III. Les infractions d’ordre militaire et les peines

  1. La section 2 de la partie III de la Loi sur la défense nationaleFootnote 264(« LDN ») détaille les infractions d’ordre militaire pour lesquelles les justiciables du code de discipline militaire (« CDM ») peuvent être accusés, poursuivis et jugés dans le système de justice militaire.
  2. Plusieurs infractions d’ordre militaire sont propres au contexte militaire (« infractions purement militaires »)Footnote 265. La désobéissance à un ordre légitimeFootnote 266, l’absence sans permissionFootnote 267, la désertionFootnote 268 et l’ivresseFootnote 269 constituent des infractions de ce type. Cependant, les actes ou omissions de justiciables du CDM qui sont punissables sous le régime des lois fédérales canadiennesFootnote 270 (« infractions civiles ») ou des lois applicables dans le pays étranger où elles ont été commisesFootnote 271 (« infractions à l’étranger ») constituent également des infractions d’ordre militaire.
  3. La LDN fixe également les peines pouvant être infligées relativement aux infractions d’ordre militaire. Certaines peines, comme l’emprisonnement et les amendes, sont équivalentes à celles prévues pour les infractions criminelles dans le système de justice civil. D’autres peines sont propres aux Forces armées canadiennes (« FAC »), bien qu’elles ressemblent aux sanctions prévues par d’autres régimes disciplinaires (« peines militaires »). Les peines militaires sont notamment la destitution (ignominieuse ou non) du service de Sa Majesté, la détentionFootnote 722, la rétrogradation, la perte de l’ancienneté, le blâme, la réprimande, la consigne au navire ou au quartier, les travaux et exercices supplémentaires et la suppression de congéFootnote 273.
  4. Les infractions d’ordre militaire actuellement en vigueur posent problème, car, à mon avis, elles sont incohérentes à plusieurs égards. Il importe de disposer d’une structure cohérente afin d’assurer la prévisibilité du droit. Un comportement donné devrait engendrer des conséquences prévisibles avec un degré raisonnable de certitude. Par exemple, la nature de l’infraction d’ordre militaire dont une personne est accusée permet de déterminer a) si un procès sommaire peut avoir lieu et la possibilité pour l’accusé d’opter pour un procès par cour martialeFootnote 274; b) les critères relatifs à la détention préventiveFootnote 275; c) l’applicabilité de certains processus, notamment ceux qui permettent l’analyse génétique à des fins médicolégales et l’identification, au moyen d’empreintes digitales ou de tout autre moyen, des accusés et des contrevenantsFootnote 276; d) les peines pouvant être infligées si l’accusé est reconnu coupable, y compris les ordonnances particulières pouvant être rendues, comme l’ordonnance de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuelsFootnote 277. De plus, il faudrait minimiser la possibilité que des décisions discrétionnaires prises par certains intervenants du système puissent atténuer ou aggraver les conséquences d’un comportement donné.
  5. Je formule certaines recommandations afin de renforcer la cohérence des infractions d’ordre militaire prévues par la LDN. Cependant, ces recommandations ne sauraient remplacer un examen plus approfondi, par des experts de la justice militaire, de l’adéquation générale de l’ensemble d’infractions d’ordre militaire en vigueur.
  6. J’ai également des préoccupations concernant la signification et l’effet de certaines peines militaires, qui ne semblent pas bien compris, même par les acteurs du système de justice militaire qui traitent de ces questions au quotidien.
    1. La cohérence de l’ensemble d’infractions d’ordre militaire
      1. Les participants aux infractions, les tentatives et les complots
        1. Les articles 72 et 128 ainsi que le paragraphe 129(3) de la LDN prévoient l’identité des participants aux infractions d’ordre militaire ainsi que les tentatives et complots à l’égard d’infractions d’ordre militaire. Ces dispositions diffèrent à plusieurs égards des dispositions civiles équivalentes, à savoir les articles 21 à 24 et 463 à 465 du Code criminelFootnote 278. Trois exemples suffisent pour illustrer les problèmes qui pourraient se poser en raison de ces différences.
