IV. De l’enquête disciplinaire au dépôt d’accusations, à leur renvoi et aux mesures préliminaires au procès

  1. Les enquêtes disciplinaires
    1. Au sein des Forces armées canadiennes (« FAC »), une enquête disciplinaire est tenue « [l]orsqu’une plainte est portée ou lorsqu’il y a d’autres raisons de croire qu’une infraction d’ordre militaire a été commise »Footnote 332. L’objectif est de « déterminer s’il existe des motifs suffisants qui justifient de porter une accusation » en procédant, à tout le moins, à la collecte de « tous les éléments de preuve raisonnablement disponibles qui visent à déterminer la culpabilité ou l’innocence de la personne faisant l’objet de l’enquête »Footnote 333.
    2. Une enquête disciplinaire peut être menée soit par la police militaire, soit en tant qu’enquête disciplinaire d’unité.
    3. L’organisme spécialisé en matière d’enquête de la police militaire, appelé le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (« SNEFC »), a un droit de premier refus à l’égard des enquêtes sur les infractions graves et les infractions délicates, y compris les infractions criminelles d’ordre sexuel. Sauf dans le cas d’infractions criminelles d’ordre sexuelFootnote 334, le SNEFC peut toutefois déférer sa responsabilité en matière d’enquête à la police militaire locale n’appartenant pas au SNEFC (souvent désignée comme la police militaire en uniforme) lorsque le commandant du SNEFC le juge indiqué. Même si la responsabilité en matière d’enquête ne leur est pas confiée, les policiers militaires en uniforme peuvent être appelés à épauler le SNEFC dans le cadre d’enquêtesFootnote 335.
    4. Toutes les autres infractions d’ordre militaire font l’objet d’enquêtes menées soit par les policiers militaires en uniforme, soit par les unités, sans répartition claire des tâches. Conformément à la tradition et aux pratiques militaires, les unités assument généralement la responsabilité des enquêtes relatives à des infractions disciplinaires mineures, par exemple lorsque l’accusé n’aurait pas le droit de choisir d’être jugé par une cour martiale. Ce sont généralement les policiers militaires en uniforme qui enquêtent sur les infractions dont le niveau de gravité commande davantage qu’une enquête disciplinaire d’unité, mais moins qu’une enquête du SNEFCFootnote 336.
      1. Les enquêtes disciplinaires d’unité
        1. Certains membres des FAC m’ont dit qu’il y avait un manque de surveillance à l’égard des enquêtes disciplinaires d’unité, ouvrant ainsi la porte à des abus de la part d’officiers en positions d’autorité. D’autres ont dit que les militaires affectés à ces enquêtes n’étaient pas suffisamment formés. Certains commandants se sont dits d’avis que les enquêtes disciplinaires d’unité étaient inutilement lourdes et qu’elles ne devraient pas être requises en cas d’infraction disciplinaire mineure, tandis que d’autres m’ont assuré que la plupart de ces enquêtes pouvaient généralement être réalisées en quelques jours, sinon quelques heuresFootnote 337.
        2. Ces commentaires limités et contradictoires ne justifient ni conclusions fermes ni recommandations précises. Je crois qu’il est préférable de laisser à la juge-avocate générale (« JAG ») le soin d’évaluer le fondement et la prévalence de ces préoccupations en vertu du pouvoir que lui confère la loi d’exercer son autorité sur tout ce qui touche l’administration de la justice militaireFootnote 338.
      2. Les enquêtes de la police militaire
        1. Une préoccupation importante à l’égard tant du SNEFC que de la police militaire en uniforme était celle des délais dans les enquêtes.
        2. Les délais dans les enquêtes ont été examinés auparavant – plus d’une fois. En 2011, le juge en chef LeSage a recommandé que « [l]e délai cible pour mener une enquête sur une affaire simple ne [dépasse pas] un mois »Footnote 339. Au printemps 2018, le vérificateur général du Canada a examiné de nombreuses enquêtes menées par la police militaire et a conclu que, dans la grande majorité des cas, la norme de temps de 30 jours de la police militaire avait été dépassée, et ce, sans aucune justification écriteFootnote 340. Quelques mois plus tard, dans son évaluation des services de police militaire, la sous‑ministre adjointe (Services d’examen) a recommandé que le grand prévôt des Forces canadiennes (« GPFC ») « surveille le temps d’enquête comme indicateur de rendement du programme des services de police militaire pour appuyer les décideurs »Footnote 341.
        3. Les ordres du Groupe de la Police militaire ont été modifiés dans la foulée du rapport de 2018 du vérificateur général. La norme de temps de 30 jours a été supprimée. Les ordres du Groupe précisent maintenant qu’« [e]n général, les enquêtes doivent être menées le plus rapidement et efficacement possible, sans que leur intégrité soit compromise »Footnote 342. Les raisons de tout retard doivent être consignées dans les dossiers de la police militaire, surtout « [s]’il n’y a pas d’activité d’enquête importante pendant 30 jours »Footnote 343. Un Programme d’analyse de la police militaire (« PAPM ») a été créé à l’été 2019 pour effectuer le suivi de la conformité des policiers militaires à ces ordres du Groupe. Le GPFC m’a dit que [traduction] « [l]e PAPM a permis au [groupe de la Police militaire] d’atteindre un taux de conformité moyen de plus de 98 % au cours des six derniers mois de 2020 (à ce jour) et il a à toutes fins pratiques éliminé l’existence de dossiers passant 60 jours sans aucune mise à jour »Footnote 344.
