VI. Les cours martiales

  1. Comme je l’ai déjà mentionné, les dossiers du système de justice militaire font l’objet d’un procès sommaire ou d’un procès devant une cour martiale. Tout justiciable du code de discipline militaire (« CDM ») peut être jugé par une cour martiale pour n’importe quelle infraction d’ordre militaireNote de bas de page 471. Entre 2015‑2016 et 2019‑2020, il y a eu en moyenne 54 procès devant une cour martiale par année, ce qui représente 8,1 pour cent de tous les procès dans le système de justice militaire pendant cette périodeNote de bas de page 472.
  2. Les cours martiales ont pour mandat de « juger les infractions d’ordre militaire plus graves, et poss[èdent] un pouvoir de punition allant jusqu’à l’emprisonnement à vie inclusivement »Note de bas de page 473. Les instances devant la cour martiale s’apparentent, à certains égards, aux instances devant les cours de juridiction criminelle : la cour est présidée par un juge militaire, un procureur militaire représente la Couronne, l’accusé a le droit d’être représenté par un avocat de la défense, la procédure est contradictoire et des règles de preuve détaillées s’appliquent. Il existe cependant plusieurs différences, que ce soit en raison des objectifs et des contraintes uniques du système de justice militaire, ou du fait qu’il ait ignoré ou rejeté les réformes du système de justice civil.
  3. Deux types de cours martiales peuvent être convoquées. Une cour martiale générale « se compose d’un juge militaire et d’un comité de cinq membres » des Forces armées canadiennes (« FAC »)Note de bas de page 474. Le comité statue sur toutes les questions de fait et décide de l’innocence ou de la culpabilité de l’accuséNote de bas de page 475. Le juge militaire statue sur les questions de droit ou sur les questions mixtes de fait et de droit et prononce la sentenceNote de bas de page 476. Une cour martiale, pour sa part, est composée uniquement d’un juge militaireNote de bas de page 477.
  4. Les décisions d’une cour martiale peuvent être portées en appel devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada (« CACM »). La CACM est une cour supérieure d’archivesNote de bas de page 478 composée de juges civils nommés par le gouverneur en conseil, choisis parmi les juges de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale ou de cours supérieures provinciales et territoriales de juridiction criminelleNote de bas de page 479. Certains jugements de la CACM peuvent être portés en appel devant la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 480.
  5. Les retards constituent la principale préoccupation ayant été portée à mon attention au sujet du système des cours martiales. Réduire les retards dans le système des cours martiales est de la plus haute importance, puisque sanctionner rapidement les manquements à la discipline militaire est essentiel pour maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. J’ai déjà recommandé plusieurs changements visant à régler le problème des retards dans le système des cours martiales, y compris la mise sur pied d’une Cour militaire du Canada permanenteNote de bas de page 481, l’octroi à la police militaire en uniforme du pouvoir de porter des accusations pour des infractions d’ordre militaireNote de bas de page 482 et le retrait des autorités de renvoi du processus de renvoiNote de bas de page 483. D’autres recommandations visant le même objectif sont énoncées ci-dessous.
  6. Mes autres recommandations ont trait aux Règles militaires de la preuve Note de bas de page 484 (« RMP »), à la composition, à la constitution ainsi qu’aux décisions des comités des cours martiales générales, au processus de détermination de la peine, aux droits d’appel à la CACM et à la composition de la CACM.
    1. Les retards dans le système des cours martiales
      1. Aperçu
        1. L’objectif distinct du système de justice militaire est de « permettre aux Forces armées de s’occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes »Note de bas de page 485. Dans l’arrêt Généreux, le juge en chef Lamer a écrit que « les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement […] »Note de bas de page 486. Il y a moins de deux ans, dans l’arrêt Stillman, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont réitéré que « répondre rapidement aux inconduites dans les forces armées » accroît « la discipline, l’efficacité et le moral des troupes »Note de bas de page 487.
        2. En ce sens, la LDN prévoit qu’« une accusation portée aux termes du code de discipline militaire est traitée avec toute la célérité que les circonstances le permettent »Note de bas de page 488. Les procès sommaires se concluent beaucoup plus rapidement que la majorité des procès criminels dans le système de justice civil.
        3. Cependant, on ne peut en dire autant des cours martiales. Le Cabinet du JAG (« CJAG ») m’a informé qu’entre 2013‑2014 et 2017‑2018Note de bas de page 489, la durée moyenne requise pour donner suite à une accusation en cour martiale, entre le dépôt de l’accusation et la fin du procès, était de 384 joursNote de bas de page 490. Le CJAG a énoncé à titre comparatif que [traduction] « les données de Statistique Canada pour 2018‑2019 révèlent que la durée médiane de traitement d’un dossier devant les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes dans le système de justice civil, entre la première comparution et la clôture du dossier, était de presque cinq mois (139 jours) »Note de bas de page 491.
        4. Il est difficile d’établir une comparaison en raison de différences dans les processus, de différences méthodologiques affectant les données disponibles et de variations régionales dans le système de justice civil. Néanmoins, les données donnent à penser qu’en règle générale et dans l’état actuel des choses, les procès devant une cour martiale durent plus longtemps que les procès civils comparables. Les analyses menées par les auteurs du rapport sur la révision globale de la cour martiale en 2017Note de bas de page 492 et par le vérificateur général du Canada en 2018Note de bas de page 493 appuient cette conclusion.