        2. Le premier exemple concerne les tentatives. Dans le système de justice militaire, une tentative de commettre une infraction purement militaire constitue un « acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline »Footnote 279. Ce comportement est passible de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une peine moindre, y compris un emprisonnement de moins de deux ansFootnote 280. Le Service canadien des poursuites militaires (« SCPM ») a signalé à juste titre [traduction] « le résultat étrange selon lequel, dans un nombre important d’affaires, la peine maximale prévue pour une tentative est plus élevée que celle prévue pour l’infraction elle-même »Footnote 281. Par exemple, une personne qui s’absente sans permission s’expose à un emprisonnement de moins de deux ansFootnote 282, mais une personne qui tente, sans succès, de s’absenter sans permission s’expose en plus à la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.
        3. Le deuxième exemple concerne les complots. Aux termes de l’article 128 de la LDN, un complot en vue de commettre « une infraction prévue par [le code de discipline militaire] » constitue une infraction passible au maximum d’un emprisonnement de sept ans. Là encore, il arrive souvent que la peine maximale prévue pour le complot excède largement la peine maximale prévue pour l’infraction elle-même.
        4. Aux termes de cet article, constitue également une infraction d’ordre militaire le fait de comploter en vue de commettre une infraction civile ou une infraction à l’étranger. Examinons par exemple le cas d’un justiciable du CDM qui complote en vue de commettre l’infraction d’incitation publique à la haine prévue par le Code criminel. Si l’accusation dans le système de justice militaire vise l’infraction prévue au Code criminel de complot en vue d’inciter publiquement à la haine, l’auteur sera passible d’une peine maximale de deux ans d’emprisonnementFootnote 283. Cependant, si l’accusation vise l’infraction d’ordre militaire de complot en vue d’inciter publiquement à la haine, la personne s’exposera plutôt à une peine d’emprisonnement de sept ans ou moinsFootnote 284.
        5. La solution adoptée dans le système de justice civil est mieux adaptée aux circonstances. À quelques exceptions près, la personne qui tente de commettre un acte criminel est passible d’une peine moindre que celle dont elle serait passible si elle commettait réellement cet acte, c’est-à-dire « la moitié de la durée de l’emprisonnement maximal encouru par une personne coupable de cet acte »Footnote 285. La personne qui complote en vue de commettre un acte criminel est généralement passible « de la même peine que celle dont serait passible, sur déclaration de culpabilité, un prévenu coupable de cette infraction »Footnote 286.
        6. Le troisième et dernier exemple se rapporte à l’acte de conseiller à quelqu’un de commettre une infraction ou de l’y inciter. Dans le système de justice militaire, une personne qui « conseille à quelqu’un de [commettre une infraction d’ordre militaire] ou l’y incite » participe à cette infractionFootnote 287. La personne ayant conseillé n’est coupable de l’infraction que si celle-ci est effectivement commise. Dans le cas contraire la personne pourrait néanmoins être accusée d’avoir adopté un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline au sens du paragraphe 129(1) de la LDNFootnote 288. Cette infraction d’ordre militaire distincte est toujours, comme je l’ai déjà mentionné, punissable de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une peine moindre, y compris un emprisonnement de moins de deux ansFootnote 289.
        7. La solution prévue dans le Code criminel est préférable. Premièrement, le Code criminel prévoit que la personne ayant conseillé participe a) à l’infraction, « même si l’infraction a été commise d’une manière différente de celle qui avait été conseillée »Footnote 290; ou b) à « chaque infraction que l’autre commet en conséquence du conseil et qui, d’après ce que savait ou aurait dû savoir celui qui a conseillé, était susceptible d’être commise en conséquence du conseil »Footnote 291. Deuxièmement, si l’acte criminel ayant été conseillé n’est pas commis, la personne est passible de la peine pouvant être infligée pour une tentativeFootnote 292.
