Chapitre 1 – La sécurité dans un monde incertain

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Section 1.1 – Introduction

Qu’est-ce que cela signifie pour une personne de servir dans les FAC? Pourquoi le Canada a-t-il une force armée professionnelle, composée de volontaires? Qu’est-ce que cela signifie d’être membre de la profession des armes au Canada? Esprit combatif, qui fait partie de la série-cadre de la doctrine des FAC, examinera ces questions en décrivant la profession des armes au Canada et ce qu’elle signifie pour tous ceux qui servent le Canada en uniforme.

Esprit combatif représente une attitude importante. Ce n’est pas une mentalité qui consiste à toujours chercher le combat. Il s’agit plutôt d’une attitude de détermination, de persévérance – un sens de l’audace – que tous les membres de la profession des armes doivent appliquer à tout devoir, rôle ou fonction qu’ils remplissent. Cette attitude doit être une caractéristique constante de tous les membres de la profession des armes : l’environnement international dans lequel les membres des FAC opèrent est un environnement concurrentiel, avec des degrés variables de risque et d’incertitude posés par les diverses menaces qui pèsent sur le Canada et les intérêts canadiens. La volonté de réussir dans ce contexte doit être développée et maintenue.

Cette publication s’adresse à tous les membres de la profession des armes, qu’ils opèrent sur le plan tactique, opérationnel ou stratégique. Elle a pour but d’énoncer les attentes à l’égard des professionnels militaires et d’expliquer comment la profession des armes aide le gouvernement du Canada à défendre cette nation et ses intérêts. En bref, il s’agit d’un énoncé sur ce que cela signifie d’être membre des FAC, un membre de la profession des armes.

Esprit combatif commence par plaider en faveur d’une profession d’armes pouvant accomplir un large éventail de tâches dans le cadre de la communauté plus large de la sécurité nationale tout en conservant sa responsabilité fondamentale à l’égard de la défense du Canada en s’assurant de sa capacité de combat. Cette publication décrit ce qui constitue la profession des armes et comment elle s’applique aux efforts relatifs à la défense nationale du Canada. Enfin, elle établit le contexte dans lequel se situe l’éthos des FAC, en achevant le travail commencé dans Digne de servir et en ajoutant plus de poids aux raisons de l’approche adoptée dans Digne de servir.

Section 1.2 – Le rôle du gouvernement dans la protection de la population canadienne

L’ensemble des travaux sur l’insécurité mondiale croissante est vaste et même parfois controversé. Un examen de ces idées, tendances et arguments dépasse la portée de ce livre. Cependant, selon l’analyse effectuée dans le cadre de ce projet, trois caractéristiques se sont distinguées comme catalyseurs de la concurrence croissante et même des conflits entre les États, les acteurs non étatiques et d’autres organisations dans le monde d’aujourd’hui.

L’accélération des progrès technologiques, le changement climatique et les pressions démographiques mondiales sont les causes profondes des inégalités et des conflits idéologiques qui sous-tendent la concurrence et les conflits modernes. Ces perturbations augmentent l’imprévisibilité des pays, des organisations internationales, des sociétés et des personnes qui les dirigent, ce qui crée une profonde incertitude pour le Canada. Cette incertitude exacerbe un système international caractérisé par une concurrence stratégique, chacun voyant en l’autre une source d’insécurité potentielle. Les normes internationales, en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sont de plus en plus considérées avec scepticisme par de nombreuses parties, et les événements et les questions qui étaient autrefois considérés comme des artefacts historiques sont une fois de plus à l’origine de l’insécurité. L’environnement international est un environnement de concurrence et de conflitNote de bas de page 1. Mais ce qui n’a pas changé, c’est le rôle du gouvernement canadien dans ce contexte.

L’un des principaux objectifs du gouvernement est d’assurer la sécurité – une absence de soucis, comme le suggèrent les origines latines du motNote de bas de page 2 – des personnes qui vivent et travaillent dans le pays gouverné. Le premier et le plus important rôle du gouvernement consiste à protéger ses citoyens contre l’éventail des menaces posées par un monde incertain afin que la population canadienne puisse s’épanouir et prospérer. C’est cette protection qui garantit une grande partie de la légitimité du gouvernement – tant au pays qu’à l’étranger – ainsi que de la prospérité du Canada en général.

