémie. La première directive du CEMD exposait que la « quatrième vague de COVID-19 » avait commencé à déferler sur le Canada et qu’on s’attendait à ce que le variant Delta soit plus contagieux que les précédents variants. Cette directive indiquait aussi que la quatrième vague pourrait présenter « un taux plus élevé d’hospitalisations et être plus susceptible d’entrainer un dépassement de la capacité des systèmes de santé ». Cette directive expliquait que l’ASPC avait déclaré que « le vaccin contre la COVID-19 était essentiel pour améliorer le fonctionnement de la société et assurer une immunité généralisée ». La directive mentionnait que les personnes non vaccinées étaient plus susceptibles d’être hospitalisées si elles étaient infectées par le virus. Enfin, la directive précisait que les FAC ont leur propre système de santé et que la campagne de vaccination des FAC contre la COVID-19 avait été « une vraie réussite » puisque 91% de l’ensemble des militaires ont été entièrement vaccinés (2 doses) et 2 % ont été partiellement vaccinés (1 dose).
Le CEMD a expliqué que [traduction] « [e]n octobre 2021, la souche dominante du virus de la COVID-19 présentait un risque élevé d’infection et d’hospitalisation. Des scientifiques de Santé Canada ont conclu que les vaccins réduisaient ces risques, que les personnes entièrement vaccinées étaient moins susceptibles de transmettre la maladie, que tout le monde avait des risques accrus d’exposition à la maladie et de contamination par des personnes non vaccinéesNote de bas de page 122 ». Le CEMD a ajouté que [traduction] « [l]a vaccination obligatoire protégeait le personnel militaire contre ces risques. La vaccination nous permettait de continuer de maintenir nos opérations en toute sécurité dans un environnement où le virus de la COVID-19 était toujours présent. La vaccination obligatoire était un moyen d’atténuer les risques que les militaires transmettent la COVID-19 et de préserver la disponibilité opérationnelle et les capacités essentielles des FAC ». Enfin, le CEMD a fait le constat suivant : le Comité avait conclu que la protection de la santé et de la sécurité des militaires, des membres du personnel civil du MDN et du public durant la pandémie était un objectif réel et urgent qui suffisait pour justifier la mise en place de mesures de santé publique destinées à atténuer les risques liés à la COVID-19.
Je remarque que les tribunaux, dans d’autres situations, ont conclu que les mesures de santé publique prises afin de réduire les risques d’infection et de transmission de la COVID-19 cadraient avec un objectif réel et urgent dans le contexte de la pandémieNote de bas de page 123. Je suis d’accord avec ces conclusions et je constate qu’il n’est pas contesté que les directives du CEMD visaient un objectif réel et urgent, soit de garantir la disponibilité opérationnelle, l’efficacité et les capacités essentielles des FAC en protégeant les militaires contre la propagation du virus de la COVID-19 et contre le risque d’une maladie grave ou d’un décès. Compte tenu du rôle unique des FAC et de leur contribution cruciale durant la pandémie, je conclus que l’objectif de la politique des FAC sur la vaccination avait un objectif réel et urgent.
L’analyse du degré suffisant de proportionnalité et le lien rationnel à l’objectif de la politique
Il doit exister un lien rationnel entre la restriction au droit protégé et l’objectif de la politique. Il faut aussi qu’il existe un lien de causalité entre le moyen contesté et l’objectif réel et urgent. Ce lien de causalité entre la restriction (ou l’atteinte) et l’objectif devrait être démontré, lorsque cela est possible, par une preuve scientifique qui établirait que la restriction peut contribuer à la réalisation de cet objectif.
