Chapitre 2 – Le but et la composition des professions
Section 2.1 – Qu’est-ce qu’une profession?
Ce chapitre décrit la notion d’une profession, en examinant le but et la composition de cet important type d’organisation. Il commence par décrire une profession comme un système et définit ses principaux termes et conceptsNote de bas de page 27. Ces termes et concepts seront ensuite utilisés dans les chapitres suivants pour explorer une profession très particulière : la profession des armes.
Une profession est considérée comme un groupe exclusif de personnes qui possèdent et appliquent un ensemble systématiquement acquis de connaissances, de compétences, d’habiletés et d’autres aptitudes (CCHA), dérivés de recherches approfondies, de l’éducation, de l'instruction et de l’expérience. Pour qu’une profession ait un sens, elle doit exister au sein d’une société plus large et, par conséquent, les actions de la profession auront une incidence directe sur le statut de cette profession au sein de la sociétéNote de bas de page 28. Les professionnels sont membres d’une profession. Ils ont la responsabilité de s’acquitter de leur fonction professionnelle de façon éthique et compétente dans l’intérêt de la société. Les professionnels sont régis par un code de valeurs et d'éthique qui établit des normes de conduite au sein de leur profession. Les membres soutiennent et appliquent activement ce code d’éthique, qui englobe des valeurs largement reconnues et jugées légitimes par la société. Le professionnalisme est la conduite et le rendement attendus d’un professionnel. Ainsi, il faut respecter un ensemble de normes et de pratiques reconnues liées à l’ensemble des connaissances propres à la professionNote de bas de page 29. Les membres de la profession innovent, élargissent et améliorent activement leurs CCHA.
Section 2.2 – Impératifs fondamentaux
Une profession est généralement supervisée par des organes directeurs externes qui confèrent à la profession sa compétence légitime en vue d’être exercée. Ces organes directeurs fournissent également des cadres réglementaires et de responsabilisation qui évaluent la crédibilité et la fiabilité de la profession pour remplir sa fonction; bref, son efficacité professionnelle. Les professions doivent donc répondre à deux impératifs fondamentaux pour garantir leur crédibilité et être dignes de confiance aux yeux de la société. Ces deux impératifs sont tout aussi importants pour la pertinence et le bon fonctionnement de la profession.
L’impératif sociétal exige de la profession qu’elle se soumette à un organe directeur qui détermine et supervise la compétence légitime de la profession, et qui supervise également la conformité réglementaire. Le deuxième aspect de l’impératif sociétal est que la profession doit refléter dans toute la mesure du possible, sans compromettre sa fonction première, les valeurs et les normes de la société qu’elle sert, si elle veut bien la servir. Essentiellement, cela signifie que la profession doit remplir sa fonction conformément aux lois, aux valeurs, aux vertus et aux normes qui représentent le meilleur auquel la société aspire.
L’impératif fonctionnel exige que la profession soit efficace dans l’accomplissement de sa fonction principale, qu’il s’agisse de fournir un service ou un produit. Les organes directeurs confèrent aux professions un degré élevé de contrôle et d’autorégulation sur leurs questions internes afin de garantir leur bon fonctionnement. Ces questions internes comprennent, sans toutefois s’y limiter, les questions techniques, y compris celles qui portent sur la doctrine, le perfectionnement professionnel de ses membres, la discipline, l’administration, la politique du personnel et l’organisation interne de la profession elle-même. La surveillance est assurée par un organe directeur externe chargé d’évaluer périodiquement l’efficacité de la profession pour le compte de la société. L’impératif fonctionnel requiert la spécialisation des connaissances, des compétences et des capacités dans toute la société qui, comme l’histoire l’a montré, permet à la société de s’épanouirNote de bas de page 30.
Section 2.3 – Attributs professionnels
En règle générale, une profession comprend quatre attributs, comme le montre la figure 2.1; la responsabilité, l’expertise, l’éthos ou le code de valeurs et d’éthique, et l’identité. La responsabilité représente le rôle, la fonction et les limites légitimes qui définissent la profession. L’expertise représente l’ensemble des CCHA systématiquement acquis de la profession et sa capacité à les appliquer avec compétence. Un éthos ou un code d'éthique régit la manière dont cette expertise doit être utilisée, soit de manière positive et dans l’intérêt de la société. Un praticien assume son identité professionnelle lorsqu’il s’acquitte de ses responsabilités au mieux de ses compétences et d’une manière conforme à son éthos ou à son code d'éthique. L’expertise et l’éthos ou le code de valeurs et d'éthique forment l’idéologie professionnelle qui guide les normes de conduite et de rendement de la profession; essentiellement, les normes de professionnalisme.
Figure 2.1 : Le concept professionnel
Description longue
Le graphique représente les attributs professionnels d'identité, d'expertise et de responsabilité formant les côtés d'un triangle isocèle, avec l'éthos au centre comme attribut lier les uns aux autres. La direction et le contrôle du gouvernement sous-tendent l’attribut professionnel de responsabilité à la base du triangle.