        4. Ces mesures en sont encore à leurs débuts. Il semble qu’elles aient eu des résultats positifs jusqu’à maintenant, mais les données actuellement disponibles sont insuffisantes pour déterminer si ces mesures permettront de réduire les délais dans les enquêtes à long terme. Je recommande que le GPFC, dans ses prochains rapports, fournisse des données sur la durée des enquêtes de la police militaire. Si ces données indiquent que des délais inappropriés dans les enquêtes persistent ou resurgissent, le GPFC devrait réévaluer l’efficacité des mesures mises en œuvre en 2018 et 2019 et envisager la mise en œuvre de nouvelles réformes.
          1. Recommandation #29. Dans ses rapports annuels, le grand prévôt des Forces canadiennes devrait fournir des données sur la durée des enquêtes de la police militaire. Si ces données indiquent que des problèmes de délais dans les enquêtes persistent ou resurgissent, le grand prévôt des Forces canadiennes devrait réévaluer l’efficacité des mesures mises en œuvre en 2018 et 2019 et envisager la mise en œuvre de nouvelles réformes.
  2. Les mandats de perquisition
    1. Il peut être nécessaire, dans le cadre d’une enquête disciplinaire, de procéder à une fouille. Les fouilles nécessitent généralement une autorisation préalable sous la forme d’un mandat de perquisitionFootnote 345.
    2. Selon la LDN, les mandats de perquisition ne peuvent actuellement être décernés que par un commandantFootnote 346. Toutefois, j’ai été informé par le Service canadien des poursuites militaires (« SCPM ») qu’il y a une réticence générale, particulièrement de la part des enquêteurs du SNEFC, à s’appuyer sur un mandat de perquisition décerné par un commandant. De fait, la police militaire a, dans les dernières années, reçu des instructions spécifiques à l’effet de n’utiliser un mandat de perquisition décerné par un commandant que « dans les très rares situations où il est impossible d’obtenir un mandat prévu par le Code criminel en raison de l’indisponibilité d’une autorité judiciaire civile », c’est‑à‑dire principalement les « situations dans lesquelles l’article à chercher et à saisir se trouve en dehors de la compétence territoriale du Canada »Footnote 347. Les policiers militaires qui envisagent néanmoins de demander un mandat de perquisition décerné par un commandant au Canada doivent consulter leur chaîne de commandement ainsi qu’un conseiller juridique d’unité avant de le faire.
    3. La réticence des enquêteurs à s’appuyer sur des mandats de perquisition décernés par un commandant est compréhensible. Il y a un risque que le régime des mandats de perquisition décernés par un commandant ne réponde pas aux exigences constitutionnelles de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »)Footnote 348, à tout le moins dans les circonstances où un mandat de perquisition peut raisonnablement être obtenu auprès d’un juge de paix civil. Néanmoins, je conviens avec le GPFC qu’il n’est pas approprié de forcer les enquêteurs à faire appel au système de justice civil lorsque les juges militaires pourraient facilement, à mon avis, assumer la fonction de décerner les mandats.
      1. Recommandation #30. La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée afin de permettre aux juges militaires de décerner des mandats de perquisition dans le cadre d’enquêtes disciplinaires et afin de permettre le recours aux mandats de perquisition décernés par un commandant seulement lorsqu’un mandat ne peut pas raisonnablement être obtenu en temps opportun auprès d’un juge militaire ou d’un juge de paix civil.

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  3. Les arrestations
    1. L’arrestation sans mandat de membres des Forces armées canadiennes
      1. Tout membre des FAC peut arrêter sans mandat tout justiciable du code de discipline militaire (« CDM ») qui a commis, est pris en flagrant délit de commettre ou est accusé d’avoir commis une infraction d’ordre militaire, ou encore est soupçonné, pour des motifs raisonnables, d’avoir commis une telle infractionFootnote 349. Les policiers militaires disposent des pouvoirs les plus vastes à cet égard puisqu’ils peuvent arrêter sans mandat tout justiciable du CDM, quel que soit son grade ou son statutFootnote 350. En comparaison, les pouvoirs d’arrestation sans mandat des officiers et des militaires du rang sont limités, dans la plupart des cas, par leurs rangs respectifsFootnote 351.
      2. Pour donner suite à une recommandation du juge en chef LamerFootnote 352, le projet de loi C-15Footnote 353 a limité des pouvoirs d’arrestation sans mandat de tous les membres des FAC. Pour les infractions autres que les infractions gravesFootnote 354, il a imposé le devoir de ne pas arrêter une personne (ou ordonner son arrestation) sans mandat dans certaines conditionsFootnote 355. Ce devoir s’inspire de celui imposé aux agents de la paix par le paragraphe 495(2) du Code criminel.
      3. Toutefois, le devoir de ne pas arrêter une personne sans mandat s’applique à un éventail d’infractions moins large que sous le régime du Code criminel. Le devoir de ne pas arrêter une personne sans mandat imposé à un agent de la paix s’applique à plusieurs actes criminels, à toutes les infractions mixtesFootnote 356 et à toutes les infractions punissables par procédure sommaire. Le devoir de ne pas arrêter sans mandat imposé à un membre des FAC ne s’applique qu’aux actes criminels et aux infractions punissables par procédure sommaire punissables par une peine de moins de cinq ans d’emprisonnement.