        8. Je recommande que les règles prévues aux articles 21 à 24 et 463 à 465 du Code criminel soient reproduites, selon le cas, dans la LDN. Les règles de la LDN, telles que modifiées, ne devraient pas s’appliquer aux infractions civiles ou aux infractions à l’étranger désignées comme des infractions d’ordre militaire aux termes des paragraphes 130(1) ou 132(1). Pour ces infractions, il est déjà possible de se fonder sur les règles civiles ou étrangères qui régissent les infractions concernées, et un dédoublement pourrait créer le risque qu’un même comportement engendre des résultats différents en raison de décisions discrétionnaires des personnes autorisées à porter des accusations.
          1. Recommandation #23. Les articles 72 et 128 de la Loi sur la défense nationale devraient être modifiés de sorte à refléter, selon ce qui convient, les articles 21 à 24 et 463 à 465 du Code criminel. Le paragraphe 129(3) et le renvoi à l’article 72 dans le paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale devraient être abrogés. Les règles de la Loi sur la défense nationale concernant l’identification des participants à une infraction ainsi que les tentatives et complots à l’égard d’infractions ne devraient pas s’appliquer aux infractions d’ordre militaire visées aux paragraphes 130(1) et 132(1) de la Loi sur la défense nationale.
      2. L’article 129 de la Loi sur la défense nationale
        1. Le paragraphe 129(1) de la LDN prévoit que « [t]out acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline » constitue une infraction d’ordre militaire. Selon le paragraphe 129(2), cette interdiction s’étend à toute contravention à la LDN, aux « règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes » ou aux « ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres ». Cependant, elle n’y est pas limitéeFootnote 293.
        2. Le paragraphe 129(1) de la LDN punit les comportements allant à l’encontre « des standards d’éthique militaire du jour » Footnote 294. Dans plusieurs cas, l’accusé peut être reconnu coupable d’un comportement qui n’est pas expressément interdit.
        3. La Cour d’appel de la cour martiale du Canada (« CACM ») a confirmé à deux reprises que le paragraphe 129(1) de la LDN n’est pas vague au point d’être inconstitutionnel, et ce, pourvu que les précisions nécessaires soient fournies adéquatement à la personne accusée en vertu de ce paragrapheFootnote 295. Néanmoins, la disposition demeure extrêmement vagueFootnote 296. Son caractère vague est amplifié par les différences entre les versions française et anglaiseFootnote 297 et par l’interprétation que les tribunaux y ont donnée.
        4. En effet, la CACM a récemment établi que la poursuite n’a pas à présenter de preuve quant aux effets préjudiciables réels sur le bon ordre et la discipline. « Si le comportement tend à ou est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la discipline, ce comportement est alors préjudiciable au bon ordre de la discipline »Footnote 298. De plus, le juge des faits peut inférer l’existence d’effets préjudiciables à partir des circonstances en se fondant sur son expérience et ses connaissances militaires générales. Il commet une erreur s’il n’applique pas un raisonnement par inférence de la sorte lorsque les circonstances le permettentFootnote 299.
        5. Certains commentateurs ont plaidé en faveur de l’abrogation du paragraphe 129(1). Je ne suis pas d’accord. Je crois que la nécessité de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des FAC justifie l’existence, dans le système de justice militaire, d’un pouvoir permettant de sanctionner un comportement démontré comme étant préjudiciable au bon ordre et à la discipline, même si ce comportement n’est pas autrement interdit par la LDNFootnote 300.
        6. Cependant, je conviens que la façon dont ce pouvoir est actuellement exercé est problématique. Pour que la loi soit claire et prévisible, le paragraphe 129(1) devrait seulement constituer un pouvoir résiduel, utilisé lorsqu’aucune autre infraction d’ordre militaire existe pour interdire un comportement en particulier. Cependant, année après année, il s’agit d’une des deux infractions d’ordre militaire les plus fréquemment jugées par les tribunaux militairesFootnote 301. Cette réalité ne correspond certainement pas à la notion d’un pouvoir résiduel. Je recommande donc que de nouvelles infractions d’ordre militaire soient créées et que la portée de l’article 129 soit limitée.
