I. L’indépendance des acteurs du système de justice militaire par rapport à la chaîne de commandement

  1. Le renforcement de l’indépendance des acteurs du système de justice militaire par rapport à la chaîne de commandement a été au cœur de l’évolution du système de justice militaire canadien. À ses débuts, le système de justice militaire était « un modèle de discipline centré sur le commandement qui offrait de faibles garanties procédurales »Note de bas de page 37. Historiquement, la chaîne de commandement a maintenu un rôle important dans le système de justice militaire. Cependant, avec le temps, les acteurs prenant part aux enquêtes et aux procédures judiciaires relatives aux infractions d’ordre militaire graves se sont vu accorder une plus grande indépendance par rapport à la chaîne de commandement.
  2. L’intention initiale était « de veiller à ce que les conflits inhérents au respect de la chaîne de commandement, d’une part, et à la procédure impartiale d’enquête et de jugement des infractions d’ordre militaire, d’autre part, ne compromettent pas la légitimité de l’ensemble de l’appareil de justice militaire »Note de bas de page 38. Le système de justice militaire a réalisé d’importants progrès dans la poursuite de cet objectif visé, mais celui-ci n’a pas encore été atteint.
  3. À mon avis, le système de justice militaire doit poursuivre son évolution sur la même voie. La chaîne de commandement doit encore jouer un rôle important dans l’administration de la justice militaire, particulièrement au niveau des procès sommaires. Cependant, des garanties procédurales doivent être introduites ou renforcées là où elles sont insuffisantes ou inexistantes. À l’heure actuelle, le système de justice militaire doit garantir une meilleure protection de l’indépendance de ses juges, de ses cours, de ses procureurs, de ses avocats de la défense et de ses policiers.
    1. Les juges militaires
      1. Jusque dans les années 1990, les « juges militaires » canadiens étaient des membres spécialement formés de la branche des services juridiques des Forces armées canadiennes (« FAC ») affectés à la division du juge-avocat en chef du Cabinet du juge-avocat général (« JAG » et « CJAG »). Ils demeuraient affectés à cette division aussi longtemps (ou aussi éphémèrement) que le JAG le jugeait approprié. Durant leur affectation, ils étaient parfois désignés par le JAG pour exercer les fonctions de juge-avocatNote de bas de page 39 en cour martiale. Entre les procès, ils exerçaient d’autres fonctions de nature juridique au sein du CJAG.
      2. Dans l’arrêt GénéreuxNote de bas de page 40 , les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont déclaré que le statut des juges-avocats, conjugué à d’autres caractéristiques du système de justice militaire tel qu’il existait à l’époque, ne satisfaisait pas aux exigences minimales de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 41 (« Charte »).
      3. Le statut des juges militaires a grandement changé depuis lors. Ils occupent actuellement leur charge à titre inamovible jusqu’à l’âge de 60 ansNote de bas de page 42 ou jusqu’à ce qu’ils soient auparavant libérés des FAC à leur demandeNote de bas de page 43. Ils peuvent être révoqués par le gouverneur en conseil uniquement pour un motif valable et sur recommandation du comité d’enquête sur les juges militaires, lequel est composé de trois juges de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada (« CACM »)Note de bas de page 44.
      4. Les juges militaires ont été exclus du CJAG et ils appartiennent maintenant à une unité distincte des FAC, le Cabinet du juge militaire en chef (« JMC » et « CJMC »)Note de bas de page 45. Leur rémunération fait l’objet d’un examen quadriennal par le comité d’examen de la rémunération des juges militairesNote de bas de page 46, de la même manière que la rémunération des juges civils est examinée par des commissions d’examen de la rémunération des juges.
      5. D’autres aspects du statut des juges militaires sont restés les mêmes depuis des décennies. Les juges militaires occupent leurs fonctions en tant qu’officiers des FAC. Durant leurs mandats, ils conservent les rangs qu’ils détenaient au moment de leurs nominationsNote de bas de page 47. Ils sont des justiciables du code de discipline militaire (« CDM »), ils sont tenus de se conformer aux ordres légitimes et ils sont assujettis aux devoirs et aux responsabilités générales des officiersNote de bas de page 48. Les juges militaires sont placés sous le commandement du JMC et ils doivent exercer toute fonction, autre que les fonctions judiciaires, « que leur confie le juge militaire en chef », sous réserve que cette autre fonction ne soit pas « incompatible avec leurs fonctions judiciaires »Note de bas de page 49.
        1. Les préoccupations soulevées par le statut militaire des juges
          1. Par définition, les juges sont des décideurs indépendants et impartiaux. Ils ont pour mandat de rendre des décisions fondées uniquement sur le mérite des affaires dont ils sont saisis, conformément à la loi et indépendamment de toute ingérence extérieure. La justice substantielle, des procédures équitables – et l’apparence de justice – sont des éléments essentiels des systèmes judiciaires canadiens, civil et militaire.
          2. Il ne suffit pas que les juges militaires agissent réellement de façon indépendante et impartiale. Pour maintenir sa légitimité et la confiance du public, le système de justice militaire doit également, autant que raisonnablement possible, satisfaire les personnes qui comparaissent devant les juges militaires que leurs affaires seront jugées de façon équitable, objective et impartiale, sans que des considérations inappropriées ne soient prises en compte.
          3. Au cours de mon examen, j’ai pu rencontrer les quatre juges militaires actuellement en fonction. Je n’ai aucune raison de douter de leur indépendance et de leur impartialité réelles, et rien dans ce chapitre ne devrait être interprété comme une critique à leur endroit. Je crois cependant, comme plusieurs participants dans le cadre de mon examen, que le fait que les juges militaires demeurent membres des FAC pendant qu’ils occupent leurs fonctions nuit à l’apparence de justice.
          4. Il existe des préoccupations majeures à cet égard.
          5. Premièrement, bon nombre de membres des FAC qui ont assisté à mes assemblées virtuelles, des militaires du rang de grade subalterne pour la plupart, se sont dits d’avis que les juges militaires sont généralement plus cléments à l’égard des accusés ayant des grades plus élevés.
          6. Il a également été soulevé, à titre de préoccupation, que les juges militaires pourraient être réticents à conclure que des témoins disposant de grades élevés manquent de crédibilité. Ou, à l’inverse, que des plaignants de grade subalterne pourraient être jugés moins dignes de confiance, ou encore que les membres d’un comité ayant un grade supérieur à celui du juge militaire pourraient manquer de déférence envers les instructions du juge militaire. Ce sont là des préoccupations valables, quoi qu’elles puissent être difficiles à vérifier en pratique.
          7. Deuxièmement, le fait que les juges militaires soient des justiciables du CDM les place en position de subordination, ce qui est incohérent avec l’exercice de fonctions judiciaires. Cette dynamique pourrait faire craindre que les juges militaires tiennent compte, de façon inappropriée, des conséquences disciplinaires auxquelles ils pourraient s’exposer en jugeant des affaires d’une façon donnée. Certains membres des FAC ont dit craindre que les juges militaires puissent être tentés de « suivre la ligne de parti » dans les cas sensibles où la décision bien fondée en droit pourrait aller à l’encontre de la solution privilégiée par la hiérarchie militaire.
          8. Il ne s’agit pas purement d’enjeux de perception. Ces questions ont eu des conséquences tangibles sur l’administration de la justice militaire dans les dernières années. Le fait que les juges militaires soient des justiciables du CDM a été porté à l’attention du public en 2018, lorsque des accusations ont été déposées contre le JMC de l’époque, le colonel Mario Dutil. Le juge militaire en chef adjoint a été affecté à l’affaire et il a décidé de se récuserNote de bas de page 50. Il a par la suite décidé de ne pas désigner d’autre juge militaire pour présider la cour martiale du colonel Dutil. Cette décision a été confirmée par la Cour fédéraleNote de bas de page 51. Quelques jours plus tard, les accusations déposées contre le JMC ont été retirées.
          9. Dans l’intérim, les accusations avaient toutefois généré plusieurs autres effets par ricochet. Pour corriger une lacune perçue dans les ORFC, le chef d’état-major de la défense (« CEMD ») a émis un ordre (« ordre du CEMD ») désignant le vice-chef d’état-major adjoint de la défense comme étant l’officier autorisé à agir à titre de commandant en ce qui concerne toute question disciplinaire impliquant un juge militaireNote de bas de page 52.
          10. Le 10 janvier 2020, un juge militaire chargé de statuer dans une autre affaire sur une demande d’arrêt des procédures en cour martiale a conclu que l’ordre du CEMD allait à l’encontre de l’alinéa 11d) de la Charte du fait qu’il ciblait expressément les juges militaires et les assujettissait au processus disciplinaire mené par la chaîne de commandement, sans dûment tenir compte du régime disciplinaire judiciaire impliquant des plaintes auprès du comité d’enquête sur les juges militaires. Le juge militaire a déclaré que l’ordre du CEMD était inopérant, mais il n’a pas ordonné l’arrêt des procédures en cour martiale contre le demandeur Note de bas de page 53. Quelques semaines plus tard, une autre juge militaire a rendu la même décision dans une autre affaire Note de bas de page 54.
          11. L’ordre du CEMD n’a pas été annulé et des demandes similaires d’arrêt des procédures en cour martiale ont été présentées dans d’autres affaires. Le 14 août 2020, un juge militaire a conclu, dans les affaires Edwards et Crépeau, que « la confiance du public […] pourrait être minée en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité des juges militaires dans ces circonstances, considérant que l’exécutif n’a même pas envisagé de prendre de mesures afin d’assurer la primauté du droit et le respect du droit de l’accusé à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial, malgré les décisions des cours martiales sur cette question »Note de bas de page 55. Dans ces deux affaires, un arrêt des procédures contre les accusés en cour martiale a été ordonné. D’autres arrêts des procédures ont par la suite été ordonnés dans les affaires Fontaine et IredaleNote de bas de page 56.

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          12. L’ordre du CEMD a été suspendu le 15 septembre 2020. Toutefois, des demandes d’arrêt des procédures en cour martiale ont continué d’être présentées, fondées de façon plus générale sur l’applicabilité aux juges militaires du processus disciplinaire militaire prévu par le CDM. Certaines demandes ont été accueillies, d’autres ont été rejetées Note de bas de page 57.
          13. La constitutionnalité du statut des juges militaires est maintenant entre les mains de la CACM. Le 29 janvier 2021, la CACM a instruit les appels interjetés à l’encontre des arrêts des procédures ordonnés dans les affaires Edwards, Crépeau, Fontaine et Iredale. Les appels ont été mis en délibéré. D’autres appels devraient être instruits conjointement à une date ultérieure.
          14. Je ne me prononce pas sur la constitutionnalité du statut des juges militaires. Il revient aux tribunaux de trancher cette question. J’ai rappelé les événements qui se sont déroulés depuis 2018 parce qu’ils illustrent pourquoi le statut militaire des juges peut ne pas être souhaitable sur le plan des politiques. Mon évaluation ne dépend pas de l’issue des contestations constitutionnelles.
        2. L’objectif du statut militaire des juges
          1. Pourquoi alors les juges militaires demeurent-ils membres des FAC durant leurs mandats? Je crois comprendre que leur statut militaire vise à protéger deux aspects du système de justice militaire :
            1. Premièrement, il garantit que les juges militaires comprennent la nature, la nécessité et les exigences de la discipline militaire, la nature de certaines infractions d’ordre militaire ainsi que le contexte dans lequel ces infractions peuvent être perpétrées.