      4. À mon avis, la portée du devoir de ne pas arrêter sans mandat imposé aux militaires devrait être élargie afin d’empêcher l’arrestation inutile, par exemple, d’une personne dont l’arrestation n’est pas dans l’intérêt public et qui se présentera probablement volontairement devant un tribunal militaire. Plus particulièrement, je recommande que le devoir de ne pas arrêter sans mandat s’applique à toutes les infractions d’ordre militaire, à l’exception des infractions désignéesFootnote 357.
        1. Recommandation #31. Aux paragraphes 155(2.1) et 156(2) de la Loi sur la défense nationale, les mots « pour une infraction qui n’est pas une infraction grave » devraient être remplacés par les mots « pour une infraction qui n’est pas une infraction désignée ».
    2. L’arrestation sans mandat de civils
      1. Le système de justice militaire a compétence à l’égard des civils dans certaines circonstancesFootnote 358. En outre, toute personne qui était justiciable du CDM au moment où elle aurait commis une infraction d’ordre militaire peut être accusée, poursuivie et jugée pour cette infraction en tout temps, qu’elle soit encore justiciable du CDM à ce moment ou non.
      2. Deux articles de la LDN confèrent le pouvoir d’arrêter sans mandat des justiciables du CDM autres que des membres des FAC.
      3. Premièrement, les policiers militaires peuvent arrêter sans mandat « tout justiciable du code de discipline militaire »Footnote 359. Il n’est pas clair qu’ils puissent aussi arrêter des personnes autrefois justiciables du CDM pour des infractions passées présumées. Ce point devrait être clarifié.
        1. Recommandation #32. L’alinéa 156(1)a) de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de clarifier que les policiers militaires peuvent, sous réserve de leur devoir de ne pas arrêter sans mandat dans certaines circonstances, arrêter sans mandat toute personne qui est justiciable du code de discipline militaire, ou toute personne qui était justiciable du code de discipline militaire au moment de la prétendue perpétration par cette personne d’une infraction d’ordre militaire.
      4. Deuxièmement, en vertu du paragraphe 155(3) de la LDN, les personnes désignées par un commandant peuvent arrêter sans mandat « [t]out civil qui était justiciable du code de discipline militaire au moment de sa prétendue perpétration d’une infraction d’ordre militaire ».
      5. Au titre du paragraphe 494(1) du Code criminel, des civils ne peuvent être arrêtés sans mandat par d’autres civils que s’ils sont trouvés en train de commettre un acte criminelFootnote 360 ou s’ils ont commis une infraction criminelle et qu’ils tentent de fuir. Le pouvoir d’arrêter sans mandat des civils et d’anciens membres des FAC justiciables du CDM est justifié dans des circonstances analogues. Autrement, les membres des FAC ne devraient pas disposer de pouvoirs d’arrestation sans mandat plus vastes que ceux que détient tout civil au CanadaFootnote 361.
        1. Recommandation #33. Le paragraphe 155(3) de la Loi sur la défense nationale devrait être remplacé par une disposition autorisant les officiers ou les militaires du rang des Forces armées canadiennes, dans les circonstances précisées ci‑dessous, à arrêter sans mandat tout justiciable du code de discipline militaire, autre qu’un officier ou un militaire du rang, ou toute personne qui était justiciable du code de discipline militaire au moment de la prétendue perpétration par cette personne d’une infraction d’ordre militaire.
        2. Ce pouvoir d’arrestation sans mandat devrait s’appliquer seulement lorsqu’une personne a) est trouvée en train de commettre une infraction grave; ou b) est soupçonnée, pour des motifs raisonnables, d’avoir commis une infraction d’ordre militaire, d’être en train de fuir des personnes légalement autorisées à l’arrêter et d’être immédiatement poursuivie par ces personnes.

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    3. Les mandats d’arrestation
      1. Toute autre arrestation doit avoir été autorisée préalablement par la délivrance d’un mandat d’arrestation. Une fois de plus, selon le paragraphe 157(1) de la LDN, seuls les commandants ou les officiers délégués peuvent décerner des mandats d’arrestation.
      2. Le paragraphe 157(1) de la LDN a fait l’objet de contestations fondées sur les articles 7 et 8 de la Charte dans l’affaire Levi‑Gould, dans laquelle un juge militaire a conclu que, dans certaines circonstances, « un commandant […], peu importe son niveau de formation, son éthique ou sa bonne volonté, est tellement impliqué dans les fonctions d’enquêtes des conseillers les plus proches de son équipe qu’il ne peut pas agir de façon judiciaire lorsqu’il autorise l’application d’un mandat d’arrestation »Footnote 362.
      3. Une fois entré en vigueur, le projet de loi C-77Footnote 363 interdira aux commandants et aux officiers délégués de décerner des mandats « pour l’arrestation d’une personne qui est membre de la même unité des Forces canadiennes [qu’eux], ou y sert, y est affectée ou détachée »Footnote 364. Cette restriction constituera une amélioration, bien qu’insuffisante à mon avis.