        5. Le vérificateur général du Canada a recommandé ce qui suit :
          1. « Les Forces armées canadiennes devraient revoir leurs processus de justice militaire afin de déterminer les causes des retards et de prendre des mesures correctives pour les atténuerNote de bas de page 494. »
          2. « Les Forces armées canadiennes devraient définir et communiquer des normes de temps pour chaque étape du processus de justice militaire et s’assurer qu’un processus permet d’en faire le suivi et de les faire appliquerNote de bas de page 495. »
          3. « Les Forces armées canadiennes devraient mettre en place un système de gestion de cas qui contient l’information nécessaire pour surveiller et gérer l’avancement et l’achèvement des causes de justice militaireNote de bas de page 496. »
          4. « Le Cabinet du Juge‑avocat général et les Forces armées canadiennes devraient évaluer régulièrement l’efficience et l’efficacité de l’administration du système de justice militaire et corriger toute faiblesse relevéeNote de bas de page 497. »
      2. Les initiatives des Forces armées canadiennes
        1. En réponse à ces recommandations, le CJAG a mis sur pied les Normes de temps du système de justice militaire. Ces normes prévoient qu’un maximum de 18 mois devrait s’écouler entre le dépôt des accusations et la fin d’un procès en cour martialeNote de bas de page 498. Le CJAG a aussi participé à deux autres initiatives menées par les FAC et le ministère de la Défense nationale (« MDN ») :
          1. En collaboration avec le CJAG, le sous‑ministre adjoint (Gestion de l’information) a conçu le Système d’administration de la justice et de gestion de l’information (« SAJGI »). Le SAJGI est un système électronique de gestion des cas et une base de données visant à « suivre […] les dossiers de justice militaire, de la dénonciation d’une infraction alléguée, en passant par les étapes de l’enquête, du dépôt des accusations et de la conclusion du procès, jusqu’à la révision de la décision rendue, et cela tant pour les procès sommaires que les cours martiales »Note de bas de page 499. Les Normes de temps du système de justice militaire seront « intégrées au SAJGI, assurant ainsi que les utilisateurs fournissent une justification lorsqu’une norme de temps n’est pas respectée »Note de bas de page 500. Le SAJGI sera également compatible avec le système de gestion des dossiers du Service canadien des poursuites militaires (« SCPM ») lancé le 1er juin 2018Note de bas de page 501.
          2. Le CJAG a aussi participé à la mise en œuvre d’un Cadre de surveillance du rendement du système de justice militaire (« CSR »). Le CSR « vise à améliorer l’efficacité, l’efficience, et la légitimité du système de justice militaire » en comparant sa performance globale et celle de ses diverses composantes aux objectifs généraux du système de justice militaireNote de bas de page 502. Le CSR sera intégré au SAJGI, lequel constituera sa principale source de donnéesNote de bas de page 503.

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        2. Ces initiatives sont prometteuses. Cependant, je suis préoccupé par le temps requis pour les mettre en oeuvre. Le SAJGI devait initialement être « mis à l’essai au début de janvier 2019 pour ensuite être lancé en septembre 2019 »Note de bas de page 504. En mars 2021, lorsque je me suis enquis quant à son état, on m’a indiqué que les [traduction] « fonctions de base » du SAJGI avaient seulement été lancées dans certaines unités de la Base de soutien de la 4e division du Canada Petawawa et que [traduction] « l’élaboration et la mise à l’essai de fonctions plus avancées » étaient en coursNote de bas de page 505. En particulier, je comprends que les fonctions du SAJGI ayant trait au système des cours martiales ne sont pas encore opérationnelles. Je comprends que la pandémie de COVID‑19 ait pu compliquer le développement et le déploiement du SAJGINote de bas de page 506. Cependant, je recommande que tous les efforts nécessaires soient faits pour parvenir à une mise en œuvre et à un fonctionnement complets du SAJGI et du CSR aussitôt que possible.
          • Recommandation #50. Le Système d’administration de la justice et de gestion de l’information ainsi que le Cadre de surveillance du rendement du système de justice militaire devraient être développés et commencer à opérer dans tous les éléments des Forces armées canadiennes aussitôt que possible. Les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale devraient prioriser leur développement pour atteindre cet objectif.
        3. Une fois que le SAJGI et le CSR seront entièrement mis en œuvre, la JAG devrait avoir une meilleure idée des causes des retards systémiques dans le système des cours martiales. Elle pourra ensuite déterminer les réformes qui s’imposent et recommander leur mise en œuvre auprès des autorités concernées, sans attendre le prochain examen indépendant.
      3. Les plaidoyers de culpabilité et la gestion de l’instance
        1. À l’heure actuelle, l’accusé est appelé à plaider par un juge militaire au début du procès en cour martialeNote de bas de page 507. Si l’accusé plaide non coupable à l’égard de n’importe quel chef d’accusation, le procès débute immédiatement. S’il admet sa culpabilité à l’égard de tous les chefs d’accusation, le juge militaire libère le comité, s’il y en a un, et prononce la sentenceNote de bas de page 508.
        2. L’article 191.1 de la LDN prévoit qu’« [à] tout moment après la convocation de la cour martiale générale et avant que le comité de la cour martiale ne commence à siéger, le juge militaire la présidant peut, sur demande, accepter le plaidoyer de culpabilité de l’accusé ». Un plaidoyer de culpabilité préliminaire de la sorte ne peut pas être présenté par vidéoconférence même si toutes les parties y consententNote de bas de page 509. Curieusement, malgré le fait que les cours martiales permanentes constituent la vaste majorité des cours martialesNote de bas de page 510, aucune disposition de la LDN ne traite expressément des plaidoyers de culpabilité dans le cas où des cours martiales permanentes sont convoquéesNote de bas de page 511. Une disposition expresse sera intégrée une fois que les dispositions restantes du projet de loi C‑77Note de bas de page 512 entreront en vigueurNote de bas de page 513.