            2. Deuxièmement, il permet au système des cours martiales d’être [traduction] « mobile et déployable, tant à l’échelle nationale qu’à l’étranger »Note de bas de page 58. Il garantit que le système de justice militaire [traduction] « pourra tenir des procès dans des théâtres d’opérations, quel que soit le niveau de conflit, tant durant les opérations en temps de paix que durant les opérations de combat », protégeant ainsi sa souplesseNote de bas de page 59.
          2. Je me suis demandé si une familarité avec la discipline militaire, les infractions d’ordre militaire et la vie militaire en général constituait réellement une exigence pour les juges militaires. Les juges civils sont souvent appelés à trancher des questions dans des domaines du droit dont ils n’ont aucune connaissance au préalable. Il incombe aux parties de les informer des faits et des règles juridiques pertinentes. Il pourrait être argumenté que le même principe devrait s’appliquer dans le système de justice militaire, plus particulièrement dans le cadre de cours martiales générales où un comité composé de cinq membres des FAC a déjà le rôle précis de faire en « sorte que les préoccupations propres au domaine militaire que sont la discipline, l’efficacité et le moral des troupes entrent en jeu dans les procédures » Note de bas de page 60.
          3. J’ai discuté de cette question avec plusieurs acteurs, anciens et actuels, des systèmes de justice militaires du Canada et d’autres pays du Groupe des cinq, ainsi qu’avec des commentateurs externes. Une majorité écrasante s’est dite d’avis que si une familarité avec le service, la vie et la culture militaires n’est pas strictement requise, elle constitue néanmoins un avantage indéniable pour les juges militaires et pour ceux qui comparaissent devant eux. Je fais confiance à leur expérience cumulée à cet égard.
          4. J’ai de plus grandes réserves en ce qui concerne la mobilité, la capacité de déploiement et la souplesse du système de justice militaire. Je conviens qu’un système de justice militaire doit maintenir, à tout le moins, la capacité d’exercer exceptionnellement ses activités dans un théâtre d’opérations. Cependant, une saine dose de réalisme est de mise.
          5. Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C-25 en 1998, très peu de cours martiales se sont tenues à l’extérieur du CanadaNote de bas de page 61, et aucune ne s’est entièrement tenue dans un théâtre d’opérationsNote de bas de page 62, et ce, malgré le fait qu’un ancien JAG ait tôt fait d’insister sur leur importance en principeNote de bas de page 63. Les auteurs du rapport sur la révision globale de la cour martiale ont recueilli des témoignages anecdotiques d’après lesquels certains commandants « ne souhaitaient pas qu’une cour martiale siège dans des théâtres d’opérations »Note de bas de page 64. Ceci est compréhensible. J’ai été informé par le CJAG que la durée moyenne des cours martiales tenues entre 2013 et 2018 était de 20 jours. Étant donné qu’« [i]l incombe au commandant de l’unité du lieu où se tiendra [une] cour martiale de fournir des locaux convenables, le soutien administratif et le personnel dans la mesure où cela est nécessaire pour que la cour martiale se déroule d’une façon digne et militaire »Note de bas de page 65, le fait de tenir une cour martiale dans un théâtre d’opérations perturberait probablement les opérations militaires qui y sont menées.
          6. À mon avis, ces deux aspects du système de justice militaire peuvent être préservés adéquatement sans que les juges militaires demeurent membres des FAC durant leur mandat.
          7. Il n’est pas nécessaire qu’ils conservent un statut militaire pour que les réalités du service militaire leur soient familières. Un niveau suffisant d’expérience militaire garantit leur compréhension de ces réalités.
          8. La mobilité, la capacité de déploiement et la souplesse ne dépendent pas non plus du statut militaire des juges. Les conditions de nomination des juges militaires peuvent comprendre l’obligation d’exercer leurs fonctions n’importe où dans le monde, y compris dans un théâtre d’opérations. J’ai été avisé que des difficultés d’ordre pratique liées à l’assurance et au statut des juges en vertu du droit international pourraient survenir. Cependant, j’ai aussi été informé par des officiers compétents, y compris la sous-ministre de la Défense nationale (« sous-ministre »), que ces difficultés pourraient être résolues et qu’elles ne constituaient pas un obstacle fondamental à la civilianisation des juges. Par exemple, les juges de la Court Martial du Royaume-Uni et de la Court Martial de la Nouvelle-Zélande sont des civils. Malgré cela, les deux cours peuvent tenir, et ont tenu, des audiences à l’étranger. De façon peut-être encore plus importante, la CACM est constituée de juges civils et elle pourrait actuellement être appelée à siéger dans un théâtre d’opérationsNote de bas de page 66.
          9. En outre, les technologies de l’information et des communications d’aujourd’hui contribuent aussi grandement à la mobilité, à la capacité de déploiement et à la souplesse du système de justice militaire. En 2003, le juge en chef Lamer a déclaré que les « progrès technologiques ont [...] contribué à réduire les déplacements des juges militaires »Note de bas de page 67. La pandémie de COVID-19 a rendu cette réalité incontournable. La plupart des cours et des tribunaux canadiens tiennent de façon routinière des audiences virtuelles depuis des mois. Les juges en chef Lamer et LeSage ont parcouru le Canada pour visiter des bases militaires, tandis que mon équipe et moi avons rencontré des personnes de partout au Canada et d’autres pays uniquement par vidéoconférence.
        3. La civilianisation des juges militaires
          1. Au cours de mon examen, la JAG a reconnu que le Canada se trouvait à un tournant historique où la civilianisation des juges militaires devait être envisagée pour permettre au système de justice militaire de conserver sa légitimité. Je souscris à son évaluation. À mon avis, il n’existe pas de meilleur moyen de garantir adéquatement l’indépendance et l’impartialité des juges militaires.
          2. La nomination de juges civils possédant un niveau suffisant d’expérience militaire était également appuyée par la sous-ministre et par pratiquement tous les officiers supérieurs de la hiérarchie militaireNote de bas de page 68. La grande majorité des membres des FAC qui ont assisté à mes assemblées virtuelles ont confirmé qu’ils accorderaient le même respect à des décisions rendues par des juges civils possédant de telles qualificationsNote de bas de page 69.
          3. La civilianisation des juges militaires ne constituerait aucunement une innovation révolutionnaire. Les juges militaires pourraient continuer à être nommés à partir d’un bassin de candidats ayant eu de longues et fructueuses carrières au sein des FACNote de bas de page 70. Toutefois, au moment de leur nomination, ils devraient être libérés des FAC et renoncer à leur grade militaire. En outre, la LDN devrait être modifiée afin que le système de justice militaire n’ait plus aucune compétence à l’égard des juges militaires, que ce soit à titre de civils ou d’anciens membres des FAC.
            • Recommandation #1. Les juges militaires devraient cesser d’être membres des Forces armées canadiennes et devenir des civils. Les membres des Forces armées canadiennes nommés juges militaires par le gouverneur en conseil devraient, au moment de leur nomination, être libérés des Forces armées canadiennes et renoncer à leur grade militaire.
            • La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée afin que les juges militaires ne soient jamais des justiciables du code de discipline militaire et qu’ils ne puissent jamais être accusés, poursuivis et jugés sous le régime du code de discipline militaire pour des infractions d’ordre militaire qu’ils auraient présumément commises pendant qu’ils étaient des justiciables du code de discipline militaire, s’il y a lieu.
            • Les conditions de nomination des juges militaires devraient comprendre l’obligation d’exercer leurs fonctions n’importe où dans le monde, y compris dans un théâtre d’opérations.
            • À moins que le contexte n’indique un sens différent, les références aux juges militaires dans ce Rapport visent également les juges militaires civilianisés.
          4. Les juges militaires sont actuellement nommés par le gouverneur en conseil à partir d’un bassin d’avocats qui sont inscrits au barreau d’une province depuis au moins 10 ans et qui ont au moins 10 ans d’expérience en tant qu’officier dans les FACNote de bas de page 71. La JAG a suggéré que la deuxième condition soit élargie de façon à permettre la nomination de toute personne ayant 10 ans d’expérience en tant que militaire du rang dans les FAC. Je suis d’accord avec cette suggestion. À mon avis, ces conditions d’admissibilité suffiront à garantir que les personnes nommées aient un niveau suffisant d’expérience militaire. La JAG et bon nombre d’anciens avocats militaires des FAC m’ont également dit que la Force de réserve compte dans ses rangs plusieurs avocats et juges d’expérience.
            • Recommandation #2. La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée pour permettre au gouverneur en conseil de nommer juge militaire tout officier ou militaire du rang qui est avocat inscrit au barreau d’une province et qui a été officier ou militaire du rang et avocat respectivement pendant au moins dix ans.
          5. Enfin, je suis d’avis qu’il est trop restrictif d’exiger que les juges militaires prennent leur retraite dès l’âge de 60 ans. Cette exigence peut nuire au développement de l’expertise judiciaire, qui est déjà rendu complexe étant donné le faible nombre d’affaires jugées par cour martiale. En comparaison, bien que l’âge de la retraite de certains juges provinciaux et territoriaux soit fixé à 70 ans, la plupart des juges civils (y compris tous les juges de nomination fédérale) peuvent exercer leurs fonctions jusqu’à l’âge de 75 ans. Le fait que les juges militaires voyagent partout au Canada et qu’ils puissent exceptionnellement être appelés à siéger à l’étranger, potentiellement dans un théâtre d’opérations, est une considération pertinente mais non déterminante.
          6. Je recommande donc que l’âge de retraite des juges militaires soit augmenté à 70 ou 75 ans. Pour tirer parti de l’expertise des juges militaires tout en reconnaissant les exigences du service, il y aurait lieu d’envisager d’autoriser les juges militaires à devenir juges surnuméraires après qu’ils aient exercé leurs fonctions judiciaires pendant un certain nombre d’années ou une fois qu’ils ont atteint un certain âgeNote de bas de page 72.
            • Recommandation #3. L’âge de retraite des juges militaires devrait être augmenté à 70 ou 75 ans. Il y aurait lieu d’envisager d’autoriser les juges militaires à devenir juges surnuméraires après qu’ils aient exercé leurs fonctions judiciaires pendant un certain nombre d’années ou une fois qu’ils ont atteint un certain âge.

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    2. Les cours militaires
      1. La recommandation du juge en chef Lamer
        1. La civilianisation des juges militaires aide grandement à garantir leur impartialité et leur indépendance par rapport à la chaîne de commandement. La civilianisation ne constitue toutefois pas une solution complète en elle-même. Les juges militaires font partie de cours martiales, et comme l’a souligné le juge en chef Lamer dans son rapport, « l’indépendance du tribunal est une question de statut » Note de bas de page 73. Il s’est fondé sur l’arrêt Généreux, dans lequel les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont déclaré que le « statut [du tribunal] doit garantir qu’il échappe non seulement à l’ingérence des organes exécutif et législatif, mais encore à l’influence de toute force extérieure, tels les intérêts d’entreprises ou de sociétés ou d’autres groupes de pression » Note de bas de page 74.