Pour atteindre l’objectif de protéger le Canada, il existe une communauté de sécurité nationale en pleine évolution et en pleine croissance. En commençant par l’un des trois organismes centrauxNote de bas de page 3, le Bureau du Conseil privé (BCP) évalue et diffuse des informations relatives à la sécurité nationale et au renseignement au Cabinet. S’étendant vers l’extérieur, la communauté comprend les ministères et les organismes responsables de la collecte et de l’évaluation du renseignement de toute forme, y compris l’information financière. Des organismes bien connus comme le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ou le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) contribuent grandement à cette collecte et à cette évaluation. De plus, d’autres organismes, comme la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ou l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), sont chargés de l’engagement communautaire, des opérations et de l’application de la sécurité au Canada. Compte tenu de l’évolution des menaces ayant un lien avec la sécurité nationale, de nombreux autres ministères, des finances à l’agriculture, en passant par les transports, ont un rôle à jouer dans l’entreprise de sécurité nationale.

Plusieurs ministères – comme le ministère de la Défense nationale (MDN) et les Forces armées canadiennes (FAC) ou les ministères et organismes des affaires étrangères du Canada – ont des fonctions explicites de sécurité nationaleNote de bas de page 4. Un élément clé de la sécurité nationale est la défense nationale. Le MDN est chargé de « défendre les intérêts canadiens au pays et à l’étrangerNote de bas de page 5 ». Afin de remplir ce mandat, le MDN appuie les FAC en tant qu’unité opérationnelle de la défense nationale. Au total, plus d’une douzaine d’organismes et de ministères constituent la communauté de la sécurité nationale et du renseignement au Canada. La sécurité nationale est un effort d’équipe, et le MDN et les FAC ne sont qu’une partie de l’équipe qui assure la défense.

Section 1.3 – Émergence de la profession militaire

La guerre est une entreprise brutale. L’application intentionnelle et organisée de la violence à grande échelle est quelque chose à laquelle un professionnel militaire doit toujours se préparer. Seuls les morts, dit-on, ont vu la fin de la guerreNote de bas de page 6. Un conflit majeur laisse un héritage dans l’esprit des participants et des survivants pour le reste de leur vie. En conséquence, l’étude des conflits armés a émergé non seulement pour comprendre pourquoi ils se produisentNote de bas de page 7, mais aussi comment être en mesure de les éviter ou de les prévenirNote de bas de page 8. Il ne faut cependant pas oublier que les forces armées sont également chargées d’étudier la manière de poursuivre un conflit armé, s’il y a lieuNote de bas de page 9.

Au cours de l’histoire, les forces armées ont évolué en tant qu’organisation dédiée à l’étude, à la prévention et à la conduite de la violence organisée légitime. Ce qui rend ces efforts légitimes, c’est la présence de mesures de contrôle sur la façon dont la violence est menée. Ces mesures de contrôle comprennent non seulement des lois et des politiques, mais aussi des règles, des normes et des pratiques qui sont autorisées par le gouvernement, puis appliquées par une chaîne de commandement allant des amiraux et des généraux les plus hauts gradés jusqu’au militaire du rang le plus récent ayant reçu une formationNote de bas de page 10. Le respect de ces mesures de contrôle, en particulier face aux combattants qui n’en ont pas, demeure l’une des normes les plus élevées de professionnalisme. En bref, la capacité des FAC de mener des opérations et des activités variera en fonction de la nature de la mission approuvée par le gouvernement, des pouvoirs conférés, des lois canadiennes et internationales applicables, de l’orientation, de l’éthique, de la doctrine et des politiques.

Parce qu’une force armée est créée et contrôlée par l’État, celle-ci jouit d’un premier degré de légitimité pour défendre l’État et ses intérêts grâce à son monopole sur l’utilisation de moyens coercitifsNote de bas de page 11. Cependant, cette autorité dépend autant des actions des forces armées que des normes, lois et politiques de l’État qui contrôlent les actions du militaire. Si les forces armées n’agissent pas dans l’intérêt supérieur de l’État ou ne se conduisent pas d’une manière conforme aux normes et aux valeurs de l’État, elle perd la légitimité qui lui est conférée. Par action ou par omission, une force armée peut avoir une grande influence sur le degré de confiance dont elle jouit.