      4. Pour des raisons de politique publique, un justiciable du CDM devrait généralement avoir le droit à ce que le décernement d’un mandat d’arrestation soit considéré par une personne réellement neutre et indépendante de la direction des FAC. Je ne vois aucune raison de principe justifiant de ne pas autoriser les juges militaires à assumer la fonction de décerner des mandats dans la plupart des situations. Les pouvoirs des commandants et des officiers délégués pourraient continuer de s’appliquer, mais ils se limiteraient aux rares situations dans lesquelles un mandat judiciaire ne pourrait pas raisonnablement être obtenu en temps opportun.
        1. Recommandation #34. La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée afin de permettre aux juges militaires de décerner des mandats d’arrestation à l’égard de personnes justiciables du code de discipline militaire et afin de permettre le recours aux mandats d’arrestation décernés par un commandant ou un officier délégué seulement lorsqu’un mandat ne peut pas raisonnablement être obtenu en temps opportun auprès d’un juge militaire.
      5. J’aurais souhaité examiner aussi l’application pratique des pouvoirs d’arrestation prévus par la LDN. En fait, j’ai demandé qu’on me fournisse des données démographiques sur les arrestations et les détentions avant procès, y compris des renseignements sur les diverses communautés (minorités visibles, groupes ethniques ou culturels, orientation sexuelle, etc.) auxquelles les personnes arrêtées ou détenues s’étaient identifiées. On m’a répondu qu’il n’existait actuellement pas de telles données centralisées et que la police militaire ne pourrait fournir que des données limitées, qui devraient être validées avant toute publication.
      6. Je comprends que le GPFC et le Cabinet du JAG (« CJAG ») sont en train de prendre des mesures pour améliorer la disponibilité des données sur les arrestations. Le PAPM devrait corriger les limites auxquelles se heurte la police militaire en matière de données, et le CJAG travaille à la mise en œuvre du Système d’administration de la justice et de gestion de l’information (« SAJGI »)Footnote 365. J’ai été informé que seront consignées dans le SAJGI les dates des arrestations ainsi que la durée des détentions avant procès. J’ai également été informé que le SAJGI sera lié au système de gestion des ressources humaines des FAC, lequel contient des renseignements démographiques.
      7. À la lumière de ce qui précède, je recommande que des données et des évaluations sur les arrestations et les détentions avant procès soient fournies par le GPFC et la JAG dans leurs prochains rapports annuels. Cela permettra aux prochains examinateurs du système de justice militaire d’évaluer la mise en application pratique des régimes en matière d’arrestation et de détention préventive. Si ces données et évaluations quelque préoccupation de nature systémique que ce soit, le GPFC et la JAG devraient envisager et mettre en œuvre des solutions sans attendre le prochain examen indépendant.
        1. Recommandation #35. Le grand prévôt des Forces canadiennes et la juge‑avocate générale devraient fournir, dans leurs prochains rapports annuels, des données et des évaluations sur les arrestations et les détentions avant procès. Les données devraient, à tout le moins, comprendre le nombre d’arrestations, le statut des personnes qui ont procédé aux arrestations et qui ont été arrêtées, la nature des infractions d’ordre militaire alléguées, la durée des détentions, ainsi que des renseignements sur les diverses communautés auxquelles les personnes arrêtées ou détenues se sont identifiées.
  4. La détention préventive
    1. J’ai plusieurs préoccupations quant à l’état actuel du processus de détention préventive. Le processus m’apparaît excessivement lourd et il entraîne des délais injustifiés pour les personnes en détention.Footnote 36 Si une personne est arrêtée et placée en détention (ou « détenue »), jusqu’à 24 heures peuvent s’écouler avant qu’un rapport de détention soit remis à l’officier réviseur de la détentionFootnote 367. Une autre période de 24 heures peut s’écouler avant que l’officier réviseur décide soit de maintenir la personne en détention, soit de la mettre en liberté, avec ou sans conditions.
    2. Une personne ne peut pas être mise en liberté sous conditions avant que l’officier réviseur ait reçu le rapport de détention. Une personne peut donc être maintenue en détention uniquement parce que les conditions de sa mise en liberté n’ont pas encore été déterminées par l’officier réviseur. Les policiers militaires devraient plutôt être autorisés à mettre une personne en liberté sous promesse de respecter certaines conditions. Les agents de la paix ont ce pouvoir dans le système de justice civilFootnote 368. Tant la personne mise en liberté sous conditions que les FAC devraient avoir le droit de présenter à un juge militaire une demande de révision des conditions établies par un policier militaireFootnote 369. Elles devraient ensuite avoir le droit d’interjeter appel devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada.Footnote 370
      1. Recommandation #36. Les policiers militaires qui arrêtent, avec ou sans mandat, des personnes justiciables du code de discipline militaire ou à qui est confiée la garde de personnes arrêtées devraient avoir le pouvoir de mettre ces personnes en liberté si celles‑ci remettent une promesse, à moins qu’elles soient accusées d’une infraction désignée. Les conditions permissibles d’une promesse devraient être développées à la lumière du contenu actuel de l’article 158.6 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 501 du Code criminel.