Comme je l’ai conclu lors de mon analyse des droits des parties plaignantes en vertu de l’article 7, les FAC n’ont pas présenté d’arguments convaincants ni de preuve scientifique concernant la réalisation de cet objectif qui auraient permis de justifier le traitement différent entre les deux groupes de militaires non vaccinés. Au contraire, les éléments de preuve déposés ont démontré que les militaires non vaccinés présentaient le même niveau de risque indépendamment de la raison personnelle du refus de la vaccination. De plus, les FAC n’ont pas démontré que la quantité de militaires non vaccinés dépassait la capacité de l’organisation à fournir d’autres types de modalités de travail à ces militaires. Comme je l’ai mentionné précédemment, le fait que les FAC respectaient les obligations prévues dans la LCDP ne démontre pas que le traitement différent entre les deux groupes de militaires non vaccinés avait contribué positivement à la réalisation de l’objectif de la politique des FAC sur la vaccination. Comme l’a expliqué l’ASPC dans son rapport, une politique sur la vaccination obligatoire comprend généralement des exemptions et n’exige pas l’exclusion des personnes non vaccinées, sauf en cas d’éclosion. Pourtant les FAC ont procédé à la libération de centaines de militaires uniquement à cause de leur refus de la vaccination.
Par ailleurs, l’énoncé du CEMD selon lequel [traduction] « le fait que presque 10 % de notre équipe était non vacciné constituait une préoccupation importante » n’est pas appuyé par la preuve scientifique utilisée par les FAC lors de ses réponses aux questions du Comité. Au contraire, l’information présentée au Comité démontre plutôt que Santé Canada et l’ASPC espéraient atteindre la vaccination d’environ 80% des Canadiennes et Canadiens et que ces entités étaient d’avis que cela offrirait « une bonne protection » contre le variant Delta. Au moment de publier les directives du CEMD sur la vaccination, les FAC ont déclaré que presque 92 % des militaires s’étaient volontairement fait vacciner, et ce, avant que le CEMD impose la vaccination obligatoire. Cela veut donc dire que le pourcentage de militaires vaccinés était supérieur au but de s’était fixé les autorités de la santé publique quant à la vaccination de la population canadienne en général. Par ailleurs, rappelons que l’ASPC a expliqué que l’efficacité de la vaccination obligatoire était [traduction] « moins claire lorsque le taux de référence de vaccination est déjà élevé ». Je conclus que les FAC n’ont pas démontré qu’il existait un lien rationnel et suffisant entre la restriction imposée au droit protégé à la liberté des parties plaignantes et l’objectif de la politique sur la vaccination. En effet, j’estime qu’il manquait un lien de causalité entre l’effet de cette politique et son objectif réel. En d’autres mots, il n’a pas été démontré par la preuve disponible que, conformément à l’article premier de la Charte, la restriction imposée au droit protégé pouvait contribuer à la réalisation de l’objectif de la politique des FAC sur la vaccination.
L’analyse du degré suffisant de proportionnalité et l’atteinte minimale
L’élément de l’atteinte minimale suppose qu’il faut se demander si l’entité gouvernementale a raisonnablement adapté la restriction apportée aux libertés et droits fondamentaux. La restriction doit porter atteinte « le moins possible » au droit ou à la liberté en cause. Cela dit, l’entité gouvernementale ne peut pas être tenue d’atteindre la perfection et il suffit que le moyen adopté fasse partie d’une série de solutions raisonnablesNote de bas de page 124. Le critère de l’atteinte minimale consiste en fait à se demander si l’entité gouvernementale peut démontrer que, parmi une série de solutions raisonnables, il n’existe aucun autre moyen moins attentatoire d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle. La restriction ne doit pas porter atteinte aux droits plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire de le faire en tenant compte des difficultés pratiques. De plus, l’entité gouvernementale doit présenter des éléments de preuve pour expliquer la raison pour laquelle elle n’a pas choisi une mesure moins attentatoire et tout aussi efficace. Afin de décider si une mesure porte atteinte de façon minimale et raisonnable, les tribunaux peuvent examiner les lois et les pratiques dans d’autres ressortsNote de bas de page 125.
Enfin, précisons que, même s’il n’est pas régi par les mêmes principes, le critère de l’atteinte minimale impose aux FAC une obligation semblable à celle de prendre toutes les mesures d’accommodement possibles sans qu’il en résulte une contrainte excessive pour l’organisation. Dans l’arrêt Hutterian Brethren, la Cour suprême a expliqué que la jurisprudence en matière de droits de la personne concernant l’obligation d’accommodement « […] peut être utile « pour bien saisir le fardeau qu’impose le critère de l’atteinte minimale vis-à-vis d’un individu en particulierNote de bas de page 126 » [le soulignement est dans l’original] ». Le CEMD a, à juste titre, indiqué que les deux approches sont différentes et que l’arrêt Hutterian Brethren expliquait cette différence. L’obligation d’accommodement concerne la situation d’une seule personne, alors que, selon la Cour suprême, « les mesures législatives d’application générale ne sont pas adaptées aux besoins particuliers de chacun ». La Cour a ajouté que le tribunal « […] doit se demander si la contravention à la Charte peut se justifier dans une société libre et démocratique, et non s’il est possible d’envisager un aménagement plus avantageux pour un plaignant en particulier ».