        2. Le juge en chef Lamer a relevé que les cours martiales étaient des tribunaux individuels (ad hoc) sans aucune compétence avant qu’elles ne soient convoquées par l’administrateur de la cour martiale (« ACM »). Il a ajouté que, de ce fait, « les procédures préliminaires [posaient] problème »Note de bas de page 75. Il a en outre souligné que les Règles de pratique de la cour martiale RPCM ») étaient le résultat d’un consensus intervenu volontairement entre le directeur des poursuites militaires (« DPM ») et le directeur du service d’avocats de la défense (« DSAD »). Compte tenu du pouvoir du JAG d’établir des lignes directrices générales à l’intention de ceux-ci, le juge en chef Lamer était d’avis que cette situation « cré[ait] une crainte raisonnable de partialité et [était] contraire à l’un des principaux buts du projet de loi C-25, à savoir l’établissement de normes de séparation institutionnelle claires entre les fonctions d’enquête et de poursuite et les fonctions judiciaires »Note de bas de page 76.
        3. Le juge en chef Lamer a recommandé la création d’une cour militaire d’archives permanente en vertu du pouvoir conféré au Parlement par l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867Note de bas de page 77.
        4. Cette recommandation n’a pas été mise en œuvre. Les cours martiales demeurent des organismes judiciaires ad hoc. Elles n’existent pas tant qu’elles n’ont pas été convoquées par l’ACM et elles sont réputées dissoutes lorsqu’elles mettent fin à l’instanceNote de bas de page 78.
        5. Au début de mon examen, j’ai demandé pourquoi la recommandation du juge en chef Lamer avait été écartée. J’ai été informé qu’un groupe de travail, le comité consultatif du JAG sur la justice militaire, s’était réuni en 2003 et en 2004 pour examiner la possibilité de créer une cour militaire permanente, entre autres réformes proposées. Selon les renseignements que j’ai obtenus, le comité a [traduction] « identifier certains facteurs pour en venir [à son] avis de maintenir la structure actuelle des cours martiales : [une cour militaire permanente] ne réglerait pas automatiquement les préoccupations [du juge en chef Lamer]; la cour martiale serait davantage isolée des [Forces armées canadiennes] et de l’expérience et des conditions de vie militaire; [et] beaucoup des problèmes ciblés avaient été réglés grâce à un certain nombre d’autres mesures dans le système des cours martiales »Note de bas de page 79. J’ai demandé davantage de renseignements, mais on ne m’a pas fourni de détails utilesNote de bas de page 80.
      2. Les préoccupations soulevées par le statut ad hoc des cours martiales
        1. Certaines des préoccupations du juge en chef Lamer ont été résolues. Par exemple, l’article 187 de la LDN a été modifié de façon à autoriser un juge militaire à juger « toute question ou objection » à l’égard d’une accusation « [à] tout moment après le prononcé d’une mise en accusation », et ce, sans devoir attendre que la cour martiale ait été convoquée.
        2. En outre, suite au rapport Lamer, le JMC peut « [a]vec l’approbation du gouverneur en conseil, [...], après avoir consulté un comité des règles établi par règlement du gouverneur en conseil, établir des règles concernant » plusieurs aspects de la pratique et de la procédure en cour martiale et au cours des procédures préliminairesNote de bas de page 81 (« règles du JMC »).
        3. Malgré ces améliorations, je suis d’avis que les cours martiales ad hoc continuent de manquer d’indépendance institutionnelle et d’entraîner des inefficacités dans le système de justice militaire.
        4. Les cours martiales continuent de dépendre des commandants. Il incombe au commandant de l’unité du lieu où se tiendra la cour martiale de fournir des locaux convenables, le soutien administratif et le personnel nécessaireNote de bas de page 82. Le commandant doit aussi veiller à ce qu’une escorte et un officier de la cour soient nommés de sorte « que toutes les mesures locales et d’ordre administratif soient prises pour que les débats se déroulent efficacement »Note de bas de page 83. Étant donné qu’une cour martiale cesse d’exister une fois le procès terminé, le commandant est également responsable de « prend[re] les mesures nécessaires à l’exécution de la peine, le cas échéant »Note de bas de page 84.
        5. Un certain degré de dépendance de la cour envers les unités des FAC est peut-être inévitable, mais elle devrait être réduite au minimum autant que possible sans nuire à la capacité du système de justice militaire de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des FAC.
        6. Malgré les articles 165.3 et 187 de la LDN, dans la pratique actuelle, plusieurs évènements préalables au procès ne se déroulent qu’une fois que la cour martiale a été convoquée et qu’un juge militaire a été désigné pour la présider. Les RPCMNote de bas de page 85 prévoient que les demandes d’audition des procédures préliminaires peuvent être présentées une fois ces étapes terminées. Elles prévoient aussi qu’un « avis doit être envoyé au moins trois jours ouvrables avant la date de l’audition demandée »Note de bas de page 86.
        7. Selon le Service canadien des poursuites militaires (« SCPM »), [traduction] « ce délai n’est pas suffisant pour permettre que la plupart des demandes soient traitées sans entraîner un report du procès ».Note de bas de page 87 Le système ne s’appuie pas sur des conférences hâtives de gestion de l’instance pour résoudre ce problème puisque les RPCM ne prévoient pas la tenue de conférences préalables au procès avant la convocation de la cour martialeNote de bas de page 88. Dans son rapport de 2018, le vérificateur général du Canada a constaté qu’« il a fallu en moyenne cinq mois et demi avant que le procureur et l’avocat de la défense tiennent une téléconférence avec le juge militaire en chef » simplement pour fixer la date du procès.Note de bas de page 89
        8. Malheureusement, modifier les RPCM en adoptant un ensemble de nouvelles règles du JMC n’est pas un processus simple. La priorité du projet de règles du JMC doit d’abord être établie par le directeur – Coordination du programme de la défense (« DCPD »), un officier de la division du chef de programme au sein des FACNote de bas de page 90. Pour que la soumission se rende au gouverneur en conseil, elle doit ensuite être traitée en conséquence par le directeur – Présentations ministérielles et arrangements financiers du ministère de la Défense nationale (« MDN »). Ce processus mène à la publication du projet de règles du JMC dans la partie I de la Gazette du Canada en vue de consultations publiques. Une fois la phase de consultation terminée, une deuxième soumission au gouverneur en conseil (et tout le processus qui y est associé) est nécessaire pour permettre l’adoption officielle des règles du JMC.
        9. Les délais occasionnés par ce processus ne sont pas hypothétiques. J’ai été informé par le lieutenant-colonel (retraité) André Dufour, conseiller juridique du CJMC, qu’un projet de règles du JMC a initialement été préparé et présenté aux représentants du MDN en 2018. Aucun progrès n’a été réalisé entre ce moment et juin 2020, lorsque de légères révisions au projet sont devenues nécessaires et ont été apportées.
        10. Le 11 juin 2020, Me Dufour a écrit au DCPD que le projet révisé de règles du JMC permettrait [traduction] « [d’]accroître l’indépendance des juges militaires » et qu’il était [traduction] « essentiel pour les juges militaires d’améliorer leur capacité à gérer les procédures, à rendre les plaideurs plus imputables et à réduire les délais de façon générale »Note de bas de page 91.
        11. Le 10 septembre 2020, le DCPD a indiqué à Me Dufour que [traduction] « [cette question] sera[it] traitée comme une « Priorité A » pour la deuxième session de 2021 (c.-à-d. juillet-décembre). Il s’agit du 15e élément de la liste de priorités, ce qui signifie, selon notre estimation initiale, qu’il devrait être étudié par [le Conseil de gestion du programme] en septembre ou en octobre 2021 »Note de bas de page 92. Cela s’inscrit dans le contexte de la première soumission au gouverneur en conseil.
        12. Le fait que le CJMC soit une unité des FAC a d’autres répercussions du même genre. Par exemple, le 23 décembre 2019, l’ACM a été informée par une représentante du MDN que, contrairement au JMC, elle n’avait aucun pouvoir en vertu des politiques du Conseil du Trésor pour approuver les frais de déplacement des juges militaires. Ceci va à l’encontre de la pratique établie depuis la création de son poste et pose problème parce que les juges militaires sont continuellement appelés à de déplacer dans le cadre de leurs fonctions.
        13. L’ACM a été informée qu’une exemption serait demandée, mais qu’entretemps, les demandes de déplacement pour les juges devraient être soumises au ministre de la Défense nationale (« ministre ») ou à la sous-ministre pour approbation. On lui a demandé de préparer un plan de déplacement en y consignant les déplacements anticipés pour des cours martiales et des formations au cours des mois suivants.
        14. En peu de mots, les cours martiales et les juges militaires continuent de dépendre dans une grande mesure des mécanismes internes des FAC et du MDN pour combler leurs besoins administratifs, réglementaires et budgétaires. Contrairement au ministère de la Justice du Canada (« MJ »), qui est responsable de la plupart des questions fédérales liées à l’administration de la justice au CanadaNote de bas de page 93, les activités des FAC et du MDN ont trait aux opérations. Par conséquent, il est possible qu’ils ne soient pas en mesure d’accorder une priorité adéquate aux besoins des cours martiales et des juges militaires ou qu’ils n’aient pas la sensibilité appropriée pour traiter de certaines questions. Le risque d’ingérence exécutive à l’égard de l’indépendance institutionnelle des cours et des juges est manifeste.

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      3. La création d’une Cour militaire du Canada permanente
        1. Dans ce contexte, les propos du juge en chef Lamer sont aussi vrais aujourd’hui qu’ils l’étaient en 2003 : « La manière la plus efficace de venir à bout des innombrables difficultés auxquelles sont confrontés les juges militaires lorsqu’ils essaient de transformer le système actuel des cours martiales ad hoc pour en faire une institution judiciaire indépendante consisterait à créer une “cour militaire” permanente du Canada en vertu du pouvoir conféré au Parlement à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 » Note de bas de page 94.
        2. Des réformes fragmentaires et des solutions rapides ne suffisent pas.
        3. Grâce à la création d’une Cour militaire du Canada permanente, les cours martiales pourraient à juste titre être intégrées au pouvoir judiciaire du gouvernement au lieu de faire partie du pouvoir exécutif. En outre, cette solution offrirait aux cours martiales et aux juges militaires une plus grande marge de manœuvre pour gérer leurs règles de pratique et leurs propres procédures. Par exemple, cette compétence permanente faciliterait l’enregistrement des plaidoyers et permettrait d’organiser des conférences de gestion de l’instance dans les plus brefs délais après la mise en accusationNote de bas de page 95. La plupart des acteurs du système de justice militaire que j’ai rencontrés m’ont assuré que cela permettrait d’accélérer le traitement des affaires portées en cour martiale.
        4. Ce serait un gain considérable. L’existence distincte du système de justice militaire se justifie par sa capacité à punir les manquements à la discipline militaire plus rapidement que le système de justice civilNote de bas de page 96. Cependant, comme je l’expliquerai davantage à la partie VI de ce chapitreNote de bas de page 97, il n’est guère évident qu’il ait cette capacité dans sa forme actuelle.
        5. La création d’une Cour militaire du Canada permanente est appuyée par la sous-ministre et par l’ACM. La JAG a également proposé la création d’une telle cour à titre de possibilité à étudier en lien avec la civilianisation des juges militaires. Plusieurs commentateurs que j’ai rencontrés dans le cadre de mon examen, y compris d’anciens avocats militaires des FAC, étaient aussi favorables à cette proposition.