Qui devrait alors servir au sein des forces armées? S’agit-il d’une obligation de citoyenneté ou devrait-elle reposer sur le principe du service volontaire? Ou s’agit-il d’une combinaison des deux? Compte tenu de la gravité de la tâche, il vaut la peine d’aborder ces questions pour comprendre qui sert et pourquoi.

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Un héritage de citoyen menant la vie de militaire

D’une manière générale, les citoyens soldats sont ceux qui, tout en menant une vie civile, se sont portés volontaires ou ont été motivés à défendre leur communauté et leur pays lorsqu’ils étaient confrontés à des menaces extérieures. Quoi qu’il en soit, la profession des armes n’est pas leur vocation première. Le service a plutôt été considéré comme une responsabilité de la citoyenneté. Pour préserver l’autodétermination et la souveraineté du pays, le gouvernement doit allouer des ressources pour maintenir une force armée compétente, et aussi de s'assurer qu'un nombre suffisant de personnes pourvoient tous les échelons de la hiérarchie militaire requis pour la défense nationale.Note de bas de page 12 Lier le service à la citoyenneté est l’un de ces moyens de s’assurer que la force militaire est prête en cas de besoin.

Ce principe de soldat-citoyen est profondément enraciné dans l’histoire et se reflète dans les traditions qui précèdent l’arrivée européenne. Parallèlement à ce qui se passait en Eurasie, les sociétés autochtones d’Amérique du Nord ont reconnu la nécessité des conflits, mais aussi que certaines séparations soient en place entre le combat et ce que les chercheurs appellent la « politique normaleNote de bas de page 13 » du temps de paix. Pour ne citer qu’un exemple, selon le 37e Wampum de la Grande loi de la Paix des Haudenosaunee, les chefs de guerre étaient nommés dans le seul but de poursuivre une guerre. À la fin du conflit, le leadership revenait à un chef de la paix et la politique normale reprenait son coursNote de bas de page 14. Cette pratique n’est pas propre aux Haudenosaunee, puisque les Cheyennes, les Choctaws, les Shawnees et les Tetons pratiquaient une séparation similaire entre les dirigeants du temps de guerre et ceux du temps de paixNote de bas de page 15. Cependant, les rôles de chef de guerre sont restés importants, servant souvent de messagers entre les communautés pendant les périodes de politique normaleNote de bas de page 16.

Les communautés autochtones de l’Amérique du Nord avant le contact ont compris que la poursuite d’une guerre exigeait un état d’esprit et une expertise différents de ceux qui sont appropriés en période de paix relative. L’élaboration des divers modèles de soldats-citoyens en Europe est similaire aux modèles que l’on trouve dans les communautés autochtones d’Amérique du Nord. Ensemble, ces éléments peuvent servir de pierre angulaire à une conception moderne du service militaire canadien, enracinée dans l’histoire autochtone et canadienneNote de bas de page 17. Le service militaire au Canada peut être considéré comme une combinaison de ces héritages autochtones et coloniaux selon lesquels le service pour la défense du Canada est assuré par les quelques personnes qui choisissent de poursuivre la maîtrise de l’utilisation légitime de la violence organisée. Cependant, ces quelques personnes doivent rester enracinées dans les valeurs et les normes de ce que signifie vivre dans leurs communautés et rester une partie précieuse et dynamique de leur société lorsque les combats sont terminés.

Les soldats-citoyens ont été le fondement des engagements armés partout en Amérique du Nord, prolongeant leur influence jusqu’au premier siècle d’existence du CanadaNote de bas de page 18. Ces personnes, qui ont accepté le double rôle de la vie civile et du service militaire, ont joué un rôle indispensable dans la défense du Canada. Cependant, le modèle du soldat-citoyen a commencé à changer avec la Première et la Seconde Guerre mondiale. Au cours de cette période, le modèle du soldat-citoyen a connu un important processus de professionnalisation. L’ampleur et la destruction de ces guerres sans précédent ont nécessité un niveau plus élevé de formation, de spécialisation, d’organisation et d’engagement de la part de ces soldats-citoyens. Par la force des choses, le service armé est devenu une occupation à temps plein, ce qui a également donné lieu à une force permanente beaucoup plus petite pour le CanadaNote de bas de page 19. Bien que les militaires à temps partiel – que l’on appellera plus tard la « Première réserve » – soient demeurés, l’accent a été mis sur le maintien de la Force régulière à temps plein pour la défense du CanadaNote de bas de page 20.