          1. La création de nouvelles infractions d’ordre militaire
            1. L’inconduite sexuelle est actuellement interdite par le paragraphe 129(1). En effet, lorsqu’elle ne correspond pas à une agression sexuelle au sens du Code criminel, l’inconduite sexuelle n’est pas directement proscrite par la LDN. Son interdiction est plutôt énoncée dans les Directives et ordonnances administratives de la défense (« DOAD »).Footnote 302 Une inconduite sexuelle peut constituer une infraction d’ordre militaire puisqu’aux termes du paragraphe 129(2), le fait de contrevenir aux DOAD est réputé constituer un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La même logique s’applique à la conduite haineuse, interdite par une autre DOADFootnote 303.
            2. Par conséquent, la même infraction vise actuellement les inconduites graves comme l’inconduite sexuelle et la conduite haineuse, d’une part, ainsi que les délits mineurs comme le fait de ne pas s’être rasé correctement ou de ne pas avoir fait son lit, d’autre part. Ce phénomène banalise manifestement les inconduites graves. Tirer une autre conclusion ferait abstraction de [traduction] « la lisibilité sociale et [de] la fonction expressive et normative qu’un système juridique est censé remplir »Footnote 304.
            3. Du point de vue de la capacité des membres des FAC à adapter leurs comportements aux règles applicables, une interdiction législative claire est également préférable à une interdiction prévue dans des mesures réglementaires et administratives vastes et qui changent constamment.
            4. À mon avis, de nouvelles infractions d’ordre militaire devraient être créées chaque fois que cela est nécessaire pour dénoncer clairement certains comportements inacceptables. En plus de fournir une transparence et d’établir des normes claires quant aux comportements acceptables, cette solution permettrait au Parlement d’adapter l’application des processus de justice militaire ainsi que les peines jugées appropriées aux infractions spécifiques édictées.
            5. L’inconduite sexuelle et la conduite haineuse devraient certainement devenir des infractions d’ordre militaire distinctes à ce stade-ci. Cependant, les FAC devraient également examiner de façon continue les accusations portées sous le régime du paragraphe 129(1), en portant attention aux tendances émergentes afin d’être en mesure de demander que de nouvelles infractions d’ordre militaire soient créées au besoin.
            6. La Direction du service d’avocats de la défense (« Direction du SAD ») a suggéré de ré-édicter le paragraphe 129(2) en tant qu’infraction d’ordre militaire autonomeFootnote 305. Les procureurs militaires rencontrés lors de la séance d’information avec mon équipe souscrivaient également à cette recommandation.
              1. Recommandation #24. La Loi sur la défense nationale devrait être modifiée de sorte à y ajouter des infractions d’ordre militaire distinctes pour l’inconduite sexuelle et la conduite haineuse.
              2. L’alinéa 129(2)a) de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié de sorte pour exclure de son application les dispositions créant des infractions d’ordre militaire. Le paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale devrait être ré-édicté en tant qu’infraction d’ordre militaire autonome et distincte. La nouvelle infraction d’ordre militaire ne devrait pas décrire la contravention interdite comme « un acte, un comportement ou une négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline ».
            7. La Direction du SAD a également suggéré d’ériger en infraction d’ordre militaire le mauvais traitement infligé aux détenus. Le juge en chef LeSage, pour sa part, suggérait de créer des infractions d’ordre militaire distinctes pour la décharge négligente d’une arme à feuFootnote 306. Il existe peut-être d’autres exemples. Je n’ai pas identifié tous les types de comportements pouvant justifier la création de nouvelles infractions d’ordre militaire. Comme je l’expliquerai plus loin, cette tâche devra être achevée par d’autres.
          2. La portée du paragraphe 129(1) de la Loi sur la défense nationale
            1. La création de nouvelles infractions d’ordre militaire aura un effet limité si les comportements qui sont expressément interdits par d’autres infractions d’ordre militaire peuvent faire l’objet d’accusations sous le régime du paragraphe 129(1) de la LDN.