        3. Le système actuel n’est pas conçu pour favoriser l’enregistrement de plaidoyers à la première occasion. Je ne vois aucune raison d’attendre qu’une cour martiale soit convoquée, ce qui peut se produire plusieurs mois après la mise en accusation par le DPMNote de bas de page 514. Ni d’exiger que l’accusé fasse une demande de manière proactive. Ni de ne pas permettre à l’ensemble des juges militaires d’accepter un plaidoyer de culpabilité, quel que soit le juge assigné à la cour martiale. Ni de ne pas accepter les plaidoyers de culpabilité par vidéoconférence.
        4. La complexité de la structure actuelle peut expliquer la conclusion des auteurs du rapport sur la révision globale de la cour martiale à l’effet que « dans l’état actuel des choses, les plaidoyers de culpabilité sont prononcés le premier jour de la mise au rôle pour l’instruction, là où le tribunal siège (ce qui nécessite souvent que le juge militaire, le sténographe judiciaire, l’avocat de la défense et le procureur militaire se déplacent), même si toutes les parties savent qu’un plaidoyer de culpabilité sera enregistré »Note de bas de page 515.
        5. Les procureurs militaires qui ont renseigné mon équipe m’ont informé qu’au cours des trois années les plus récentes où des données sur les plaidoyers de culpabilité ont été consignées (2013‑2014 à 2015‑2016), les procès entièrement résolus par des plaidoyers de culpabilité constituaient respectivement 64 pour cent, 52 pour cent et 67 pour cent de tous les procès en cour martiale. Par conséquent, accepter les plaidoyers de culpabilité à la première occasion aiderait grandement à réduire les retards dans le système des cours martiales.
        6. Les pratiques de la Court Martial du Royaume‑Uni sont intéressantes du point de vue du droit comparé. Le Judge Advocate General of the Armed Forces a publié un avis de pratique visant à [traduction] « assurer que les affaires devant la cour martiale soient traitées aussi rapidement que possible »Note de bas de page 516. Dans la plupart des cas, une audience sur le plaidoyer et la préparation du procès doit avoir lieu [traduction] « dans les 28 jours suivant la réception des documents relatifs à l’affaire au Military Court Service »Note de bas de page 517. Si la défense indique, [traduction] « avant l’audience sur le plaidoyer et la préparation du procès, qu’un plaidoyer de culpabilité sera enregistré, l’audience sur le plaidoyer et la préparation du procès peut être remplacée par une audience sur le plaidoyer et la détermination de la peine » dans de nombreux casNote de bas de page 518. [traduction] « Si l’accusé plaide non coupable, le juge, avec l’aide des représentants juridiques de la poursuite et de la défense, établira les questions en litige, et un calendrier sera fixé afin d’assurer une préparation adéquate de l’affaire en vue du procèsNote de bas de page 519. »
        7. À mon avis, il serait très avantageux d’instaurer des pratiques similaires au Canada, que ma recommandation relative à la création d’une Cour militaire du Canada permanente soit suivie ou nonNote de bas de page 520.
          • Recommandation #51. L’article 189.1 et/ou l’article 191.1 de la Loi sur la défense nationale devraient être modifiés pour prévoir que le plaidoyer de culpabilité d’un accusé puisse être accepté par tout juge militaire, à n’importe quel moment entre le prononcé de la mise en accusation et l’ouverture du procès.
          • Le paragraphe 112.64(2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devrait être abrogé.
          • En règle générale, une audience préalable au procès devrait être convoquée dans les 28 jours suivant le prononcé de la mise en accusation par le directeur des poursuites militaires. L’accusé devrait être appelé à plaider durant l’audience préalable au procès. Le juge militaire et les parties devraient ensuite discuter de la gestion de l’instance.
      4. Le recours accru à la technologie
        1. Les technologies actuelles de l’information et des communications jouent non seulement un rôle crucial pour assurer la mobilité, la capacité de déploiement et la souplesse futures du système de justice militaire, mais elles peuvent aussi accélérer considérablement les procédures en supprimant les exigences de déplacement.
        2. Je recommande que les ORFC soient modifiées pour permettre une utilisation accrue de la technologie dans le but de faciliter la participation à distance aux procédures en cour martialeNote de bas de page 521, et pour abroger les dispositions qui restreignent indûment son utilisation. Par exemple, suivant les règles actuelles, la comparution des parties par vidéoconférence lors des procédures préliminaires requiert l’accord de la défense et de la poursuite ainsi qu’une ordonnance du jugeNote de bas de page 522. La même règle s’applique à la comparution de témoins par vidéoconférenceNote de bas de page 523. Dans ses observations, le SCPM a énoncé que [traduction] « la bonne administration de la justice militaire serait mieux servie si le juge militaire disposait du pouvoir discrétionnaire d’autoriser la participation à distance »Note de bas de page 524. Je souscris à cette observation. Si mes recommandations visant à établir des régimes de mandats de perquisition et de mandats d’arrestation judiciaires sont mises en œuvreNote de bas de page 525, la LDN pourrait être modifiée pour permettre les télémandats dans ce contexte. Bien entendu, on ne devrait pas considérer que j’ai relevé toutes les circonstances dans lesquelles une utilisation accrue de la technologie serait bénéfique.
          • Recommandation #52. La Loi sur la défense nationale ou les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, selon le cas, devraient être modifiés pour permettre une utilisation accrue de la technologie dans le but de faciliter la participation à distance aux procédures en cour martiale, et pour abroger les dispositions qui restreignent indûment son utilisation, y compris les paragraphes 112.64(1) et 112.65(1) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes.
          • Dans le cadre de l’exercice de son autorité sur tout ce qui touche à l’administration de la justice militaire au sein des Forces armées canadiennes, la juge‑avocate générale devrait collaborer avec le Cabinet du juge militaire en chef, le Service canadien des poursuites militaires et la Direction du service d’avocats de la défense afin d’identifier les modifications souhaitables.