        6. Le système de justice militaire canadien a évolué d’une manière semblable à ceux du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande et de l’AustralieNote de bas de page 98. En particulier, et le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande ont établi une Court Martial permanente au cours des 15 dernières années.
        7. L’Australie a aussi tenté d’établir une cour militaire permanente, l’Australian Military Court (« AMC »). Cependant, le 26 août 2009, la High Court of Australia a conclu, dans l’affaire Lane v MorrisonNote de bas de page 99, que l’AMC avait été inconstitutionnelle depuis sa création, le 1er octobre 2007. Le système de cours martiales ad hoc a été rétabli peu après. Entre 2010 et 2012, de nouveaux projets de loi ont été déposés devant le Parlement de l’Australie en vue de la création d’une autre cour militaire permanente, la Military Court of Australia, mais ces projets de loi sont morts au feuilleton. L’Australie continue donc à convoquer des cours martiales ad hocNote de bas de page 100.
        8. Le vice de l’AMC sur le plan constitutionnel découlait du fait que la Commonwealth of Australia Constitution Act exige que les cours fédérales qui exercent le pouvoir judiciaire du Commonwealth respectent certaines exigences quant à la durée des mandats, au mode de nomination et à la sécurité du traitement des juges. Il n’a jamais été prévu que l’AMC respecte ces exigencesNote de bas de page 101 puisque le gouvernement considérait que sa validité découlait du pouvoir relatif à la défense, plutôt que du pouvoir judiciaire. La High Court of Australia s’est dite en désaccord et a conclu que l’AMC exerçait bel et bien le pouvoir judiciaire du Commonwealth, et ce, de manière inconstitutionnelle.
        9. La JAG et certains de ses prédécesseurs craignaient qu’une Cour militaire du Canada permanente subisse le même sort que l’AMC. Je crois que cette éventualité est peu probable. Outre le fait que nos Constitutions diffèrent, les juges d’une Cour militaire du Canada permanente bénéficieraient de l’indépendance judiciaire à tous égards.
        10. Sur le plan du partage des compétences, l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 permet au Parlement du Canada d’« établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada ». Ce pouvoir lui est accordé « nonobstant toute disposition contraire énoncée dans [la] loi ». Cette règle protégerait la création d’une Cour militaire du Canada permanente contre des allégations d’empiétement sur les pouvoirs des législatures provinciales en matière d’administration de la justiceNote de bas de page 102.
        11. Je souscris entièrement à l’évaluation du juge en chef Lamer :
          1. Je me suis demandé si le Parlement du Canada a la capacité de créer valablement une cour permanente qui empiéterait sur les tribunaux provinciaux de juridiction criminelle, compte tenu des paragraphes 91(27) et 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je crois respectueusement, comme d’autres juristes réputés, que l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 permet au Parlement de créer un tribunal s’ajoutant aux cours supérieures provinciales, et ce, malgré le pouvoir des provinces de créer des cours de juridiction criminelle. Je vous invite à consulter l’avis motivé que j’ai obtenu d’Alain Robert Nadeau, avocat et docteur en droit constitutionnel, qui confirme mon raisonnement (voir l’annexe G). M. Nadeau écrit :
            1. Ainsi, à l’instar de la Cour d’appel de la cour martiale, la création d’une cour martiale de première instance, dont la compétence serait circonscrite aux matières relevant du Parlement et dans le but de juger des affaires découlant d’une infraction commise à l’égard de la Loi sur la défense nationale et des lois pénales canadiennes serait conforme à ces principes. À notre avis, la constitutionnalité de ce tribunal ne saurait faire aucun doute.
          2. La Cour d’appel de la cour martiale, qui a été créée par le Parlement en 1959, est une cour supérieure d’archives dont le fonctionnement et le statut sont identiques à ceux des cours supérieures provinciales ayant une juridiction d’appel de dernière instance en matière criminelle. Je crois – et ceci rejoint ce que j’ai indiqué précédemment – que la création de la Cour d’appel de la cour martiale est une autre preuve que le Parlement du Canada agirait dans le cadre établi par la Loi constitutionnelle de 1867 s’il décidait de créer une cour militaire permanente. Le Parlement accroîtrait ainsi l’indépendance de la magistrature et aplanirait une multitude de difficultés auxquelles se heurte actuellement le Cabinet du juge militaire en chefNote de bas de page 103.
        12. Du point de vue de la Charte, je me suis demandé si une infraction d’ordre militaire jugée par une Cour militaire du Canada permanente constituée de juges militaires civilianisés serait considérée comme « une infraction relevant de la justice militaire » pour laquelle le droit de bénéficier d’un procès avec jury n’est pas garantiNote de bas de page 104. Ce serait le cas, à mon avis. Dans l’arrêt Stillman, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont conclu que les deux volets de l’exception militaire (dans la formulation anglaise, « an offence under military law tried before a military tribunal ») devaient « être interprétés conjointement et être considérés comme renvoyant au système de justice militaire dans son ensemble, comme l’indique clairement le texte français de la disposition »Note de bas de page 105.
        13. La Cour militaire du Canada permanente continuerait à faire partie intégrante du système de justice militaire. Elle conserverait sa compétence distincte pour juger des infractions d’ordre militaire et les pouvoirs de punition spéciaux nécessaires à cette fin. En outre, elle conserverait des caractéristiques militaires distinctes, notamment l’exigence que les juges militaires aient un niveau suffisant d’expérience militaire; et la participation de comités composés de cinq membres des FAC dans le contexte de cours martiales générales.
        14. Dans tous les cas, ces risques constitutionnels hypothétiques et indéterminés ne doivent pas faire obstacle à l’évolution souhaitable du système de justice militaire canadien. Si un doute subsiste, le gouverneur en conseil pourrait renvoyer des questions quant à la constitutionnalité d’une éventuelle Cour militaire du Canada permanente à la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 106.
          • Recommandation #4. Une Cour militaire du Canada permanente devrait être créée à titre de cour supérieure d’archives en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour militaire du Canada devrait être habilitée à siéger à tout moment et en tout lieu, que ce soit au Canada ou à l’étranger, selon ce qu’elle considère nécessaire ou souhaitable pour connaître des affaires dont elle est saisie. La responsabilité des besoins administratifs et budgétaires de la Cour militaire du Canada devrait incomber au ministre de la Justice.
          • À moins que le contexte n’indique un sens différent, les références aux juges militaires dans ce Rapport visent également les juges de la Cour militaire du Canada, et les références aux cours martiales visent également la Cour militaire du Canada, siégeant à titre de cour martiale.
        15. La Cour militaire du Canada devrait-elle être créée comme une cour à part entière ou devrait-elle constituer une section de la Cour fédérale? La Cour militaire du Canada et la CACM devraient-elles plutôt être toutes deux maintenues, respectivement en tant que section de première instance et section d’appel d’une Cour martiale unifiée? La Cour militaire du Canada devrait-elle être incluse au régime de la Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciairesNote de bas de page 107?Les plaintes contre les juges militaires devraient-elles continuer d’être adressées au comité d’enquête sur les juges militaires ou le Conseil canadien de la magistrature devrait-il assumer les responsabilités d’ordre disciplinaire à leur égard? Leur rémunération devrait-elle être examinée par la Commission d’examen de la rémunération des juges comme l’est celle de tous les juges de nomination fédérale? La révocation des juges militaires devrait-elle nécessiter une adresse du Sénat et de la Chambre des communes au gouverneur général du Canada?
        16. Je recommande qu’un groupe de travail soit mis sur pied pour répondre à la myriade de questions entourant la création d’une Cour militaire du Canada permanente. Ce groupe de travail devrait faire rapport au ministre.
          1. Recommandation #5. Un groupe de travail devrait être mis sur pied pour identifier le cadre le plus efficace pour la création d’une Cour militaire du Canada permanente. Le groupe de travail devrait inclure une autorité indépendante, des représentants du ministère de la Justice du Canada et des représentants du système de justice militaire. Le groupe de travail devrait faire rapport au ministre de la Défense nationale.

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        17. Dans l’intervalle, les préoccupations soulevées par le statut ad hoc des cours martiales devraient être atténuées autant que possible dans la structure actuelle du système de justice militaire. L’ACM et la JAG devraient examiner les réformes qui pourraient être souhaitables et recommander leur mise en œuvre aux autorités appropriées.
          1. Recommandation #6. Les règles de pratique et de procédure du juge militaire en chef visées à l’article 165.3 de la Loi sur la défense nationale devraient être édictées par le gouverneur en conseil le plus tôt possible. Les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale devraient prioriser leur édiction pour atteindre cet objectif.
          2. D’ici à ce qu’une Cour militaire du Canada permanente soit créée, l’administratrice de la cour martiale et la juge-avocate générale devraient examiner les réformes qui pourraient être souhaitables pour atténuer autant que possible les préoccupations soulevées par le statut ad hoc des cours martiales. Elles devraient recommander la mise en œuvre de ces réformes aux autorités appropriées.
    3. Les procureurs et avocats de la défense militaires
      1. En 1997, le juge en chef Dickson a recommandé la nomination d’un directeur indépendant des poursuites qui relèverait du JAG. Il a également recommandé que « chaque fois qu’un membre des Forces canadiennes a droit à une consultation juridique, le Juge-avocat général [devrait] lui fourni[r] ce service d’une façon qui soit indépendante des rôles du Juge-avocat général en matière judiciaire et de poursuite » Note de bas de page 108.
      2. Combinées aux recommandations antérieures du rapport de la Commission d’enquête sur la SomalieNote de bas de page 109 et aux répercussions du jugement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Généreux, ses recommandations ont mené à la création des postes de DPM et de DSAD.
      3. Le DPM « prononce les mises en accusation des personnes jugées par les cours martiales et mène les poursuites devant celles-ci; en outre, il représente le ministre dans les appels lorsqu’il reçoit des instructions à cette fin »Note de bas de page 110.
      4. Le DSAD « dirige la prestation des services juridiques prévus par règlement du gouverneur en conseil aux justiciables du code de discipline militaire et fournit lui-même de tels services » Note de bas de page 111. Les FAC ont fait le choix politique de fournir à tous les membres des FAC ayant des démêlés avec le système de justice militaire soit des conseils juridiques gratuits, soit les services gratuits d’un avocat, selon les circonstances. Plus particulièrement, les services d’un avocat sont offerts à tous les accusés dont les dossiers sont renvoyés au DPM en vue d’une possible mise en accusation et d’un procès par cour martiale Note de bas de page 112.
      5. Le DPM et le DSAD sont les directeurs respectifs du SCPM et de la Direction du service d’avocats de la défense (« Direction du SAD »). Le SCPM et la Direction du SAD sont actuellement deux divisions du CJAG. Elles comprennent respectivement des procureurs et des avocats de la défense militaires.
      6. Les procureurs militaires ne sont pas les avocats de la chaîne de commandement. Ils ont plutôt le même rôle que les procureurs de la Couronne dans le système de justice civil. Le juge Rand de la Cour suprême du Canada a expliqué ce rôle ainsi :
        1. [traduction] On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de veiller à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés : ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle. Le poursuivant doit s’acquitter de sa tâche d’une façon efficace, avec un sens profond de la dignité, de la gravité et de la justice des procédures judiciairesNote de bas de page 113.