Section 2.4 – Professions et confiance
Les relations entre la société, les professions et leurs organes directeurs sont fondées sur la confiance. La fiabilité perçue de la profession dépend de la crédibilité dont elle fait preuve dans la fourniture de ses services ou de ses produits. La profession le fait-elle de manière éthique? La profession a-t-elle vraiment une expertise dans le domaine pour lequel elle fournit ce service? La profession a-t-elle la capacité de fournir le service selon les normes et l’échelle requises? Bien que les limites d’une profession soient généralement claires, elles ne sont pas imperméables et, par conséquent, la profession est influencée par les changements au sein de la société.
En fin de compte, la valeur d’une profession réside dans sa capacité à garantir la fiabilité des services qu’elle propose à la société. Tandis que la confiance est l’assurance qu’une personne agira dans l’intérêt supérieur d’autrui, la fiabilité est la démonstration de la capacité à agir dans l’intérêt supérieur d’autrui, c’est-à-dire que les professionnels agissent dans l’intérêt supérieur de la sociétéNote de bas de page 31. La recherche a démontré que la meilleure façon de susciter la fiabilité est d’appliquer trois variables : le caractère, la compétence et l’engagement.
Figure 2.2 Le développement de la fiabilité
Confiance = (caractère + compétence) x engagements
Description longue
Formule mathématique qui décrit la fiabilité comme étant égale à la somme du caractère et de la compétence entre parenthèses multipliée par le niveau d'engagement du militaire professionnel.
La fiabilité, comme l’illustre la formule présentée à la figure 2.2, est le résultat de l’engagement, qui amplifie la somme du caractère et de la compétence. Le caractère (qui vous êtes) et la compétence (ce que vous faites et la qualité de votre travail) s’additionnent. Fondamentalement, l’engagement d’une personne est une force multiplicatrice qui permet d’instaurer la confiance et de parvenir à la réussite. L’engagement a un effet multiplicateur, car la recherche et l’expérience nous montrent que malgré l’importance du talent, l’effort compte doublement dans la réussiteNote de bas de page 32. Il faut de la passion et de la persévérance pour maintenir le niveau d’ambition, d’engagement et de sacrifice personnel qu’exige l’engagementNote de bas de page 33. La fiabilité permet aux professions de faire preuve d’intention et d’adopter une approche fondée sur des valeurs de manière plus efficace. La fiabilité renforce l’efficacité, de sorte qu’une profession peut fonctionner avec moins de frictions, à la vitesse proverbiale de la confianceNote de bas de page 34.
Caractère
Le caractère, première variable de l’équation, remonte à l’antiquité (pour inclure de nombreuses cultures occidentales, orientales et autochtones). En Amérique du Nord, le concept de caractère est trouvé au sein des vertus autochtones. Plusieurs sources suggèrent que les sept enseignements sacrés – Niizhwaaswi Gagiikwewin – sont un ensemble de vertus crées et acceptées par plusieurs Premières Nations et MétisNote de bas de page 35. Les sept enseignements sacrés comprennent l’amour, l’humilité, le respect, la vérité, l’honnêteté, la sagesse et le courage et sont au cœur de nombreuses cultures autochtones.
Les Inuits ont une articulation unique des vertus appelée l’Inuit Qaujimajatuqangit (IQ). L’IQ est une façon inuite de savoir qui se traduit en français par « savoir inuit traditionnelNote de bas de page 36 ». Par ailleurs, le terme a été traduit comme « ce que les Inuits ont toujours connu comme étant vraiNote de bas de page Note de bas de page 38. Ces principes sont à leur tour appuyés par les maligait, qui permettent de mener une vie agréable. Les quatre lois des maligait comprennent travailler pour le bien commun, respecter les êtres vivants, maintenir l’harmonie et l’équilibre, et planifier et préparer l’avenirNote de bas de page 39. Les parallèles avec les sept enseignements sacrés sont évidents.
Au sein des cultures occidentales, les vertus universelles et les forces de caractère du Values in Action (VIA) Institute on Character sont similaires aux vertus et principes autochtones. Le caractère est largement décrit comme une combinaison de valeurs, de vertus et de traits individuels qui sont intériorisés et vécus. Le travail de Christopher Peterson et Martin Seligman, qui ont créé la Classification des vertus et des forces de caractère de VIA, qui occupe une place importante dans le domaine. Présentée comme un outil permettant de déterminer, de mesurer et de former le caractère, la classification VIA propose vingt-quatre forces de caractère qui soutiennent les six vertus fondamentales que sont la sagesse, le courage, l’humanité, la justice, la tempérance et la transcendanceNote de bas de page 40. Leurs recherches fondamentales forment un ensemble de vertus universelles et de forces de caractère qui transcendent l’ethnicité, la culture, la religion et le temps.