Professionnalisation

Les raisons sociopolitiques ont également entraîné un déplacement des soldats-citoyens vers une force professionnelle permanente composée de militaires à temps plein. La conscription – le service militaire obligatoire –, déjà tombée en disgrâce pendant la guerre froide, a en grande partie disparu des forces armées occidentales dans les années 1990 et 2000Note de bas de page 21 et, bien qu’elle connaisse une certaine renaissance ces derniers tempsNote de bas de page 22, les modèles de forces entièrement volontaires et le concept de professionnel militaire continuent de dominer dans les forces armées occidentales. Au Canada en particulier, l’idée d’un service militaire obligatoire mine nos idéaux de liberté individuelle et de prospérité et a également été à l’origine d’un fossé linguistique et culturel historiqueNote de bas de page 23. En période de paix relative, le service militaire obligatoire remet également en question l’idée que la défense nationale est assurée par des professionnels hautement qualifiés et très motivés. Par conséquent, les FAC sont entièrement composées de volontaires qui ont choisi de faire partie de la communauté de la sécurité nationale pour défendre le Canada et les intérêts canadiens, à temps plein ou à temps partiel.

Compte tenu de cette diversité, on s’attend à ce que les mêmes normes d’un professionnel militaire, peu importe l’élément constitutif, le grade ou le service. Les officiers et les militaires du rang (MR) de la Force régulière (F rég), de la Réserve (Rés) et de ses sous-éléments constitutifs, la Première réserve (P rés), la Réserve supplémentaire (Rés supp), les Rangers canadiens (RC) et le Service d’administration et d’instruction des organisations de cadets (SAIOC)Note de bas de page 24 sont tous considérés comme des membres de la profession militaire. Cette professionnalisation a mené à ce qu’on appelle aujourd’hui la « profession des armes »Note de bas de page 25.

Section 1.4 – Conclusion

La marche inéluctable du progrès technologique, le changement climatique de la Terre et les pressions démographiques croissantes sont à l’origine de troubles géopolitiques et sociaux dans le monde entier. Ces symptômes sont exacerbés, voire exploités, par des régimes autoritaires et expansionnistes visant à remettre en question l’ordre international fondé sur des règles que nous nous efforçons de défendre. Ces facteurs sont complexes dans leurs interactions et sont à l’origine d’un système international caractérisé par la concurrence et les conflitsNote de bas de page 26. Cela exige un groupe de Canadiens et de résidents permanents qui se consacrent à l’étude et à la poursuite du service armé pour la défense du pays. Pour défendre le Canada et les intérêts canadiens, il faut appuyer le Canada dans la promotion des valeurs à l’étranger au moyen d’efforts et d’interventions humanitaires, ainsi que d’un soutien national à l’intervention en cas de catastrophe et d’autres formes d’aide aux gouvernements provinciaux et aux administrations municipales du Canada, au besoin.

Bien que le processus de professionnalisation, c’est-à-dire l’abandon de la conscription et du service seulement à temps partiel, ait accéléré à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un examen plus approfondi du Canada et, en fait, de l’histoire avant le contact révèle une nuance souvent négligée : les membres de la profession des armes, bien que peu nombreux, ont conservé les valeurs et les normes de toutes les personnes qui vivent au Canada. Ce lien fait partie intégrante de la légitimité des forces armées, au même titre que les lois et les politiques qui l’ont créée.

Pour atteindre un profil de carrière de service important dans la profession des armes, il faut s’engager à poursuivre des niveaux croissants de connaissances professionnelles, d’excellence et de maturité. Il faut une volonté de servir le Canada et de contribuer à assurer la sécurité pour prévenir les conflits ouverts, tout en maintenant, en fin de compte, l’état de préparation militaire pour répondre aux exigences du combat en cas de conflit armé. Ce dévouement à la profession repose sur un esprit combatif, qui comprend mais va au-delà de la simple force de la volonté d’utiliser jusqu’à la force létale. Il s’agit de la passion et de la persévérance nécessaires pour qu’une tâche extrêmement difficile, voire dangereuse, soit accomplie selon des normes élevées et dans un but supérieur, au service du Canada. En tant que force de dernier recours, la profession canadienne des armes est l’ultime police d’assurance du pays.

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