Le CEMD a relevé le fait que le Comité avait conclu que la politique des FAC sur la vaccination n’était pas raisonnablement adaptée de manière à ce qu’il y ait une atteinte minimale aux droits. Cela dit, le CEMD a ajouté qu’il devait démontrer que la vaccination obligatoire [traduction] « n’allait pas porter atteinte aux droits garantis par la Charte plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire pour réaliser l’objectif réel et urgent des directives sur la vaccination des FAC ». Le CEMD a donc indiqué qu’il lui fallait démontrer que l’exigence de la vaccination obligatoire faisait partie d’« une série de solutions raisonnables » et qu’il n’existait pas « aucun autre moyen moins attentatoire » d’atteindre l’objectif de la politique sur la vaccination « de façon réelle et substantielle ». Le CEMD a conclu que la vaccination obligatoire faisait partie d’une série de solutions raisonnables qui ne portait pas atteinte aux droits garantis par la Charte plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire. Le CEMD a indiqué que le fait d’exempter d’autres militaires de la vaccination obligatoire aurait nui à la capacité des FAC de protéger le personnel de l’organisation de risques graves pour la santé liés à la COVID-19, et de garantir l’efficacité et les capacités essentielles des FAC d’une manière réelle et substantielle.
Lorsqu’il a voulu expliquer la raison pour laquelle les FAC n’avaient pas imposé de mesures moins attentatoires (comme celle qui consistait à offrir d’autres modalités de travail à l’autre groupe de militaires non vaccinés), le CEMD a fait valoir que les FAC avaient une obligation d’accommodement envers les militaires incapables de se faire vacciner en raison d’un motif de distinction illicite prévu dans la LCDP. Il a reconnu que ces militaires avaient été capables de continuer leur service en bénéficiant d’autres modalités de travail. En ce qui a trait aux militaires réticents à la vaccination, le CEMD a précisé ce qui suit :
[Traduction] Les membres du personnel qui étaient capables de se faire vacciner, mais ont refusé de le faire n’ont pas reçu le même genre d’accommodement. Les militaires « réticents » avaient un choix à faire. Ces militaires ont refusé de se conformer à la vaccination obligatoire des FAC pour de nombreuses raisons, mais aucune liée à un motif de distinction illicite prévu dans la LCDP. Ces militaires ont fait face à des conséquences particulières sur leur carrière en raison de leur décision de rester non vaccinés.
Le CEMD a indiqué que les militaires non vaccinés avaient un plus grand risque de contracter la COVID-19, de souffrir des conséquences graves de ce virus sur leur santé, et de le transmettre à d’autres personnes. Le CEMD a aussi expliqué que les autres modalités de travail proposées visaient à atténuer ces risques, et que le fait de permettre aux militaires réticents à la vaccination de [traduction] « travailler à distance ou de bénéficier d’autres modalités de travail aurait pu réduire ces risques jusqu’à un certain point. Par contre, cela n’aurait pas permis d’atteindre les objectifs des directives des FAC sur la vaccination d’une manière réelle et substantielle ». Le CEMD s’est exprimé ainsi sur le sujet :
[Traduction] Ainsi, l’élargissement de l’offre de ce type de mesures d’accommodement au personnel militaire qui refusait la vaccination aurait limité notre capacité de protéger pleinement la santé et la sécurité de l’ensemble des militaires, de l’Équipe de la défense et du public que nous servons. Une telle mesure n’aurait rien changé au fait que ces militaires auraient été restreints dans leur capacité d’accomplir leurs fonctions, de participer à des activités de disponibilité opérationnelle ou de partir en déploiement en cas de besoin. Notre organisation a besoin de chaque militaire apte sur le plan médical pour soutenir notre disponibilité opérationnelle et nos capacités essentielles. À un moment de grave pénurie de personnel, le fait de permettre à presque 10 % de notre effectif de rester non vacciné n’était pas une option viable de politique.