    3. Cependant, même si cette recommandation est mise en œuvre, une personne arrêtée et détenue ne sera pas à l’abri de délais injustifiés et de difficultés inutiles. En attendant une décision de l’officier réviseur, les personnes arrêtées peuvent actuellement demeurer en détention jusqu’à 48 heures sans être conduites devant un juge – même lorsqu’un juge est disponibleFootnote 371. Dans le système civil, une personne en détention doit être conduite devant un juge « sans retard injustifié et, dans tous les cas, au plus tard dans [un délai de vingt‑quatre heures] » si un juge est disponible, ou « le plus tôt possible » si un juge n’est pas disponible dans ce délai.Footnote 372
    4. Il n’y a aucune raison pour que les personnes en détention dans le système de justice militaire ne soient pas conduites devant un juge militaire dans un délai de 24 heures, sans d’abord devoir traverser le processus de révision de la détention. L’officier réviseur ne devrait être appelé à intervenir qu’advenant qu’aucun juge militaire ne soit disponible dans un délai de 24 heures.
    5. Enfin, au cours des séances d’information de mon équipe sur les fondements de la justice militaire, une avocate militaire du CJAG s’est dite préoccupée par le fait que les personnes en détention soient à risque accru de fournir, par inadvertance, des éléments de preuve auto‑incriminants durant le processus de révision de la détention. Il en est ainsi parce que les personnes en détention doivent se voir donner l’occasion de présenter leurs observations quant à leur remise en liberté. Ces observations, s’il y a lieu, doivent être jointes au rapport de détention remis à l’officier réviseurFootnote 373. En pratique, toutes les personnes en détention se voient donc demander si elles souhaitent présenter des observations quant à leur remise en liberté. Le risque qu’elles s’auto-incriminent par inadvertance au cours du processus est évident.
    6. J’ai demandé au CJAG s’il était arrivé que des observations présentées par des personnes en détention aient été utilisées contre elles au procès et si la JAG était satisfaite du caractère satisfaisant du régime actuel. Le CJAG n’a pas fourni de données en réponse, mais il a reconnu que les observations présentées par une personne pouvaient ouvrir la porte à la possibilité de faire des déclarations auto‑incriminantes. Il s’est également dit [traduction] « convaincu que le cadre législatif du système de justice militaire prévoit des mesures de protection adéquates contre le risque d’auto‑incrimination durant la détention préventive, et contre l’utilisation subséquente de déclarations obtenues de façon irrégulière »Footnote 374. Les mesures de protection principales invoquées par le CJAG étaient le droit d’une personne détenue de faire appel à un avocat de la Direction du service d’avocats de la défense pour obtenir des conseils juridiques gratuits, le droit de choisir d’être jugé devant une cour martiale dans plusieurs cas et les règles régissant la réception de la preuve devant une cour martiale.

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    7. Bien que souhaitables, ces mesures de protection sont insuffisantes. À tout le moins, les personnes détenues devraient être expressément informées que toute déclaration faite durant leur détention, y compris les observations présentées quant à leur remise en liberté, peut être produite en preuve contre elles à leur procès. En outre, je crois que le processus de détention préventive serait plus équitable si les personnes détenues étaient conduites le plus tôt possible devant un juge militaire pour présenter leurs observations quant à leur remise en liberté, et ce, avec le bénéfice des services d’un avocat nommé par le directeur du service d’avocats de la défense.
      1. Recommandation #37. Une personne mise sous garde militaire devrait être conduite devant un juge militaire sans retard injustifié et, dans tous les cas, dans un délai de 24 heures suivant l’arrestation, si un juge militaire est disponible. Une personne en détention ne devrait pas se voir demander de présenter des observations quant à sa remise en liberté si elle peut être conduite devant un juge militaire dans ce délai.
      2. Si aucun juge militaire n’est disponible dans un délai de 24 heures suivant l’arrestation, le processus actuel de détention préventive devrait continuer de s’appliquer, mais la personne détenue devrait être expressément informée que toute déclaration faite durant sa détention, y compris les observations présentées quant à sa remise en liberté, peut être produite en preuve contre elle à son procès, et devrait être conduite devant un juge militaire le plus tôt possible.
  5. Le dépôt d’accusations
    1. La poursuite contre une personne à qui il est reproché d’avoir commis une infraction d’ordre militaire est entamée par le dépôt d’une accusation.Footnote 375 Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C‑15, le paragraphe 161(2) de la LDN prévoit que « [s]i la personne est en détention préventive ou en liberté sous condition, l’accusation doit être portée avec toute la célérité que les circonstances permettent ».Des accusations relatives à des infractions d’ordre militaire ne peuvent être portées que par un commandant, un officier autorisé par un commandant à porter des accusations ou un membre du SNEFCFootnote 376. Si l’enquête disciplinaire a été menée par des policiers militaires en uniforme, ceux‑ci peuvent soumettre leurs recommandations quant aux accusations au commandant de l’accusé ou à la personne qui porte les accusations, mais ils ne peuvent pas porter les accusations eux‑mêmes. En revanche, les policiers militaires en uniforme peuvent, en tant qu’agents de la paix, porter des accusations criminelles dans le système de justice civilFootnote 377.
    2. Une personne qui a le pouvoir de porter des accusations doit, avant de le faire, obtenir des conseils juridiques relativement à toutes les accusations, à l’exception de celles concernant des infractions d’ordre militaire qui auraient été commises moins de six mois plus tôt et qui ne donneraient pas droit d’opter pour un procès par cour martialeFootnote 378.
    3. Une personne qui porte une accusation doit en saisir le commandant de l’accusé, le commandant de la base, de l’unité ou de l’élément où se trouvait l’accusé au moment où les accusations ont été portées ou un officier déléguéFootnote 379. Fait important, l’officier qui a été saisi d’une accusation a le pouvoir discrétionnaire de ne pas y donner suite (ou de recommander de ne pas y donner suite)Footnote 380. C’est ce qu’on appelle les mesures préliminaires au procès.