      5. Les procédures préliminaires
        1. L’article 187 de la LDN prévoit qu’« [à] tout moment après le prononcé d’une mise en accusation et avant l’ouverture du procès de l’accusé, tout juge militaire ou, si la cour martiale a déjà été convoquée, le juge militaire la présidant peut, sur demande, juger toute question ou objection à l’égard de l’accusation ». En revanche, les Règles de pratique de la cour martiale RPCM ») ne permettent pas que les demandes préliminaires soient présentées avant la convocation d’une cour martiale. Elles prévoient qu’« [u]ne demande peut être présentée une fois qu’un juge militaire a été désigné pour présider la cour martiale qui a été convoquée »Note de bas de page 526.
        2. Selon le juge en chef LeSage, tout juge militaire, et pas seulement celui qui est assigné à une cour martiale, devrait détenir le pouvoir d’instruire et de trancher des questions préliminaires, même après que la cour martiale ait été convoquée. Il a recommandé de modifier l’article 187 de la LDN, mais cette recommandation n’a pas été mise en œuvreNote de bas de page 527. Je souscris à sa recommandation.
          • Recommandation #53. Les mots « ou, si la cour martiale a déjà été convoquée, le juge militaire la présidant » devraient être abrogés de l’article 187 de la Loi sur la défense nationale pour permettre à tout juge militaire d’instruire et de trancher des questions préliminaires, même après que la cour martiale ait été convoquée.

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        3. La question de la preuve dans le cadre des procédures préliminaires a aussi été portée à mon attention. Le SCPM m’a informé que l’article 182 de la LDN [traduction] « est appliqué, sans distinction, aux demandes préalables au procès et au procès lui‑même »Note de bas de page 528. En vertu de cette disposition, les cours martiales peuvent uniquement admettre des déclarations solennelles (affidavits) à titre de preuve des faits qui y sont énoncés si les deux parties y consentent. Si ce n’est pas le cas, la déclaration solennelle n’a aucune valeur probante et la personne l’ayant déposée doit être interrogée en cour, ce qui prolonge manifestement la durée des audiences. Le SCPM a soutenu [traduction] « qu’il faudrait envisager de permettre que la preuve par affidavit à l’appui des demandes soit le mode de présentation de la preuve par défaut, tout en offrant à la partie adverse l’option de contre‑interroger » la personne qui fait la déclarationNote de bas de page 529. Je souscris à cette observation.
          • Recommandation #54. La Loi sur la défense nationale et les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devraient être modifiés pour permettre que la preuve lors des procédures préliminaires soit présentée par déclaration solennelle, que la partie adverse y consente ou non. La partie adverse devrait avoir le droit de contre‑interroger la personne qui fait la déclaration solennelle.
    2. Les Règles militaires de la preuve

        1. Le paragraphe 181(1) de la LDN prévoit que « le gouverneur en conseil peut établir les règles de preuve applicables dans un procès en cour martiale ». En août 1959, le gouverneur en conseil a exercé ce pouvoir et a adopté les Règles militaires de la preuve. Ces règles étaient [traduction] « une codification des règles de preuve habituelles suivies par les tribunaux canadiens de juridiction criminelle » – à l’époque – et avaient l’objectif justifiable de simplifier les règles de preuve applicables en cour martiale et de les rendre plus cohérentesNote de bas de page 530.
        2. Malheureusement, les RMP n’ont pas été mises à jour pour tenir compte de l’évolution des règles de preuve de common law au Canada. Elles ont seulement été modifiées à deux reprises, en 1990 et en 2001, et encore ne l’ont été que de façon très superficielleNote de bas de page 531. Par conséquent, comme l’a souligné le SCPM, [traduction] « elles font référence à des postes et des termes qui ne veulent plus rien dire » et [traduction]« contiennent de nombreuses références à des dispositions des ORFC et de la LDN qui ne correspondent plus à ce qu’elles étaient au moment où les règles ont été publiées »Note de bas de page 532. De façon plus importante encore, elles dérogent désormais aux règles de preuve de common law à plusieurs égards. On m’a informé que les juges militaires s’appuient sur les règles civiles soit dans le but de remédier aux lacunes des RMP soit, à l’occasion, parce qu’elles favorisent l’accusé.
        3. En 2011, le juge en chef LeSage a recommandé que « [l]es Règles militaires de la preuve [soient] remplacées par les règles de preuve prévues par la loi et la common law dans le système de cour martialeNote de bas de page 533. » Le CJAG m’a informé que cette recommandation a été acceptée en principe, mais qu’elle n’a pas été mise en œuvre parce que plus d’analyse est requise, 10 ans plus tardNote de bas de page 534. Lorsque j’ai demandé des précisions sur le travail normatif qui avait déjà été effectué et sur la nature et l’étendue de l’analyse supplémentaire, on m’a répondu qu’une recherche détaillée dans les dossiers accessibles n’avait pas révélé d’information supplémentaireNote de bas de page 535.
        4. Je suis d’avis que les RMP ont perdu leur raison d’être. Les juges, les procureurs et les avocats de la défense militaires possèdent une expérience suffisante pour appliquer les règles de preuve statutaires et de common law qui s’appliquent devant les tribunaux civils. Aucun des participants à mon examen n’a émis de réserves quant à l’abrogation des RMP, et plusieurs l’ont encouragé.
          • Recommandation #55. Les Règles militaires de la preuve devraient être abrogées et remplacées dans le système des cours martiales par les règles de preuve statutaires et de common law.
    3. Les cours martiales générales
      1. Les nouveaux choix de procès par cour martiale générale
        1. Les articles 165.191 à 165.193 de la LDN énoncent les circonstances dans lesquelles chaque type de cour est convoquée :
          1. Une cour martiale permanente est obligatoire pour les infractions d’ordre militaire (sauf les infractions civiles) punissables d’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans ou d’une peine moindre, et pour les infractions civiles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaireNote de bas de page 536.