      7. À l’inverse, les avocats de la défense militaires sont les avocats de leurs clients, et seulement de leurs clients. Ils ont un devoir de loyauté qui les oblige à se dévouer à la cause de leur client et à éviter les conflits d’intérêts, y compris leur propre intérêt personnelNote de bas de page 114. Le droit canadien reconnaît comme principe de justice fondamentale l’impossibilité pour l’État d’imposer aux avocats des obligations qui minent leur devoir de se dévouer à la cause de leurs clientsNote de bas de page 115. Les mots d’Henry Brougham, prononcés dans sa défense de la reine Caroline de Brunswick, sont souvent cités pour décrire les devoirs des avocats de la défense :
        1. [traduction] [L]’avocat, dans l’accomplissement de son devoir, ne connaît qu’une personne au monde et cette personne est son client. Le sauver par tous les moyens, aux dépens et aux risques de tous les autres et, parmi les autres, de lui‑même, est son premier et son unique devoir et il doit s’en acquitter sans se préoccuper de l’inquiétude, des tourments ou de la destruction qu’il peut causer à autrui. Il doit faire la distinction entre ses devoirs de patriote et ses devoirs d’avocat et agir sans se soucier des conséquences, jusqu’à entraîner son pays dans la confusion si malheureusement tel doit être son destinNote de bas de page 116.
      8. J’ai parlé plus tôt de mes préoccupations concernant le statut militaire des juges, notamment le fait que l’on pourrait indûment tenir compte du rang militaire et des conséquences professionnelles possibles dans l’administration de la justice militaireNote de bas de page 117. Ces préoccupations existent également à l’égard des procureurs et des avocats de la défense militaires.
      9. Ni les uns ni les autres ne devraient craindre de conséquences négatives en exerçant leurs fonctions, même si cela les oblige à agir contre les vœux de la hiérarchie militaire. Les avocats de la défense et les procureurs militaires doivent donc être suffisamment indépendants par rapport au pouvoir exécutif, ce qui inclut et la chaîne de commandement et le CJAG.
      10. Il existe déjà des mesures visant à protéger l’indépendance personnelle du DPM et du DSAD. Je crois par contre que ces mesures, bien que souhaitables, devraient être renforcées.
      11. Je crois également que des freins et contrepoids institutionnels doivent être mis en place pour les autres procureurs et avocats de la défense militaires. À l’heure actuelle, il n’en existe aucun pour assurer leur indépendance de l’exécutif. Les mesures qui protègent leur indépendance découlent seulement de directives de la JAG à l’intention de son chef d’état-major. Elles pourraient facilement être abrogées ou modifiées par un prochain JAG si aucune disposition législative ou réglementaire n’est édictée. Autrement dit, ces mesures sont liées à la personnalité et à l’intégrité de chaque JAG. Cela n’est pas suffisant et devrait être rectifié.
        1. Les services offerts par les avocats de la défense militaires
          1. Plusieurs acteurs du système de justice militaire m’ont dit que les avocats de la défense militaires déposent souvent de nombreuses demandes à la défense de leurs clients, y compris des contestations fondées sur la Charte. On m’a encouragé à recommander la mise en place de mécanismes pour contrôler les dépenses des avocats de la défense militaires. Cela permettrait, m’a-t-on dit, de veiller à ce qu’ils se concentrent sur les demandes ayant le plus de chances de succès et, en particulier, à ce qu’ils ne soulèvent pas à répétition des contestations constitutionnelles identiques à l’égard du système de justice militaire.
          2. Je suis fondamentalement en désaccord avec cette proposition.
          3. L’accès aux services gratuits d’un avocat, peu importe le revenu, est un avantage offert aux membres des FAC en contrepartie des obligations extraordinaires qui leur sont imposées. Ces obligations extraordinaires comprennent la « responsabilité illimitée » des membres des FAC, selon laquelle ils peuvent à tout moment faire l’objet d’un ordre de s’exposer au danger dans des conditions pouvant leur coûter la vie.
          4. Le fait que les avocats de la défense militaires puissent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour défendre leurs clients sans avoir à tenir compte de la « responsabilité fiscale » dans leurs décisions fait partie intégrante de l’avantage spécial que le Canada a décidé d’accorder aux membres des FAC. Ce n’est qu’avec une réticence considérable que j’entraverais cette contrepartie fondamentale. Je n’ai reçu aucun argument satisfaisant pour appuyer une telle recommandation.
          5. Les avocats de la défense militaires doivent évidemment se conformer aux règles d’éthique qui s’appliquent à eux en tant que membres du barreau d’une province. En outre, la DSAD est légalement tenu de « dirige[r] » (en anglais, « supervis[e] and direc[t] ») la prestation des services juridiques offerts par les avocats de la défenseNote de bas de page 118. Par conséquent, il doit intervenir si un avocat de la défense de la Direction du SAD engage des procédures abusives, frivoles ou vexatoires ou s’il se comporte autrement de manière inappropriée.
          6. Il vaut également la peine de mentionner que les demandes déposées par les avocats de la défense militaires ont historiquement joué un rôle important dans l’évolution du système de justice militaire. La Direction du SAD a participé à des dossiers constitutionnels importants qui ont entraîné la modification de la LDN, ainsi qu’à des contestations qui ont échoué, mais qui ont néanmoins fourni des précisions importantes quant à la compétence du système de justice militaireNote de bas de page 119. En plus de promouvoir les intérêts de leurs clients, les avocats de la défense militaires veillent à la légitimité continue du système de justice militaire.
          7. Le dépôt à répétition de demandes, y compris des contestations constitutionnelles, n’est qu’une conséquence de la structure actuelle du système de justice militaire. Comme les cours martiales ne sont pas des cours supérieures, elles ne peuvent pas prononcer de déclarations générales d’invalidité lorsqu’elles concluent qu’une disposition est inconstitutionnelle. Seules la CACM et la Cour suprême du Canada peuvent le faire dans les affaires militaires. Cela cessera d’être le cas si une Cour militaire du Canada permanente est créée à titre de cour supérieure d’archivesNote de bas de page 120.
          8. Je crois aussi que l’établissement d’une cour permanente permettra aux juges militaires d’intervenir plus facilement à l’égard de procédures abusives, frivoles ou vexatoires, advenant que de telles procédures soient entamées par les avocats de la défense militaires.

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        2. La nomination, la durée du mandat et la révocation du directeur des poursuites militaires et du directeur du service d’avocats de la défense
          1. La nomination et le mandat du DPM et du DSAD sont régis par la LDN. Les officiers des FAC qui sont avocats inscrits au barreau d’une province depuis au moins dix ans peuvent être nommés aux postes de DPM et de DSADNote de bas de page 121. Ils sont nommés à titre inamovible pour des mandats fixes, mais renouvelables, de quatre ansNote de bas de page 122.
          2. Le DPM, tout comme le DSAD, exerce ses fonctions « sous la direction générale » du JAGNote de bas de page 123, qui « exerce son autorité sur tout ce qui touche l’administration de la justice militaire au sein des Forces canadiennes »Note de bas de page 124. Durant la période où ils exercent leurs fonctions, leur rendement n’est pas évalué et leur dossier n’est pas déposé devant un comité de promotion au mériteNote de bas de page 125. Le DPM et le DSAD ne peuvent être révoqués que par le ministre, de façon motivée et sur recommandation d’un comité d’enquêteNote de bas de page 126.
          3. Les fonctions du DPM sont analogues aux fonctions du directeur des poursuites pénales (« DPP ») dans le système de justice civil. Il est donc instructif de comparer leurs nominations et la durée de leurs mandats ainsi que les conditions qui régissent leur révocation. Le DPP est nommé par le gouverneur en conseil, sur recommandation du procureur général du Canada (« procureur général »)Note de bas de page 127. Il est nommé à titre inamovible pour un mandat de sept ans, qui ne peut pas être renouvelé.
          4. En outre, le mandat du DPP ne peut être révoqué que par le gouverneur en conseil, de façon motivée et avec l’appui d’une résolution de la Chambre des communesNote de bas de page 128. Ces conditions sont des « mesure[s] de protection importante[s] qui permet[ent] au DPP de résister à toute ingérence inappropriée » et elles permettent de veiller à ce que l’exécutif ne tente probablement pas de révoquer le DPP « en l’absence d’incompétence, de comportement inapproprié ou d’incapacité »Note de bas de page 129.
          5. J’ai demandé au CJAG de me fournir ses commentaires sur les conditions actuelles régissant la nomination et le mandat du DPM et du DSAD. Il m’a informé qu’il était en faveur du maintien du statu quo. Il a d’abord mentionné que le DPM et le DSAD ne sont [traduction] « pas supervisés par un responsable politique », contrairement au DPP, car [traduction] « le JAG est un officier supérieur des Forces armées canadiennes et un responsable neutre nommé par le gouverneur en conseil »Note de bas de page 130.
          6. Le CJAG a reconnu que l’octroi de mandats plus longs aurait l’effet souhaitable de favoriser le développement d’une expérience et de compétences en matière de litige au sein du SCPM et de la Direction du SAD. Il a toutefois soulevé quelques difficultés pratiques qui pourraient survenir en cas de mandat non renouvelable :
            1. [traduction] Les personnes nommées au poste de DPM ou de DSAD pour un mandat limité non renouvelable pourraient faire face à des difficultés professionnelles une fois leur mandat terminé. Si la personne est un avocat militaire, il y a peu de postes (la plupart étant de nature consultative) équivalant à son grade auxquels elle pourrait retourner au sein du Cabinet du JAG. Durant leur mandat, il se peut que les titulaires doivent exercer leurs fonctions d’une manière qui puisse parfois ne pas s’accorder avec le point de vue de la chaîne de commandement. Sachant qu’ils seraient censés retourner conseiller la chaîne de commandement après leurs mandats, ils pourraient avoir des préoccupations perceptives à l’égard des décisions qu’ils prendraient durant ces mandats. Ces considérations pourraient également s’appliquer advenant que la personne nommée au poste de DPM ou de DSAD soit un officier d’un autre groupe professionnel (dans la Force régulière ou la Force de réserve) et qu’elle doive retourner dans son groupe professionnel militaire précédent. Dans certaines circonstances, il se peut que la meilleure option pour la personne soit de prendre sa retraite des FAC après avoir terminé son mandat de DPM ou de DSAD. Les circonstances sont différentes que celles auxquelles font face les personnes qui occupent le poste de DPP, car celles-ci bénéficient de beaucoup plus d’occasions de carrière au sein du ministère de la Justice et dans la fonction publiqueNote de bas de page 131.
          7. À mon avis, le fait que le DPM et le DSAD puissent devoir [traduction] « exercer leurs fonctions d’une manière qui puisse parfois ne pas s’accorder avec le point de vue de la chaîne de commandement »Note de bas de page 132 est une raison suffisante pour réexaminer la possibilité actuelle de renouveler leurs mandats. Pour des raisons de principe, le DPM et le DSAD devraient, lorsqu’ils exercent leurs fonctions, ne tenir aucunement compte de la possibilité que le ministre renouvèle leur mandat. Cela est particulièrement vrai compte tenu de l’intérêt du ministre à l’égard de toutes les affaires instruites dans le système de justice militaire.