[…]
En effet, l’offre de mesures d’accommodement à davantage de militaires aurait limité d’une manière réelle et substantielle la capacité de l’organisation à atteindre l’objectif des directives sur la vaccination des FAC.
En ce qui concerne le scénario dans lequel il aurait été permis aux militaires non vaccinés d’obtenir un congé sans solde durant la période temporaire de la vaccination obligatoire, le CEMD a indiqué que cette option avait été examinée, mais qu’il avait été décidé que [traduction] « ces solutions de rechange n’étaient pas des options viables de politique avant l’instauration de la vaccination obligatoire des FAC ». De plus, il a indiqué que [traduction] « le maintien en poste de militaires qui refusent de se faire vacciner n’était pas une option viable de politique puisque ces personnes avaient omis de satisfaire aux normes de comportement des FAC ». Lorsqu’elle a été questionnée par le Comité, la VCEMD a expliqué que les FAC avaient cherché à instaurer une politique équivalente à celle du gouvernement du CanadaNote de bas de page 127. Cependant, la VCEMD a indiqué que l’octroi d’un congé sans solde aux militaires réticents ou leur retrait de leurs fonctions n’étaient pas considérés comme des options viables de politique. Elle a aussi précisé que les FAC n’avaient pas eu le temps de modifier leur manuel sur les congés (qui empêche l’octroi de congé sans solde) compte tenu des délais prévus dans la politique sur la vaccination du gouvernement du Canada. Le Comité a aussi demandé au DG Plans (qui est responsable de l’élaboration et de l’application des directives du CEMD) s’il avait envisagé des options autres que celle de libérer l’ensemble des militaires non vaccinés qui étaient « réticents » à la vaccination. Il a répondu que les FAC n’avaient pas étudié la possibilité de maintenir en poste les militaires « réticents » en instaurant des solutions de rechange et certaines restrictions, car les FAC ont décidé que [traduction] « le fait d’être réticent à la vaccination n’a jamais été considéré comme une option ».
Par ailleurs, l’information de l’ASPC sur laquelle s’est appuyée la VCEMD indique que les lieux de travail sont des endroits propices aux éclosions, en particulier dans les endroits où il est difficile d’assurer une distanciation physique, où il n’est pas possible de travailler à distance et où l’application des mesures de santé publique a été ardue. Cependant, la même information indique qu’on a réussi dans plusieurs lieux de travail à atténuer la transmission en instaurant des mesures efficaces de contrôle des infections. L’ASPC a expliqué que la vaccination, lorsqu’elle est associée à d’autres mesures (port du couvre-visage, lavage des mains, bonne ventilation à l’intérieur, distanciation physique et évitement des foules), peut protéger la santé et le bien-être des membres du personnel. L’information provenant de Santé Canada soulignait que l’intervention de l’État canadien de lutte contre la pandémie de COVID-19 et les mesures de relance avaient pour but de diminuer le plus possible les cas graves et les décès ainsi que de réduire au minimum les perturbations sociétales, et ce, en utilisant une approche de gestion fondée sur l’évaluation des risques. Pour maximiser les mesures d’atténuation, il avait été recommandé d’adopter une « stratégie stratifiée d’atténuation des risques » visant à appliquer plusieurs mesures en même temps afin de réduire le risque de propagation de la COVID-19.
Au début de la campagne de vaccination, le message du médecin général des FAC allait dans le même sens. Voici un extrait pertinent :
Comme les autres vaccins fournis aux membres des FAC, le vaccin contre la COVID-19 ne sera pas obligatoire; il reste une option volontaire pour tous. La décision de rendre ou non un vaccin obligatoire pour une opération ou un poste est prise par les commandants opérationnels, en consultation avec leurs conseillers médicaux. Toutefois, les membres des FAC peuvent exiger la preuve d’une vaccination contre la COVID-19 afin d’opérer dans certains environnements à haut risque ou avec des populations vulnérables. L’intention demeure de nous protéger et de protéger les autres afin de maintenir l’efficacité opérationnelle alors que nous servons le Canada et la population canadienne au pays et à l’étranger.