            2. En théorie, le paragraphe 129(5) de la LDN interdit déjà cette pratique en indiquant que « [l]e présent article ne peut être invoqué pour justifier une accusation relative à l’une des infractions expressément prévues aux articles 73 à 128 […] ». Cependant, cette disposition comporte des lacunes importantes. Elle neutralise immédiatement l’interdiction en y ajoutant que « […] [l]e fait que l’accusation contrevien[ne] au présent paragraphe ne suffit toutefois pas pour invalider la condamnation de la personne ainsi accusée, sauf si la contravention paraît avoir entraîné une injustice à son égard »Footnote 307. De plus, l’interdiction prévue au paragraphe 129(5) ne s’étend pas aux infractions civiles ou à l’étranger incorporées à titre d’infractions d’ordre militaire aux termes des paragraphes 130(1) et 132(1)Footnote 308.
            3. Tant la Direction du SAD que le SCPM m’ont indiqué que les accusations déposées sous le régime du paragraphe 129(1) étaient fréquemment portées en tant qu’accusations subsidiaires. À mon avis, ceci est en partie le résultat du caractère restrictif des dispositions de la LDN en ce qui a trait aux infractions « de même nature »Footnote 309. S’il existe un doute qu’une autre infraction d’ordre militaire ait été commise, les accusations principales ou subsidiaires portées sous le régime du paragraphe 129(1) sont actuellement la seule façon de préserver la possibilité d’une condamnation pour comportement préjudiciable au bon ordre et à la disciplineFootnote 310.
            4. Je comprends que les accusations subsidiaires fondées sur le paragraphe 129(1) entraînent souvent des négociations de plaidoyer dans le cadre desquelles l’accusé plaide coupable à l’accusation en vertu du paragraphe 129(1), alors que les autres accusations, parfois portées sous le régime du Code criminel, sont retirées ou suspendues par la poursuiteFootnote 311.
            5. À mon avis, des mesures supplémentaires peuvent être prises pour veiller à ce que des accusations soient portées sous le régime du paragraphe 129(1) uniquement lorsqu’aucune autre accusation ne peut être portée. Je recommande de modifier le paragraphe 129(5) de sorte à pallier les lacunes que j’ai relevées. Je recommande aussi que les comportements préjudiciables au bon ordre et à la discipline soient reconnus à titre d’infractions de même nature à l’égard de toutes les infractions purement militaires, mais pas à l’égard des infractions civiles ou à l’étranger.
              1. Recommandation #25. Le paragraphe 129(5) de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de prévoir que « [l]e présent article ne peut être invoqué pour justifier une accusation relative à l’une des infractions expressément prévues aux articles 73 à 128, 130 ou 132 », sans autre réserve. Par conséquent, le paragraphe 129(6) de la Loi sur la défense nationale devrait être abrogé.
              2. Un paragraphe devrait être ajouté à l’article 137 de la Loi sur la défense nationale. Il devrait prévoir que la personne accusée d’une infraction d’ordre militaire autre que celles prévues aux paragraphes 130(1) ou 132(1) puisse, si ni la perpétration complète de l’infraction ni la tentative de commettre l’infraction ne sont prouvées, être déclarée coupable de l’infraction prévue au paragraphe 129(1), pourvu que la preuve établisse un acte, un comportement ou une négligence préjudiciables au bon ordre et à la discipline.
            6. En pratique, si mes recommandations sont suivies, les juges militaires ou les officiers présidant des procès sommaires devront, au procès, et avant d’inscrire un verdict de culpabilité en application du paragraphe 129(1) de la LDN, être convaincus sur le fondement de la preuve et des plaidoiries que l’accusé ne pourrait pas être déclaré coupable d’une autre infraction d’ordre militaire. Quant à eux, les procureurs militaires devront examiner sérieusement la question de savoir si la preuve révèle d’autres infractions d’ordre militaire avant de consentir à un plaidoyer de culpabilité au titre du paragraphe 129(1).
            7. Il faut espérer que la disponibilité du paragraphe 129(1) à titre d’infraction de même nature permettra d’éviter que l’on se fonde fréquemment sur des accusations portées sous le régime de cette disposition. Le cas échéant, cela permettra aux prochains examinateurs d’avoir une vision claire de l’ensemble des comportements qui s’inscrivent réellement dans la portée résiduelle du paragraphe 129(1) et d’émettre des recommandations en conséquence.