          8. La durée actuelle du mandat du DPM et du DSAD ne permet pas d’atteindre cet objectif. Au contraire, le DPM m’a informé que la possibilité d’un renouvellement les rend vulnérables à des pressions politiques.
          9. Je me suis entretenu avec les deux directeurs et je suis confiant que leur personnalité individuelle leur a permis de résister à de telles pressions. Par contre, ce résultat devrait être garanti par la structure institutionnelle et non dépendre de la personnalité et des traits de caractère de chacun. Placer le DPM et le DSAD sous la direction générale du JAG constitue une protection insuffisante, car le JAG lui-même occupe son poste à titre amovible Note de bas de page 133.
          10. Les mécanismes de révocation du DPM ou du DSAD par le ministre ne protègent pas non plus suffisamment leur indépendance. Les causes acceptables de révocation donnent une latitude substantielle au CEDPM, au CEDSAD et au ministreNote de bas de page 134.
          11. Ce n’est pas un problème en soi. Le problème est le manque de transparence. Le rapport d’un comité d’enquête est rendu public seulement si l’enquête en soi a été tenue en public, et le ministre a discrétion pour en déciderNote de bas de page 135. Un système dans lequel les révocations feraient l’objet d’une importante attention publique serait préférable.
          12. Je recommande donc que les conditions relatives à la nomination, à la durée du mandat et à la révocation du DPM et du DSAD soient modifiées afin de correspondre à celles du DPP. Je reconnais avec respect les préoccupations pratiques de la JAG, mais je ne les considère pas comme des obstacles à ma recommandation.
          13. Je comprends que la plupart des titulaires précédents des postes de DPM et de DSAD (voire peut-être même tous les titulaires) ont directement pris leur retraite des FAC durant leurs mandats ou à la fin de ceux-ci. Si les prochains titulaires choisissent de ne pas prendre leur retraite, il demeurerait possible pour eux d’être nommés JAG ou juges militaires.
            1. Recommandation #7. Le directeur des poursuites militaires et le directeur du service d’avocats de la défense devraient être nommés par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre de la Défense nationale.
            2. Le directeur des poursuites militaires et le directeur du service d’avocats de la défense devraient être nommés à titre inamovible pour un mandat de sept ans, sous réserve à tout moment de révocation motivée par le gouverneur en conseil appuyée par une résolution de la Chambre des communes à cet effet. Leurs mandats ne devraient pas pouvoir être renouvelés.
        3. Le pouvoir du juge-avocat général d’établir des lignes directrices ou de donner des instructions spécifiques au directeur des poursuites militaires
          1. Le JAG est autorisé à « établir par écrit des lignes directrices ou donner des instructions » concernant les poursuites ou les services d’avocats de la défense au DPM et au DSADNote de bas de page 136. Ces lignes directrices et instructions sont accessibles au public.
          2. Le JAG peut également, par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions au DPM (mais pas au DSAD) en ce qui concerne une poursuite en particulierNote de bas de page 137. Le cas échéant, le DPM doit veiller à rendre accessibles au public ces lignes directrices ou instructions, à moins qu’il « estime qu’il n’est pas dans l’intérêt de la bonne administration de la justice militaire de rendre les lignes directrices ou instructions, ou une partie de celles-ci, accessibles »Note de bas de page 138. De plus, le JAG doit transmettre au ministre une copie des lignes directrices et instructions qu’il donne au DPMNote de bas de page 139.
          3. Un pouvoir similaire est conféré au procureur général, qui peut donner des directives par écrit au DPP relativement à l’introduction ou à la conduite d’une poursuite en particulierNote de bas de page 140. Toutes les directives de cette nature doivent être publiées dans la Gazette du Canada, mais le procureur général ou le DPP peut reporter leur publication jusqu’à la fin de la poursuite s’il « juge que l’administration de la justice l’exige »Note de bas de page 141.
          4. Le juge en chef Lamer a commenté le pouvoir du JAG d’établir des lignes directrices ou de donner des instructions spécifiques au DPM. À son avis, « ce pouvoir cadre avec l’autorité que le JAG exerce sur tout ce qui touche à l’administration du système de justice militaire et ne porte pas atteinte à l’indépendance de la poursuite. Une partie du rôle du JAG doit évidemment consister à reconnaître les préoccupations légitimes de la chaîne de commandement dans le processus disciplinaire »Note de bas de page 142.
          5. Selon la JAG, le pouvoir de donner des instructions spécifiques au DPM vise à permettre des interventions rapides pour protéger la légitimité ou la stabilité du système de justice militaire (dans de rares cas). On m’a informé que le SCPM n’avait aucune trace de lignes directrices ou d’instructions spécifiques ayant jamais été données par le JAG au DPM. Cela ne veut pas dire que ce pouvoir ne pourrait pas faire l’objet d’une utilisation plus libérale par un futur JAG qui aurait une vision plus large de ce qu’implique son autorité sur tout ce qui touche l’administration du système de justice militaire au sein des FAC.
          6. Selon moi, l’existence de ce pouvoir limite clairement l’indépendance du DPM. Le fait qu’un tel pouvoir existe à l’égard du DPP ne peut, en soi, justifier son existence dans le système de justice militaire. Des différences importantes doivent être prises en compte.
          7. Dans le système civil, les directives sont données par un membre du Cabinet qui sera directement responsable envers le Parlement au plus tard « au terme de la poursuite ou de celui de toute poursuite connexe »Note de bas de page 143. Dans le système de justice militaire, où l’on pourrait dire que le besoin d’indépendance est renforcé par l’existence d’une chaîne de commandement robuste, les lignes directrices ou instructions peuvent ne jamais devenir publiques et sont données par un acteur qui n’est qu’indirectement, par l’entremise du ministre, responsable envers le Parlement.
          8. À mon avis, ce pouvoir devrait être éliminé. Le DPM sortant partage mon point de vue. Je crois que les préoccupations légitimes de la chaîne de commandement dans le processus disciplinaire peuvent être transmises adéquatement au DPM sans l’existence de ce pouvoir. Ces préoccupations pourraient faire l’objet d’une discussion avec le DPM, comme elles feraient actuellement l’objet de discussions avec la JAG. Des discussions de cette nature pourraient mener le DPM à revoir, volontairement, des positions adoptées par le SCPM. Le JAG pourrait donner au DPM des instructions générales lui demandant d’examiner dûment les préoccupations de la chaîne de commandement d’un accusé.
          9. Si l’on décide de ne pas éliminer complètement ce pouvoir, celui-ci devrait à tout le moins être exercé par le ministre, sous réserve des conditions énoncées dans la Loi sur le DPP. Cela permettrait de veiller à ce que les instructions données au DPM bénéficient d’une transparence publique appropriée.
            1. Recommandation #8. Les paragraphes 165.17(3) à 165.17(6) de la Loi sur la défense nationale devraient être abrogés.
            2. Si un pouvoir de donner des directives en ce qui concerne une poursuite en particulier doit demeurer, ce pouvoir devrait à tout le moins être conféré au ministre de la Défense nationale personnellement et non au juge-avocat général. Toute directive au directeur des poursuites militaires devrait être obligatoirement donnée par écrit et être publiée dans la Gazette du Canada. Le ministre de la Défense nationale ou le directeur des poursuites militaires devrait être autorisé à ordonner le report de la publication au plus tard au terme de la poursuite ou de celui de toute poursuite connexe s’il estime que ce délai est dans l’intérêt de l’administration de la justice militaire.

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          10. Dans ses observations, le CJAG a également recommandé que la LDN soit modifiée :
            1. [traduction] « afin d’exiger que le DPM avise le JAG, en temps opportun, de toute question d’importance stratégique pour l’administration de la justice militaire survenant dans l’exécution de ses fonctions, comme le DPP est tenu d’aviser le [procureur général] conformément à l’article 13 de la Loi sur le DPP »Note de bas de page 144 ; et
            2. afin d’exiger que le DPM [traduction] « avise le JAG lorsqu’on lui ordonne d’agir au nom du [ministre à titre d’avocat dans le cadre d’un appel], et fournisse au JAG un résumé de tout conseil fourni à cet égard »Note de bas de page 145.
          11. Je crois qu’il n’est pas nécessaire que je formule de telles recommandations. La première obligation proposée pourrait adéquatement être adoptée dans des lignes directrices ou instructions générales de la JAG à l’intention du DPM. Les préoccupations qui sous-tendent la deuxième obligation proposée peuvent également être résolues dans le cadre des relations institutionnelles qui existent entre le ministre, la JAG et le DPM. En particulier, la JAG peut déjà discuter de ces préoccupations avec le ministre, en sa capacité de conseillère juridique pour les questions de droit militaireNote de bas de page 146.
        4. L’indépendance des procureurs et des avocats de la défense militaires
          1. La plupart des procureurs et des avocats de la défense militaires, sauf le DPM et le DSAD, sont des avocats militaires des FAC qui sont temporairement affectés au SCPM et à la Direction du SAD dans le cadre de leur cheminement de carrièreNote de bas de page 147. Ainsi, ils demeurent en tout temps au sein du commandement du JAG, et leurs fonctions sont déterminées par le JAG ou une personne agissant sous son autoritéNote de bas de page 148. Le JAG peut affecter des avocats militaires au SCPM ou à la Direction du SAD ou encore retirer des avocats militaires de ceux-ci. Le JAG peut également évaluer leur rendement alors qu’ils agissent en qualité de procureurs ou d’avocats de la défense militaires, notamment aux fins de leur promotion éventuelle. La promotion d’un officier doit s’effectuer « conformément aux ordres et directives émis par le chef d’état-major » et doit être approuvée par « un officier désigné à cette fin par le chef d’état-major de la défense »Note de bas de page 149.
          2. Cela présente des risques manifestes pour l’indépendance des avocats militaires affectés au SCPM ou à la Direction du SAD. Les risques sont particulièrement élevés pour les avocats de la défense militaires qui sont quotidiennement tenus de prendre des positions qui peuvent aller à l’encontre de celles prises par la chaîne de commandementNote de bas de page 150.
          3. Je n’ai aucun doute que la plupart des avocats de la défense agissent dans les faits indépendamment de la chaîne de commandement. Malheureusement, j’ai entendu des témoignages anecdotiques selon lesquels certains avocats étaient parfois réticents à présenter certaines demandes ou à contre-interroger vigoureusement des témoins ayant des grades élevés, particulièrement à l’approche d’une période de promotions. On m’a également dit, et j’ai moi-même constaté lors d’assemblées virtuelles, que quelques membres des FAC craignent que les avocats de la défense militaires ne puissent pas représenter efficacement leurs intérêts au procès en raison de leur propre affiliation militaire.
          4. Je m’empresse d’ajouter qu’aucun de mes commentaires ne devrait être interprété comme une critique à l’encontre de la JAG actuelle, la contre-amirale Geneviève Bernatchez, ni comme laissant entendre qu’il y aurait eu ingérence inappropriée de sa part. Bien au contraire : le DPM, le DSAD et plusieurs autres responsables des FAC et du MDN avec qui je me suis entretenu ont parlé en termes élogieux, et d’une seule voix, de son respect pour l’indépendance des divers acteurs du système de justice militaire. Mon équipe et moi avons aussi été très impressionnés par son intégrité et son objectivité.