Plus récemment, des universitaires de l’université Western ont adapté la recherche sur les VIA à un modèle de caractère de leader comprenant onze dimensions de caractère accompagnées de 62 éléments de caractère. Centrées sur la dimension de caractère du jugement, les dix autres dimensions comprennent la transcendance, la motivation, la collaboration, l’humanité, l’humilité, l’intégrité, la tempérance, la justice, la responsabilisation et le courage. Ces dimensions de caractère interdépendantes interagissent pour former les variables de caractère qui sont déclenchées par le jugement et qui éclairent celui-ci. L’objectif de ce modèle pratique de caractère du leader est d’assurer le bien-être de l’équipe et de maintenir l’excellence, en s’appuyant sur un meilleur jugement éclairé par le caractèreNote de bas de page 41.
Le concept de caractère suit de près l’impératif sociétal. Les valeurs et vertus que les professions doivent intégrer pour garantir leur pertinence et leur fiabilité aux yeux de la société doivent être les meilleures valeurs, vertus et caractéristiques auxquelles leur société aspire. En bref, le professionnel doit représenter le meilleur du système de valeurs qu’il s’est engagé à servir et y demeurer fidèle.
Compétence
La deuxième variable de l’équation de fiabilité – la compétence – a trait aux attentes professionnelles qui sous-tendent l’objectif fondamental de la profession. La compétence d’une profession est déterminée par la qualité et la mesure dans laquelle les CCHA professionnelles sont déployées au service de la société. Les compétences professionnelles sont variées, allant des aptitudes techniques, des capacités procédurales, des nouvelles connaissances innovantes, à l’organisation de la profession elle-même. Une telle compétence s’acquiert par la recherche, l’éducation et la formation continues, ainsi que par l’accumulation d’expérience dans l’application de ces connaissances. De plus, les principes qui guident l’acquisition et l’application de ces connaissances sont codifiés dans la doctrine, le discours professionnel, les politiques et les procédures au sein des professions.
Engagement
Si certains aspects du caractère et tous les aspects de la compétence sont reflétés par les CCHA, c’est la vitalité de l’engagement d’une personne – en tant que troisième variable de l’équation – à viser l’excellence en matière de caractère et de compétence, qui permet d’instaurer la confiance inhérente au professionnalisme. Le talent ne suffit tout simplement pas; l’engagement, ou la persistance des efforts, est l’ingrédient primordial pour garantir que le caractère et la compétence sont maintenus jusqu’à l’obtention de la confiance nécessaire à la réussite. Le niveau d’engagement peut s’exprimer comme la somme de l’ambition, de l’engagement et du sacrifice pour assurer le succès. Cette combinaison d’éléments crée des organisations dignes de confiance qui prospèrent et réussissent.
La figure 2.3, qui est une représentation simplifiée de la profession en tant que système et du contexte dans lequel elle opère, permet de voir tous ces éléments en relation les uns avec les autres.
Examen du service
Figure 2.3 Le système professionnel
Description longue
Le graphique représente la profession dirigée et contrôlée par un gouvernement informé par les impératifs sociétaux et fonctionnels sous la forme de flèches grasses. La profession est à son tour influencée par ses attributs professionnels en termes de responsabilité, d'éthos, d'expertise et d'identité, qu'elle offre en termes de caractère, de compétence et d'engagement à fournir ses services avec professionnalisme, représentés comme une flèche de résultat. Ce professionnalisme génère la fiabilité, qui est à son tour évaluée par la société et le gouvernement dans leurs évaluations respectives des services de la profession, ce qui se traduit ensuite par une demande de la société envers le gouvernement pour un service professionnel. Le système est bouclée sous forme d’ une représentation schématique avec le gouvernement assurant la direction et le contrôle de la profession.
Section 2.5 – Types de professions et de professionnels
Les professions peuvent prendre diverses formes. Les professions sont généralement associatives et leurs membres travaillent individuellement au service de leurs clients. Les professions médicales et juridiques sont normalement considérées comme associatives. Une profession collective est très différente d’une profession associative. Dans une profession collective, le service ou le produit ne peut pas être fourni ou produit par une seule personneNote de bas de page 42. Le service professionnel ne peut être rendu que par un groupe collectif de professionnels.
Les doubles professionnels sont des professionnels qui détiennent un statut professionnel dans plus d’une profession, simultanément. Ils peuvent être réglementés par les deux organismes professionnels. Par exemple, un professionnel associatif peut apporter une expertise unique à une profession collective et être membre des deux.
Section 2.6 – Conclusion
Ce chapitre présentait un cadre conceptuel pour la profession, centré sur le concept clé de la confiance. La confiance au sein d’une profession est à la fois une exigence et le fruit d’une profession qui répond à ses impératifs fonctionnels et sociétaux. La confiance conférée à une profession doit être gagnée chaque jour sous forme de fiabilité. Cette confiance peut s’éroder lorsque les membres de la profession ne répondent pas aux attentes incarnées dans les attributs professionnels, mais surtout dans l’idéologie professionnelle.
Dans les chapitres qui suivent, ce cadre de confiance, d’impératifs et d’attributs sera appliqué au professionnel militaire – les membres de la profession des armes. Les chapitres de ce livre définiront la voie à suivre non seulement pour que la profession des armes continue à être capable de défendre le Canada et les intérêts canadiens, mais aussi pour que les FAC conservent leur position au sein de la société en tant que profession respectée et vitale.
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