    2. Le caractère adéquat d’autres infractions d’ordre militaire
      1. Plusieurs autres préoccupations ont été portées à mon attention concernant les infractions d’ordre militaire. Par exemple, la Direction du SAD m’a informé que plusieurs de ces infractions faisaient appel à une terminologie désormais obsolète à la lumière de l’évolution du droit international de la guerre.
      2. Il y avait également une crainte que les comportements interdits par le Code criminel puissent faire l’objet d’accusations moins sérieuses, ou encore d’accusations plus sérieuses, à titre d’infractions d’ordre militaire. J’ai essayé de remédier à cette crainte pour ce qui est du paragraphe 129(1), mais elle existe plus généralement. Par exemple, la professeure Elaine Craig a souligné que les agressions sexuelles aboutissaient parfois à des condamnations pour cruauté ou conduite déshonoranteFootnote 312, une infraction purement militaire punissable d’un maximum de cinq ans d’emprisonnementFootnote 313. À l’inverse, le colonel (retraité) Michel Drapeau a signalé que certaines infractions purement militaires semblent faire double emploi avec des infractions prévues par le Code criminel, mais prévoient des peines maximales supérieures à celui-ci.Footnote 314
      3. Le Cabinet du juge-avocat général (« CJAG ») a présenté des observations concernant l’infraction d’ordre militaire, visée à l’alinéa 98c) de la LDN, consistant à se mutiler ou à se blesser Footnote 315. Un projet de loi d’initiative parlementaire à la Chambre des communes propose actuellement d’abroger cet article Footnote 316. Le CJAG a recommandé que cette infraction d’ordre militaire soit conservée, mais que les notes de l’article 103.31 des ORFC soient modifiées de sorte à [traduction] « confirmer que les comportements d’automutilation liés à la maladie mentale soient exclus de l’intention et du champ d’application de la disposition » Footnote 317.
      4. Ces recommandations exigent une expertise dans le droit international de la guerre, une comparaison approfondie entre l’ensemble d’infractions purement militaires en vigueur et le Code criminel, ainsi qu’une compréhension approfondie du contexte dans lequel les infractions d’ordre militaire considérées comme problématiques pourraient être commises. Il vaut mieux confier de telles recommandations aux acteurs du système de justice militaire, puisque leur expérience leur permet de prendre des décisions éclairées à cet égard.
        1. Recommandation #26. Dans le cadre de l’exercice de son autorité sur tout ce qui touche à l’administration de la justice militaire au sein des Forces armées canadiennes, la juge-avocate générale devrait collaborer avec le Service canadien des poursuites militaires et la Direction du service d’avocats de la défense pour effectuer des examens réguliers des infractions d’ordre militaire prévues par la Loi sur la défense nationale.
        2. Ces examens devraient avoir pour but a) de relever les infractions d’ordre militaire désuètes ou faisant double emploi; b) d’évaluer la désirabilité de l’adoption de nouvelles infractions d’ordre militaire; et c) d’examiner les modifications qui seraient nécessaires ou souhaitables. Le résultat de ces examens devrait servir de fondement pour demander au Parlement d’apporter les modifications appropriées à la Loi sur la défense nationale.
    3. Les peines
      1. La gamme de peines disponibles
        1. Le juge en chef Lamer a recommandé « un examen complet des dispositions de la Loi sur la défense nationale relatives à la détermination de la peine dans le but d’établir un barème de peines et de sanctions plus souple, comme celui existant dans le système civil de justice pénale » Footnote 318. Le juge en chef LeSage a fait la même recommandation Footnote 319.
        2. Leurs recommandations ont été mises en œuvre. Entre autres, le projet de loi C-15Footnote 320 a introduit dans la LDN les peines discontinuesFootnote 321, les absolutions inconditionnellesFootnote 322, les dédommagementsFootnote 323 et la suspension de l’emprisonnement ou de la détentionFootnote 324. Cependant, certains commentateurs ont contesté le fait que les ordonnances de probation, les absolutions conditionnelles et les emprisonnements avec sursis n’aient pas été introduits dans le système de justice militaire au même moment.