          5. Aussi rassurant que cela ait pu être pour nous, cela nous a également préoccupés. Les personnalités vont et viennent, particulièrement au sein des FAC qui se caractérisent par des affectations temporaires. Par exemple, j’ai entendu parler d’un ancien titulaire ayant refusé de nommer de nouveaux avocats de la défense à la Direction du SAD jusqu’à ce que celle-ci réduise le nombre de demandes déposées en cour martiale.
          6. De plus, au début de 2017, un ancien DSAD a déclaré au sous-ministre adjoint (Services d’examen) qu’au cours des dernières années, il n’avait [traduction] « effectivement pas été mis au courant des avocats militaires ayant exprimé le souhait d’être affectés à la Direction du SAD »Note de bas de page 151. Il a mentionné que cela [traduction] « aurait pu influer gravement sur le niveau de compétence au sein de l’organisation, d’autres personnes choisissant unilatéralement qui y serait affecté »Note de bas de page 152. Encore une fois, l’intégrité du système de justice militaire ne peut dépendre des personnalités respectives du JAG, du DPM et du DSAD. Des mesures de protection structurelles doivent être mises en place.
          7. À mon avis, la première étape essentielle à suivre pour donner aux procureurs et aux avocats de la défense militaires une indépendance suffisante par rapport à l’exécutif est de reconnaître expressément leurs rôles distincts dans les règlements.
            1. Recommandation #9. Des dispositions spécifiques aux procureurs et avocats de la défense militaires devraient être édictées dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Ces dispositions devraient énoncer expressément que :
              1. les procureurs militaires sont des représentants locaux de la justice, avec des obligations accrues envers le système de justice militaire et envers l’accusé;
              2. les avocats de la défense militaires sont les avocats de leurs clients et ont un devoir de loyauté qui les oblige à se dévouer pleinement à la cause de leurs clients; et
              3. les procureurs et les avocats de la défense militaires peuvent devoir exercer leurs fonctions d’une manière qui puisse parfois ne pas s’accorder avec le point de vue de la chaîne de commandement ou du juge-avocat général.
          8. Il est également nécessaire de modifier la LDN afin de préciser ce que signifie l’« autorité [du JAG] sur tout ce qui touche à l’administration de la justice militaire au sein des Forces canadiennes »Note de bas de page 153. Cette modification vise à éviter les interprétations qui pourraient être préjudiciables à l’indépendance des procureurs et des avocats de la défense militaires. L’Orientation stratégique du Cabinet du JAG pour 2018-2021Note de bas de page 154 reconnaît déjà que le CJAG a entre autres pour mission d’« exercer une autorité sur l’administration de la justice militaire au sein des Forces armées canadiennes dans le respect des rôles indépendants de chacun des intervenants officiels à l’intérieur du système de justice militaire »Note de bas de page 155. Mais il s’agit-là d’un minimum. La signification précise de l’autorité du JAG pourrait dépendre des choix de politiques faits en réponse à mes recommandations ci‑dessous.
            1. Recommandation #10. L’article 9.2 de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de préciser la signification de l’autorité du juge-avocat général « sur tout ce qui touche à l’administration de la justice militaire au sein des Forces canadiennes ». À tout le moins, la Loi sur la défense nationale devrait prévoir expressément que l’exercice de cette autorité doit s’effectuer dans le respect de l’indépendance des procureurs militaires, des avocats de la défense militaires et des autres acteurs statutaires à l’intérieur du système de justice militaire.
          9. Les préoccupations décrites précédemment ont été soulevées par le vérificateur général dans son rapport de 2018Note de bas de page 156. En réponse, le CJAG a adopté un certain nombre d’orientations politiques afin de conférer au DPM et au DSAD une plus grande autonomie quant à la gestion de leur personnel.
          10. Parmi ces mesures, on constate un engagement à ce que les avocats militaires affectés à des postes de procureurs et d’avocats de la défense conservent leurs postes pour une durée minimale de cinq ans. La JAG a également conféré au DPM et au DSAD le pouvoir et la responsabilité complets d’approuver l’évaluation des procureurs et des avocats de la défense. La JAG, le DPM et le DSAD sont d’avis que ces pratiques doivent être ancrées. Je souscris à leur position et j’ajoute quelques recommandations afin de répondre à d’autres préoccupations mentionnées ci-dessus.
            1. Recommandation #11. Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devraient prévoir expressément que :
              1. le directeur des poursuites militaires et le directeur du service d’avocats de la défense doivent être informés de l’intérêt d’avocats militaires à être affectés dans leurs divisions respectives, et être consultés par le juge-avocat général au sujet des affectations;
              2. les avocats militaires sont normalement affectés au Service canadien des poursuites militaires ou à la Direction du service d’avocats de la défense pour un mandat d’au moins cinq ans;
              3. les avocats militaires affectés au Service canadien des poursuites militaires ou à la Direction du service d’avocats de la défense relèvent exclusivement du commandement du directeur des poursuites militaires ou du directeur du service d’avocats de la défense, selon le cas, et ce, à toutes fins, y compris la détermination de leurs fonctions, les affaires disciplinaires dont ils font l’objet et les évaluations de rendement.

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          11. Divers commentateurs m’ont invité à envisager des réformes supplémentaires, comme les suivantes :
            1. civilianiser les postes de DPM et de DSAD, ou les postes de procureurs et d’avocats de la défense militaires plus généralementNote de bas de page 157;
            2. faire en sorte que la Direction du SAD compte principalement sur des membres de la Force de réserve qui pratiquent le droit dans leurs vies civilesNote de bas de page 158; ou
            3. créer un Cabinet du directeur du service d’avocats de la défense (« CDSAD ») qui serait une unité indépendante, distincte du CJAG, et responsable de son propre budget et de ses propres ressources. Cette mesure a été recommandée par le DSAD et par la JAG, selon qui la Direction du SAD ne devrait même pas continuer d’être sous la direction générale du JAG. La sous‑ministre était également favorable à cette proposition.
          12. Les avantages recherchés sont faciles à comprendre. Si des civils occupaient les postes de DPM et de DSAD, ou les postes de procureurs et d’avocats de la défense militaires plus généralement, ils seraient entièrement indépendants de la chaîne de commandement. Le fait pour la Direction du SAD de recourir à des avocats réservistes permettrait de veiller à ce que les avocats de la défense soient moins mêlés à l’environnement du CJAG, tout en ayant néanmoins un bon degré de familiarité avec le système militaire. Un CDSAD indépendant offrirait une indépendance institutionnelle considérablement plus grande aux avocats de la défense militaires.
          13. Cependant, je crains que les réformes proposées puissent également comporter des inconvénients imprévus. Par exemple, contrairement aux juges militaires, les procureurs et les avocats de la défense militaires ne conserveront pas leurs postes jusqu’à leurs retraites des FAC et pourraient très bien souhaiter revenir au CJAG à un moment donné durant leurs carrières. Les obliger à renoncer à leur statut militaire pourrait réduire considérablement le bassin de candidats intéressés en provenance du CJAG. Cela pourrait priver le SCPM et la Direction du SAD de candidats possédant une grande expérience militaire, ce que j’ai accepté comme constituant un avantage dans le système de justice militaireNote de bas de page 159.
          14. En outre, un CDSAD indépendant constituerait une petite unité des FAC. Je crains qu’il puisse, si laissé à lui-même, avoir des difficultés à obtenir un budget ainsi que des ressources administratives et humaines suffisants. Le CJAG pourrait devoir continuer à fournir un certain soutien administratif. Par ailleurs, si les avocats de la défense conservent leur statut militaire, la plupart d’entre eux seront probablement d’anciens avocats militaires provenant du CJAG. Lorsqu’ils quitteront le CDSAD, ils souhaiteront probablement réintégrer le CJAG pour y occuper un autre type de poste. Si les choses se déroulent ainsi, on perdrait les avantages d’une « séparation » institutionnelle. Une solution prometteuse pourrait être d’établir un cheminement de carrière distinct en litige militaire pour les procureurs et les avocats de la défense, mais cela entraînerait vraisemblablement des modifications importantes à la progression actuelle des avocats militaires au sein du CJAG.
          15. Je crois qu’un groupe de travail devrait soupeser pleinement les avantages et les inconvénients des réformes proposées.
            1. Recommandation #12. Un groupe de travail devrait être établi afin d’envisager des réformes supplémentaires visant à renforcer l’indépendance des procureurs et des avocats de la défense militaires. Ce groupe de travail devrait inclure une autorité indépendante, ainsi que la juge-avocate générale, le directeur des poursuites militaires et le directeur du service d’avocats de la défense ou leurs représentants. Les réformes examinées devraient à tout le moins inclure :
              1. la civilianisation complète ou partielle des postes de directeur des poursuites militaires et de directeur du service d’avocats de la défense, ou des postes de procureurs et d’avocats de la défense militaires plus généralement;
              2. un recours accru par la Direction du service d’avocats de la défense aux membres de la Force de réserve qui sont des avocats;
              3. l’établissement d’un Cabinet du directeur du service d’avocats de la défense à titre d’unité indépendante, distincte du Cabinet du juge-avocat général et n’étant pas sous sa direction générale; et
              4. l’établissement d’un cheminement de carrière distinct pour les procureurs militaires et les avocats de la défense militaires, comprenant potentiellement des mécanismes spéciaux pour leurs promotions.
    4. La police militaire
      1. Les membres de la police militaire jouent un rôle important pour permettre au système de justice militaire d’atteindre ses objectifs de favoriser la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. L’indépendance et le professionnalisme de la police militaire, ainsi que la confiance des membres des FAC en son efficacité, sont des facteurs importants pour atteindre ces objectifs.
      2. Les membres de la police militaire ont un rôle qui comprend plusieurs facettes. Ils sont d’abord membres des FAC et exercent des fonctions militaires opérationnelles. Ils sont simultanément des membres de la police militaire qui [traduction] « fourni[ssent] des services professionnels de police, de sécurité et de détention aux FAC et au MDN, et ce, à l’échelle mondiale et dans l’ensemble du spectre des opérations militaires »Note de bas de page 160. En conséquence, ils sont responsables de l’application des règlements de circulation, des interventions d’urgence, des enquêtes concernant les infractions de nature criminelle ou d’ordre militaire, de la prévention de la criminalité, des programmes de relations avec la communauté et de plusieurs autres rôlesNote de bas de page 161.
      3. On ne saurait trop insister sur l’importance de l’indépendance de la police militaire par rapport à l’exécutif, ou la chaîne de commandement. Dans l’arrêt CampbellNote de bas de page 162 , la Cour suprême du Canada a déclaré qu’en ce qui concerne les activités d’application de la loi, « la police n’est pas sous le contrôle de la branche exécutive du gouvernement »Note de bas de page 163. Elle a reconnu que l’indépendance de la police est un principe constitutionnel qui « est lui-même à la base de la primauté du droi»Note de bas de page 164.
      4. Tous les membres de la police militaire font partie du Groupe de la Police militaire des Forces canadiennes, qui est dirigé par le grand prévôt des Forces canadiennes (« GPFC »). Le GPFC :
        1. est « un officier qui est policier militaire depuis au moins dix ans » et qui « détient au moins le grade de colonel »Note de bas de page 165;
        2. « occupe son poste à titre inamovible pour un mandat maximal de quatre ans », lequel peut être renouvelé, sous réserve de révocation motivée que prononce le chef d’état-major de la défense sur recommandation d’un comité d’enquêteNote de bas de page 166;
        3. « exerce [s]es fonctions [...] sous la direction générale du vice-chef d’état-major de la défense »Note de bas de page 167 (« VCEMD »), qui peut établir des lignes directrices ou lui donner des instructions tant générales que spécifiques.