    4. En l’absence de mesures préliminaires au procès, les accusations peuvent être jugées par procès sommaire dans certains cas. Dans tous les autres cas, les accusations sont renvoyées à une autorité de renvoiFootnote 381. C’est ce qu’on appelle le renvoi des accusations. Avant de prendre une décision quant aux mesures préliminaires au procès ou au renvoi des accusations, l’officier saisi des accusations doit obtenir des conseils juridiques pour essentiellement les mêmes accusations que celles pour lesquelles des conseils juridiques préalables ont été obtenusFootnote 382.
    5. L’autorité de renvoi doit renvoyer les accusations au directeur des poursuites militaires (« DPM ») « en formulant les recommandations sur le sort à [...] réserver [à l’accusation] [que l’autorité de renvoi] juge pertinentes »Footnote 383. Elle peut également enjoindre au commandant ou au commandant supérieur qui a renvoyé les accusations de juger l’accusé sommairement dans les cas où cette façon de procéder est permise.Footnote 384
      1. L’obligation de porter des accusations avec célérité
        1. Le paragraphe 161(2) de la LDN met en œuvre une recommandation du juge en chef LamerFootnote 385. Ce dernier a renvoyé à l’existence de l’alinéa 505b) du Code criminel, qui prévoit qu’après qu’une personne arrêtée ait été mise en liberté par un agent de la paix, une dénonciation relative à l’infraction doit être faite dans le système de justice civil dès que cela est possible. Ceci s’applique que la mise en liberté ait été faite sur présentation d’une promesse de respecter certaines conditions ou sur la simple délivrance d’une citation à comparaître. Le juge en chef Lamer ne voyait « aucune raison d’ordre militaire expliquant pourquoi le système de justice militaire devrait être différent du système de justice civile à cet égard »Footnote 386. Toutefois, il n’a pas recommandé qu’il y ait obligation de porter des accusations contre une personne mise en liberté sans conditions avec toute la célérité que les circonstances permettent.
        2. À mon avis, l’application du paragraphe 161(2) de la LDN demeure trop étroite. L’obligation devrait s’appliquer aux accusations contre les personnes mises en liberté sans conditions, surtout compte tenu du besoin particulier d’une application rapide de la discipline militaire au sein du système de justice militaire, qui nécessite à son tour le traitement rapide des accusations.
          1. Recommandation #38. Le paragraphe 161(2) de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de prévoir qu’une accusation contre une personne en détention préventive ou en liberté avec ou sans conditions doive être portée avec toute la célérité que les circonstances permettent.
          2. L’article 107.031 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devrait être modifié afin d’exiger que toute telle personne soit avisée par écrit, dès que possible, d’une décision de ne pas porter d’accusations à son égard.
      2. Le pouvoir des policiers militaires en uniforme de porter des accusations
        1. Le GPFC, entre autres, a recommandé que le pouvoir de porter des accusations relativement à des infractions d’ordre militaire soit accordé à tous les policiers militaires, et non seulement à ceux à qui on a assigné une fonction d’enquêteur au sein du SNEFC. Deux raisons principales ont été fournies.
        2. Premièrement, une préoccupation a été soulevée quant au fait que certains commandants ou certains officiers autorisés à porter des accusations puissent ne pas agir de façon impartiale au moment de décider si porter des accusations contre des membres de leur unité et, le cas échéant, de déterminer lesquelles. De nombreux participants à mes assemblées virtuelles ont fourni des anecdotes pour étayer cette préoccupation.
        3. J’ai entendu parler de recommandations d’accusations formulées par des policiers militaires en uniforme qui ont été rejetées – même s’il s’agissait d’infractions graves – sur le fondement de considérations étrangères et non pertinentes, comme le rendement de l’accusé au sein de l’unité, le désir de lui donner une seconde chance ou d’éviter de compromettre sa carrière, ou même la réticence du commandant à attirer l’attention sur le maintien de la discipline (ou sur le manque de discipline) sous son commandement.
        4. Le caractère arbitraire des décisions en matière d’accusations fondées sur de telles considérations est particulièrement apparent lorsque plusieurs membres des FAC provenant de différentes unités sont impliqués dans une seule et même infraction ou dans des infractions les uns contres les autres (comme des voies de fait mutuelles). Des policiers militaires m’ont parlé de cas qui ont possiblement donné lieu à une injustice, par exemple des cas où seuls certains des membres des FAC impliqués dans un incident ont fait l’objet d’accusations de la part de leurs commandants.
        5. J’ai également entendu parler d’infractions graves qui ont fait l’objet d’accusations pour des infractions objectivement moins graves, soit en raison des considérations étrangères et non pertinentes mentionnées précédemment, soit pour assurer qu’elles puissent être jugées sommairement (en évitant les règles qui régissent le choix d’être jugé devant une cour martiale)Footnote 387.