          2. En règle générale, une cour martiale générale doit être convoquée pour toutes les infractions d’ordre militaire punissables par l’emprisonnement à vie et pour les infractions civiles qui, dans le système de justice civil, relèvent de la compétence exclusive des cours supérieures de juridiction criminelleNote de bas de page 537. Dans les cas où une cour martiale générale serait autrement requise, une cour martiale permanente peut néanmoins être convoquée si tant l’accusé que le DPM y consentent par écritNote de bas de page 538.
          3. Dans d’autres circonstances, « [l]a personne accusée peut choisir d’être jugée par une cour martiale générale ou une cour martiale permanente »Note de bas de page 539. L’accusé fait son choix après que la mise en accusation ait été prononcée par le DPM. Par la suite, « [l’]accusé peut de droit, au plus tard trente jours avant la date fixée pour l’ouverture de son procès, faire une seule fois un nouveau choix »Note de bas de page 540. Le consentement écrit du DPM est requis si l’accusé désire faire un nouveau choix tardif, ou un nouveau choix additionnelNote de bas de page 541.
        2. Par conséquent, un accusé peut faire le nouveau choix d’être jugé par une cour martiale générale 30 jours avant le début du procès. Ce nouveau choix mène l’administrateur de la cour martiale (« ACM ») à former un comité. L’ACM m’a indiqué que cette échéance est trop courte et [traduction] « difficile à respecter d’un point de vue administratif compte tenu du processus détaillé et étape par étape que l’administrateur de la cour martiale doit suivre »Note de bas de page 542, lequel « prend normalement au moins deux mois à compléter »Note de bas de page 543. L’ACM a recommandé que l’échéance minimale pour faire un nouveau choix de plein droit soit portée à 60 jours avant la date fixée pour le début du procèsNote de bas de page 544. Je souscris à cette recommandation et je souligne que ce même échéancier s’applique relativement à certains nouveaux choix dans le système de justice civilNote de bas de page 545.
          • Recommandation #56. Le paragraphe 165.193(4) de la Loi sur la défense nationale devrait être modifier pour remplacer les mots « trente jours » par les mots « soixante jours ».
      2. La composition des comités des cours martiales générales
        1. L’article 167 de la LDN décrit la composition d’une cour martiale générale. Le bassin de membres admissibles à faire partie du comité est restreint en fonction du grade de l’accusé :
          • 167 (1) La cour martiale générale se compose d’un juge militaire et d’un comité de cinq membres.

            (2) Le plus haut gradé des membres du comité détient au moins le grade de lieutenant-colonel.

            […]

            (4) Lorsque l’accusé est un brigadier-général ou un officier d’un grade supérieur, le plus haut gradé des membres détient un grade au moins égal au sien et les autres membres détiennent au moins le grade de colonel.

            (5) Lorsque l’accusé est un colonel, le plus haut gradé des membres détient un grade au moins égal au sien et les autres membres détiennent au moins le grade de lieutenant-colonel.

            (6) Lorsque l’accusé est un lieutenant-colonel ou un officier d’un grade inférieur, les membres autres que le plus haut gradé détiennent un grade au moins égal au sien.

            (7) Lorsque l’accusé est un militaire du rang, le comité se compose du plus haut gradé, d’un autre officier et de trois militaires du rang qui détiennent, à la fois, un grade au moins égal au sien et au moins le grade de sergent.

        2. Certaines personnes ont fait valoir que les règles qui régissent la composition des comités ne devraient pas dépendre du grade de l’accusé. En 2009, par exemple, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a affirmé qu’« en l’absence de raison impérieuse de les conserver,[les distinctions fondées sur le grade] sont contraires à l’esprit du principe d’égalité devant la loi consacré dans l’article 15 de la Charte et doivent en conséquence disparaître »Note de bas de page 546.
        3. Je reconnais l’importance d’accorder une justice égalitaire à tous les membres des FAC. Cependant, un traitement formellement égal pourrait, dans les faits, ne pas se traduire par une justice substantiellement égale. Il est important de se rappeler que le système de justice militaire s’inscrit dans le contexte d’une institution hautement hiérarchisée. Les membres des comités détiennent un grade. Ceci crée un risque qu’ils puissent tenir compte du grade de l’accusé, du grade des plaignants ou des témoins, ou des souhaits de la hiérarchie militaire lorsqu’ils rendent leur décision. Cette préoccupation est inévitable à moins que le système des comités soit aboli. Elle peut cependant être minimisée de plusieurs façons.
        4. Pour réduire le risque que des membres d’un comité s’en remettent indûment aux souhaits de la chaîne de commandement, les juges militaires devraient porter une attention particulière pour s’assurer que les membres des comités comprennent qu’il leur incombe d’agir de manière impartiale et indépendante, sans tenir compte des intérêts de la chaîne de commandement ou de leurs propres intérêts. Des protections structurelles doivent aussi être mises en place pour éviter que les membres des comités soient récompensés ou punisNote de bas de page 547.

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        5. Ces mesures contribuent également à réduire le risque que les membres des comités fassent preuve de déférence envers des accusés de grades plus élevés. Cependant, la meilleure façon d’atténuer ce risque est de réduire les circonstances dans lesquelles un comité serait constitué de membres détenant des grades inférieurs à celui de l’accusé. C’est ce que font les paragraphes 167(6) et 167(7) de la LDN pour les accusés qui sont des militaires du rang ou des officiers d’un grade égal ou inférieur à celui de lieutenant-colonel.