        3. En règle générale, je conviens que les peines pouvant être infligées par les juges des tribunaux civils devraient également exister dans le système de justice militaire. Certains ont souligné que les FAC ne disposent actuellement d’aucun agent de probation pour faire respecter les conditions des ordonnances de probation, des absolutions conditionnelles et des emprisonnements avec sursis. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une objection valable. Le capitaine de frégate Mike Madden, un ancien avocat militaire des FAC et l’un des auteurs du rapport sur la révision globale de la cour martialeFootnote 325, m’a dit que le contrôle qu’exercent les FAC sur leurs membres est déjà universel.
          1. Recommandation #27. Dans le cadre de l’exercice de son autorité sur tout ce qui touche à l’administration de la justice militaire au sein des Forces armées canadiennes, la juge-avocate générale devrait envisager de permettre les ordonnances de probation, les absolutions conditionnelles et les emprisonnements avec sursis dans le système de justice militaire.
      2. La signification et l’effet de certaines peines militaires
        1. Ma plus grande préoccupation quant aux peines pouvant être infligées concerne la signification et l’effet de la perte de l’ancienneté, du blâme et de la réprimande. Tant le SCPM que le colonel DrapeauFootnote 326 m’ont dit que ces peines n’avaient aucune conséquence pratique. En particulier, le SCPM a formulé l’observation suivante :
          1. [traduction] Certaines peines ne signifient plus rien et n’ont plus d’effet mesurable hormis le fait qu’elles occupent une place dans l’échelle des peines. Par exemple, bien qu’il y ait eu une époque où la perte de l’ancienneté avait un effet financier et un effet sur la carrière, cela n’est plus le cas. Cette peine n’a aucun effet tangible connu. Le blâme et la réprimande semblent être des peines uniquement symboliques sans réelle distinction. Un examen devrait être effectué afin d’assortir à ces peines des effets tangibles ou de simplement les abolirFootnote 327.
        2. La question n’est pas nouvelle. Dans le cadre de son examen, le juge en chef Lamer a signalé que « [d]e nombreux membres ont soulevé la question de savoir s’il y a réellement une différence entre la réprimande et le blâme et si ces peines devraient être conservées »Footnote 328. Il a recommandé que des indications supplémentaires soient fournies quant au recours à ces peines.
        3. Sa recommandation n’a pas été mise en œuvre. J’ai été informé qu’un [traduction] « groupe de travail a été créé à l’automne 2018 par l’[adjudant-chef des Forces armées canadiennes], en collaboration avec l’[adjudant-chef du juge-avocat général], pour définir la réprimande et le blâme »Footnote 329. Bien que des travaux préliminaires aient été effectués, la tâche est ensuite tombée au bas de la liste des priorités et n’a pas été continuée.
        4. Près de vingt ans se sont écoulés depuis que le juge en chef Lamer a émis cette recommandation. De toute évidence, on ne lui a pas accordé la priorité qu’elle mérite. Il importe de clarifier la signification et l’effet du blâme et de la réprimande dans les ORFC. Ceci est d’autant plus vrai compte tenu du fait que, lorsque le projet de loi C-77 entrera en vigueur, ces peines pourront être infligées tant par les cours martiales à l’égard d’infractions d’ordre militaire qu’au terme d’audiences sommaires à l’égard de manquements d’ordre militaire Footnote 330.
        5. Il ne semble pas compliqué de décrire les conséquences pratiques du blâme et de la réprimande. Je comprends que les officiers des FAC ayant participé aux deux groupes de travail sur les procès sommaires en 2016 se sont [traduction] « finalement presque tous entendus pour dire que le blâme et la réprimande devraient essentiellement avoir deux effets : retarder le moment où une personne sera admissible à une promotion et retarder celui où elle sera admissible à une décoration des Forces canadiennes et à d’autres distinctions honorifiques pour service distingué » Footnote 331.
          1. Recommandation #28. Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devraient, avant l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, LC 2019, c 15, être modifiés pour clarifier et distinguer les effets pratiques du blâme et de la réprimande.
          2. Si des effets pratiques peuvent être associés à la perte de l’ancienneté, ceux-ci devraient être clarifiés dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Sinon, cette peine devrait être abolie.

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