Je constate que la Directive 003 du CEMD d’octobre 2022 impose la vaccination à seulement certains et certaines militaires selon les exigences opérationnelles ce qui correspond au message du médecin général des FAC en janvier 2021. Il est difficile de comprendre la raison pour laquelle cette politique n’aurait pas pu être adoptée dès le début. Même en prenant en considération la possible apparition d’un nouveau variant, la libération de militaires non vaccinés à cause de leur refus de se faire vacciner sans égard à leur profession, leurs tâches ou leur lieu de travail, n’était pas toujours une mesure nécessaire ou une mesure qui constituait une atteinte minimale. Compte tenu de la position des FAC et de l’information fournie au Comité, je conclus que les directives du CEMD ne constituaient pas une atteinte minimale aux droits protégés, comme l’exige l’article premier de la Charte.
Les FAC n’ont pas démontré que l’étendue des directives du CEMD et la libération expéditive des militaires non vaccinés réticents à la vaccination, sans égard aux autres facteurs pertinents, étaient les mesures les moins attentatoires pour atteindre l’objectif de la politique des FAC sur la vaccination. Au contraire, les directives du CEMD démontrent que les FAC étaient en mesure d’offrir d’autres modalités de travail et de permettre à un groupe de militaires non vaccinés de continuer à servir en respectant certaines restrictions. Les FAC sont un employeur très important qui est en mesure de fournir diverses mesures d’accommodement et diverses autres modalités de travail lorsque, par exemple, un militaire ne satisfait plus au principe de l’universalité du service, et ce, sans envisager la libération. Les FAC sont également capables d’offrir temporairement d’autres modalités de travail à des militaires qui, pour diverses raisons, sont temporairement inaptes au déploiement. Par ailleurs, les explications fournies concernant la possibilité de permettre à des militaires non vaccinés de demander du congé sans solde ne démontraient pas que les raisons qui justifiaient d’écarter cette option étaient liées à l’atteinte de l’objectif de la politique. Rappelons que l’alinéa 16.25(c) des ORFC permet explicitement au CEMD d’accorder un congé sans solde « d’une durée quelconque ». À mon avis, l’inclusion de cette option dans les directives du CEMD aurait constitué une mesure moins attentatoire que celle de procéder à la libération de l’ensemble des militaires réticents à la vaccination; en effet, grâce à l’option du congé sans solde, ces militaires auraient pu retourner au travail lorsque la vaccination obligatoire a pris fin.
Après un examen approfondi de l’interprétation des tribunaux sur le sujet et après une évaluation exhaustive des enjeux complexes présents lors de la pandémie de COVID-19, je dois prendre en considération le fait qu’une politique, qui restreint une liberté ou un droit protégé par la Charte, doit être raisonnablement adaptée à son objectif et doit avoir recours à un moyen qui porte atteinte le moins possible au droit en cause en vue d’atteindre son objectif. Je conclus donc que les directives du CEMD ne constituaient pas une atteinte minimale au droit des parties plaignantes de refuser un traitement médical compte tenu du fait qu’ont été écartés des moyens moins attentatoires d’atteindre l’objectif visé.
L’analyse du degré suffisant de proportionnalité et la pondération finale
En vertu de l’article premier de la Charte, je dois enfin examiner si l’intérêt public général justifiait la violation de droits individuels fondamentaux de militaires qui étaient protégés par l’article 7Note de bas de page 128. Par ailleurs, lors de la présente partie de l’analyse, pour qu’une atteinte à un droit soit sauvegardée par l’article premier de la Charte, les effets bénéfiques de l’atteinte doivent être plus grands que les effets préjudiciables. Dans l’analyse, à cette étape-ci, il faut faire une appréciation plus large de la question afin de savoir si les effets bénéfiques de la politique contestée sur le plan de l’intérêt supérieur du public justifient le coût que représente la restriction au droit individuelNote de bas de page 129. Par exemple, dans le contexte de la pandémie, je constate que la Cour supérieure du Québec, dans le jugement Syndicat des métallos, a indiqué que la violation des droits protégés par l’article 7 pouvait être justifiée selon l’article premier lorsqu’un secteur était gravement affecté par l’infection et la transmission du virus.