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        6. Un policier militaire a raconté un incident lors duquel un membre des FAC a commis des voies de fait contre un autre policier militaire, tenté de le désarmer et menacé de tuer un troisième policier militaire envoyé en renfort. Cependant, en plus de n’avoir été accusé que des infractions d’ordre militaire d’ivresse et de querelles et désordres, l’auteur de l’aggression a été promu quelques semaines après le procès sommaire. Un autre policier militaire m’a parlé d’une infraction de voies de fait graves, motivée par la haine, à la suite de laquelle la victime a dû subir une reconstruction faciale. Une fois de plus, l’agresseur présumé a seulement été accusé des infractions d’ordre militaire d’ivresse, de mauvais traitements à subalternes et de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
        7. Ces anecdotes soulèvent de graves préoccupations. Compte tenu des protections constitutionnelle et légale contre la double incrimination, le fait de porter des accusations moins graves peut faire en sorte que des infractions graves prévues au Code criminel soient complètement ignorées ou demeurent impunies. Le fait de ne pas porter d’accusations ou de porter des accusations moins graves peut également constituer un obstacle considérable aux efforts déployés par le système de justice militaire pour décourager la perpétration d’infractions graves. Des anecdotes comme celles-ci remettent en question un principe fondamental fréquemment invoqué par les FAC – celui selon lequel les infractions civiles qui constituent un manquement à la discipline militaire doivent être punies plus sévèrement que les mêmes infractions commises par des civils. Elles mènent à douter que le principe invoqué soit systématiquement mis en application en pratique.
        8. La deuxième raison fournie pour étayer la recommandation d’accorder aux policiers militaires en uniforme le pouvoir de porter des accusations est d’ordre plus pratique. Actuellement, l’obligation de remettre les résultats d’une enquête à la chaîne de commandement entraîne des retards injustifiés, ce qui a été souligné par le vérificateur général dans son rapport de 2018Footnote 388.
        9. Malgré ses désavantages, rares sont ceux qui prétendent que le pouvoir de la chaîne de commandement d’une unité de porter des accusations devrait être complètement éliminé. Je suis convaincu que ce pouvoir est nécessaire. Mais le fait d’accorder aussi aux policiers militaires en uniforme le pouvoir de porter des accusations n’aurait aucune incidence sur le pouvoir accordé à la chaîne de commandement. Cela permettrait simplement de rendre le système plus efficace et moins vulnérable à la crainte et au risque que des décisions partiales ou arbitraires soient prises par la chaîne de commandement d’une unité.
        10. Dans son rapport de 1997, qui constitue la source et le guide du système de justice militaire moderne, le juge en chef Dickson a reconnu que « pour les affaires délicates ou graves, […] pour que le processus soit tout à fait transparent, […] il faut conférer à l’entité », qui est devenue le SNEFC, « le pouvoir de déposer des accusations »Footnote 389. Presque 25 ans plus tard, le temps est maintenant venu d’étendre cette même règle, sur le même fondement, à toutes les infractions d’ordre militaire faisant l’objet d’une enquête par le SNEFC ou par les policiers militaires en uniforme. Le GPFC m’a indiqué que la police militaire avait la capacité d’apporter les ajustements à la formation, aux politiques, aux procédures et aux ressources nécessaires pour permettre aux policiers militaires en uniforme d’assumer de façon responsable le pouvoir de porter des accusations relativement à des infractions d’ordre militaireFootnote 390.
          1. Recommandation #39. Le passage « à qui on a assigné une fonction d’enquêteur au sein du Service national d’enquêtes des Forces canadiennes » qui figure à l’article 107.02 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devrait être abrogé pour permettre à tous les policiers militaires de porter des accusations. Cette recommandation devrait entrer en vigueur une fois que le grand prévôt des Forces canadiennes aura mis en place les ressources, la formation, les politiques et les procédures nécessaires pour permettre aux policiers militaires en uniforme d’exercer cette nouvelle fonction.
        11. Si les policiers militaires en uniforme se voient accorder le pouvoir de porter des accusations, ils seront tenus d’obtenir des conseils juridiques avant et après le dépôt des accusations, comme il a déjà été expliquéFootnote 391. La division de la justice militaire du CJAG comporte déjà la direction - Services juridiques du grand prévôt des Forces canadiennes. Toutefois, j’ai été informé par le GPFC que les conseillers juridiques affectés à cette direction n’ont pas pour mandat de fournir des conseils juridiques relativement à des enquêtes précises. Si des policiers militaires en uniforme doivent obtenir des conseils juridiques, ces conseils sont actuellement fournis par des avocats militaires locaux, qui conseillent aussi d’autres unités des FAC.
        12. À mon avis, il serait préférable que les conseils juridiques requis avant et après le dépôt d’accusations soient fournis aux policiers militaires en uniforme par des conseillers juridiques intégrés au Groupe de la Police militaire des Forces canadiennes. S’en remettre à des conseillers internes plutôt qu’à des avocats militaires locaux favoriserait le développement d’une expertise interne et mènerait à une plus grande uniformité dans les décisions en matière d’accusations.
          1. Recommandation #40. Les conseils juridiques concernant les accusations portées par des policiers militaires autres que ceux à qui on a assigné une fonction d’enquêteur au sein du Service national des enquêtes des Forces canadiennes devraient être fournis par des conseillers juridiques intégrés au Groupe de la Police militaire des Forces canadiennes (en consultation avec des procureurs militaires, selon ce qui convient).
  6. Le renvoi des accusations et les mesures préliminaires au procès
    1. Une fois portées, les accusations sont renvoyées au commandant de l’accusé ou d’autres officiers désignés, qui peuvent décider de ne pas y donner suite (ou recommander de ne pas y donner suite). Si la chaîne de commandement ne donne pas suite à des accusations portées par le SNEFC, ce dernier dispose du droit exceptionnel d’insister pour que les accusations soient néanmoins déférées au DPMFootnote 392.