          1. Les cours martiales générales pour les colonels et les officiers généraux
            1. Les paragraphes 167(4) et 167(5) de la LDN prennent une approche différente pour les accusés qui sont des colonels ou des officiers généraux. En raison peut-être du nombre limité d’officiers des FAC qui détiennent ces grades, ces dispositions leur permettent d’être jugés par jusqu’à quatre subordonnés. Un seul membre du comité doit détenir « un grade au moins égal [à celui de l’accusé] »Note de bas de page 548. Non seulement cette situation pose-t-elle le risque que le grade de l’accusé influence les membres du comité, mais elle peut également générer d’importants problèmes dans certains cas.
            2. La JAG, le lieutenant‑colonel (retraité) François Lareau, le lieutenant‑colonel (retraité) Rory G. Fowler ainsi que d’autres participants à mon examen se sont tous dits préoccupés par le fait que le paragraphe 167(4) de la LDN ne permette pas au chef d’état‑major de la défense (« CEMD ») d’être jugé par une cour martiale générale. Le CEMD est en tout temps le seul membre actif des Forces armées canadiennes qui détient le grade de général ou d’amiral. Le plus haut gradé des membres du comité ne peut jamais détenir un grade égal ou supérieur à celui du CEMD.
            3. Lorsque l’accusé est un lieutenant‑général, un comité de cour martiale générale peut théoriquement être constitué. Cet exercice pourrait néanmoins comporter d’importantes difficultés d’ordre pratique. On m’a informé que les FAC comptent neuf lieutenants‑généraux ou vice-amiraux actifs. Ceux‑ci interagissent routinièrement, entre eux et avec d’autres officiers généraux, pour discuter de sujets liés au commandement, au contrôle et à l’administration de l’ensemble des FAC. Si l’un d’eux était accusé, les autres seraient vraisemblablement considérés comme n’étant pas suffisamment impartiaux à son égard. Il est probable qu’aucun comité de cour martiale générale ne pourrait être formé.
            4. La pertinence de ces lacunes dans la LDN est mise en évidence par les évènements récents. Selon les médias, le CEMD actuel, présentement en congé, fait l’objet d’enquêtes relativement à des allégations d’inconduite sexuelle n’atteignant pas le seuil de l’agression sexuelleNote de bas de page 549. S’il était accusé, il pourrait uniquement subir un procès dans le système de justice militaireNote de bas de page 550, où il aurait le droit de choisir un procès devant une cour martiale générale. Si cela se produisait, le système de justice militaire pourrait être incapable de rendre justice.
            5. Il existe plusieurs solutions potentielles qui ne requièrent pas l’abolition pure et simple de la structure fondée sur le grade des comités. Premièrement, la LDN pourrait prévoir que les officiers généraux de grades supérieurs puissent seulement être jugés par la cour martiale permanente. Cette solution serait susceptible d’être contestée sur le fondement de l’alinéa 11f) de la Charte, qui « prévoit une protection qui est, dans la mesure du possible, équivalente à celle offerte dans le système de jury civil »Note de bas de page 551. Deuxièmement, les comités des cours martiales générales jugeant des officiers généraux pourraient être entièrement constitués d’autres officiers généraux, sans égard à leur grade. Cependant, les officiers les plus hauts gradés des FAC pourraient toujours être jugés par leurs subordonnés et les risques associés à l’influence fondée sur le grade seraient encore présents.
            6. La JAG a proposé une troisième solution. Elle a suggéré que les officiers généraux puissent, à leur retraite des FAC, être placés sur une liste de candidats en vue des cours martiales générales d’officiers généraux actifs. Par exemple, cela permettrait à un ancien CEMD d’être le membre le plus haut gradé d’une cour martiale générale convoquée pour juger le CEMD en poste. La JAG a affirmé que cette option nécessiterait plus d’analyse normative.
            7. À mon avis, cette option garantit tant le droit de l’accusé d’être jugé par une cour martiale générale que la capacité du système de justice militaire de rendre une justice impartiale et indépendante. Afin de minimiser les risques d’influence fondée sur le grade, tous les officiers des FAC devraient, en règle générale, être jugés par des officiers détenant le même grade qu’eux ou un grade supérieur. La possibilité de faire appel à des officiers à la retraite augmente le nombre de candidats admissibles et devrait garantir l’applicabilité de cette règle dans la plupart des cas. Les officiers supérieurs des FAC devraient seulement être jugés par des subordonnés lorsqu’il y a un nombre insuffisant d’officiers actifs ou retraités, éligibles et ne pouvant pas faire l’objet d’oppositions, détenant le même grade que l’accusé ou un grade supérieur.
              • Recommandation #57. Les paragraphes 167(4) et 167(5) de la Loi sur la défense nationale devraient être modifiés pour prévoir qu’en règle générale, si l’accusé détient le grade de colonel ou un grade supérieur, les membres du comité doivent être des officiers du même grade que l’accusé ou d’un grade supérieur.
              • Si le nombre d’officiers actifs admissibles est insuffisant, ou si des oppositions sont maintenues à l’égard de ceux qui existent, le comité devrait être complété par des officiers retraités des Forces armées canadiennes ayant détenu les grades requis au moment de leur retraite.
              • Si le nombre d’officiers à la retraite admissibles est également insuffisant, ou si des oppositions sont maintenues à l’égard de ceux qui existent, le comité devrait exceptionnellement être complété par des officiers actifs des Forces armées canadiennes qui détiennent des grades aussi peu inférieurs que possible à celui de l’accusé.
          2. Les procès conjoints devant la cour martiale générale
            1. Dans ses observations, le CJAG a énoncé que [traduction] « la LDN permet la tenue de procès conjoints, mais puisque la loi prévoit des compositions différentes pour les comités [de cour martiale générale] appelés à juger des officiers ou des militaires du rang, il est possible que des officiers et des militaires du rang qui font face à des accusations découlant des mêmes circonstances, ou de circonstances connexes, doivent néanmoins être jugés séparément »Note de bas de page 552. Il a recommandé qu’une exception soit prévue à ce sujet dans la LDN, mais a reconnu qu’une analyse normative supplémentaire était [traduction] « requise pour déterminer le mécanisme exceptionnel de composition des comités, afin qu’il puisse effectivement mettre en balance les intérêts des membres accusés »Note de bas de page 553.