Le CEMD a conclu que le besoin de garantir les capacités essentielles et l’efficacité opérationnelle des FAC aurait justifié n’importe quelles atteintes aux droits protégés par l’article 7 de la Charte. Il a réitéré qu’il a publié les directives durant la quatrième vague de la pandémie. Le variant Delta présentait un risque élevé d’infection et d’hospitalisation, et [traduction] « menaçait de nuire à la capacité des FAC de remplir leur mandat de défendre le Canada et de protéger la population canadienne ». Le CEMD s’est exprimé dans les termes suivants :
[Traduction]
[L’imposition de la vaccination obligatoire] a protégé la santé et la sécurité de notre personnel ainsi que du public que nous pouvions être appelés à servir. Cette mesure nous a permis d’assouplir certaines restrictions liées à la COVID-19 et nous a permis d’avoir plus de militaires en personne au travail. Cette mesure a aussi permis la reprise des activités de mise sur pied de la force qui établit les conditions initiales en vue des efforts de reconstitution des FAC. La vaccination obligatoire des FAC a amélioré notre capacité de garantir l’efficacité opérationnelle, les capacités essentielles et la disponibilité opérationnelle de l’organisation. Enfin, cette mesure permettait à notre équipe d’être mieux outillée pour soutenir les missions et objectifs stratégiques du gouvernement.Les avantages de cette mesure dépassent largement n’importe quel effet négatif subi par les militaires qui refusent de se conformer aux directives sur la vaccination des FAC. Tous les militaires avaient le devoir de respecter ces ordres. L’omission de les respecter a entrainé l’application de conséquences sur la carrière raisonnables et faciles à comprendre et incluaient la libération des FAC.
À ce sujet, je constate que les directives du CEMD et l’affidavit du DG Plans ont expliqué que, avant l’avènement de la vaccination contre la COVID-19 au Canada, les FAC avaient réussi, grâce à l’application diligente des mesures de santé publique, à instaurer un environnement de travail sûr où il y avait peu de transmission du virus. La stratégie des FAC était en grande partie fondée sur les mesures de santé publique, et sur la mise en place d’un modèle de travail dispersé (une combinaison de travail à la maison et de présence au lieu de travail) ou de télétravail lorsque cela était faisable sur le plan opérationnel. Les FAC ont aussi signalé qu’elles avaient réussi à atténuer la transmission et l’infection dans les lieux de travail. Le DG Plans a aussi expliqué que le succès de la campagne de vaccination des FAC contre la COVID-19Note de bas de page 130 avait permis d’atteindre un niveau élevé de protection de l’organisation, d’atténuer certaines mesures de santé publique à quelques endroits et de favoriser le commencement de la reconstitution des FAC.
La première directive du CEMD prévoyait que « [l]e MDN/les FAC ont réussi, dès le début de la pandémie de COVID-19, à adopter la Stratégie stratifiée d’atténuation des risques (SSAR), qui a permis d’établir un milieu de travail en sécurité où la transmission du virus est minimale ». Cette directive faisait aussi l’énoncé suivant :
14. Définition du problème. Les efforts des FAC tout au long de la pandémie de la COVID-19 ont été axés sur la protection de la santé des forces et de l’efficacité opérationnelle des capacités essentielles, ainsi qu’à prévenir la probabilité de transmission aux groupes vulnérables. Les FAC ont fait preuve d’un leadership responsable tout au long de la pandémie en continuant à remplir sa mission tout en assurant la protection des forces par l’application diligente des MSP [mesures de santé publique]. L’une des MSP les plus importantes consiste à assurer la protection maximale de l’effectif par la vaccination contre la COVID-19, car cela nous permettra d’être en mesure de fonctionner dans un environnement persistant de COVID-19. Les FAC continueront de faire preuve de leadership en alignant les politiques et les ordonnances, dans la mesure du possible, avec la politique du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) sur la vaccination de la main-d’œuvre fédérale contre la COVID-19 ([Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada]).