    2. Comme de nombreux autres participants à mon examen, la JAG a déclaré que le pouvoir qu’a la chaîne de commandement de décider de ne pas donner suite à des accusations portées par le SNEFC pourrait être perçu comme une tentative d’exercer une influence indue sur les décisions de justice militaire. La JAG a proposé que les accusations portées par le SNEFC soient déférées directement au DPM sans passer par la chaîne de commandement de l’accusé ou par une autorité de renvoi. Je souscris entièrement à la suggestion de la JAG.
      1. Recommandation #41. Les accusations portées par des policiers militaires à qui on a assigné une fonction d’enquêteur au sein du Service national des enquêtes des Forces canadiennes devraient être déférées directement au directeur des poursuites militaires sans intervention de la chaîne de commandement de l’accusé.
    3. Comme il a déjà été mentionné, les préoccupations quant à l’impartialité des commandants au moment de prendre des décisions en matière d’accusations à l’égard de membres de leur unité sont l’une des raisons d’accorder à tous les policiers militaires le pouvoir de porter des accusations. Il s’ensuit logiquement, il me semble, que les commandants ne devraient plus avoir le pouvoir discrétionnaire de ne pas donner suite à des accusations portées par quelque policier militaire que ce soit.
    4. Cependant, la solution concernant les accusations portées par des membres du SNEFC ne peut pas être appliquée immédiatement aux accusations portées par des policiers militaires en uniforme. En effet, les infractions d’ordre militaire qui font l’objet d’une enquête de la police militaire en uniforme sont généralement moins graves et pourraient tout à fait pouvoir faire l’objet de procès sommaires. Dans ces cas, la chaîne de commandement de l’accusé devra être informée des accusations.
    5. Il s’agit cependant d’une situation temporaire. Une fois que le projet de loi C‑77 entrera en vigueur, les accusations portées relativement à des infractions d’ordre militaire (par opposition aux manquements d’ordre militaire) ne pourront être jugées que par une cour martiale. Le paragraphe 161.1(1) de la LDN sera modifié afin de prévoir qu’une accusation visant une personne présumée avoir commis une infraction d’ordre militaire sera « déférée, conformément aux règlements du gouverneur en conseil, au directeur des poursuites militaires »Footnote 393. Il sera alors possible d’appliquer aux accusations portées par des policiers militaires en uniforme la recommandation formulée concernant les accusations portées par des membres du SNEFC.
    6. En attendant, la chaîne de commandement d’une unité devrait être tenue de déférer au DPM les accusations portées par des policiers militaires en uniforme pour lesquelles elle refuse de procéder par procès sommaire. Les seules accusations qui ne seraient pas déférées au DPM dans ce contexte seraient les accusations relatives à des infractions disciplinaires mineures qui ne donnent pas le droit d’opter d’être jugé devant une cour martialeFootnote 394. Je suis moins préoccupé par la capacité des commandants de décider s’il y a lieu ou non de juger par procès sommaire de telles accusations.
      1. Recommandation #42. Les accusations portées par des policiers militaires autres que ceux à qui on a assigné une fonction d’enquêteur au sein du Service national des enquêtes des Forces canadiennes devraient continuer d’être déférées d’abord aux chaînes de commandement des unités. Les chaînes de commandement des unités devraient toutefois déférer au directeur des poursuites militaires toutes celles parmi ces accusations pour lesquelles elles refusent de procéder par procès sommaire, à l’exception des accusations relatives à des infractions disciplinaires mineures qui ne donnent pas le droit d’opter d’être jugé devant une cour martiale.

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      2. Une fois que la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, LC 2019, c 15 entrera en vigueur, toutes les accusations portées par des policiers militaires relativement à des infractions d’ordre militaire devraient être déférées directement au directeur des poursuites militaires sans intervention de la chaîne de commandement de l’accusé.
    7. La dernière question concerne le processus par lequel toutes les accusations peuvent être déférées au DPM. Le problème est que le processus de renvoi peut être assez long. Selon le rapport de 2018 du BVG sur l’administration de la justice, « [u]ne fois les accusations déposées, les commandants et leurs supérieurs ont mis, en moyenne, deux mois à renvoyer les accusations au directeur des poursuites militaires »Footnote 395. Conformément aux normes de temps de la justice militaire établies par le CJAG par suite de ce rapport, le délai maximal que les officiers devraient maintenant prendre pour renvoyer des accusations à une autorité de renvoi est de 14 jours. Le délai maximal que l’autorité de renvoi devrait ensuite prendre pour déférer les accusations au DPM est de 30 joursFootnote 396. Compte tenu de ces délais, la JAG a suggéré que les accusations qui seraient actuellement renvoyées à une autorité de renvoi soient plutôt déférées directement au DPM. Je suis d’accord avec cette suggestion.
      1. Recommandation #43. Toutes les accusations qui sont actuellement renvoyées à une autorité de renvoi devraient être déférées directement au directeur des poursuites militaires sans passer par une autorité de renvoi. Les accusations déférées au directeur des poursuites militaires devraient être accompagnées des recommandations sur le sort à réserver aux accusations que la chaîne de commandement de l’unité juge pertinentes, s’il en est.

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