            2. Je souscris à cette recommandation. Dans la mesure où les droits des accusés sont protégés, les procès conjoints peuvent améliorer l’efficacité du système de justice militaire en évitant la tenue de procès distincts portant sur les mêmes faits. Ils peuvent aussi accroître la légitimité du système en garantissant une cohérence dans l’issue des procès.
              • Recommandation #58. L’article 167 de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié pour prévoir la composition de la cour martiale générale lorsque des coaccusés détiennent des grades différents.
              • La juge-avocate générale devrait identifier des règles de composition des comités qui permettront la tenue de procès conjoints tout en assurant un respect approprié des droits de chaque accusé.
      3. L’opposition à la composition de la cour martiale générale
        1. Dès que la cour martiale commence à siéger, la poursuite et l’accusé peuvent s’opposer à la composition du comitéNote de bas de page 554. Aucun motif d’opposition n’est énoncé dans la LDN et les ORFC. En cas d’opposition, des témoins peuvent être appelés par l’une ou l’autre des parties ou par la courNote de bas de page 555. La présentation de la preuve est suivie des arguments des partiesNote de bas de page 556. La décision finale est « prise à la majorité par les autres membres du comité. Les membres votent de vive voix et à tour de rôle en commençant par celui qui détient le grade le moins élevé »Note de bas de page 557.
        2. Dans ses observations, le CJAG a énoncé que la partialité ne constituait pas un motif d’opposition expressément inclus dans le système de justice militaire comme c’est le cas dans le système de justice civilNote de bas de page 558. Il a recommandé que [traduction] « l’on examine la possibilité d’établir dans le système de justice militaire une procédure de récusation motivée fondée sur la partialité semblable à celle prévue à l’alinéa 638(1)b) du Code criminel »Note de bas de page 559.
        3. Je ne ferai pas cette recommandation. Contrairement au Code criminelNote de bas de page 560, la LDN et les ORFC ne dressent pas une liste exhaustive des motifs permettant de s’opposer à la composition d’un comité. L’ajout d’un motif précis relatif à la partialité n’est pas nécessaire et pourrait entraîner de la confusion.
        4. Le CJAG a aussi recommandé que [traduction] « l’on examine la question de savoir si le pouvoir décisionnel de révoquer les membres d’un comité pour un motif valable devrait être accordé au juge militaire plutôt qu’aux membres du comitéNote de bas de page 561 ». Je souscris à cette recommandation, qui correspond à la solution appliquée dans le système de justice civil depuis 2019Note de bas de page 562.
          • Recommandation #59. L’article 112.14 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devrait être modifié pour prévoir qu’une opposition relative à un membre du comité de la cour martiale générale soit entendue et tranchée par le juge militaire.
      4. Les décisions du comité de la cour martiale générale
        1. Le paragraphe 192(2) de la LDN prévoit que « [l]es décisions du comité relatives à un verdict de culpabilité, de non-culpabilité, d’inaptitude à subir un procès ou de non‑responsabilité pour cause de troubles mentaux se prennent à l’unanimité; les autres décisions se prennent à la majorité des membres ». Dans tous les cas, la façon de voter reste la même. « Les membres du comité de la cour martiale votent de vive voix et à tour de rôle, celui d’entre eux qui détient le grade le moins élevé vote le premierNote de bas de page 563. »
        2. Dans ses observations, le CJAG a recommandé que [traduction] « l’on examine la question de savoir si les membres individuels du comité devraient voter par scrutin secret » afin de réduire l’influence fondée sur le grade qu’ils pourraient subirNote de bas de page 564. Je souscris à cette recommandation. Il s’agit d’un exemple des protections de nature structurelle visant à éviter que les membres du comité soient récompensés ou punis auxquelles j’ai fait allusion ci-dessusNote de bas de page 565.
          • Recommandation #60. L’article 112.413 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devrait être modifié pour prévoir que les membres du comité de la cour martiale générale votent au scrutin secret.

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    4. Le processus de détermination de la peine
      1. Plusieurs préoccupations ont été portées à mon attention au sujet du caractère adéquat des peines infligées par les cours martiales. La majorité des participants qui ont mentionné cette question, y compris des membres des FAC, m’ont dit que les peines étaient trop clémentes. À l’occasion, on m’a également affirmé le contraire, particulièrement en ce qui a trait aux incidents d’inconduite sexuelle non violents et non criminels. Le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle (« CIIS ») et Marie‑Claude Gagnon, la fondatrice de l’organisme « It’s Just 700 », m’ont dit que de tels incidents avaient parfois été sanctionnés de manière disproportionnée, en particulier dans les premières années de l’opération HONOUR.
      2. Une fois qu’elles entreront en vigueur, les dispositions restantes du projet de loi C‑77 introduiront deux outils supplémentaires sur lesquels les juges militaires pourront s’appuyer pour déterminer la juste peine qu’il convient d’infliger. En plus des déclarations de la victime, qu’ils doivent déjà prendre en compte, les juges militaires devront également tenir compte de déclarations sur les répercussions militairesNote de bas de page 566 et de déclarations au nom d’une collectivitéNote de bas de page 567.