      5. Jusqu’en 2011, la plupart des membres de la police militaire étaient assujettis à la chaîne de commandement de la division des FAC dans laquelle ils étaient affectés, quelle qu’elle soit Note de bas de page 168. En 2011, le CEMD a ordonné que tous les membres de la police militaire soient placés sous le commandement intégral du GPFC lorsqu’ils exercent des fonctions de nature policière. Les membres de la police militaire demeurent assujettis aux ordres légitimes de la chaîne de commandement dans le contexte de leurs autres fonctionsNote de bas de page 169.
      6. À mon avis, l’indépendance de la police militaire par rapport à la chaîne de commandement dans le contexte des fonctions de nature policière peut être renforcée de nombreuses façons.
        1. La nomination, la durée du mandat, la révocation et le titre du grand prévôt des Forces canadiennes
          1. La JAG a suggéré que l’indépendance du GPFC par rapport à la chaîne de commandement pourrait être renforcée en modifiant les conditions relatives à sa nomination, à la durée de son mandat et à sa révocation. Le GPFC serait nommé et pourrait être révoqué par le gouverneur en conseil, non le CEMD, et rendrait compte au ministre, plutôt qu’au VCEMD, de l’exercice de ses attributions Note de bas de page 170. En pratique, le mandat du GPFC reflèterait donc le mandat du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada. Je crois que cette solution est souhaitable.
            1. Recommandation #13. L’article 18.3 de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de prévoir que le grand prévôt des Forces canadiennes soit nommé, à titre amovible, par le gouverneur en conseil. Par conséquent, le chef d’état-major de la défense ne devrait pas avoir le pouvoir de révoquer le grand prévôt des Forces canadiennes.
            2. Le grand prévôt des Forces canadiennes devrait rendre compte au ministre de la Défense nationale de l’exercice de ses attributions. Les références au vice-chef d’état-major de la défense à l’article 18.5 de la Loi sur la défense nationale devraient conséquemment être remplacées par des références au ministre de la Défense nationale. De plus, l’article 18.6 de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de prévoir que le grand prévôt des Forces canadiennes présente au ministre de la Défense nationale un rapport annuel sur ses activités et les activités de la police militaire au cours de l’exercice.

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          2. Dans ses observations, le Groupe de la Police militaire des Forces canadiennes a également proposé que le titre du GPFC soit remplacé par grand prévôt général. Cela s’harmoniserait aux autres désignations des spécialistes principaux au sein des FAC, comme le médecin général, l’aumônier général et le JAG. La police militaire affirme que la modification du titre permettrait a) de veiller à ce qu’il soit bien compris que le titulaire du poste est l’officier principal d’application de la loi au sein des FAC; et b) de renforcer l’indépendance du GPFC par rapport à la chaîne de commandement dans les questions de nature policière. D’autres responsables des FAC et du MDN, y compris la JAG, étaient en faveur de cette proposition.
          3. On m’a informé que les directeurs généraux au sein des FAC détiennent généralement des grades de généraux. Dans un système hiérarchique comme les FAC, les prochains titulaires du poste de GPFC détenant un grade de colonelNote de bas de page 171 pourraient ne pas bénéficier de la reconnaissance et de la déférence auxquelles leurs fonctions d’application de la loi leur donnent droit. Par conséquent, je recommande que le GPFC détienne au moins le grade de brigadier-général ou son équivalent dans la marine, le grade de commodore. Compte tenu des raisons avancées par la police militaire, je suis également en faveur de la modification de titre proposée. Cependant, je suis d’avis que ces modifications ne devraient pas être considérées comme des substituts pour les modifications plus substantielles recommandées précédemment, lesquelles sont essentielles pour garantir l’indépendance de la police militaire.
            1. Recommandation #14. La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée afin de renommer le grand prévôt des Forces canadiennes grand prévôt général et afin de prévoir que ce dernier détienne au moins le grade de brigadier-général.
        2. Le pouvoir d’établir des lignes directrices ou de donner des instructions spécifiques au grand prévôt des Forces canadiennes
          1. Le projet de loi C-15Note de bas de page 172 a eu pour effet d’ajouter le paragraphe 18.5(3) à la LDN en 2013. Ce paragraphe prévoit que le VCEMD peut « par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions à l’égard d’une enquête en particulier ». Le GPFC doit veiller à les rendre accessibles au public, à moins qu’il « estime qu’il n’est pas dans l’intérêt de la bonne administration de la justice de [rendre toute ligne directrice ou instruction, ou partie de celle-ci] accessible »Note de bas de page 173. On m’a informé qu’aucune ligne directrice ou instruction spécifique n’avait été donnée jusqu’à maintenant.
          2. Avant cette modification, il était jugé inapproprié pour le VCEMD de donner des directives concernant une enquête en particulier de la police militaire. Le Cadre de reddition de comptes de 1998 signé par le VCEMD et le GPFC du moment confirmait le pouvoir du VCEMD de « donner des ordres et une orientation générale au GPFC afin que les services de police soient fournis avec professionnalisme et efficacité », mais prévoyait que « [l]e VCEMD ne doit pas donner de directives au GPFC en ce qui a trait aux décisions opérationnelles de la police militaire qui se rapportent à des enquêtes »Note de bas de page 174. Il prévoyait également que « [l]e VCEMD ne doit pas participer directement aux enquêtes individuelles en cours, mais il recevra de l’information du GPFC de façon à pouvoir prendre les décisions de gestion qui s’imposent »Note de bas de page 175. Le GPFC avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer quels renseignements il communiquerait au VCEMD.
          3. Le paragraphe 18.5(3) de la LDN était controversé lorsqu’il a été adopté. Il a été justifié par le gouvernement du jour au motif qu’il permettrait au VCEMD de fournir à la police militaire les renseignements dont elle a besoin lorsqu’elle mène des opérations dans des zones de conflits armés. Les membres de l’opposition ont dénoncé cette justification lors des débats parlementaires sur le projet de loi C-15. Ils ont fait valoir que la police militaire ne se rendait pas dans des zones de tirs réels pour mener des enquêtes. Dans tous les cas, ils ont observé que le libellé de la disposition est beaucoup plus large que ce qui serait nécessaire pour traiter de cette situation précise. Diverses modifications ont été proposées, sans succèsNote de bas de page 176.
          4. Je suis sceptique à l’égard de la justification offerte. Je ne crois pas qu’un pouvoir particulier soit requis pour fournir aux membres de la police militaire les renseignements dont ils ont besoin afin d’évaluer les risques pour leur sécurité, dans l’éventualité peu probable où ils choisiraient de mener une enquête sur le champ de bataille.
          5. À mon avis, le paragraphe 18.5(3) de la LDN empiète beaucoup sur l’indépendance de la police. La menace posée par cette disposition est encore plus grande que celle posée par le pouvoir du JAG de donner des instructions spécifiques au DPM. Ce pouvoir du VCEMD (ou le pouvoir équivalent qui serait transféré au ministre advenant que la recommandation #13Note de bas de page 177 soit mise en oeuvre) pourrait empêcher la création de tout dossier de preuve. Je souscris à l’observation suivante de la CPPM :
            1. [traduction] Le pouvoir conféré au VCEMD vise précisément et exclusivement le coeur des fonctions de police militaire; c.-à-d. la conduite d’enquêtes sur les infractions. Le fait que les membres de la police militaire aient un double rôle – celui de policier et celui de soldat – ne diminue pas l’applicabilité à la police militaire du principe juridique de l’indépendance de la police lorsqu’elle mène des enquêtes en application de la loi. S’il en était autrement, des questions devraient être soulevées quant aux raisons pour lesquelles le Parlement aurait créé le mécanisme des plaintes pour ingérence dans les modifications de la Loi sur la défense nationale de 1998 qui ont établi la CommissionNote de bas de page 178.
          6. Le GPFC, la CPPM, la JAG et plusieurs autres personnes que j’ai consultées ont demandé l’abrogation de cette dispositionNote de bas de page 179. Le GPFC et le professeur Kent Roach ont également recommandé que l’on codifie dans une certaine mesure l’indépendance de la police dans la LDN. Je suis d’accord.
            1. Recommandation #15. Les paragraphes 18.5(3) à 18.5(5) de la Loi sur la défense nationale devraient être abrogés.
            2. Pour plus de clarté, l’article 18.5 de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de prévoir que la direction générale et le pouvoir du vice-chef d’état-major de la défense (ou du ministre de la Défense nationale advenant que la recommandation #13 soit mise en œuvre) d’établir des lignes directrices ou de donner des instructions générales n’incluent pas le pouvoir de donner des instructions concernant des décisions précises d’application de la loi dans un cas en particulier.
        3. La qualité pour déposer des plaintes pour ingérence
          1. Le paragraphe 250.19(1) de la LDN prévoit que « [l]e policier militaire qui mène ou supervise une enquête, ou qui l’a menée ou supervisée, peut [...] porter plainte [à la CPPM] contre un officier ou un militaire du rang ou un cadre supérieur du ministère s’il est fondé à croire, pour des motifs raisonnables, que celui-ci a entravé l’enquête ».
          2. En 2011, le juge en chef LeSage a adopté une observation de la CPPM et a recommandé que la qualité pour déposer une plainte pour ingérence soit élargie de manière à « englober les personnes détachées à des postes au sein de la police militaire »Note de bas de page 180. Il a également recommandé que le paragraphe 250.19(1) de la LDN soit modifié « pour englober l’ingérence dans les fonctions de nature policière d’un policier militaire »Note de bas de page 181. On n’a informé que le GPFC était en accord avec les recommandations de mon prédécesseur à cet égard. Elles n’ont toutefois pas encore été mises en œuvre.
          3. Il pourrait arriver des situations où un membre de la police militaire serait informé d’une ingérence dans les fonctions de nature policière, mais choisirait de ne pas déposer de plainte. Un certain nombre de commentateurs ont fait valoir que l’indépendance de la police pourrait être renforcée en reconnaissant à tout officier ou militaire du rang la qualité pour déposer une plainte. Il s’agit de la qualité actuellement reconnue pour les plaintes concernant la conduite des membres de la police militaireNote de bas de page 182.
          4. Je suis d’accord. L’intérêt du public sera mieux servi en octroyant à chaque personne informée d’une ingérence dans les fonctions de la police militaire le droit de déposer une plainte devant la CPPM. Le président de la CPPM a déjà le pouvoir de refuser d’ouvrir une enquête ou d’ordonner d’y mettre fin si « la plainte est futile ou vexatoire ou a été portée de mauvaise foi » Note de bas de page 183.
            1. Recommandation #16. Le paragraphe 250.19(1) de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de prévoir que « [q]uiconque – y compris un officier ou militaire du rang - peut [...] porter plainte [pour ingérence devant la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire] contre un officier ou un militaire du rang ou un cadre supérieur du ministère s’il est fondé à croire, pour des motifs raisonnables, que celui-ci a entravé une fonction de nature policière ».

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