À mon avis, la question de l’intérêt public, telle qu’elle a été décrite par le CEMD, ne justifiait pas les mesures de portée excessive et disproportionnée que les FAC ont prise en imposant la politique sur la vaccination obligatoire. Les FAC n’ont pas démontré que les mesures contestées avaient un effet bénéfique qui était plus grand que les effets préjudiciables sur les parties plaignantes. Tel qu’il appert des commentaires fournis et des extraits cités des directives des FAC, l’organisation des FAC était dans une position relativement bonne compte tenu du contexte de la pandémie. D’ailleurs, dès le début de la pandémie, les FAC ont aidé le gouvernement du Canada dans ses efforts de lutte contre la COVID-19. En effet, des membres des FAC ont été déployés dans des établissements de soins de longue durée au Québec et en Ontario, ils ont soutenu des collectivités éloignées (notamment dans le nord du Canada), ils ont aidé l’ASPC à gérer et à distribuer de l’équipement de protection personnelle, et ils ont aidé la Santé publique de l’Ontario à effectuer le traçage de cas. Les FAC ont été en mesure de remplir leur mandat et de protéger leur effectif grâce à l’application diligente des mesures de santé publique avant (et après) que la vaccination soit disponible. Selon moi, il n’existe pas d’éléments de preuve qui démontrent que la vaccination obligatoire des militaires inaptes au déploiement ainsi que l’imposition d’une procédure de libération expéditive à un seul groupe de militaires non vaccinés (des mesures qui sont survenues 18 mois après le début de la pandémie) avaient eu des effets bénéfiques qui justifiaient les mesures disproportionnées adoptées par les FAC pour appliquer les directives du CEMD en matière de vaccination. Je conclus donc, en tenant compte de la pondération finale, que les directives du CEMD ne peuvent pas être sauvegardées par l’article premier de la Charte. J’en viens à la conclusion que les directives du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 des FAC sont inconstitutionnelles.
Mesure de réparation applicable
Si une règle est inconstitutionnelle, la mesure de réparation qui s’applique est la déclaration d’invalidité. Dans la situation qui nous intéresse, la politique des FAC sur la vaccination obligatoire a été modifiée lorsque la première directive du CEMD et la Directive 002 du CEMD ont été remplacées, le 11 octobre 2022, par la Directive 003 du CEMD. L’obligation que tous les membres des FAC soient vaccinés pour rester à l’emploi de l’organisation a alors été annulée, et la vaccination a cessé d’être une condition à remplir lors de l’enrôlement. Par conséquent, la mesure de réparation demandée par plusieurs parties plaignantes (à savoir l’annulation de la politique des FAC sur la vaccination telle qu’elle était énoncée dans la première directive du CEMD, puis dans la Directive 002 et l’Amendement 1 de la Directive 002) a déjà été mise en œuvre, en partie du moins. De plus, puisque j’ai conclu que certaines dispositions de la politique dans sa forme antérieure étaient inconstitutionnelles, l’annulation des versions précédentes de cette politique constitue une mesure de réparation partielle. Cela dit, la Directive 003 du CEMD a maintenu en vigueur les mesures administratives prises à l’encontre des militaires en vertu de la Directive 002 du CEMD. Ainsi, compte tenu de ma conclusion selon laquelle certaines dispositions de la politique dans sa forme antérieure étaient inconstitutionnelles, il faudrait que soient annulées toutes les mesures administratives prises à l’encontre de militaires à la suite de l’application de la première directive du CEMD concernant la vaccination contre la COVID-19, de la Directive 002 et de l’Amendement 1 de la Directive 002.
Plusieurs parties plaignantes ont aussi demandé que le CEMD leur présente des excuses à la suite de la violation de leurs droits fondamentaux. Je constate que le Comité ne peut pas obliger le CEMD, ni personne d’ailleurs, à présenter des excuses à une partie plaignante puisque ce geste est lié à la liberté d’expression et que cela ne peut pas être forcé.
Conclusion
Je conclus que les dispositions contestées de la politique des FAC sur la vaccination sont inconstitutionnelles et qu’elles sont donc invalides.
Signé à Ottawa, ce 23e jour de janvier 2025
Détails de la page
- Date de modification :