      3. Dans ses observations, le CIIS a suggéré que les rapports présentenciels pourraient constituer une option supplémentaire pour améliorer l’adéquation des peines infligées par les juges militairesNote de bas de page 568. Les auteurs du rapport sur la révision globale de la cour martiale avaient également examiné cette possibilité. En soulignant qu’il n’y a pas d’agents de probation dans les FAC, ils avaient suggéré que « [l]es officiers de service social des FAC pourraient recevoir une formation sur la rédaction des rapports présentenciels, ou encore on pourrait faire appel aux ressources existantes du système de justice pénale civil pour intégrer les rapports présentenciels dans le système de cours martialesNote de bas de page 569. » Je souscris au principe qui sous-tend la recommandation du CIIS.
        • Recommandation #61. La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée pour permettre aux juges militaires d’exiger la préparation de rapports présentenciels relatifs à l’accusé dans le but d’aider la cour martiale à infliger une peine ou à déterminer si l’accusé devrait être absous. Les Forces armées canadiennes devraient identifier le cadre le plus efficace pour la mise en œuvre d’un régime de rapports présentenciels.
    5. Les droits d’appel à la Cour d’appel de la cour martiale du Canada
      1. Dans leurs observations, le colonel (retraité) Michel Drapeau et le juge Gilles Létourneau ont fait valoir que les droits d’appeler des verdicts de la cour martiale favorisent le ministre de la Défense nationale (« ministre »).
      2. Une personne déclarée coupable par une cour de juridiction criminelle dans des procédures sur acte d’accusation peut interjeter appel de sa déclaration de culpabilité pour tout motif d’appel comportant une simple question de droit et, avec une autorisation, « pour tout motif d’appel comportant une question de fait, ou une question de droit et de fait » ou « pour tout [autre] motif d’appel […] jugé suffisant par la cour d’appel »Note de bas de page 570. Au contraire, une personne déclarée coupable par une cour martiale peut uniquement interjeter appel d’un verdict de culpabilité sur le fondement de sa « légalité »Note de bas de page 571, qui est « censé[e] qualifier soit des questions de droit soit des questions mixtes de droit et de fait »Note de bas de page 572. Je ne vois aucune raison qui pourrait justifier que les membres des FAC disposent de droits d’appel plus étroitsNote de bas de page 573.
        • Recommandation #62. En plus de leurs droits d’appel actuels, les personnes accusées en cour martiale devraient avoir le droit d’interjeter appel, avec l’autorisation de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada ou de l’un de ses juges, de tout verdict de culpabilité a) pour tout motif d’appel comportant une question de fait; ou b) pour tout motif d’appel jugé suffisant par la Cour d’appel de la cour martiale du Canada. La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée en conséquence.
      3. Le colonel Drapeau et le juge Létourneau ont également recommandé que le droit du ministre (ou de l’avocat à qui il a donné des instructions à cette fin) d’interjeter appel de verdicts de non‑culpabilité sur le fondement de questions mixtes de droit et de fait soit abrogéNote de bas de page 574. Dans le système de justice civil, la Couronne peut uniquement interjeter appel « contre un jugement ou [un] verdict d’acquittement […] à l’égard de procédures sur acte d’accusation pour tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement »Note de bas de page 575.
      4. Je ne suis pas convaincu que les droits d’appel élargis conférés au ministre dans le système de justice militaire sont injustifiés. Je suis d’avis que les objectifs distincts du système de justice militaire et le risque d’influence fondée sur le grade à l’égard des membres des comités des cours martiales générales sont des justifications suffisantes pour permettre que les questions mixtes de droit et de fait soient examinées dans le cadre d’appels interjetés contre des acquittements. Cependant, afin que l’accusé dispose d’une protection accrue, je recommande que l’autorisation de la CACM soit requise pour de telles questions.
        • Recommandation #63. La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée afin de prévoir le droit du ministre, ou de l’avocat à qui il a donné des instructions à cette fin, d’interjeter appel devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada à l’égard de tout verdict de non‑culpabilité d’une cour martiale a) pour tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement; ou b) pour tout motif d’appel qui comporte une question mixte de droit et de fait, avec l’autorisation de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada ou de l’un de ses juges.
    6. La composition de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada
      1. Le paragraphe 234(2) de la LDN énonce que « [l]a Cour d’appel de la cour martiale est composée de la façon suivante : […] au moins quatre juges de la Cour fédérale ou de la Cour d’appel fédérale désignés par le gouverneur en conseil; [et] […] tout autre juge d’une cour supérieure de juridiction criminelle nommé par le gouverneur en conseil. »
      2. La CACM est actuellement composée du juge en chef et de 56 juges supplémentaires. Le nombre de juges de la CACM est beaucoup plus élevé que celui de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 576. Ce nombre semble également disproportionné par rapport à la charge de travail de la CACM. La CACM m’a informé que ses juges ont siégé un total de 76 jours et qu’ils ont rendu 79 jugements sur une période de 15 ans (du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2020).
      3. Plusieurs participants à mon examen, y compris des commentateurs externes et des autorités des FAC, ont suggéré que le nombre de juges de la CACM pourrait être réduit. Je souscris à cette suggestion. Une plus petite équipe permettrait à chacun des juges de la CACM d’être exposé à suffisamment d’affaires pour devenir expérimenté en matière de droit et de justice militaires.
      4. Toute restructuration de la CACM devrait, toutefois, préserver un niveau suffisant d’expérience en droit criminel au sein de la CACM. Certains juges de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour fédérale ont de l’expérience en droit criminel, mais la majorité des affaires en droit criminel sont instruites par les cours supérieures de juridiction criminelle ainsi que les cours d’appel provinciales et territoriales.
        • Recommandation #64. La Cour d’appel de la cour martiale du Canada devrait être composée de 10 à 20 juges possédant une expérience importante en droit criminel. Une majorité d’entre eux devraient être des juges d’une cour supérieure de juridiction criminelle ou d’une cour d’appel provinciale ou territoriale. L’article 234 de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié en conséquence.

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